La Chanson des gueux/Ballade du Dégel

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Maurice Dreyfous (p. 136-137).


XVI

BALLADE DU DÉGEL



C’est le dégel aux pieds mouillés !
Dans le ciel, dont la toile écrue
A des tons jaunâtres rouillés,
On ne voit plus, lasse et recrue,
Filer en triangle la grue
Vers les lieux où l’oranger croît.
La boue immonde est apparue ;
Mais les pauvres n’ont plus si froid.

À travers bottines, souliers,
Chaussettes et bas, l’eau se rue.
Avec des sanglots gargouillés,
Les toits dégouttent dans la rue.
Leur larme salissante et drue
Sur le nez vous tombe tout droit
Comme une roupie incongrue ;
Mais les pauvres n’ont plus si froid.


Les gens les mieux mis sont souillés
Par la crotte, et la malotrue
Donne une allure de rouliers
Même à l’opulence ventrue.
Jusqu’à la femme qu’on a crue
Sans tache, et qui dans maint endroit
Se met de la boue en verrue !…
Mais les pauvres n’ont plus si froid.


envoi


Prince, grâce à la fange accrue,
Malgré votre pied très étroit
Vous avez l’air coquecigrue ;
Mais les pauvres n’ont plus si froid.