La Chanson des gueux/ Le vin triste

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Maurice Dreyfous (p. 222-223).


II

LE VIN TRISTE


J’ai du sable à l’amygdale.
Ohé ! ho ! buvons un coup.
Un, deux, trois, longtemps, beaucoup !
Il faut s’arroser la dalle
        Du cou.

J’ai le cœur en marmelade,
Les membres froids, l’esprit lourd.
Hé ! ho ! crions comme un sourd
Pour étourdir ce malade
        D’amour.

J’ai le nez blanc, l’œil qui rentre,
Le teint couleur de citron,
Le corps sec comme un mitron.
Je veux trogne rouge, et ventre
        Tout rond.


J’ai, pour guérir ma folie,
Pris un remède, dix, vingt ;
Et puisque tout fut en vain,
Je veux être une outre emplie
        De vin.

Que les verres soient mes armes.
Moi je serai leur fourreau.
Nous tuerons l’amour bourreau
Qui met dans mon vin mes larmes
        Pour eau.

Je ne bois pas, je me panse.
Au bruit du glouglou moqueur
Je fais taire ma rancœur.
Et j’enterre dans ma panse
        Mon cœur.