La Comédie en France au moyen-âge

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La Comédie en France au moyen-âge
Revue des Deux Mondes3e période, tome 108 (p. 814-841).
LA
COMEDIE EN FRANCE
AU MOYEN AGE

I. Les comédiens en France au moyen âge ; la Comédie et les mœurs en France au moyen âge ; Répertoire du théâtre comique en France au moyen âge, par M. L. Petit de Julleville. Paris, 1885-1886 ; Léopold Cerf. — II. Le Théâtre en France, par le même auteur. Paris, 1889 ; Armand Colin.

Lorsque, il y a quinze ans, M. Charles Aubertin publia le premier ouvrage français offrant dans un tableau complet le résultat des travaux poursuivis, depuis le XVIIe siècle jusqu’à nos jours, sur l’histoire de notre littérature au moyen âge[1], ce livre trouva un accueil très différent près des deux classes de lecteurs auxquelles il s’adressait. Les simples lettrés le reçurent avec empressement : ils pouvaient enfin se faire une opinion motivée sur une époque dont l’admiration leur était prescrite d’un ton impérieux, mais sans preuves suffisantes à l’appui, par les érudits qui en avaient fait leur domaine. Ceux-ci, au contraire, loin de savoir gré à l’auteur de ses efforts pour mettre leurs études en lumière, laissèrent percer quelque mauvaise humeur et le critiquèrent avec rudesse. Le livre, blâmé par ceux-ci et loué par ceux-là, était aussi bien fait qu’utile ; fruit d’un vaste labeur, il résumait une quantité confuse de travaux partiels avec une science et une justesse fort rares à ce degré et dans cet ordre d’études ; professé à l’École normale supérieure avant d’être écrit, il se distinguait par un caractère de clarté et de méthode dont un auditoire d’élite avait fait à l’auteur une loi. Sans doute, il y avait des erreurs de détail et assez nombreuses, mais elles étaient inévitables, car, dans un sujet aussi vaste, il eût fallu un spécialiste par chapitre, et somme toute, elles ne diminuaient guère la valeur de l’ensemble.

La sévérité des purs médiévistes envers ce travail tenait à plusieurs causes. L’érudit n’aime guère qu’un simple lettré domine le sujet où lui-même s’absorbe et il est porté à voir en lui un plagiaire ; il est peu lu et il a quelque rancune contre celui qui s’adresse à de nombreux lecteurs. Dans le cas particulier, les fervens du moyen âge, très complaisans pour l’objet de leurs études, s’en exagéraient l’importance ; or, le nouveau-venu, esprit juste et bien muni de comparaisons, ne pouvait partager leur enthousiasme ; par le fait même d’une exposition impartiale, il ramenait cet objet à sa valeur, considérable au point de vue historique, beaucoup moindre au point de vue littéraire. Les intéressés regardaient cette critique indépendante tout à la fois comme une irrévérence envers l’érudition, une erreur de jugement et une faute contre le patriotisme.

L’accueil fait à M. Aubertin n’a pourtant pas découragé un autre lettré, M. Petit de Julleville. Dans le sujet traité d’ensemble par son prédécesseur, il a repris une partie pour l’étendre dans des proportions considérables. Ce qui, dans l’Histoire de la littérature française au moyen âge, ne forme qu’un cinquième environ de l’ouvrage, a fourni, cette fois, la matière de trois volumes, uniquement consacrés au théâtre comique, et précédemment M. Petit de Julleville avait déjà publié un ouvrage complet sur les mystères. Le sujet est assez vaste pour se prêter à un pareil développement et il n’y a qu’à se féliciter de cette concurrence. D’autant plus que le nouvel auteur a les mêmes qualités d’esprit que l’ancien : absence d’engouement, méthode et clarté.

Je voudrais, sans oublier ce que nous devons à M. Aubertin, examiner les conclusions essentielles que M. Petit de Julleville tire de son enquête, c’est-à-dire rechercher ce qu’elle nous apprend sur le développement du génie comique dans notre pays. J’aurai à les contredire tous deux, car, si dégagés qu’ils soient de préjugés sur leur sujet, une étude aussi complaisante leur en a forcément laissé quelques-uns. Simple lecteur, il m’a suffi de me faire une opinion d’après les pièces du procès, rassemblées et éclaircies par eux. Au demeurant, cette divergence de vues n’enlève rien à ma reconnaissance et elle ne semblera pas, je l’espère, diminuer la valeur des travaux qui l’ont provoquée[2].


I

M. Aubertin regarde avec raison comme « fort vagues et fort lointaines, » les ressemblances que l’on peut, à la rigueur, découvrir entre la vieille comédie et celle du XVIIe siècle. Cependant il accorde que, si les soties et les moralités finirent complètement avec le moyen âge, la farce traversa la Renaissance pour se combiner, dans la première moitié du XVIIe siècle, avec la commedia dell’arte, et que son esprit, « perpétué à travers la série des imitations et des essais par où débuta pendant un siècle la comédie moderne, passant des formes gothiques aux formes savantes et les animant, tour à tour, de sa verve originale, » vint inspirer à la vraie comédie française, nationale et classique tout ensemble, » et « qu’on peut le reconnaître, dans les chefs-d’œuvre qui la représentent, à côté de l’influence antique et de l’élément étranger. » Cela est vrai, mais en partie seulement et avec de sérieuses réserves. Reprenant une idée déjà exprimée par Génin[3], M. Petit de Julleville, lui, est beaucoup plus affirmatif : « L’histoire de la comédie en France, dit-il, n’est pas, comme celle du drame sérieux, coupée par la Renaissance en deux moitiés distinctes. Entre le mystère et la tragédie, il n’y a véritablement rien de commun… Au contraire, l’histoire de la comédie, quoiqu’on puisse y distinguer des périodes et des tendances successives, ne présente pas une seule interruption bien tranchée de la tradition originale. Depuis le XIIIe siècle jusqu’à nos jours, on peut suivre, dans cette histoire, l’éclosion, puis le développement et les modifications nombreuses, mais lentement ménagées, d’un même genre littéraire toujours identique à lui-même, sous des formes diverses, pendant six cents ans. Ainsi s’explique, en grande partie, l’incomparable perfection où s’est élevé le genre comique en France. » Ceci me semble erroné, mais cela est spécieux et partant digne d’être discuté de près.

Si l’on peut admettre, avec M. Aubertin, que l’esprit de l’ancienne comédie, c’est-à-dire le genre d’observation auquel elle s’appliquait et le genre de ridicule qu’elle en faisait sortir, ont passé dans la comédie classique, il n’en résulte pas que cet esprit soit l’inspiration principale de celle-ci. Il semblerait, au contraire, que, comme tendance et comme objet, la comédie classique s’écarte complètement de celle du moyen âge, qu’elle agrandit le champ de l’observation primitive au point de la déplacer, et que, en fin de compte, l’esprit du moyen âge ne fut qu’une part, et la moins considérable, comme la moins bonne, de son inspiration. Quant à la forme de la comédie classique, elle ne doit rien à celle du moyen âge ; or la forme d’un genre, c’est-à-dire ses limites et ses moyens, n’est-elle pas ce qui lui donne son existence et sa raison d’être ? Mais loin d’admettre, avec M. Petit de Julleville, que la comédie du moyen âge a traversé la renaissance pour se continuer au XVIIe siècle et devenir la comédie classique par une série de modifications qui n’ont pas altéré son essence, je crois que la réforme de Ronsard et de ses amis n’a laissé passer qu’une part de l’ancienne comédie ; que, s’il n’y a pas eu ici comme ailleurs rupture complète avec le passé, il y a eu, du moins, transformation radicale ; enfin que le genre, au lieu de rester identique à lui-même, n’a survécu qu’à la condition de devenir tout autre chose que ce qu’il était. Ce qui revient à dire que la perfection où s’est élevée la comédie dans notre pays, au lieu de s’expliquer par la fidélité de ce genre à ses vieilles origines, se mesure au contraire à l’énergie avec laquelle il s’en est séparé pour se rattacher à un autre point de départ.

Pour établir ce que j’avance, il me suffira d’examiner, avec MM. Aubertin et Petit de Julleville, ce qui constitue l’esprit, la nature d’observation et les formes de la comédie au moyen âge, et de rechercher ensuite ce qui en est resté dans la comédie du XVIIe siècle. Si je trouve que celle-ci n’a rien retenu de ce qu’il y avait d’essentiel dans ces divers élémens et qu’elle l’a remplacé par des élémens non-seulement nouveaux, mais différens, non-seulement différens, mais opposés, ma démonstration sera faite. L’inspiration de la comédie au moyen âge est sensiblement la même, dans les trois formes principales de cette comédie : moralités, soties et farces, et nous pouvons déjà remarquer, en passant, que si le théâtre est fait d’invention et de variété, il n’y en eut jamais de plus pauvre que celui de ce temps-là. C’est un esprit de raillerie grossière, inspiré par un lourd bon sens, et dont l’obscénité est un des moyens d’expression favoris. Le sentiment de la délicatesse et de l’élégance, comme de la poésie, y est absent, ou peu s’en faut : il n’y a guère que deux pièces dans tout ce théâtre, le Jeu de la Feuillée et Robin et Marion, d’Adam de la Halle, qui accusent un effort heureux pour s’élever au-dessus des basses trivialités ; encore ces deux pièces sont-elles une exception par leur date, comme par leur objet. Elles remontent, en effet, au milieu du XIIIe siècle, alors que toute l’évolution comique du moyen âge est comprise dans les limites du XVe et du XVIe siècle[4]. Dans tout le reste, l’observation comique se borne à décrire ce qu’il y a de plus bas dans la vie et dans les mœurs, dans le fond permanent de l’homme et dans les habitudes particulières de son existence en ce temps-là. Quant aux idées morales qui inspirent cette observation, elles sont courtes, pauvres et laides. La comédie, forme particulière de la satire, repose, comme la satire elle-même, sur un double contraste : celui qui est dans les choses et celui qui existe entre les choses et notre esprit. Un vice s’ignore, agit et parle comme s’il était une qualité : contraste plaisant dans l’objet de la comédie ; mais ce contraste n’est saisi qu’au moyen d’un autre contraste, Savoir le mépris que nous avons pour ce vice et qui est un sentiment élevé, en opposition avec la bassesse de ce vice. De là vient que la peinture exacte d’un vice bas peut dénoter chez celui qui l’a tracée une âme généreuse ; telle est même l’impression que produisent sur nous les vrais et grands comiques, comme un Aristophane ou un Molière. Il peut arriver, au contraire, que, tout en se moquant d’un vice, un auteur dénote, par les sentimens qui inspirent sa raillerie, une âme médiocrement élevée au-dessus de son objet. Dans les deux cas, comédie à inspiration supérieure et comédie simplement imitatrice, le spectateur est solidaire de l’auteur, c’est-à-dire qu’il se laisse juger lui-même par le genre de spectacle auquel il se plaît ; ainsi le public qui a fait la fortune d’une pièce nous donne, par cela même, sur ses propres idées morales, des renseignemens qui ne trompent pas. Or, comédies, auteurs et spectateurs du moyen âge rentrent, malheureusement, dans la seconde catégorie ; ils dénotent une moralité très médiocre, lorsqu’elle n’est pas répugnante.

Le moyen âge eut des sujets permanens auxquels il revenait toujours, et d’autres accidentels. Parmi les premiers, les plus fréquens sont la satire de l’amour, des femmes, du mariage, des divers états et conditions de la société ; parmi les seconds, la satire de l’organisation sociale elle-même et celle des vices ou travers généraux.

Ce qui ressort, avant tout, de ces deux catégories de sujets, c’est la singulière dureté de cœur et d’âme avec laquelle ils sont traités. Les mésaventures dans lesquelles peuvent nous entraîner nos erreurs volontaires ou involontaires, les vices du caractère, les difformités physiques, la souffrance, n’excitent guère, au moyen âge, la pitié de l’auteur comique, même lorsqu’elles sont excusables. Il en rit d’autant plus fort que la victime est plus malheureuse ; c’est la cruauté inconsciente des enfans et des êtres sans réflexion. M. Petit de Julleville essaie d’expliquer et d’excuser cette infériorité morale : « L’époque, dit-il, sans être plus méchante qu’une autre, était dure à la souffrance et peu accessible à l’attendrissement. Cette facilité à rire des misères de l’homme, le moyen âge l’a transmise, adoucie, mais non diminuée, d’abord à la Renaissance, ensuite au XVIIe siècle. Il y a chez Molière, il y a chez Regnard des situations comiques qui, sur la scène, dans notre siècle, deviendraient purement pathétiques. Est-ce à dire que nos cœurs soient plus sensibles, ou notre sensibilité plus emphatique ? » La première alternative serait, je crois, le plus acceptable. Entre le moyen âge et notre temps, il s’est produit un grand progrès intellectuel et moral ; nous avons plus d’esprit et plus de cœur que nos aïeux, et notre comédie s’en ressent, comme bien d’autres choses.

Dès le XVIe siècle, en effet, cette cruauté n’est déjà plus ce qu’elle était au moyen âge ; au XVIIe siècle, elle s’est si bien transformée qu’elle a disparu. Lorsque Rabelais nous montre Panurge faisant noyer Dindenaut, pour se venger de simples railleries, il n’y a que plaisanterie pure ; outre qu’il s’agit ici de fantaisie et non de comédie, l’auteur s’amuse et amuse le lecteur, mais l’exagération est si évidente, que personne ne prend l’aventure au sérieux. De même pour l’histoire des Chicanoux et celle du sacristain écartelé par Villon, sur laquelle s’appuie M. Petit de Julleville ; de même, à divers degrés, mais de façon encore plus évidente, le tour joué par Panurge à la dame de Paris, la noyade des badauds parisiens au pied de Notre-Dame, la mort du prêtre Tappecu, etc. Au demeurant, la pitié et l’humanité, le respect de la souffrance et le sentiment de la solidarité humaine, absens au moyen âge, sont déjà dans Rabelais et assez sensibles. S’il y a, dans Molière, des spectacles dont il ne songe qu’à rire et qui sont vraiment pénibles pour nous, d’abord, ils sont assez rares : je ne vois guère en ce genre que l’aventure d’Amphitryon et celle de George Dandin. Mais, pour Amphitryon, l’éloignement mythologique et l’évidente vraisemblance du sujet, comme aussi la délicatesse de l’exécution, atténuent considérablement l’impression pénible qui pourrait en résulter. Quant à George Dandin, il est malheureux et il souffre ; mais, outre que son malheur est mérité par sa sottise, nous sentons, derrière la raillerie, quelque pitié pour le pauvre diable, assez nettement indiquée pour que, de nos jours, l’acteur croie servir la pensée du poète en s’efforçant de la faire sortir et, pour cela, de tourner le sujet à la tristesse. Quant à Regnard, il s’amuse et nous amuse avec des invraisemblances, qu’il ne prend pas au sérieux et que nous n’y prenons pas plus que lui : la persécution barbare infligée par Lisette et Grispin au vieux Géronte, qui en meurt, dans le Légataire universel, n’est qu’imagination plaisante et si, en ne s’arrêtant pas devant la mort, elle accuse une faute de goût, elle ne dénote pas un manque de cœur, car le poète n’a cru un instant ni à la réalité, ni à la possibilité de son sujet ; c’est de la fantaisie plus ou moins délicate, mais de la fantaisie pure. Ainsi, cette dureté du moyen âge, cette cruauté dans l’observation comique, que rien n’atténue ou n’explique, lui est-elle bien propre, et lui est-elle restée. Nous ne la retrouvons ni au XVIe siècle, ni au XVIIe siècle, encore moins au XVIIIe siècle, le siècle de l’humanité.

Il en est de même pour la grossièreté de l’amour, le mépris des femmes et la satire du mariage. Est-il même possible de trouver l’amour dans la littérature comique du moyen âge ? Il y a certes, et largement, l’exercice de la bonne loi naturelle, presque toujours poussée jusqu’à l’obscénité dans les idées, sinon dans les actes qu’il inspire, et encore plus dans les termes qui le désignent et les plaisanteries qu’il provoque ; mais l’amour lui-même, c’est-à-dire ce que, pour son honneur, la nature humaine tire de son esprit et de son cœur pour l’ajouter à l’instinct, c’est-à-dire le choix et la tendresse, ne se trouve pas plus dans les farces que dans les moralités et les soties. Quant aux femmes, le moyen âge ne les voit guère d’un autre œil que le vieux Caton ; c’est toujours pour lui l’animal indomptable, trompeur, malfaisant, incapable de raison, dont on ne vient à bout, relativement, que par la contrainte et les coups. Il n’est pas de mon sujet de rechercher si, vraiment, les chansons de gestes et les romans les idéalisent, comme l’amour, autant qu’on l’a dit ; il me suffit de constater qu’au total la littérature épique ou sentimentale du moyen âge, lorsqu’elle n’est pas subtile et pédante, est singulièrement positive et grossière. Quant à la comédie, elle est d’avis, et très sincèrement, « que les femmes ne valent rien. » Faire-bien n’en peut rien tirer, leur seul maître est Fol-conduite. Incapables de science, « vérité est leur adversaire ; » intarissables bavardes, aigres, avides de divertissement, inconstantes, dépensières, elles réservent à leurs maris querelles, fausseté, jalousie, ruine, et les malheureux ne tirent de leur sort que cette réflexion mélancolique, éternellement justifiée : « Mauldit soit l’heure que jamais mariez je fus ! » S’ils se résignent et acceptent l’amant, il y aura peut-être pour eux tranquillité, et profit par surcroît ; c’est le conseil que semble donner, de façon toute naturelle, l’auteur de « Colin qui loue et dépite Dieu en un moment à cause de sa femme. » Entre une femme honnête et acariâtre et une coquette enjôleuse, mieux vaut la coquette, avec laquelle il suffit d’être complaisant. Foncièrement rusées et perfides, tout chez elles, paroles aimables, bons procédés, caresses, n’est que piège et doit mettre en défiance. Dans la Pipée, une des rares pièces de ce théâtre qui s’élèvent au-dessus de la platitude et dénotent quelque finesse d’invention, l’héroïne de la pièce, Plaisante-folie, n’a qu’un but : prendre et plumer les oiseaux qu’attirent ses chansons.

Tel est, pour la comédie du moyen âge, le rôle éternel des femmes, et la morale présentée ici d’une façon ingénieuse, quantité d’autres pièces la présentent de façon grossière. Si le mari se soumet, par faiblesse de caractère ou amour de la paix, le plus souvent son existence devient un enfer ; les exigences de sa femme lui font de la vie le plus intolérable et le plus humiliant des martyres ; ainsi, pour le Jaquinot du Cuvier. Mieux vaut les battre, car, si le bâton ne parvient pas à changer leurs défauts en vertus, du moins les maintient-il dans une soumission relative. A peine si M. Petit de Julleville peut relever, dans tout ce répertoire comique, quatre ou cinq exceptions à cette philosophie pessimiste des femmes et de l’amour. La tendresse maternelle et la reconnaissance qu’elle doit inspirer aux hommes sont décrites en cinq jolis vers, sans plus, dans la farce le Vieil amoureux et le Jeune amoureux. Il signale encore une gracieuse idylle de jeunesse, à la fois railleuse et sincère, plaisante et doucement émue, dans le dialogue des Deux amoureux récréatifs et joyeux, de Clément Marot ; mais n’est-ce pas sortir à la fois du domaine de la comédie et de celui du moyen âge ? Avec Maistre Mimin, qui appartient encore au XVIe siècle, la farce avoue que l’amour vaut mieux qu’une science pédante pour faire l’éducation d’un homme et le polir. C’est encore au temps de François Ier, chez Marguerite d’Angoulême, reine de Navarre, que l’on trouve une fine et profonde apologie de l’amour qui, dit-elle, ne donne jamais le bonheur espéré, et qui passe vite, mais dont les souffrances mêmes sont délicieuses, et des femmes, qui, dans leurs fautes, sont plus à plaindre qu’à blâmer.

On le voit, c’est surtout le XVIe siècle qui ménage les transitions pour amener la littérature comique à une autre conception de l’amour. Telle que nous la trouvons au siècle suivant, de Scarron à Regnard, à travers Molière, cette conception est radicalement différente. L’amour, qui tenait si peu de place dans les pièces du moyen âge, est maintenant le cadre obligé, souvent le fond de toute comédie. Il intéresse par lui-même ou prête son intérêt aux autres sentimens. Dans chaque comédie nouvelle, il y a une intrigue amoureuse, indiquée dès le début, développée à travers l’action et vers le dénoûment de laquelle marche toute la pièce : l’amour est contrarié ou favorisé par les autres sentimens, mais toujours il exerce sur eux son action, au moins autant qu’il reçoit la leur. Il s’agit de nous faire connaître deux amans, de nous intéresser à eux, de nous faire désirer leur bonheur ; les passions diverses qui s’agitent autour d’eux reçoivent d’eux leur raison d’être et leur intérêt. Non-seulement le rôle et l’importance de l’amour ont changé, mais sa nature même. L’instinct qui le dominait est réduit à un rôle secondaire par le sentiment, c’est-à-dire par la passion et la galanterie. Il est délicat, respectueux, ingénieux, source de toute élégance et de toute politesse. Les femmes qui l’inspirent conservent les traits permanens de leur nature, la finesse ou même la ruse ; elles ne sont pas toujours très franches, mais elles ont de la délicatesse, une réserve relative, souvent de la sincérité. On les flatte, on les respecte, on les adore, et elles sont dignes de ces égards. Avec leurs traits communs, ces amoureuses forment une galerie variée et charmante de figures féminines, vraie d’une vérité générale ou particulière, riche de types généraux et de physionomies individuelles, alors que celles-ci sont tout à fait absentes de la littérature comique du moyen âge, qui n’a su peindre aucun caractère de femme ; ingénues ou coquettes, sentimentales ou hardies, elles représentent vraiment la femme française, à une époque déterminée de son histoire et de notre civilisation. Dans le mariage, beaucoup d’entre elles sont déplaisantes et vicieuses, puisque la comédie est consacrée surtout à la peinture des ridicules et des vices, mais un aussi grand nombre présentent la vie avec elles comme supportable, ou même agréable, parfois délicieuse, malgré le mot de La Bruyère. Elles ont des qualités sérieuses, le dévoûment à leur famille, le ferme bon sens, la dignité du caractère et de la conduite, relevés de charme ou d’agrément par leur esprit naturel de finesse, d’habileté et de mesure, par leur sentiment de l’élégance et le charme qui se dégage d’elles. Aussi n’est-il plus besoin de les rudoyer ni de les battre, sauf exceptions assez rares et qui, dans le Médecin malgré lui par exemple, n’atteignent que la femme du villageois resté vilain et grossier.

Cette notion nouvelle de l’amour, des femmes et du mariage n’est-elle pas complètement opposée à celle du moyen âge, et peut-on dire, à ce point de vue, qu’il soit rien resté de la comédie de ce temps dans la comédie du XVIIe siècle, bourgeoise, populaire, ou aristocratique ?


II

Pour la satire des conditions sociales, il y a lieu d’abord de remarquer qu’elle est singulièrement pauvre, et il est difficile d’admettre, avec M. Petit de JuIIeville, que l’on y trouve le « tableau animé et vivant » d’une société. Il estime d’abord qu’elle nous offrirait, en rassemblant les traits épars dans les moralités et les soties, « le mot de l’opinion nationale, ou, du moins, de l’opinion publique, sur les choses de l’État. » Certes, ce serait là une originalité inconnue de l’époque classique, partant une supériorité du moyen âge. Essayons cependant de rassembler les élémens de ce témoignage.

Dans la « farce morale de Métier, Marchandise, le Berger, le Temps, les Gens, » représentée aux environs de 1440, — c’est-à-dire peu de temps après la guerre de cent ans et aussitôt après la révolte de la Praguerie, dirigée par les grands seigneurs ayant à leur tête le dauphin Louis, le futur Louis XI, contre Charles VII et ses utiles réformes (organisation nouvelle du parlement, pragmatique sanction, réunion des états-généraux, création d’une armée permanente), — Marchandise se plaint que le commerce ne va pas et Métier fait chorus, le Berger porte sa misère en chantant, le Temps annonce, par son costume et quelques mots à double entente, qu’il y a des troubles et des tempêtes dans l’air, et, tout en s’étonnant qu’on se plaigne de lui, ce qui est illogique, il se plaint lui-même des Gens, c’est-à-dire de tous les esprits faux, brouillons et ambitieux. On peut supposer que ces Gens désignent les conspirateurs ligués contre le roi, mais ils ne sont pas autrement spécifiés. Les Gens, toutefois, changent assez vite d’humeur et de costume : « Dieu et le roi » les ont transformés, ils vont rester tranquilles et travailler au bonheur commun. Ils prennent donc sur leurs épaules Métier, Marchandise et le Berger, et les élèvent en l’air ; « pensée démocratique, » dit M. Petit de Julleville. Et c’est toute la pièce ; bien faible d’invention, comme on le voit, et singulièrement pauvre en renseignemens sur l’état des esprits. Pas un détail topique, pas un trait frappant dont un historien puisse faire son profit ; pas une allusion claire et nette à un événement déterminé. J’en dirai autant de la bergerie Mieux-que-devant, qui se rapporterait aux vexations exercées sur les paysans par les gens de guerre ; de « la farce nouvelle de Marchandise, Métier, Peu-d’acquêt, le Temps-qui-court et Grosse-dépense, » provoquée par les nouveaux impôts qu’exigeaient les réformes de Charles VII ; du monologue du Pèlerin passant, qui raille innocemment les travers de Louis XII, bon, mais avare ; de la sotie du Nouveau-Monde, dirigée contre la pragmatique sanction, et qui est un pur galimatias ; de la farce de la Résurrection de Jenin Landore, et même de la grande sotie de Pierre Gringore, le Jeu du prince des sots, inspirée, sinon commandée, paraît-il, par le roi lui-même, pour préparer l’opinion à la guerre contre le saint-siège. Dans tout cela, avec la pauvreté ordinaire de l’invention, l’observation est si superficielle, qu’elle ne nous apprend rien que nous ne sachions par ailleurs ; ou, plutôt, au lieu que ces pièces éclairent pour nous l’histoire, c’est par l’histoire seule que nous parvenons à les comprendre.

Mais, si peu qu’il y ait de satire politique dans la comédie du moyen âge, la comédie classique n’en devait rien prendre, sauf avec Beaumarchais, si peu classique lui-même, bien qu’il appartienne à l’ancien répertoire, et fort peu préoccupé du moyen âge. Il est trop certain que, à part cette exception, se voyant interdire tout sujet de ce genre par l’autorité de plus en plus répressive des rois de France, elle ne nous a donné rien de semblable à la comédie d’Aristophane ; même aux époques de trouble et de révolte, c’est par d’autres moyens, — la chanson et le pamphlet notamment, — que la satire politique s’exerçait dans notre pays.

La satire des simples conditions, abstraction faite du pouvoir, devait forcément être moins timide. Que nous apprend-elle et s’est-elle continuée aux siècles suivans ?

« La plus célèbre et la plus piquante » des soties, le Monde, Abus, les Sots, nous présente Abus, faisant naître Sot dissolu, habillé en homme d’église, Sot glorieux, habillé en gendarme, Sot corrompu, habillé en juge, Sot trompeur, habillé en marchand, Sot ignorant, qui ne vise expressément aucune condition, mais représente, bien entendu, la sottise ignorante, et Sotte-Folle qui personnifie les femmes. Ce n’est rien moins que la traduction sensible et complète d’une idée philosophique, qui avait donné naissance aux confréries de sots et à leurs pièces, savoir que la sottise mène le monde ; idée trop générale et insuffisamment justifiée, au moins comme preuves tirées des sujets, par cette part de notre ancien répertoire comique. L’ambition d’un tel sujet ne se justifie pas davantage ; les personnages ainsi dénommés agissent et parlent sans intérêt[5] ; ils multiplient les abstractions et les entités dont ils sont sortis eux-mêmes, bâtissant un nouvel édifice social avec les vices et les travers que chacun d’eux personnifie jusqu’à ce que ce Monde-Nouveau s’écroule sur leurs têtes et qu’ils disparaissent pour rentrer dans le sein de la Confusion, laissant au Vieux-Monde le soin de relever l’édifice primitif et de tout remettre en place. Je n’insisterai pas sur l’absence de vie, de mouvement, d’action, partant d’intérêt, qui est la même pour tous ces pâles fantômes ; avec eux rien ne monte sur le théâtre que la subtilité stérile et la puérilité d’esprit, qui sont les deux vices intellectuels du moyen âge. Remarquons seulement que l’inspiration d’où ils sortent disparaît aux siècles suivans ou ne s’y retrouve que transformée. D’abord, la conception des soties, trop générale à la fois et trop simple, sur la sottise fondamentale du monde, fait place à une notion plus réfléchie et plus variée de l’homme et de la vie. Scarron, Molière et Regnard exaltent la nature, chacun à sa manière, et montrent le ridicule de ceux qui veulent la contrarier ou l’altérer ; Le Sage, Marivaux, Beaumarchais s’attachent de préférence à quelque vice, comme la cupidité, aux complications ou aux déviations d’un sentiment naturel, comme la lutte de l’amour contre lui-même, à la satire générale de l’organisation sociale, comme celle de l’ancien régime finissant. Mais si le XVIIIe siècle a sa conception a priori de la nature humaine, comme la sienne est différente 1 Il n’y a de sots que les gens en place, selon Beaumarchais ; il considère ses contemporains et lui-même comme pleins de raison et capables d’exercer immédiatement tous les droits que cette qualité suppose.

Les pièces moins ambitieuses d’objet ne nous apprennent guère plus et ne se survivent pas davantage. Soties, farces et moralités donnent une large place à la satire non de la foi, universellement respectée, mais de l’Église et de ses dignitaires avides, de ses curés licencieux, surtout de ses moines paresseux et gourmands. Ainsi dans la moralité de l’Église, Noblesse et Pauvreté qui font la lessive, dans les farces des Trois brus, des Pauvres diables et du Meunier. Elle raille les faux braves dans les farces de l’Aventureux, de Colin fils de Thenot le maire, du Franc archer de Bagnolet et du Franc archer de Cherré ; les chevaliers d’aventure dans le dialogue de Messieurs de Mallepaye et de Baillevent ; les gueux populaires, dans les farces du Pâté et de la Tarte, du Porteur d’eau ; les charlatans, dans le monologue de la Fille batelière ; les valets vicieux et facétieux, dans le monologue du Clerc de Taverne, et la parade de Maistre Mimin le Goutteux ; les avocats faméliques et les marchands peu scrupuleux, dans la Farce de maistre Patelin. Partout du très petit monde et de très petites gens ; on a justement remarqué que cette comédie ne donne, pour ainsi dire, aucune place aux classes élevées ou moyennes, et cette lacune n’est pas une des moindres causes de sa bassesse[6]. Dès le XVIe siècle, ces sujets disparaissent ou se transforment en s’élargissant. Ainsi, la satire contre les gens d’église ne produit plus guère que Tartufe, soit que fortement appuyée sur la royauté, qui s’appuie également sur elle, l’Église jouisse de la même immunité, commandée par le respect ou la crainte, soit que, par la réforme de sa discipline, elle ne prête plus aux mêmes attaques. Quant à Tartufe, c’est un chef-d’œuvre unique, auquel rien ne se peut comparer, à aucun point de vue, dans la littérature dramatique, jusqu’au Basile du Mariage de Figaro, autre exception, dont la hardiesse annonce des temps nouveaux ; et, tout au moins dans Tartufe, l’inspiration de la satire est non-seulement différente de ce qu’elle était au moyen âge, mais opposée : en effet, c’est moins aux vices des personnes qu’elle s’attaque, quoi qu’elle en dise ou en pense, qu’au dogme et à la morale. Pour les autres sujets, s’ils subsistent, c’est qu’ils sont le fond permanent et éternel de la comédie, comme de la nature humaine elle-même ; mais ils ne sont plus traités de la même manière ni au même point de vue. Le faux brave du XVIIe siècle, moitié Espagnol, moitié Français, n’a point le même genre de vantardise ou de peur, la même allure, le même langage que le franc archer ou le routier ; les chevaliers d’aventure sont devenus des chevaliers de cour ou d’antichambre et parlent le langage du bel air ; les gueux populaires se sont transformés en valets à la façon latine ou italienne ; les gens de loi ne sont plus des friponneaux en quête d’une robe, mais des hommes d’affaires étourdissant leurs dupes par leur jargon de basoche.

Si les caractères généraux ont été employés par la comédie du moyen âge, c’est toujours pour la même raison : ils font partie du fonds nécessaire et permanent de la comédie, qui sans eux cesserait d’exister ; celle du moyen âge eut donc des avares, des jaloux, des envieux, des hypocrites, etc. Mais quelle pauvreté constante dans l’invention comme dans l’observation, dans les sujets comme dans la mise en œuvre ! Le Sermon joyeux des fous, reprenant l’idée favorite de la sotie, que tous les hommes sont fous, énumère les diverses sortes de fous et cherche à les caractériser : il y a les fous par jalousie qui ont « femme honnête, plaisante et mesnagère fort diligente », innocente surtout, et qui, cependant, la soupçonnent ; il y a les amoureux qui errent la nuit, par les rues, affrontant la pluie, le vent et le froid, pour entrevoir leurs belles à travers une fenêtre ; il y a des fous de contrée et de région, les Allemands et les Angevins qui sont ivrognes, les Picards, coureurs de femmes, les Gascons, fous légers, les Poitevins, fous rusés, etc. ; enfin les fous de profession. Aucune espèce, du reste, n’est caractérisée en traits plus expressifs ni plus profonds, et c’est à cette sèche nomenclature que se borne l’observation comique du moyen âge. La farce des Bâtards de Caux combine la comédie de caractère avec la comédie de mœurs ; elle met en scène le droit d’aînesse, mauvaise loi, qui « à l’un donne tout le bien », et aux autres « rien trétous » ; d’où l’avarice chez l’aîné, qui, libre de pourvoir ses frères et sœurs à sa guise, les traite de façon dérisoire : de l’un il fait un marchand d’allumettes ; à l’autre, qui veut être prêtre, il dit des injures ; à sa sœur, qui veut s’établir, il donne quelques légumes, une ceinture, deux couteaux et deux chemises. Et voilà une étude de l’avarice, déterminée par un milieu et des institutions particulières. La sotie de la Folle Bombance met en action cette vérité qu’il ne faut pas tout sacrifier au luxe, au plaisir et à la bonne chère, et nous donne, par surcroît, comme une esquisse du Bourgeois gentilhomme, avec le marchand qui vend ses bœufs pour s’habiller à la mode, « vestir le velours, porter robes fourrées, des pourpoints de satin à grandes manches, des chemises blanches de Hollande et des collets à la mode napolitaine. » C’est tout, et tel est le degré d’exactitude, de relief et de finesse avec lesquels, au temps de Louis XII, la comédie prétendait représenter un ancêtre de M. Jourdain.

Ces informes essais nous sont pourtant offerts comme les premiers essais, sinon les premiers modèles de la grande comédie en France. Mais il est d’autant plus difficile de partager cette opinion qu’elle s’appuie sur des analyses exactes et détaillées, qui sont chacune autant de preuves à l’appui de l’opinion contraire. Par là, M. Petit de Julleville nous conduit à cette conclusion que, les sujets étant les mêmes, parce qu’ils ne pouvaient pas être différens, et la comédie puisant autrefois, comme aujourd’hui, dans le fonds de nos vices et de nos travers, la comédie classique n’a laissé des œuvres intéressantes et durables que parce qu’elle traitait ces sujets et exploitait ce fonds tout autrement que la comédie du moyen âge. Ce que le moyen âge se contentait d’apercevoir et indiquer d’un trait vague et mou, l’époque suivante l’a profondément étudié et reproduit avec vigueur ; où il s’appesantissait, elle passait ; où il ne s’arrêtait pas, elle insistait longuement ; mais surtout, où il ne savait ni inventer, ni combiner, répétant à l’infini des types élémentaires, elle a créé des formes et des genres, avec leurs règles nécessaires, et se développant avec une force personnelle et durable de vie et de fécondité ; c’est-à-dire qu’elle a fait œuvre littéraire.


III

Mais c’est justement ici et sur le sens de ce mot « littéraire, » que porte le vif du débat. En effet, une opinion volontiers reprise par les historiens de la littérature française au moyen âge, pour en tirer un éloge de leur objet, c’est la spontanéité et l’absence de réflexion propres à cette littérature, en opposition avec l’artifice et les procédés voulus de l’époque classique. M. Petit de Julleville n’est pas, sur ce point, d’un autre avis que la majorité des médiévistes : « Nos farces, nos moralités, nos soties, dit-il, ne sont pas des œuvres littéraires. La comédie, au moyen âge, composée pour plaire au peuple, non pour plaire aux lettrés, s’est développée au hasard, sans nul souci de style et d’arrangement. » D’où l’absence de cette convention, chère aux époques classiques, la distinction des genres : « La distinction absolue des genres, ajoute-t-il, est une conception, je n’ose dire fausse, mais factice, qui n’appartient qu’aux époques de littérature polie et savante. » La Renaissance et le XVIIe siècle auraient donc fait perdre ces précieuses qualités à notre littérature dramatique ? M. P. de Julleville ne le dit pas expressément ; il regrette toutefois, en se défendant d’exprimer un regret, que la conception dramatique du moyen âge ait été remplacée par une autre, et justement à propos de la Renaissance, il écrit : « L’entreprise de fonder en France un théâtre national animé, pathétique, original, qui ne dût rien à l’antiquité[7], rien aux nations voisines, avait, dès lors, définitivement échoué. Sans doute, la perfection de notre théâtre classique ne laisse place à aucun regret ; mais qu’on n’oublie pas qu’entre la moralité de l’Empereur qui tua son neveu et le Cid, il s’est écoulé plus de cent ans ; un long siècle, tout plein d’inutiles efforts, de tentatives avortées ; et vide, ou bien peu s’en faut, d’œuvres dramatiques dignes de mémoire. » Voici qui est encore plus explicite : « La comédie du moyen âge n’avait jamais imité ; elle est souvent médiocre, mais elle est toujours elle-même. Au contraire, la comédie de la Renaissance (et c’est par là surtout qu’elle se distingue de ceux à qui elle succède) a puisé largement aux sources anciennes ou étrangères, surtout chez les Latins et les Italiens. Ces derniers lui ont fourni tout l’imbroglio, inconnu au moyen âge ; déjà complexe, mais encore monotone à l’époque de la Renaissance. Un peu plus tard, la comédie croyant avoir épuisé Plaute, Térence, l’Arioste, empruntera aux Espagnols ; et ce procédé avoué d’imitation, de traduction, autorisé par d’heureux exemples, régnera sur la scène française et dans le roman, jusqu’à la fin du XVIIe siècle. » Ce qui n’empêche pas M. P. de Julleville de reprendre, aussitôt après, la thèse sur laquelle repose son livre et de redire que les traces de la comédie du moyen âge se retrouvent « persistantes, quoique affaiblies, en pleine Renaissance, et jusqu’au plus beau temps de la comédie classique ; » que « la farce, la sotie, la moralité, se survivent à elles-mêmes, sous des noms nouveaux, sous des formes rajeunies ; » que « les plus illustres de nos auteurs comiques modernes doivent quelque chose à la comédie du moyen âge, qu’ils n’ont jamais lue peut-être, » car « l’analyse des caractères nous vient des moralités, l’esprit frondeur nous vient des soties, mais avant tout, la franchise comique et cette naïveté, cet effort vers le vrai dans la peinture du ridicule, qui sont les meilleures qualités de nos bonnes comédies, nous viennent en partie des farces. »

J’ai tenu à présenter au complet toute cette argumentation, parce que, à mon sens, elle contient deux ou trois des plus graves erreurs qu’une faveur excessive pour la littérature du moyen âge ait mises en circulation, et qu’il importe grandement de les réfuter, si l’on tient à la juste appréciation de notre développement littéraire, comme au maintien de nos justes admirations et à la sûreté de notre goût ; le goût, faculté gênante dont les médiévistes nous recommandent de nous débarrasser pour mieux admirer l’objet de leurs préférences et qui n’est autre chose en littérature que la justesse du sens et la liberté du jugement. Il me semble, au contraire, que ce qui empêchera toujours le théâtre du moyen âge de prendre dans l’histoire de notre littérature la place réclamée pour lui, ce qui le maintiendra toujours à l’état d’objet d’étude pour les érudits, c’est justement cette absence de réflexion dans les œuvres et de distinction dans les genres dont on lui fait un mérite ; que son originalité ne vaudrait quelque chose qu’à la condition de représenter des qualités et que ces qualités n’existent pas ; que la Renaissance et le XVIIe siècle, en remplaçant ce théâtre qu’ils n’ont pas tué, mais qui est mort de lui-même, ont rendu le plus grand service à la littérature française ; que, s’il y a eu cent ans d’efforts entre les dernières moralités et le Cid, ces efforts n’ont pas été stériles, puisque le théâtre classique en est sorti ; que l’imitation de l’antiquité, de l’Espagne et de l’Italie par la comédie classique fut heureuse, puisqu’elle nous donna une valeur littéraire qui nous manquait ; enfin que la persistance des genres comiques du moyen âge à travers la comédie classique ne se trouve pas à l’examen.

La littérature ne doit pas son intérêt et sa durée simplement à ce qu’elle est une fonction de l’esprit humain, et, à ce titre, toujours digne d’être étudiée, quelle que soit la valeur de ses résultats : à ce point de vue, elle ne relève que de l’histoire naturelle, de la physiologie, de la psychologie, c’est-à-dire de la science, mais non de la critique littéraire. Elle n’existe que lorsque l’activité intellectuelle, dont elle est le produit, réalise certaines qualités de force ou de grâce, d’émotion ou de charme, de beauté plastique surtout. Là où il n’y a point d’arrangement et de style, il n’y a pas de littérature ; il n’y a style et arrangement que lorsqu’il y a réflexion, et dès qu’il y a réflexion, il y a distinction et classification[8]. Peu importe que l’œuvre littéraire s’adresse au peuple ou aux lettrés, elle doit valoir par elle-même et sa valeur littéraire ne dépend pas de la culture intellectuelle de ceux qui s’y plaisent. L’Iliade et l’Odyssée, œuvres puissantes et gracieuses, s’adressaient au peuple et elles le charmaient, parce que ce peuple était capable de les goûter ; de même, les moralités, les soties et les farces, œuvres grossières et de médiocre valeur, plaisaient au public du moyen âge, peuple ou seigneurs, parce qu’il était grossier comme elles. Le style, est-on forcé de le redire ? c’est le degré d’énergie et de clarté, de couleur et de justesse auquel le génie ou le talent peuvent relever nos pensées, indifférentes en elles-mêmes et qui, sans lui, seraient comme si elles n’existaient pas ; l’arrangement, c’est l’ordre et la lumière mis dans le résultat confus de notre activité morale, dans l’expression de nos sentimens et de nos passions, semblables comme essence, partant indifférentes, chez tous les hommes, jusqu’à ce que l’originalité d’une nature ou d’un talent, chez celui qui agit ou chez celui qui raconte, leur ait valu l’intérêt. Et c’est justement parce que le moyen âge n’a pas eu le don du style et de l’arrangement qu’il a fait si rarement œuvre littéraire ; c’est lorsque, par hasard, il les a rencontrés qu’il a laissé quelques vers, quelques phrases dignes de durer et de faire que, somme toute, il a une littérature et une existence littéraire. La distinction des genres, c’est la notion que la littérature prend d’elle-même, de ses moyens et de son but, par l’expérience et la réflexion ; c’est la forme littéraire de l’ordre et de la méthode, sans lesquels il n’y a pas plus de littérature qu’il n’y a de science. Et cette conception n’est ni fausse ni factice ; résultat de l’activité de l’esprit, elle est d’autant plus rigoureuse que cette activité est plus puissante et plus heureuse dans ses résultats ; elle atteste en se produisant, que l’esprit prend notion de lui-même et que la virilité succède à l’enfance. Si le XVIe siècle a pu nous rendre le style, l’arrangement et la distinction des genres, c’est que l’esprit français s’émancipait enfin, à la notion pleinement retrouvée de l’antiquité. Ne regrettons pas, au point de vue du théâtre, l’effort séculaire de la Renaissance pour trouver une forme nouvelle, durable et féconde, puisque cette forme elle l’a trouvée, et que, ici comme en tout, ce n’est pas la durée de l’effort qui importe, mais le résultat. Sans doute, la littérature nouvelle n’est pas sortie seule de notre sol ; il a fallu que ce sol fût fécondé par des germes étrangers ; mais l’essentiel était que ce sol fût fécondé, que cette littérature naquît, qu’elle fût riche en œuvres et que ces œuvres fussent belles. Triste originalité que celle qui consiste à demeurer stérile, à ne rien réaliser de complet et de durable, à ne présenter que le contraire de la beauté et de la force. Si, à l’action de l’antiquité, pour faire naître une littérature dans notre pays, s’est jointe celle de l’Italie et de l’Espagne, c’est que ces deux pays nous avaient précédés dans le renouveau littéraire et qu’il fallait nous mettre à leur école pour apprendre ce qu’ils savaient avant nous, les égaler d’abord, les dépasser ensuite. Car, tel a été le résultat : nous avons fini par ajouter aux œuvres antiques, modèles des nôtres, des œuvres qui les valaient ; élèves des Italiens et des Espagnols, nous sommes bientôt devenus leurs maîtres et ceux de l’Europe. Enfin, la littérature sortie de cette triple imitation est pleinement originale ; elle réalise une conception de la beauté littéraire qui n’existait pas avant elle ; si elle était supprimée, l’esprit humain perdrait quelques-uns de ses plus nobles titres. Et l’on veut que son avènement laisse place à quelque regret ; on lui oppose le bavardage enfantin ou sénile du moyen âge ; on demande pour celui-ci tantôt la préférence et tantôt l’égalité, tout au moins beaucoup de place et d’attention. Il y a là une erreur et qui ne saurait durer.


IV

Voyons, enfin, ce que le moyen âge avait trouvé comme formes comiques et si la littérature classique en a retenu quelque chose.

Ces formes se ramènent à trois principales : la moralité, la farce et la sotie. La moralité est, comme son nom l’indique, une pièce à intention morale ou didactique qui met en scène des abstractions personnifiées représentant des vices, des vertus, des caractères et des conditions sociales. La farce ne se propose que d’exciter le rire par une satire joyeuse, encadrée dans une anecdote dialoguée, une actualité, un fait scandaleux. La sotie est une farce jouée par une confrérie de sots, c’est-à-dire de bouffons organisés en société et s’amusant à traduire l’idée de la sottise universelle avec une hiérarchie, des emplois et des costumes traditionnels. À ces trois genres principaux se rattachent d’assez nombreuses variétés dont les principales sont le sermon joyeux, parodie des prédications d’église, et le monologue, genre très ancien et très fécond, qui a reparu dans ces dernières années et dont chacun de MM. Coquelin s’est cru le père avant de l’adopter en commun[9]. Ces formes sont à la fois fixes et flottantes, indécises et très déterminées ; elles empiètent les unes sur les autres et se confondent souvent au point de rendre malaisée la classification de telle ou telle pièce ; mais, en somme, il n’est pas une pièce comique au moyen âge qui ne rentre dans une de ces trois catégories ou dans les trois à la fois. C’est donc à cela que s’est bornée l’invention comique du temps ; que vaut en elle-même chacune de ces formes ?

Sortie du Roman de la Rose, né lui-même de l’esprit scolastique, la moralité a tous les caractères de monotonie, de froideur et de sécheresse propres à cet esprit. Les passions et les caractères, qu’elle se propose de peindre, elle ne sait pas les incarner dans des personnages vivans, à la fois typiques et individuels ; elle se contente de produire sur la scène des entités, toujours désignées par un nom commun, jamais par un nom propre, figures métaphysiques et abstraites qui parlent beaucoup, agissent peu et dialoguent sur des abstractions. D’intérêt personnel, ce genre de pièces ne saurait en avoir ; quant à l’intérêt général, la psychologie du moyen âge est si élémentaire, si timide, si étroitement attachée aux mots, faute d’indépendance et de pénétration pour aller jusqu’aux choses, que l’ensemble des moralités ne nous apprend rien sur la nature et le fonctionnement de notre activité. Il se peut que le souvenir d’Aristophane et de la vie intense qu’il savait donner aux êtres abstraits nous rende exigeans pour les moralités ; mais juger c’est comparer, et une œuvre littéraire n’a de valeur que lorsqu’elle supporte les comparaisons. Qui connaît une moralité les connaît toutes, et le procédé est toujours le même ; c’est la même façon d’imaginer, de nommer et de faire parler des personnages de même nature. Quant à l’action et à la progression de l’intérêt, à la marche régulière vers un dénoûment prévu, il n’y en a trace ou peu s’en faut : la pièce se compose d’une série de dissertations plus ou moins longues et plates qui commencent et s’arrêtent sans autre raison que l’auteur l’a voulu ainsi et que le temps normal d’une représentation était écoulé. Pas de sujet, à proprement parler, c’est-à-dire une action ayant un commencement, un milieu et une fin, mais un prétexte à dissertations ; pas d’intrigue, c’est-à-dire une complication d’aventures, déroulée suivant une certaine logique, mais des allées et venues sans lien nécessaire ; pas de dénoûment, c’est-à-dire de conclusion acceptable, mais un arrêt quelconque de la pièce.

M. Petit de Julleville estime pourtant que ce genre est devenu « la grande comédie de mœurs, la comédie classique par excellence, où le poète s’efforce d’incarner, dans un personnage unique, un type entier, un caractère universel. » Il y aurait ici lieu de distinguer, car la comédie de mœurs et la comédie de caractère ne sont pas, il s’en faut, une seule et même chose ; mais il suffit, pour le moment, de signaler cette confusion. M. Petit de Julleville essaie donc de justifier son avis par la comparaison suivante : « Prenez le Misanthrope, et supposez qu’Alceste, au lieu de porter un nom d’homme, s’appelle Misanthropie ; que Célimène s’y nomme Coquetterie ; Philinte, Optimisme ; Arsinoé, Prudence ; les deux marquis, Sottise et Fatuité ; le Misanthrope serait-il autre chose qu’une pure moralité ? » Il y a un inconvénient à cette hypothèse : c’est qu’aucun des personnages du Misanthrope ne peut se changer en abstraction sans devenir inintelligible et cesser d’exister : chacun d’eux, en effet, n’est pas le misanthrope idéal, la coquette abstraite, etc., mais un être déterminé, dont la nature se compose de plusieurs élémens particuliers, entre lesquels il en est un de dominant, mais qui ne supprime pas les autres et qui reçoit à son tour leur action. Par suite, si Alceste n’est pas un homme mûr, non-seulement misanthrope, mais ardent, amoureux, fier, brusque et maladroit, si Célimène n’est pas une jeune femme non-seulement coquette, mais rusée, spirituelle, égoïste et fausse, etc., le Misanthrope disparaît tout entier ; il restera peut-être dans le sujet matière à moralité, mais l’essence même et la raison d’être d’un chef-d’œuvre se seront évanouies. Toute comédie, par ce procédé, peut devenir une moralité, à la condition de supprimer d’abord ce qui la constitue ; mais, restant ce qu’elle est et par le simple changement de noms que propose M. Petit de Julleville, elle refuse absolument de devenir une moralité. En effet, aucun des élémens de la comédie ne peut entrer dans la moralité, et réciproquement. Outre un sujet, une action, une intrigue, un dénoûment, la comédie exige des personnages particuliers, une époque déterminée, des conditions sociales : introduisez ces élémens dans une moralité, et la moralité disparaît. De même la moralité, avec ses abstractions et ses entités, n’admet ni action, ni intrigue, car des personnages sans existence personnelle ne sauraient agir en vue d’un but déterminé ; ils ne sauraient être jetés dans une complication d’aventures, car ils manquent d’activité propre ; ils n’ont ni âge, ni sexe, ni humeur, ni fortune, ni d’autre condition que celle de leur titre et de leur costume : introduisez ces élémens dans une comédie et la comédie disparaît.

« La farce, continue M. Petit de Julleville, est devenue la petite comédie en un acte, preste, vive, amusante ; cadre restreint, mais commode, où Molière a peint ses Précieuses et sa Comtesse d’Escarbagnas. » Au premier abord, ceci paraît plus acceptable. Je ne crois pas cependant qu’à y regarder de près l’assimilation subsiste. La farce du moyen âge, fort pauvre de fonds, avec cinq ou six sujets auxquels elle revient toujours, est une petite pièce rapide et libre, comme aussi la farce du XVIIe siècle, mais là s’arrête la ressemblance entre les deux genres. Il manque, en effet, dans la première, ce qui est la loi générale du théâtre classique, c’est-à-dire une intrigue et une action marchant vers un dénoûment. Les farces sont de simples anecdotes, des faits de la vie courante, des aventures plaisantes, des scènes de ménage ou de carrefour traduites sur la scène par le dialogue ; les comédies classiques en un acte sont des sujets dramatiques, c’est-à-dire une combinaison d’événemens imaginés et présentés dans des conditions particulières d’invention, de personnages, de développement et de terminaison. Si le nom de la farce s’est conservé pour ce genre de comédie, c’est que, au temps de Molière, on jouait encore des farces à l’hôtel de Bourgogne, et que le public, trouvant dans les comédies nouvelles la même gaîté et la même liberté que dans ces farces, appelait d’un même nom les deux genres, celui qui achevait de mourir et celui qui venait de naître. Mais, aujourd’hui que nous n’avons plus les mêmes raisons de nous abuser, comparons les Précieuses ridicules ou la Comtesse d’Escurbagnas à la meilleure des farces du moyen âge, Maître Patelin, ou à l’une des plus amusantes, le Cuvier. Combien peu d’analogies ! Il n’y en a guère qu’une : c’est que ces quatre pièces sont courtes et gaies. Pour le reste, tout est changé : l’action de Patelin raconte, en vers, comment un avocat dupa un drapier et fut dupé à son tour par un berger ; celle du Cuvier, en vers également, comment le mari d’une méchante femme en vint à bout ; Molière raconte, en prose, l’aventure de deux « pecques » abusées par le jargon à la mode et celle d’une dame de province qui voulait singer le bel air. Ainsi le champ de l’observation s’est agrandi et déplacé : là une simple anecdote, ici une peinture de mœurs. Dans les deux farces, pas d’autre intérêt que celui du dialogue ; dans les deux comédies, le triple intérêt du sujet, des caractères et du dénoûment. Et si l’on était d’avis que, dans Patelin tout au moins, cet intérêt se trouve, il serait juste de répondre que, si les Précieuses ridicules et la Comtesse d’Escarbagnas sont des comédies et non des farces, l’excellence de Patelin s’explique parce que c’est moins une farce qu’une comédie dont l’auteur, devançant son époque, a trouvé, par un coup de génie, un cadre que ne lui fournissaient pas ses contemporains.

Il n’y a pas lieu d’insister sur la sotie, qui, par son cadre permanent, ses personnages immuables, avec leurs costumes, leurs noms et leur genre de plaisanterie, comme aussi et surtout par son inspiration uniforme de satire politique et sociale, a complètement disparu avec les confréries de sots et la liberté relative dont jouissait le moyen âge. Pourtant, je me demande si, dans la voie de comparaison où s’engageait M. Petit de Julleville, il n’aurait pas dû avancer, pour l’honneur de son sujet, que la sotie, perdant son inspiration, mais retrouvant un cadre du même genre, avait reparu avec la comédie italienne, où les sujets, les personnages et les costumes sont toujours les mêmes. Cette opinion n’eût guère été plus hasardée que le rattachement de la moralité à la grande comédie de caractères. En revanche, je ne fais aucune difficulté de reconnaître que le monologue, lui, a reparu, semblable à lui-même après plusieurs siècles, mais il se doutait si peu de son origine qu’il l’a ignorée, et pas plus aujourd’hui qu’autrefois il n’appartient à la littérature dramatique : avec son uniformité, sa platitude, souvent sa niaiserie, où l’admiration du comédien pour lui-même et pour lui seul se donne librement carrière, en lui procurant la scène entière, et en diminuant le plus possible la part de l’auteur pour augmenter dans la même proportion celle de l’interprète, il ramène le théâtre vieillissant aux jours de son enfance.

Serait-ce, enfin, le genre de style propre à la comédie du moyen âge qui aurait fourni assez d’élémens à la comédie classique pour établir entre les deux époques cette filiation que nous n’avons trouvée jusqu’ici ni dans l’esprit, ni dans le genre d’observation, ni dans les formes ?

On peut d’abord se demander s’il y a vraiment un style dans la comédie du moyen âge. Pour qui accepte la définition de Buffon, d’après laquelle « le style n’est que l’ordre et le mouvement qu’on met dans ses pensées, » la réponse n’est pas douteuse. Dans la façon d’écrire de nos vieux auteurs comiques, aucune préparation dans les développemens, aucun rapport dans l’importance relative des parties, l’idée essentielle noyée dans les détails. Comme dans les récits d’enfans, pleins à la fois de redondances et de lacunes, il semble qu’aucun auteur du moyen âge n’ait vu clair dans sa pensée et dominé son sujet, qu’il n’ait jamais arrêté d’avance les bornes de sa composition et distribué d’après un plan réfléchi ce qu’il se proposait de dire. Comme conséquence, une longueur et une diffusion fastidieuses ; si les farces sont généralement courtes, à la fois étriquées et lâches dans leur développement, en revanche moralités et soties se déroulent à travers des milliers et des milliers de vers. Il faut aujourd’hui pour les lire une grâce d’état, une patience d’érudit, qui veut, sans aucune considération d’agrément littéraire, défricher laborieusement son champ, pour aride et stérile qu’il puisse être, se constituer maître et propriétaire de son sujet, et fonder justement cette maîtrise, comme sa tendresse pour son objet, sur la peine qu’elle lui aura coûté. Dans les allégories surtout, lorsque ce n’est pas un flux intarissable de mots sans relief, c’est un galimatias inintelligible.

Défaut d’autant plus pénible que tout cela est écrit en vers, c’est-à-dire le genre d’écrire auquel l’art classique nous a justement habitués à demander le plus de précision, de plénitude et de relief. Ce mètre éternel de huit syllabes, en son allure sautillante et sa courte haleine, ou bien ne rend que par petites touches maigres une poésie courte comme lui, ou se trouve trop étroit pour contenir un enchaînement suivi de propositions. Au demeurant, ce qui manque le plus dans ces vers, c’est la poésie, c’est-à-dire une grâce ou une force supérieures à celles de la prose, une fantaisie plus libre, une raison plus élevée, un choix de mots plus expressifs. Jamais on n’écrivit autant de vers qu’au moyen âge, et jamais il n’y eut moins de poètes. Un des seuls en faveur de qui l’on pourrait faire une exception, c’est Pierre Gringore. La plupart de ces rimeurs mettent dans leurs compositions l’élégance, la richesse et la précision que déploient encore aujourd’hui les auteurs de complaintes. Ces défauts enfin sont d’autant plus pénibles qu’ils s’étalent dans des pièces de théâtre, où, par cela seul que l’auteur nous rassemble sous prétexte de satisfaire notre intérêt, il nous rend plus exigeans et plus sensibles à l’ennui. Dans le style dramatique, la concentration du sens et le relief de la forme sont des nécessités du genre, et c’est parce qu’ils ne se trouvent pas dans le style du moyen âge que la vertu dramatique lui a manqué.

Les historiens du théâtre français au moyen âge savent tout cela et, pour peu qu’ils se piquent de littérature, ils sont les premiers à le reconnaître. Cependant ils plaident les circonstances atténuantes, et, à force de les plaider, ils arrivent à des conclusions inacceptables. Ils veulent nous faire passer sur cette incapacité de composition, cette platitude, cette impropriété, ce manque de précision et de relief, pour nous amener à reconnaître que, malgré tout cela, ces pauvres écrivains sont des auteurs à lire, ces rimeurs sans rimes des poètes et ces pauvres faiseurs de dialogues des auteurs dramatiques. C’est vraiment trop demander. Quant à voir en eux les devanciers et les inspirateurs des vrais poètes du siècle suivant, il n’est pas nécessaire de reprendre une fois de plus le parallèle si souvent institué jusqu’ici ; il serait oiseux, après ce qui précède, de recommencer la démonstration.


V

Platitude, insignifiance, stérilité, tels sont les mots qui, par la nature des choses et la force du sujet, viennent à chaque instant sous la plume, lorsque l’on s’occupe de la comédie du moyen âge. Malgré la complaisance d’usage pour leur objet, les historiens de cette littérature ne peuvent faire autrement que de les employer eux-mêmes ; à plus forte raison les simples critiques, dégagés de cette complaisance et à qui l’on ne saurait demander autre chose que des impressions sincères. Et pourtant ces historiens expriment à chaque page le regret que cette comédie n’ait pas survécu ; ils insistent sur ce point qu’elle était originale et nationale, tandis que la comédie du XVIIe et du XVIIIe siècle fut imitée et d’origine étrangère ; ils s’efforcent de trouver une filiation entre les deux périodes, et de relever dans la plus récente quelques imitations de détail.

Il y a là une contradiction singulière et inacceptable. Si la comédie du moyen âge est morte, c’est qu’elle méritait de mourir, car elle n’avait rien de ce qui constitue la vie, et, stérile, comment aurait-elle pu laisser une postérité ? Qu’elle ait été originale et nationale, il importe vraiment assez peu et cela ne saurait changer grand’chose au jugement d’un lecteur impartial. En littérature comme en toutes choses, les origines et les points de départ n’ont, en eux-mêmes et pour eux-mêmes, qu’un intérêt médiocre ; ce qui importe, c’est la carrière suivie et les résultats. Que la vraie comédie française, celle qui nous intéresse et qui nous donne une leçon continuelle d’observation et d’expérience, source toujours jaillissante d’esprit comique et de gaîté, soit italienne et latine d’origine, qu’elle ait commencé par l’imitation et lui ait toujours donné une grande place dans le choix de ses sujets et de ses moyens, en quoi cela peut-il augmenter ou diminuer sa valeur propre ? Comme aussi d’être française et née sur notre sol, cela peut-il donner à la comédie du moyen âge l’invention, la fécondité, l’intérêt et le style qui lui manquent ? A vrai dire, cette façon de juger ne constitue pas une exception ; nous la connaissons trop pour nous en étonner. Elle est de règle, chez les historiens de la littérature et de l’art au moyen âge ; elle a été reprise et formulée par presque tous. Ne pouvant nous faire trouver beau ce qui est laid, riche ce qui est pauvre, et intéressant ce qui n’excite que l’ennui, ils s’efforcent d’intéresser notre patriotisme à la question et de nous placer dans cette alternative, de forcer notre admiration ou d’être de mauvais Français. Ainsi à Rome, au temps d’Horace, les partisans de l’ancienne littérature latine condamnaient, au nom du patriotisme, ceux qui demandaient aux Grecs des leçons de composition et de goût. C’est là vraiment un procédé inacceptable de critique littéraire ou artistique. Nous y résistons lorsque Viollet-le-Duc plaide avec tant de science et de volonté pour l’architecture française, improprement appelée gothique, contre l’architecture d’origine italienne, alors que l’une et l’autre ont eu leur raison d’être et que la seconde a légitimement succédé à la première[10], lorsque M. Gaston Paris, avec une méthode si sûre et une dialectique si vigoureuse, veut nous montrer dans les chansons de gestes, — où la beauté et l’intérêt existent, certes, mais à l’état d’exception, et s’y font si péniblement gagner, — une suite d’épopées aussi attachantes que l’Iliade et l’Odyssée, lorsque M. Léon Gautier expose la même thèse avec un enthousiasme chaleureux, lorsque enfin M. Petit de Julleville consacre tant de travail et de conscience à nous exposer les deux formes de la littérature dramatique en ce temps-là et s’efforce d’établir que l’une des deux au moins n’est pas complètement morte. Ils déplorent tous que la civilisation française ait dévié au XVe siècle, et ils estiment que, sans l’influence de l’antiquité retrouvée et de l’Italie, notre littérature et notre art auraient eu un développement aussi riche et plus original, aussi fécond en belles œuvres et plus flatteur pour notre patriotisme. Jusqu’ici, ils n’ont pas réussi à nous convaincre ; mais que le fait soit regrettable ou heureux, c’est un fait, et ils sont obligés eux-mêmes de le reconnaître : une littérature et un art nouveau ont commencé avec le XVIe siècle. Quant au patriotisme, exige-t-il que l’on renonce à la justesse d’esprit et est-il inconciliable avec la critique littéraire ? Consiste-t-il à se préférer et à se complaire dans les infirmités de sa race et de son pays ou à reconnaître ce que cette race et ce pays ont dû à l’éducation et à la culture venues de l’étranger ? Pour la France, le patriotisme consiste surtout, je crois, à l’admirer dans le riche développement artistique et littéraire qui commence avec le XVIe siècle et se continue encore ; le dédain de cette période et le regret de celle qui l’a précédée méconnaissent l’histoire de notre pays ; ils diminuent ses plus beaux titres. Le moyen âge a, du reste, assez de grandeur et de beauté dans le domaine de l’action, et nous y trouvons assez à admirer, pour qu’il soit inutile de lui reconnaître par surcroît une valeur littéraire qui lui a manqué et d’intéresser notre amour de la France à diminuer ce qu’elle eut dans des temps voisins de nous pour lui attribuer ce qu’elle n’eut pas dans des temps plus reculés.

Âge classique du théâtre, le xvir9 siècle ignora tranquillement et complètement le drame et la comédie du moyen âge, et c’est parce qu’il les ignorait qu’il ne leur emprunta rien. Ses modèles turent, avec le théâtre grec et latin, le théâtre italien et espagnol ; ils lui donnèrent les formes qui lui manquaient et il perfectionna si bien ces formes qu’il les fit siennes. Au moyen âge, il n’emprunta que son esprit de satire et de raillerie, ou plutôt cet esprit était celui de la nation française, qui, toujours semblable à lui-même, devait durer et se retrouver. Cet esprit balbutiait des puérilités durant son enfance ; il parla net et ferme, lorsqu’il eut grandi et atteint la maturité. Là se bornent les analogies que l’on croit saisir entre les deux époques. Dans tout le reste, il n’y a que rencontre, il n’y a pas imitation volontaire, et lorsque, dans George Dandin, on est tenté de voir un souvenir de George Le Vau, dans la Beline du Malade imaginaire une reprise de la Cornette, dans Thomas Diafoirus une imitation de maître Mimin, c’est aller trop loin : les mêmes ridicules, les mêmes vices, les mêmes travers se sont retrouvés, à plusieurs siècles de distance, comme inhérens à la nature humaine et constituant toujours le domaine de l’auteur comique ; le dernier venu, les rencontrant sur son chemin, se les est appropriés ; mais, jusqu’à preuve du contraire, il est permis de croire que, s’il a suivi en les traitant l’exemple de ses lointains devanciers, ç’a été à son insu. Il y a eu, dans d’autres genres que le théâtre, des écrivains du XVIe et du XVIIe siècle qui, par une reprise plus ou moins volontaire et consciente des mêmes sujets, mais, en somme, reconnaissable, s’inspiraient du même esprit que le moyen âge, ainsi Marot et La Fontaine ; mais on ne saurait souhaiter exemple plus probant pour montrer par leur comparaison tout ce que cet esprit avait à faire pour s’élever à la dignité littéraire. Ce qui a passé du moyen âge dans la littérature du XVIIe siècle, chez La Fontaine lui-même, semble bien n’y être venu, déjà transformé, qu’à travers tout le travail de la Renaissance sur les mêmes sujets, en France et en Italie.

Reste la langue. Ici enfin nous pouvons accorder au moyen âge sa part, et cette part est assez large pour lui constituer un titre considérable dans les origines et l’histoire de notre comédie. Pendant des siècles, l’observation comique, impuissante à peindre des caractères et à créer des sujets, réussit du moins à trouver des mots justes et des façons de dire expressives, tout un langage énergique, vivant, coloré, qui alla toujours en se perfectionnant, — surtout en s’épurant des obscénités qui y tenaient une si large et si répugnante place, — jusqu’à ce qu’il fût recueilli par les comiques du XVIIe siècle ; nouveau par l’emploi qui en était fait et les idées qu’il revêtait, mais semblable à lui-même comme vocabulaire et comme syntaxe, persistant dans ses caractères généraux, assez riche et assez fort pour suffire à de grandes œuvres. La langue de Molière est vraiment la même que celle des anciennes farces, précisée, épurée surtout, mais formée des mêmes mots et des mêmes tours ; entre la façon dont s’expriment les personnages de Patelin et ceux du Bourgeois gentilhomme, il n’y a que des différences de degré et de tour, mais le fond est le même. À ce titre, s’il n’était d’ailleurs très intéressant pour l’histoire littéraire, le théâtre comique du moyen âge mériterait pleinement l’étude attentive dont il est l’objet ; il importerait même de pousser plus avant dans cette voie et de renoncer à une vaine exaltation littéraire, — tout en se défendant avec quelque dédain d’y voir de la littérature, — pour s’attacher surtout à marquer la manière dont s’est formé l’admirable instrument d’expression dont se servirent plus tard Scarron, Molière, Regnard, et qui, s’adaptant aux modifications de la langue et des mœurs, est toujours celui dont se servent encore nos auteurs dramatiques contemporains. En attendant, M. Petit de Jullleville nous présente pour la première fois le développement complet de cette littérature comique, avec une précision où les spécialistes n’ont qu’à louer, et un agrément auquel les simples lettrés sont très sensibles. Son livre fournit à ceux-là mêmes qui répugnent le plus à ses conclusions les meilleurs argumens dont ils ont besoin pour les combattre. Ainsi ses contradicteurs sont eux-mêmes ses obligés.


GUSTAVE LARROUMET.

  1. Charles Aubertin, Histoire de la langue et de la littérature françaises au moyen âge, 1876-1878.
  2. Je reprends ici, au seul point de vue du théâtre comique, une question déjà traitée de façon générale, pour tout le développement poétique du moyen âge, par M. F. Brunetière, dans ses Études critiques sur l’histoire de la littérature française, 1880 (l’Érudition contemporaine et la littérature française au moyen âge), et ses Nouvelles questions de critique, 1890 (la Poésie française au moyen âge). Je renvoie le lecteur à ces deux travaux, qui posent la question avec une singulière précision et qui me semblent la résoudre avec une égale justesse. Le second répondait, en l’appréciant à sa grande valeur, au livre de M. Gaston Paris, la Poésie au moyen âge, 1885, qui résumait, avec toute l’autorité nécessaire, la thèse la plus favorable à l’originalité, à l’importance historique, à l’intérêt moral et à la valeur littéraire du moyen âge. Il est désormais impossible d’aborder le même sujet sans suivre les deux auteurs sur le terrain qu’ils ont nettement circonscrit et il n’est que juste d’en prévenir le lecteur.
  3. « C’est de la farce, disait Génin, qu’est sortie la gloire réelle et durable du théâtre français, la comédie d’intrigue aussi bien que la comédie de caractère. Je doute un peu que le Cid et Cinna descendent du mystère de la Passion ; mais je suis bien sûr qu’il y a filiation directe entre la Farce de Patelin et le Légataire et Tartufe, et même le Misanthrope. » Introduction à la Farce de Patelin, 1854.
  4. Il importe de dire que, d’après les meilleurs historiens de notre ancienne littérature, le vrai moyen âge finirait dans les premières années du XIVe siècle. M. Gaston Paris dit expressément (la Littérature française au moyen âge, avant-propos) que la littérature du moyen âge « s’arrête à peu près à l’avènement des Valois (1327), au moment où va s’ouvrir la guerre de cent ans ; » dès lors, « le fond et la forme ne sont plus les mêmes : une longue période de transition s’ouvre, qui va du vrai moyen âge à la renaissance. » Par là se trouve encore appauvrie, au point de vue qui nous occupe, une littérature qui n’est déjà pas trop riche, si la richesse consiste plutôt dans la qualité que dans la quantité.
  5. M. Petit de Julleville estime qu’ils lancent « cent traits acérés » contre la société du temps : je n’en vois pas un seul à relever dans ce qu’il cite, pas plus que dans ce que j’ai lu moi-même.
  6. Voir Ernest Renan, la Farce de Patelin, dans ses Essais de morale et de critique, 1859.
  7. Ceci serait à examiner de près. M. Aubertin remarque qu’il n’y eut à aucun moment du moyen âge une interruption complète de la culture et de la tradition latines.
  8. A propos de la Farce de Patelin, la seule, à tout prendre, des pièces du moyen âge qui ait mérité de durer. M. Petit de Julleville écrit : « Patelin est une des rares œuvres du moyen âge qui ait une valeur proprement littéraire au sens où nous entendons ce mot aujourd’hui, c’est-à-dire une œuvre dans laquelle un auteur très expérimenté se propose de produire certains effets par des moyens choisis et calculés. Rien n’est naïf dans Patelin ; mais la profondeur du comique y est égale à l’habileté de la mise en œuvre : tout y est naturel et vrai ; mais tout y est prévu avec intention, et, comme on dit aujourd’hui : voulu. » Il est difficile de reconnaître plus nettement, quoique de façon indirecte et sans intention, l’irréflexion et l’inexpérience propres au moyen âge, comme aussi l’indispensable nécessité des procédés contraires pour faire œuvre littéraire. Patelin condamne tout le reste de la littérature comique du moyen âge, car s’il est excellent, c’est uniquement parce qu’il en est le contraire.
  9. « J’aurais d’autant plus de peine, si le monologue menaçait de mourir, à lui dire le dernier adieu, que je le considère un peu comme mon fils. » (Coquelin aîné, la Défense du monologue, 1883.) — M. Coquelin cadet, plus modeste, partagerait volontiers sa gloire avec un autre : « Il faut avouer vraiment que le monologue entre de plus en plus dans nos mœurs. Je parle du monologue dont M. Charles Cros est la mère et moi, si j’ose m’exprimer ainsi, la sage-femme. » Le Monologue moderne, 1881. — Enfin, nous devons à la collaboration de MM. Coquelin aîné et cadet l’Art de dire le monologue, 1884.
  10. Je n’assimile pas l’art français du moyen âge, qui a laissé des œuvres admirables, quoique fort mêlées, à la littérature, beaucoup moins heureuse dans ses résultats ; je me contente de réclamer contre une théorie artistique qui prétend nous imposer l’admiration exclusive et complète de son objet, alors que le laid et le déplaisant y abondent, et surtout qui fait à la Renaissance le plus injuste procès.