La Chanson de Roland/Léon Gautier/Édition classique/La légende de Charlemagne

La bibliothèque libre.
◄   La Chanson de RolandÉdition classique de Léon Gautier
Éclaircissements – La légende de Charlemagne
  ►




ÉCLAIRCISSEMENT I


LA LÉGENDE DE CHARLEMAGNE



I. NAISSANCE ET ENFANCE DE CHARLEMAGNE.

SA NAISSANCE. La mère de Charles est connue, dans nos Chansons, sous le nom de « Berte au grand pied ». C’est la fille de Flore, roi de Hongrie, et de la reine Blanchefleur. Un jour Pépin la demande en mariage, et elle s’achemine vers la France. (Berte, poème composé par Adenès vers 1275, édition P. Paris, pages 7-9.) Mais l’étrangère est, dès son arrivée, circonvenue par toute une famille de traîtres : une serve, Aliste, se fait passer pour la reine de France, prend sa place auprès de Pépin et force la véritable Berte à s’enfuir au fond des bois, où elle pense mourir de froid, de peur, de faim. (Ibid., pp. 16-52.) Par bonheur, un pauvre homme du nom de Simon recueille l’innocente en sa cabane, où elle est, au bout de quelques années, reconnue enfin par son mari désabusé. (Ibid., pp. 64-132.) Quelques mois après naît Charlemagne[1].

SES ENFANCES. De la fausse Berte, de la méchante Aliste, Pépin avait eu deux fils.: Heudri et Lanfroi. Ils deviennent, comme il s’y fallait attendre, les ennemis acharnés du fils légitime, de Charles. (Charlemagne de Girard d’Amiens ; compilation du commencement du XIVe siècle, B. N, 778, f° 23, 24.) Donc, ils essayent de l’empoisonner, puis de l’égorger. (F° 24-28.) Un serviteur fidèle, David, sa charge alors de sauver l’héritier de France : il l’emmène avec lui en Espagne, et c’est à Tolède, c’est parmi les païens que va s’écouler l’enfance de Charlemagne. F° 28-30.) On n’y connaît pas, d’ailleurs, sa véritable condition, et c’est sous le nom de Mainet que le fils de Pépin se met au service du roi sarrasin Galafre. (F° 30,31.) Pour premier exploit il se mesure avec l’émir Bruyant, qu’il tue. Mais Galafre a une fille, Galienne, de qui la beauté est célèbre et pour laquelle le jeune Français se prend soudain du plus vif, du plus charmant amour. Il la veut conquérir à tout prix, triomphe de Braimant, qui est un autre ennemi de Galafre, et épouse enfin sa chère Galienne, qui déjà s’est convertie à la foi chrétienne. (F° 32-50.) C’est en vain que Marsile, frère de Galienne, essaye de faire périr Mainet : Charles, une fois de plus vainqueur, ne songe désormais qu’à quitter l’Espagne et à reconquérir son propre royaume. Il commence par délivrer une première fois Rome et la Papauté, menacées par les païens que commande Corsuble. (F° 55.) Il fait ensuite son entrée en France, où sa marche n’est qu’une série de victoires. Les deux traîtres, Heudri et Lanfroi, sont vaincus et châtiés comme ils le méritent. (F° 64-66.) Charles demeure le seul maître de tout le grand empire (f° 67) ; mais sa joie est empoisonnée par la mort prématuree de sa chère Galienne[2]...


II. EXPÉDITION DE CHARLES EN ITALIE : ROME DÉLIVRÉE.

Un jour, les ambassadeurs du roi de France sont insultés par le roi de Danemark, Geoffroi. Charles, plein de rage, s’apprête à faire mourir le fils et l’otage de Geoffroi, le jeune Ogier, lorsque tout à coup on lui vient annoncer que les Sarrasins se sont emparés de Rome. (Chevalerie Ogier de Danemarche, poème du XIIe siècle attribué à Raimbet de Paris ; édition de Barrois, vers 174-186.) Charles, tout aussitôt, part en Italie, traverse les défilés de Montjeu (Ibid., 191-222), où il est miraculeusement guidé par un cerf blanc (Ibid., 222-283), et s’avance jusque sous les murs de Rome. Le pape Milon, son ami, marché à sa rencontre et lui fait bon accueil. (Ibid., 315-329.) Corsuble cependant, le sarrasin Corsuble est maître de Rome, et n’aspire qu’à lutter contre les Français. (Ibid.,284-289 et 330-383.) Une première bataille s’engage. (Ibid., 384-423 et 448-467.) L’oriflamme va tomber au pouvoir des païens, quand Ogier intervient et relève, par son courage et sa victoire, la force abattue des Français. (Ibid., 468-681.) On l’acclame, on lui fait fête, on l’arme chevalier. (Ibid., 682-749.) C’est alors que les Sarrasins s’apprêtent à opposer, dans un duel décisif, leur Caraheu à notre Ogier. (Ibid., 851-961.) Le succès est un moment compromis par les imprudences de Charlot, fils de l’Empereur. (Ibid., 1075-1224.) Néanmoins le grand duel entre les deux héros se prépare, et l’heure en va sonner (Ibid., 1223-1537) : Gloriande, fille de Corsuble, en sera le prix. Une trahison de Danemont, fils du roi païen, retarde la victoire, d’Ogier, qui est fait prisonnier. (Ibid., 1538-2011.) Mais les Français n’en sont que plus furieux. Un grand duel, qui doit tout terminer, est décidé entre Ogier et Brunamont, le roi de « Maiolgre ». (Ibid., 2565 et suiv.) Ogier est vainqueur (Ibid., 2636-3041) ; Corsuble s’éloigne de Rome (Ibid., 3042-3052), et Charles fait dans la grande ville une entrée triomphale. Il a la générosité d’épargner Caraheu et Gloriande (Ibid., 3053-3073), et, chargé de gloire, reprend le chemin de la France[3]. (Ibid., 3074-3102.)

La Chevalerie Ogier nous a parlé fort longuement d’une première expédition en Italie : Aspremont, plus longuement encore, nous fait assister à une seconde campagne de l’Empereur par delà les Alpes... Charles, donc, tient sa cour un jour de Pentecôte. (Aspremont, poème de la fin du XIIe siècle ou du commencement du XIIIe, édit. Guessard, pp. 2 et 3.) Soudain, un Sarrasin arrive et défie solennellement le Roi au nom de son maître Agolant. (Ibid., p. 4.) Charles pousse son cri de guerre, et la grande armée de France se met en route vers l’Italie. Là voilà qui passe à Laon. (Ibid., p. 11.) Or, à Laon était enfermé le neveu de Charles, qu’on ne voulait pas encore mener à la guerre : car il n’avait que douze ou quinze ans. Roland s’échappe, et rejoint l’armée. (Ibid., pp. 13-16.) Charles envoie Turpin demander aide au fameux Girard de Fraite, qui d’abord répond par un refus insolent, et veut assassiner l’Archevêque (Ibid., pp. 17-18) ; mais qui, sur les conseils pressants de sa femme, se décide enfin à marcher au secours de l’Empereur. (B. N. fr. 2495, f° 85 r° — 87 r°.) Alors toute l’armée franchit les Alpes et traverse l’Italie : car c’est la Calabre qui doit être le théâtre de la grande lutte. Agolant, le roi païen, a un fils nommé Eaumont, qui est destine à devenir le héros du poème. Eaumont lutte avec Charles et est sur le point de vaincre, quand arrive Roland, qui tue le jeune Sarrasin et s’empare de l’épée Durendal. (B. Nanc. ms. Lavall., 123, f° 41 V° 43 r°.) La guerre cependant n’est pas finie : il faut que saint Georges, saint Maurice et saint Domnin descendent dans les rangs des chrétiens et combattent avec eux (Ibid., f° 64, v°— 65 ; r°) ; il faut que Turpin porte au front de l’armée le bois sacré de la vraie croix ; il faut que Dieu, par un miracle sans pareil, donne à ce bois l’éclat du soleil ; il faut, à côté de ces efforts célestes, tout l’effort humain de Charlemagne, de Roland et de Girard, pour qu’enfin les Sarrasins soient vaincus. (Ibid., f° 65, 2° et suiv.) Agolant meurt alors sous les coups de Claires, neveu de Girard (Ibid., f° 81, v°) ; Girard lui-même s’empare de Rise (Ibid.), et l’on donne le royaume d’Agolant à Florent, neveu du roi de Hongrie[4]. (Ibid., f° 81, v° — 87.)


III. LUTTES DE CHARLEMAGNE CONTRE SES VASSAUX :

GIRARD DE VIANE. Garin de Montglane, avec ses quatre fils, Renier, Mile, Hernaut et Girard, est tombé dans une misère profonde. (Girars de Viane, poème du commencement du XIIIe siècle, édition P. Tarbé, pp. 4-7.) Les Sarrasins entourent son château que baigne le Rhône ; mais ses fils le délivrent (Ibid., pp. 6-9) et se lancent dans les aventures. (Ibid., pp. 9-10.) Girard arrive à Reims pour se mettre au service de Charles avec son frère Renier. (Ibid., pp. 11-20.) « Adoubés » par l’Empereur (Ibid., pp. 20-21), ils lui rendent, en effet, mille services dont ils se font trop bien payer (Ibid., pp. 24-30), et Girard devient l’ennemi mortel de Charlemagne, qui lui avait d’abord promis la duchesse de Bourgogne en mariage et avait fini par l’épouser lui-même. La nouvelle impératrice, irritée contre Girard, lui fait baiser son pied, alors que le jeune vassal pense baiser celui de l’Empereur. De là, toute la lutte qui va suivre. (Ibid., pp. 31-41.) Une guerre terrible s’engage entre les fils de Garin et Charlemagne. (Ibid., pp.51-56.) Les deux héros de cette guerre seront, d’une part, Olivier, fils de Renier et neveu de Girard ; de l’autre, Roland, neveu de Charles. Aude, la belle Aude, sœur d’Olivier, devient la fiancée de Roland : nouvelle complication, qui donne un’ intérêt plus vif à cette légende héroïque dont le principal épisode est le siège de Vienne. (Ibid., pp. 66-105.) La guerre étant interminable, on se résout à l’achever par un combat singulier entre Olivier et Roland. (Ibid., pp. 106 et suiv.) Le combat est admirable, mais demeure indécis, (Ibid., pp. 133-154.) Bref, la paix est faite ; Girard se réconcilie avec Charles ; Aude est promise à Roland, et l’on part pour Roncevaux. (Ibid., pp. 155-184.)

LES QUATRE FILS AYMON.

Charles tient cour plénière. Il se plaint de la rébellion de Doon de Nanteuil et de Beuves d’Aigremont : même, il s’apprête à rassembler contre ce dernier toutes les forces de son empire. (Renaus de Montauban, poème du XIII° siècle, mais dont il a existé des rédactions antérieures ; édit. Michelant, pp. 1-3.) Aymon de Dordone, qui est un autre frère de Beuves, proteste courageusement contre la colère de l’Empereur. Charles le menace, et Aymon se retire fièrement de la cour avec tous ses chevaliers. C’est ici que commence la lutte entre l’Empereur et le duc Aymon, qui est soutenu par ses quatre fils, Renaud, Alard, Guichard et Richard. (Ibid., p. 3, v. 8-30.). Le roi de France, pour mettre fin à cette guerre, envoie à Beuves d’Aigremont un ambassadeur que le rebelle met à mort. (Ibid., pp. 3-8.) Un second messager, qui est le propre fils de Charles, Lohier lui-même, est envoyé au terrible Beuves. Son insolence le perd, et Lohier meurt dans une bataille qui a pour théâtre le château de Beuves. (Ibid., pp. 8-16.) Désormais la guerre est inévitable ; elle commence. (Ibid., pp. 19-27.) Le duc Beuves échoue devant Troyes, et une défaite de l’armée féodale suffit pour anéantir toutes les espérances des coalisés.’ (Ibid., pp. 30-37.) L’Empereur pardonne à ses ennemis, mais fait assassiner le duc Beuves, qui s’acheminait vers Paris. (Ibid., pp. 37-44.) Aymon, lui, fait la paix assez platement avec l’assassin de son frère. Doon de Nanteuil et Girard de Roussillon se soumettent pareillement. La guerre semble finie. (Ibid., pp. 44-45.) Là-dessus, les quatre fils Aymon viennent à la cour de Charles et y sont faits chevaliers. (Ibid., pp. 45-47.) Leur fortune semble assurée, quand certaine partie d’échecs vient tout changer. Le neveu de l’Empereur, Bertolais, joue avec Renaud : survient une dispute, et, d’un coup d’échiquier, Renaud tue son adversaire. (Ibid., pp. 51, .52.) Le meurtrier et ses trois frères s’enfuient au plus vite d’une cour où ils ne sont plus en sûreté. Leur père est le premier à les abandonner : leur mère, leur mère seule leur demeure fidèle. Ils se retirent dans la vieille forêt des Ardennes. (Ibid., pp. 52, 53.) C’est là qu’ils vont se cacher durant sept ans ; c’est là que va commencer leur « grande misère ». Ils sont poursuivis par Charlemagne, qui fait le siège de leur château de Montessor. Un traître est sur le point de le livrer à l’Empereur, et les fils du duc Aymon, affamés, sont forcés de s’éloigner de ces murs où, pendant cinq années, ils ont arrêté l’effort de tout l’Empire. (Ibid., pp. 53-74.) Ils errent dans la grande forêt, et le cheval de Renaud, Bayard, leur vient en aide par sa force et son agilité merveilleuses. (Ibid., pp. 74-83.) Cependant la faim les éprouve de plus en plus : tous leurs chevaliers meurent ; ils vont mourir aussi. (Ibid., pp. 85, 86.) Leur mère, qui a quelque peine à les reconnaître dans ce misérable état, leur offre en vain l’hospitalité. (Ibid., pp. 87-89.) Ils sont forcés de se remettre en route, chassés par leur père, et s’acheminent vers le Midi, où les mêmes aventures les attendent. (Ibid., pp. 89-96.) Le roi Yon, qui régnait à Bordeaux, les voit un jour arriver dans cette ville avec leur cousin, le fameux enchanteur Maugis. (Ibid., pp. 96, 97.) Les nouveaux venus aident le roi de Gascogne dans sa lutte contre les Sarrasins, et délivrent une fois de plus la chrétienté envahie. (Ibid., pp. 97-107.) Charlemagne les menaçant toujours, ils se construisent un château (Mont des Aubains ou Montauban), où ils espèrent pouvoir résister à l’Empereur. (Ibid., pp. 107-111.) Renaud, en attendant la guerre probable, épouse la sœur du roi Yon. (Ibid., pp. 411-114.) À peu de temps de là, Charles, revenant d’Espagne, aperçoit le château de Montauban. Fou de jalousie et de rage, il en prépare le siège. Roland y prend part et rivalise avec Renaud. La lutte éclate, elle se prolonge, elle est terrible. (Ibid., pp. 114-144.) Mais le roi Yon lui-même trahit les fils d’Aymon, et ils sont sur le point de tomber entre les mains des chevaliers de l’Empereur. Un combat se livre : Renaud y fait des prodiges. (Ibid., pp. 142-192.) Par bonheur, Ogier, chargé d’exécuter les ordres de Charles contre ses mortels ennemis, rougit de seconder une trahison, et Maugis délivre les quatre frères. (Ibid., pp. 192-219.) Renaud, en vassal fidèle, ne désire, d’ailleurs, rien tant que de se réconcilier avec Charlemagne (Ibid., pp.230-246.) ; mais, hélas ! les ruses et les enchantements de Maugis ont irrité l’Empereur, et il exige qu’on lui livre le magicien. (Ibid., pp. 249-254.) Sur ces entrefaites, Richard, frère de Renaud, tombe au pouvoir de Charles, qui le veut faire pendre ; mais les douze Pairs se refusent nettement à exécuter cette cruelle sentence (Ibid., pp. 254-267), et Renaud, averti par son bon cheval Bayard, délivre son frère. La lutte recommence avec une rage nouvelle. (Ibid., pp. 267-285.) Nouvelles ruses de Maugis, nouvelles batailles : Charlemagne devient le prisonnier de Renaud, qui se refuse à tuer son seigneur. (Ibid., pp. 283-537.) L’Empereur ne sait pas reconnaître une telle générosité et assiège de nouveau Montauban, où la famine devient insupportable. Par bonheur, un mystérieux souterrain sauve les quatre frères. (Ibid., pp. 337-362.) Et néanmoins, la guerre est loin d’être finie. Il faut que Richard de Normandie soit fait prisonnier par les rebelles ; il faut que les Pairs forcent l’Empereur à conclure la paix ; il faut qu’ils aillent jusqu’à abandonner Charles. (Ibid., pp. 362-398.) Enfin la paix est faite, et elle est définitive. Renaud s’engage à faire un pèlerinage à Jérusalem, et arrive dans la Ville sainte au moment même où elle est attaquée par les Sarrasins. Il la délivre (Ibid., pp. 403-417), et refuse d’en être le roi. (Ibid., pp. 407, 408.) Il revient en France. Sa femme est morte, et ses fils sont menacés par toute la famille de Ganelon et d’Hardré ; mais il a la joie d’assister à leur triomphe. (Ibid., pp : 418-442.) C’est alors que, dégoûté des grandeurs, il s’échappe un jour de son château et va, comme maçon, comme manœuvre, offrir humblement ses services à l’architecte de la cathédrale de Cologne.(Ibid., pp. 442-443.) Sa forceet son désintéressement excitent la jalousie des autres ouvriers ; qui le tuent (Ibid., pp. 443-450) ; mais Dieu fait ici un grand prodige : le corps de Renaud, jeté dans le Rhin, surnage miraculeusement au milieu de la lumière et des chants angéliques ; puis, comme un autre saint Denis, il guide lui-même jusqu’à Trémoigne les nombreux témoins de ce miracle. (Ibid., pp. 450-454.) C’est plus tard seulement qu’on reconnut le fils du duc Aymon, dont l’intercession faisait des miracles. Et saint Renaud, canonisé populairement ; reçut les honneurs dus aux serviteurs de Dieu. (Ibid., pp. 454-457.)

3o OGIER DE DANEMARK.

Ogier était le fils de ce roi de Danemark qui avait jadis outragé les messagers de Charles. Otage de son père, il avait été retenu prisonnier par l’Empereur ; qui même voulut un jour le faire mourir. Nous avons vu plus haut comment il mérita le pardon de Charlemagne en combattant contre les Sarrasins envahisseurs de Rome ; en luttant contre Caraheu et Danemont. (Chevalerie Ogier de Danemarche, poème attribué à Raimbert, XIIe siècle, 174-3102.) Le Danois, vainqueur, se reposait depuis longtemps à la cour de Charlermagne ; mais il en est de lui comme de Renaud de Montauban, et une partie d’échecs va changer sa fortune. Son fils ; Baudouinet, est tué par le fils de l’Empereur, Charlot, qu’il a fait échec et mat. (Ibid., vers3152 ; 3180.) Ogier l’apprend ; Ogier veut tuer le meurtrier ; mais, assailli par mille Français, il est forcé de s’enfuir et va jusqu’à Pavie demander asile au roi Didier, qui le fait soudain ganfalonier de son royaume. (Ibid., 3181-3541.) Charlemagne le poursuit jusque-là et réclame du roi lombard l’expulsion du Danois : Ogier jette un couteau à la tête de l’ambassadeur impérial. (Ibid., 1074-1288.) Charles veut se venger à tout prix. Les Lombards défendent Ogier : guerre aux Lombards. Une formidable bataille se livre entre les deux armées, entre les deux peuples. Didier s’enfuit ; Ogier resté, avec cinq cents hommes ; en présence de toute l’armée française. Sa résistance est héroïque ; mais inutile : Il est forcé de se retirer devant cent mille ennemis. (Ibid. ; 1534-5883.) C’est pendant celle fuite ; ou plutôt durant cette retraite ; que, devenu tout à fait fou de colère, Ogier égorge lâchement Amis et Amiles. (Ibid., 5884-5891.) Mais la poursuite continue, continue toujours. Par bonheur, Ogier a un admirable cheval, Broiefort ; qui prend enfin son galop à travers ces cent mille ennemis et sauve son maître déjà cerné. Le Danois parvient à s’enfermer dans Castelfort : le siège de Castelfort va commencer, (Ibid. ; 5892-6688.) Dans ce château Ogier est seul ; tout seul ; et il a devant lui l’armée de Charlemagne. Son ami Guielin a succombé ; tous ses chevaliers sont morts ; et c’est l’Occident tout entier qui semble conjuré contre le seul Danois. (Ibid., 6689-8374.) Ne pouvant rien par la force ; il essaye de la ruse ; et fabrique en bois de nombreux chevaliers qui étonnent l’ennemi et l’arrêtent. Malgré tout, il va mourir de faim, et sort de cet asile : Il en sort avec le dessein d’égorger l’Empereur, et essayé en réalité d’assassiner Charlot, qui cependant s’est montré pour lui plein de générosité et de douceur. Mais, de nouveau poursuivi, Ogier est enfin fait prisonnier, et le voilà captif à Reims. (Ibid., 8375-9424.) Charles veut l’y laisser mourir de faim ; mais Turpin sauve le Danois, dont la captivité ne dure pas moins de sept années. L’Empereur le croit mort. (Ibid., 9425-9793.) La France cependant est menacée d’un épouvantable danger : elle est envahie par le Sarrasin Brehus. Ogier seul serait en état de la sauver, et c’est alors que Charles apprend que le Danois vit encore : (Ibid., 9793-10082.) L’Empereur tombe aux genoux de son prisonnier, de son ennemi mortel, et le supplie de sauver la France. Mais Ogier est implacable, et n’y consent qu’à la condition de tuer de sa propre main Charlot, auteur de la mort de son fils. (Ibid., 10081-10776 ;) Et déjà, en effet, il lève son épée sur le malheureux fils de Charlemagne ; quand un ange descend du ciel pour empêcher ce meurtre. On s’embrasse, on s’élance au-devant de Brehus. (Ibid. ; 10870-11038.) Les Sarrasins sont battus, et Brehus est tué par Ogier, qui a vainement cherché à le convertir. (Ibid., 11039-12969.) Le Danois, décidément réconcilié avec Charlemagne, épouse la fille du roi d’Angleterre, qu’il a délivrée des infidèles. Il reçoit de l’Empereur le comte de Hainaut, et c’est là qu’il finit ses jours en odeur de sainteté. Son corps est à Meaux[5]. (Ibid., 12970-130421)

4o JEAN DE LANSON.

Jean de Lanson est un neveu de Ganelon ; un petit-fils de Grifon d’Autefeuille : il est de la race des traîtres. Il possède la Pouille, la Calabre, le Maroc, qu’il a reçus de Charlemagne. Tant de bonté n’a pas désarmé la haine qu’il porte à l’Empereur, et il ne cesse de conspirer contre lui. Il offre à sa cour un asile au traître Alori, qui a assassiné Humbaut de Liège. Cette dernière insulte met à bout la patience de Charles, et il envoie à Jean de Lanson les douze Pairs pour le défier. (Jehan de Lanson, poème du commencement du XIIIe siècle, Ms. de l’Arsenal ; 3145 ; anc. B. L. F.. 186, f° 108 et ss.) Les douze Pairs traversent toute l’Italie ; et se voient menacés par les traîtres à la tête desquels est Alori. Ibid., f° 121.) Par bonheur les messagers de Charles ont avec eux l’enchanteur Basin de Gênes, qui, autre Maugis, emploie mille ruses pour déjouer les projets d’Alori. (Ms. de la B. N. fr. 2495, f° 1-13, v° :) C’est en vain que Jean de Lanson oppose Malaquin à Basin, magicien à magicien : Basin parvient à restituer aux douze Pairs leurs épées qui leur avaient été habilement volées (Ibid., f° 14, v°), et trouve, à travers mille aventures, le secret de pénétrer en France, à Paris, où il avertit l’Empereur de la détresse de ses messagers. (Ibid., f° 15-29.) Charles réunit son armée : il marche sur la Calabre et, vainqueur dans une première bataille, met le siège devant Lanson. Ibid., f° 29-55.) Encore ici, Basin lui vient en aide. Il endort tous les habitants du palais de Lanson et le duc Jean lui-même. Charles pénètre dans ce château enchanté, et délivre les douze Pairs depuis trop longtemps prisonniers[6]. (Ibid., f° 55-64 v°.)


IV. AVANT LA GRANDE EXPÉDITION D'ESPAGNE :

CHARLEMAGNE EN ORIENT.

L’Empereur est à Saint-Denis. Il se met la couronne en tête et ceint son épée : « Connaissez-vous, » dit-il à l’Impératrice, « un chevalier, un roi auquel la couronne aille mieux ? — Oui, répond-elle imprudemment, j’en connais un : c’est l’empereur Hugon de Constantinople. » (Vers 1-66 du Voyage à Jérusalem et à Constantinople, premier tiers du XII° siècle.) Charles, brûlé de jalousie, veut aller voir ce roi si bien coiffé. Il part avec les douze Pairs, et va d’abord à Jérusalem pour adorer le saint Sépulcre. Suivi de quatre-vingt mille hommes, il arrive dans la Ville sainte. (Ibid., v.67-108.) Reconnu par le Patriarche, Charles reçoit de lui la sainte couronne, un des clous, le calice eucharistique et du lait de la Vierge. L’attouchement de ces reliques guérit un paralytique, et leur authenticité est par là mise en lumière. (Ibid., 113-198.) L’Empereur quitte enfin Jérusalem et se dirige vers Constantinople, après avoir fait vœu de chasser les païens de l’Espagne. (Ibid., 221-332.) Charles traverse toute l’Asie et arrive enfin à Constantinople, où il est gracieusement accueilli par l’empereur Hugon. (Ibid., 262-403.) Par malheur, les barons français ne se montrent pas assez reconnaissants de cette hospitalité, et se livrent, pendant toute une nuit, à des plaisanteries, à des gabs où l’empereur et l’empire d’Orient sont fort insolemment traités. Ces forfanteries sont rapportées à Hugon, qui s’irrite contre les Français et les met en demeure de réaliser leurs gabs. (Ibid., 446-685.) C’est alors que Dieu envoie un ange au secours de Charles, fort embarrassé ; c’est alors aussi que les plaisanteries des douze Pairs reçoivent, malgré leur immoralité, un commencement d’exécution. Hugon se déclare satisfait et tombe aux bras de Charles. (Ibid., 686-802.) Bref, la paix est faite, et Charles peut enfin partir en Occident. Il rapporte en France les reliques de la Passion[7]. (Ibid., 803-859.)

Cependant Olivier avait eu un fils de la fille de l’empereur Hugon. C’est ce fils, du nom de Galien, qui se met plus tard à la recherche de son père et le retrouve enfin sur le champ de bataille de Roncevaux, au moment où l’ami de Roland rend le dernier soupir[8].

CHARLEMAGNE EN BRETAGNE.

« Acquin, empereur des Sarrasins, » s’est rendu maître de la Petite-Bretagne. Il habite le palais de Guidalet ; mais Charlemagne, lassé de la paix, s’apprête à marcher contre les envahisseurs norois. (Acquin, poème de la fin du XIIe siècle, conservé dans un manuscrit détestable du xve, B. N. fr. 2233, f° 1, r°.) Charles arrive à Avranches et s’installe à Dol. « Commençons la guerre, » dit l’Archevêque. (Ibid., f° 1, v° — 3, r°.) La situation des chrétiens est difficile. Une ambassade est, sur le conseil de l’archevêque de Dol, envoyée à Acquin par Charlemagne. Les messagers de l’Empereur, insolents comme toujours, sont sur le point d’être tués par les Norois ; mais la femme du roi païen intercède en leur faveur. (Ibid., f° 37° — 7, v°.) Naimes est d’avis de commencer immédiatement la guerre et de mettre le siège devant Guidalet. Dans une première bataille, les chrétiens sont vainqueurs. (Ibid., f° 7, v° — 16, r°.) Leurs perles sont d’ailleurs considérables, et le père de Roland, Tiori, meurt sur le lieu du combat. Malgré tout, les Français s’emparent de Dinart et investissent Guidalet. Le siège est long et rude. Même un jour, l’armée de Charles est surprise et vaincue. (Ibid., r° 17, 7° — 30, r°.) Naimes n’échappe à la mort que grâce à un miracle. (Ibid., f° 31-33.) Mais Guidalet tombe enfin au pouvoir des Bretons et des Français, et Gardainne est miraculeusement anéantie par un orage envoyé de Dieu. (Ibid., f° 33-50, v°.) Un duel de Naimes et d’Acquin paraît terminer la Chanson[9]. Acquin meurt, et sa femme est baptisée. (Ibid., f° 50-55.)

FIERABRAS ET OTINEL.

Charles est, une fois de plus, en guerre avec les païens : même il vient de leur livrer une bataille longuement disputée. (Fierabras, poème du XIIIe siècle, éd. Groeber et Servois, v. 24-45. M. Groeber a publié dans la Romania une première branche du Fierabras qui a pour titre : La Destruction de Rome, et où est racontée en effet la prise de la ville des Papes par l’émir Balant et les Sarrasins ). Un géant sarrasin, haut de quinze pieds, défie un jour tous les chevaliers de Charlemagne. Or, c’est lui, c’est Fierabras qui a massacré les habitants de Rome et qui, maître du saint sépulcre et de Jérusalem, possède toutes les reliques de la Passion : le baume avec lequel Notre-Seigneur fut enseveli, l’enseigne de la croix, la couronne et les clous. (Ibid., v. 50-66.) Au défi du païen, c’est Olivier qui répond. Le duel terrible va commencer : il s’engage. (Ibid., 93-368.) Le géant a trois épées, et le baume divin, dont il emporte avec lui plusieurs barils, guérit en un instant toutes les blessures qu’il peut recevoir. Cependant Olivier ne recule point devant un tel adversaire, cherche à le convertir, s’empare des barils miraculeux qu’il jette dans la mer, et porte au Sarrasin un coup vainqueur. Fierabras s’avoue vaincu et demande à grands cris le baptême. (Ibid., 369-449 et ss.) Mais, pendant qu’Olivier emporte le géant blessé, il est cerné par les païens et tombe en leur pouvoir. (Ibid., 2631-1S62.) Fierabras, baptisé, devient soudain un tout autre homme : il se fait l’allié des Français et s’apprête à combattre son propre père, l’émir Balant. (Ibid., 1803-1994.) Quant à Floripas, sa soeur, elle ne rêve que de se marier avec Gui de Bourgogne. (Ibid., 2255.) Mais les événements ne tournent pas à l’avantage des chrétiens, et Balant se rend maître de Gui, de Roland, de Naimes et des premiers barons français. (Ibid., 2256-2712.) Floripas entreprend de les délivrer, et y réussit. (Ibid., 2713-5861.) Balant lui-même est fait prisonnier, et, plutôt que de recevoir le baptême, va au-devant de la mort. C’est Floripas elle-même qui. fille dénaturée, se montre la plus impitoyable pour son père : Balant meurt. (Ibid., 5862-5991.) Floripas épouse enfin Gui de Bourgogne et apporte à Charlemagne les reliques de la Passion, qui sont l’objet, le véritable objet de toute cette lutte. Dieu atteste leur authenticité par de beaux miracles. C’est trois ans après que Ganelon trahit la France et vend Roland[10]. (Ibid., 5992-6219.)

Au commencement d’Otinel (XIIIe siècle), l’Empereur tient cour plénière à Paris. (Edition Guessard et Michelant, vers 23 et ss.) Survient un messager païen du roi Garsile : « Abandonne ta foi, » dit-il à Charles, « et mon maître daignera te laisser l'Angleterre et la Normandie. » (Ibid.., 137 et ss.) C’était ce Garsile qui avait pris Rome, et son messager lui-même, Otinel, l’y avait singulièrement aidé. (Ibid., 91 et ss.) Roland s’irrite d’un message aussi insolent, et défie Otinel. (Ibid., 211-216.) Entre de tels champions, c’est un duel terrible. Le Ciel y intervient, et, au milieu du combat, Otinel s’écrie : « Je crois en Dieu. » On le baptise, et Charles va jusqu’à lui donner sa fille Bélissent en mariage (Ibid., 262-659) ; Otinel devient alors l’appui de la chrétienté et l’ennemi de Garsile. (Ibid., 660-1915.) Au milieu de cette guerre, Ogier est fait prisonnier, mais parvient à s’échapper. (Ibid., 1916-1945.) La grande et décisive bataille est à la fin livrée : Otinel tue Garsile, et l’on célèbre joyeusement ses noces avec Bélissent[11]. (Ibid., 1948-2132.)


V. L’ESPAGNE.

Charles se repose de tant de guerres, et, au milieu de sa gloire, oublie le vœu qu’il a fait jadis d’aller délivrer l’Espagne et le « chemin des Pèlerins ». Saint Jacques lui apparaît et lui annonce que le temps est venu d’accomplir son voeu. (L’Entrée en Espagne, poème du commt du XIVe siècle renfermant des morceaux du XIIIe. Mss. fr. de Venise, XXI, f° 1, 2.) L’Empereur n’hésite pas à obéir à cette voix du ciel ; mais il n’en est pas de même de ses barons, qui prennent, trop de plaisir à la paix et s’y endorment : Roland les réveille. (Ibid., f° 2-7.) Marsile est saisi d’épouvante en apprenant l’arrivée des Français. Par bonheur, il a pour neveu le géant Ferragus, qui va défier les douze Pairs, lutte avec onze d’entre eux et, onze fois vainqueur, les fait tous prisonniers. (Ibid., 7-31.) Mais il reste Roland, et celui-ci, après un combat de plusieurs jours, finit par trancher la tête du géant, qu’il eût voulu épargner et convertir. (Ibid., 31-79.) L’action se transporte alors sous les murs de Pampelune, et elle y demeurera longtemps. Une première bataille se livre sur ce théâtre de tant de combats : Isoré, fils de Malceris, roi de Pampelune, s’illustre par d’admirables mais inutiles exploits. Il est fait prisonnier, et, sans l’intervention de Roland, Charles eût ordonné sa mort. (Ibid., 79-121.) La guerre continue, terrible. Une des plus grandes batailles d’Espagne va commencer : Roland est relégué à l’arrière-garde, et s’en indigne. (Ibid., 122-162.) Voici la mêlée ; on y admire à la fois le courage de l’Empereur et celui de Ganelon. (Ibid., 162.) Quant à Roland, il commet la faute très grave de déserter le champ de bataille avec tout son corps d’armée. Il est vrai qu’il s’empare de la ville de Nobles ; mais il n’en a pas moins compromis la victoire des Français. L’Empereur le lui reproche cruellement, et va jusqu’à le frapper. Roland s’éloigne, et quand Charlemagne, apaisé, envoie à sa poursuite, il n’est plus possible de le trouver. (Ibid., 162-220.) Roland s’embarque, et arrive en Orient ; il se met au service du « roi de Persie », délivre la belle Diones, organise l’Orient à la française et fait le pèlerinage des saints lieux. (Ibid., 220-275.) Mais il se hâte de revenir en Espagne, et tombe, tout en larmes, aux pieds de l’Empereur. (Ibid., 275-303.) La réconciliation est faite, mais la grande guerre est loin d’être finie : Pampelune, en effet, est toujours défendue par Malceris et Isoré, son fils. Leur courage ne parvient pas à sauver la ville, et Charlemagne y entre. (Prise de Pampelune, premier quart du XIVe siècle, éd. Mussafia, vers 1-170.) Par malheur, les chrétiens ne restent pas unis dans leur victoire, et une épouvantable lutte éclate entre les Allemands et les Lombards. C’est Roland qui a la gloire de les séparer, et de faire la paix. (Ibid., 170 ; 425.) Il reste à régler le sort du roi Malceris, et Charles, si cruel tout à l’heure contre les Sarrasins, devient tout à coup d’une générosité ridicule. Il veut faire de Malceris un des douze Pairs ; mais aucun d’entre eux ne veut céder sa place au nouveau venu : tous préfèrent la mort. (Ibid., 465-561.) Malceris, furieux de ce refus, parvient à s’échapper de Pampelune. (Ibid., 561-759.) Mais le fils du fugitif, Isoré, est demeuré fidèle à Charles et aux chrétiens. Il en vient, pour ses, nouveaux amis, à méconnaître jusqu’à la voix du sang et à lutter contre son père, qui, par aventure, échappe une seconde fois aux mains des Français. (Ibid., 760-1199.) Charles cependant ne perd pas l’espoir de conquérir l’Espagne, et c’est ici que commence une nouvelle série de batailles sanglantes, où il joue véritablement le premier rôle. À la tête de ses ennemis est encore Malceris, type du païen farouche et intraitable ; près de Malceris est Altumajor. Ce ne sont pas de petits adversaires. ’Dans la mêlée, le roi de France se voit tout à coup cerné par les troupes païennes, et serait mort sans l’aide providentielle de Didier et de ses Lombards, (Ibid., 1199-1953.) Enfin, les païens sont vaincus. Altumajor, forcé de devenir chrétien, remet à l’Empereur Logrono et Estella. (Ibid., 1830-2474.) Devant les Français victorieux, il ne reste plus guère que Marsile, et ce sera désormais le grand adversaire de Charles et de Roland. On agit d’abord avec lui par la diplomatie, et, sur la proposition de Ganelon, on lui envoie deux ambassadeurs, Basin de Langres et son compagnon Basile. Ils sont pendus sur l’ordre de Marsile, et cette violation du droit des gens sera plus tard rappelée avec horreur dans la Chanson de Roland. (Ibid., 2597-2704.) Un tel crime ne déconcerte d’ailleurs ni Ganelon ni Charlemagne, et l’on décide d’envoyer une seconde ambassade à Marsile. Guron est choisi : il est surpris par les païens, et n’a que le temps, après une résistance sublime, de venir expirer aux pieds de Charles, qui le vengera. (Ibid., 3140-5850.) La rage s’allume au cœur de l’Empereur, et la guerre recommence. Les Français après une éclatante victoire sur Malceris, entrent tour à tour dans Tudela, Cordres, Charion, Saint-Fagon, Masele et Lion. (Ibid., 3831-5773.) Le poème se termine en nous montrant l’armée chrétienne maîtresse d’Astorga. Charles possède l’Espagne, toute l’Espagne…, à l’exception de Saragosse.

Suivant une légende, ou plutôt suivant une imagination différente de tous nos autres récits, Charles ne serait pas resté sept années, mais vingt-sept ans en Espagne. Cette version n’est consacrée que par le poème de Gui de Bourgogne (seconde moitié du XIIe siècle). L’auteur suppose que l’Empereur et ses barons ont vieilli de l’autre côté des Pyrénées, et tellement vieilli, que leurs fils, laissés par eux au berceau, sont devenus, en France, de beaux jeunes hommes pleins d’ardeur. Or ce sont ces jeunes gens qui s’avisent un jour d’aller rejoindre leurs pères en Espagne, comme la jeune garde venant à l’aide de la vieille. Ils avaient voulu tout d’abord se donner un roi, et Gui, fils de Samson de Bourgogne, avait été élu d’une voix unanime. C’est Gui qui a eu l’idée de l’expédition d’Espagne, et qui exécute de main de maître un projet si hardi. (Gui de Bourgogne, vers 1-391.) Gui s’empare successivement de Carsaude (Ibid., 392-709), de Montorgueil et de Montesclair (Ibid., 1621-3091), de la Tour d’Augorie (Ibid., 3184-3413) et de Maudrane. (Ibid., 3414-3717.) Le seul adversaire redoutable que rencontre le vainqueur, c’est Huidelon ; mais il se convertit fort rapidement et devient le meilleur allié des Français. Il ne reste plus maintenant à la jeune armée qu’à rejoindre celle des vieillards, celle de Charles. C’est ce que Gui parvient à faire, après avoir donné les preuves d’une sagesse au-dessus de son âge. Un jour enfin, les jeunes chevaliers peuvent tomber aux bras de leurs pères (Ibid., 3925-1024), et c’est une joie inexprimable. Puis, les deux armées combinées s’emparent de Luiserne, que Dieu engloutit miraculeusement. (Ibid., 1137-1299.) Le signal du départ est alors donné à tous les Français. Et où vont-ils ainsi ? À Roncevaux. (Ibid., 1300-1301.)

Ici commence la Chanson de Roland, dont la scène, à vrai dire, devrait se placer immédiatement après la Prise de Pampelune. Mais nous n’avons pas besoin de résumer ici le poème dont nous venons de publier le texte et la traduction. Le rôle de Charlemagne n’y est pas, comme on le sait, effacé par celui de Roland, et l’Empereur garde réellement le premier rang. C’est lui qui, dans la première partie de la Chanson, réunit son conseil pour délibérer avec lui de la paix proposée par Marsile ; c’est lui qui fait choix de Ganelon comme ambassadeur ; c’est lui qui, sur l’avis de ce traître, confie l’arrière-garde à Roland. Puis, dans la seconde, partie de la Chanson, il cède ou paraît céder toute la place à son neveu, afin de nous faire assister uniquement aux derniers exploits, à l’agonie et à la mort de Roland. Mais encore voyons-nous Charles prendre de loin sa part à ce martyre et accourir, terrible, pour le venger. Il est d’ailleurs, et il est tout seul le héros de la troisième partie. Il s’y fait le vengeur de Roland sur les Sarrasins d’abord, et ensuite sur’ Ganelon. À la défaite de Marsile et de Baligant succède le châtiment du traître, et le grand empereur, promenant autour de lui ses regards apaisés par tant de représailles, s’apprête enfin à se reposer, quand tout à coup la voix d’un ange se fait entendre et lui ordonne de recommencer une nouvelle guerre contre les païens[12]


VI. APRÈS L’ESPAGNE. DERNIÈRES ANNÉES ET MORT DE CHARLEMAGNE.

Deux poèmes, qui sont œuvre purement littéraire et personnelle, Gaydon et Anseïs de Carthage, achèvent de nous retracer l’histoire de la grande expédition d’Espagne. Dans la première de ces deux chansons, Gaydon, qui n’est autre que le Thierry de la plus ancienne de nos épopées, se fait en France le continuateur de Roland, et lutte contre la famille de Ganelon. C’est en vain que Charles se laisse entraîner dans un complot contre lui : il triomphe de l’Empereur lui-même, et se fait nommer grand sénéchal de France. (Gaydon, poème du commencement du XIIIe siècle, éd. S. Luce.)

Quant à Anseis, c’est un poème encore plus moderne : on y crée un autre continuateur de Roland, mais en Espagne. On lui fait même décerner par Charles le titre de roi d’Espagne, et il passe sa vie à lutter contre les païens, dont il ne peut être décidément vainqueur sans le secours du grand empereur. (Anseïs de Carthage, XIIIe siècle, B. N., fr. 793.)

Mais désormais l’Espagne n’occupera plus Charlemagne, et c’est vers, un autre côté de son empire qu’il jette ses regards. Guiteclin (Witikind) vient d’entrer vainqueur dans Cologne ; les Saisnes menacent l’em pire chrétien. L’Empereur apprend ces tristes nouvelles, et en pleure. (Chanson des Saisnes, de Jean Bodel, dernières années du XIIe siècle, couplets v-xii.) Donc, la guerre commence ; mais tout semble conspirer contre Charles : la discorde éclate parmi ses peuples. Les Hérupois, c’est-à-dire les Normands, les Angevins, les Manceaux, les Bretons et les Tourangeaux, jouissent de certains privilèges que les autres sujets de l’Empereur leur envient. De là une sorte de révolte qu’il ne sera pas facile d’apaiser. Charles voudrait contenter tout le monde, et enlever néanmoins leurs privilèges aux Hérupois ; mais ceux-ci montrent les dents, et arrivent menaçants jusque dans Aix. Ils parlent haut, et l’Empereur pousse la bassesse jusqu’à marcher pieds nus à leur rencontre. Tout s’arrange. (Couplets XIII-XLVII.) C’est en ce moment seulement que Charles peut entrer en campagne contre les Saisnes. Et c’est ici qu’apparaît un frère de Roland, Baudouin, qui se prend soudain d’un amour ardent pour la femme de Guiteclin, Sibille, et qui pour elle s’expose mille fois à la mort. La guerre se prolonge pendant plus de deux ans. Les Hérupois daignent enfin consentir à venir au secours de Charlemagne, et remportent tout d’abord une éclatante victoire sur les Saisnes. (Couplets xc-cxix.) Cependant l’amour adultère de Baudouin pour Sibille ne fait que s’enflammer au milieu de tant de batailles sanglantes. C’est pour Sibille qu’il livre un combat terrible au païen justamont. Charles, lui, ne se préoccupe que de la grande guerre contre ses ennemis mortels. Un cerf lui indique miraculeusement un gué sur le Rhin, et l’Empereur fait construire un pont par les Thiois. Derrière ce pont sont deux cent mille Saxons, avec le roi Guiteclin. (Couplets CXX-CLVII.) Une nouvelle bataille éclate, et jamais il n’y en eut d’aussi terrible. Mais enfin les Français sont vainqueurs, et Guiteclin meurt. (Couplets CLVIII-CLXVII.) Sibille se console trop aisément de cette mort, et s’empresse trop rapidement d’épouser son ami Baudouin, dont Charlemagne fait un roi des Saxons, et qui s’installe à Trémoigne. (Couplets CXCVIII-CCX.) Ce règne ne doit pas être de longue durée : toujours les Saisnes se révoltent, toujours ils menacent Baudouin. C’est en vain que Charles arrive au secours du jeune roi : Baudouin, après des prodiges de bravoure, se trouve seul au milieu de l’armée païenne, et meurt. Charles le pleure, Charles le venge : les Saxons sont une dernière fois vaincus et soumis. Ils ne se révolteront plus, (CCXI-CCXCVII[13].) = Dans Macaire, Charlemagne n’a qu’un rôle fort effacé. Il s’agit cependant de sa femme, de celle Blanchefleur qui est la fille de l’empereur de Constantinople. Un traître, Macaire, accuse la reine d’adultère, et elle va mourir, quand, à la prière de l’abbé de Saint-Denis, on se contente de l’exiler. Un bon chevalier, Aubri, est chargé de l’accompagner, mais il est tué par le traître Macaire, qui du moins ne peut tuer Blanchefleur. Le chien d’Aubri venge son maître. Cependant un pauvre bùcheron, Varocher, recueille la pauvre reine, qui s’est enfuie jusqu’en Hongrie. L’empereur de Constantinople réunit une grande armée, et envahit la France pour venger sa fille dont, après cent combats, l’innocence est enfin reconnue. Le fils de Charles, Louis, était né durant cet exil : il deviendra le successeur du grand empereur. (Macaire, poème de la fin du XIIe siècle. V. l’éd. Guessard, dans le Recueil des Anciens poètes de la France[14].)

Dans Huon de Bordeaux, Charlemagne ne paraît guère que comme un accessoire, et, à coup sûr, comme un personnage secondaire. Au début de son œuvre, l’auteur nous représente l’Empereur sous les traits d’un vieillard tout près de la mort. Même il est tellement épuisé par l’âge, qu’il veut se faire élire un successeur. Par malheur, il n’a qu’un fils qu’il engendra à cent ans. C’est Charlot, c’est un étourdi de vingt-cinq ans. Le vieux roi veut du moins lui donner ses derniers conseils, et il les lui donne très religieux, très beaux. (Huon de Bordeaux, poème composé entre les années 1180 et 1200, éd. du Recueil des Anciens poètes de la France, vers 29-199.) Là-dessus arrive un traître, Amauri, qui soulève la colère du vieil empereur contre Huon et Gérard, fils du duc Seguin de Bordeaux. Dans ce conseil perce la haine personnelle d’Amauri, que Seguin a jadis plus ou moins justement appauvri et dépouillé. Mais Naimes est là, et il défend les Bordelais. On envoie un message à Huon et à Gérard ; on leur mande de venir à la cour de Charlemagne. (Ibid., 200-392.) Ils se mettent en route, mais sont forcés de franchir mille obstacles accumulés par les traîtres ; Huon doit en venir aux mains avec le propre fils du roi, avec Charlot, et il le tue. (Ibid., 393-890.) Grande colère de Charles contre le meurtrier de son fils : Huon est condamné à un combat singulier avec le traître Amauri. Il tranche la tête du misérable, et le jugement de Dieu se prononce en sa faveur. (Ibid., 891, -2129.) Malgré cette intervention céleste, Charles ne veut point pardonner au vainqueur, et il faut que les Pairs menacent de le quitter, pour qu’il se décide enfin à accorder à Huon une paix dont il se réserve de dicter les conditions. Il est ordonné au jeune Bordelais d’aller à Babylone porter un message à l’amiral Gaudisse. Huon part sur-le-champ, et court à ses aventures. (Ibid., 2130-2386.) Nous n’avons pas à les raconter ici, ni à faire suivre à notre lecteur les péripéties de l’amitié d’Huon avec le nain Oberon. (Ibid., 2387-8647.) Il lui suffit de savoir qu’un jour Huon revient en France, et qu’il y trouve son propre héritage occupé par son frère Gérard. (Ibid., 8648-9110.) Charlemagne est encore vivant, et la cause des deux frères ennemis est portée devant sa cour. Huon est très injustement condamné à mort, et va périr, lorsque Oberon arrive à.son secours et le sauve. (Ibid., 9111-10369.)

Le début du Couronnement Looys est véritablement épique… Charles sent qu’il va mourir, et veut mourir en assurant la vie de son empire. Dans sa chapelle d’Aix, il réunit un jour ses évêques et ses comtes. Sur l’autel il dépose sa couronne d’or, et annonce à ses peuples qu’il va laisser la royauté à son fils. (Couronnement Looys, poème de la seconde moitié du XIIe siècle, éd. Jonckbloet, vers 1-61.) Alors le grand empereur élève la voix et donne, pour la dernière fois, ses suprêmes conseils au jeune Louis, qui, faible et timide, tremble devant la majesté terrible de son père. (Ibid., 62-77.) Même il n’ose prendre la couronne, et Charles alors le couvre d’injures, le déshérite, et parle d’en faire « un marguillier ou un moine ». (Ibid., 78-96.) L’inévitable traître est là : c’est Hernaut d’Orléans, qui veut enlever le trône à Louis ; mais, par bonheur, il y a là aussi un héros qui met un courage et une force héroïques au service de sa fidélité et de son honneur. Guillaume, prend la défense du pauvre jeune roi ; il lui met la couronne en tête (Ibid., 97-112), et se constitue son tuteur tout-puissant, son défenseur infatigable. Charles peut désormais mourir tranquille. Et, en effet, il meurt quelque temps après, sachant que Louis pourra régner, parce qu’il y a Guillaume auprès de lui. (Ibid., 113-236[15].) = Et telle est toute l’Histoire poétique de Charlemagne, d’après les seules Chansons de geste du cycle carlovingien[16].

________


D’après les textes qui précèdent et ceux que nous énumérons dans nos Notes, on peut dresser le TABLEAU PAR ANCIENNETÉ DES SOURCES DE L’HISTOIRE POÉTIQUE DE CHARLEMAGNE.

I. Le plus ancien groupe est représenté par la Chanson de Roland, qui repose non seulement sur des légendes remontant au IXe et même au VIIIe siècle, mais encore sur des textes historiques d’une importance considérable. (Éginhard, Vita Karoli, IX. — Annales d’Angilbert, faussement aitribuées à Éginhard (ann, .778), et reproduites, par le Poète saxon. — L’Astronome, Vita Hludovici, dans Pertz, Monumenta Germaniae historica. Scriptores, II, 608.)

II. En même temps que la légende de Roncevaux mais d’une façon tout à fait indépendante et dans un autre cycle, se formait la légende d’Ogier, qui est également appuyée sur des textes historiques. (Lettre du pape saint Paul à Pepin en 760, Historiens de France, V, 122 ; Chronique de Moissac, de 752 à 814, Historiens de France, V, 69, 70 ; un Extrait du Moine de Saint-Gall, II, 26 ; plusieurs passages d’Anastase le Bibliothécaire, ann. 753, 772,774 ; Annales Lobienses, Pertz, II, 195 ; Chronicon Sancti Martini Coloniensis, ann. 778, Pertz, II, 214 : Chronique de Sigebert de Gembloux au XIe siècle, Hist. de France, V, 376 ; la Conversio Othgerii militis, œuvre du xe ou du xie siècle ; le tombeau d’Ogier à Saint-Faron, Acta SS. Ord. S. Benedicti, saec. iv, pars I, pp. 664, 665.) À ce groupe se rapportent la Chevalerie Ogier de Danemarche, de Raimbert ; les Enfances Ogier, d’Adenet ; la troisième branche de la Karlamagnus Saga et la quatrième du Charlemagne de Venise.

III. Vers la fin du xe siècle, une falsification du texte d’Eginhard donne lieu à la Légende du Voyage à Jérusalem. (Benedicti Chronicon, Pertz, III, 710, 711.) De là la première partie de notre Voyage à Jérusalem et à Constantinople ; de là deux récits de la Karlamagnus Saga.

IV. Au milieu du xie siècle, un moine de Compostelle écrit les cinq premiers chapitres de la prétendue « Chronique de Turpin », renfermant l’histoire de toute une croisade de Charles en Espagne. Ce récit n’a aucune influence sur le développement de notre poésie romane.

V. Antérieurement à la rédaction de la Chanson de Roland que nous venons de publier et de traduire, circulaient déjà des légendes nombreuses, et très probablement certains poèmes qui avaient pour objet plusieurs autres épisodes de la vie de Charles ou de Roland. Le texte d’Oxford fait des allusions très claires à la prise de Nobles, telle qu’elle nous est racontée dans la première branche de la Karlamagnus Saga ; à l’ambassade de Basin et de Basile, qui, bien plus tard, sera racontée à nouveau par l’auteur de la Prise de Pampelune ; à la famille d’Olivier telle qu’elle nous est présentée dans Girars de Viane. Ce n’étaient certes pas ces poèmes eux-mêmes, tels que nous les possédons, qui existaient avant notre Chanson de Roland ; mais c’étaient des Chansons analogues, assonancées et en décasyllabes, etc.

VI. Pour les traditions et légendes qui précèdent, nous avons une certitude. Nous n’ayons qu’une probabilité pour les suivantes, auxquelles il n’est fait aucune allusion dans la Chanson de Roland. Les faits qui sont délayés dans les versions du Renaus de Montauban parvenues jusqu’à nous ; ceux qui nous sont offerts, relativement à la guerre d’Espagne, dans la Kaiserscronik du XIIe siècle, dans les branches I et V de la Karlamagnus Saga, dans le second tiers de l’Entrée en Espagne, dans la Prise de Pampelune et dans la dernière partie de notre Girars de Viane, devaient circuler parmi nous, depuis un temps plus ou moins long, avant le commencement du XIIe siècle.

VII. Notre Chanson de Roland a été remaniée, rajeunie plusieurs fois. On y ajouta certains épisodes. Les uns (comme la prise de Narbonne) ont un fondement dans la tradition ; les autres (comme les deux fuites de Ganelon, son combat avec Othe, l’entrevue d’Aude et de Gilain, etc.) semblent une œuvre de pure imagination.

VIII. Entre les aimées 1109 et 1119 sont rédigés les chapitres VI et suiv. de la Chronique de Turpin, d’après des sources romanes que l’on corrompt, que l’on dénature, que l’on cléricalise. Cette œuvre apocryphe a exercé une influence considérable. Nous pensons qu’en prenant soin d’en défalquer tous les éléments cléricaux, on y trouverait la copie altérée d’un Roland antérieur au nôtre, ou, pour mieux parler, la constatation d’un état plus ancien de la légende rolandienne. Cf. Guido Laurentius (Zur kritik der Chanson de Roland).

IX. Sur des traditions vagues ont été écrits, au XIIe siècle et postérieurement, toute une série de poèmes qui sont moitié légendaires, moitié fictifs. Sur la donnée de la prise de Rome par les Sarrasins reposent : l’ancien poème de Balant que M. G. Paris a reconstitué, notre Fierabras et même notre Aspremont, auquel se mêlent quelques autres traditions.

X. Avec quelques Contes universels, et qui se retrouvent en effet dans tous les pays (le Traître, l’Epouse innocente et réhabilitée, etc.), on a composé la légende de l’Enfance de Charles, et cela depuis la fin du XIIe siècle ou le commencement du XIIIe. Cette légende se retrouve dans les Enfances Charlemagne de Venise (fin du XIIe siècle) ; dans le Mainet en vers français, dont on a tout récemment découvert quelques fragments (XIIe siècle) ; dans la Chronique saintongeaise (commencement du XIIIe siècle) ; dans Berte aux grans piés (vers 1275) ; dans le Stricker de 1230 ; dans la Chronique de Weihenstephan (original du XIVe siècle, ms. du XVe ; dans la Chronica Bremensis de Wolter (XVe siècle) ; dans le Charlemagne de Girard d’Amiens (commencement du XIVe siècle) ; dans la Karlamagnus Saga (second tiers du XIIIe siècle) ; dans le Karl Meinet (commencement du XIVe siècle) ; dans les Reali (vers 1350), etc.

XI. Cependant, pour combattre les prétentions des légendaires français, on inventait en Espagne certaines légendes destinées à ruiner la gloire de Roland. Telle est la signification de la Chronica Hispaniæ, de Rodrigue de Tolède' (1247), de la Cronica general d’Alphonse X (seconde moitié du XIIIe siècle) et de quelques Romances que nous avons citées plus haut.

XII. Enfin, il faut considérer les poèmes suivants comme des œuvres uniquement littéraires et de pure imagination : Jehan de Lanson, — Simon de Pouille, — Otinel, — la dernière partie de l’Entrée en Espagne (Roland en Orient), — Gui de Bourgogne, — Gaydon, — Anseïs de Carthage, — Galien, — la fin du Voyage à Jérusalem et quelques parties de Girars de Viane.

C’est ainsi que s’étagent toutes nos chansons de geste, depuis celles qui sont le plus historiques jusqu’à celles qui ne sont même plus légendaires et qui sont des « romans » dans l’acception la plus moderne de ce mot.



    honteuses débauches. Ganelon les trompe, les endort, et voici que l’arrière-garde de Charles est soudain attaquée par les Sarrasins que Marsile et Baligant conduisent à ce carnage. Sauf Roland, Turpin, Baudouin et Thierry, tous les Français meurent. (Cap. xxi.) Avant de mourir, Roland a la joie de tuer le roi Marsile ; mais il expire lui-même, après avoir en vain essayé de briser sa Durendal (cap-XXII) et s’être rompu les veines du cou en sonnant de son cor d’ivoire. Charles l’entend du Val-Charlon, pendant que Thierry assiste à l’agonie et à la mort de Roland. (Cap. XXIII et XXIV.), Or, c’était le 17 mai, et Turpin chantait la messe, lorsqu’il vit soudain passer dans les airs les démons qui menaient en enfer l’âme de Marsile, et les anges qui conduisaient au paradis l’âme de Roland. Presque en même temps, Baudoum apporte à l’Empereur la nouvelle de la mort de son neveu. Désespoir de Charles, pleurs de tous les Français. (Cap. xxv.) Les chrétiens vont, sans plus de retard, relever leurs morts sur le champ de bataille de Roncevaux, dans le Val-Sizer. Comme en notre Chanson, Dieu arrêté le soleil pour permettre à Charles de se venger des Sarrasins, et le traître Ganelon, après un combat entre Pinabel et Thierry, est jugé, condamné, exécuté. (Cap. xxvi.) = Tous les documents littéraires du moyen âge où est racontée la mort de Roland, se divisent ici en deux grands groupes, selon qu’ils suivent notre Chanson ou le Faux Turpin. La Chronique latine se retrouve, plus ou moins arrangée, dans la Chronique du manuscrit de Tournay (commencement du XIIIe siècle) ; dans la Chronique saintongeaise (commencement du XIIIe siècle) ; dans Philippe Mousket (XIIIe siècle ; mais avec certains autres éléments empruntés à notre vieux poème et à ses Remaniements) ; dans les Chroniques de Saint-Denis ; dans le Roland anglais du XIIIe siècle ; dans le Charlemagne de Girard d’Amiens (XIVe siècle) ; dans la compilation allemande qui est connue sous le nom de Karl Meinet (xive siècle ; mais seulement en ce qui concerne les commencements de l’expédition d’Espagne) ; dans le Charlemagne et Anseïs, en prose (Bibl. de l’Arsenal, B. L. F. 214, xve siècle) ; dans la Conqueste du grant Charlemagne des Espagnes, qui est un remaniement du Fierabras (xve siècle) ; dans les Guerin de Montglave incunables, ; dans la Chronique du ms. 5003 (l’original est peut-être du XIVe siècle, et le ms, est du XVIe) ; dans la première partie des Conquestes de Charlemagne, de David Auhert (1458), etc. = Tout au contraire, notre vieux poème est la base du Ruolandes Liet, œuvre allemande du curé Conrad (vers 1150] ; (lu Stricker, qui, dans’ son Karl (1230), n’a guère fait que remanier le Ruolandes Liet, du plus ancien texte de Venise et des Remaniements français du XIIIe siècle, qui, sauf leur dénouement (où il faut voir une œuvre d’imagination), "ont calque le texte d’Oxford ; de la karlamagnus Saga (XIIIe siècle et de la Keiser Karl Magnus’s kronike (XVe siècle) ; de quatre fragments néerlandais publiés par M. Bormans (XIIIe-XIVe siècles) ; du Karl Meinet (XIVe siècle, en ce qui concerne la bataille de Roncevaux), et, un peu’ aussi, de la Chronique de Weihenstephan (XIVe-XVe siècles). = En dehors de ces deux grands groupes, nous ne trouvons, çà et là, que quelques traits originaux. La Kaiserscronik (XIIe siècle) nous fournit un récit de la guerre d’Espagne qui ne ressemble en rien à tous les autres : « Tous les chrétiens ayant été massacrés par les Sarrasins, Charles rassemble 53,066 jeunes filles dans le Val-Charlon, près des défilés de Sizer. Les païens tremblent et se soumettent. » (G. Paris, : Histoire poétique de Charlemagne, 271.) = En Italie, toute, la légende de la spagna a pour caractère d’être empruntée a ces trois sources : l’Entrée en

  1. La fable de Berte n’a rien de traditionnel. = On en trouve un résumé très rapide dans la Chronique Saintongeaise (commencement du XIIIe siècle). = Le Charlemagne de Venise lui donne un certain développement, et nous avons là, sous le titre de Berta de li gran pié, un premier poème qui est antérieur de soixante ou quatre-vingts ans à l’œuvre d’Adenès, et en diffère quelque peu. M. Mussafia l’a publié dans la Romania (III, p. 339 et ss. et IV, p. 91 et ss.). Cf. Philippe Mousket (vers 1240), la Gran Conguista de Ultramar (fin du XIIIe siècle), les Reali (vers 1350), et le Roman de Berte en prose (Berlin, mss. fr. 130, première moitié du xve siècle), etc. Somme toute, on n’a pensé qu’assez tard à la mère de Charles, et la légende de son fils était presque achevée, quand on songea à composer la sienne avec de vieilles histoires, celles-là mêmes qu’on mit plus tard sur le compte de Geneviève de Brabant. Il semble que ce travail n’était pas encore commencé, quand fut écrite la Chanson de Roland.
  2. La légende des Enfances de Charles ne paraît pas antérieure au XIIe siècle, et il n’y est fait aucune allusion dans le Roland. Cf. le Mainet, chanson de geste du XIIe siècle, dont on a eu l’heureuse fortune de retrouver, en avril 1874, plusieurs fragments importants (ils renferment environ 700 vers et ont été publiés dans la Romania ; juillet-octobre 1875, IV, 305 et ss.). Cf. aussi le Karleto de Venise (fin du XIIe ou commencement du XIIIe siècle ;, le Renaus de Montauban (XIIIe siècle), la Karlamagnus Saga, histoire islandaise de Charlemagne (XIIIe siècle) ; le Karl Meinet (compilation allemande du XIVe siècle), le Cronica general de Espana (XIIIe siècle), les Reali (XIV siècle), etc. etc. C’est presque partout le même récit que dans le poème de Girard d’Amiens. Peu de variantes, et elles n’ont rien d’important.
  3. La Chevalerie Ogier repose sur des traditions de la fin du VIIIe siècle. Cf. les Enfances Ogier, qui sont un médiocre remaniement d’Adenet (deuxième moitié du XIIIe siècle) ; le Charlemagne de Venise (fin du XIIe, commencement du XIIIe siècle), où Ogier nous est représenté tout d’abord comme un écuyer inconnu ; la troisième branche de la Karlamagnus Saga (XIIIe siècle), etc.
  4. Aspremont est une œuvre de la décadence et où il n’y a d’autre élément traditionnel que cette donnée générale, ce lieu commun si cher à nos trouvères, d’une expédition française en Italie pour la délivrance de la Papauté menacée. = Cf. les Reali, dont l’affabulation est conforme à celle d’Aspremont, et qui contiennent une suite où l’on assiste aux fureurs et au châtiment de Girard de Fraite. C’est tout ce qui nous reste aujourd’hui d’une vieille Chanson qui devait avoir pour titre : Girars de Fraite.
  5. Toute cette légende d’Ogier s’est formée EN MEME TEMPS que celle de Roland : elle a commencé dès les VIIIe-IXe siècles, et était presque achevée quand fut écrite notre Chanson. Mais ce sont là, notons-le bien, deux cycles tout à fait distincts, et qui n’ont eu entre eux aucune communication notable. Les deux légendes se sont formées chacune de leur côté, et sont toujours demeurées indépendantes l’une de l’autre. = Les origines de Renaus de Montauban semblent un peu moins anciennes, et dans Girars de Viane, la donnée générale du poème en est, à peu près, le seul élément antique.
  6. Jehan de Lanson est une œuvre littéraire, et où la légende ne tient aucune place.
  7. Le Voyage à Jérusalem n’est, dans sa deuxième partie, qu’un misérable fabliau épique ; mais, si l’on considère uniquement son début et ses derniers vers, il a certaines racines dans la tradition. Cependant la légende n’apparaît pas avant le Benedicti Chronicon, œuvre d’un moine du mont Soracte, nommé Benoît (mort vers 968), lequel se contenta de falsifier un passage d’Eginhard en substituant le mot Rex aux mots Legati regis. (Voir Épopées françaises, 2e édition, III, p. 284, et notre première édition du Roland, II, 37.) Cf. une légende latine de 1060-1080, l’Iter Jerosolimitanum, qui devait être un jour insérée dans les Chroniques de Saint-Denis. On y voit le patriarche de Jérusalem, chassé de sa ville par les Sarrasins, réclamer l’aide de l’empereur d’Orient, et être en réalité secouru par Charlemagne, qui obtient de lui les saintes reliques de la Passion. Voir aussi la Karlamagnus Saga (XIIIe siècle), et, tout particulièrement, les trois sources suivantes : le ms. de l’Arsenal 3351 (XVe siècle), le ms. fr. 1470 de la Bibliothèque nationale (xve siècle) et le Galien incunable, qui nous offrent trois remaniements en prose du Voyage, avec quelques éléments nouveaux. = Un poème de la décadence, Simon de Pouille (B. N. fr. 368, xive siècle, f° 144), nous fait assister à une véritable croisade des douze Pairs en Orient, et Girard d’Amiens, en son Charlemagne (commencement du XIVe siècle), raconte une expédition du grand empereur lui-même sous les murs de Jérusalem. Enfin, David Aubert, au xve siècle, ne fait que reproduire en prose. dans ses Conquestes de Charlemagne, le récit de Girard d’Amiens dont il comble une lacune importante.
  8. Voir le Roman en prose de Galien, qui nous est parvenu sous trois formes (Bibl. de l’Arsenal, 3351 ; Bibl. nat. tr. 1470 ; et Galien incunable, 1500, Vérard, etc.). Ces romans en prose sont visiblement dérivés d’un roman en vers de la fin du XIIIe siècle dont nous avons reconstitué plusieurs centaines de vers au t. III de la 2e édition de nos Épopées françaises. Et cette chanson elle-même avait été précédée par un ou deux autres poèmes qui ne sont point parvenus jusqu’à nous.
  9. Dans ce poème, dont nous ne possédons pas de version complète, l’élément littéraire est plus considérable que l’élément traditionnel. On y rencontre cependant des légendes visiblement antiques. Mais tout a été écrit en dehors de la Chanson de Roland et de notre légende.
  10. Le Fierabras, gue nous venons de résumer, n’est pas la version la plus ancienne de ce poème. Suivant M. G. Paris, il a existé une Chanson antérieure, qui.pouvait bien avoir pour titre : Balant. Ce poème commençait par le récit d’une prise de Rome que les Sarrasins enlevaient aux chrétiens ; Charles arrivait au secours des vaincus, et c’est alors qu’avait lieu le combat d’Olivier et de Fierabras. C’était tout, et il n’y avait là que le développement de deux lieux communs épiques : « le Siège de Rome » et « le Duel avec un géant ». Notre poème n’offre que le dernier de ces lieux communs ; mais, comme nous l’avons dit plus haut, M. Groeber a retrouvé dans le manuscrit 578 de la Bibliothèque municipale, de Hanovre la première branche du Fierabras, et l’a publiée, sous le titre de « la Destruction de Rome », dans la Romania (II, p. 1 et ss.). = Fierabras, comme le Voyage à Jérusalem, a été composé pour être chanté à la foire du Lendit, où l’on faisait une exhibition solennelle de certaines Reliques de la Passion. (V. nos Épopées françaises, 2° édition, III.)
  11. Otinel ne contient rien de légendaire : c’est une œuvre de pure imagination. = Cf. l’épisode d’Ospinel dans le Karl Meinet, compilation allemande du commencement du XIVe siècle, et le récit de Jacques d’Acqui (fin du XIIIe siècle). Toutes ces fables sont postérieures à la rédaction du Roland,
  12. Le document dont il faut tout d’abord rapprocher le Roland, c’est la » Chronique de Turpin ». M. G. Paris a établi (comme nous avons déjà eu lieu de le dire plusieurs fois) que les chapitres I-v sont l’oeuvre d’un moine de Compostelle, écrivant vers le milieu du XIe siècle, et que les chapitres VI et suivants, dus sans doute à un moine de Saint-André de Vienne, n’ont été écrits qu’entre les années 1109-1119. = D’après le Faux Turpin, Charlemagne aperçoit un jour dans le ciel une « voie d’étoiles » qui s’étend de la mer de Frise jusqu’au tombeau de saint Jacques en Galice. L’Apôtre lui-même se fait voir à l’Empereur, et le somme de délivrer son pèlerinage, dont la route est profanée par les infidèles. Charles obéit ; il part. (Cap. II.) Devant les Français victorieux tombent miraculeusement les murs de Pampelune ; puis l’Empereur fait sa visite au tombeau de l’Apôtre, et va jusqu’à Padron. (Cap. m.) Plein de foi, il détruit toutes les idoles de l’Espagne, et particulièrement, à Cadix, cette image de Mahomet que l’on appelle » Islam ». (Cap. IV.) L’Empereur, triomphant, élève une église magnifique en l’honneur de saint Jacques, et construit d’autres basiliques à Toulouse, Aix et Paris... (Cap. v.) Ici s’arrête le récit primitif, qui forme un tout bien complet et caractéristique. Le continuateur du XIIe siècle prend alors la parole, et, soudant tant bien que mal sa narration à la précédente, raconte tout au long (cap. vi-xiv) la grande guerre de Charles contre Agolant. L’Agolant de la Chronique de Turpin n’a rien de commun avec celui d’Aspremont dont nous avons parlé plus haut. Ce roi païen (qui règne en Espagne et non pas en Italie) envahit la France, et massacre un jour jusqu’à quarante mille chrétiens’. Une première fois vaincu par les Français, il se réfugie dans Agen ; mais il est encore battu à Taillebourg, puis à Saintes. C’est alors qu’il repasse les Pyrénées, et qu’il est définitivement tué et vaincu sous les murs de Pampelune. Le récit d’une nouvelle guerre commence, en effet, au chap. xiv de la Chronique : Bellum Pampilonense... Donc, il arrive qu’Altumajor surprend un jour une troupe de chrétiens trop avides de butin. (Cap. xv.) Une croix rouge apparaît sur l’épaule des soldats de Charles qui doivent mourir dans la guerre contre le roi Fouré : c’est l’Empereur qui a fort indiscrètement demandé ce prodige à Dieu. Ces prédestinés meurent, mais Fouré est vaincu. (Cap. xvi.) Nouvelle guerre d’Espagne. Cette fois, c’est la plus célèbre, c’est celle de nos Chansons : Roland lutte à Nadres contre le géant Ferragus et en triomphe. (Cap. XVII.) Altumajor et Hébraïm, roi de Séville, continuent la lutte. Cachés sous des masques hideux, les païens attaquent les Français avec des cris épouvantables. Les Français reculent une première fois, mais le lendemain sont vainqueurs, et Charles, maître de l’Espagne, la partage entre ses peuples. (Cap. XVIII.) Il érige alors Compostelle en métropole, et fait massacrer en Galice tous les païens qui refusent le baptême. (Cap. xix.) C’est alors, mais alors seulement, qu’on voit entrer en scène Marsile et Baligant, tous deux rois de Saragosse, et envoyés tous deux par l’émir de Babylone. Ils feignent de se soumettre et envoient à Charles trente sommiers chargés d’or et quarante de vin, avec mille captives sarrasines. Ganelon, PAR PURE AVARICE ET SANS NUL ESPRIT DE VENGEANCE, trahit son pays et s’engage à livrer aux païens les meilleurs chevaliers de l’armée chrétienne. Les Français, d’ailleurs, semblent attirer la colère du Ciel en se livrant à de Espagne, de Nicolas de Padoue, avec une Prise de Pampelune, du même auteur (qui n’est pas arrivée jusqu’à nous), et, d’autre part (sans tenir compte de quelques traits de la Chronique de Turpin), une Chanson dé Roland semblable à celle du ms. fr. IV de Venise, et où l’on trouvait un récit poétique de la « Prise de Narbonne ». Cinq documents principaux nous offrent ce caractère : deux Spagna en vers (la Spagna proprement dite, composée entre les années 1350 et 1380, et la Rotta di Roscivalle, qui en est le remaniement, XVe s.), et trois Spagna en prose, postérieures à la Spagna « in rima », et qui ont entre elles de très intimes ressemblances (celle du ms. de la Bibliothèque Albani, découverte en 1830 par M. Ranke ; celle de la Bibliothèque Médicis, découverte par M. Raina, et celle enfin de la Bibliothèque de Pavie, le Viaggio in Espagna, que M. Ceruti a publiée en 1871. Le manuscrit Albani est du commencement du xvie siècle ; les deux autres sont du xve siècle. Tous ont les mêmes éléments et présentent le même caractère.) = En Espagne, la Cronica général d’Alfonse X (seconde moitié du XIIIe siècle), précédée par la Chronica Hispanioe de Rodrigue de Tolède (1247), présente sous un aspect tout différent la guerre de Roncevaux : Alfonse le Chaste régnait depuis trente ans. Menace par les Sarrasins. il appelle Charlemagne à son aide ; mais les Espagnols, ses sujets, se révoltent à la seule pensée qu’ils vont être secourus par des Français, et Alfonse est forcé de faire savoir à Charles… qu’il se passera de lui. Le roi de France, indigné, déclare tout aussitôt la guerre aux Espagnols. Plutôt que de céder aux Français abhorrés, ceux-ci sollicitent l’alliance de Marsile et dès païens, et c’est Bernard del Carpio qui conclut cette alliance. Accables par deux armées, ou plutôt par deux races, les Français sont vaincus, et Roland meurt. Il est vrai que Charles se vengea plus tard sur Marsile. Mais Bernard del Carpio fut le plus heureux. Réconcilié avec le grand empereur, il fut fait par lui rai d’Italie. (Chronica Hispanioe, IV cap. x et xi ; Cronica general, édit. de 1604, f° 30-32, Cf. la. Chronique antérieure " de Lucas de Tuy, etc.) = «L’Office de Charlemagne à Girone » (vers 1350) nous fournit une tout autre version… Au moment de franchir les Pyrénées, Charles a une belle vision : Notre-Dame, saint Jacques et saint André lui promettent la victoire ; mais à la condition qu’il bâtira dans Girone une belle église à la Vierge. Le grand empereur se met en devoir’d’obéir. Il bat les païens à Sent-Madir, et met le siège devant Girone. Une croix rouge resté durant quatre heures au-dessus de la mosquée ; il pleut du sang ; les miracles abondent. = Les Romances espagnoles sont les unes françaises, les autres espagnoles d’inspiration. Dans la Romance : C’était le Dimanche des Rameaux, on voit fuir le roi Marcim devant Roland, avec des pleurs et des imprécations lamentables. Dans la romance Dona Aida, on assiste à un songe de la belle Aude, et cet épisode est à peu près semblable à la donnée de nos rifacimenti. (Cf. De Puymaigre, les Vieux Auteurs castillans, II, 325.) Dans une autre romance, Roland meurt de douleur sur le champ de bataille, à la seule vue de la tristesse et de l’isolement de Charlemagne. (Études religieuses des Pères jésuites VIII, 41.) D’autres enfin célèbrent à l’envi leur Bernard del Carpio. au préjudice de notre Rolland. (Primavera, I. 26-47) Cf., sur l’histoire de la légende rolandienne en Espagne, l’admirable livre de Mila y Fontanais, De la Poesia heroïco-popular castellana. Barcelone, 1874, in-S° = Et tel est le résume de toutes les œuvres poétiques que le moyen âge a consacrées à la guerre d’Espagne et à la mort de notre héros.
  13. Il a existé un poème français plus ancien que la Chanson des Saisnes. Nous n’en avons plus l’original ; mais la Karlamagnus Saga nous en a du moins conservé un résumé... La scène s’ouvre sous les murs de Nobles, assiégée par Charles. Tout à coup l’Empereur apprend que « Guitalin » vient de brûler Cologne. Il court au-devant des Saisnes ; mais il se laisse enfermer dans Cologne et va succomber, lorsqu’il est secouru par Roland. Guitalin remporte un premier avantage sur les Français ; mais ceux-ci reprennent l’offensive et s’emparent de Germaise (Worms). C’est alors qu’Amidan vient au secours de son père Guitalin. Mais Charles fait construire un pont sur le Rhin, et voilà les Saisnes menacés. Ici apparaît Baudouin, qui va devenir le principal personnage de notre poème ; ici se place également le trop long épisode de ses amours avec Sibille. Une action décisive s’engage : Guitalin est terrassé par Charles, et Amidan tué par Roland, qui conquiert alors le fameux cor Olifant. La victoire des Français est complète, et tout se termine par un baptême général des païens. Tel est le Guitalin de la Karlamagnus Saga (5e branche), dont l’action, comme on le voit, se passe avant celle du Roland. (Cf. le résumé qu’on en trouve dans la 1re branche.) = Toutes les variantes de cette légende des Saisnes se divisent en deux groupes distincts, suivant qu’elles se rapportent au Guitalin que nous venons de résumer, ou à la chanson de Jean Bodel,1
  14. Il existe une autre version, intitulée la Reine Sibille, et dont nous n’avons plus que quelques vers et une rédaction en prose. (Bibl. de l’Arsenal, 3351 ; anc. B. L. F. 226.)
  15. La mort du grand empereur est encore racontée, mais en termes très rapides, dans Anseïs de Carthage. = Sur la fin de cet homme presque surnaturel, deux autres légendes ont circulé, et elles sont toutes deux peu favorables à la mémoire de Charles : 1o Walafrid Strabo (Historiens de France, V, 339) reproduit un répit de l’abbé Hetto, qui le tirait du moine Wettin. Ce dernier avait vu en songe Charlemagne dans les flammes de l’enfer, où un monstre le dévorait éternellement. Et pourquoi ce supplice du grand empereur ? C’était « à cause de son libertinage honteux ». 2o La fable du faux Turpin est plus connue… Un jour Turpin vit l’âme de Charlemagne entre les mains dès démons. Or cette pauvre âme était en grand danger devant le Juge suprême, quand un Galicien sans tête (saint Jacques) jeta dans les balances éternelles toutes les pierres et toutes les poutres des basiliques construites par Charlemagne. Il fut sauvé. = Le moyen âge n’a rien trouvé de plus beau pour honorer le souvenir de celui dont la Chanson de Roland a si bien dit : N’iert mais tels hum desqu’al Deu juise.
  16. Voir le résumé des autres Chansons dans notre première édition du Roland, II. 270 et suivantes.