La Conquête de l’Algérie - Le Gouvernement du général Bugeaud/05

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La Conquête de l’Algérie - Le Gouvernement du général Bugeaud
Revue des Deux Mondes3e période, tome 86 (p. 801-834).
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LA
CONQUÊTE DE L'ALGERIE

LE GOUVERNEMENT DU GENERAL BUGEAUD

V.[1]
GUERRE AVEC LE MAROC. — TANGER. — ISLY. — MOGADOR.


I

Quand, en 1842, le général Bedeau avait été appelé au commandement de Tlemcen, il avait eu d’abord à combattre contre Abd-el-Kader, soutenu par les tribus marocaines voisines de la frontière, notamment par les Beni-Snassen. En transmettant à M. Guizot, ministre des affaires étrangères, le rapport du gouverneur de l’Algérie sur cet incident grave, le maréchal Soult le priait d’ordonner an consul-général de France à Tanger de faire à l’empereur Mouley-Abd-er-Rahmane les représentations les plus sérieuses. Il fut répondu au consul-général qu’Abd-el-Kader avait sans doute avec lui un certain nombre de volontaires du Maroc attirés dans son camp par des promesses de pillage, mais que le kaïd d’Oudjda, la ville marocaine la plus rapprochée de la frontière, avait reçu de l’empereur l’ordre formel d’empêcher toute intervention de ses sujets en faveur de l’émir et d’arrêter même les chefs qui lui auraient prêté secours.

A la suite de cette communication, le général Bedeau eut, au mois de juin, une entrevue avec le kaïd. Celui-ci lui déclara officiellement qu’il avait des instructions précises pour maintenir la neutralité, que son maître voulait la paix et qu’il avait fait punir quelques-uns de ceux qui s’étaient rendus sans autorisation au camp de l’émir. Un des chefs des Beni-Snassen, Bechir-ben-Meçaoud, présent à l’entrevue, s’excusa personnellement en affirmant qu’Abd-el-Kader lui avait assuré que les Français voulaient s’emparer d’Oudjda.

Pendant neuf ou dix mois, la tranquillité parut être rétablie dans ces parages ; mais, le 30 mars 1843, le général Bedeau, qui parcourait avec une petite colonne le territoire des Beni-bou-Saïd, à 2 lieues de la frontière, se vit assailli tout à coup par une bande marocaine dans laquelle il reconnut des cavaliers réguliers du kaïd d’Oudjda. Le général, à qui ses instructions prescrivaient la plus grande prudence, arrêta le feu que ses troupes avaient déjà commencé ; mais, quand la marche fut reprise, le maghzen d’Oudjda poussa l’audace jusqu’à serrer de près l’arrière-garde en tirant des coups de fusil qui blessèrent grièvement deux hommes. Justement irrité de la récidive, Bedeau fit volte-face, riposta vigoureusement à l’attaque et mit les agresseurs en déroute.

Dans une nouvelle entrevue provoquée par le général, le kaïd désavoua le maghzen et promit de frapper d’une punition exemplaire le chef qui avait compromis sa troupe. Il promit également de demander à l’empereur l’internement des partisans et des serviteurs d’Abd-el-Kader, notamment de Bou-Hamedi, qui intriguait sur la frontière ; quant au tracé de la frontière même, le kaïd essaya d’alléguer quelques prétentions que le général Bedeau repoussa énergiquement.

Les affaires demeurèrent dans cet état d’équilibre instable jusqu’aux premiers jours de l’année 1844. Préoccupé du voisinage de l’émir, qui se tenait alors avec sa deïra dans la région des Chott, le général Bedeau sollicita du maréchal Bugeaud l’autorisation de se couvrir, au sud, par l’occupation des ruines de Sebdou, à l’ouest, par l’établissement d’un poste permanent dans la plaine des Angad. A ces deux demandes, le général de La Moricière en ajouta une troisième, l’occupation de Saïda, au sud de Mascara. Après avoir commencé par jeter les hauts cris, le maréchal finit par donner son acquiescement.

Le commandant de Martimprey avait été envoyé d’avance à Bedeau par La Moricière, afin d’étudier le terrain et d’indiquer les emplacemens les plus favorables pour les établissemens projetés. Dans la plaine des Angad, l’attention de cet excellent officier d’état-major s’arrêta sur un mamelon couvert de débris romains, tout à côté du marabout de Lalla-Maghnia ; puis il s’occupa de reconnaître la direction de la route à suivre entre Tlemcen et Sebdou, dont le capitaine de Lourmel était chargé d’organiser les ruines. Dans ce même temps, La Moricière préparait l’installation du poste de Saïda. Ainsi, tous les anciens établissemens fondés par Abd-el-Kader et détruits par les Français étaient successivement relevés par eux-mêmes. C’était sans doute pour son orgueil une satisfaction morale ; mais il lui en fallait une autre plus profitable et plus concrète. C’était du Maroc qu’il en attendait la chance.

De la frontière son influence n’avait pas cessé de se propager dans l’empire de Mouley-Abd-er-Rahmane avec une force inquiétante pour l’empereur lui-même. Vers la fin de l’année 1843, il avait envoyé en députation à Fez Miloud-ben-Arach et Barkani, avec l’ordre de joindre aux présens qu’ils devaient offrir de sa part au sultan-chérif la demande formelle de son assistance contre les chrétiens. Entre la crainte d’Abd-el-Kader et la crainte de la France, le malheureux sultan était fort empêché ; mais les plus grandes probabilités étaient qu’il céderait plutôt à la première. C’était l’opinion de La Moricière et du maréchal Bugeaud, et ils en prévoyaient les conséquences.

« Il n’est pas douteux pour moi, écrivait, dès le 9 janvier 1844, le gouverneur au maréchal Soult, que si, pour faire face à cette intervention marocaine, nous dégarnissions les autres parties de l’Algérie, il se manifesterait à l’instant des insurrections. Abd-el-Kader ferait courir partout des émissaires pour annoncer les Marocains et inviter les peuples à la révolte. Le cas échéant, il faudrait inévitablement des renforts de France pour remplacer les vieilles troupes que nous porterions sur la frontière de l’ouest. Il ne faudrait pas moins de quatre régimens d’infanterie et un de cavalerie légère, avec des chevaux choisis. Quant au résultat d’un engagement sérieux avec les troupes de l’empereur, il ne me paraît pas douteux, quelque disproportionnés que fussent les nombres des deux armées, pourvu que je puisse réunir 8,000 ou 10,000 hommes. Un grand combat refoulerait l’armée marocaine sur son territoire, et l’autorité de cette victoire, en rétablissant les choses en Algérie, consoliderait notre puissance. Les secours occultes donnés à Abd-el-Kader pour raviver la guerre en détail, çà et là, seraient plus longtemps embarrassans qu’une intervention ouverte avec 20,000 hommes. Cette armée défaite, la dernière espérance des Arabes s’évanouirait, et ils se résigneraient. » Voilà, en quatre lignes, tout le programme de la campagne d’Isly.

Cependant, la diplomatie était sur le qui-vive. Dès le 27 décembre 1843, le consul-général de France à Tanger, M. de Nion, avait adressé, par ordre de M. Guizot, à l’empereur Abd-er-Rahmane une note réclamant « l’adoption franche et loyale des mesures qui pouvaient seules, en mettant fin à une pareille situation, assurer le maintien des relations pacifiques entre les deux états. » Très perplexe et pour gagner du temps, l’empereur n’avait imaginé rien de mieux que d’interdire au consul-général de correspondre directement avec lui et de le renvoyer au pacha de Tanger pour les négociations de toute espèce.

Vers le même temps, l’interprète principal de l’armée d’Afrique, M. Léon Roches, qui avait, en 1830, vécu dans la familiarité de l’émir, obtint du maréchal Bugeaud l’autorisation de se mettre en correspondance avec lui et de lui faire, entre autres propositions, celle de renoncer à la lutte et de se retirer à La Mecque, où le gouvernement français lui assurerait une grande et large existence.

Voici la réponse d’Abd-el-Kader : « Je peux accepter tout ce qui est d’accord avec ma loi et les prescriptions de ma religion, mais je refuserai tout ce qui serait en dehors de cette voie ; car m’sais que je tiens peu aux jouissances de cette vie, tandis que je suis prêt à combattre et à souffrir, tant que j’existerai, serais-je même seul, pour la gloire de ma religion. Les propositions que tu me fais sont vraiment éloignées de la raison. Comment toi, qui portais le titre de mon fils, toi qui, dans cette démarche, te dis guidé par une amitié sincère, comment as-tu pu penser que j’accepterais comme une grâce un refuge qu’il est à ma disposition d’atteindre avec mes propres forces et avec le secours des fidèles qui restent encore autour de moi ? Que les Français ne méprisent pas ma faiblesse ! Le sage a dit : Le moucheron remplit de sang et prive de la clarté l’œil du lion superbe. Si le maréchal a l’intention de me faire entendre des paroles qui soient dans l’intérêt de tous, qu’il envoie un de ses confidens avec des lettres de créance ; qu’il me fasse prévenir secrètement ; alors j’enverrai aussi secrètement un de mes amis, Bou-Hamedi, par exemple, qui devra se rencontrer avec son envoyé aux environs de TIemcen. Ils s’entendront ensemble sur les clauses à établir, sans prêter le flanc aux discours de l’envie et de la calomnie. Alors nous renouvellerons une alliance dont les bases solides seraient une sûre garantie d’une amitié et d’un accord durables. »

Ainsi, vaincu, errant, pauvre, mais indompté, Abd-el-Kader regardait la France en face et prétendait, en traitant d’égal avec elle, renouveler l’alliance sur les bases peut-être du traité de la Tafna ! Avec un si fier ennemi, la négociation était humiliante. Il n’y avait plus qu’à se tenir partout sur ses gardes et prêt à combattre.

Avant de partir d’Alger pour l’expédition de Kabylie, le maréchal Bugeaud envoya ses ordres : à La Moricière de s’établir, vers le milieu d’avril, sur la rive gauche de la Tafna et de hâter la construction du poste de Lalla-Maghnia ; au général Bedeau et au général Tempoure de sortir, celui-ci de Sidi-bel-Abbès, celui-là de Tlemcen, et de se mettre en observation sur la lisière du Tell, entre Sebdou et Daya ; au général de Bourjolly de surveiller les Flitta et les Beni-Ouragh ; au lieutenant-colonel Eynard de manœuvrer autour de Tia-ret ; au colonel Cavaignac d’avoir toujours quelque renfort à envoyer d’Orléansville, soit à Bourjolly, soit à La Moricière.


II

De Saïda, dont les terrassemens étaient à peu près achevés, La Moricière se rendit à Tlemcen. Le lendemain même de son passage à Mascara, le 30 mars, Abd-el-Kader mit toutes les tribus voisines en émoi par un coup de main d’une audace inouïe : en dépit des colonnes françaises, il vint surprendre et piller huit douars entre Mascara et Sidi-bel-Abbès.

Arrivé à Tlemcen, le 10 avril, La Moricière se porta en avant, sur la rive gauche de la Tafna, de manière à couvrir un convoi que conduisait à Lalla-Maghnia le général Bedeau. Arrivé à destination, celui-ci crut devoir en donner avis au kaïd d’Oudjda. « Tu me dis, lui écrivit-il, que tu as reçu de ton empereur l’ordre de maintenir les bonnes relations avec nous et d’empêcher que les Arabes de chez vous ne puissent mettre le trouble entre nous. J’ai reçu les mêmes ordres de mes chefs. Je sais que la parole de mon sultan est d’accord avec celle de l’empereur Abd-er-Rahmane pour assurer la paix et pour garantir le respect des limites. C’est pour cela que nous avons reçu l’ordre de placer un poste dans la plaine des Angad. Ce poste sera construit sur notre territoire. Les troupes qui l’occuperont surveilleront les Angad qui dépendent de notre autorité, comme les mghazni d’Oudjda peuvent surveiller les Angad qui dépendent du Maroc. Nos deux autorités régulières mettront fin aux désordres qui ont souvent existé dans ces tribus, et, s’il plaît à Dieu, l’ordre et la paix étant bien assurés, les relations de commerce pourront être reprises, comme par le passé, pour la prospérité des deux pays. »

Le 17 avril, le kaïd répondit que les Arabes avaient voulu monter à cheval pour aller attaquer les Français, mais qu’après les avoir dissuadés de leur projet, non sans peine, il invitait le général à retarder d’un mois la construction du fort, afin d’avoir le temps de recevoir, sur ce grave sujet, les instructions de l’empereur son maître. La Moricière et Bedeau ne jugèrent pas devoir tenir compte de cette mise en demeure, et, le 27 avril, la construction fut entreprise.

Le 1er mai, les échos des montagnes marocaines répétèrent les salves d’artillerie tirées du marabout de Lalla-Moghnia en l’honneur du roi, dont c’était la fête. Le 3, on reçut du kaïd d’Oudjda une lettre encore toute pleine d’assurances pacifiques. Cependant, le 6, le chef des Ouled-Riah, Bel-Hadj, qui rentrait d’émigration avec deux douars de la tribu seulement, rapporta des nouvelles absolument contraires. Il assurait que partout, sur la frontière, on prêchait la guerre sainte, et que, près d’Oudjda, il y avait, sous les ordres de Si-el-Arbi-el-Kebibi, un camp de réguliers noirs. En effet, chaque matin, on entendait clairement le bruit des exercices à feu, et, des hauteurs voisines, on distinguait à la longue-vue les tentes dressées autour de la ville. D’Oudjda à Lalla-Maghnia, il n’y avait guère qu’une trentaine de kilomètres.

Pendant ce temps, la redoute, entourée d’un fossé profond de 2 mètres et large de 4, était armée sur ses saillans de canons en barbette ; dans l’intérieur, huit grandes tentes abritaient les vivres, le matériel et l’ambulance. Il y avait même un marché que les Arabes avaient fréquenté d’abord ; mais, depuis quelques jours, ils n’y venaient plus. Tous les symptômes étaient donc à la guerre.

En même temps que les dépêches allaient avertir le maréchal Bugeaud en Kabylie, La Moricière prescrivait au général Bedeau de ne laisser à Sebdou qu’une petite colonne et de se tenir prêt à le rejoindre ; au général Tempoure et au lieutenant-colonel Eynard de rester, l’un aux environs de Sidi-bel-Abbès, l’autre aux environs de Tiaret ; au général de Bourjolly d’expédier de Mostaganem à Oran deux de ses bataillons et d’en appeler deux autres d’Orléansville ; au général Thiéry de réunir en avant d’Oran, prêts à marcher au premier signal, quatre bataillons, la cavalerie disponible et le maghzen.

Les informations de la diplomatie concordaient avec les renseignemens militaires. « On écrit de Fez, disait dans une dépêche du 13 mai M. de Nion à M. Guizot, que la guerre sainte contre les Français est hautement proclamée. Ce ne sont plus seulement les Kabyles de la frontière qui prennent part au mouvement, ce sont aussi plusieurs grandes tribus du centre. Un seul mot d’ordre circule aujourd’hui dans tout l’empire : « Dédain des menaces de l’Espagne, haine et vengeance contre les Français, confiance dans la protection de l’Angleterre. »

Le 16 mai, dans la soirée, un juif de Nédroma, revenu d’Oudjda la veille, annonça au général de La Moricière que les Marocains avaient toutes leurs dispositions faites pour l’attaquer, le 18 au matin. Le nouveau kaïd El-Ghennaouï devait longer les montagnes des Beni-bou-Saïd, tourner les Français et couper leurs communications avec la Tafna, pendant que les réguliers agiraient de front « t les Beni-Snassen sur le flanc droit. Il n’y aurait d’autre préliminaire aux actes d’hostilité qu’une sommation d’évacuer immédiatement Lalla-Maghnia, et tout de suite l’attaque. Aussitôt La Moricière se fit rejoindre par Bedeau, qui arriva, le 17 au soir, avec les zouaves, le 8e bataillon de chasseurs à pied et trois escadrons de chasseurs d’Afrique. La Moricière avait dès lors sous la main six bataillons, quatre escadrons et huit obusiers de montagne, 4,500 combattans environ.

le 18, l’ennemi attendu ne parut pas. Le 22, deux chefs des Abid-el-Bokhari, — c’était le nom des réguliers noirs, — apportèrent au général une lettre d’El-Ghennaouï ainsi conçue : « Nos camps sont dans Oudjda pour les intérêts de notre pays, alors que nous avons appris que les gens se disputaient entre eux ; et la nouvelle nous est arrivée que vous êtes à Maghnia, y séjournant pour quelques jours. Cet endroit n’est pas un lieu pour camper ni pour séjourner. Il ne peut résulter de cela que du trouble et de la mésintelligence entre les deux nations et du mal entre vous et nous. Si vous êtes toujours pour l’alliance et la conservation des traités entre notre sultan et le vôtre, retournez dans votre endroit, et, quand vous y serez, écrivez-nous selon vos intentions. Salut. »

La Moricière répondit aussitôt : « Je suis venu dans l’ouest du pays d’Oran à cause de l’insoumission de nos tribus voisines de la frontière, et, quand j’y suis venu, j’ai fait connaître au kaïd d’Oudjda la cause pour laquelle je venais, et je lui ai dit de plus que j’avais reçu l’ordre de bâtir un fort à Maghnia, afin d’obliger nos raïas des frontières à se soumettre ou à quitter le pays. Je l’informais en même temps que j’avais reçu l’ordre de maintenir la paix avec lui et d’observer les traités. Il y a bientôt un mois que je suis ici et personne de mon camp n’a commis d’hostilités sur votre territoire. Le fort Maghnia, au lieu d’être une cause de mésintelligence entre les deux nations, a pour objet de la prévenir au contraire, parce qu’il doit assurer la soumission de nos tribus de la frontière, comme Oudjda chez vous assure la soumission de vos tribus de la frontière. Tu me demandes de quitter Maghnia : je te répondrai que j’ai reçu ordre d’y venir et d’y bâtir et que je ne peux pas le quitter. Cette affaire doit s’arranger avec votre sultan et le nôtre. Je vais envoyer ta lettre au maréchal gouverneur d’Alger et au sultan mon maître ; de ton côté, écris à ton sultan. Lorsqu’ils seront informés, ton maître et le mien nous diront ce que nous avons à faire. Salut. »

Il était arrivé au camp d’Oudjda de nombreux contingens des tribus ; mais comme il n’était fait à ces irréguliers de distributions ni de blé ni d’orge, ils se mirent à dévaster les champs des environs ; de là des rixes entre les pillards et les gens de la ville, soutenus par les Abid-el-Bokhari ; sur quoi El-Ghennaouï, désespérant de contenir cette foule affamée, lui donna congé jusqu’après la moisson.

Il semblait donc que l’ouverture des hostilités dût être ajournée d’autant. Des tribus qui s’étaient tenues à l’écart dans une attitude plus que suspecte se rapprochèrent alors du bivouac français et remirent au général des lettres que leur avait envoyées le kaïd ; il y avait entre autres celle-ci à l’adresse des Trara : « Ne nous cachez rien des nouvelles du chrétien ; munissez-vous de ce qu’il faut en poudre et en balles, et quand nous voudrons nous battre avec lui, nous vous enverrons, pour vous aider, en nombre suffisant, des cavaliers de notre maître. »

D’après les renseignemens recueillis par La Moricière, depuis le renvoi des contingens, il y avait encore, autour d’Oudjda, 300 fantassins et 1,250 cavaliers de l’armée noire ; quant aux congédiés, il écrivait gaîment au général Tempoure : « La troupe réunie pour la danse s’est dispersée, parce que le violon s’est brisé ; mais elle reviendrait bien vite au premier coup d’archet. « Il convient d’ajouter qu’Abd-el-Kader se tenait, à quelque distance, comme en observation ou en réserve, avec 500 askers et 300 khiélas.

La redoute de Lalla-Maghnia mise en défense, La Moricière porta, le 28 mai, son bivouac au nord-ouest, près du marabout de Sidi-Aziz, à deux lieues de la frontière. Le 30, dans la matinée, le colonel Roguet du 41e, qui examinait les alentours, aperçut tout à coup, dans le champ de sa lunette, une grosse troupe de cavalerie qui marchait, drapeaux en avant, éclaireurs en tête, évidemment sur le bivouac. Aussitôt prévenu, La Moricière fit abattre les tentes, charger les bagages et prendre les armes. Une demi-heure ne s’était pas écoulée que, sans aucun échange de paroles, les Marocains commencèrent à tirer contre les grand’gardes. Alors les Français descendirent en plaine ; le colonel Morris, avec quatre escadrons, couvrait la gauche, qui, sous les ordres du colonel Roguet, se composait de deux bataillons du 41e de ligne et du 10e bataillon de chasseurs à pied ; à droite, sous le général Bedeau, venaient les zouaves, le 8e et le 9e bataillon de chasseurs. C’était de ce côté-là que le feu des Marocains était le plus vif. Les troupes, qui marchaient l’arme au bras, ne commencèrent à y répondre qu’à moins de 60 mètres. L’ennemi s’était laissé peu à peu resserrer entre les zouaves et de grands escarpemens rocheux qui bordaient le vallon par où descendait La Moricière. Une charge, exécutée à propos par deux des escadrons de gauche, accula quelques centaines de cavaliers à l’obstacle et les sabra vigoureusement, tandis que les autres regagnaient Oudjda au plus vite. Le soir, la colonne française alla se refaire de munitions et de vivres à Lalla-Maghnia.

On sut par les prisonniers qu’un grand personnage, du nom de Sidi-el-Mamoun-ech-Chérif, allié à la famille impériale, était arrivé le matin même, avec une troupe de 500 cavaliers, des environs de Fez, et qu’en dépit des représentations du kaïd El-Ghennaouï il avait voulu engager la bataille avec les chrétiens. Sa seule inquiétude, au dire des prisonniers, était que les roumi ne lui échappassent en se réfugiant sur leurs vaisseaux, et c’est pourquoi il avait envoyé un détachement pour leur couper le chemin de la mer.

La Moricière attendait avec impatience l’arrivée du maréchal Bugeaud. « Ma conduite, lui écrivait-il, le 2 juin, prenait une apparence de timidité fâcheuse ; on me disait bloqué sous les parapets de mon fort. Aucune défection n’a encore eu lieu ; mais il est grand temps d’agir d’une manière décidée, afin de dissiper les inquiétudes de nos amis et d’arrêter l’exaltation croissante chez nos ennemis. Ce que je crois du plus grand intérêt pour nous, c’est de vous voir arriver de votre personne à Lalla-Maghnia le plus tôt possible. »

Embarqué, le 26 mai, à Dellys, le maréchal, après avoir donné quelques jours aux aûaires d’Alger, avait pris terre, le 5 juin, à Mers-el-Kébir ; le 7, il emmenait d’Oran quatre bataillons, deux pièces de campagne, 500 chevaux des Douair et des Sméla ; enfin, le 12, il faisait sa jonction avec La Moricière.


III

Dans une dépêche datée du 10 juin, au bivouac sur Tisser, le maréchal Bugeaud avait résumé en quelques lignes son opinion au sujet du conflit soulevé entre le Maroc et la France : « Si, disait-il, par le désir d’épargner à mon pays une guerre avec le Maroc, je reste dans une défensive timide, je m’expose à perdre l’Algérie. Le Maroc profitera de mon inaction pour accumuler devant moi de grandes forces ; s’il craint d’en venir à une bataille contre mes 7,000 hommes, il me débordera au loin, pénétrera derrière moi dans le pays, où ses excitations et ses proclamations l’auront précédé, pendant qu’Abd-el-Kader agira matériellement et moralement sur les peuples de l’Algérie, en longeant le désert et cherchant une trouée entre les colonnes très espacées qui gardent le Tell. Ainsi, je puis être ruiné par l’inaction où se tiendront mes principales forces sur la rive gauche de la Tafna. Quelques actes de vigueur sur les Marocains peuvent seuls, dans la situation où nous sommes, maintenir l’autorité morale que nous avons acquise sur les peuples par nos succès. Je me crois assuré de battre plusieurs fois les troupes marocaines avec les 7,000 hommes que je vais avoir sur la rive gauche de la Tafna. »

Voici quelle était, à cette époque, la distribution des troupes françaises dans les provinces d’Alger et d’Oran, en commençant par les plus éloignées : au col des Beni-Aïcha, sur la limite orientale de la Métidja, trois bataillons sous les ordres du général Korte ; autour d’Alger, les dépôts, les détachemens de l’artillerie et du génie, un escadron à Boufarik ; à Blida, quatre bataillons sous les ordres du général Gentil ; à Médéa, deux bataillons du 33e ; à Miliana, trois petits bataillons du 648, deux escadrons du 1er chasseurs d’Afrique, un de spahis ; à Cherchel, le 2e bataillon d’Afrique ; à Ténes et Orléansville, quatre bataillons et deux escadrons sous les ordres du colonel Cavaignac ; entre Mostaganem et les Flitta, cinq petits bataillons sous les ordres du général Bourjolly ; à Teniet-el-Had, un bataillon ; à Tiaret, le général Marey, avec trois bataillons et 380 chevaux ; un bataillon au sud-ouest de Mascara ; le général Tempoure en avant de Sidi-bel-Abbès, avec deux bataillons et 400 chevaux ; le colonel Chadeysson à Sebdou, avec trois bataillons et un escadron ; les généraux de La Moricière et Bedeau, en présence des Marocains, avec neuf bataillons et cinq escadrons.

Dans sa dépêche du 10 juin au maréchal Soult, le maréchal Bugeaud disait encore : « Il est impossible de montrer plus de modération que ne l’a fait le général de La Moricière ; je pars après demain pour aller le joindre ; j’ai le projet de demander, dès mon arrivée, des explications sérieuses aux chefs marocains. Si leurs intentions sont telles qu’on puisse espérer de revenir à l’état pacifique, je profiterai de l’outrage qu’ils nous ont fait, en nous attaquant sans aucune déclaration préalable, pour obtenir une convention qui, en réglant notre frontière, établira d’une manière précise les relations de bon voisinage. « Les principales bases de cette convention seraient : 1° la délimitation exacte de la frontière ; 2° que les deux pays s’obligent à ne pas recevoir les populations qui voudraient émigrer de l’un à l’autre ; 3° que l’empereur du Maroc s’engage à ne prêter aucun secours en hommes, en argent ni en munitions de guerre à l’émir Abd-el-Kader. Si celui-ci est repoussé dans les états marocains, l’empereur devra le faire interner avec sa troupe dans l’ouest de l’empire, où il sera soigneusement gardé. À ces conditions, il y aura-amitié entre les deux pays. Si, au contraire, les Marocains veulent la guerre, mes questions pressantes les forceront à se déclarer. Nous ne serons plus dans cette situation équivoque qui peut soulever en Algérie de grands embarras. J’aime mieux la guerre ouverte sur la frontière que la guerre des conspirations et des insurrections derrière mai. S’il faut faire la guerre, nous la ferons avec vigueur, car j’ai de bons soldats, et, à la première affaire, les Marocains me verront sur leur territoire.

« Je vous avoue que, si j’eusse été à la place de M. le général de La Moricière, je n’aurais pas été si modéré, et j’aurais poursuivi l’ennemi, l’épie dans les reins, jusque dans Oudjda. Peut-être le général a-t-il mieux fait de s’en abstenir ; c’est ce que la suite prouvera. »

Pressé par le désir d’en finir avec l’équivoque, le maréchal fit proposer, le 14 juin, au kaïd El-Ghennaouï, une entrevue pour laquelle Bedeau, qui croyait encore au rétablissement des relations pacifiques, s’était spontanément offert. Le kaïd répondit qu’il se trouverait, le lendemain, prêt à conférer avec l’envoyé du khalifa du sultan de France, au marabout de Sidi-Mohammed-el-Oussini, à 3 kilomètres du camp français, sur la rive droite de la Mouila. Le 15, La Moricière s’établit à 700 mètres en arrière du lien de la conférence, avec quatre bataillons, quatre escadrons et deux obusiers de montagne ; ces troupes étaient formées en bataille. En face d’elles, à 1,200 mètres environ, se tenaient, également en bataille, sons les ordres d’El-Kebibi, 4,500 cavaliers marocains, réguliers et Angad, avec une bande de 500 Kabyles.

A l’heure convenue, le général Bedeau se rendit au marabout, suivi du capitaine Espivent de La Villeboisnet, son aide-de-camp, de l’interprète principal de l’armée, M. Léon Roches, de l’interprète de la division d’Oran, de Si-Hammadi-Sakkal, ancien kaïd de Tlemcen, et de deux ou trois spahis. Comme il disparaissait derrière un pli de terrain, La Moricière, inquiet, envoya le commandant de Martimprey en avant, de manière à voir ce qui se passerait sur le terrain de la conférence. Arrivé sur une hauteur d’où les deux camps étaient en vue, le commandant mit pied à terre et s’assit à l’ombre d’un frêne.

Le général et le kaïd s’étaient rencontrés. Après les complimens d’usage, les pourparlers commencèrent. Le nom d’Abd-el-Kader ayant été prononcé. : « Abd-el-Kader est un menteur, dit El-Ghennaouï avec vivacité ; c’est un homme qui n’a jamais cherché que le désordre ; ne nous occupons pas de lui ; convenons bien de ce que nous voulons faire entre nous : il faudra bien ensuite qu’il soit écarté. » D’après les instructions du maréchal, Je général Bedeau avait rédigé les termes d’une convention qu’il présenta au kaïd. ; celui-ci la lut attentivement, d’un air calme ; mais, au moment d’entamer la discussion des articles, il fut obligé d’interrompre la conférence, parce que les cavaliers marocains s’étaient rapprochés en poussant des clameurs hostiles. Dans le premier moment, il parvint à les faire reculer quelque peu ; mais presque aussitôt ils revinrent à la charge, et, pendant trois quarts d’heure, le kaïd, aidé de quelques chefs du maghzen, fit de vains efforts pour mettre un terme à cette abominable bagarre. Le général et les siens restaient calmes sous un déluge d’injures et de menaces. Pendant ce temps, le commandant de Martimprey, sous son frêne, était pareillement injurié et menacé.

Enfin, le calme ayant été à peu près rétabli, la conférence fut reprise. « Nous ferons un arrangement pour Abd-el-Kader, dit le kaïd ; nous nous consulterons pour qu’il quitte la frontière, pour qu’il aille au-delà de Fez, s’il le faut ; mais vous reconnaîtrez que la limite entre les deux états de Maroc et d’Algérie sera fixée par la Tafna. » El-Ghennaouï avait à peine prononcé le dernier mot que le général se récria : « Était-ce la Tafna qui faisait frontière au temps des Turcs ? — Du temps des Turcs, répliqua le kaïd, peu importait que des musulmans fussent entremêlés ; mais avec vous, chrétiens, la séparation que j’indique est nécessaire. » Et comme le général lui répétait que sa prétention était inadmissible : « Eh bien ! il n’y a rien de fait, ajouta-t-il. Si le refus est maintenu, je suis pressé, il faut nous retirer. — Mais alors, reprit Bedeau, si l’entrevue se rompt sans qu’aucune garantie nous soit donnée contre le retour des actes dont nous avons à nous plaindre, c’est donc la guerre ? — C’est la guerre, » répondit le kaïd.

Le général, sa suite et le commandant de Martimprey, qui les attendait au passage, se retirèrent sans hâte ; les balles marocaines sifflaient à leurs oreilles. Quand ils eurent rejoint les troupes, La Moricière donna l’ordre de retourner au camp ; mais le maréchal, averti, accourait avec quatre bataillons. A peine arrivé sur le terrain, il commanda : a Halte ! Face en arrière ! » fit former ses huit bataillons en échelons sur le centre, plaça la cavalerie dans l’angle, prête à déboucher sur les cavaliers marocains qui suivaient en tiraillant l’arrière-garde. En voyant la retraite changée en offensive, les Marocains essayèrent d’éviter la rencontre ; mais une charge vivement menée par le colonel Jusuf et le commandant Walsin Esterhazy les atteignit au passage de la Mouila. Cavaliers et fantassins sabrés laissèrent plus de 300 morts sur la place ; près du gué, les spahis élevèrent une pyramide de 150 têtes. Le soir venu, les troupes reprirent leur bivouac.

Le lendemain 16, le maréchal écrivit au kaïd qu’il allait marcher sur Oudjda : « J’aurais le droit, disait-il, de pénétrer au loin sur le territoire de ton maître, de brûler vos villes, vos villages et vos moissons ; mais je veux encore te prouver ma modération et mon humanité, parce que je suis convaincu que l’empereur Mouley-Abd-er-Rahmane ne vous a pas ordonné de vous conduire comme vous avez fait, et que même il blâmera cette conduite. Je veux donc me contenter d’aller à Oudjda, non pour le détruire, mais pour faire comprendre à nos tribus qui s’y sont réfugiées, parce que vous les avez excitées à la rébellion, que je peux les atteindre partout et que mon intention est de les ramener à l’obéissance par tous les moyens qui se présenteront. Je te déclare en même temps que je n’ai aucune intention de garder Oudjda ni de prendre la moindre parcelle du territoire de l’empereur de Maroc ni de lui déclarer ouvertement la guerre ; je veux seulement rendre à ses lieutenans une partie des mauvais procédés dont ils se sont rendus coupables envers moi. » Dans une lettre vague et embarrassée, El-Ghennaouï désavoua le guet-apens du 16 juin, protesta de ses bonnes intentions et déclara finalement qu’il « n’avait pas la permission de faire la guerre. »

En trois petites marches, le maréchal atteignit Oudjda, le 19 juin, à six heures du matin. Oudjda était une ville de 4,000 à 5,000 âmes, assez mal construite, avec un méchouar fortifié. Il n’y avait que quatre puits dans l’enceinte ; mais, au dehors, les jardins bien cultivés et les vergers luxurians de beaux fruits, grenades, figues, abricots, etc., étaient arrosés par des canaux dérivés d’une source abondante. Le quart à peu près des habitans était demeuré dans les maisons ; le maréchal leur fit déclarer que la ville ne serait occupée que par des postes de garde, et que, dans la campagne, il ne serait pris que le fourrage et l’orge pour la nourriture des chevaux.

Apres le combat du 15, un sérieux dissentiment avait éclaté entre El-Ghennaouï et El-Kebibi ; ils se reprochaient mutuellement les incidens fâcheux qui avaient troublé la conférence et les suites désastreuses qu’ils avaient entraînées. En fin de compte, les deux chefs s’étaient retirés avec 3,600 cavaliers réguliers, 1,500 hommes des contingens et quatre pièces de canon. Les poudres qu’ils avaient laissées dans le méchouar furent noyées et les balles fondues.

Avant de s’éloigner de Lalla-Maghnia, le maréchal avait envoyé aux commandans des postes situés en arrière les instructions les plus précises pour surveiller les mouvemens d’Abd-el-Kader ; c’était d’une bonne précaution, car un Djafra, pris dans la nuit du 10 au 11 juin, avait appris au colonel Eynard, à Saïda, que l’émir, qui avait quitté, dès le 4, la deïra, se dirigeait par les Hauts-Plateaux vers l’est, avec l’intention de tomber sur les Harar. Il était suivi de plus de 2,000 cavaliers, quelques-uns khiélas, d’autres réguliers du Maroc, le surplus Hachem, Angad, Hamiane-Gharaba, recrutés pendant la marche. Surpris par la présence d’une colonne française à Saïda, l’émir se hâta de rebrousser chemin.

D’après les dires du prisonnier djafra, la misère était grande dans la deïra, campée à 10 lieues au sud-ouest d’Oudjda. Les askers qui la gardaient et la plus grande partie des Hachem étaient obligés de gagner leur vie en travaillant à la terre pour les Kabyles de Beni-Zekri.

Ces nouvelles décidèrent le maréchal Bugeaud à renvoyer La Moricière à Sebdou pour centraliser l’action des forces réparties entre Saïda, Sidi-bel-Abbès et Mascara, et à rétrograder lui-même sur Lalla-Maghnia, où il rentra le 22 juin.

Le difficile était d’y faire subsister les troupes qu’il ramenait ; il n’y avait de pratique que le ravitaillement par mer. Le maréchal inclinait d’abord pour l’établissement d’un dépôt de vivres à l’embouchure de la Tafna, sur l’emplacement du camp occupé de 1836 à 1837 ; mais La Moricière lui avait signalé un point de la côte beaucoup plus favorable à tous égards : c’était la petite crique de Djemma-Ghazaouat, qui n’était qu’à 9 lieues de Lalla-Maghnia. Il s’y rendit le 25 juin. Le village de Djemma-Ghazaouat, — en arabe la mosquée des pirates, — s’élevait au sommet d’un rocher à pic, à l’est d’une baie de 600 mètres d’ouverture, entre deux pointes avancées d’une centaine de mètres dans la mer. Le mouillage était médiocre, mais suffisant pendant la belle saison. Deux bâtimens à vapeur, venus d’Oran avec des bricks et des tartanes à la remorque, se trouvaient en rade. Les vivres qu’ils apportaient ayant été mis à terre, la plus grande partie, chargée sur les mulets du train ou des Arabes auxiliaires, prit le chemin de Lalla-Maghnia ; le surplus resta confié à la garde du kaïd des Souhalia, qui devait s’entendre avec le kaïd de Nedroma pour les transports ultérieurs. Le problème du ravitaillement heureusement résolu, le maréchal rejoignit, le 29 juin, ses troupes au bivouac.


IV

A Paris, dans la presse et dans les chambres, l’opposition contestait l’opportunité d’un conflit avec le Maroc, et ses récriminations allaient presque jusqu’à reprocher au maréchal de l’avoir volontairement provoqué. « Chose étrange et affligeante ! écrivait-il, le 25 juin, à M. de Corcelle ; c’est quand, sous un soleil de 53 degrés (depuis dix jours nous avons ce chiffre), l’armée court du pays kabyle de l’est d’Alger aux frontières du Maroc pour repousser une injuste agression, qu’on vient lui dire : « vous faites la guerre sans nécessité, sans utilité, uniquement pour satisfaire votre ambition personnelle. » Si la démocratie de la presse et des chambres savait tout ce que nous avons enduré avant de repousser l’agression par les armes, ce serait pour le coup qu’elle ferait des interpellations pour accuser le gouvernement d’avoir abaissé la France et compromis l’honneur de son drapeau. Après avoir poussé la modération jusqu’à la faiblesse, quand nous rendons attaque pour attaque, on nous dit que nous allons chercher une autre guerre. Et ce sont les mêmes hommes qui veulent qu’on prenne Madagascar ! .. »

Pour ce qui est du gouvernement, surpris et troublé d’abord par la nouvelle des combats du 30 mai et du 15 juin, surtout de la marche sur Oudjda, il avait été bientôt rassuré au sujet de cette opération simplement comminatoire. « Votre modération, écrivait le ministre de la guerre au maréchal Bugeaud, vous fait un grand honneur ; le roi et son gouvernement vous en louent, et ils considèrent qu’en agissant ainsi, vous avez fourni un moyen puissant pour aplanir les différends qui existent entre la France et le Maroc. »

Dès le 12 juin, aussitôt après avoir appris le combat du 30 mai, le ministre des affaires étrangères, M. Guizot, avait envoyé ses instructions à M. de Nion, consul-général à Tanger : « vous devez, au reçu de la présente dépêche, écrire immédiatement à l’empereur pour lui adresser les plus vives représentations au sujet d’une attaque qui ne pourrait être justifiée, pour demander les satisfactions qui nous sont dues. Est-ce la paix ou la guerre qu’il veut ? Si, comme le lui conseillent ses véritables intérêts, il tient à vivre en bons rapports avec nous, il doit cesser des armemens qui sont une menace pour l’Algérie, respecter la neutralité en retirant tout appui à Abd-el-Kader, et donner promptement les ordres les plus sévères pour prévenir le retour de ce qui s’est passé. Si c’est la guerre qu’il veut, nous sommes loin de la désirer, nous en aurions même un sincère regret ; mais nous ne la craignons pas, et, si l’on nous obligeait à combattre, on nous trouverait prêts à le faire avec vigueur, avec la confiance que donne le bon droit, et de manière à faire repentir les agresseurs.

« Voici comment je résume vos instructions. Vous demanderez à l’empereur du Maroc : 1° le désaveu de l’inconcevable agression faite par les Marocains sur notre territoire ; 2° la dislocation du corps de troupes marocaines réunies à Oudjda et sur la frontière ; 3° le rappel du kaïd d’Oudjda et des autres agens qui ont poussé à l’agression ; 4° le renvoi d’Abd-el-Kader du territoire marocain. Vous terminerez en répétant : 1° que nous n’avons absolument aucune intention de prendre un pouce de territoire marocain, et que nous ne désirons que de vivre en paix et en bons rapports avec l’empereur ; 2° mais que nous ne souffrirons pas que le Maroc devienne pour Abd-el-Kader un repaire inviolable, d’où partent contre nous des agressions pareilles à celle qui vient d’avoir lieu, et que, si l’empereur ne fait pas ce qu’il faut pour les empêcher, nous en ferons nous-mêmes une justice éclatante. » Dans cette même dépêche, M. Guizot annonçait à M. de Nion la prochaine apparition sur les côtes du Maroc d’une escadre commandée-par le prince de Joinville. « Du reste, disait le ministre, les instructions de Son Altesse Royale sont pacifiques et partent de ce point que la guerre entre la France et le Maroc n’est pas déclarée. Sa présence sur les côtes de cet empire a plutôt pour but d’imposer et de contenir que de menacer. Nous aimons à penser qu’elle produira, sous ce rapport, un effet salutaire. »

Les coups de feu déjà tirés sur la frontière du Maroc, et surtout la démonstration navale de la France, ne pouvaient manquer d’exciter quelque émotion en Angleterre. C’est pourquoi M. Guizot prenait soin de mettre l’ambassadeur de France à Londres, le comte de Sainte-Aulaire, en état de donner aux ministres anglais les éclaircissemens qu’ils pouvaient demander. « Avant 1830, disait-il, le territoire qu’on nous conteste aujourd’hui a constamment fait partie de la Régence d’Alger ; nous occupons depuis longtemps ce territoire sans objection, sans contestation, soit de la part des habitans eux-mêmes, soit de la part des Marocains. C’est Abd-el-Kader qui, dans ces derniers temps, a cherché et trouvé ce prétexte pour exciter et compromettre contre nous l’empereur du Maroc.

« A vrai dire, ce n’est pas à l’empereur, c’est à Abd-el-Kader que nous avons affaire là. Il s’est d’abord réfugié en suppliant, puis établi en maître dans cette province d’Oudjda ; il s’est emparé sans peine de l’esprit des populations, il prêche tous les jours, il échauffe le patriotisme arabe et le fanatisme musulman ; il domine les autorités locales, menace, intimide, entraine l’empereur, et agit de là, comme d’un repaire inviolable, pour recommencer sans cesse contre nous la guerre qu’il ne peut plus soutenir sur son ancien territoire. Jugurtha n’était, je vous en réponds, ni plus habile, ni plus hardi, ni plus persévérant que cet homme-là, et s’il y a de notre temps un Salluste, l’histoire d’Abd-el-Kader mérite qu’il la raconte. Mais en rendant à l’homme cette justice, nous ne pouvons accepter la situation qu’il a prise et celle qu’il nous fait sur cette frontière.

« Voilà près de deux ans que cette situation dure et que nous nous montrons pleins de modération et de patience. Nous avons obtenu des désaveux, des promesses, des ajournemens, et quelquefois des apparences : au fond, les choses sont restées les mêmes, pour mieux dire, elles ont toujours été s’aggravant. Depuis six semaines, la guerre sainte est prêchée dans tout le Maroc ; les populations se soulèvent et s’arment partout ; l’empereur passe des revues à Fez ; ses troupes se rassemblent sur notre frontière ; elles viennent de nous attaquer sur notre territoire. Cela n’est pas tolérable. Plus la démonstration, qui est devenue indispensable, sera forte et éclatante, plus elle produira sûrement l’effet que nous cherchons. La présence d’un fils du roi y servira, bien loin d’y nuire, car elle prouvera l’importance que nous y attachons et notre parti-pris d’y réussir. »

A Londres, le premier ministre, sir Robert Peel, était inquiet et ombrageux ; mais le ministre des affaires étrangères, lord Aberdeen, lié personnellement avec M. Guizot, était heureusement là pour calmer ses défiances. « Je l’ai vu hier, écrivait le 17 juin M. de Sainte-Aulaire ; il m’a annoncé qu’il envoyait immédiatement à Tanger l’ordre au consul anglais, M. Drummond-Hay, d’aller trouver Abd-er-Rahmane en personne et d’employer tous les moyens en son pouvoir pour prévenir la guerre. » Les instructions données au consul d’Angleterre et communiquées par le ministre de la reine à M. de Sainte-Aulaire étaient très nettes et très positives ; elles avaient pour objet de presser fortement l’empereur d’accorder toutes les satisfactions que réclamait la France. D’autre part, lord Aberdeen venait d’écrire aux lords de l’amirauté que le commandant de l’escadre de Gibraltar devait bien faire savoir et comprendre aux autorités marocaines que le gouvernement anglais n’avait pas l’intention « de prêter aucun appui au gouvernement marocain dans sa résistance aux demandes justes et modérées de la France, si malheureusement cette résistance devait avoir lieu. »

Après avoir mouillé, du 28 juin au 7 juillet, en rade de Mers-el-Kebir, pour se tenir en relations avec le maréchal Bugeaud, le prince de Joinville se présenta, le 9, devant Tanger. M. de Nion vint à son bord et lui apporta les preuves écrites de l’embarras où se perdait le faible Abd-er-Rahmane, ballotté entre des influences contradictoires. C’étaient deux lettres adressées au consul-général de France, l’une par Sidi-ben-Dris, principal ministre de l’empereur, l’autre par Bou-Selam-ben-Ali, pacha d’El-Araïch. Autant la première était arrogante et offensante, puisqu’elle rejetait tout le tort de l’agression du 30 mai sur les généraux français et réclamait leur punition, autant l’autre était modeste et conciliante, puisqu’elle exprimait le regret de l’empereur, éclairé par El-Ghennaouï sur les actes commis près de la frontière, et le désaveu de ces actes dont les irréguliers seuls se seraient rendus coupables. « Les affaires du Maroc, disait au maréchal Bugeaud un des notables d’Oudjda, sont conduites au hasard et selon la volonté de chaque individu ; on peut dire qu’au fond il n’y a pas de gouvernement. Nous ne pouvons démêler si l’empereur veut la guerre ou ne la veut pas. »

L’intention du prince de Joinville était de se tenir à proximité, dans les eaux de Cadix, toujours prêt à faire son apparition dès qu’il serait nécessaire, mais évitant jusque-là de donner, par sa présence, un nouvel aliment à l’excitation des esprits. « Un seul cas, écrivait-il au ministre de la marine, pourrait me faire passer par-dessus toutes ces considérations : c’est celui où une escadre anglaise viendrait sur les côtes du Maroc. Cette escadre est annoncée plus forte que la mienne ; si elle se borne, comme nous, à jouer de Gibraltar un rôle d’observation, rien de mieux ; mais si elle va sur les côtes du Maroc, je m’y rendrai à l’instant. Dans l’intérêt de notre dignité comme dans l’intérêt de l’influence que nous devons exercer sur les états limitrophes de nos possessions d’Afrique, il est essentiel que cette affaire du Maroc ne soit pas traitée sous le canon d’une escadre étrangère. »


V

Cependant les incidens se succédaient sur la frontière. Des Angad algériens émigrés au Maroc avaient fait savoir au maréchal Bugeaud que, s’ils n’étaient pas surveillés par les Marocains, ils rentreraient volontiers sur leur ancien territoire. Afin de les aider dans leur projet de retour, le maréchal se décida, le 30 juin, à se porter, le long de la Mouila, sur le champ de bataille du 15.

Le 2 juillet, il prit son bivouac au point où la rivière reçoit un affluent nommé Bou-Naïm, ou plus communément Isly. Aussitôt le camp marocain, qui était à 2 lieues de distance, vint s’établir à deux portées de canon. Le lendemain, voyant que les Angad n’arrivaient pas, et sachant même qu’ils avaient changé d’idée, le maréchal se retirait, quand les coureurs ennemis vinrent tirailler contre son arrière-garde. Il avait fait ses dispositions en conséquence. Après avoir attendu que le grand arc de cercle dessiné par la ligne des Marocains se fût allongé sur les deux flancs de ses colonnes, il fit brusquement volte-face et marcha sur eux ; mais ils se dérobèrent au plus vite. Alors le maréchal rétablit ses troupes au bivouac de la veille, sur l’Oued-IsIy.

Quelques jours après, il remonta la vallée de cet affluent de la Mouila, cherchant les traces de l’armée marocaine, qu’on disait campée plus haut. Il ne la trouva pas ; mais, à son approche, la deïra fut obligée de quitter le terrain qu’elle occupait depuis deux mois et de s’enfoncer plus loin dans les terres. Le 11 et le 12, il y eut de petits engagemens avec des bandes qui cherchaient à la rejoindre.

Il paraît certain que le maréchal, impatient des lenteurs de la diplomatie, eut en ce temps-là l’idée de marcher sur Fez. « On peut y aller, écrivait-il au prince de Joinville, avec 20,000 hommes d’infanterie, trois régimens de cavalerie d’Afrique, une vingtaine de bouches à feu bien approvisionnées et des moyens suffisans pour transporter des vivres pour un mois. » Cette velléité d’aventure fat combattue par La Moricière : « Ce projet, disait-il, me paraîtrait gigantesque ; il y a plus de 90 lieues et de très longues marches sans eau. Il faudrait réunir des forces qui sont hors de proportion avec l’effectif de l’armée et dont l’appel dans l’ouest détruirait toute l’économie de notre occupation. La base d’opération contre Fez n’est pas à Lalla-Maghnia, mais à Tétouan, à Rabat et à Tanger. »

Néanmoins, à la date du 16 juillet, le maréchal écrivait encore au prince de Joinville : « Je n’ai qu’un regret, c’est que la saison et surtout l’exiguïté de mes moyens d’action ne me permettent pas d’aller en ce moment dicter la paix à Fez. J’irais, je n’en doute pas, avec les troupes que j’ai, c’est-à-dire 6,000 à 7,000 hommes d’infanterie et 900 à 1,000 chevaux réguliers ; mais il me manque des transports pour les vivres, des outres, un petit équipage de pont, de l’artillerie de campagne de réserve, et les troupes nécessaires pour l’établissement de trois postes intermédiaires où je déposerais des vivres pour assurer mon retour. »

Sur ces entrefaites, averti à Cadix qu’une escadre anglaise avait paru devant Tanger, le prince de Joinville appareilla sur-le-champ ; les Anglais n’ayant fait que passer, le prince reprit son poste d’observation. La correspondance était active entre lui et le maréchal, qui le pressait d’ouvrir le feu contre la côte. Les agressions marocaines étaient de véritables actes d’hostilité, de sorte que, si la guerre n’était pas déclarée officiellement, l’état de guerre existait de fait ; mais, comme les instructions du prince lui prescrivaient expressément de se tenir sur la réserve, à moins d’un outrage aux représentons diplomatiques de la France ou d’une insulte à son pavillon : « Le drapeau de l’armée, répliquait le maréchal, est aussi respectable que le pavillon ou, pour mieux dire, c’est tout un ; or, notre drapeau n’a-t-il pas été attaqué le 30 mai et outragé le 15 juin ? »

Une rumeur sourde arrivait du fond du Maroc, annonçant la marche de Mouley-Mohammed, fils du sultan-chérif, à la tête d’une innombrable armée. Sur ces nouvelles, le maréchal rappela de Sebdou La Moricière ; le 19 juillet, le corps expéditionnaire était concentré sous Lalla-Maghnia.

El-Ghennaouï, disgracié, n’était plus kaïd d’Oudjda ; Sidi-Hamida, son successeur, écrivit d’abord pour rejeter sur lui seul la responsabilité des actes agressifs. À cette ouverture le maréchal répondit, le 18 juillet, par une sorte de mémorandum ou de résumé des demandes faites par la France : internement d’Abd-el-Kader et de sa deïra, licenciement de ses bandes, renvoi immédiat des tribus émigrées. Le 21, nouveau message de Sidi-Hamida : « Nous savons que votre principal but est El-Hadj Abd-el-Kader et sa deïra ; aussi lui avons-nous envoyé à l’instant même des messagers, qui ont ordre de le chercher partout où il sera, et il faut que je me rencontre demain avec lui, s’il plaît à Dieu. Je lui parlerai avec fermeté, jusqu’à ce qu’il aille à Fez ou qu’il sorte de notre royaume à l’instant même, par quelque moyen que ce soit, bon gré, mal gré, attendu que j’ai reçu des ordres de mon seigneur à ce sujet. » Les apparences retournaient donc à la paix ; quelques tribus émigrées demandèrent à rentrer sur leurs territoires.

Pour hâter la solution décisive, le maréchal prit le parti de se rapprocher d’Oudjda, on remontant la vallée de l’Isly. Ce mouvement eut pour conséquence un nouveau message de Sidi-Hamida, annonçant à la fois l’internement d’Ab-el-Kader et l’arrivée prochaine de Mouley-Mohammed, qui devait tout accommoder : « Je n’ai plus, disait le kaïd, voix délibérative en sa présence, et je ne puis terminer aucune affaire, qu’elle soit importante ou non. » Mais, pendant que le maréchal se repliait encore une fois sur Lalla-Maghnia, il reçut une communication toute contraire ; c’était une confidence faite par El-Kebibi à un ami en ces termes : « Dis à ton oncle, de ma part, que Sidi-Hamida ne parle que de paix, parce qu’il la veut sincèrement ; quant à moi, je n’y crois pas. Le fils de l’empereur ne peut venir à la frontière avec une nombreuse armée que pour la guerre. Il est suivi de très grandes forces ; il a 30 pièces de canon, des pelles, des pioches, pour faire le siège de Maghnia. On ne fait pas tant de préparatifs, si l’on vient pour la paix. »

Le 29 juillet, le maréchal, qui faisait, à l’extrémité nord de la frontière, une excursion chez les Msirda, dont la fidélité n’était pas sûre, fut averti que Mouley-Mohammed venait d’établir son campement non loin d’Oudjda ; aussitôt il reprit le chemin de Lalla-Maghnia. Le 4 août, il reçut de Sidi-Hamida une dépêche qui débutait de la sorte : « Nous sommes enfin sous l’ombre du drapeau de notre seigneur et maître, fils de notre maître et seigneur, — que Dieu lui soit en aide et perpétue sa gloire et son élévation ! — La veille de la date de cette lettre, il a campé sur l’Oued-el-Kessab avec son infanterie Victorieuse et ses nombreuses armées formidables par Dieu et Victorieuses par lui. L’heureuse venue de Son Altesse chérie du ciel est dans le dessein de terminer plusieurs affaires importantes. » Au nombre de ces affaires était le rétablissement de l’ordre et le châtiment des mauvais serviteurs qui avaient attaqué les Français sans l’assentiment et contre la volonté du sultan ; mais tout de suite après cette apparence de satisfaction et l’assurance qu’Abd-el-Kader était interné dans l’empire, la dépêche reprochait au maréchal d’être sorti de ses limites, et surtout d’avoir fait un établissement militaire à Lalla-Maghnia, sur un territoire que le sultan d’ailleurs ne revendiquait plus ; c’était contre le seul fait de l’établissement qu’il protestait, en demandant en termes péremptoires l’évacuation du poste.

Le maréchal répondit que les Français avaient le droit de faire sur leur territoire toutes les constructions qu’il leur plairait, tout comme il était loisible aux Marocains d’en faire autant sur le leur, et refusa, en termes non moins péremptoires, l’évacuation demandée. Depuis cet échange de messages, les communications entre les deux camps cessèrent ; mais, huit jours après, le 11 août, le maréchal reçut de Tanger, par Djemma-Ghozaouat, des nouvelles d’une importance décisive.

Le 25 juillet, le prince de Joinville avait écrit au ministre de la marine : « Monsieur le maréchal Bugeaud me dit que la guerre n’est pas déclarée diplomatiquement, mais qu’elle existe de fait. Il ajoute que je suis libre de suivre une marche différente de celle de l’armée de terre, et d’employer des moyens dilatoires, alors qu’il en est venu à une offensive ouverte. Mes instructions me prescrivent de commencer les hostilités dans le cas prévu d’une semblable déclaration de la part du maréchal. J’ai fait mon possible pour lui faire partager mon opinion ; comme vous le voyez par sa lettre, je n’ai pas réussi. Il suit une marche contraire à mes idées ; mais, outre que mes instructions me prescrivent d’agir comme lui, je crois qu’à une grande distance de France, quelle que soit la différence d’opinion, il faut unité de vue et d’action entre les agens du gouvernement. Or, entre M. le maréchal et moi, c’est moi qui dois céder ; je m’incline devant son grade, son âge, son expérience. Puisqu’il fait la guerre sous sa responsabilité, puisqu’il a recours à ce moyen extrême pour obtenir la paix, puisqu’il me place dans un des cas prévus par mes instructions, celui où la guerre serait positivement déclarée et engagée, je me tais et je ferai tous mes efforts pour le seconder. »

Le 1er août, le prince parut devant Tanger. Son escadre comprenait trois vaisseaux de haut bord : Suffren, Jemmapes et Triton ; la frégate à voiles Belle-Poule ; trois frégates à vapeur : Labrador, Asmodée, Orénoque ; quatre corvettes à vapeur : Pluton, Gassendi, Véloce, Cuvier, et plusieurs navires de rang inférieur, en tout vingt-huit bâtimens de guerre. Le 2, le délai donné au Maroc pour répondre à l’ultimatum de la France venait à son terme ; mais on n’avait aucune nouvelle du consul d’Angleterre, M. Drummond-Hay, qui s’était rendu à Rabat, par ordre de son gouvernement, pour y faire entendre des conseils pacifiques. Le 4, M. de Nion, qui avait amené son pavillon et s’était retiré à bord du Suffren, reçut du pacha d’El-Araïch une réponse mesurée dans la forme, mais insolente au fond ; car il exigeait, au nom d’Abd-er-Rahmane, l’évacuation de Lalla-Maghnia et la punition du maréchal Bugeaud. Le 5, enfin, on apprit qu’après avoir échoué dans sa mission, M. Drummond-Hay avait abandonné l’empereur aux ressentimens de la France et s’était embarqué à Mogador. Le 6, au matin, l’escadre attaqua les fortifications de Tanger, qu’elle avait ordre de détruire.

« En faisant un débarquement, dit le prince dans son rapport, j’aurais pu facilement atteindre ce but ; mais j’ai préféré agir avec le canon et mettre les batteries hors de service, en respectant le quartier des consuls, où cinq ou six boulets à peine sont allés s’égarer. » Ouvert à huit heures et demie, le feu avait cessé avant onze heures ; toutes les batteries marocaines étaient démantelées, la plus grande partie des pièces démontées ; l’ennemi avait, de son aveu, 150 morts et 400 blessés : sur l’escadre, les pertes se réduisaient à 16 blessés et à 3 morts ; les avaries étaient peu de chose.

« Pendant l’affaire, ajoute le prince de Joinville, M. Hay est arrivé de Rabat, où il s’était arrêté pour voir l’empereur ; je l’ai reçu le lendemain. Il m’a dit qu’il avait trouvé l’empereur très abattu ; la nouvelle du retrait des consuls lui était parvenue. M. Hay m’a remercié de la sollicitude que nous avons montrée à son égard. Maintenant je vais à Mogador, à l’autre bout de l’empire. Mogador est la fortune particulière de l’empereur ; outre les revenus publics, la ville est sa propriété : il en loue les maisons, les terrains. C’est, en un mot, une des sources les plus claires de son revenu. Toucher à cette ville, la ruiner ou occuper l’île qui ferme le port jusqu’à ce que nous ayons obtenu satisfaction, c’est faire à Mouley-Abd-er-Rahmane et à tout le sud de son empire un mal sensible. »

Le 8 août, dans un accès d’impatience et de mauvaise humeur, le maréchal Bugeaud avait écrit au maréchal Soult, ministre de la guerre, une lettre acerbe : « J’ai, disait-il, devant moi un camp de 15,000 à 20,000 hommes ; nous savons qu’il y a un autre camp à Taza, peut-être en route pour venir joindre celui-ci. On peut encore soulever toutes les montagnes de la côte du Rif et des Beni-Snassen, et amener contre nous tous ces montagnards ; il faudra donc attendre la concentration de toutes ces forces ! Si, au contraire, j’étais libre de faire la guerre comme elle doit être faite, je sommerais le fils de l’empereur de répondre, dans les vingt-quatre heures, s’il accepte la suspension d’armes que je lui ai proposée, et s’il renonce à la prétention de nous faire évacuer Lalla-Maghnia. S’il me répondait non, je marcherais sur lui et j’attaquerais ce premier camp. Au lieu de cela, que m’ordonnez-vous ? 1° d’attendre la concentration de forces énormes ; 2° de perdre cette force morale sur les peuples et sur mes soldats que j’avais acquise par une attitude énergique et offensive. Plus j’y réfléchis, monsieur le maréchal, plus cette conduite me paraît funeste, je dirai même intolérable. Hier, j’étais fier de ma situation ; dans deux ou trois jours peut-être, je regretterai amèrement d’avoir prolongé aussi longtemps mon séjour en Afrique. C’est avec la tristesse dans le cœur que je trace ces dernières lignes. »

Mais, le 11 août, quand il reçut la nouvelle du bombardement de Tanger, ce fut un cri de joie qui sortit de sa poitrine. « Le 14 au plus tard, écrivit-il au prince, j’ai la confiance que nous aurons, acquitté la lettre de change que la flotte vient de tirer sur nous. »


VI

Les camps marocains s’étaient rapprochés ; de la vigie de Lalla-Maghnia on les apercevait sur les collines de la rive droite de l’Isly, à 2 ou 3 kilomètres en arrière d’Oudjda. D’après les dires des espions, il y avait là un rassemblement de 30,000 cavaliers et de 10,000 fantassins, avec onze bouches à feu. L’élite de cette armée était la cavalerie noire ou mulâtre de la garde de l’empereur, les Abid-el-Bokhari.

Voici, d’après les mémoires du général de Martimprey, une esquisse de cette troupe, qui passait pour redoutable : « Une large culotte ou zeroual, un burnous de drap bleu, un grand bonnet rouge pointu, un sabre et un long fusil armé d’une baïonnette, leur constituaient une tenue et un armement à peu près uniformes. Toutefois, les fusils n’étant pas à cette époque du même calibre, il s’ensuivait qu’il ne pouvait être fait de distribution de cartouches. Dans le combat, chacun, muni de balles à sa convenance et d’une poire à poudre, chargeait son arme comme on le fait à la chasse, méthode délicate et lente dans la chaleur de l’action. »

La température était excessive ; afin d’abriter ses troupes, le maréchal avait transporté le bivouac à l’est de Lalla-Maghnia, au bord d’un ruisseau, dans un bois de frênes d’une belle venue, de sorte que les rôdeurs marocains, ne voyant plus les Français à leur ancienne place, se figurèrent d’abord qu’ils avaient fait retraite sur Tlemcen. Ils se trompaient du tout au tout. Le maréchal n’attendait, pour marcher à eux, que le retour du général Bedeau, détaché avec deux bataillons vers Sebdou en reconnaissance. « Je compte qu’il me rejoindra après demain matin, écrivait le gouverneur au maréchal Soult, le 11 août ; le même jour, au soir, je ferai un mouvement en avant. Le 14, au matin, je serai de très bonne heure sur l’Isly, à une petite distance du camp ennemi. Si mes troupes ne sont pas trop fatiguées, et surtout si la chaleur n’est pas excessive, je continuerai mon mouvement, et j’attaquerai le camp marocain pour ne lui pas donner le temps d’évacuer les provisions et les impedimenta qu’il doit avoir réunis. Vainqueur, je le poursuivrai jusqu’à Aïoun-Sidi-Mellouk ; il ne m’est guère possible d’aller plus loin, à cause de l’éloignement des eaux. Après, je me jetterai sur le pays, à droite et à gauche, pour le ravager et faire vivre ma cavalerie. »

Le général Bedeau rejoignit le 12, plus tôt que n’avait espéré le maréchal ; dans la matinée du même jour était arrivé un régiment de marche venu de France et composé de quatre escadrons, deux du 1er chasseurs à cheval, deux du 2e hussards. La petite armée comprenait dès lors 8,500 baïonnettes, 1,400 chevaux réguliers, 400 irréguliers et 16 bouches à feu, dont 4 de campagne. « Elle compte sur la victoire, tout comme son général, écrivait allègrement le gouverneur ; si nous l’obtenons, ce sera un nouvel exemple que le succès n’est pas toujours du côté des gros bataillons, et l’on ne sera plus autorisé à dire que la guerre n’est qu’un jeu du hasard. »

La masse énorme de la cavalerie marocaine ne lui imposait pas ; plus elle était nombreuse, plus il était assuré d’avoir raison d’elle. Il avait à cet égard une théorie depuis longtemps faite : « vous vous attendez, écrivait-il dès 1841 à La Moricière, vous vous attendez à être attaqué par une nombreuse cavalerie et quelque peu d’infanterie. Vous n’êtes pas préoccupé et vous avez bien raison ; passé un certain chiffre, comme quatre ou cinq mille, le nombre des cavaliers ne fait rien à l’affaire. Il suffit de marcher à eux en bon ordre et résolument, puis de les accueillir, s’ils viennent à vous, par un feu de deux rangs bien dirigé ; mais il faut préalablement avoir bien convaincu les soldats que le nombre ne fait rien. Vous y parviendrez facilement en leur représentant que, même en Europe, la cavalerie régulière est impuissante contre la bonne infanterie, que la cavalerie arabe, n’ayant ni organisation, ni discipline, ni tactique, ne peut pas faire des charges successives, qu’elle n’a aucune force d’ensemble, et que, pourvu qu’on marche à elle, on la met dans une telle confusion et un tel découragement qu’elle ne peut plus revenir au combat. C’est une cavalerie absolument sans consistance pour attaquer les carrés d’infanterie, et, plus elle est nombreuse, passé un certain chiffre, moins elle a de puissance. Il n’est pas plus difficile de repousser, avec des bataillons bien harmonisés, 15,000 chevaux arabes que 3,000 ou 4,000. Les courages individuels, quelque distingués qu’ils soient, ne sont plus indépendans ; ils sont entraînés dans le tourbillon, et ils s’affaiblissent par le désespoir de l’impuissance. »

Le 12, dans la soirée, les officiers des chasseurs d’Afrique et des spahis offrirent un punch aux camarades des escadrons venus de France. La salle de réception était une enceinte de verdure, au bord du ruisseau ; des lanternes en papier de couleur se balançaient aux branches des lentisques et des lauriers-roses ; le punch flambait dans les gamelles ; on buvait à la gloire et à la patrie, à l’Algérie et à la France. Cependant il manquait à la fête quelque chose, ou plutôt quelqu’un, le grand chef. L’interprète principal de l’armée, M. Léon Roches, qui vivait dans sa familiarité, fut dépêché vers lui en ambassade.

Le grand chef, accablé de fatigue, dormait tout habillé dans sa tente. Au premier abord, le réveil fut terrible et l’ambassadeur envoyé au diable ; puis, grommelant, le maréchal se mit en route avec son guide ; tous deux allaient, trébuchant dans l’obscurité contre les piquets des tentes, l’un grondant de plus en plus, l’autre de plus en plus bourré ; mais quand, à la lueur des illuminations, un hurrah d’acclamations accueillit le maréchal, sa mauvaise humeur tomba soudain, sa figure s’éclaira d’un joyeux sourire, et, d’une voix forte, il fit, devant cette foule d’auditeurs qui buvaient ses paroles, la prophétie de la bataille : « Après-demain, mes amis, sera une grande journée, je vous en donne ma parole. Avec notre petite armée, je vais attaquer les innombrables cavaliers du prince marocain. Je voudrais que leur nombre fût double, fût triple, car plus il y en aura, plus leur désordre et leur désastre seront grands. Moi, j’ai une armée, lui n’a qu’une cohue. Je vais vous expliquer mon ordre d’attaque. » Et il expliquait le fameux ordre triangulaire, « la tête de porc ; » et, joignant l’action à la parole, « il accompagnait sa démonstration, dit le général de Martimprey, de violens gestes des coudes, très expressifs, qui mirent en gaîté son auditoire. »

La formation, d’ailleurs, avait été mise à l’ordre. L’infanterie était répartie en quatre commandemens : 1° avant-garde, sous les ordres du colonel Cavaignac, du 32e comprenant le 8e bataillon de chasseurs, un bataillon du 32e, un du 41e, le 2e bataillon du 53e et deux compagnies d’élite du 58e ; 2e brigade de droite, sous les ordres du général Bedeau, comprenant deux bataillons du 13e léger, deux du 15e léger, un bataillon de zouaves et le 9e bataillon de chasseurs ; 3e brigade de gauche, sous les ordres du colonel Pélissier, comprenant deux bataillons du 6e léger, le 10e bataillon de chasseurs et trois bataillons du 48e ; 4e arrière-garde, sous les ordres du colonel Gachot, comprenant deux bataillons du 3e léger et le 6e bataillon de chasseurs. La cavalerie, commandée par le colonel Tartas, marchait en deux colonnes encadrées par l’infanterie, celle de droite, sous les ordres du colonel Morris, formée du 2e chasseurs d’Afrique et du régiment de marche venu de France ; celle de gauche, commandée par le colonel Jusuf, formée des spahis et du 4e chasseurs d’Afrique, et suivie du maghzen d’Oran, sous les ordres du commandant Walsin Esterhazy[2]. Telle qu’elle était réglée par le maréchal, la formation de combat présentait la figure d’un losange irrégulier, dont les côtés postérieurs étaient réunis suivant un angle obtus.

Depuis quelques jours, le maréchal envoyait régulièrement ses fourrageurs de plus en plus près de la frontière. Le 13, à trois heures de l’après-midi, toute l’armée se mit en mouvement, comme pour soutenir un plus grand fourrage ; mais, le soir venu, au lieu de rentrer au bivouac, elle s’arrêta sur place et passa la nuit, sans feux allumés, dans le plus grand silence. Le 14, à deux heures du matin, elle se remit en marche, passa l’Isly à gué et remonta la rive gauche, n’ayant devant elle que 5 ou 6 cavaliers marocains, qui se retiraient lentement en tiraillant sur les guides.

Le commandant de Martimprey marchait tout à fait en tête, ayant derrière lui l’étoile polaire. Tout à coup, il aperçut sur sa gauche le maréchal qui lui cria : « Êtes-vous sur de la direction, Martimprey ? — Oui, monsieur le maréchal. — Bonô !.. » Faite d’une voix de stentor, en prolongeant la dernière syllabe, à travers l’air sonore et calme du matin, cette réplique excita dans les premiers pelotons une bruyante hilarité, qui, de proche en proche, gagna jusqu’à l’arrière-garde. Ce fut dans cette heureuse disposition qu’après avoir gravi allègrement une dernière hauteur, l’armée aperçut tout à coup, resplendissantes de blancheur au soleil, les innombrables tentes des camps marocains.

Tous les mamelons en étaient couverts, depuis Oudjda jusqu’à l’Isly. Au milieu de la foule qui s’agitait en prenant les armes, on distinguait parfaitement le groupe du fils de l’empereur, ses drapeaux, son parasol de commandement. Ce fut le point de direction donné à l’avant-garde. Tous les chefs des principales fractions de l’armée, appelés par le maréchal, reçurent ses dernières infractions ; chacun retourna diligemment à son poste, la formation de combat fut prise, et le losange, éployant ses ailes, descendit, au son des musiques de régiment, vers la rivière qu’il fallait passer encore.

Les gués ne furent que faiblement disputés ; mais, par-delà, le maréchal et ses troupes se trouvèrent entourés de toutes parts et disparurent dans les flots de poussière soulevés par le tumulte de la cavalerie marocaine comme un navire battu par des vagues dans les embruns d’une mer démontée. La gauche, particulièrement, fut assaillie avec une violence extrême ; les Marocains, s’excitant par de bruyantes clameurs, se jetaient d’un échelon sur l’autre, en essayant de passer par les intervalles ; partout leur effort échoua devant le feu des tirailleurs qui se flanquaient mutuellement ; deux bataillons seulement furent obligés de former le carré ; les autres continuèrent de rester en colonne à demi-distance.

Dès que le maréchal s’aperçut que, sous l’effet des balles et de la mitraille, la massa assaillante commençait à se disloquer, il donna au colonel Tartas l’ordre de faire sortir du losange ses dix-neuf escadrons et de les échelonner de sorte que le dernier échelon fût appuyé à la rive droite de l’Isly. A la tête des spahis soutenus par le 4e chasseurs d’Afrique, le colonel Jusuf mena la charge contre le camp de Mouley-Mohammed. Une batterie de onze pièces était déployée sur le front de bandière ; mais elle ne put tirer qu’une salve ; les canonniers sabrés se dispersèrent. En avant de la tente impériale, cavaliers et fantassins confondus essayèrent d’arrêter les spahis ; mais les chasseurs, venant à la rescousse, culbutèrent l’obstacle, et, dès lors, tout le camp fut la proie du vainqueur.

Pendant ce temps, le colonel Morris, emporté par son ardeur, s’était lancé au loin, de l’autre côté de l’Isly, à l’attaque d’une grosse troupe de cavalerie ralliée sur la rive gauche. Ce fut le seul moment critique de la bataille ; mais, pendant plus d’une demi-heure, les six escadrons du 2e chasseurs qu’il commandait, c’est-à-dire 650 hommes seulement, se trouvèrent sérieusement engagés parmi des milliers d’ennemis. Comme les combattans étaient noyés dans des flots de poussière, on ne savait ce qui se passait derrière ce nuage ; mais enfin le général Bedeau, averti, envoya au pas de course les zouaves et deux autres bataillons, qui dégagèrent les chasseurs et décidèrent la retraite des Marocains. L’artillerie acheva de disperser ce qui essayait de résister encore.

À midi, la bataille était gagnée ; les troupes avaient exécuté résolument ce que le général avait supérieurement conçu. Toutes ses prévisions s’étaient réalisées, grand triomphe pour un homme de guerre, sans avoir été payées par de trop douloureux sacrifices. L’armée n’avait à regretter que quatre officiers, tous quatre aux spahis, et vingt-trois soldats ; sept officiers et quatre-vingt-douze soldats étaient blessés. Les Marocains laissaient 800 morts sur le champ de bataille. La tente et le parasol de Mouley-Mohammed, dix-huit drapeaux, onze pièces de canon, furent les principaux trophées de la victoire ; quant au reste, le butin fut immense.

Pour les Arabes, le vaincu est celui qui a tort ; les tribus au milieu desquelles se fourvoyaient les fuyards les poursuivaient à coups de fusil ou les dépouillaient impitoyablement. De cet immense rassemblement, il ne resta bientôt plus que les fidèles du maghzen autour du prince réfugié à Taza. La chaleur de plus en plus intense ne permettait pas au maréchal de l’y aller chercher.

Le 16 août, il lui écrivit, en vainqueur généreux, sans rien ajouter aux conditions qui lui avaient été posées avant la bataille. Le 23, dix cavaliers des Abid-Bokhari apportèrent la réponse du prince ; elle débutait mal, car elle portait contre le maréchal une accusation de perfidie : « Sache que, si tu as pris mon camp, c’est que tu as usé de ruse et que tu n’as pas tenu tes promesses ; sans cela, tu aurais vu ce qui te serait arrivé ; » mais, après cet accès de méchante humeur, elle devenait toute pacifique.

Le maréchal profita de ce temps d’arrêt pour ramener à Lalla-Maghnia d’abord, puis à Djemma-Ghazaouat, les troupes épuisées de chaleur et les malades, dont le nombre excédait de beaucoup les ressources de l’ambulance. À Lalla-Maghnia, le 28 août, il reçut la nouvelle d’un autre succès du prince de Joinville.

Le 11 août, l’escadre française était arrivée devant Mogador, mais l’état de la mer était tel que, pendant quatre jours, tout ce qu’elle avait pu faire avait été de tenir au mouillage. Enfin, le 15, le temps étant devenu meilleur, le bombardement avait commencé. Les batteries de mer ayant été détruites par le feu des vaisseaux Jemmapes, Triton, Suffren, et de la frégate Belle-Poule, les bricks Cassard, Volage et Argus débarquèrent dans l’île 500 marins qui, malgré la vive résistance de la garnison, s’emparèrent des batteries et des postes fortifiés. Le lendemain, un second débarquement acheva de détruire les défenses de la ville. Les canons furent encloués ou jetés à la mer, les poudres noyées, les barques coulées à fond. Alors les montagnards des environs descendirent en foule sur Mogador, qu’ils mirent à sac. Le consul anglais et quelques autres Européens qui s’étaient obstinés à rester dans la place furent trop heureux d’être recueillis par l’escadre française.

Après avoir laissé 500 hommes bien établis dans l’île et quelques-uns de ses bâtimens dans le port, le prince de Joinville revint à Cadix avec la plus grande partie de l’escadre.


VII

Plus encore que la victoire d’Isly, les succès de la flotte française excitèrent dans Londres une émotion vive. Le premier ministre, sir Robert Peel, était de plus en plus sombre et inquiet. « Il accueillait, dit M. Guizot dans ses mémoires, tous les renseignemens, tous les bruits qui lui parvenaient sur les immenses travaux que nous faisions, disait-on, dans tous les ports d’où l’Angleterre pouvait être menacée, à Dunkerque, à Calais, à Boulogne, à Cherbourg, à Saint-Malo, à Brest. Il se refusait à regarder nos assurances pacifiques et amicales comme des garanties suffisantes, et il insistait auprès de ses collègues pour que l’Angleterre se préparât promptement et largement à une guerre qui lui paraissait probable et prochaine. C’était contre ces dispositions et ces appréhensions du premier ministre que lord Aberdeen avait à défendre la politique de la paix ; il le faisait avec une habileté parfaitement loyale, opposant aux vaines alarmes de sir Robert Peel une appréciation plus juste et plus fine, soit des événemens, soit des hommes, soit des chances de l’avenir. »

Ce fut l’opinion de lord Aberdeen qui prévalut ; mais il importait que la paix entre la France et le Maroc ne tardât pas trop à se conclure. Le Maroc en prit l’initiative, d’abord par un message que Mouley-Mohammed adressa, le 1er septembre, au maréchal Bugeaud, puis par une lettre de Sidi-Bou-Selam au prince de Joinville. « J’atteste par ces présentes, disait expressément le pacha d’El-Araïch, que j’ai entre les mains l’ordre de l’empereur de faire la paix avec vous. »

Le maréchal Bugeaud aurait bien voulu présider aux négociations, mais la diplomatie refusa de se ranger sous la tutelle militaire. Les plénipotentiaires français, M. de Nion et le duc de Glücksberg, s’abouchèrent à Tanger, le 10 septembre, avec Sidi-Bou-Selam, plénipotentiaire du sultan, et le traité fut immédiatement conclu. Il était conforme à l’ultimatum posé par la France, si ce n’est que la mise hors la loi était substituée à l’internement, en Ce qui concernait Abd-el-Kader.

« Hadj Abd-el-Kader, était-il dit dans l’article 4, est mis hors la loi dans toute l’étendue de l’empire du Maroc, aussi bien qu’en Algérie. Il sera en conséquence poursuivi à main armée par les Français, sur le territoire de l’Algérie, et par les Marocains sur leur territoire, jusqu’à ce qu’il en soit expulsé ou qu’il soit tombé au pouvoir de l’une ou de l’autre nation. Dans le cas où Abd-el-Kader tomberait au pouvoir des troupes françaises, le gouvernement de Sa Majesté l’empereur des Français s’engage à le traiter avec égards et générosité. Dans le cas où Abd-el-Kader tomberait au pouvoir des troupes marocaines, Sa Majesté l’empereur du Maroc s’engage à le faire transporter dans une des villes du littoral ouest de l’empire, jusqu’à ce que les deux gouvernemens aient adopté de concert les mesures indispensables pour qu’Abd-el-Kader ne puisse, en aucun cas, reprendre les armes et troubler de nouveau la tranquillité de l’Algérie et du Maroc. » L’article 5 établissait la délimitation de la frontière comme au temps de la domination turque.

Disons tout de suite que, pour l’application régulière de cette clause, une convention spéciale fut signée, le 18 mars de l’année suivante, à Lalla-Maghnia, par le général de La Rue, assisté du commandant de Martimprey et de M. Léon Roches, pour la France, et par Sidi-Hamida, assisté de Si-Selaouï, pour le Maroc. Le tracé de la délimitation avait été fait par le commandant de Martimprey. « Dans le Tell, a-t-il dit modestement dans ses mémoires, ce travail était facile ; dans le Sahara, c’était beaucoup moins clair, et je fus conduit à une erreur grave, en m’en rapportant aux témoignages du kaïd de Tlemcen et de l’aghade la montagne de l’ouest. Ils nous certifièrent que les Ouled-Sidi-Cheikh-Gharaba étaient Marocains. » C’est ainsi que les ksour de Figuig, sans qu’on se doutât du sacrifice, furent abandonnés au Maroc.

En fait, le traité de Tanger, conclu sans l’attache du maréchal Bugeaud, commença par lui déplaire. Il ne s’en cachait pas et poursuivait de ses sarcasmes La Moricière, à qui l’arrangement paraissait suffire. « Applaudissez-vous tout seul, je vous en prie, lui écrivait-il ; car, moi, je ne m’applaudis pas le moins du monde, et je ne voudrais, à aucun prix, apposer ma signature au bas de ce traité. Je vous croyais un dragon d’opposition ; j’avais l’air devant vous d’un ministériel quand même, et voilà que vous approuvez tout, même ce qui est détestable. » — « Quant au traité, répliquait La Moricière, sans doute sa rédaction trahit une ignorance absolue des hommes et des choses, et ce serait une bonne fortune pour le Charivari que de l’avoir avec le commentaire du maréchal ; mais plutôt que de s’exposer à, la guerre avec l’Angleterre, la France a bien fait de terminer elle-même ses affaires. Du reste, mon ignorance des affaires politiques, auxquelles je ne me suis jamais mêlé, que je n’ai jamais vues que dans les journaux, et encore d’une manière assez peu suivie, est la cause de l’incertitude et du vague que vous avez remarqués dans mes opinions politiques. Je prends acte toutefois du reproche que vous m’adressez de ne pas avoir conservé mes tendances à l’opposition, et de n’avoir pas trouvé les choses absolument mal, avant d’avoir examiné si elles pouvaient être mieux. »

Il y avait un autre motif de désaccord entre le grand chef et son lieutenant : celui-ci tenait pour l’occupation définitive du poste de Djemma-Ghazaouat, tandis que le maréchal voulait en confier la garde à une milice locale. La question fut portée devant le maréchal Soult, qui donna gain de cause à La Moricière. Le lieutenant-colonel de Montagnac, du 15e léger, fut nommé commandant de Djemma-Ghazaouat.

Le maréchal Bugeaud s’était embarqué pour Alger ; il y trouva, le 5 septembre, un accueil enthousiaste. La victoire d’Isly faisait son tour d’Algérie ; de toutes parts, les grands chefs arabes, khalifas, aghas, kaïds, arrivèrent, plus ou moins spontanément, pour rendre hommage au vainqueur. Il y eut, le 22 septembre, sur le champ de manœuvre de Moustafa, une fête magnifique. Quelques jours plus tard, les acclamations redoublèrent : on venait de lire l’ordonnance royale qui conférait au maréchal le titre de duc d’Isly.

Ses compagnons de gloire ne furent pas oubliés : La Moricière reçut la croix de commandeur ; Bedeau fut nommé lieutenant-général et commandant de la province de Constantine ; Cavaignac maréchal de camp et commandant de la subdivision de Tlemcen. Le maréchal était loin d’avoir pour Cavaignac les sentimens d’affection qu’il portait à Bedeau ou à Saint-Arnaud, par exemple, et il avait été parfois sévère à son égard ; mais il rendait justice à son intrépidité calme et froide, à son caractère, à son esprit de devoir et de discipline.

Quand le général Cavaignac eut reçu des mains du maréchal sa lettre de service, il écrivit à l’un de ses amis la lettre suivante, qui lui fait le plus grand honneur : « Je partage complètement votre opinion sur ce qui doit rester de mes anciennes relations avec notre gouverneur-général, et je sais qu’il a mis une grande chaleur et une grande loyauté dans ses démarches. Du reste, si j’avais une nature assez rancunière pour penser au passé en face du présent, je crois que les immenses services rendus par le maréchal en Afrique, depuis un an surtout, doivent, dans l’esprit d’un vieil Africain comme moi, dominer tout autre sentiment. C’est là ma disposition véritable, et c’est ainsi que vous me trouverez. »


VIII

Le maréchal duc d’Isly avait demandé deux mois de congé, afin de se rendre à Paris et de prendre part aux discussions de la Chambre ; mais, avant de s’éloigner, il voulut achever, chez les Kabyles de la vallée du Sébaou, toujours agitée par les intrigues de Ben-Salem, l’œuvre que les affaires du Maroc l’avaient contraint de laisser, au mois de mai précédent, à l’état d’ébauche. Les opérations commencèrent à la fin de septembre, sous la direction du général Comman, qui partit de Dellys à la tête d’une colonne de 2,800 hommes. Pendant une quinzaine de jours, il manœuvra sur les deux versans de la vallée sans éprouver de résistance ; mais, le 17 octobre, chez les Flisset-el-Bahr, il se trouva en présence d’un gros rassemblement de Kabyles groupés au-dessus du pic du Tléta, près du village de Tiferâa. Malgré l’entrain des troupes que menaient à l’attaque le colonel de Saint-Arnaud et le lieutenant-colonel Forey, les Kabyles ne purent pas être débusqués de toutes leurs positions, et le général Comman dut se replier sur Dellys, où il rentra, le 19, avec une perte de 26 tués et de 167 blessés. Ce petit combat avait donc coûté plus cher que la bataille d’Isly.

Averti de l’échec, le maréchal prit immédiatement la mer avec quatre bataillons, descendit à Dellys et se porta, le 25, contre les Flisset-el-Bahr. Le 28, il les fit attaquer par trois colonnes, à une lieue en arrière des positions qu’ils avaient si bien défendues, le 17, et les culbuta de telle sorte qu’ils se hâtèrent, eux et les voisins, de faire leur soumission. Le 5 novembre, la colonne expéditionnaire fut dissoute, et les corps regagnèrent leurs cantonnemens.

A tout prendre, cette campagne d’automne en Kabylie ne fut guère plus décisive que la campagne du printemps ; mais la saison devenait mauvaise et le maréchal avait hâte d’être à Paris. Il partit d’Alger le 16 novembre, laissant l’intérim du gouvernement au général de La Moricière.

Le 24 janvier 1845, le vainqueur d’Isly prononça, dans la chambre des députés, un grand discours d’une haute importance. Après avoir commencé par avouer le peu de goût que le traité de Tanger lui avait inspiré d’abord, et déclaré loyalement que l’examen des faits et des circonstances avait modifié son impression première, il aborda de front le problème général de la conquête. « Quoique notre armée d’Afrique vous paraisse souvent beaucoup trop forte, surtout quand il s’agit de voter le budget, dit-il aux députés ses collègues, je vous déclare qu’elle est faible, comparativement à la surface du pays qu’elle a à dominer, à protéger. Si elle y suffit, ce n’est qu’en multipliant ses fatigues. J’ai demandé à nos soldats en mobilité plus peut-être qu’on ne pouvait. C’est en répétant leurs marches à l’infini, c’est en leur imposant des privations presque continuelles, que je suis parvenu à suffire aux besoins de notre domination sur cet immense territoire.

« On s’est étonné qu’il ait fallu 80,000 hommes pour faire la conquête de l’Algérie, où on n’a jamais vu, dit-on, 20,000 hommes en ligne, lorsque, avec des armées de 30,000 hommes, on a fait la conquête de l’Italie et de l’Egypte. Je ne saurais trop le redire, c’est que, dans la plupart des autres pays, surtout en Europe, il suffit de gagner une ou deux batailles décisives pour s’emparer des grands intérêts de l’ennemi, qui se trouvent concentrés sur quelques points ; mais, en Afrique, des combats même convenables n’ont rien de décisif. Ce n’est que par leur multiplicité, et en prenant les tribus les unes après les autres, que nous sommes parvenus à soumettre les Arabes. Réduire l’armée serait donc la chose la plus contraire à notre entreprise ; ce serait compromettre la conquête, ou tout au moins retarder l’époque des compensations à nos sacrifices. L’armée, par les routes qu’elle a ouvertes, n’a pas fait seulement de la stratégie, elle a encore créé des voies commerciales.

« On a blâmé trois expéditions faites l’année dernière ; on a prétendu que ces expéditions avaient uniquement pour but de conquérir de la gloire, de faire des bulletins et, passez-moi l’expression un peu triviale, de recueillir de la graine d’épinards ! (Hilarité générale.) Eh bien ! messieurs, on s’est trompé. L’armée française ne fera jamais la guerre dans ses propres intérêts : elle a trop de patriotisme pour cela. Elle la fera, quand il sera nécessaire de la faire, dans les intérêts du pays, et pas autrement. Et savez-vous pourquoi nous sommes allés à Biskra et chez les Ouled-Naïl, qui sont à 130 lieues des côtes ? Pour nous ouvrir des routes commerciales à l’intérieur. Nous avons fait ce que font les Anglais, la guerre d’intérêt ; nous avons marché, l’épée dans une main et le mètre dans l’autre.

« Les résultats généraux, vous les connaissez. Vous savez qu’Abd-el-Kader a été successivement chassé de l’édifice de granit qu’il avait créé ; cet édifice, nous l’avons démoli pièce à pièce. Nous avons soumis les tribus, une à une, par cette activité de jambes dont j’ai parlé. Nous avons rejeté Abd-el-Kader dans l’intérieur du Maroc, ce qui ne veut pas dire qu’il ne reviendra pas ; je crois même pouvoir vous prévenir qu’il reviendra. Il ne reviendra pas dangereux, mais tracassier, et voilà pourquoi il faut que nous restions toujours forts et vigilans : c’est là mon adage.

« Vous dominez tout le pays depuis la frontière de Tunis jusqu’au territoire du Maroc. Il ne reste qu’un petit pays de quatre-vingts lieues de longueur sur trente de largeur, qu’on appelle vulgairement la Kabylie. Ce sont les montagnes de Bougie à Djidjeli, pays très difficile, montagnes très âpres, peuplées par des hommes très vigoureux, énergiques, excellons fantassins. Il n’est pas du tout impossible de les soumettre ; l’armée d’Afrique ne connaît pas beaucoup d’impossibilités dans ce genre ; toutefois, ce n’est pas urgent, mais c’est une chose qui doit être faite tôt ou tard. Comme le disait M. Thiers, l’occupation restreinte est une tâche impossible ; il est plus facile de prendre le tout que la partie. On ne peut pas faire la conquête à demi.

« Nous serons donc contraints de prendre la Kabylie, non pas que les populations soient inquiétantes, envahisseuses, hostiles ; non ; elles défendent vigoureusement leur indépendance quand on va chez elles, mais elles n’attaquent pas. Mais ce territoire insoumis au milieu de l’Algérie obéissante est d’un mauvais exemple pour les tribus qui paient l’impôt et voient auprès d’elles des voisins qui ne le paient pas. C’est un témoin vivant de notre impuissance, de notre respect pour les gens forts, et cela diminue notre force morale. C’est un refuge pour les mécontens de nos possessions ; c’est là qu’un lieutenant d’Abd-el-Kader, Ben-Salem, s’est retiré et maintient encore le drapeau de son maître ; il pourrait sortir de là quelque jour un gros embarras.

« Il y a encore une autre considération, c’est que nous ne pouvons rester continuellement à Bougie et à Djidjeli bloqués et regardant les montagnes, sans y avoir aucune espèce d’action. Si l’on veut renoncer pour toujours à ces montagnes, en vertu de sentimens philanthropiques ou dans la crainte d’augmenter l’effectif de deux ou trois régimens, il faut s’empresser d’évacuer Bougie et Djidjeli, occupations très onéreuses et qui ne servent absolument, dans l’état actuel des choses, qu’à nous faire perdre des soldats et dépenser de l’argent. Sinon, nous serons obligés de prendre toute la Kabylie un jour ou l’autre. »

Tout était dans ce discours : le passé, le présent, l’avenir de la conquête.


CAMILLE ROUSSET.

  1. voyez la Revue du 15 décembre 1887, du 15 janvier, du 15 février et du 15 mars 1888.
  2. En ordre de marche, le 8e bataillon de chasseurs tenait la tête de l’avant-garde, ayant sur ses flancs en échelons, à droite le bataillon du 32e, à gauche le bataillon du 41e, entre les deux, le maréchal et l’état-major-général, suivis du bataillon du 53e, des pièces de campagne et d’une section de montagne. Le général de La Moricière marchait en tête avec le 8e bataillon de chasseurs. En arrière, à droite du 31e, venait toute la brigade Bedeau ; à gauche du 41e, toute la brigade Pélissier, chacune des deux sur une seule colonne ; dans l’intervalle marchaient les deux colonnes de cavalerie, flanquant elles-mêmes de part et d’autre la réserve d’artillerie, le train des équipages, les bagages des corps et le troupeau. L’arrière-garde avait deux de ses bataillons dans les traces respectives des colonnes d’infanterie, et le troisième sur la ligne du centre en arrière, fermant le système, — Pour passer de l’ordre de marche à l’ordre de combat, l’avant-garde conservait sa formation ; le premier bataillon de chaque colonne restait également à sa place ; les autres s’échelonnaient successivement en dehors et à soixante pas chacun du précédent, sauf le dernier, qui s’échelonnait en dedans, de manière à se relier avec les bataillons d’arrière-garde.