La Chanson de l’aubépin

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La Chanson de l’aubépin ([version manuscrite soumise à la censure])
(p. 1-32).

La chanson de l’aubépin

opéra-comique en un acte

Paroles et musique de Madme Amélie Perronnet

PERSONNAGES

Loriot

Fanchette

Le théâtre représente une auberge de campagne. Porte au fond. Porte à gauche du spectateur. Une table. Quelques sièges rustiques.

Scène 1er


Fanchette, (seule, près de la porte de gauche, à la cantonnade)

C’est bon ! c’est bon ! qu’on s’dépêche… et qu’l’ouvrage n’vous gêle pas les mains ; l’premier que j’vois muser, j’lui donne son compte. (venant sur le devant de la scène) C’est vrai ça !… tous ces flâneux d’domestiques… faudrait les nourrir et les payer à rien faire ! et encore y trouveraient moyen d’se plaindre. Ah ! si au lieu d’avoir une femme pour bourgeoise, y zavaient affaire à un gaillard pas frileux, qui les z’houspiller un brin, la maison n’en irait pas plus mal !

Tous les gens du pays m’disent ben : marie-toi la Fanchette… N’y a que c’moyen-là d’mener ta barque… M’marier ? je l’voudrais ben aussi ! mais… avec qui ?… Tous ces gas du pays… c’est grossier… c’est brutal ! et ma fine… quand on a vécu quéque temps avec une grande dame comme mamz’elle de Kéradec, de qui que j’étais (pompeusement) femme de chambre, on s’est fait aux belles manières… et on n’peut pas s’épouser avec l’premier-v’nu !


Couplets :



Quand on a fréquenté l’beau monde ;
Et qu’on a lu quéque p’tits romans,
Faut trouver quéqu’un qui réponde
À ce qu’on possède d’sentiments.
Je n’veux donc pas, si la nature
M’a fait un tout p’tit brin d’attraits,
Avoir un mari sans allure,
Qui, des agréments d’ma figure,
Ne s’aperçoive au grand jamais.
Sans êtr’romanesque à l’extrême
Je d’vine c’que c’est qu’aimer
Et, sans craint’qu’on puiss’m’en blâmer (Bis)
Je veux qu’on m’aime, (Bis)
Comm’j’aimerai moi-même.

2


Entre les geun’s gens qu’on marie,
Comm’ça doit dûrer plus d’un jour,
On dit qu’y faut d’la sympathie,
J’crois que c’mot-là veut dire : amour ;
Celui qui n’saurait pas m’comprendre,
N’pourrait donc pas fair’mon bonheur.
Moi, j’ai l’caractère doux et tendre
Et l’cœur du mari que j’veux prendre
Doit savoir répondre à mon cœur.
Car, je suis sensible à l’extrême
Et j'devine c'que c'est qu'aimer,
Hélas ! sans savoir qui nommer (Bis)
Je veux qu'on m'aime (Bis)
Comm' j'aimerai moi-même.



Ah ! dame ! n'y en avait qu'un qui m'aurait convenu ici... c'est c'pauv' Loriot, qu'est parti, v'la tantôt deux ans... y m'aimait ben aussi, lui ! mais mon bonhomme d'oncle, n'pouvait pas l'souffrir d'son vivant... de fait... c'Loriot il était un brin bête ; un brin gourmand... un brin paresseux... beaucoup paresseux ; même... hé ben ! n'empêche... c'était core c'qui avait d'mieux dans l'pays... Jugez des autres ! Pauv'garçon ! je l'vois encore, l'jour qui s'a décidé à m'demander à mon oncle. (grosse voix) « toi... — » qui lui dit comme ça — « un feignant... un vaurien... l'mari d'Fanchette... j'aimerais mieux lui mettre une pierre au cou, et la j'ter dans not' mare » (tristement) c'pauv' Loriot ! ... il était si timide... y n'a pas su tant seulement lui dire qu'y f'rait son possible pour me mériter... Aussi, j'étais si furieuse de sa bêtise, que j'y ai ri au nez, en l'appelant : « imbécile » (soupirant) et l'lend'main il a quitté l'pays... et on n'sait pas c'quil est d'venu ! Ah ! y d'vait croire que j'l'haïssais : j'lai fait enrager tant d'fois... histoire de m'donner des airs. (prêtant l'oreille) Allons. Bon ! v'la les autres qui s'disputent, à la cuisine... voyons voir quoi-qu'y-z'ont à s'chamailler comme ça. (Elle sort à gauche)


Scène 2.

Loriot, (arrivant par le fond. Toilette prétentieuse de 1828)

Personne ! Ouf ! Y m'semble toujours sentir quelqu'un derrière moi ! non ... ma vieille enjôleuse n'a pas pu m'suivre jusqu'ici... j'lai perdue d'vue au dernier relai, d'où j'arrive à pied... comprend-on ça ? une vieille veuve, chez qui j'entre comme domestique, et qui s'amourache de moi, au point d'vouloir convoler en secondes noces, à mon préjudice ? un instant ! la place était bonne, et les profits honnêtes... mais, pas d'ça Lisette ! Aussi, quand j'ai eu fait ma pelotte... j'ai décampé, malgré ses m'naces de m'courir après. Prétendre à un homme de m catégorie ! mame Grabouillot... une ancienne charcutière... soixante-huit printemps... et autant d'hivers ! ... dame... les femmes, c'est pas comm' les nèffes... n'y a pas besoin que la gelée passe dessus... J'suis, grâce à Dieu, à l'abri de ses poursuites, ici... dans c'te maison, où j'ai vu, pour la dernière fois, la méchante fille, qu'est cause de mes embarras... car, sans les dédains d'une cruelle, j'n'aurais jamais quitté mon village...

Ah ! Fanchette ! cœur de roche ! femme sans foye ! j'veux t'voir encore une fois, avant de m'expatrier pour de bon... et t'faire voir que je t'aime pus, mais pus du tout... ça t'vexeras, car t'tais pétrie d'amour-propre... et on sait ben qu'quand les femmes changent, c'est pas pour dev'nir meilleures.

Air :


En te r'voyant, fille insensible,
Je n'te dirai pas certain'ment,
Dans quell'situation pénible
Se trouva ton ancien galant.
Tu n'sauras pas, cruelle !
Que j'maudissais mon sort
Et, si tu m'crois fidèle (Bis)
J(te montrerai qu'tas tort.
Non, je n'suis plus, c't'amant candide,
Qui, dans tes lacs, jadis s'est pris

J'ai cessé d'être gauche et timide,
Et je vas te montrer, perfide,
Comment on s'éduque à Paris (Ter)

2


Quand j'ai su faire ma fortune,
J'pourrais te narguer gentiment,
Mais j'tiens à t'éblouir seul'ment,
Afin qu'mon imag' t'importune.
Pour me venger, dans un moment,
Je veux, d'une façon délicate :
Te faire apercevoir ingrate !
Tout c'que tu perds, en me perdant (bis)
Tes amoureux du voisinage,
Ne sont dignes que d'mon mépris,
Car il ignor'nt le beau langage,
Ils sont toujours de leur village :
Mais moi, j'ai tété-z-à Paris (Ter)


J'ny dirai pas que j'ai tété domestique d'une vieille charcutière qui voulait m'épouser... ça la f'rait rire. (regardant à gauche) mais v'la quéqun... Seigneur Dieu ! c'est elle ! l'affreuse créature est pus belle que jamais... (se redressant) Allons Loriot ! du toupet, mon bonhomme ! et morguienne, ébaubissons-là, c'te chipie, d'mon audace parisienne !


Scène 3

Loriot - Fanchette
Fanchette

Un étranger ! un voyageur, sans doute ! (faisant la révérence) Quoi qu'y a pour vot' service, not' jeune monsieur ?

Loriot, (sans la regarder)

Qu'on m'serve à déjeuner, la belle enfant ! Quéque chose de léger ! d'la soupe aux choux ; des pommes de terre au lard ? j'ai l'estomac délicate !

Fanchette, (l'examinant)

Hé ! mais ! je n'me trome point ? c'te voix ! mais c'est lui ! c'est Loriot !

Loriot, (à part — très-ému)

All'me r'connaît !

Fanchette

Mais, c'est toi, mon Loriot ! (se jetant à son cou.) Embrasse-moi donc

Loriot, (se dégageant)

Qu'est-ce que c'est, la fille ? vous êtes bien familière ! ... ça peut n'pas plaire à tout l'monde ! moi, je n'suis pas fier ! mais enfin, faut qu'chacun tiende son rang, pour lors. (Il se rengorge)

Fanchette, (avec impatience)
Ah ! ça ! mais tu n'me reconnais donc point ? tu n'reconnais pas l'Auberge du père Calhouic, où que j'tai trempé des soupes, si souvent ?
Loriot, (à part)

Ah ! oui ! des bonnes soupes, même ! la cuiller s'y t'nait toute droite ! (haut) attendez donc ? (il a l'air de chercher) Le père Calhouic... il avait une nièce ?

Fanchette, (vivement)

C'est moi, Fanchette ! la p'tite Fanchette, qu'était chez les dames de Kéradec...

Loriot, (dédaigneusement)

Ah ! oui ! Fille de chambre... je m'rappelle à présent... (d'un ton protecteur) c'te pauv' Fanchette ! ... (Il la lorgne) mais sais-tu que t'es d'venue un joli brin d'fille ! t'es pas déjà si déchirée pour une fille de campagne ? (Il continue à la lorgner)

Fanchette, (choquée)

Une fille de campagne ! Hé ben ! Qu'est-ce que t'es donc toi-même ? (Impatientée) Ah : ça ! quoi qu'il a donc à me r'luquer comme ça avec son p'tit morceau d'carreau ? En v'la des façons avec une payse ! Quéque ça veut dire, donc ?

Loriot, (faisant l'important)

Ah ! dame ! les temps sont changés, vois-tu ma fille !

Fanchette, (piquée)

Et toi aussi, ma fine, c'est à n'pas te r'connaitre !

Loriot, (posant)

D'puis deux ans, j'ai vu du pays, j'mai fait une position dans l'monde ! ...

Fanchette, (intriguée)

Ah ! bah ! où donc ça ?

Loriot, (même jeu)

Mais, à Paris, donc ma poulette... d'où que j'arrivasse en chaise de poste.

Fanchette, (persifflant)

Tiens, comme t'es crotté ?

Loriot, (vivement)

Ah ! c'est qu'à une lieue d'ici, un essieu s'a cassé... et comme je suis pressé, j'ai mieux aimé marcher toujours, que d'attendre que l'charron l'eusse réparé.

Fanchette, (d'un ton goguenard)

T'as ben fait... si ben calé qu'on soit... faut s'servir de temps en temps, d'la voiture du père Adam... ça r'pose !

Loriot, (à part)

J'crois qu'elle me gausse.

Fanchette

Enfin ! t'as eu d'la chance ? tant mieux ! dis donc ? t'étais pas si fendant, l'jour où t'es parti d'ici, après le r'fus du père Calhouic, de t'prendre pour neveu... t'rappelle-tu ? que tu pleurais comme une fontaine... (Elle rit) T'étais-t-y drôle ?

Loriot, (avec colère)

Oui... même que tu m'as appelé imbécile. (essayant de rire) Ah ! Dieu ! t'avais joliment raison ! ... j'étais joliment bête d'braire pour si peu.

Fanchette, (choquée)

Pour si peu ?

Loriot

Comm'si j'nétais pas sûr d'en r'trouver d'autres.

Fanchette

Voyez-vous ça ?

Loriot, (avec fatuité)

Car enfin, ma chère, ç'aurait été dommage qu'un beau garçon comm' moi... destiné à un avenir conséquent prenn' un' fille de rien... sans t'offenser, ma Fanchette !

Fanchette, (Furieux)

Un' fille de rien ! ah ! mais ! mais ! c'est trop fort !

Loriot, (à part)

Elle rage. (Haut) Quand j'pense que si je m'fusse épousé avec toi... c'était fini d'toutes ces jolies femmes qui d'vaient m'faire d'l'oeil par la suite.

Fanchette, (avec dédain)

Des jolies femmes ? toi qu'étais si timide ? si bête avec les filles ?

Loriot, (vivement)

Ça s'est passé !

Fanchette, (même jeu)

T'es d'venu riche... toi qu'étais si paresseux.

Loriot, (plus vivement)

Ça s'est passé !

Fanchette, (comme scandalisée)

Par des voleries, alors, toi qu'étais t'honnête ?

Loriot, (criant)

Ça s'est pass... (se calmant) Enfin ma chère, le plus clair, c'est que j'suis maintenant, un richard... et un Lovélâche...

Fanchette

Un lovélâche ?

Loriot

C'est comm'ça qu'on appelle un enjôleux, à Paris... moi, si timide, si honnête, si bête... comme tu dis ! j'suis d'venu un sac à diables, un effronté fieffé... je suis bon à pendre à c't'heure.

Fanchette, (le regardant fixement)

Dis donc, mon Loriot ! veux-tu que j'te dise la vérité vraie ? Hé ben ! en t'voyant là, tout à l'heure, j'ai cru...

Fanchette, (Brusquement)

Hé ben !

Fanchette, (hésitant)

Hé ben ! j'ai cru... qu'tu venais... tu sais ? ... pour renouer la chose d'autrefois...


Loriot
Loriot, (Faisant l'ignorant)

Quelle chose, donc ?

Fanchette, (timidement)

Dame, sachant que j'suis ma maîtresse, à c't' heure, que le père Calhouic est mort, et qu'y m'a fait son héritière...

Loriot

Le père Calhouic ? non... j'savais pas... après ? ...

Fanchette, (même jeu)

Enfin... j'ai cru... qu'tu v'nais m'demander... si j'voulais m'répouser avec toi ?

Loriot, (faisant de grands gestes)

Ah ! ben ! Ah ! ben ! pour que tu m'rises encore au nez, comme y a deux ans... merci ! Et d'abord... ma chère, pour qu'tu n'tinduzes pas plus longtemps en erreur... apprends que...

Fanchette

Que...

Loriot

Que j'suis poursuivi d'amour par une belle dame, tout c'qu'y a d'plus huppé.

Fanchette, (incrédule)

Pas possible !

Loriot, (se rengorgeant)

Oui, ma fille... une vieille (se reprenant) une belle dame, qui s'est toquée d'moi, et qui veut que j'l'épousisse devant mossieu l'maire... (à part) attrape

Fanchette, (à part)

En v'là une affaire ! (haut) Ah ! tu vas t'marier à une vieille... à une belle dame ?

Loriot, (négligemment)

Ah ! c'n'est pas fait ! j'ny tiens pas, parc'qu'avant tout, j'veux garder ma liberté.

Fanchette

Ah ! tu fais l'cruel ?... et quoi qu'en dit la vieille, non, la belle dame, de la cruauté ?

Loriot

Elle ! pauv' chatte ! elle a d'abord voulu s'périr d'désespoir... et... à présent... elle me court après pour me poignarder... preuve qu'elle m'adore !

Fanchette

Elle est donc bien laide, c'te pauv'femme ?

Loriot, (vivement)

Du tout ! une femme superbe ! cinq pieds, quat'pouces, et grosse à proportion... mais, vois-tu... (avec fatuité) ça f'rait l'malheur de tant d'autres ! ...


Duo


Loriot


Quand on est jeune, aimable et riche,
Ça s'rait une stupidité

D'vouloir poser, en vrai caniche,
Pour la fidélité !

Fanchette


Mais pourtant, faut ben que l'mariage
Finisse un beau jour
Par fixer l'amour
Y faut, tôt ou tard, dev'nir sage.

Loriot


Ici bas, vois-tu (bis)

La vertu...

Fanchette

La vertu ?...

Loriot

C'est du bien d'perdu.

Ensemble :

Fanchette
Loriot
Quel langage ! Mon langage
Mais, je l'gage, Oui, je l'gage
Oui, sans contredit, Doit, sans contredit,
IL a perdu l'esprit ; Etonner son esprit.
Car sans rire Car j'soupire
Il peut dire Mais j'veux rire
Des cont's de sa façon Pour lui cacher toujours
Qui n'ont ni rim' ni raison Que j'ai gardé mes amours.
Loriot


Tu n'peux t'imaginer, ma chère,
Ce que j'ai r'çu d'billets doux ?
C'est un' collection tout entière
Des écritur's de tous les goûts
Ici, l'un' me peint son martyre

Un' aut' me parl' de son tourment
Et d'son délire.

Fanchette


Ma fin' ! permets-moi de te l'dire.
Pour déchiffrer leurs complments
Il a ben fallu, d'puis deux ans
Qu'tu dépêch's, pour apprendre à lire !

Fanchette
Loriot
Voyez quel mauvais esprit Voyez quel mauvais esprit
S'fait ben voir dans tout c'qu'y dit S'fait ben voir dans tout c'qu'elle dit
Son humeur est méchante, Elle est vraiment méchante
Mais sa colèr' m'enchante, Mais sa colèr' m'enchante,
Et de sa vanité Et, de sa vanité
Que j'connaissais d'avance Que j'connaissais d'avance
Je veux, en vérité Je veux, en vérité
Bientôt tirer vengeance. Bientôt tirer vengeance.
Fanchette


J'faisais, pour toi, des voeux,
Maint'nant, j'te complimente
Si l'esprit t'a poussé, oui da, c'est ben heureux,
Et ton succès m'enchante

Loriot


Oui ma Fanchette
POur faire ma conquête
Des grand's dames ont, à tout moment,
Oublié, pour mon agrément,
Leurs titres et leur rang

Fanchette

Vraiment ?
Loriot


Leurs titres et leur rang.
J't'en cit'rai deux des plus riches
Qui s'ront, d'honneur, c'est désastreux,
Prises, pour moi, par les cheveux (Bis)

Fanchette, (le nargant)


Qu'étaient, sans doute, postiches.

Ensemble (Reprise)


Voyez quel mauvais esprit | Voyez quel mauvais esprit.

Fanchette

C'est égal, j'penche à croire que c'te dame est laide comm' le péché, sans ça tu t'laiss'rais attendrir.

Loriot, (naïvement)

Mais non ! ell' parle du nez, v'là tout ; mais c'est ses lunettes qu'en est cause... elle est un peu mûre... mais en ménage... une femme mûre... ça vaut mieux, on est plus sûr d'sa fidélité.

Fanchette, (à part)
C'est quèque vieille carabosse. (haut et d'un air innocent) voyez donc comm' ça s'trouve ben, que vous n'soyez pas r'venu pour moi ! j'aurais été ben fâchée d'vous r'fuser... moi qui s'marie justement la s'maine prochaine ! ...
Loriot

Ah ! tu t'maries (jouant l'indifférence) et... avec qui ?

Fanchette

Oh ! vous l'connaisez ben ? Yvon... un grand bel homme ! six pieds cinq pouces... et mince à proportion.

Loriot

Yvon ? ... c'grand roux, qui louchait des deux yeux.

Fanchette

ça 'est passé.

Loriot

Un brutal... un lourdaud... toi qu'étais si délicate.

Fanchette

Ça s'est pass... (se calmant) et puis y va avoir un'gard'rie... ça n's'ra point un mauvais parti ! dà ! Faudra v'nir à ma noce, pas vrai ?

Loriot

Ben obligé ! (à part Ah ! l'ingrate, qu'j'ai raison d'l'abominer.

Fanchette
Dis donc Loriot, c'est-y drôle que nous v'la tous deux engagés... et qu'aut'fois... (baissant les yeux) T'rappelles-tu ?
Loriot

Quoi donc ?

Fanchette

Hé ben ! quand tu passais, l'matin, d'vant la porte, et qu'tu toussais ben fort, pour que j'me r'tourne...

Loriot

Tu n'te r'tournais pas toujours !

Fanchette

Menteur ! (haut) et l'dimanche... à la danse... qu'tu t'perchais à côté d'moi, en soupirant comme l'soufflet d'not' maréchal, sans oser m'inviter...

Loriot

T'étais si dédaigneuse avec moi.

Loriot

Innocent ! (haut) et, enfin, quand tu v'nais manger la soupe à l'auberge, et que j'te donnais une cuiller, tu me prenais souvent la main avec... très lentement – émue) Et tu n'savais pas c'qui fallait garder... d'la main ou de la cuiller.

Loriot

Et la chanson de l'aubépin, que tu chantais à la veillée, t'en souviens-tu ?

Fanchette

Si j'men souviens ? écoute :

Air :


Perrine et Jeannot sont en guerre
D'où donc que leur vient ce courroux ?

Il dit que Perrine est légère
Ell' prétend qu'Jeannot est jaloux.
Mais, n'y a rien là d'sous qui m'étonne
C'est l'hiver qu'est cause d'tout ça,
Et l'humeur que chacun d'eux a
C'est l'brouillard de mars qui la donne
Mais quand l'aubépin verdira
La la la la
Mais quand l'aubépin verdira
Soyez bien certain que la paix se fera

Loriot, (avec émotion)

Jarni, j'crois qu'j'y suis encore à c'bon temps, où j'l'entendais chanter tous les jours, comme un p'tit oiseau du bon Dieu.


Fanchette

2


L'hiver, par le froid tout sommeille
Les oiseaux restent dans leurs nids
Faut donc que le printemps réveille
Les amoureux qu'il a transis.
L'amour qui, tout plein d'espérance
Jadis, s'allumait à leur voix
Aujourd'hui, souffle dans ses doigts
Pour s'échauffer en leur présence
Mais quand l'aubépin verdira
La la la la
Mais quand l'aubépin verdira
Rien qu'à son aspect on se renfflamera


Loriot
Fanchette ! tu t'souviens-t-y d'ça avec plaisir ?
Fanchette

Bête ! puisque j'vas m'épouser avec Yvon


Loriot

Pourquoi qu'tu r'parles d'ces bêtises, là, alors ?


Fanchette

Ah ! ça ! Loriot, j'y pense... si c'te dame qui court après toi, vient t'chercher jusqu'ici... quosqu'y faudra faire ?


Loriot

Chut ! si elle vient ? c'qui n'aurait rien d'impossible... tu lui diras... tu n'lui diras rien... et tu m'préviendras.

Fanchette

Bon. (à part ; le menaçant) Ah ! tu veux m'en faire accroire... (haut) j'vas t'faire servir à déjeûner Mr Loriot.

Loriot

C'est ça, ma fille ! et qu'ça n'traîne pas. (Elle sort à gauche)


Scène 4.

Loriot

Ah ! Elle a cru que je r'venais pour ses beaux yeux ? Tandis que... pus souvent ! une coquette ! une sucrée ! une pic-grièche ! qui f'rait d'moi son esclave ! son valet ! son grôme ! merci ! j'sais c'que c'est ! j'en ai goûté... et pourtant, qu'elle est avenante et gentille... et finaude... Ah ! pour d'la finasserie... elle n'en chôme point, et elle a la tête plus pleine que l'eau... ça c'est sûr. (on entend vocaliser Fanchette dans la comtesse) Tiens... la v'la qui chante ! ah ! Dieu ! j'laime-t-y sa p'tite voix d'rossignolette. (Il s'assied)

Fanchette, (dans la coulisse)

3


Voilà que revient la verdure,
Et ses p'tits bourgeons fleurissants :
Plus souriante est la nature,
Plus épris sont les amants.
Auss ben, Jeannot et Perrine
Ont changé de maintien déjà,
Chantant par ci, dansant par là,
Rien qu'au regard, on se devine
Et quand l'aubépin fleurira
La la la la
Et quand l'aubépin fleurira
Le pasteur, dit-on les bénira

Loriot, (pleurant)
Oh ! la mauvaise fille ! qu'elle m'fait d'mal, et qu'ell' me fait d'bien tout ensemble. (avec colère) Et dire que la perfide en a choisi un autre ! (Il s'essuie les yeux, avec un énorme mouchoir) Ah ! Fanchette ! Tu m'as invité à ta noce. (avec un désespoire comique) j'y viendrai, va... pour me suicider... d'indigestion... ça s'ra ton r'mords... et ma vengeance ! ...

Scène 5

Loriot - Fanchette


Fanchette

Enfin ! je vous r'trouve, Mr de Loriot !


Loriot

Dieux ! c'est ma vieille ! (furieux) Qu'est-ce que vous voulez encore ?


Fanchette

Mais, à vous pardine ! (Elle fait un pas de tragédie, à chaque mot) Volage, infidèle ! Lovelâche ! (Elle lève le poignard sur lui)


Loriot

Ah ! ça ! minute ! écartez d'abord c't'outil-là ! et voyons un peu d'quoi qu'y r'tourne.


Fanchette

Du tout... du tout... j'veux vous poignarder d'abord : nous nous expliquerons après !

Loriot

Mais elle est enragée ! ... dites donc Hé ! si vous n'finissez pas, ça va d'venir du vilain.. j'sens la moutarde qui m'monte au nez, d'abord.


Fanchette, (jouant la fureur)

Comment, gueux fini, tu n'veux pas entendre celle qui t'adore ? qui veut d'venir ta légitime ? qui s'périrait pour te plaire, homme sans entrailles. (Elle pose le couteau sur la table)


Loriot

Mais, puique j'vous ai déjà dit non, non, cent fois non, mame Putiphar !


Duo

Fanchette


Vot'conduite est abominable
Vous m'en rendrez raison (Bis)


Loriot


V'la qui promet d'être agréable
Pourquoi m'chercher raison ?


Fanchette


Quelle injure à mon nom (Bis)


Loriot


Pourquoi m'chercher raison (Bis)


Fanchette


Sans égards pour ma noblesse
Pour mon titre, et ma richesse
Monsieur s'donne, oui dà

Des airs de m'planter là (bis)

Loriot


Bon Dieu ! bon Dieu ! que deviendra tout ça ?


Ensemble :

Fanchette
Loriot
Ne cherche pas à nier ton crime Faudra-t-il donc être sa victime ?
J'te vois trembler d'vant mon courroux Me v'la m'nacé de son courroux (bis)
Ton âme est noir' comme un abîme Mais, l'épouser, ça s'rait un crime
Tu devrais tomber à mes g'noux Ell'voudrait que j'tombe à ses genoux
Tu peux êtr' sur de ton affaire Je voudrais savoir l'fond de c't'affaire
Dieu sait comme ça finira Dieux sais comment (Bis) ça finira
J'te r'connais bien, la chose est claire Inspirez-moi c'qui faudra faire
Tâche à présent (bis) de t'tirer d'là ? Mon doux Jésus, tirez-moi d'là
Fanchette, (repoussant son couteau sur la main)

Allons, allons ! Faudra que j'fasse justice moi-même.


Loriot

Qu'ell' s'fasse justice ! ... mais c'te femme est folle ; ell' va m'causer du désagrément (d'un air conciliant, mais sans l'approcher) Voyons, mame Grabouillot ? vous n'êtes donc pas d'venue plus raisonnable ?


Fanchette, (nazillant)

Je n'serais point-z'amoureuse ; si j'étais raisonnable.


Loriot, (à part)

Elle a raison. (Haut) Voyons, déposez un peu c'poignard andaloux... et causons comme une paire d'amis.

(Elle se rapproche)
Fanchette, (posant son couteau sur la table)

C'est ça, causons.


Loriot

Vous voudriez qu'j'vous aimât ?


Fanchette, (joignant les mains) (avec une exagération sentimentale)

Ah !


Loriot

Et que je vous offrasse ma main ?


Fanchette, (levant les yeux au ciel)

Oh !


Loriot

Mais j's'rais un ch'napan, si je vous l'offrissais.


Fanchette, (nazillant)

Pourquoi ça ?


Loriot

Parc'que ! ... mais, t'nez vous êtes furieuse après moi, parc'que je n'réponds pas à vot' flamme antiquaille


Fanchette, (d'une voix gutturale en fesant mine de reprendre son couteau)

Oh !


Loriot, (l'arrêtant par le bras)

Bon ! vous m'avez déjà dit ça... donc, si j'avais un gros chagrin, vous seriez à la joie de vot' coeur ?


Fanchette, (crispant ses poigns)

Ah ! ...


Loriot
Hé ben ! soyez contente : j'suis malheureux comme un tas d'pierres !
Fanchette

Vous ? à cause donc ?


Loriot

A cause que j'aime une fille qui n'm'aime pas


Fanchette, (jouant la colère)

C'est ça ! j'm'en doutais... et c'te fille, c'est ?


Loriot

C'est Fanchette ! ... vous n'connaissez pas Fanchette


Fanchette

Si... j'y ai parlé en arrivant ! ...


Loriot, (avec enthousiasme)

N'est-ce pas qu'elle est jolie ?


Fanchette, (jouant le désespoir)

Assez... Coeur barbare.


Loriot

J'l'avais aimée... autrefois... et j'me croyais guéri par deux ans passés loin d'elle... comme si on guérissait de c'mal-là !


Fanchette, (levant les yeux)

Ah qui le dites-vous cruel ? ...


Loriot

Pauv' vieille ! (haut) J'suis donc r'venu croyant qu'sa présence m'laisserait calme... Hé ben ! pas du tout ! en la r'voyant, mon coeur a sauté comme un baril de poudre à l'approche d'une chandelle.


Fanchette, (à part)

Pauv' garçon !


Loriot, (avec colère
Et j'en rougis, voyez-vous ! parc' que c'est une ingrate, qui m'verrait trépasser d'un oeil séché.
Fanchette, (vivement)

Comment, une ingrate ? paré que vous êtes parti, y a deux ans, sans lui dire ni quoi, ni qu'est-ce... et qu'vous l'avez laissée tout c'temps sans nouvelles !


Loriot

Cmment l'savez-vous ?


Fanchette, (d'un air pathétique)

Est-ce que les hommes n'sont pas tous les mêmes ?


Loriot

Vous d'vez vous y connaître... à vot' âge. Ah ! c'est fini du bonheur pour moi, maintenant ! et pourtant... je n'peux pas m'emêcher d'espérer


Romance


Si j'osais espérer qu'ell' m'aime
Ça m'f'rait passer plus d'un défaut ;
Je n's'rais pas si défiant d'moi-même,
A travailler, j's'rais moins nigaud.
J'saurais ben trouver dans ma tête,
L'moyen d'y être utile en ce lieu (bis)
En un mot, j'crois que j's'rais moins bête (bis)
Si Fanchette m'aimait un peu ! (bis)


Fanchette, (nazillant toujours)

Et pourquoi qu'vous n'y avez pas dit tout ça


Loriot

Ah ! Pourquoi ? c'est c'te gueuse d'amour-propre. Voyez-vous ! j'aurais pas voulu avoir l'air... d'autant que l'père Calhouic l'a fait sa légateuse universelle... et... elle pourrait croire que c'est pour ça ! Si ben... qu'si n'fallait qu'un mot, pour qu'elle sache à quoi s'en tenir...


Loriot

Ma foi ! j'oserais pas l'dire... et puis... Bath ! ... elle va s'marier avec Yvon.


Fanchette, (vivement)

Et... si c'était une frime pour se mettre à votre unisson... si elle vous avait attendu, sans rien promettre à personne... quoique vous en diriez ?


Loriot, (transporté)

Ah ! la joie m'rendrait fou ! et j'lui dirais du fond d'mon âme...


S'il est vrai qu'y t'soit agréable
Fanchette d't'unir avec moi !
Si mon bonheur n'est point un' fable
Ah ! j'veux vivre et mourir pour toi !
Je croyais te r'trouver oublise
Ça n'est point, j'en reçois l'aveu (Bis)
Va, j'suis sûr de t'rendr' ben heureuse (Bis)
Si tu veux m'aimer un p'tit peu. (Bis)


Fanchette, (se jetant à son cou)

Oui, va que j't'aime ! et d'tout mon coeur


Loriot, (reculant)

Hé ! la vieille, est-ce que ça vous reprend ? (Fanchette arrache ses lunettes et jette son déguisement) Fanchette ! c'était Fanchette !


Fanchette, (rian)
Hé ! oui, nigaud ! tu n'm'avais donc point r'connue ?
Loriot

Et, tu n'me ris point z'au nez comme à ordinaire ?


Fanchette, (tendrement)

Hé non ! puisque j'ai quasiment envie d'pleurer, au contraire.


Loriot, (étonné)

Et pourquoi donc ça ?


Fanchette

Et d'joie, donc ! d'avoir r'trouvé mon vrai Loriot.


Loriot, (regardant le déguisement de Fanchette)

Mais qu'est-ce que c'est donc que c'te défroque, qui t'cachait si bien ?


Fanchette

C'est une vieille robe à mamzelle de Kéradec, qui n'pensait point qu'ça m'servirait à repêcher un mari !


Loriot, (vivement)

Un mari ? Ah ! c'te fois, ma Fanchette, c'n'est point-z-une frime ?


Fanchette, (passant son bras sous le sien)

Tu l'verras ben j'suppose !


Loriot, (tendrement)

Et quand ça ?


Fanchette, (baissant les yeux)

Dame ! nous v'la en avril... et la chanson dit comme ça :
Dès que l'aubépin fleurira
La la la

Reprise en duo


Dès que l'aubépin fleurira
Le Pasteur, dit-on, tous deux les bénira
La la la

(Final)

Loriot


Y sont passé, ces jours d'orage
Les mauvais rêv's sont donc finis.


Fanchette


J'suis sûr' que nous f'rons bon ménage


Loriot


Et j'pari' ben qu'dans not' village



Ensemble :


On est plus heureux qu'à Paris (Bis)


Fin

Amélie Perronnet

20 avenue Trudaine