La Conque (Revue)
Où je souffle un appel à quelque dieu qui passe…
H. de R.
MDCCCXCI
Le Numéro DIX Francs — Abonnements CENT Francs
La CONQUE n’aura que douze numéros tirés chacun à cent exemplaires numérotés sur papier de luxe. Elle ne sera jamais ni continuée ni réimprimée.
COLLABORATEURS MM. Michel Arxauld, Henry Bérenger, Léon BluM, Edmond Fazy, André GIDE, Eugène Hollande, Claude MOREAU, Maurice QUILLOT, Paul VALÉRY, Pierre Louys.
Désormais chaque numéro de LA CONQUE sera précédé d’un frontispice en vers, inédit, signé d’un des poètes les glus justement admirés de ce temps. MM. Léon DIEZ José Maria DE HÊRÉDIA Maurice MAETERLINCK Stéphane MALLARMÉ, Jean MORÉAS, Henri de RÉGNIER, Paul VERLAINE, Frantis VIELÉ-GSIFFIN ont bien voulu accepter d’inaugurer ainsi chaque livraison de la jeune revue.
Narcisse parle Paul VALÉRY.
L’Indifférent Michel ARNAULD.
L’Ascension Edmond PAZY.
Sonnet Léon BLUM.
Nuit d’Idumée André GIDE.
Tristesse Eugène HOLLANDE.
Le Soir au Luxembourg Henry BÉRENGER.
La Nuit sur l’Idole P. L.
Envoyer les manuscrits et les abonnements à M. Pierre
LOUYS, 49, rue Vineuse.
O frères, tristes lys, je languis de beauté
Pour m’être désiré dans votre nudité
Et, vers vous, Nymphes ! nymphes, nymphes des fontaines
Je viens au pur silence offrir mes larmes vaines
Car les hymnes du soleil s’en vont !…
C’est le soir.
J’entends les herbes d’or grandir dans l’ombre sainte
Et la lune perfide élève son miroir
Si la fontaine claire est par la nuit éteinte !
Ainsi, dans ces roseaux harmonieux, jeté
Je languis, ô saphir, par ma triste beauté,
Saphir antique et fontaine magicienne
Où j’oubliai le rire de l’heure ancienne !
Que je déplore ton éclat fatal et pur,
Source funeste à mes larmes prédestinée,
Où puisèrent mes yeux dans un mortel azur
Mon image de fleurs humides couronnée…
Hélas ! l’Image est douce et les pleurs éternels !…
A travers ces bois bleus et ces lys fraternels
Une lumière ondule encor, pâle améthyste
Assez pour deviner là-bas le Fiancé
Dans ton miroir dont m’attire la lueur triste,
Pâle améthyste ! ô miroir du songe insensé !
Voici dans l’eau ma chair de lune et de rosée
Dont bleuit la fontaine ironique et rusée ;
Voici mes bras d’argent dont les gestes sont purs…
Mes lentes mains dans l’or adorable se lassent
D’appeler ce captif que les feuilles enlacent,
Et je clame aux échos le nom des dieux obscurs !
Adieu ! reflet perdu sous l’onde calme et close,
Narcisse, l’heure ultime est an tendre parfum
Au cœur suave. Effeuille aux mânes du défunt
Sur ce glauque tombeau la funérale rose.
Sois, ma lèvre, la rose effeuillant son baiser
Pour que le spectre donne en son rêve apaisé,
Car la Nuit parle à demi-voix seule et lointaine
Aux calices pleins d’ombre pâle et si légers,
Mais la lune s’amuse aux myrtes allongés.
Je t’adore, sous ces myrtes, ô l’incertaine !
Chair pour la solitude éclose tristement
Qui se mire dans le miroir au bois dormant,
O chair d’adolescent et de princesse douce !
L’heure menteuse est noble au rêve sur la mousse
Et la délice obscure emplit le bois profond.
Adieu ! Narcisse, encor ! Voici le Crépuscule.
La flûte sur l’azur enseveli module
Des regrets de troupeaux sonores qui s’en vont !…
Sur la lèvre de gemme en l’eau morte, ô pieuse
Beauté pareille au soir, Beauté silencieuse,
Tiens ce baiser nocturne et tendrement fatal,
Caresse dont l’espoir ondule ce crystal !
Emporte la dans l’ombre, ô ma chair exilée
Et puis, verse pour la lune, flûte isolée,
Verse des pleurs lointains en des urnes d’argent.
u fronton, dénué des masques et d’emblèmes,
Sans lierre ni roses, sans éveil d’oiseau
Ni froisement de plis soyeux, les pierres blêmes
S’ouvraient, comme un regard aveugle sur les eaux.
Le vent n’y berçait qu’un subtil souffle d’énigme.
— Nuls rayons transparus sous la porte, les nuits ;
Nuls bruits, ne dénonçaient la présence anonyme
D’un maître venu là songer d’anciens ennuis.
Il émanait du marbre une pourpre vivante,
Pour l’adieu du soleil sombrant vers le cap noir ;
— Mais quel amour secret du gloire ou d’épouvante
Vibrait, dans cette lutte avec es feux du soir !…
Des pâtres, qui chantaient les pâles indolences,
Ont frissonné d’horreur aux premières étoiles
Les marchands accourus pour étaler des toiles,
En fuyant, ont brisé leurs poids et leurs balances
Et les chefs, qui trainaient le bronze de leur glaive
Dans l’ombre droite et sereine des chapitaux.
Ont frémi, tant la dalle éprise d’un vieux rêve
Dormait, indifférente à tous grossiers échos.
Or, pareil aux camps sans rois, aux temples sans cultes, t
Aux tours vierges, comme le marbre inhabité,
Blancs degrés, dôme clair au dessus des insultes,
Siégeait inaltérabla en sa viduité,
La rage a sonné l’alarme De la Cité
Belliqueuse et des bois, guerriers au geste brusque
Doux pasteurs, au parler mystérieux,
Peseurs d’or, plèbe prompte à ses Dieux,
Pélerins méconnus que le silence offusque,
Gravirent furieux la crête du rocher.
Leur main rude, arrachant la ronce et la lambrusque,
joignit l’yeuse au frêne en tragique bûcher :
Et voila, quand l’Azur palpitait surla flamme,
Que, las de secouer les torches, oublieux
D’épier, dans l’éclair bleu, la fuite de l’Ame,
Devant le meurtre inepte ils ont fermé les yeux
Un informe débris fume sous !a bruine,
Où se dressait le trône et le plafond du cèdre.
Le crépuscule pleure et chuchotte aux ruines
Le mystère défunt dont la Mort tient la clé
Car la haine, qui veut son œuvre sans remède
S’acharne vainement aux dalles de l’exhèdre
Nul regard^ en fouillant l’autel enviolé,
Sous le frémissement de la cendre encor tiède
Ne voit saigner le cœur d’un Phénix envolé.
a nuit tombe, Jésus a disparu, ravi
Dans une gloire d’or vers une autre demeure :
L’âme du monde en deuil se désespère et pleure
Le départ du rêveur que son rêve a suivi ;
Madeleine à genoux sanglote un peccavi
Suprême et songe au vain délice enfui de l’heure
Où l’Amant-Dieu charmé baisait comme on effleure
Ce front plus pur que ceux des vierges de Lévi ;
Et le Disciple élu, Jean, les yeux levés, semble
Dire à son Maître absent quelque chose en secret :
« Te ressouviendras-tu que nous fûmes ensemble ? »
Puis il s’afflige ; hélas, l’Homme de Nazareth
N’est plus, et le ciel voile en son lointain mystère
Le Dieu par qui toujours sera triste la terre.
a nuit l’eau calme des bassins
Au reflet des lumières vagues
Forme d’imaginaires vagues
Et de fantastiques dessins.
Ce sont de bizarres coussins
Brodés de colliers et de bagues
Des chevaliers dressant leurs dagues
Des fleurs larges comme des seins…
… Des formes chétives et frêles
De femmes et de sauterelles
D’oiseaux clairs et de papillons
Dansent aussi sur l’eau tranquille
Dont l’éclair fuyant des rayons
Respecte le rêve immobile.
’azur s’est attristé. Je crois que des nuées
Passent sur les clartés d’astres, exténuées.
Un hymne a brisé l’extase mystérieuse
La brume vêt une forme mystérieuse.
« Soudaine opacité de mon rêve immobile,
Bénie ! ô Vision — si mon âme nubile
Eut ignoré le deuil de tes enchantements
Triste spectre ! et l’ennui — tous les ennuis dormans
Que tu faisais lever à ton premier paraître.
Déjà lorsque j’étais penché vers ma fenêtre
Deux fois, je me souviens tu t’es penché vers moi
Et, tant ton voile était plein d’étoiles — pourquoi ?
Déjà deux fois, vers toi, mes mains se sont tendues
Sans toucher que l’Ennui des vides étendues.
— Un peu de brume qui s’accroche aux doigts, rosée,
Pan de robe déchiqueté, morte corolle,
S’évapore parmi l’espérance brisée —
Parfum dont le regret exhalé se désole.
Mes désirs vers tes yeux ne vont plus te proscrire
Je sais trop le néant que recèle ton voile
Ton pâle regard n’est malgré tout son sourire
Qu’un trou dans le brouillard ou brûle un jour d’étoile :
Mes bras levés vers tes cheveux mystérieux
S’enfonceraient en vain dans tes profonds orbites,
Sans t’atteindre, astre clair, jour lointain de tes yeux.
Au souffle suppliant que ma lèvre suscite
Vers ta bouche nocturne et ton baiser obscur
S’éparpille ton voile, et la brûme envolée
Devant l’éveil du rêve a montré, désolée,
Le solitaire Ennui de l’éternel Azur.
Ah ! cesse de pencher tes sourires, ah ! cesse
De sourire, — j’ai peur de frôler ta caresse
Et que mon cœur se pâme ; ah ! cesse de pencher
Vers mon front tes cheveux où l’azur étranger
D’un ciel de rêve a répandu son bleu vertige,
Car tes cheveux fuiront parmi l’azur en pleur,
Rosée ! et quand le ciel pâlira, triste fleur
Tu faneras dessus ta chancelante tige
Eparpillant dans l’air un sanglottant vertige
— Et je me retrouverai tout seul —
Il continue de se désoler quelque temps
Un peu de jour paraît aux vitres des croisées
Le brouillard se disperse et s’éplore en rosées.
Sur l’azur pâlissant déjà la nuit s’achève
Et se fanent les fleurs chimériques du rêve
En mes doigts désolés d’une si vide étreinte
Tige flétrie et corolle d’aurore atteinte
Deuil blanc de l’aube après le sourire des nuits
Qui s’éplore, brume égarée au vent ; et puis
Le soleil qui va me retrouver les mains jointes.
L’ange est parti maintenant il regrette
Puis se redresse à l’orgueil d’une feinte victoire.
Je sais bien que la nuit en eût été plus belle
Plus bleue aussi la clarté céleste et plus telle
Que mon rêve déçu l’objectait vaguement
Pour occuper mon âme inquiète au moment
D’être seule et tremblant de son inquiétude.
C’est fini. Reprenez votre grave attitude
Yeux éteints et bras retombés pour relier
Les mains prises encore au geste de prière,
Et… va-t-en, fleur menteuse ! évade-toi, chimère !
Je suis seul ! Je suis seul ! Et je m’en vais prier.
spérance, va t’en ! fuis, vain nuage rose
Qui crèves dès qu’un vent dans le ciel a passé.
Arrière ! ô souvenirs, mon âme vous est close :
A quoi bon m’attendrir sur un rêve effacé ?
Vierge pâle aux yeux d’or en ma tristesse éclose,
Ouvre tes bras d’ivoire à ton amant lassé.
Que sur mon front brûlant ta main froide se pose
Et dormons sur des fleurs dans l’oubli du passé.
Viens ! dans un marbre dur j’ai creusé notre couche.
Lorsque j’aurai rivé mes lèvres à ta bouche
O Mort ! nul ne pourra troubler notre sommeil.
Vierge pâle aux yeux d’or, maîtresse caressée,
Viens me donner enfin le repos sans réveil :
La place est toute à toi, j’ai tué ma pensée !
ar tous les souvenirs dont l’ont peuplé nos âmes,
Et par tous ceux dont il fait vibrer notre chair,
§ Souvenirs de pensée ou souvenirs de femmes,
Le Luxembourg nous est un confident très cher.
Sur les grands marronniers de l’Ouest le soir repose,
Océan de lueurs plutôt que de couleurs
Où, parmi des courants bleus traversés de rose
Vénus nage au-dessus des arbres et des fleurs.
Dans ce décor savant de la rare culture
Où l’art italien des maîtres a passé,
La grise architecture et la blanche sculpture
Evoquent ta noblesse et ta grâce, ô passé.
La noblesse des rois et la grâce des reines
Au temps des beaux palais et des marbres anciens,
Images que pour nous ont faites plus sereines
La Mémoire et le Soir, ces deux magiciens !
Un clair-obscur élyséen idéalise
Le paysage pur aux muets horizons
Et fond en un accord parfait de clarté grise
Les urnes pâles, l’eau glauque, les bleus gazons.
Symbole d’une vie au-dessus de la vie,
Mirage vespéral aux fluides appâts,
Impression trop rare et partout poursuivie
D’un univers qui pouvait être, et qui n’est pas !
Accueillons-en du moins l’image en nos Génies
Qu’en notre âme semblable à cc calme jardin,
La nature et les arts mêlent leurs harmonies,
Comme en un bois sacré loin du fracas mondain
Qu’un peuple délicat de femmes y circule
Dont les yeux nous soit bons, dont les cœurs nous soient doux.
Surtout réalisons comme ce crépuscule
L’accord, même illusoire, entre la vie et nous !
Août 1890.
’est l’argent bleu qui luit sur les lacs
Dans le crépuscule de la lune.
C’est l’encens rare et l’irréel nard
Saphir et lapis d’eau et de brume
C’est le geste des chevaliers noirs
Au vol des blancheurs que l’ombre azure
Naussaiït en corps les tremblants hanaps
C’est l’air inconnu, l’été nocturne,
Et la clarté du ciel sidéral.
Du haut du chœur les grands rayons pâles
Tombent allongés au pied des murs
La nuit limpide aux lueurs bleuâtres
Pure comme une aube au nois d’élul
Glisse et descend du haut des vitrages
Tandis qu’au dehors les Acturus
Font la nuit claire et les brises calmes
Tout au haut des nefs, dans l’air du sud
Les vitraux peints filtrent les étoiles
Tu scintilles. Tes yeux sont très purs,
Etoile qui vis et tes mains chastes
Sus-je autrefois quel éternel flux
Vague avec lenteur en tes cils graves ?
jusqu’à tes pieds, de hauts plis obscurs
Plongent agrandis dans l’ombre large
Et le Psalmiste, un doigt sur le luth
Epie en extase au ras desdalles
L’astrnl rayon de tes longs yeux nus
De tes yeux nus où la nuit diffuse
Eclaircit un peu d’air vespéral
Où vaguement s’exalte et fulgure
Un reste de gloire et d’or lilas
Quand leurs feux seuls du noir se divulguent
Chaumes lum’neux aux nuls regard*
Vers qui si calme, encor qu’éperdue,
Dans un fiisson lent monte ma fui
0 Constellée aux yeux tatiiujues
Paul Valéry |
Carmen mysticum. |
Maurice Quillot |
Sonates & cliniques. |
Claude Moreau |
Emaux sur Or & sur Argent. |
Eugène Hollande |
Beauté. |
André Gide |
De la Prose. |
Edmond Fazy |
Antigone. |
Léon Blum |
Des Yeux. |
Henry Bérenger |
Poësies. |
Michel Arnauld |
Les Adorantes. |
P. L. |
La Vierge. |
Où je souffle un appel à quelque dieu qui passe…
H. de R.
MDCCCXCI
LE NUMÉRO DIX FRANCS ABONNEMENTS: CENT FRANCS
LA CONQUE, anthologie des plus jeunes poëtes, n’aura que douze livraisons, tirées chacune à cent exemplaires numérotés sur papier de luxe.
Japon b° Épmph
Elle ne sera jamais ni continuée ni réimprimée.
Chaque livraison de LA CONQUE -sera précédée d’un. FRONTISPICE en vers, inédit, signé d’un ces poêles les plus justement admises de ce temps. Après M. LECONTE DE LISLE, dont nous publions aujourd’hui le po’Jiue, MM. Léon DIERX, José Maria DE HÉRÉDIA Maurice MAETERLINCK Stéphane MALLARMÉ, Jean MORÉAS, Charles MORICE, Henri de RÉGNIER, Paul VERLAINE, Francis VIELÉ-GRIFFIN ont bien voulu accepter d’inaugurer aussi la jeune revue.
Soleils ! Poussière d’or… LECONTE DE LISLE.
L’indiffèrent MICHEL ARNAULD.
Narcisse parle PAUL VALÉRY.
Tristesse EUGÈNE HOLLANDE.
Le Soir au Luxembourg HENRY BÉRENGER.
L’Ascension EDMOND PAZY.
Sonnet LÉON BLUM.
La Nuit sur l’idole P. L.
Envoyer les manuscrits et les abonnements
à M. Pierre LOUYS, 49, rue Vineuse.
La Conque paraîtra en douze livraisons, du 15 mars au 1er septembre 1891.
Chacune de ses livraisons sera précédée d’un frontispice en vers. Nous publions aujourd’hui
Soleils ! poussières d’or, de M. Leconte de Lisle,
Paraîtront ensuite :
- L’Odeur sacrée, de M. Léon Dierx.
- Un nouvel Eventail, de M. Stéphane Mallarmé.
- Deux Sonnets, de M. José Maria de Hérédia.
- Le Mois de Marie, de M. Paul Verlaine.
- etc., etc.
Toutes ces pièces sont entièrement inédites.
oleils ! Poussière d’or éparse aux nuits sublimes
Où l’esprit éperdu s’envole et plonge en vain !
Vous épanchez sur nous, du fond des bleus abîmes,
La bienheureuse paix du silence divin,
Soleils ! Poussière d’or éparse aux nuits sublimes !
Mais qui sait, ô splendeurs, ravissement des yeux,
Qui déroulez sans fin vos spirales sacrées
Dans l’infini désir d’un but mystérieux,
Qui sait si, loin de nous, des voix désespérées,
De plus amers sanglots ne troublent pas vos cieux ?
Enfers ou Paradis des espaces sublimes,
Tels que nous qui passons, ombres d’un songe vain,
L’inévitable Mort, d’abîmes en abîmes,
Vous entraîne à jamais vers le Néant divin,
Enfers où Paradis des espaces sublimes !
Ivres et haletants, portés de ciel en ciel
Par l’aveugle et fougueux torrent des Destinées,
Pourquoi jaillissez-vous du Vide originel ?
Que sont des milliards de milliards d’années,
Quand vient l’heure où tout rentre au repos éternel ?
Soleils, Mondes, Amour, illusions sublimes,
Désirs, splendeurs ! si tout est éphémère et vain
Dans nos cœurs aussi bien qu’en vos profonds abîmes,
Votre instant est sacré, votre rêve est divin,
Soleils, Mondes, Amour, illusions sublimes !
Croulez donc dans la nuit du Gouffre illimité,
Mondes ! Vivants soleils, éteignez donc vos flammes !
Et toi, qui fais un Dieu de l’homme, ô volupté,
Amour ! Tu peux mourir, ô lumière des âmes,
Car ton rapide éclair contient l’éternité.
u fronton, dénué des masques et d’emblèmes,
Sans lierre ni roses, sans éveil d’oiseaux
Ni froissement de plis soyeux, les pierres blêmes
S’ouvraient, comme un regard aveugle sur les eaux.
Le vent n’y berçait qu’un subtil souffle d’énigme.
— Nuls rayons transparus sous la porte, les nuits ;
Nuls bruits, ne dénonçaient la présence anonyme
D’un maître venu là songer d’anciens ennuis.
Il émanait du marbre une pourpre vivante,
Pour l’adieu du soleil sombrant vers le cap noir ;
— Mais quel amour secret du gloire ou d’épouvante
Vibrait, dans cette lutte avec es feux du soir !…
Des pâtres, qui chantaient les pâles indolences,
Ont frissonné d’horreur aux premières étoiles
Les marchands accourus pour étaler des toiles,
En fuyant, ont brisé leurs poids et leurs balances ;
Et les chefs, qui trainaient le bronze de leur glaive
Dans l’ombre droite et sereine des chapiteaux,
Ont frémi, tant la dalle éprise d’un vieux rêve
Dormait, indifférente à tous grossiers échos…
Or, pareil aux camps sans rois, aux temples sans cuites1,
Aux tours vierges, comme le marbre inhabité,
Blancs degrés, dôme clair au dessus des insultes,
Siégeait inaltérable en sa viduité,
La rage a sonné l’alarme De la Cité
Belliqueuse et des bois, guerriers au geste brusque
Doux pasteurs, prêtres au parler mystérieux,
Peseurs d’or, plèbe prompte à secourir ses Dieux,
Pèlerins méconnus que le silence offusque,
Gravirent furieux la crête du rocher.
Leur main rude, arrachant la roncè et ia îambrUsquè,
Joignit l’yeuse au frêne en tragique bûcher :
Et voilà, quand l’Azur palpitait sur la flamme,
Que; las de secouer les torches, oublieux
D’épier, dans l’éclair bleu, la fuite de l’Ame,
Devant te meurtre inepte ils ont fermé les yeux !…
Un informe débris fume sous la bruine,
Où se dressait le trône et le plafond du cèdre.
Le crépuscule pleure et chuchotte aux ruines
Le mystère défunt dont la Mort tient la clé :
Car la haine, qui veut son œuvre sans remôdè
S’acharne vainement aux dalles de l’exhèdre
Nul regard, en fouillant ruitel inviolé,
Sous le frémissement de la cendre encor tiède
Ne voit SalgnCr le ccâur d’un Phénix envolé…
frères, tristes lys, je languis de beauté
Pour m’être désiré dans votre nudité
Et, vers vous, Nymphes ! nymphes, nymphes des fontaines
Je viens au pur silence offrir mes larmes vaines
Car les hymnes du soleil s’en vont !…
C’est le soir.
J’entends les herbes d’or grandir dans l’ombre sainte
Et la lune perfide élève son miroir
Si la fontaine claire est par la nuit éteinte !
Ainsi, dans ces roseaux harmonieux, jeté
Je languis, ô saphir, par ma triste beauté,
Saphir antique et fontaine magicienne
Où j’oubliai le rire de l’heure ancienne !
Que je déplore ton éclat fatal et pur,
Source funeste à mes larmes prédestinée,
Où puisèrent mes yeux dans un mortel azur
Mon image de fleurs humides couronnée…
Hélas ! l’Image est douce et les pleurs éternels !…
À travers ces bois bleus et ces lys fraternels
Une lumière ondule encor, pâle améthyste
Assez pour deviner là-bas le Fiancé
Dans ton miroir dont m’attire la lueur triste,
Pâle améthyste ! ô miroir du songe insensé !
Voici dans l’eau ma chair de lune et de rosée
Dont bleuit la fontaine ironique et rusée ;
Voici mes bras d’argent dont les gestes sont purs…
Mes lentes mains dans l’or adorable se lassent
D’appeler ce captif que les feuilles enlacent,
Et je clame aux échos le nom des dieux obscurs !
Adieu ! reflet perdu sous l’onde calme et close,
Narcisse, l’heure ultime est un tendre parfum
Au cœur suave. Effeuille aux mânes du défunt
Sur ce glauque tombeau la funérale rose.
Sois, ma lèvre, la rose effeuillant son baiser
Pour que le spectre donne en son rêve apaisé,
Car la Nuit parle à demi-voix seule et lointaine
Aux calices pleins d’ombre pâle et si légers,
Mais la lune s’amuse aux myrtes allongés
Je t’adore, sous ces myrtes, ô l’incertaine!
Chair pour la solitude éclose tristement
Qui se mire dans le miroir au bois dormant,
O chair d’adolescent et de princesse douce
L’heure menteuse est molle au rêve sur la mousse
Et la délice obscure emplit le bois profond,
Adieu Narcisse, encor Voici le Crépuscule.
La flûte sur l’azur enseveli module
Des regrets de troupeaux sonores qui s’en vont
Sur la lèvre de gemme en l’eau morte, ô pieuse
Beauté pareille au soir, Beauté silencieuse,
Tiens ce baiser nocturne et tendrement fatal,
Caresse dont l’espoir ondule ce crystal
Emporte la dans l’ombre, ô ma chair exilée
Et puis, verse pour la lune, flûte isolée,
Verse des pleurs lointains en des urnes d’argent.
(Fragment) PAUL VALÉRY.
Espérance, va t’en fuis, vain nuage rosé passé.
Qui crèves dès qu’un vent dans le ciel est passé.
Arrière 1 ô souvenirs, mon âme vous est close
A quoi bon m’attendrir sur un rêve effacé ?
Vierge pâle aux yeux d’or en ma tristesse éciose,
Ouvre tes bras d’ivoire à ton amant lassé.
Que sur mon front brûlant ta main froide se posé
Et donnons sur des fleurs dans l’oubli du passé.
Viens ! dans un marbre dur j’ai creusé notre couche.
Lorsque j’aurai rivé mes lèvres à ta bouche
O Mort ! nul ne pourra troubler notre sommeil.
Vierge pâle aux yeux d’or, œaîiîessc caressée,
Viens me donner enfin le repos sans réveil
La place est toute à toi, j’ai tué ma pensée !
ar tous les souvenirs dont l’ont peuplé nos âmes,
Et par tous ceux dont il fait vibrer notre chair,
Souvenirs de pensée ou souvenirs de femmes,
Le Luxembourg nous est un confident très cher.
Sur les grands marronniers de l’Ouest le soir repose,
Océan de lueurs plutôt que de couleurs,
Où parmi des courants bleus traversés de rose
Vénus nage au-dessus des arbres et des fleurs.
Dans ce décor savant de la rare culture
Où l’art italien des maîtres a passé,
La grise architecture et la blanche sculpture
Évoquent ta noblesse et ta grâce, ô passé…
La noblesse des rois et la grâce des reines
Au temps des beaux palais et des marbres anciens,
Images que pour nous ont faites plus sereines
La Mémoire et le Soir, ces deux magiciens !
Un clair-obscur élyséen idéalise
Le paysage pur aux muets horizons
Et fond en un accord parfait de clarté grise
Les urnes pâles, l’eau glauque, les bleus gazons,
Symbole d’une vie au-dessus de la vie,
Mirage vespéral aux fluides appâts,
Impression trop rare et partout poursuivie
D’un univers qui pouvait être, et qui n’est pas !
Accueillons-en du moins l’image en nos Génies :
Qu’en notre âme semblable à ce calme jardin,
La nature et les arts mêlent leurs harmonies,
Comme en un bois sacré loin du fracas mondain.
Goûtons des anciens jours les beautés qu’ils ont eues,
Et pour que nos esprits modernes soient complets,
Ayons des souvenirs pareils à ces statues,
Une mémoire aussi noble que ce palais.
Qu’un peuple délicat de femmes y circule
Dont les yeux nous soit bons, dont les cœurs nous soient doux.
Surtout réalisons comme ce crépuscule
L’accord, même illusoire, entre la vie et nous !
a nuit tombe, Jésus a disparu, ravi
Dans une gloire d’or vers une autre demeure :
L’âme du monde en deuil se désespère et pleure
Le départ du rêveur que son rêve a suivi ;
Madeleine à genoux sanglote un peccavi
Suprême et songe au vain délice enfui de l’heure
Où l’Amant-Dieu charmé baisait comme on effleure
Ce front plus pur que ceux des vierges de Lévi ;
Et le Disciple élu, Jean, les yeux levés, semble
Dire à son Maître absent quelque chose en secret :
« Te ressouviendras-tu que nous fûmes ensemble ? »
Puis il s’afflige ; hélas, l’Homme de Nazareth
N’est plus, et le ciel voile en son lointain mystère
Le Dieu par qui toujours sera triste la terre.
a nuit l’eau calme des bassins
Au reflet des lumières vagues
Forme d’imaginaires vagues
Et de fantastiques dessins.
Ce sont de bizarres coussins
Brodés de colliers et de bagues
Des chevaliers dressant leurs dagues
Des fleurs larges comme des seins…
… Des formes chétives et frêles
De femmes et de sauterelles
D’oiseaux clairs et de papillons
Dansent aussi sur l’eau tranquille
Dont l’éclair fuyant des rayons
Respecte le rêve immobile.
’est l’argent bleu qui luit sur les lacs
Dans le crépuscule de la lune.
C’est l’encens rare et l’irréel nard
Saphir et lapis d’eau et de brume
C’est le geste des chevaliers noirs
Au vol des blancheurs que l’ombre azure
Haussant en corps les tremblants hanaps
C’est l’air inconnu, l’été nocturne,
Et la clarté du ciel sidéral.
Du haut du chœur les grands rayons pâles
Tombent allongés au pied des murs
La nuit limpide aux lueurs bleuâtres
Pure comme une aube au mois d’élul
Glisse et descend du haut des vitrages
Tandis qu’au dehors les Arcturus
Font la nuit claire et les brises calmes,
Tout au haut des nefs, dans l’air du sud,
Les vitraux peints filtrent les étoiles
Tu scintilles. Tes yeux sont très purs,
Étoile qui vis ! et tes mains chastes !
Sus-je autrefois quel éternel flux
Vague avec lenteur en tes cils graves ?
Jusqu’à tes pieds, de hauts plis obscurs
Plongent agrandis dans l’ombre large
Et le Psalmiste, un doigt sur le luth
Épie en extase au ras des dalles
L’astral rayon de tes longs yeux nus
De tes yeux nus où la nuit diffuse
Éclaircit un peu d’air vespéral
Où vaguement s’exalte et fulgure
Un reste de gloire et d’or lilas
Reflets errants que le noir divulgue
Charmes lumineux aux nuls regards
Vers qui si calme, encor qu’éperdue,
Dans un frisson lent monte ma Foi
Ô Constellée aux yeux taciturnes !
PAUL VALÉRY | Carmen mysticum. |
MAURICE QUILLOT | Sonates. |
CLAUDE MOREAU | Emaux sur Or & sur Argent. |
EUGÈNE HOLLANDE | Beauté. |
ANDRÉ GIDE | De la Prose. |
EDMOND FAZY | Les Fanes. |
LÉON BLUM | Des Yeux. |
HENRY BÉRENGER | L’Âme Moderne. |
MICHEL ARNAULD | Les Adorantes. |
P. L. | La Vierge. |
Où je souffle un appel à quelque dieu qui passe…
H. de R.
MDCCCXCI
LE NUMÉRO DIX FRANCS ABONNEMENTS CENT FRANCS
LA CONQUE, anthologie des plus jeunes poètes, n’aura 11, que douze livraisons, tirées chacune à cent exemplaires numérotés sur papier de luxe.
Elle ne sera jamais ni continuée ni réimprimée.
Chaque livraison de LA CONQUE est précédée d’un FRONTISPICE en vers, inédit, signé d’un des poêles les Plus justement admirés de ce temps. Après M. LECONTE DE LISLE, dont nous avjns publié le poJme MM. Léon DIERX, José Maria DE HÉRÉDIA Maurice MAETERLINCK Stéphane MALLARMÉ, Jean MORÉAS, Charles MORICE, Henri de RÉGNIER, Paul VERLAINE, Francis VIELÉ-GRIFFIN ont bien voulu accepter d’inaugurer aussi la jeune revue.
L’Odeur sacrée LÉON DIERX
A Léon Dierx EDMOND FAZY.
La Chanson des Nuques MAURICE QUILLOT.
Sonnet LÉON BLUM.
Nuit d’Idumée ANDRÉ GIDE.
Vierge incertaine PAUL VALÉRY.
Paysage d’automne EUGÈNE HOLLANDE.
Le Boucoliaste CLAUDE MOREAU.
Tlécla MICHEL ARNAULD.
Les Fleurs sur l’eau qui gire… P. L.
Envoyer les manuscrits et les abonnements
à M. Pierre LOUiTS, 49, rue Vineuse.
ans la douceur du soir, pour ravir le rêveur,
Un rayon plus royal octroyé par faveur
Irradie, arrosant l’horizon qu’il irise
Et la forêt s’embrase au soupir de la brise
Et la mare où se mire un troupeau lent et las
S’est moirée à son tour de miroitants éclats
Et l’ombre est couleur d’ambre et tout s’y recolore.
Pour ravir le rêveur un éclair vient d’éclore
Dans la douceur du soir aux bleus vite éblouis,
Un éclair revenu des jours évanouis i
Sur la rumeur éparse où l’esprit se disperse,
L’écho d’un frais refrain qu’on écoute et qui berce
Met au cœur rajeuni Pingénu battement
D’autrefois, aux clartés d’un climat plus clément,
Quand l’âme encor crédule a les joyeux coups d’ailes
Et l’essor arrondi d’un essaim d’hirondelles
Et les frais souvenirs, la savane et le toit
Paternel, tout revit, revient et se revoit.
Une odeur adorable est sur la plaine et plane
En s’affinant dans l’or de l’air plus diaphane,
Odeur sacrée en qui tout vain parfum se fond,
Exhalée on ne sait de quel exil, du fond
De quel ravin boisé rêvant sous les tropiques,
De quelle Ithaque en fleurs des mers aromatiques ?
L’odeur d’Eldorado qu’a seul un premier sol
Sur ce val apaisé repose un peu son vol,
Pour ravir le rêveur et dérouler îa spire
Des espoirs embaumés que de ïom il aspire,
Croyant ouïr les voix de son enfance, et voir
Ses clairs matins passer dans la douceur du soir
vec des mots rêves dont le sens vain s’oublie,
Sur le rhythme d’amour des brises désolées,
Poète grave et doux, tes strophes long-voilées
Charment amèrement notre mélancolie
C’est le Songe d’un soir ^’automne. une Ophélie
Sembla dans un linceul de lys et d’azalées
L’image de la mort des âmes en allées
A la dérive, au fil d’un lent flot de folie.
A travers les vals d’ombre et les nocturnes plaines,
Mélodieux àéde en deuil, tes cantilènes
Suivent plaintivement le symbole qui passe,
Bercent de sons plaintifs la vierge aux lèvres closes,
Et se taisent, tandis que les vent de l’espace
Sifftent en se moquant la complainte des roses.
ans le temple où les chants montent et s’entremêlent,
kj Voici que près du chœur la Sainte auréolée
1 Vers Jésus, abaissant ses deux mains criminelles,
O mon Dieu tombe, ainsi qu’une biche immolée.
Mais, tandis que sa bouche égrène les distiques,
Dans le temp!e où les chants glissent le long des murs,
Un cri profane et lent suit les hymnes mystiques
Et, dans l’orgueil hagard des douleurs extatiques
Flotte parmi l’encens en des rhythmes Impurs.
« Tel fut le saint colloque
« Da Marie Alacoquc
« Jésus, à tes pied», ton esclave
« Meurt en des amours infinies;
« Grâce pour son âme qui brave
« La terreur de ces agonies :
Verse le réchauffant trésor de Ton grand Cœur
Sur ce front pâlissant que la fièvre dévore,
Pourfaire qu’en ce sein redouble la Fetveur,
Divin Crucifié, pâle comme l’Aurore. »
D’autres Voix chantèrent alors
A Jésus le Miséricors
« Christ, voici devant toi les Nuques suppliantes
Tendant leur chair si blonde à tes baisers d’Amant
Vois, sous l’or des cheveux aux frisures charmantes
L’humble soumission, Jésus, de tes servantes,
Qui, lasses des humains aux amours décevantes
Viennent à ton autel avec égarement. »
Puis reprit le colloque
De Marie Alacoque
« Comme la flamme de ce cierge,
Je suis pure, ô Roi, je suis vierge
Ce cœur que nul n’a possédé,
C’est à toi que je ï’ai cédé,
Et je veux qu’il frissonne au vent de ta caresse
Comme un lys indolent au baiser du zéphyr,
Et qu’il s’endorme, endolori, plein de paresse,
Tout fier d’avoir été l’Elu de Ton Désir. »
Les Voix remontèrent alors
A Jésus le Miséricors
« On nous a dit que tu voulais des pécheresses
Pleurant leur repentir près de ton piédestal,
Que ton Cœur demandait d’innombrables maitresses
Aux savantes vertus, aux nerveuses détresses,
Et que tu te plaisais à dénouer les tresses
Où rôde le parfum énervait du santal ? »
Là finit le colloque
De Marie Alacoque
« Pour Toi, j’irai sous le suaire
Gravir pas à pas Ton calvaire
En chantant un hymne éperdu
Oà tout mon Cœur soit répandu.
J’aurai sur mon èpàulo innocente et meurtrie,
La palme du martyre et de l’Eternité,
Et ma lèvre, dans la prière, si flétrie,
Te retrouvera, sans t’avoir jamais quitté. »
Les douces Voix dirent alors
A Jésus le Miséricors
« Puisque tu sais aimer d’une Amour éternelle,
Puisque tes yeux sont bleus comme le ciel de Mai,
Puisque tu veux un coeur à-demi consumé,
Homme-Dieu, dont la voix doit être solennelle
Comme le chant du Ciel quand la foudre étincelle,
Dis, Jésus, nous veux-tu sur ton sein bien-aimé ? »
Dans l’infini silence et la nuit de l’Eglise
Il passa des parfums et des chansons de brise
Parmi les cogars émus, et Jésus l’Epousé
Laissant rougir alors son front cicatrisé
Abaissa son regard sur toutes ces faiblesses,
Et dit en souriant
— Venez… les Pécheresses
es fleurs d’hiver sur vos cheveux
Il Dans l’or des boucles ondulées
m Trembleront, comme des aveux,
Les frissons claiis des Azalées,
Les Chrysanthèmes des allées
Où nous avons laissé nos vœux
Vous diront les mots que je veux,
Les mots des choses en allées.
Infidèle qui m’oublias !
Ecoute les Camélias
Chanter, leurs plaintes dans tes vasques
Pendant qtte, dans le ciel frileux,
Egayé de rayons fantasques,
S’égrènent des vols d’oiseaux bleus i
’azur s’est attristé. Je crois que des nuées
Passent sur les clartés d’astres, exténuées.
Un hymne a brisé l’extase silencieuse
La brume vêt une forme mystérieuse.
« Soudaine opacité de mon rêve immobile,
Bénie ! ô Vision — si mon âme nubile
Eut ignoré le deuil de tes enchantements,
Triste spectre ! et l’ennui — tous les ennuis dormans
Que tu faisais lever à ton premier paraître.
Déjà lorsque j’étais penché vers ma fenêtre
Deux fois, je me souviens, tu t’es penché vers moi ;
Et, tant ton voile était plein d’étoiles — pourquoi ?
Déjà deux fois, vers toi, mes mains se sont tendues
Sans toucher que l’Ennui des vides étendues.
— Un peu de brume qui s’accroche aux doigts, rosée,
Pan de robe déchiqueté, morte corolle,
S’évapore parmi l’espérance brisée —
Parfum dont le regret exhalé se désole.
Mes désirs vers tes yeux n’iront plus te proscrire
Je sais trop le néant que recèle ton voile
Ton pâle regard n’est malgré tout son sourire
Qu’un trou dans le brouillard où brûle un jour d’étoile :
Mes bras levés vers tes cheveux mystérieux
S’enfonceraient en vain dans tes profonds orbites,
Sans l’atteindre, astre clair, jour lointain de tes yeux.
Au souffle suppliant que ma lèvre suscite
Vers ta bouche nocturne et ton baiser obscur
S’éparpille ton voile, et la brûme envolée
Devant l’éveil du rêve a montré, désolée,
Le solitaire Ennui de l’éternel Azur.
Ah ! cesse de pencher tes sourires, ah ! cesse
De sourire, — j’ai peur de frôler ta caresse
Et que mon cœur se pâme ; ah ! cesse de pencher
Vers mon front tes cheveux où l’azur étranger
D’un ciel de rêve a répandu son bleu vertige,
Car tes cheveux fuiront parmi l’azur en pleur,
Rosée ! et quand le ciel pâlira, triste fleur,
Tu faneras dessus ta chancelante tige
Éparpillant dans l’air un sanglotant vestige
— Et je me retrouverai tout seul ! —
Il continue de se désoler quelque temps
Un peu de jour paraît aux vitres des croisées
Le brouillard se disperse et s’éplore en rosées.
Sur l’azur pâlissant déjà la nuit s’achève
Et se fanent les fleurs chimériques du rêve
En mes doigts désolés d’une si vide étreinte
Tige flétrie et corolle d’aurore atteinte
Deuil blanc de l’aube après le sourire des nuits
Qui s’éplore, brume égarée au vent ; et puis
Le soleil qui va me retrouver les mains jointes.
L’ange est parti ; maintenant il regrette
Puis se redresse à l’orgueil d’une feinte victoire.
Je sais bien que la nuit en eût été plus belle
Plus bleue aussi la clarté céleste, et plus telle
Que mon rêve déçu l’objectait vaguement
Pour occuper mon âme inquiète au moment
D’être seule et tremblant de son inquiétude.
C’est fini. Reprenez votre grave attitude
Yeux éteints et bras retombés pour relier
Les mains prises encore au geste de prière,
Et… va-t-en, fleur menteuse ! évade-toi, chimère !
Je suis seul ! Je suis seul ! Et je m’en vais prier.
oi qui verses, les nuits tendres, sur tes pieds blancs
Des larmes de statue oubliée et brisée,
Telle une douloureuse et mystique rosée,
Par qui se courbent les doux calices tremblants,
J’irai, ce soir, vers l’eau taciturne où bleuissent
De pâles fleurs, dans la triste mare d’azur,
Cueillir pour tes doigts longs l’iris antique et pur
Que les pleurs amoureux de la fontaine emplissent.
Ainsi je t’aimerai dans ton droit vêtement,
Tes yeux morts dans les miens arrêtés longuement,
Avec ma fleur en tes mains vagues d’innocence ;
Nous resterons longtemps muets, d’ombre voilés.
Et je t’adorerai sous ces bois violets
Où de pudiques lys grandissent en silence…
a source est sombre et froide et sa noire émeraude
Tremble au toucher frileux d’une lueur qui rôde,
Rayon bref, dans cette ombre à regret accepté,
Éclat dépaysé de solaire gaîté :
— Tel un sourire est triste aux lèvres d’une veuve.
Mais la Lumière va, contente de l’épreuve,
Sur la colline, sur la plaine, et sur les bois,
Sonner son chant discret de cors et de haubois.
Tardif a revêtir la couleur de l’automne,
Un arbre, çà et là, dans le concert détone.
La symphonie expire à l’orbe illimité
D’un chêne, de silence et de sève habité,
Qui pousse ses bras forts et projette son ombre,
Comme pour élargir l’espace qu’il encombre.
Plus loin, six peupliers, dans une gloire d’or,
Semblent au seul éther arrêter leur essor
Et de leurs branches, des oiseaux, l’aile languide,
S’envolent, enivrés de lumineux fluide.
a flûte qui fléchit sous les doigts allongés
Comme un bras effleuré de femme par les lèvres,
Vibre, et le clair essaim des trilles encagés
S’envole entre les sauts bucoliques des chèvres.
Le joueur puéril et ses roseaux légers
Disent en vain le charme du chant qui s’alterne :
Les Muses sont trop loin de la voix des bergers
Et le seul dieu du jour superbe les prosterne.
Mais l’Éphèbe : « Je suis, ô Phoibos radieux
Boucoliaste, et pur pour le culte des dieux.
J’ai l’espoir du laurier que ton geste décerne
Et je veux ce matin pour te rendre indulgent
Consacrer sur l’autel de flouve et de luzerne
Ma flûte pastorale à ta lyre d’argent. »
TLÉCLA
Comme une étoile, amour des nuits, ou comme un lis,
Virginité superbe inconnue aux ménades,
Elle semble aspirer l’azur des sérénades
Que son voile nimbé sent flotter dans ses plis.
En ce temple où le jour s’épanche à flots pâlis
A travers la forêt blanche des colonnades
Elle vient, se berçant aux sombres promenades
Savourer l’encens des ineffables oublis.
Mais le commun soleil languit, puis s’exaspère
Postulé par le chaud orgueil d’un moi prospère,
Il éclate en désirs vainement combatus
Et son cri conquérant de l’éthéré portique
O sévère ostensoir des splendides vertus
Eclipse ta lueur lugubrement mystique.
MICHEL ARNAULD.
LES FLEURS SUR L’EAU QUI GIRE.
Les fleurs s’en sont allées au fil de l’eau le long des rives.
Les fleurs ? L’eau merveilleuse où le soir qui meurt se mordoré.
Les pétales de crépuscule tournent et chavirent
Au fil du fleuve qu’un frisson bleu de brise déflore
Et si loin par la plaine et la plaine se suivirent
Qu’aux derniers champs du monde où naît rouge l’aurore.
Les fleurs s’en sont allées au fil de l’eau le long des rives.
Les fleurs ? Celles de chair et de lin frêle encorollées
Que berce le roulis des lentes barques évasives
Et tristement, avec des nonchalances désolées
Peuplent d’un vol le miroir des rivières massives
Des rivières entre les pins, longues allées.
Les fleurs sur l’eau qui gire au fil des fleuves en allées.
O le silence noir des eaux ! L’effroi près des ramures
Frisson glacé comme d’une rivière dévêtue.
Et dans la haute nuit du pare où sont morts tes murmures,
Dans la brume ou a’érige une pàieur de statue
La tristesse et la nudité des eaux nocturnes.
Les fleurs sur l’eau qui gire au fil des fleuves en allées.
PAUL VALÉRY | Carmen mysticum. |
MAURICE QUILLOT | Sonates. |
CLAUDE MOREAU | Emaux sur Or & sur Argent. |
EUGÈNE HOLLANDE | Beauté. |
ANDRÉ GIDE | De la Prose. |
EDMOND FAZY | Les Fanes. |
LÉON BLUM | Des Yeux. |
HENRY BÉRENGER | L’Âme Moderne. |
MICHEL ARNAULD | Les Adorantes. |
P. L. | La Vierge. |
Où je souffle un appel à quelque dieu qui passe…
H. de R.
MDCCCXCI
LE NUMÉRO DIX FRANCS ABONNEMENTS CENT FRANCS
LA CONQUE, anthologie des plus jeunes poëtes, n’aura que douze livraisons, tirées chacune à cent exemplaires numérotés sur papier de luxe.
Elle ne sera jamais ni continuée ni réimprimée.
Chaque livraison de LA CONQUE est précédée d’un FRONTISPICE en vers, inédit, Nous avons publié les poèmes de MM. LECONTE DE LISLE, Léon DIERX, José- Maria DE HEREDIA. Mme Judith GAUTIER, et MM. Maurice MAETERLINCK, Stéphane MALLARMÉ, Jean MORÉAS, Charles MORICE, Henri de RÉGNIER, Algemon Ck. SWINBURNE, Paul VERLAINE, Francis VIELÈ- GRIFPIN ont trie* voulu accepter d’inaugurer aussi la jeune revue.
Le Tombeau du Conquérant JOSÉ-MARIA DE HEREDIA.
Orphée PAUL VALÉRY.
La Flécha EUGÈNE HOLLANDE.
Crépuscules HENRY BÉRENGER.
Antigone EDMOND FAZY.
Plainte à Jésus EMILE SCHALLER.
Sonnet LÉON BLUM.
L’Ascète ARMAND DENNERY.
La Femme qui danse P. L.
Pégase CLAUDE MOREAU.
Envoyer les manuscrits et les abonnements
à M Pierre LOUYS, 49, rue Vineuse*
l’ombre de la voûte en fleur des catalpas
Et des tulipiers noirs qu’étoile un blanc pétale,
Il ne repose point dans la terre fatale ;
La Floride conquise a manqué sous ses pas.
Un vil tombeau messied à de pareils trépas ;
Linceul du Conquérant de l’Inde Occidentale,
Tout le Meschacebé par dessus lui s’étale ;
Le Peau-Rouge et l’ours gris ne le troubleront pas.
Il dort au lit profond creusé par les eaux vierges ;
Qu’importe un monument funéraire, des cierges,
Le psaume et la chapelle ardente et l’ex-voto ?
Puisque le vent du Nord, parmi les cyprières
Pleure et chante à jamais d’éternelles prières
Sur le grand fleuve où gît Hernando de Soto.
l évoque, en un bois thessalien, Orphée
Sous les myrtes, et le soir antique descend.
Le bois sacré s’emplit lentement de lumière,
̃Et le dieu tient la lyre entre ses doigts d’argent.
Le dieu chante, et selon le rythme tout puissant,
S’élèvent au soleil les fabuleuses pierres
Et l’on voit grandir vers l’azur incandescent
Les hauts murs d’or harmonieux d’un sanctuaire.
Il chante, assis au bord du ciel splendide, Orphée !
Son œuvre se revêt d’un vespéral trophée
Et sa lyre divine enchante les porphyres,
Car le temple érigé par ce musicien
Unit la sûreté des rythmes anciens
À l’âme immense du grand hymne sur la lyre !…
ivrant, muet, à l’aigle une chair immortelle
Et cessant de compter les siècles résolus,
Prométhée, au ciel bleu, de sa fière prunelle,
Jetait le fier dédain de qui n’espère plus.
Cependant que l’oiseau le frappait de son aile
Et meurtrissait le cœur en ses ongles inclus,
Hercule, auréolé d’une splendeur nouvelle,
Apparut, colossal, tendant ses poings velus.
Alors l’aigle s’enfuit avec un cri terrible.
Ne pouvant délier l’enchaîné du Destin,
Hercule prit son arc et le ciel fut sa cible.
« Ma flèche reviendra teinte du sang divin,
Dit-il à Prométhée en lui baisant la face. »
La flèche vole encor dans l’insondable espace !
ur le fond rose et vert des couchants Vénus brille.
Au flanc des bois muets éclate un hallali.
Le parfum des rosiers emplit le ciel pâli.
Je songe devant un portrait de jeune fille.
Le soir descend en moi comme un fleuve d’oubli.
Vénus reluit au fond du couchant vert et rose…
Je sentais autrefois se guérir mes douleurs
Devant cette harmonie aux légères pâleurs :
Or j’en souffre aujourd’hui, car je la décompose,
Et mon cerveau n’est plus la dupe des couleurs.
Le cor résonne au fond de la forêt brunie…
Enfant, quand j’écoutais la fanfare des cors,
L’extase traversait d’un frisson tout mon corps :
Désormais je sais trop comment naît l’harmonie,
Et mon cerveau n’est plus la dupe des accords.
L’odeur des blancs rosiers meurt au ciel qu’elle embaume…
Je pressentais jadis dans les parfums rôdeurs
Un Eden idéal aux riches profondeurs :
Depuis lors j’ai trouvé le secret de l’arôme
Et mon cerveau n’est plus la dupe des odeurs.
Je songe devant un portrait de jeune femme…
— Ô printemps disparus où je voyais un chœur
De vierges me sourire en me nommant vainqueur !
Hélas ! des fausses fleurs j’ai découvert la trame,
Et mon cerveau n’est plus la dupe de mon cœur.
J’ai voulu tout sonder d’une main trop hâtive :
Les livres sur lesquels mon front lourd a pâli
Ont dans mon cœur usé pour longtemps aboli
Les bonheurs spontanés et leur fraîcheur native :
Ô soir, descends en moi comme un fleuve d’oubli !
a détresse implorait le céleste message
Le signe dit retour d’Antigone perdue ;
Sans espoir je laissais mes yeux sur l’étendue
Mobile seulement du solennel passage
Des nuages, du vent vespéral et d’un cygne…
L’horizon frissonna d’une présence d’ailes ;
Un reflet d’ange fit l’eau triste du Wannsee
Sourire, et, telle chante une astrale rosée
Lorsque l’éther l’adule aux fanes d’asphodèles,
La Sœur que ma prière adorait dit, bénigne :
« D’Alcyone l’étoile où je suis, ma pensée
Plaint les erreurs de tes douloureuses tendresses
Pour des rêves bientôt trahis, plaint tes détresses
D’âme infidèle il est trop vrai, mais fiancée
Au regret des chers soirs que nous eûmes dans Thèbes ;
Parmi l’azur natal ma délivrance plane,
Frère, sur ton exil hanté de nostalgies
Stériles vers moi seule et de songes d’orgies
En d’infernaux palais de métaux dont émane
Cette odeur d’oliban qu’ont les gorges d’éphèbes :
Nous fûmes, je le sais, lors d’une très lointaine
Existence deux Fils de Roy dans Ecbatane
Qui se plaisaient à voir, comme un jardin se fane
Des corps mêlés languir aux soupirs de fontaine
Que rhythme lentement la bouche des blessures ;
Mais contemple oublieux des barbares délices
Ces terrasses d’Hellas que lustre l’indolence
De nos sandales sur les dalles de silence,
Et souviens toi que nous pleurâmes les malices
Commises quand nos cœurs avaient soif de luxures !
Mérite le pardon que le pâle Prophète
Nous accorda pour prix de sa douce victoire !
Subis, serein, la solitude expiatoire
En le Nord triste et songe à l’angélique fête
Qui saluera demain tes noces fraternelles !
Sol d’exil en Jésus, ô patrie, Alcyone,
Pur site de beauté qu’un plus chaste fantôme
Magnifia de son vol blanc parmi l’arôme
Extasié des fleurs candides, oh rayonne
De l’orgueil de ravir à jamais nos prunelles !
C’est la fin de l’épreuve et l’aube de la joie
Voici venir en l’ombre hyaline de l’heure,
Réelle avec la grâce indécise d’un leurre,
Une forme… je sens l’azur comme une soie
Idéale ondule autour d’elle et bruire »…
Soudain, brisant la voix céleste, un sacrilège
Fracas de la foudre éclate et, le front haut, Statue
Du Mal et de la Nuit qui toujours abattue
Se redresse toujours, surgit nimbé de neige
Obscure et de rafale iblis au noir sourire.
doux Jésus, si tu réchauffes
De l’enfant jusqu’au vieillard chauve,
Tous les humbles et tous les pauvres
Qui pour dormir n’ont pas un toit,
Si tous ceux qui suivent ton culte
Et la loi d’amour qu’il inculque
Ne descendront dans le sépulcre
Que pour ressusciter en toi,
Si ces mots, comme tu l’attestes,
Affranchis des liens terrestres,
Seront relevés par ta dextre
Et verront le trône de Dieu,
Seigneur, il faut que tu m’épargnes
Lorsque Satan sur moi s’acharne,
Et, prenant pitié de mes larmes,
Que tu me mènes aux Saints-Lieux.
Ainsi qu’un fol enfant du siècle
Je me laissais aller sans règle
À tous les penchants d’un cœur faible
Et j’étais mort selon l’esprit,
Et quand sur moi venait le monstre,
J’allais moi-même à sa rencontre,
Je l’appellais pour me corrompre
Au lieu de lutter contre lui.
Si mon repentir ne t’ébranle
Pourrai-je plus, sans que je tremble,
Tourner mes regards vers ce temple
Que tu t’es construit dans l’azur ?
Devant ta face, ô Juge intègre,
Après mon passé que j’exècre
Comment oserai-je paraître ?
Je n’ai rien en moi que d’impur.
Le soir, quand l’horizon s’entr’ouvre
Et s’enflamme en lueurs de pourpre,
Je crois voir se creuser le gouffre
Où doivent sombrer les méchants,
Car je suis un fils des Ténèbres,
Car mon esprit, mes yeux, mes lèvres,
Et la main que vers toi je lève
Se sont employés pour Satan.
Que si ton tonnerre passe outre
Et si tu consens à m’absoudre,
Touché des pleurs que tu vois sourdre
Dans un cœur où tu n’étais pas,
Prends pour guérir mon âme triste
Cette main que l’angoisse crispe
Quand je songe au ciel que je risque
En ne marchant point sur tes pas.
Sans chercher rien qui me disculpe
Des plaisirs faux dont je fus dupe,
J’entrerai dans la route abrupte
Qui est le chemin de la croix,
Et si par grâce tu m’acceptes,
À jamais courbé sous ton sceptre,
Je fais vœu de suivre à la lettre
Les commandements de ta loi.
es souvenirs du temps passé me sont très durs,
Chassez l’obsession des formes revenues.
Allez ! Faites monter des roses sur les murs
Plantez des arbres verts entre les avenues.
Je sens flotter dans l’air des odeurs inconnues.
Est-ce le lourd parfum des raisins déjà mûrs…
…Elle avait des yeux clairs et des pensers obscurs,
Des mots lascifs avec des poses ingénues.
Les souvenirs du temps passé restent en nous
Nous avons beau prier et pleurer à genoux
On n’exorcise pas leur mirage rebelle.
Et cela reste en nous comme un parfum trop fort,
Ou comme un vieux refrain boîteux que l’on épèle…
— Mon Dieu ! Trouverons-nous le repos dans la mort ?
’œil fixé vers le ciel, mains jointes, à genoux,
L’ascète aux yeux profonds, à la face blêmie,
Songe, et dans le repos de la terre endormie
Son âme immaculée invoque Dieu pour nous.
Aux rumeurs d’ici-bas ses oreilles sont closes,
En vain l’aile du soir fait tressaillir les bois
Dans sa pieuse extase, il n’entend pas la voix,
La voix qui lentement la nuit monte des choses.
Et par l’air alangui des souffles sensuels
Passent en un murmure affolant de caresses :
La nature au printemps aime à chanter des messes,
Elle a ses desservants, elle a ses rituels.
L’homme qu’emplit la sainte et mystique parole,
Dans le vague absorbant des contemplations,
Interroge, anxieux, les constellations,
Comme pour y chercher quelque divin symbole.
Et voici que soudain s’élève dans les cieux,
Ainsi que d’un grand orgue en l’abside infinie,
Une mystérieuse et troublante harmonie…
Et l’ascète entendit cet hymne harmonieux :
« Mon bien-aimé m’a dit : « Viens, lève-toi, ma belle,
« Car l’hiver pluvieux, l’hiver s’en est allé,
« Le parfum de la fleur aux chansons s’est mêlé,
« Et déjà dans nos bois chante la tourterelle.
« Déjà jonchent le sol les figues des figuiers,
« Déjà la grappe pend à la vigne odorante,
« Ma belle lève-toi, lève-toi, mon amante,
« Et viens-t’en près de moi causer sous les palmiers.
« Ma colombe, pourquoi dans la roche blottie,
« Silencieusement demeurer à l’écart ?
« Viens, très douce est ta voix, et très doux ton regard ;
« Belle comme Tirtsa, viens, ô ma grande amie,
« Viens… » Et sous l’ample nef le chant des épousés
S’éteignit. Et l’ascète au visage de cendre
Dans les astres mouvants, éperdu, crut entendre
Le frôlement que font les nocturnes baisers.
lle danse, elle est nue, elle est jeune ; ses flancs
Ondulent avec un déhanchement farouche ;
Un frisson lumineux monte de ses pieds blancs,
Mais le sourire fait une fleur de la bouche
Sous le regard languide entre les cils tremblants.
Ses doigts caressent vers des lèvres ignorées
Le galbe blanc, la chaleur douce de ses seins
Et son battement d’aile invite les essaims
Des baisers, à l’abri des épaules dorées.
Puis la taille ployée à la renverse, tend
Le pur ventre, gonflé d’un souffle intermittent, —
Et sur l’arachnéen fourreau noir de sa robe
Deux lys voluptueux avec des gestes vains
Ses bras tourneurs au rythme lent des luths divins
Cherchent l’imaginaire amant qui se dérobe…
e ses quatre pieds purs faisant feu sur le sol,
La Bête chimérique et blanche s’écartèle
Et son vierge poitrail que nul cran d’or n’attelle
S’éploie en un vivace et mystérieux vol.
La crinière enflammée en rayons d’auréole
Casque d’aube et d’argent le cheval immortel
Qui luit sur la clarté du froid nocturne, tel
Orion scintillant à l’air glacé d’Eole.
Et comme au temps où les Esprits sereins et beaux
Buvaient au flot sacré jailli sous les sabots
L’illusion des sidérales chevauchées,
Les poëtes en deuil de leurs cultes perdus,
Imaginent encor sous leurs mains approchées
L’étalon rétif fuir dans les cieux défendus.
PAUL VALÉRY | Carmen mysticum. |
MAURICE QUILLOT | Sonates. |
CLAUDE MOREAU | Emaux sur Or & sur Argent. |
EUGÈNE HOLLANDE | Beauté. |
ANDRÉ GIDE | De la Prose. |
EDMOND FAZY | Les Fanes. |
LÉON BLUM | Des Yeux. |
HENRY BÉRENGER | L’Âme Moderne. |
MICHEL ARNAULD | Les Adorantes. |
P. L. | La Vierge. |
Où je souffle un appel à quelque dieu qui passe…
H. de R.
MDCCCXCI
LE Nl-WÉKO DIX .FRANCS ABONNEMENTS; CENT FRANCS S
LA CONQUE, anthologie des plus jeunes poëtes, n’aura que douze livraisons, tirées chacune à cent exemplaires numérotés sur papier de luxe.
Elle ne sera jamais ni continuée ni réimprimée.
Chaque livraison de LA CONQUE est précédée f/ Mt; /<).V7’/5’/VC’A’ eu vers, inédit. Nous avons publié les poèmes de MM. I.ECONTE DE LISLE. Léo» DIEUX, José-Maria DE HEREDIA. *̃•>̃ Judith GAUTIER, et MM. Maurice MAETERLINCK, Stéphane MALLARMÉ, Jean MORÉAS, Charles MORICE, Henri de RÉGNIER, Algernon Ch. SWINBURNE, Paul VERLAINE, Francis VIELE- CA’IFFIN ont bien voulu accepter d’inaugurer aussi la jeune revue.
Éventail STÉPHANE MALLARMÉ.
La Comédie de la Mort MAURICE QUILLOT.
La suave Agonie PAUL VALÉRY.
Sonnet LÉON BLUM.
Evocation HENRY BÉRENGER.
Regrets EUGÈNE HOLLANDE.
Le Réveil CLAUDE MOREAU.
Piédestal P. L.
vec comme pour langage
Rien qu’un battement aux cieux
Le futur vers se dégage
Du logis très précieux
Aile tout bas la courrière
Cet éventail si c’est lui
Le même par qui derrière
Toi quelque miroir a lui
Limpide où va redescendre
Pourchassée en chaque grain
Un peu d’invisible cendre
Seule à me rendre chagrin
Toujours tel il apparaisse
Entre tes mains sans paresse
e Jardin, le grand Jardin se boursoufle de tertres
Où poussent des touffes d’adorables chrysanthèmes
Dans les enclos fermés de cadenas et de chaînes !
— Comme si l’on craignait que les âmes se perdent,
On écrit leurs noms sur des Croix dans les herbes vertes :
Et dans l’ombre du soir, les parents s’en vont tout blêmes,
Parcequ’ils ont peur de voir les Morts, hors de leurs gaînes,
S’en venir leur dire avec des bouches trop ouvertes :
« Que venez-vous ici ? ridicules trouble-fêtes ;
Allez, ce grand calme est très bon pour nos pauvres têtes,
Et nos cheveux sont le gazon des lentes charmilles.
« Comme les Dieux immortels, nous vivons sans querelles ;
Nous disons nos « Ave » sous les petites chapelles
Où sont inscrits nos noms dans les Caveaux des Familles ! »
— La Grande Mort est venue ;
Elle a pris l’âme toute nue.
Le corps est resté dans la chambre :
Il fait un froid de Décembre.
— Certains ont dit : « Il fallait
Que cette pauvre âme s’en aille ! »
Ô Maître, d’un coup de balais
Chassez cette valetaille.
— L’un pense au Dieu tutélaire
Qui se révèle dans l’Hostie :
C’est le prêtre au lourd bréviaire
Et des relents de sacristie
— La peureuse a fui l’idée
De cette mort vague qui plane :
Quand vous serez vieille et ridée,
Des vers boiront votre crâne.
— Et je cherche la césure
Des vers que j’écris pour la Morte,
Parceque j’ai souffert d’une incroyable blessure
En voyant la Grand’Mort qui poussait d’un doigt la porte,
Et chantait de sa voix si lente et si magnanime
Qui tremble un peu, ce chant d’adieu bien triste, qui rime :
« Voilà ! ton règne est passé,
Ton sablier est cassé.
Ton corps est déjà glacé ;
Requiescat in pace. »
L’odeur de ses cheveux, vagabonde,
À fleuré dans mon cœur pendant toute une nuit,
Une nuit où le rêve qui s’enfuit
Cherche dans l’ombre tiède une voix qui réponde.
La fleur des yeux où Dieu se reflète,
À fleuri dans mon cœur pendant toute une nuit,
Et ce cœur redemandait le bruit
Du baiser que mendie une bouche inquiète.
La tiédeur de sa gorge veinée
À flambé dans mon cœur pendant toute une nuit,
Et je croyais voir le soleil qui luit,
Inonder de printemps une neige fanée.
Je mettrai ses petits souliers
Familiers,
Comme autrefois au pied du lit
Où, dans les dentelles, pâlit
— Ô souvenir des jours d’Espoir —
Le petit bonnet blanc à ruche, — du Soir _
Ils sont gentils, les Enfants de chœur,
Ils ont des cheveux bouclés qui frisent,
Des gaîtés dans leurs prunelles grises,
Et des baisers sur leur bouche en cœur.
Avec leur cierge à la flamme pâle
Qui frissonne au vent de l’encensoir,
Ils s’amusent ainsi, sans savoir
Et font des points blancs sur une dalle.
Ils se répètent un joyeux nom
Avec de petits éclats de rire,
Lançant des gouttelettes de cire :
Et ron ron ron, petit patapon !
Quand la Grand’Messe sera finie,
Et chanté le long « Pie Jesu »,
Jetant leur vieux surplis décousu
Et l’ennui de la cérémonie,
Ils s’en iront jouer « au voleur »
À côté du vague cimetière,
Où les Défunts disent leur prière
Parmi la grande aubépine en fleur,
Mais à présent, hélas ! on s’ennuie :
Il faut rester debout trop longtemps,
Écouter des sanglots, — et des chants
En latin, tristes comme la pluie.
Et puis, c’est ce grand catafalque
Avec mille cierges vacillants
Qui font de tout petits points brillants.
— Les yeux fixés sur le tabernacle,
Ils ont un rire très ingénu ;
Ils ne savent pas pourquoi c’est triste
Car ils n’ont jamais lu le Psalmiste
Qui dit que nul n’en est revenu
De cette Grand’Mort accapareuse.
— Et quand l’enfant de chœur aux doux yeux
Où se reflète un morceau des Cieux,
Retourne sa figure si joyeuse,
Il voit les Endeuillés, et tous Ceux
Qui pleurent sur cette tombe fraîche…
Alors — mon doux Jésus de la Crèche —
Il lui vient deux larmes dans les yeux !
Elle avait des palais aux blanches colonnades,
Où les rares satins s’écrasaient en torsades,
Parmi les ors, parmi les fleurs, parmi l’encens ;
Elle avait des laquais plus sûrs que les esclaves
Qui dans les temps Romains ourlaient des laticlaves
Assis dans l’Atrium près des tares puissants :
Elle avait des lingots plus pesants que sa tête,
Des plats d’argent, que l’on sortait, les jours de fête,
Du grand bahut de chêne aux contours ciselés ;
Elle avait un parc où des sources incertaines
Coulaient en fins ruisseaux, jaillissaient en fontaines,
Sous l’ombre des saules pleureurs échevelés ;
— Maintenant, son jardin sera le Cimetière
Où l’on dort, où l’on est bien tranquille — ma chère !
29 janvier 1891.
ourquoi tes Yeux sont si grands, ce soir ?…
Et, dans ces flammes de soleil mortes,
Toi qui vas mourir, que veux-tu voir ?
Pourquoi ces baisers purs vers le soir ?
Pourquoi de ta main pâle tu portes
Lentement, des sourires secrets,
Comme des fleurs vaguement données
A des vierges aux regards sacrés,
Qui dans l’air passent couronnées ?…
Toi, qui verras ailleurs le Matin,
O ma chère agonisante, admire.
Parmi ces brouillards tendres de myrrhe.
Les salutaires Voix d’or lointain…
uand je me coucherai dans l’ombre où tu reposes
Tu poseras ta main blanche sur mes cheveux.
Je dis ce que tu dis et fais ce que tu veux,
Nous nous allongerons en de tranquilles poses.
Et, pour respirer mieux le parfum clair des roses,
Nous penchant tour à tour comme pour des aveux,
Nous nous inclinerons, enlacés et honteux
Vers le gazon tout plein de roses demi-closes.
Les oiseaux chanteront sur des modes très doux,
Nous nous inclinerons, courbés sur les genoux,
Jusqu’à ce que mon front heurte ton front timide
Et que ta lèvre enfin, qu’un désir entr’ouvrit
Chastement, sur ma bouche, en un baiser candide,
Se pose… dans tes yeux je verrai si tu ris.
a ligne des côteaux violets se dessine
Très nette sur le fond vert-pâle du couchant…
À l’orient cendré des teintes de glycine
Offrent aux yeux lassés leur gris-sombre attachant…
Parfums dans les jardins, parfums sur la colline,
Et parfums dans la plaine… À cette heure, le chant
Des vignerons voûtés qui reviennent du champ
Fait battre étrangement mon cœur dans ma poitrine…
Ah, la Souffrance est douce en ce calme parfait !
Les vœux et les regrets que la vie étouffait
Au tendre clair-obscur ouvrent mieux leurs pétales ;
Là haut s’entr’ouvre aussi la floraison des soirs
Et j’evoque dans les pâleurs occidentales,
La vierge, aux yeux pensifs promise à mes espoirs…
l allait, et ses mains désiraient cette étoile,
Le Bonheur Et, le cœur gonflé comme la toile
Du vaisseau que fait fuir un grand souffle marin,
Il courait le péril d’une marche sans fin,
Lorsque son âme, un jour, s’élança vers ta grâce,
Ô Femme, par qui Dieu se révèle à la race !
Baigné dans ta clarté, pour ciel ayant tes yeux,
Il s’enivra longtemps d’avoir mené ses vœux
Aux bords les plus lointains des océans du rêve.
À peine croyait-il, dans les vents de la grève
De l’humaine malice entendre les rumeurs :
Au vainqueur oublieux qu’importaient ces clameurs ?
Femme, ta volonté changea cette fortune.
Sa lèvre est devenue à ta lèvre importune ;
Ce regard, où l’appel de ta grâce avait lui,
Au risque de sa mort s’est détourné de lui !
Depuis lors il revoit la clarté de l’étoile,
Mais nul souffle marin ne gonflé plus sa voile.
a mer matinale brillait au haut du flux
Les grands avirons bleus s’allongeaient sur les scalmes
Et l’infini silence éveillait les yeux calmes
Des femmes, que nul vol rameur ne berçait plus.
C’était le deuil de l’heure où les couples élus
De leurs bras étoilés par les roux lycophtalmes
Vers l’Ile, sur la mer, guidaient avec des palmes
L’escorte des dauphins et des tritons joufflus,
C’était la fin des chants alternés, et des rires
Autour des bouches, et des doigts charmeurs de lyres.
Les tempes s’appuyaient aux mains, lourdes d’ennui.
Et dans l’air pâle où le soleil s’élève et tremble
Des couples, éperdus d’être partis ensemble,
Tristement, regardaient leurs rêves de la nuit !
La chapelle où s’arrêtent mes pas
La chapelle
Où quelque voix de triste aurore appelle
Et d’où l’on ne revient pas
Sans une âme changée
Je ne saurais
M’y guider qu’à travers les marais
Où le ciel vespéral se moire en mer orangée
Couleur de gloire
Mais l’eau d’or se rassérène, sans mémoire
Des pieds calleux, des pieds las,
L’eau longue d’or sous le céleste soir lilas
Et c’est la voie au firmament couleur de gloire
Vers la chapelle où s’arrêtent mes pas.
Le parvis où j’ai rêvé d’être, de toute
Éternité
M’attendant au terme de la route
Dans l’auréole des soirs d’été
C’est la virginité
Marmoréenne des colonnes sous la voûte
Ô chapelle
Où quelque voix de silence m’appelle
Enveloppé de laine blanche à plis profonds
Seul
Voilant sous ce gonflement de linceul
Les sursauts matés des désirs moribonds
J’irai
Vers le chœur de l’Esprit ignoré
Où s’épure à genoux la malheureuse âme
Aux pâles rayons des mains hautes et vierges
Mais sur nulles marches d’autel vers la femme
Et qu’en l’absence des simulacres et des cierges
Seul au centre du chœur se carre
Le pur piédestal de carrare
Où le seul rêve sera statue.
Et gisant par le désert des dalles
Effraye de la nef soudain tue
J’évoquerai la forme féminine surgie
Hors des lignes pyramidales
Mes yeux en éveil m’ouvriront leur magie
Grands ouverts sur le rêve
De la Vierge en la paix des voiles, qui s’élève.
- (Fragment de la Vierge) EN PRÉPARATION
- (Fragment de la Vierge)
PAUL VALÉRY | Carmen mysticum. |
MAURICE QUILLOT | Sonates. |
CLAUDE MOREAU | Emaux sur Or & sur Argent. |
EUGÈNE HOLLANDE | Beauté. |
ANDRÉ GIDE | De la Prose. |
EDMOND FAZY | Les Fanes. |
LÉON BLUM | Des Yeux. |
HENRY BÉRENGER | L’Âme Moderne. |
MICHEL ARNAULD | Les Adorantes. |
P. L. | La Vierge. |
Où je souffle un appel à quelque dieu qui passe…
H. de R.
MDCCCXCI Cinquième LIVRAISON. iPr JUILLET.
La Conque
LE NUMÉRO DIX FRANCS ABONNEMENTS CENT FRANCS
LA CONQUE, anthologie des plus- jeunes poëtes, n’aura ~v que douze livraisons, tirées chacune à cent exemplaires numérotés sur papier de luxe.
Elle ne sera jamais ni continuée ni réimprimée.
Chaque livraison de LA CONQUE est précédée d’un FRONTISPICE en vers, inédit. Ncnis avons publié les poèmes de MM. LECONJE DE LISLE, Lion DIERX, Josê-Maria DE HEREDIA, Stéphane MALLARMÉ, Algernon Ch. SWINBVRNE. M’»? Judith GAUTIER et MM. Maurice MAETERLINCK, Jean MORÉAS, Charles MORICE, Henri de RÉGNIER, Paul VERLAINE, Francis VIELÉ- GRIFFIN ont bien voulu accepter et inaugurer aussi la jeune revue.
Un frontispice à l’eau forte, par FÉLICIEN ROI’S sera joint à la dernière livraison.
SOMMAIRE DU i" JUILLET
The Ballad of Melicertes ALGERNON CH. SWINBURNE
Prière Moderne EUGÈNE HOLLANDE.
Décor Romanesque CAMILLE MAUCLAIR.
Les Vaines Danseuses PAUL VALÉRY.
Impression EMILE WATYN.
Sonnet LÉoN BLUM.
Fanes EDMOND FAZY.
Soir de Ville HENRY BÉRENGER.
Le Stigmate P. L. THE BALLAD OF MELICERTES
In memory of Théodore de Banville
Death, a iight outshining life, bitls heaveii .esume
il Star by star the soûls whose light made earth divine,
M Death, a night outshitiing day, secs burn and bloom,
M Flower by flower, and sun by sun, the famés that shine
i^H^^v rlower Dy nower, ana sun [>y sun, trie lames mai snmc
Deathless, higher than tife beheld their sovereign sign.
Dead Simonides of Ceos, latc restored,
Givcn again of God, again by man deplorcd, -•
Shone but yestereve, a glory frail as breath.
F rail ? But famc’s breath quickens, kindles, keeps in ward,
Life so sweet as this that dies and casts off dealh.
Mother’s love, and rapture of the sea, whose womb
Hrceds eternal life of joy that sîings like bririe,
Pride of song, and joy to dare the singer’s doom,
Sorrow soft as slccp, and laughter bright as wine,
Flushed and filled with fragrant (ire his lyric line.
As the sea-shell utters, like a stricken chord,
Music uttering ail the sea’s withïn it stored, d
Poet well-beloved, whose praise our sorrow saith,
So thy s.ongs retain thy soûl, and so record
Life so sweet as this that dies and casts ofï death.
Side by side wo mourned at Gautier’s golden tomb
Hère in spirit now I stand and mourn at thlnc. .,?.
Yet no breath of death strikes thence, no shadow of gloont,
Only light raorc bright than gold of the inmost mine,
Only stcam of incensc warm from lovc’s own shrinc.
Not the darkling stream, t.; ̃- sundering Stvgian ford,
Not the hour that smites .ind severs as a sword,
Not the night subduing light that perisheth,
Smitc, subduc, divide from us by doom abhorred,
Life so sweet as this that. dies and casts off death
Prince of song more sweet than honey, lyric lord,
Not thy France here only mourns a light adored,
One whose love-lit fame the world inheriteth.
Strangers too, now brethren, hail with heart’s accord,
Life so sweet as this that dies and casts off death.
La Mort, lumière surpassant en éclat la vie, mande aux cieux de résorber
Étoile à étoile les âmes dont la lueur fit divine la terre.
La mort, nuit surpassant en éclat le jour, voit flagrer et fleurir,
Fleur à fleur, et soleil à soleil, tes renommées qui brillent
Immortelles à son firmament, plus hautes que la vie ne contempla leur signe souverain
Simonide de Céos mort jadis, récemment ressuscité,
Rendu par Dieu une fois de plus, une fois de plus pleuré des hommes,
Reluisait hier soir ô gloire frêle comme le souffle.
Frêle ? mais le souffle de la renommée ravive, avive, couve en sa garde
Une vie si douce que celle-ci qui meurt et rejette la mort.
Le maternel amour, le frisson ravi de la mer, de qui le flanc
Engendre une éternelle vie de joie qui mord comme l’âpreté de l’onde,
L’orgueil de la chanson, et la joie d’oser la destinée du chanteur,
La tristesse douce comme le sommeil, et le rire clair comme un vin,
Empourprèrent et emplirent de fragances embrasées sa ligne lyrique.
Et telle la conque profère, comme la corde au heurt du plectre,
Une musique disant toute la musique mer en elle accumulées,
Poète bien-aimé, dont la louange est dite par notre douleur,
Telles tes chansons gardant ton âme, et, telles, restituent
Une vie si douce que celle-ci qui meurt et rejette la mort.
Cote à côte, nous pleurâmes au tombeau d’or de Gautier :
Ici, en esprit, me voici debout et qui pleure auprès du tien ;
Pourtant nulle haleine de mort n’en provient hostile, nulle ombre ne s’en projette lugubre,
Seule une lumière à éblouir l’or vierge du suprême filon,
Seule une vapeur d’encens tiède du tabernacle même de l’amour.
Ni la rivière de ténèbres, le gué stygien qui s’interpose,
Ni l’heure qui vient férir et fendre comme une épée.
Ni la nuit victorieuse d’une lumière périssable
Ne sauront abattre, ni soumettre, ni séparer de nous par quelque arrêt abhorré
Une vie si douce que celle-ci qui meurt et rejette la mort.
Prince de la chanson plus douce que le miel, lyrique Seigneur,
Ta France ne pleure pas seule, ici, une lumière qu’elle adorait,
De qui la renommée que l’amour illumine est l’héritage du monde :
Des étrangers aussi, frères aujourd’hui, saluent en unisson de cœur
Une vie si douce que celle ci qui meurt et rejette la mort.
ouges encens évaporés sur les ciels pâles ;
Vitraux de pourpre et d’or barrés de rameaux noirs ;
Autels aériens, mouvantes cathédrales ;
Soleils couchants, mystique apparence des soirs ;
Robes de lin, au fond des bois, le long des sentes,
Et, sur les fleuves dont les eaux sont frémissantes,
Cortège virginal des vapeurs bleuissantes :
Voici qu’est descendu le ciel, à l’horizon,
Sous le regard éclos d’une étoile : Ô mon âme,
Souviens-toi, pour Celui que le silence acclame,
De garder et l’encens et la pourpre et la flamme,
Jusqu’à ce qu’ait jailli l’astrale floraison !
Tragiques feux irradiés de tes prunelles ;
Rythme sourd de ton pas somnambule, ô Paris !
Aspect mystérieux de tes formes réelles ;
Gestes de l’action dont le rêve est épris ;
Foule qui roule, blanche et noire, par les rues,
Laissant au souvenir, d’heure en heure décrues,
De vagues visions des têtes disparues ;
Scène du monde où l’Héroïne est la Douleur !
Sur le masque du fou, sur la face du sage,
Partout j’ai reconnu son effrayant passage :
Dans l’humaine cohue elle a seule un visage,
Le reste est sans regards, sans traits et sans couleur…
Puisse à tous et toujours ton éclatant symbole,
Ô soir, se révéler dans la double beauté
Du ciel, où la Pensée à l’Idéal s’envole
Et du sol, où le cœur est du Réel tenté !
Que l’attrait soit égal, car l’objet est le même :
Sur la montagne ou sur la croix, splendide ou blême,
Fils de l’humble Marie ou du Juge Suprême ;
La même majesté dans le Christ apparaît ;
Tel, dans les yeux souffrants de la foule qui passe
Et dans la fête radieuse de l’espace,
Là, Douleur et Labeur, ici, Repos et Grâce,
Aux cœurs épris de lui Dieu se décèlerait.
r ce fut, en l’envol nacré d’ailes de cygnes,
La gloire de Cypris nue et baisant des roses
Que le flot déroulé des pompeux satins roses
Fit resplendir sur les azurs de cieux insignes.
Toute païenne et souriante draperie
Sous l’or clair des fenêtres aux jolis losanges,
Avec des tons verts et sanglants d’orfèvrerie,
Et la bordure de licornes très étranges.
Toute païenne, et douce, et noble la déesse
Faite de roses et gaîment rose elle-même,
Adorable monceau de fleurs dont se parsème
L’étoffe lourde qui chatoie et qui caresse.
Et c’étaient, sous les plafonds de hautes ténèbres,
Des ors d’astres ciselés au sein de nuits calmes,
Des éclairs de casques et de glaives célèbres,
Et des crédences, et des floraisons de palmes,
Et des aigles écartelant d’armoriales
Ailes de nuit aux pourpres des blasons antiques
C’étaient — parmi l’essor des arceaux héraldiques
S’exaltant vers le ciel d’ogives triomphales.
Et silences ! Mais les exquisités insignes
— En ce décor de moyen-âge — de ces roses
Que semait, en l’envol nacré d’ailes de cygnes,
La Cypris nue en la douceur des satins roses !
elles qui sont des fleurs légères sont venues,
Figurines d’or, et beautés toutes menues
Où s’irise une faible lune… Et les voici
Mélodieuses fuir dans le bois éclairci.
De mauves et d’iris et de nocturnes roses
Sont les grâces de nuit sous leurs danses écloses
Qui de parfums voilés amusent leurs doigts d’or.
Mais l’azur doux s’effeuille en le bocage mort,
Et de l’eau mince luit à peine, reposée
Comme un pâle trésor d’une antique rosée
D’où le silence en fleur monte… Encor les voici
Mélodieuses fuir sous le bois éclairci,
Aux calices aimés leurs mains sont gracieuses ;
Un peu de lune dort sur leurs lèvres pieuses,
Et leurs bras merveilleux aux gestes endormis
Aiment à dénouer sous les myrtes amis
Leurs liens fauves et leur caresse… Et certaines
Moins captives du rhytme et harpes lointaines,
S’en vont d’un des subtil au lac enseveli
Boire des lis l’eau frêle où dort le pur oubli.
e lac s’endort sous ses voiles de lichen vert,
Sous les roseaux berceurs où frissonne une houle…
Et, dominant les arbrisseaux plaintive foule,
S’érigent les vieux pins sous leur chape d’hiver.
Et sur ces choses, plane un long suaire de brume.
Dénouant ses vapeurs aux pointes des gazons…
Et les calmes lueurs dont l’espace s’allume
Nimbent de violet les molles frondaisons.
L’ombre du peuplier croit sur la route grise ;
Le pommier neige à flocons roses sur le champ ;
Et se noie aux clartés câlines du couchant
L’envol des cygnes blancs qui vibre dans la brise.
Flot de sommeil berceur sur mon âme versé,
De pénombre appalie où mon rêve circule ;
Vol de rythmes chanteurs à mon cerveau lassé…
Raisonner ! C’est plein jour. — Songer ! C’est crépuscule.
ous avez murmuré, votre main dans ma main,
Une phrase d’adieu très lente et très banale.
Je n’ai pas dit comme autrefois : Donc, à demain.
Je n’ai pas prononcé de parole brutale.
Car je hais la douleur bruyante et qui s’étale.
Vous en ririez, avec vos airs d’enfant gamin.
Comme ils sont loin avec leurs senteurs de jasmin
Les jardins enchantés où j’aurai fait escale.
Vous ne murmuriez pas des paroles d’adieu
Ces jours où, détournant de ma bouche vos yeux,
Vous emplissiez mon cœur d’une extase rapide…
Et les moments si doux, hélas ! vite écoulés,
Où lasse après l’aveu de votre amour timide
Vous suiviez dans l’air bleu vos rêves envolés.
FANES Lendemain
’Aujourd’hui c’est Vènise en deuil après les fêtes Les canaux que moiraient d’ors vains les girandoles S’attristent de bercer d’illusoires gondoles,
- o,attnsrenr oenercero’tHuSOIres gonooles,
’̃•̃̃ s attristent Dercer a illusoires gondoles, Et les vols d’oiseaux fous présagent des tempêtes. Ils eurent trop raison naguère, les prophètes
Qui parlaient de l’ennui bourreau des jeux frivoles, ht de l’heure où dépris de toutes mes idoles
Je rêverais l’exil absolu des ascètes
Adieu mon cœur est las de vos délices vides, Je me souviens je songe aux saintes Thébaïdes, Aux dunes de silence où le soupir des sables
Et des flots ravirait mon âme solitaire
Vers l’adoration des Dieux inconnaissables
En J’amour ingénu de l’éternel mystère.
L,a Victoire
9E Mage d’aujourd’hui, penché sur le Mystère,
Dérobe aux Sphinx muets les Arcanes des choses
m Dét~tt&uit SphtMx tnaet~i~s Arcanes des choses
Les lèvres de la Nuit par son baiser décloses
wmm L.es lèvres ue aa muic par son uaiser ueeioses Laissent le Jour immense illuminer la Terre.
Cabbalistes, sursum n’est plus temps de taire
Aux peuplas moribonds la Merveille des Gnoses
Voyez à l’Orient ces feux d’apothéoses,
Nimbes promis au front du rêveur solitaire
Zohar, Apocalypse, 6 Lumières, sans trêve
Rayonnez, rayonnez sur notre Crépuscule
Après quatre-vingts ans, le Siècle enfin se lève.
Le sinistre Sat-n qui ricanait recule
Les prftreu >ï,in triomphent, et l’Aurore,
Grand aigle éclabouastsiit les Ténèbres, s’essore,
EDMOND FAZY.
eau soir ponctué d’or de la Ville en rumeur
Dans le réveil encor puéril de l’année
Quand la Lune sur la nuit molle et satinée
Fait bleuir ses rayons maudits du seul dormeur…
Beau soir ponctué d’or où l’odeur émanée
Des églantiers et des lilas dans leur primeur
Sous l’humide parfum du marronnier se meurt
Loin des jardins fleuris où d’abord elle est née…
Diffusion de la couleur et de l’odeur,
Diffusion aussi du roulement grondeur
Que font tant de fracas humains parmi les rues,
Diffusion surtout de l’âme en tout cela
Rayons bleuis, parfums mêlés, rumeurs décrues,
Mysticité du cœur dans Paris, tout est là !
ous la dalmatique bleue et blanche
Elle a passé, les bras tendus,
Laissant pendre au fil de sa hanche
Les écharpes d’ombre, à flots perdus.
Les longues brumes horizontales
S’élevaient sur les encensoirs.
Les lys blancs teignaient leurs pétales
Aux rougissantes pudeurs des soirs.
Elle a gravi, les yeux aux lumières
Vers les ciboires inconnus
Les sept marches d’or, coutumières
Des purs genoux blancs et des pieds nus,
Lente, claire, elle est montée au faîte
Les bras croisés, baissés les yeux
Avec les rayons du prophète
Divergés sur son front radieux.
Or voici : toute la nef sonore
Murmurante au bruit de ses pas
Chantait. . . . . . . .
. . . . . . . . . .
…Offre au Seigneur tes lèvres pour myrrhe
Offre ton souffle pour encens
Offre tes longs yeux d’or où se mire
L’ombre des soirs incandescents
Offre au Seigneur ta blancheur de vierge
Sous l’aurore de tes cheveux
Et tout ton corps brûlé comme un cierge
En holocauste au dieu des vœux
Agenouillée en Vierge Marie,
Avec le geste triomphant
De tendre au Sauveur de Samarie
Ton grand cœur de mère et d’enfant.
Le poète parle :
Ô, splendide comme une idole,
Laissant palpiter sur tes bras blonds
Tes cheveux dorés pour étole…
Levant les mains vers les vitraux longs
Retourne-toi, haute et nimbée,
Ô Vierge, Ô Mère, Ô Cœur sans amant,
Vers la faible forme courbée
Qui tremble dans l’ombre follement ;
Et, noire sur l’aube indécise,
Les pieds joints sous les plis étendus,
Telle que Saint-François-d’Assise
Montrant le Stigmate aux éperdus,
Montre au cœur pur que tu fascines
— D’horreur et d’orgueil les doigts ailés —
La trace des lèvres divines
Aux pointes de tes seins étoiles.
PAUL VALÉRY | Carmen mysticum. |
MAURICE QUILLOT | Sonates. |
CLAUDE MOREAU | Emaux sur Or & sur Argent. |
EUGÈNE HOLLANDE | Beauté. |
ANDRÉ GIDE | De la Prose. |
EDMOND FAZY | Les Fanes. |
LÉON BLUM | Des Yeux. |
HENRY BÉRENGER | L’Âme Moderne. |
MICHEL ARNAULD | Les Adorantes. |
P. L. | La Vierge. |
Où je souffle un appel à quelque dieu qui passe…
H. de R.
MDCCCXCI SIXIÈME LIVRAISON. 1 t’r AOUT.
La Conque
LE NUMÉRO DIX FRANCS ABONNEMENTS CENT FRANCS ««4
LA CONQUE, anthologie des plus jeunes poëtes, n’aura que douze livraisons, tirées chacune à cent exemplaires numérotés sur papier de luxe.
Elle ne sera jamais ni continuée ni réimprimée.
Chaque livraison de LA CONQUE est précédée d’un FRONTISPICE en vers, inédit. Nous avons publié les poèmes de MM. LECONJE DE LISLE, Lion DIERX, José-Maria DE HEREDIA, Stéphane MALLARMÉ, Algernon Ch. SWINBURNE. M’ Judith GAUTIER et MM. Maurice MAETERLINCK, Jean MORÉAS, Charles MORICE, Henri de RÉGNIER, Paul VERLAINE, Francis VIELÉ- GRIFFIN ont bien ̃voulu accepter d’inaugurer aussi la jeune revue.
3oe
Un frontispice à l’eau forte, par FÉLICIEN ROPS sera joint à la dernière livraison.
L’Amrita des Dieux JUDITH GAUTIER.
Laorimavere Virgines CAMILLE MAUCLAIR.
Ballade de Résurrection GERORGE DONCIEUX.
Vers LÉON BLUM.
Crépuscules psychologiques HENRY BÉRENGER.
Fanes EDMOND FAZY.
Le jeune Prêtre PAUL VALÉRY.
ans la nuit merveilleuse, au cœur du ciel posée,
La Lune resplendit pleine de l’Amrita
Qui, des pressoirs divins, en limpide rosée,
Sang clair des astres mûrs, lentement s’égoutta.
Tous les dieux vont venir boire cette lumière,
Ce philtre de jeunesse et d’immortalité.
Il leur rendra l’éclat de ta splendeur première,
Et de charmes nouveaux nimbera leur beauté !
Hors des swargas lointains ils se hâtent en foule
Les dieux couleur d’opale, aux yeux fixes, les dieux
Terribles ou très-bons. Emportés par la houle
De leur désir, ils vont, vers le vin radieux.
Déjà le chœur superbe en désordre s’attroupe
Autour de l’Amrita, l’etincelant trésor ;
D’impétueuses soifs font déborder la coupe
Et sur le monde obscur tomber des gouttes d’or.
Dans l’ombre, un homme est là, le regard aux étoiles,
Sans rêves, le cœur lourd, confusément troublé,
Mais soudain, à ses yeux, se déchirent les voiles :
Le breuvage divin sur sa lèvre a coulé !
Dans l’être sans pensée une âme vient d’éclore
Sous l’éclaboussement de la rosée en feu ;
Il voit les immortels, en tremblant il adore,
Il pleure, et tend les bras vers le firmament bleu.
Les dieux boivent encor l’un plus que l’autre avide
Ils s’enivrent d’amour, de puissance et d’orgueil…
Enfin la coupe au ciel n’est plus qu’un croissant vide :
Les bienheureux ont fui, laissant l’espace en deuil.
Mais l’homme obscur a bu des gouttes du Mystère,
L’infini tout entier a pénétré ses yeux ;
Il est poète, il chante, et pour charmer la terre
Il dévoile le ciel et révèle les dieux.
t les Vierges, ainsi de pâles asphodèles
S’embrumant de tristesse en les joyeux lilas,
Aux célestes forêts, mythiques citadelles,
Inclinaient l’immense douleur de leurs fronts las.
Leurs seins aigus vibrant d’inapaisés sanglots
Aux baisers ténébreux d’un invisible archange,
Elles se déroulaient en leur cadence étrange,
Comme une mer d’albâtre aux harmonieux flots.
Alors qu’elles passaient auprès des sveltes marbres
Sous l’austère salut des chênes frémissants,
Ariane levait ses yeux morts vers les arbres
Sous l’implacable vol de ses deuils renaissants.
Niobé s’effarait, dans leurs longs cris stridents,
Du sifflement des traits empourprant les sept filles,
Et la douce Biblis, en son lit de jonquilles,
Souhaitait son eau pure à leurs beaux fronts ardents,
Tandis que Marsyas saignant au tronc de l’yeuse
Ranimait sur sa lèvre en feu l’orgueilleux chant,
Pour saluer la troupe adorable et peureuse
De l’hymne aux doux accords dompteur du Dieu méchant.
Dans l’ombre fraternelle où rêvait leur chagrin,
Des caresses chantaient sur l’aile des oiselles,
Et des paons constellaient de regards d’or pour elles
L’éventail d’émeraude orgueil du parc serein.
Et, les statues offrant l’exquis et triste hommage
De pleurs marmoréens aux perles de leurs pleurs,
Les Oiseaux et les Bois offraient brise et ramage,
Les gazons s’enchantaient de rosée et de fleurs.
Mais le groupe sacré, dans son exil tremblant,
Insensible aux langueurs des triomphantes roses,
Fleurissait l’horizon vermeil de ses bras roses
Levés pour des appels vers le ciel somnolent,
Comme si, dans le sombre azur gemmé d’étoiles,
Une Galère d’or où s’efface un adieu,
Enflant pour tout jamais les ailes de ses voiles,
Eût bercé le départ implacable d’un Dieu !
Et ces Vierges pleuraient l’Exil de la Beauté,
Car, sur le haut bûcher embaumé d’hyacinthes,
Plus pâle que les lys dont ses tempes sont ceintes,
Adonis était né pour la divinité !
Cypris avait serti d’astres ses boucles blondes,
Et, sous l’immensité des cieux mystérieux,
L’Adolescent avait aux lueurs d’autres mondes
Comme de grands iris ouvert ses larges yeux.
Alors les lys vivants, les Vierges aux pas lents,
Empourprant leur candeur à la mourante flamme,
À l’Ombre, aux Dieux d’Enfer, noirs sphinx gardiens de l’âme,
Avaient lugubrement dit les hymnes dolents.
Et maintenant ce champ de fleurs sous la rosée
Des pleurs, et sous l’effroi des vœux Plutoniens,
Dans la forêt, des Jeux et des Ris délaissée,
Troublait de ses parfums les songes anciens :
Et les Faunes pensifs, et les funèbres arbres,
Pressentant des regrets plus amers que les flots,
Écoutaient s’abîmer en d’effrayants sanglots
Le lilial essaim de ces douloureux marbres.
e tombeau divin a germé
Et Pâques sonne aux cathédrales.
Autour du grand cierge allumé
L’encens déroule ses spirales,
Les vitraux diaprent les dalles,
Des alléluias éclatants
Volent de l’orgue ; à deux battants
La nef ouvre aux peuples sa porte.
Venez vous, Sauveur du vieux Tems,
Pour ressusciter l’âme morte ?
C’est le dieu renaissant, c’est Mai,
Libre des prisons hivernales,
Qui monte dans l’azur charmé
Parmi les roses triomphales.
Il a fait taire les rafales,
Son souffle a tiédi les antans,
Des prés en fleur aux nids chantants
Règne sa vertu douce et forte.
Que peut l’haleine du printems,
Pour ressusciter l’âme morte ?
Renouveau du cœur enflammé !
Les voici, les nuits nuptiales :
Partout l’espoir du bien-aimé
Rosit les candeurs virginales ;
Partout, aux brises matinales
Et sous les astres lactescent,
Un vague émoi trouble les sens,
L’air est plein de baisers. N’importe ;
Il n’est philtres assez puissants
Pour ressusciter l’âme morte.
Ô blanche reine de vingt ans,
Aux doux yeux, aux pensers constants,
À qui les anges font escorte,
Incline-toi, si tu l’entens,
Pour ressusciter l’âme morte.
es nuits d’été, les gens descendent dans la rue.
Par la brume on les voit passer, très vite, et puis
Ce n’est plus rien qu’un tourbillon d’amour qui fuit
Dans le charme d’une vision disparue.
Les arbres que le soir empoussierait d’or
Sont maintenant tristes et vagues sous la lune.
Le ciel est bleu, le vent est chaud ; la terre est brune.
Tout paraît lisse et clair comme dans un décor.
Les voix que l’on entend prennent, dans le silence,
Cet accent fauve et sourd qui vous épouvantait.
Souvenez-vous du bon chevalier qui partait,
Dans la nuit un reflet d’étoile sur sa lance.
Votre robe, serrant un peu trop votre taille,
Vous fait trop frêle, avec quelque chose d’exquis.
Vous êtes la très pure et très naïve à qui
L’archange apparaîtra les matins de bataille,
Si naïve, et si caressante, que le ciel,
Le soir, pour vous, s’est fait d’une teinte plus pâle,
Lilas et bleu — dans des transparences d’opale —
Et les fleurs d’un parfum presque artificiel…
Pourtant n’en soyez pas moins douce à nos faiblesses.
Le vent plus frais ouvre les arbres du chemin.
Venez, ne parlons plus, je prendrai votre main.
Il faut des mots si peu chastes pour qu’on vous blesse.
Là-bas ? où donc ? Quand on a quinze ans, on souhaite
Des pays inconnus et des soleils plus bleus.
Gardez-vous le regret des pays fabuleux
Qu’avait rêvés votre petite âme inquiète ?
Moi, je sais bien que sous des arbres plus épais,
Au fond des bois que rafraîchiraient les fontaines,
Je ne deviendrais pas dupe des choses vaines,
Je garderais l’orgueil stérile de ma paix.
Restons ici. Vivons paresseux et tranquilles,
Vous aurez des mots doux, comme pour me calmer.
Et je vous aimerai de comprendre et d’aimer
Mes désirs sans espoir et mes vœux immobiles.
e rêve une colline étroite au jour baissant…
Des vapeurs s’en iraient par l’azur albescent
Qu’une diffusion impalpable de rose
Nuancerait
Et ce serait
Notre secret
D’errer sous les bouleaux dont le tronc blanc se rose
Par un suave après-midi de fin d’hiver
Songeurs d’amour parmi le rare gazon vert…
Et je rêve, au delà de l’étroite colline,
Des lointains bleu-foncé qu’une brume opaline
Velouterait d’un voile aux violets replis…
Moins loin, des plaines
S’étendraient, pleines
D’albes haleines
Qui monteraient en blancs réseaux un peu bleuis
D’un vieux toit pastoral ou des feux de fougères
Qu’allument en plein champ les légères bergères…
Et les frêles bouleaux mettraient sur le ciel blanc
Les dessins imprévus de leur treillis tremblant…
Le vent frissonnerait dans leurs fins ramuscules
Et ce charmant
Frissonnement
Dirait comment
On doit s’aimer dans la douceur des crépuscules…
Et nos songes auraient ce frisson du bouleau
Si doux qu’on ne sait pas si c’est le vent ou l’eau…
Est-ce le vent ou l’eau qui glisse par vos branches
Et se joue au travers de vos écorces blanches ?
Dites-le moi, bouleaux rêveurs, tendres bouleaux..
Point de réponse :
L’ombre s’annonce
Et puis se fonce…
Le sombre soir se meurt sur de secrets sanglots
Seul un sanglant sillon de rouge-de-saturne
Trouble encore au couchant la grisaille nocturne.
Puis, comme un souvenir en un cœur lourd d’ennui
Ce rouge sombrerait lui-même dans la nuit
Un magistral silence assombrirait la Terre
Et les aspects
Des fonds épais
Prendraient la paix
Des soirs poignants où l’on pressent le grand mystère…
Hélas ! d’où nous viendrait le mot essentiel !
Obscurité du cœur sous la noirceur du ciel !…
Le Mot essentiel, porte d’or des Sésames,
S’ouvrira-t-il jamais pour éblouir les âmes ?
Obscurité du ciel sur la noirceur du cœur !
Tout n’est que rêve
Et clarté brève
Qui brille et crève…
Le Temps dissout l’Amour et le Temps est vainqueur !
Nous sommes de la même étoffe que nos songes :
Qu’on nous rende la foi des sincères mensonges !
Soir pâle, bouleaux blancs, fin coteau gazonné,
Ô tendre et délicat décor imaginé,
Ne viens plus attendrir ma vision ravie…
Puisque jamais
Les prochains mais
Que tu promets
Ne rouvriront un cœur endurci par la vie
Le Temps dissout le Temps, et le Temps est vainqueur
Et le ciel est obscur encor moins que le cœur !
Février 1889
a douceur de dormir à deux dans la demeure
Pleine de lune pâle et de tremblantes palmes
Est suave surtout lorsqu’en les blêmes balmes
Du mystère nocturne un rêve noir s’épeure :
Ô délice de voir s’enfuir le sombre leurre
Sous la crypte de mort et d’oubli des ciels calmes…
Ô bonheur de sentir l’haleine des lys almes
Du paradis parler aux âmes qu’elle effleure…
La chambre est un jardin de frissonnante flore,
Un Eden où le vol musical du silence
Vibre comme une voix défunte de mandore
Et caresse en passant nos songes que balance
Loin du midi brutal ou de l’ardente aurore
Le souffle vague et frais de notre nonchalance.
ous les calmes cyprès du jardin clérical,
Va le jeune homme noir aux yeux lents et magiques.
Lassé de l’exégèse et des mots liturgiques
Il savoure le bleu repos Dominical.
L’air est plein de parfums et de cloches sonnantes !…
Mais le Séminariste évoque dans son cœur
Oublieux du latin murmuré dans le Chœur
Un Rêve de bataille et d’armes frissonnantes…
… Et, se dressent ses mains faites pour l’ostensoir
Cherchant un glaive lourd ! Car il lui semble voir
Au couchant ruisseler le sang doré des Anges !
Là haut ! Il veut nageant dans le Ciel clair et vert
Parmi les Séraphins bardés de feux étranges,
Sonnant du cor, choquer le fer contre l’Enfer !
PAUL VALÉRY | Carmen mysticum. |
MAURICE QUILLOT | Sonates. |
CLAUDE MOREAU | Emaux sur Or & sur Argent. |
EUGÈNE HOLLANDE | Beauté. |
ANDRÉ GIDE | De la Prose. |
EDMOND FAZY | Les Fanes. |
LÉON BLUM | Des Yeux. |
HENRY BÉRENGER | L’Âme Moderne. |
MICHEL ARNAULD | Les Adorantes. |
P. L. | La Vierge. |
Où je souffle un appel à quelque dieu qui passe…
H. de R.
MDCCCXCI Septième LIVRAISON. r’r SEPTEMBRE.
La Conque
LF. NUMÉRO DIX FRANCS ABONNEMENTS CENT FRANCS S LA CONQUE, anthologie des plus jeunes poëtes, n’aura que douze livraisons, tirées chacune à cent exemplaires numérotés sur papier de luxe.
Elle ne sera jamais ni continuée ni réimprimée.
Ckaqtie livraison de LA CONQUE est précédée d’un FRONTISPICE en vers, inédit. Nous avons publié les poèmes de MM. LECONTE DE IJSLE. Lion DIERX, Josè-Maria DE HEREDIA, Stéphane MALLARMÉ, Algernon Ch. SW1NBURNE. M«’o Judith GAUTIER et MM. Maurice MAETERLINCK, Jean MORÉAS, Charles MORICE, Henri de RÉGNIER, Paul VERLAINE, Francis VIELË- GRIFFIN ont bien voulu accepter d’inaugurer aussi la jeune revue.
Un frontispice à l’eau farté, Par FÉLICIEN ROPS sera joint à In dernière livraison.
SOMMAIRE DU 1er SEPTEMBRE
Chanson PAUL VERLAINE.
Petites choses LÉON BLUM.
Pleine Mer ÉMILE WATYN.
La Fileuse PAUL VALÉRY.
La Dame en gris HENRY BÉRENGER.
Sonnets CAMILLE MAUCLAIR.
Sonnets EDMOND FAZY.
De Fleurs CLAUDE MOREAU.
D’Etoiles P. L.
’horrible nuit d’insomnie
Sans la présence bénie
De ton cher corps près de moi
Sur ta bouche tant baisée
Encore trop rusée
En toute mauvaise foi
Sans ta bouche tout mensonge
Mais si franche quand j’y songe
Et qui sait me consoler
Sous l’aspect et sous l’espèce
D’une fraise, bonne pièce !
D’un très plausible parler
Et surtout sans le pentacle
De tes sens et le miracle
Multiple et un, fleur et fruit
De tes durs yeux de sorcière
Durs et doux à ta manière…
Vrai Dieu ! la terrible nuit !
e vent glisse et fuit sur vos mains tremblantes
Jouez-moi : — la nuit doit vous inspirer —
Des airs languissants et des valses lentes
Des airs alanguis qui fassent pleurer.
Le vent qui s’enfuit rythmera nos rêves
Rythmera la voix lente de nos voix
Et nous pleurerons les minutes brèves
Dans l’ombre alourdie et fraîche des bois.
Si tu veux faisons un rêve
Montons sur deux palefrois…
Pendant que tu te recueilles
En des rêves trop subtils
L’eau miroite entre les feuilles
Et le ciel entre tes cils
Phœbé là-haut nous jalouse,
Mais son regard lent et doux
Met des voix dans la pelouse
Et des pleurs sur tes genoux
Regarde : sa lueur danse
Sur l’ombre de tes bras nus.
Écoute : le vent cadence
La chanson d’Eviradnus.
Si tu veux, faisons un rêve
Montons sur deux palefrois
Tu m’emmènes, je t’enlève,
L’oiseau chante dans les bois.
La pluie, en tombant parmi les rosiers
Perce des trous blancs dans les feuilles vertes ;
Les pétales clairs des roses ouvertes
S’inclinent au ras des treillis d’osier.
Voyez-vous le faite incliné des saules.
L’orage qui souffle à gros tourbillons
Y creuse de longs et souples sillons
L’orage qui fait trembler vos épaules.
Nous irons revoir tous deux, n’est-ce pas.
Le jardin jauni, le banc solitaire.
Sentez-vous l’odeur âpre de la terre
La terre mouillée où marquent nos pas.
ouleux béliers au large flanc
Vague qui croule et se relève ;
Amer baiser de petite Eve
Où l’on ne s’offre que tremblant…
Bleu pâle, plus pâle et plus blanc
L’horizon semble ourler la grève
Je m’absorbe en le contemplant
On dirait un grand ciel qui rêve
Ciel tout peuplé de visions,
Envolement de papillons,
Sur la clarté des poupes neuves…
Voile en berne, signal de deuil
Se rapproche visible à l’œil. —
Et voici sangloter les veuves.
ssise la fileuse au bleu de la croisée
Où le Jardin mélodieux se dodeline ;
Le rouet ancien qui ronfle l’a grisée,
Lasse, ayant bu l’azur, de filer l’agneline
Chevelure, à ses doigts si faibles évasive,
Elle songe, et sa tête petite s’incline…
L’âme des fleurs paraît plus vaste et primitive,
De plus jeunes parfums le val chaste s’arrose,
Et des lys ont pâli le Jardin de l’oisive.
Une tige, où le vent vagabond se repose
Courbe le salut vain de sa grâce étoilée
Dédiant, magnifique, au vieux rouet, sa rose.
Car la dormeuse file une laine isolée
Mystérieusement l’ombre frêle se tresse
Au fil de ses doigts longs et qui dorment, filée.
Le songe se dévide avec une paresse
Angélique, et sans cesse au fuseau doux, crédule
La chevelure ondule au gré de la caresse…
N’es-tu morte naïve au bord du crépuscule ?
Naïve de jadis, et de lumière ceinte ;
Derrière tant de fleurs l’azur se dissimule !…
Ta sœur, la grande rose où sourit une sainte
Parfume ton front vague au vent de son haleine,
Innocente qui crois languir dans l’heure éteinte
Au bleu de la croisée où tu filais la laine !
n face des lueurs douces de la soirée
Et dans l’ombre de la fenêtre inéclairée
Sous le charme de quels frissons viens-tu t’asseoir
Ô femme dont les yeux sont gris comme le Soir
Et dont Van Beers par un raffinement suprême
À peint les vêtements gris comme les yeux même ;
Ah, ce gris à la fois impénétrable et clair
Ce front haut sous ces fins cheveux blonds, et cet air
De sensualité que la bouche écarlate
Et les grands yeux où la pupille se dilate
Donnent à ton visage un peu triste pourtant !
Comme on sent bien dans ce regard inquiétant
Errer et vaciller l’éphémère tendresse…
Il émane de tout ton être une caresse
Impalpable et qui fait défaillir. On ne sait
Si c’est vers un désir ou bien vers un regret
Que ton âme s’en va parmi le crépuscule…
Plus on la veut connaître et plus elle recule,
La jeune âme indécise éparse au soir d’été.
Fragile âme à qui vont nos goûts d’éternité,
Quelle autre âme mêlée à ta mélancolie,
Te dira les mots où la tienne se délie
Et déchiffrant enfin tes vœux et tes aveux
Pour toi seule dira les phrases que tu veux ?
ose flottante au Styx neuf fois ceignant mon Rêve,
Princesse pâle, éclos en cette île de nuit
Où des Dieux blancs et noirs se promènent sans bruit,
Érigeant leur énigme au seuil d’or de la grève.
Île de songe, où mon esprit rêve sans trêve !
Tu suspendras, fleur dédaigneuse de tout fruit,
Ton décor de parfums à mon cœur qui reluit,
Ostensoir qu’en ce Temple un désir vierge élève !
Charme à notre Holocauste en l’île au fleuve noir !
Et puisque j’ai cueilli sur la rive ce soir
Ta consolation de rose crépuscule,
Ah ! sois l’Aurore messagère d’Inconnu,
Omphale que rehausse un opprobre d’Hercule,
Et prophétise enfin que l’Archange est venu !
uoi ! de tous ces lotus en nos Thulés éclos
Pas un ne s’enguirlande au monstre de la proue !
Et le rire au buccin du vert Triton s’ébroue,
Multiforme bouffon de nos altiers sanglots !
Sinistre mer, que l’éperon quadruple troue !
Nos rêves, accoudés pensifs sur les noirs flots
S’étiolent, et le nain Orgueil vire la roue,
Et l’antenne s’efforce aux insurgis Ilôts !
Cependant que debout sur la Guivre, au sillage
Notre Espoir en habit de fer suit un mirage
Risible et beau comme un Polyphème aveuglé :
Ah ! l’Île est si lointaine à nos obèses voiles !
Et ta nuit, Atlantide où nous avons cinglé,
C’est l’âpre Niobé pleurant les Sept Étoiles !
ygne du Dernier Jour, défi vierge aux ténèbres
Où des Gestes prédits par d’anciens nécromants
Initieront d’inéludés écroulements,
Exalte agonisant l’amour des Morts célèbres !
Et si le chant rythmé des harpes de tes plumes
Insurge en ta candeur la Nef du Souvenir,
Qu’au moins le Vaisseau chante aux Léthés à venir
Son mépris incroyant des mortelles écumes !
Que sur Méduse plane un dédain d’Arion !
Que la nef surnageante ait des mystères d’arche
Aux noirs anneaux du Styx rampant comme un python :
Et que s’érige, en ta splendeur d’Espoir qui marche
Vers la Léda d’aurore offerte au Cygne-Dieu,
L’inobscurci Départ de tes ailes d’adieu !
es rêves n’osent pas se divertir d’eux-mêmes
Vers le rire des Avallons
Pleins d’avril éternel où marchent des poèmes
Avec des ailes aux talons ;…
Mes rêves sont plaintifs comme les chrysanthèmes
Et comme les doux violons
De l’automne en voyage et comme les pleurs blêmes
De la lune sur les vallons ;…
Mes rêves sont captifs de leur tristesse intime :
Ils n’osent pas prendre l’essor
Vers le joyeux pays à cause de l’abyme
Ouvert entre la rive d’or
Et le désert en deuil dont je serai victime
Au siècle des siècles — encor.
e soir ma solitude est un lac de silence
Et de songe où la nef de mes chimères glisse
Vers des illusions de rive en le délice
D’un rêve qui promet l’éternelle opulence ;
Une brise aux mortels parfums de pestilence
Nous mène lentement à l’île du supplice ;
Le doux lys de l’espoir effeuille son calice
Et sa tige s’effile en venimeuse lance ;
Le mirage d’or fuit, la menteuse merveille
S’évanouit : perdu dans les mornes ténèbres,
Mon navire joyeux pour l’enfer appareille
Et les oiseaux de l’ombre avec des cris funèbres
Escortent le damne jusqu’aux lointains parages
Où l’attend le démon des éternels naufrages.
lles avaient piqué des lotus dans leurs boucles
Et mouillé leurs cheveux avec des parfums lourds
Leurs souples flancs roulaient des houles de velours
Leurs longs yeux palpitaient comme des escarboucles
Des couleuvres d’argent tournaient sur leurs bras nus
Des colliers descendaient sur leurs mamelles grises
Leurs souffles délicats erraient comme des brises
Dans leurs voix tristes et leurs rires ingénus
Et les rougeurs des fleurs sur leurs bouches nocturnes
Tremblaient avec des nonchalances taciturnes
Au bout de leurs doigts blancs ongulés de carmin
Et les sourds tapis bleus déroulaient le chemin
Où les filles du dieu, sur des fleurs de verveines
Se charmaient l’une l’autre au fil des heures vaines.
e désir infini suscité par les astres
Monte avec le noir, tremble avec l’ombre de nuit
Le cœur de marbre pur et qui s’épanouit,
Fleur ! ô les cœurs d’acanthe aux cous blancs des pilastres —
Éclot d’une colonne où l’or des astres luit.
Les souvenirs de l’être et la vie et du jour
Se perdent, vieux voiles oubliés par leur âme
Le cœur, Rose de glace aux doigts d’Elle, se pâme
Et défaille et périt de la mort de l’amour.
Il se meurt d’une envie éternelle. Tranquille
Sa vision descend dans la nuit immobile
Descend, neige et l’ensevelit comme un époux,
Extase qui revient des étoiles heureuses
Suivre dans l’air nocturne au morne deuil des fous
Le silence mortel mené par les pleureuses.
PAUL VALÉRY | Carmen mysticum. |
MAURICE QUILLOT | Sonates. |
CLAUDE MOREAU | Emaux sur Or & sur Argent. |
EUGÈNE HOLLANDE | Beauté. |
ANDRÉ GIDE | De la Prose. |
EDMOND FAZY | Les Fanes. |
LÉON BLUM | Des Yeux. |
HENRY BÉRENGER | L’Âme Moderne. |
MICHEL ARNAULD | Les Adorantes. |
P. L. | La Vierge. |
Où je souffle un appel à quelque dieu qui passe…
H. de R.
MDCCCXCI HUITIÈME LIVRAISON. I`’~ OCTOBRE.
La Conque
LE NUMÉRO DIX FRANCS ABONNEMENTS CENT FRANCS LA CONQUE, anthologie des plus jeunes poëtes, n’aura que douze livraisons, tirées chacune à cent exemplaires numérotés sur papier de luxe.
Elle ne sera jamais ni continuée ni réimprimée.
rwy
Chaque livraison de LA CONQUE est précédée d’zmz FRONTISPICE en vers, inédit. Nous avons publié les poëzues de MM. LECONTE DE LISLE, Léon DIERX, ~osé-Maria DE HEREDIA, Stéphane MALLARMÉ, Algerzron Ch. SWINBURNE, M,ne ’"fudüh GAUTIER et MM. Paul VERLAINE, ~eava MORÉAS. MM. D?nu- rice MAETERLINCK, C’harles MORICE, Hezzri de RÉGNIER ont bien voulu accepter d’iazaugzcrer aussi la jetcue revue.
- >0<;
Un frontis~ice â l’eau forte, ~ar FÉLICIEN ROPS sera joint à la dernière livraison.
SOMMAIRE DU 1er OCTOBRE
Le Retour JEAN MORÉAS.
Le Rêve de la vie HENRY BÉRENGER.
Rondel d’automne GEORGE DONCIEUX.
Sonnets CAMILLE MAUCLAIR,
Antigone (fragments) EDMOND FAZY.
Sonnet EUGÈNE HOLLANDE.
Comme deux âmes-sœurs… MAURICE QUILLOT,
Hélène, la reine triste PAUL VALÉRY.
A Téodor de W. P. L.
PÉTRÉE, chère tête
Pareille au blond épi que la faucille guette,
Ô Pétréa, génisse indocile au servage,
Moins douce est la saveur de la pomme sauvage
Que ta bouche.
Contre des hommes belliqueux que la trompette enivre
Mes bras tendirent l’arc d’aubier où la sagette vibre ;
Mais ils sauront aussi s’illustrer d’une lutte
Plus bénigne, ô Pétrée, et j’appris les secrets
Des pertuisés roseaux et de la curve flûte.
C’est temps nouveau quand de ses traits
Diane n’ensanglante les forêts.
C’est quand jouvence fait à Dioné service.
Ô gracieuse enfant, que clairs et simples sont tes yeux !
Déjà l’astre de Bérénice
Guide vers l’occident le Bouvier paresseux.
Pour que tu cèdes à mes pleurs
Ma main a dévidé des fils de sept couleurs,
Chantant l’air redouté
J’ai répandu la cendre
Des herbes de bonté.
La voix du rossignol fait ton âme plus tendre,
Et le favone agace, comblant mes vœux,
La couronne de pin qui mêle tes cheveux.
e Bois, qu’éblouissaient les fêtes de la vie,
Déserté du soleil et du fracas mondain,
Se prépare au silence où le soir le convie.
Aux suprêmes lueurs d’un ciel incarnadin
Le dernier équipage a quitté l’avenue
Où la nuit vient poser son immense dédain.
L’eau des lacs frissonnante ainsi qu’une chair nue
Réfléchit les sapins dressant de noirs remparts
Sur un fond d’Occident pâli qui s’atténue.
Des arômes confus montent de toutes parts,
Odeurs d’acacias et de tilleuls ensemble ;
Et dans l’Orient blond semé d’astres épars
Surgit le fin croissant de la lune, qui semble
Tisser comme un réseau de languide clarté
Pour ce pur paysage où sa lumière tremble.
Sur le calme sommeil de ce lac argenté
Dont les cygnes neigeux semblent être les rêves
Qu’il serait doux d’errer par cette nuit d’été !
Volupté de voguer, insoucieux des grèves,
Au bruit d’avirons où la lune brillerait
Parmi les vaporeux fantômes qui s’élèvent…
Mais écoute : voici qu’en plein lac on dirait
Qu’une musique monte au dessus des eaux grises,
Tendre comme l’aveu poignant d’un cher secret !
Elle vient d’une barque où des femmes assises
Avec des vêtements qui leur donnent un air
De grands cygnes aux blanches ailes indécises
Jettent leur âme avec leur voix dans du Wagner,
Et c’est bien l’âme aussi de la nuit estivale
Qui vibre dans ces voix où nul mot n’est amer.
Elle meurt, puis remplit l’éther par intervalles
La musique des voix sur le miroir des eaux…
Ô puissance de l’âme humaine sans rivale,
Plus noble que les chants des plus divins oiseaux,
La voilà qui s’impose à la nuit attentive,
L’héroïque romance au dessus des roseaux !
Toi qui restes ravie en rêve sur la rive,
Sais-tu quel invisible et sûr enchantement
Te retient sur ces bords, pénétrée et captive ?
Ni le lac, ni la lune, ni le Bois dormant
Ni même de ce chant la tendresse infinie
N’auraient pu t’émouvoir aussi profondément.
Il fallait, pour goûter cette unique harmonie,
Que loin du vil fracas de la Ville en rumeur
Ton âme fut enfin calmée, ô mon amie.
Il fallait que Paris ayant tu sa clameur
Ne fut plus rien qu’un bruit aussi faible à l’oreille
Qu’au cœur un souvenir effacé de douleur
Il fallait qu’en cette heure où notre âme appareille
Vers les phares surgis aux noires mers du ciel,
La Nature devint à l’Idéal pareille ;
Il fallait que de tous les aspects du réel,
Des rumeurs de la ville et des formes des choses
Il ne subsistât plus rien que l’Essentiel !
Alors, dans le silence infini des nuits closes,
Devaient s’ouvrir en toi comme en un chaste val,
Avec leurs fleurs vers une intime aurore écloses
Les candides rameaux du Rosier idéal !
h, chère, j’ai le cœur bien las.
Vois ce ciel trouble où meurt l’automne
Et comme le bosquet frissonne,
Tout noir, et veuf de ses lilas.
Sourires appris, faux hélas,
De ce mensonge monotone,
Ah ! chère, j’ai le cœur bien las ;
Vois ce ciel trouble où meurt l’automne.
Pourtant j’ai rêvé de doux lacs,
Une main délicate et bonne,
Une voix qui berce et pardonne :
Et j’en ris encore aux éclats.
Ah ! chère, j’ai le cœur bien las.
irage où s’exalta toute une Océanie
D’ors et d’aromes verts et de cieux inconnus,
Tes Yeux lus par les miens et fleuris ingénus
Comme une aube de nostalgie indéfinie !
Tes mélodiques doigts surent, douce agonie,
Célébrer si longtemps ces pays survenus,
Que de nos vœux d’antan naquirent, beaux et nus,
Des anges prometteurs de cet or d’insomnie.
Mais les Étoiles ont proclamé le mensonge
Dont l’ombre de tes cils alanguissait la gloire,
Et le regret est né dans l’ivresse du songe :
Et seul demeure, épars vol pâle en la mémoire,
L’essor des anges nés du luth où se module
Un dernier rêve de notre âme au crépuscule.
es arbres que le vent courbe dans tes cours blanches
Jettent une ombre souple et claire sur les murs.
Il ne faut pas sortir ; les fruits ne sont pas mûrs,
Et des fleurs de pommier rosent seules les branches.
Viens cependant : le ciel est bleu. Quand tu te penches
Un peu, tes cheveux font sur ton front lisse et pur
Courir des frissons d’or et des reflets d’azur.
Tu pencheras sur moi tu nuque, et puis tes hanches.
Les chemins sont tout verts, d’un vert pâle et honteux.
Je lâcherai ta main si tu me le demandes,
Je passerai mon bras sous ton bras, si tu veux,
Les feuilles des fraisiers des plates-bandes,
Hélas ! les jours sont courts et nos douleurs sont grandes.
Le ciel est bleu ; le vent est bleu ; tes yeux sont bleus.
n lied suprême comme un soupir de baisers
Charme de crépuscule et de douce folie
La frêle floraison de tendresse pâlie
Qui fleurit le tombeau de mes rêves brisés.
Les sons silencieux des voix semblent posés
L’aile close en les lys de ma mélancolie
Tels que des messagers qui viendraient d’Idalie
Caresser la langueur de désirs épuisés.
Mon cœur est un jardin d’automne où des violes
Se lamentent, le soir, mystérieusement :
Des colombes d’amour s’y plaignent, endormant
La mort des roses par des plaintes sans paroles,
Et l’âme nostalgique écoute infiniment
Soupirer le suprême arôme des corolles.
Sœur des sœurs, Antigone, Antigone, le soir
L’isolé se souvient de tes yeux d’ange-femme,
De la paix que ton âme exhalait en son âme
Et de tes pleurs bénits mieux qu’une eau d’aspersoir :
Je t’offre à deux genoux ma tristesse, encensoir
Où brûlèrent pour toi mes rêves, Notre-Dame
D’Hellas, ô Vierge morte avant l’épithalame,
Sainte dont la douceur fut mon seul reposoir !
D’éternité je suis, Antigone, ton frère :
Mais las ! nos Dieux s’en vont dans la nuit funéraire,
Chrétien, je te murmure un langage moins beau
Et ma voix ne t’est plus comme jadis amène,
Puisque tu dors si près du sororal tombeau
Ce long rêve charmé par les plaintes d’Ismène.
Voici l’heure de lune où la lande frissonne,
Où la silencieuse approche du mystère
Isole étrangement la douleur solitaire
D’un cœur qui n’en ferait confidence à personne…
Parmi le crépuscule, une voix d’aube sonne
Le signal rayonnant du départ pour Cythère :
Mais la nuit maternelle est comme un baptistère,
Salut des lys en pleurs que le péché moissonne ;
L’eau lustrale d’oubli que versent les étoiles
Console ta tendresse inutile, âme-cygne,
Esprit pur, esprit seul, dont la femme est indigne,
Cœur qui ne daigneras jamais, levant tes voiles,
Pour prix d’un charme faux, de mauvaise origine,
Être l’ami d’amour de l’éphèbe Androgyne !
(Fragments)
arce que le matin de ce jour fut sans nue
Et que mes yeux se sont ouverts sur la beauté
D’un ciel vaste, paré de sa jeune clarté,
Mon cœur a défailli d’une langueur connue,
D’une langueur qui m’est de vous, un jour, venue,
Lorsque votre regard, aube de volupté,
Semblait permettre à mon désir sollicité
De voler en chantant dans sa bleue étendue.
Mais les ombres du soir dont le ciel s’est rempli,
Tandis que je donnais à mon rêve des ailes,
M’évoquent tristement les ténèbres d’oubli
Dont vous voilez pour moi l’azur de vos prunelles,
Comme si vous preniez un plaisir orgueilleux
À me voir si longtemps errer au bord des cieux.
omme deux Âmes-Sœurs qu’enguirlande le Rêve,
La neige de leur cœur, pâlissante, s’élève
Ainsi qu’un hymne lent vers le Ciel. — Suppliants,
Les grands lys enlacés aux pétales brillants
Offrent au vent des nuits la lourdeur de leurs tempes ;
Et leur prière passe, ainsi que par les temples
S’égare un peu d’encens autour des grands piliers
Vers les Anges de bois qui sont agenouillés.
Ô dans la Nuit, ces deux Blancheurs voluptueuses
Qui se cherchent, dans l’ombre, au couvert des yeuses,…
Ô Narcissus, dont les délicates pâleurs
N’approchent encor pas l’étrangeté des leurs…
C’est le Rêve attendri des Ephèbes-Archanges,
C’est le brûlant parfum des voluptés étranges,
Où le cœur croît trouver un peu d’apaisement
Et l’oubli de Celui qui n’a pas de serment.
Puis, écoutez la voix majestueuse et calme
Qui, dans la Nuit d’argent, se développe, et clame :
« Venez à moi, les écœurés, les indolents,
Qu’un chant indéfini berce en ses rythmes lents,
Durant les longs baisers rendus aux bouches pâles :
Venez ; je vous dirai quelles morts — dans quels râles ! —
Trouvent les yeux mi-clos qui se ferment au jour,
Pour s’entr’ouvrir le soir aux ardeurs de l’Amour. — »
Une brise a pleuré dans les feuilles séchées. —
Abandonnant au vent leurs corolles penchées,
Et plus pâles encor, et plus dolents aussi,
— Ô lendemains d’aimer où l’on reste transi —
Fatigués de l’Azur où plane le Mystère,
Les Lys se sont courbés pour regarder la terre. —
zur ! c’est moi !… Je viens des grottes de la mort
Entendre l’onde se rompre aux degrés sonores
Et je revois les galères dans les aurores
Ressusciter de l’ombre au fil des rames d’or.
Mes solitaires mains appellent les monarques
Dont la barbe de sel amusait mes doigts purs
Je pleurais ! Ils chantaient leurs triomphes obscurs
Et les golfes enfuis aux poupes de leurs barques !
Voici les conques profondes ! et les clairons
Sévères qui rhytmaient le vol des avirons ;
Le chant clair des rameurs enchaîne le tumulte,
Et les Dieux ! À la proue héroïque, exaltés
Dans leur sourire antique et que l’écume insulte
Tendent vers moi leurs bras indulgents et sculptés !
aïf, aux yeux à fleur de tête et grands ouverts,
Il a taché de sang le vol sacré du cygne ;
Mais il pleure, le Fou, le Pur…
Une procession lente de chênes verts
S’ébranle vers la nuit où va rougir le Signe.
Sur le lys qui descend d’avoir regardé Dieu
Ne prévaudront les roses ni les chairs fleuries :
Il sait par la pitié la Blessure, et le feu
Jailli des trous d’enfer par les sorcelleries.
Et la Femme aux yeux d’ombre en qui vivait l’effroi
D’avoir étreint dans ses genoux dressés le Roi,
Se prosterne entre ses cheveux de madeleine.
Sanctus et Hosanna vers le preux Parsifal
Qui marchant sur les fleurs dans le soir triomphal
Brandit à bout de bras vers le Graal la Lance !
PAUL VALÉRY | Carmen mysticum. |
MAURICE QUILLOT | Sonates. |
CLAUDE MOREAU | Emaux sur Or & sur Argent. |
EUGÈNE HOLLANDE | Beauté. |
ANDRÉ GIDE | De la Prose. |
EDMOND FAZY | Les Fanes. |
LÉON BLUM | Des Yeux. |
HENRY BÉRENGER | L’Âme Moderne. |
MICHEL ARNAULD | Les Adorantes. |
P. L. | La Vierge. |
Où je souffle un appel à quelque dieu qui passe…
H. de R.
MDCCCXCI o
Neuvième LIVRAISON. ior NOVEMBRE.
La Conque
LE NUMÉRO DIX’ FRANCS ABONNEMENTS CENT FRANCS
LA CONQUE, anthologie des plus jeunes poëtes, n’aura que douze livraisons, tirées chacune à cent exemplaires numérotés sur papier de luxe.
Elle ne sera jamais ni continuée ni réimprimée.
Chaque livraison de LA CONQUE est précédée d’un FRONTISPICE en vers, inédit. Nous avons publié les poèmes de MM. LECONTE DE LISLE, Léon DIERX, Josè-Maria DE HEREDIA, Stéphane MALLARMÉ, Algernon Ch. SWINBURNE, Mme Judith GAUTIER et MM. Paul VERLAINE, Jean MORÉAS. Charles MORICE, MM. Oscar WILDE, Maurice MAETERLINCK, Henri de RÉGNIER ont bien voulu accepter d inaugurer aussi la jeune revue.
Un frontispice à l’eau forte, par FÉLICIEN ROPS sera joint à la dernière livraison.
SOMMAIRE DU 1er NOVEMBRE
Vers CHARLES MORICE.
La Beauté Purificatrice EUGÈNE HOLLANDE.
La Belle au bois dormant PAUL VALÉRY.
Un Port CLAUDE MOREAU.
Vers LÉON BLUM.
L’Angélus du Cœur HENRY BÉRENGER.
La Femme aux paons P. L.
l va léger comme un baiser,
L’ignorance toute sciente,
La gravité toute riante,
Parmi les bois apprivoisés.
Et les bois sont ailés de voix
Et fleurants d’odeurs alizées
Pour cette âme fleurdelisée
Par la jeunesse de sa joie.
Il capte dans ses larges yeux,
Que leur impudence innocente,
Tout ce qu’il peut voir où qu’il hante
Et loin et par delà les lieues.
Il désire, il aime, il veut tout,
Les visages, les paysages —
Et combien sa folie est sage
Que le bois de mai mire et loue !
Mais comme il est celui que tout
Appelle et celui que tout choie
Il n’a pas le loisir du choix
Et va toujours il ne sait où.
Il va et ses pieds sont des ailes
Il vole sans prévoir le soir
Étant parti riche d’espoir
Pour des matinées éternelles.
Et triste la fin du chemin
Que le bel éphèbe émerveille
Silencieusement surveille
Les fleurs qui fanent dans sa main.
n voile de vapeur flottait devant mes yeux ;
La tête en proie au mal et pesant vers la terre,
Je marchais, défaillant, dans un air délétère,
Et mes pieds étaient lourds, comme s’ils étaient vieux
Et les bruits des vivants dans la ville géante
Révoltaient mon oreille et me heurtaient au cœur,
Comme si d’ennemis un innombrable chœur
En clamant sur mes pas m’eût rempli d’épouvante.
En hâte, — vers quel but ? — la multitude allait.
Leurs gestes étaient fous et leurs yeux étaient vides :
Que faisais-je, étranger, parmi tous ces stupides,
Ô mes rêves, troublés des visions du laid ?
La foule se hâtait, dans son cercle de peine,
Cependant que l’instinct me poussait, âme et corps,
De l’éperon, du fouet, de la voix et du mors,
Comme un cheval blessé qu’un bon cavalier mène,
Loin des douleurs, loin du labeur artificiel,
Loin des mille maisons dont l’étreinte de pierre
Étouffe l’air d’en haut et presse la Lumière ;
Loin des bouches de feu qui crachent sur le ciel
Vers la plaine, ma vaste et ma libre patrie ;
Vers les champs et les bois, refuge et réconfort ;
Vers les grands prés en fleur, d’où je revenais fort,
Quand j’y portais, enfant, mon âme endolorie.
Je marchais ; et Paris décroissait lentement,
Et déjà j’oubliais Mes haines en allées,
Quand, dans les cieux, de musicales envolées
Montèrent, conviant ma pauvre âme gaîment.
Douce chanson de l’espérance qui m’appelle !
Et voici qu’un parfum s’épand dans l’air léger.
Un souffle frais le porte et le fait voyager
Des bourgeons près d’éclore à l’herbe encor nouvelle.
Or une jeune fille aux yeux de bleu velours
Passa, vive à marcher, et j’eus d’elle un sourire.
Ses cheveux, casque d’or où le soleil se mire,
Aimantant mon vouloir firent mes pieds moins lourds.
Un charme fut soudain diffus dans la nature.
Le ciel, âme d’amour faite visible aux yeux,
Bas, avec un recul d’azur mystérieux,
Touchant à ce qui passe atteignait ce qui dure.
Et je lui dis : « Écoute, ô Bienfaisante ! Viens !
« Puisque tes pas aimés font tressaillir la terre,
« Et que de son pouvoir elle tâche à te plaire,
« Si tu veux, — car je suis captif en tes liens —
« Nous irons nous cacher en la forêt complice
« De quelque mont, là-bas, où vivent moins d’humains.
« C’est là que, joint à toi des lèvres et des mains,
« Il se peut que mon bonheur s’accomplisse.
« Oh ! ne me traîne pas au milieu des damnés !
« J’ai traversé leur foule et ma face en est pâle.
« J’ai peur ! J’entends le son de la pierre tombale
« Qu’ils touchent en marchant aussitôt qu’ils sont nés.
« Ils bâtissent dessus, te dis-je, leur demeure !
« Ils la cimentent bien avec des sueurs d’or
« Et mettent au dedans leur néant pour décor,
« Mais la bâtisse croule et le sépulcre affleure !
« Nous, si tu veux, fuyons ; nous vivrons défendus
« De l’effort que toujours à quelque autre est contraire,
« Et nos corps oubliés ne pourront nous distraire
« D’écouter nos pensers ensemble confondus.
« Le temps prendra nos jours, comme le vent les feuilles.
« Nous n’aurons nul regret de les voir s’envoler ;
« Quel songe fait celui qui les veut assembler !
« Promets-tu la durée à des fleurs que tu cueilles ?
« Mais tu vas ton chemin ! Par grâce, écoute encor !
« Pitié ! Je suis un cœur mauvais, hanté des vices :
« J’embrasse tes genoux, pour que tu me ravisses
« À la séduction qui leur donne l’essor. »
Elle me répondit : « Marchez donc dans ma voie
« Je suis sœur des damnés et je n’ai point de peur.
« Vous m’aimez ? Suivez-moi, vous deviendrez meilleur
« Et même vous ferez l’œuvre humaine avec joie. »
Ô Beauté de l’Aimée ! ô Souverain Pouvoir !
Tu domptas de mon cœur les puissances rebelles
Et ta grâce ayant mis le nombre et l’ordre en elles,
J’eus l’âme harmonieuse à force de te voir !
Comme un brusque rayon d’aurorale lumière
Apaise et fait chanter dans sa joie, au réveil,
Le dormeur qu’effrayait un monstrueux sommeil,
J’ai vu la Vérité, Femme, sous ta paupière.
J’ai connu que la vie est un rêve et fait peur,
À moins d’y découvrir le Dieu qui la pénètre ;
J’ai connu que ce Dieu, c’est la Beauté, dont l’être
Se dérobe aux cœurs froids indignes du bonheur.
« Cherchez, vous trouverez ! » Sais-tu, ma douce amante,
Lorsque, dans la cité, mes pas rythment tes pas,
Que ces mots, par moments, mon cœur les dit tout bas,
Et sais-tu que ta voix tendrement les commente ?
Elle dit « Près de moi tu vas, tes yeux sereins,
Dans des clartés, aux sons d’un orchestre invisible,
Parce que le Divin, dans ma chair fait sensible,
Par ta lèvre est touché, quand des bras tu m’étreins
Mais ma beauté révélatrice est périssable.
Elle t’a dit le mot de la félicité :
Prends garde que la haine est une cécité.
Le secret est d’aimer d’un amour inlassable ! »
a Princesse, dans un palais de roses pures
Sous les murmures et les feuilles, toujours dort.
Elle dit en rêvant des paroles obscures,
Et les oiseaux perdus mordent ses bagues d’or.
Elle n’écoute ni les gouttes dans leurs chûtes
Tinter, au fond des fleurs lointaines, lentement
Ni s’enfuir la douceur pastorale des flûtes
Dont la rumeur antique emplit le bois dormant.
…Ô belle ! suis en paix ta nonchalante idylle
Elle est si tendre l’ombre à ton sommeil tranquille
Qui baigne de parfums tes yeux ensevelis :
Et, songe, bienheureuse, en tes paupières closes
Princesse pâle dont les rêves sont jolis
À l’éternel dormir sous les gestes des Roses !
’ocre éclatant des rocs sur la mer bleue ailée
S’ombre de lilas clair à l’aurore en éveil
Dans le port ébloui d’azur et de soleil
Qui pavane l’orgueil de sa queue ocellée
Le quai monumental de marbres et d’airains
Où s’éloignent des perspectives de colonnes
Accueille les traitants venus des Barcelones
Des Rhodes et des Tyrs par les déserts marins
Entre des zingaris bariolés, des femmes
Passent. Des bateliers bruns dorment sur les rames.
Des nègres heurtent des cages et des ballots
Lourds sur des planches frêles, et jettent leur charge
Aux vaisseaux accroupis les ailes vers le large
Prêts à partir, d’un vol lent, effleureur des flots.
I
ans le jardin, près des rosiers qu’un souffle frôle
Telle, les soirs d’été, légère, elle passait.
Je marchais, immobile à côté d’elle, et c’est
Le vent seul qui faisait frissonner son épaule.
Un frisson me prend au regret des soirs d’été,
Frisson d’amour, regret vague qui se dérobe,
Les soirs sont loin où les reflets bleus de sa robe
Mettaient la joie en mon pauvre cœur enchanté.
Quand la brise soufflait plus fraîche dans les branches,
Ses cheveux fins semblaient s’éparpiller dans l’air.
Par instants le ciel bas s’entr’ouvrait d’un éclair.
Elle marchait très droite en redressant les hanches.
II
Ô ! vous, que pour me faire oublier j’ai choisie
L’oubli que je cherchais en vous n’est pas venu.
Je baiserai pourtant votre bras lisse et nu
D’un baiser tendre, avec quelque mélancolie.
Vous m’avez accueilli, plus douce, avec douceur.
Et souriant presque gaîment de votre œil grave,
Je resterai votre ami cher et votre esclave,
Je serai votre frère et vous serez na sœur.
Lorsque nous rentrerons, la nuit, par les rues vides,
Les pavés gris, au clair de lune, blanchiront,
Je poserai mon front lassé sur votre front,
J’effacerai sous mes baisers vos tristes rides.
III
Nous viendrons nous asseoir, quand nous serons lassés,
Dans le jardin, sous l’ombre claire des verdures. `
Nous ne nous dirons pas de paroles trop dures.
Nous serons indulgents — comme par le passé ?
Nous penserons au jours heureux des étés proches,
Aux jours heureux que les rayons purs traversaient,
Je ne sais plus les mots cruels qui vous blessaient
Nous causerons sans ironie et sans reproches.
Nos espoirs sont ternis, nos désirs sont calmés,
Mais laissez-moi, les yeux fermés, revoir en songe,
Les jours enfuis, les rêves morts, les vieux mensonges
Et croire que jadis nous nous sommes aimés.
uelle correspondance étrange existe-t-il
Entre la mort du jour et l’aube de mes rêves
Pour que tous mes plus chers souvenirs de bonheur
Soient mêlés à celui de ce moment charmeur
Où les molles clartés se succèdent trop brèves
Sur l’Occident, tantôt puissant, tantôt subtil ?
Sans doute les espoirs que mon âme recèle,
Comme sous un climat clément de tendres fleurs,
À la fraîcheur du soir ouvrent mieux leurs pétales,
Quand la Vie assourdit les richesses brutales
De ses formes, de ses bruits et de ses couleurs
Sous la diffusion de l’ombre universelle…
Ô crépuscule, ô rêve extérieur du ciel,
Oasis embaumée où le Temps dans sa fuite
Éternelle s’arrête et s’oublie un moment,
Ô rêve, ô crépuscule aussi du sentiment,
Halte du cœur où le mystère nous invite, ̃
Oubli de l’action, baume du mal réel,
Salut, frères gémeaux dans l’espace et la vie !
N’êtes-vous pas l’étoile et les vents alizés
Pour l’âme qui voyage aux océans du songe ?
Elle bénit en vous le bienfaisant mensonge
Du clair-obscur par qui vous idéalisez
Un monde qui la tient de trop près asservie.
Ô Crépuscule, ô Rêve, adelphes qui mêlez
Dans le soir délicat vos formes enlacées,
Combien d’illusions parfaites je vous dois !
Faites pleuvoir toujours avec vos divins doigts
Une neige de fleurs pâles et de pensées
Par les firmaments clairs et sur nos cœurs troublés
Pour qu’en dépit du mal, en dépit des orages,
Des aveuglants soleils et des pesantes nuits,
Nous retrouvions encor pour nos rêves, qu’exile
Trop de lumière ou trop d’obscurité, l’Asile
Où ne pénètrent pas les terrestres ennuis,
L’Eden spirituel aux imprévus mirages !
Eden d’apothéose où flottent des parfums
De verveine et d’Iris mêlés d’héliotrope,
Eden suave où les plus sceptiques esprits
Rapprennent le Credo des espoirs désappris,
Où les derniers songeurs de notre vieille Europe
Viennent se consoler de leurs dogmes défunts,
Contre le plein soleil, contre la multitude,
Salut et sois béni, miraculeux séjour
Où l’Angelus du Cœur éternellement tinte,
Pays de la tendresse et de la demi-teinte,
Crépuscule, tombeau de la nuit et du jour,
Rêve, tombeau du doute et de la certitude !
es paons légers suivent une femme
Sur le bleu d’un rêve.
Une blancheur, un épithalame
De plumes s’élève,
Les paons sont blancs, les plumes sont blanches.
Elle, est rouge, et nue.
Les paons câlins suivent vers ses hanches
L’odeur reconnue.
Effleurant l’herbe, allongeant leurs queues
Ils vont derrière elle
Qui disparaît sous les branches bleues
Fugitive et frêle
C’est un soupir, c’est une caresse
Leur démarche ailée.
Ils ont aimé cette chasseresse
Dans l’ombre étoilée
Ils ont moulé leur col à son ventre
À son dos leurs plumes
Et doucement se glissent vers l’antre
Comme un vol de brumes,
Vers l’antre bleu des fleurs nuptiales
Des fleurs fraternelles
Où s’abandonnent les cheveux pâles
Mêlés dans les ailes.
PAUL VALÉRY |
Chorus mysticus. |
MAURICE QUILLOT |
Les Beaux Avares. |
CLAUDE MOREAU |
L’Or & et la Nuit. |
CAMILLE MAUCLAIR |
Les Apparences. |
EUGÈNE HOLLANDE |
Beauté. |
ANDRÉ GIDE |
Traité du Narcisse. |
EDMOND FAZY |
Antigone. |
LÉON BLUM |
Des Yeux. |
HENRY BÉRANGER |
L’Âme Moderne. |
MICHEL ARNAULD |
Les Adorantes. |
P. L. |
Les Seins Étoilés. |
Où je souffle un appel à quelque dieu qui passe…
H. de R.
MDCCCXCI Dixième LIVRAISON. i(’r DÉCEMBRE.
La Conque
LE NUMÉRO DIX FRANCS ABONNEMENTS CENT FRANCS
LA, CONQUE, anthologie des plus jeunes poëtes, n’aura que douze livraisons, tirées chacune à cent exemplaires numérotés sur papier de luxe.
Elle,.ne sera jamais ni continuée ni réimprimée.
Chaque livraison de LA CONQUE est précédée d’un FRONTISPICE en vers, inédit. Nous avons publié les poèmes de MM. LEÇON TE DE LISLE, Léon DIERX, José-Maria DE HEREDIA, Stéphane MALLARMÉ, Algernon Ch. SWINBURNE, Mme Judith GAUTIER et MM. Paul VERLAINE, Jean MORÉAS, Charles MORICE. MM. Oscar WILDE, Maurice MAETERLINCK, Henri de RÉGNIER ont bien voulu accepter d’inaugurer aussi la jeune revue.
e Un frontispice à Veau forte, par FÉLICIEN ROPS sera joint à la dernière livraison.
SOMMAIRE DU 1er DÉCEMBRE
Lied MAURICE MAETERLINCK.
La Promenade. ANDRÉ GIDE.
Vers. LÉON BLUM.
Sonnet. CAMILLE MAUCLAIR.
Les beaux avares d’eux-mêmes. MAURICE QUILLOT.
La vierge au piano HENRY BÉRENGER.
Glaucé P. L.
ous avez allumé les lampes ;
— Ô le soleil dans le Jardin ! —
Vous avez allumé les lampes ;
Je vois le soleil par les fentes,
Ouvrez les portes du Jardin !
— Les clefs des portes sont perdues ;
Il faut attendre, il faut attendre ;
Les trois clefs tombent de la tour,
Il faut attendre, il faut attendre,
Il faut attendre d’autres jours.
D’autres jours ouvriront les portes ;
La forêt garde les verrous,
La forêt brûle autour de nous ;
C’est la clarté des feuilles mortes
Qui brûlent sur le seuil des portes. —
— Les autres jours sont déjà las ;
Les autres jours ont peur aussi ;
Les autres jours ne viendront pas ;
Les autres jours mourront aussi ;
Nous aussi nous mourrons ici… —
ous nous sommes levés un matin ;
Nous étions las d’attendre quelque chose,
Et comme le ciel était rose
Nous sommes partis un matin
En nous tenant par la main
Le long des berges du chemin
Parmi les fleurs écloses.
Nous avons marché jusqu’au soir
Le long de la route
Et tu me disais : nous allons, écoute
Vers l’Église où il y a quelque chose à voir.
Les prunelles après cet obscur sommeil
Et encloses sous les opaques paupières
Avaient oublié les lumières,
— Mais dans la forêt aux clairières
S’ouvraient et avaient des éblouissements roses
Aux lucides métamorphoses
Du matinal soleil.
Et nous écoutions les chants clairs
De tous ces oiseaux dans les branches.
Nous avons marché jusqu’au soir
Nous avions le lointain espoir
De voir quelque chose.
Quand se sont éloignés les ombrages humides,
Les sourires des bords des eaux,
— C’était l’heure candide
Où les sources s’évaporent
Entre les roseaux.
Nous avons déploré que fut si brève l’aurore,
Les brumes au bord des ruisseaux
Et la paix ombreuse des branches.
Et comme l’Azur illumine,
Tu mettais ta main dessus tes yeux pour voir
Au loin, les toits des villes blanches
Sur les calmes collines.
Nous avons marché jusqu’au soir
Jusqu’à la nuit venue
Vers l’Église inconnue.
Les rayons penchés ont envahi la plaine.
Les grands rayons se sont assoupis sur la plaine ;
Des chants sont montés aux Azurs pacifiques ;
Et dans les lointains éblouis, des haleines
Vespérales et purpurines sont montées
Pour accueillir la chute oblique du Soleil.
Alors notre âme s’est assise sur la mousse
À cause des nuages vermeils
Et parce qu’un doux parfum montait de la mousse,
— Un peu de jour mourant encore se désole ;
Et tu as murmuré des antiques paroles.
Alors le crépuscule s’est clos.
Le sentier qui fuyait s’est caché sous la mousse
La route s’est enfoncée dans la vase,
Et nous eûmes peur de l’heure passée.
Et nos âmes alors s’étonnèrent
D’être ainsi assises ensemble ;
Alors tes mains s’abandonnèrent
Alors tes mains
S’abandonnèrent.
Et puis nos âmes se désolèrent :
« Qui sait si de nouveaux matins
Reviendront, et si pour tous deux ensemble ?
Qui sait si des aurores roses ?
Ah ! que si nous allions encore nous endormir
Cette nuit dans l’enchantement des choses »
— Les nocturnes voix se sont tues
Et les fleurs écloses écoutent
Mais nous ne savons plus le chemin,
Nous avons perdu la route.
Tu fis un geste, avec ta main,
De silence, et tu dis : « Écoute —
Là-bas, les cloches de l’Église
Qui sonnent ! —
e mouvement lascif et brusque des lianes
Dans la forêt sonore, où l’eau vive bruit,
Effarouche l’oiseau mobile qui s’enfuit.
Oh ! Maleine, est-ce vous, ou bien est-ce Uglyane ?
Il est tombé soudain, lorsque la lune a lui,
Le long jet d’eau qui sanglotait dans la clairière.
Son cri d’adieu, qui traversa notre prière,
L’entendez-vous parmi les souffles de la nuit ?
Je l’entends. Les hiboux pleurent. La lune pleure.
Comme ils glissent, ses sanglots gris, sur le gazon.
Donnez la main. Mais vous pleurez. Pleurez. C’est bon
De pleurer, dans la nuit triste qui nous effleure.
Pleurez. Sur les rameaux des lourds marronniers roux
Pleurent de longs regrets de lumière indécise.
Pleurez. Ne dites rien ; mais pleurez. L’herbe est grise.
Maleine, Ce n’est pas Uglyane, C’est vous.
’attente, ce soir d’or de quelque vert fantôme
Émergé ruisselant de l’eau triste des glaces
Exagère le vol imprévu de l’atome
Aux factices soleils des bougeoirs, et si lasses
Nos âmes, que voici s’instaurer en des grâces
Des squelettes fardés de la poudre d’un tome
Tout un cortège de bouffons aux cent grimaces
Souillant la nuit de son carnaval polychrome,
Le livre sacrilège avec l’ennui tua
L’Hérodiade ou le Narcisse qu’espéra
Notre attente qui s’épouvante et qui désire :
Et s’exalte sur la déroute en ton espoir,
Cœur lâche épris de quelque héroïque délire,
L’or muet de la glace mette dans ce soir.
e fut un matin d’aube indécise :
Nous avions chanté toute la nuit ;
Tu me pris par la main — puis
Nous suivîmes la route grise
Jusqu’aux lèvres de l’aube indécise.
Tu semblais t’émouvoir du repos des campagnes,
Et tu disais : — Ô viens, là-bas, toujours plus loin,
À travers les champs de sainfoin ;
Je veux voir les autres Demains
Qui sont derrière la montagne.
Mais un ange, — t’en souvient-il ? —
Un ange a cligné ses beaux cils
Sur l’or voilé de ses grands yeux : — Ô Roseline
Roseline, sur la colline,
De grandes fleurs ont entr’ouvert leurs cœurs tremblants,
Et ce matin, ô Roseline, les lys blancs
Sont trop pâles sont — bien trop pâles —
Et toi, tu l’écartas d’un geste,
Et comme il s’en allait pensif, tu me dis : — Reste
Avec ta fiancée aux paupières pâles.
Le long du tranquille chemin,
Nous marchions la main dans la main
Vers les invisibles Demains
Qui sont derrière la montagne !
Et tu disais : — Je sens qu’un Dieu nous accompagne !
Puis, tu chantais, avec ton cœur silencieux
Tous les poèmes d’or dont je savais la trame
Et c’était, dans la nuit, comme un clair bruit de rames
Sur l’étang immobile ouvert devant les Cieux.
Pendant longtemps nous avons fui
À travers les jours et les nuits
Vers le métaphysique ennui des gypaëtes : —
Autour de nous chantaient des âmes de poètes ;
Et sur l’herbe, nos pieds ne laissaient pas d’empreinte.
Un soir — lorsqu’au ciel noir la lampe fut éteinte,
Nous restâmes assis sur l’herbe des sentiers
Près du carrefour familier
Où, devant une Croix, des peuples en prières
Avaient, de leurs genoux, creusé le cœur des pierres,
…Le vent passait, avec des hymnes, dans les saules,
Et j’appuyais mon front brûlant sur ton épaule.
Devant nos corps entrelacés
Passaient les souvenirs glacés :
Tu les comptais, avec des grâces enfantines,
Quand leur procession descendait les collines
Pour fondre, dans la mer des brouillards entassés.
— Mon ami, vois-tu pas cette flamme envolée ?
Son aile d’or s’égare à travers la vallée,
Près des rochers fleuris
Où se crispe la chair rose des saxifrages,
Qui sait ? Peut-être encore assez puissants, nos cris,
Pour la ramener des naufrages ?
Vers les invisibles Demains,
Nous allions — nos cœurs dans nos mains !
Et tu disais : — Ô Paraclet,
Du Paradis voici les clefs :
Viens avec nous aux fiers sommets de nos vertiges ;
Les pauvres fleurs d’ici sont mortes sur leurs tiges
Pour n’avoir pas chanté la gloire du Très-Haut,
Comme les durs fléaux
Sur l’aire où les gerbes s’amoncellent,
Nos cœurs battent dans nos mains frêles :
Paraclet, divin Paraclet,
Du Paradis voici les clés —
Alors je dis — Ma Roseline,
Nous avons gravi la colline :
Derrière nous, les champs lointains sont effacés. —
Mais avec un doux cri, tu répondis — Passez
Monsieur, c’est la clarté monotone des lunes…
La porte est entr’ouverte… et ton cœur a menti —
Ô mes tendres Espoirs tombent anéantis,
Car — vois-tu — mon amour…
Comme ils sont ténébreux et maussades, les jours
Qui sont derrière la montagne !…
a double lampe jaune et rose a nuancé
De reflets orangés le salon or et rouge.
Quelques amis sont là groupés. Plus un ne bouge,
Un court silence, et la musique a commencé.
Tu es au piano sous l’éclat des bougies,
Beethoven te remplit de peur et de douceur :
Toute pâle aux puissants appels du précurseur, `
Tu palpites, beau cygne aux ailes élargies,
Puis, rassurée enfin, tu pars d’un noble élan
Sur le fleuve harmonique où, dans l’oubli de l’heure,
Le violon s’exalte, le piano pleure,
Et le violoncelle exhale un regret lent.
Sur ton front la candeur, dans tes yeux l’allégresse,
Et le rose de la pudeur t’illuminant,
De tes savantes mains tu nous fais maintenant
Un rare et cher tissu d’invisible tendresse.
Parce qu’elle y révèle un charme essentiel,
La musique ennoblit encore ton visage
Comme le soir idéalise un paysage
Parce qu’il y répand le souvenir du ciel.
Je sais bien que demain tu ne seras plus telle :
Le sublime est plus bref qu’un éclair sur la mer,
Et tu me fais sentir ce soir le charme amer
De la beauté qu’on sait n’être pas immortelle.
Qu’importe ? Le plus pur de toi me fut livré :
Tu ne te connais pas, seul j’ai saisi ton âme,
Et celui qui t’aura pour fiancée ou femme
Comprendra moins que moi quel fut ton être vrai.
La Musique, par qui j’ai pu mieux te connaître,
Immortalisera du moins ton souvenir :
Je l’ai mise en mes vers et tu n’y peux périr,
Puisqu’ils ont pour frisson l’essence de ton être !
lle se baigne
Au marais des iris et des grands lys d’eau
Elle se baigne comme un nénufar blanc
Comme un nénufar et sa corolle saigne
Elle toute en or ruisselant
Comme un soleil du soir qui baigne dans l’eau
Miroitante et merveilleuse
Le marais verdâtre et si lourd d’or
L’étang putride vert et noir
Est le miroir
De ses hanches,
Blanches
Ô qui chantera l’enfant glauque et d’or
Dans ses mares mordorées
Son fin buste émerge de l’eau
Comme un nénufar chevelu d’or rouge
Ses yeux sont comme des flammes sur l’eau,
Vertes étoiles, ses yeux doux d’Asie
Mais sa bouche est un coquillage de pourpre
Et sa chevelure est sur sa bouche
Sa chevelure cramoisie
Ses cheveux longs, où sont des algues vagues
Et des crabes verts aux crocs des boucles
Et l’écume des basses vagues
Et des gouttes d’escarboucles
Où les lumières ont des verres
Ô comme au front des roches d’or
Ses cheveux dissolus couronnés de conferves
Ses cheveux, ah défleuris ! ses cheveux dévêtus et nus…
« Iris
Marécageux iris
Mes cheveux sous-marins mêlés d’algues languides
Te veulent, triste iris,
Et l’iris de mes yeux. »
Voici trouer la frêle eau d’or
Ses doigts luxurieux.
Vers les iris, vers les iris,
Fleurs droites à fleurir derrière ses oreilles
Fleurs d’ombres et d’azurs, fleurs froides, bleus iris
Bleus baiser de la nuit dans ses mains nonpareilles
Baisers bleus et d’argent.
ANDRÉ GIDE | Traité du Narcisse. |
EUGÈNE HOLLANDE | Beauté. |
HENRY BÉRANGER | L’Âme Moderne. |
CAMILLE MAUCLAIR | L’Inaccessible. |
CLAUDE MOREAU | Vers les Yeux des Sirènes. |
PIERRE LOUYS | Astarté. |
PAUL VALÉRY | Chorus Mysticus. |
MAURICE QUILLOT | Le Psychothéramène. |
RENÉ MALDAN | Le déplorable arcane. |
EDMOND FAZY | Antigone. |
LÉON BLUM | Les Adorantes. |
ANDRÉ GIDE | Valentin Knos. |
EUGÈNE HOLLANDE | La Cité future. |
HENRY BÉRENGER | Les Frissons de l’Aurore. |
CAMILLE MAUCLAIR | Les Apparences. |
CLAUDE MOREAU | Les Thargéliodes. |
ANDRÉ WALTER | Poësies (posthumes). |
P. L. | Sainte Marie de Magdala. |
Où je souffle un appel à quelque dieu qui passe…
H. de R.
MDCCCXCII Onzième LIVRAISON.
La Conque
LE NUMÉRO DIX FRANCS ABONNEMENTS CENT FRANCS
LA CONQUE, anthologie des plus jeunes poëtes, n’aura que douze livraisons, tirées chacune à cent exemplaires numérotés sur papier de luxe.
Elle ne sera jamais ni continuée ni réimprimée.
Chaque livraison de LA CONQUE est précédée d’an FRONTISPICE en vers, inédit. Nous avons publié les poèmes de MM. LECONTE DE LISLE. Léon DIERX, fosè-Maria DE HEREDIA, Stéphane MALLARMÉ, Algernon Ch. SWINBURNE, Mme fudith GAUTIER et MM. Paul VERLAINE, Jean MORÉAS, Charles MORICE, Maurice MAETERLINCK, Henri de RÉGNIER.
90C
Un frontispice à l’eau forte, par FÉLICIEN ROPS sera joint à la dernière livraison.
SOMMAIRE DE LA ONZIÈME LIVRAISON
Heure HENRI DE RÉGNIER.
Poésies. ANDRE WALTER.
Sonnets. CLAUDE MOREAU.
Le Bois amical, Ensemble, Fragment. PAUL VALÉRY.
Au Prince Tacciturne PIERRE LOUYS.
C’est l’Espoir !…
Comme des ailes faibles dans le crépuscule
Si loin que c’est le vent, peut-être, ou le frisson
De ta pâleur sur ta face, ô taciturne
Devant quelque Ombre en les cyprès du bois nocturne
Parmi les asphodèles graves du gazon,
Ou des pas que le vent simule aux campanules
Des bleus treillis du vieux jardin de la raison
Où ton âme se connaît moins au crépuscule.
C’est l’Espoir.
Écoute, il est assis au bord du fleuve
Si près de l’eau que ses ailes trempent dans l’eau
Ô les antiques ailes en l’eau toujours neuve
Qui fuit et mouille le plumage de nouveau
Le plumage des grandes ailes dans l’eau.
C’est l’Espoir
Mais voici l’aube et l’heure pâle
Où ta face est plus triste encore et taciturne
Et folle de mornes alarmes
En les mains à travers qui coulent une à une
Tes larmes…
Le vent efface des traces de pas nus aux sables.
C’était l’Espoir
Qui fut assis dans l’ombre auprès du fleuve noir !
@
l n’y a pas eu de printemps cette année, ma chère ;
Pas de chants sous les fleurs et pas de fleurs légères,
Ni d’Avril, ni de rires et ni de métamorphoses.
Nous n’avons pas tressé de guirlandes roses.
Nous étions penchés à la lueur des lampes
Encore, et sur tous nos bouquins de l’hiver
Quand nous a surpris un soleil de septembre
Rouge et peureux et comme une anémone de mer.
Tu m’as dit : « Tiens ! voici l’Automne.
Est-ce que nous avons dormi ?
S’il nous faut vivre encore parmi
Ces in-folios, ça va devenir monotone.
Peut-être déjà qu’un Printemps
A fui sans que nous l’ayons vu paraître ;
Pour que l’aurore nous parle à temps
Ouvre les rideaux des fenêtres. » —
Il pleuvait. Nous avons ranimé les lampes
Que ce soleil rouge avait fait pâlir
Et nous nous sommes replongés dans l’attente
Du clair printemps qui va venir.
ne lampe neuve remplace la vide ;
Une nuit succède à une autre nuit ;
Et l’on entend fuir dans la nuit, le bruit
Du sablier triste qui se vide.
Nous rapetassons de faux syllogismes
Et nous ergotons sur la Trinité,
Mais tout ça, ça manque un peu de lyrisme
Et nos lampes ne font pas beaucoup de clarté.
Pour quand nous avons trop mal à la tête
Au fond de la chambre basse on a mis
Parallèles deux étroites couchettes ;
Nous nous étendons puérils et soumis.
Nous récitons nos petites prières
Nous soufflons tous les flambeaux
Et se closent sur les paupières
Les nuits étroites des tombeaux.
Mais devant nos prunelles hagardes
Un grand concept s’obstine à mourir
Et nous avons peur de nous endormir
Parceque l’un sent que l’autre le regarde.
e sais qu’une âme implique un geste
D’où vibre une sonorité
Qu’harmonieusement atteste
La très adéquate clarté.
Un paysage s’exaspère
Au gré de ses intentions
Et une rhytmique atmosphère
Unit cette âme à l’horizon.
Mais je ne sais pourquoi notre âme débile, erre
Sous des ciels neufs et qu’elle n’a pas choisis,
Et parmi des campagnes autoritaires
Où nous n’osons que des gestes soumis.
Alors, puisque nous n’avons plus de force
Et que le paysage est vainqueur…
Au moins je voudrais qu’il emporte
Des victoires selon nos cœurs.
Et je cherche un champ de soleil
Où tu doives me dire « Je t’aime. » —
Mais seule la lune éclaire la plaine
Toujours d’une pâleur pareille.
J’errais sur les lisières aventureuses.
D’une triste forêt sans oiseaux,
C’était l’heure où une contrainte peureuse
Fait dire malgré soi des mots.
Au bout de l’allée couverte
La lune est apparue
Si plaintive et si verte
Que nous ne la reconnaissions plus.
Tu m’as dit avec un air d’ennui :
« Es-tu bien sûr que ce soit la même ?
Comme elle est malade aujourd’hui,
La pauvre lune, comme elle est blême ! »
Un vent tiède a soufflé dans les branches
Elles ont agité plaintivement leurs feuilles rousses.
Nous, nous regardions le long de la mousse
Gésir nos pauvres petites ombres pâles.
Je t’ai dit avec un air maussade :
« Elle est bien malade aujourd’hui,
La lune, elle est bien malade ! »
En voilà assez pour aujourd’hui.
ne rhythmique allée haute et découverte
De troncs allignés symétriquement,
Ifs et tilleuls aux feuilles rousses et vertes
Se prolonge sous le crépuscule indéfiniment.
Comment j’y fus mené, — par quel sortilège ?
Je ne sais, — et je ne pourrais dire vraiment
Quel rhythme mauvais était dans cette allée de rêve,
Où ma pauvre âme s’égarait solitairement.
Une branche déplacée, ou bien un peu de lumière
D’une lune qui se soulevait me fit te voir.
L’étonnement de te voir là me fit taire ;
Mais tu semblais ne pas savoir que nous étions là.
Ta robe blanche apparue entre les branches
D’un arbre y jetait comme une blanche clarté —
Puis l’allée continuait aussi logique,
Comme si tu ne t’y étais pas arrêtée.
Tes mains s’ouvrirent dans un geste fatidique
Les paumes offertes à la lune qui luit ;
Pendant que de ses vocalises mécaniques,
Un rossignol faisait des trous dans la nuit.
n chant de cor a retenti dans l’air sonore.
Nous avons compris qu’il ne fallait plus bouger ;
Le cor s’est tu, mais la vibration monte encore
Vers l’horizon cuivré.
Les halliers d’or se sont inclinés vers les pailles.
Les champs étaient par meules jaunes rangés ;
Un soleil mort luisait au fond du paysage
Et des forêts hautes s’étaient dressées…
Il y avait sur les lisières des hêtrées
Des corneilles qui ne voulaient pas s’endormir,
Et on voyait entre les branches enchevêtrées
De cerfs passants qui s’étaient arrêtés…
Pourquoi ce cor a-t-il vibré dans le silence ?
Quelle heure est-il que ce soleil ne dorme pas ?
Les corneilles, sur les halliers que le soir balance,
Ces corneilles ne se tairont donc pas ?…
Des pleurs encor ! ah ! ça devient trop monotone.
Nous aurions dû rester à la maison ce soir.
Ah ! voici déjà les feuilles mortes de l’automne,
Qui tourbillonnent dans le vent du soir…
uand nous avons vu que la petite porte était fermée
Nous sommes restés longtemps à pleurer ;
Quand nous avons compris que ça ne servait pas à grand chose,
Nous avons repris lentement le chemin.
Tout le jour, nous avons longé le mur du jardin,
D’où parfois nous venait des bruits de voix et de rires ;
Nous pensions qu’il y avait peut-être des fêtes sur l’herbe,
Et cette idée-là nous faisait mélancoliques.
Le soleil vers le soir a rougi le mur du parc ;
Nous ne savions pas ce qui s’y passait, car on ne voyait
Rien que des branches qui, par-dessus le mur s’agitaient
Et qui laissaient de temps en temps tomber des feuilles.
Ton âme aimera son reflet dans les glaces ;
Elle croira qu’elle voit quelqu’un d’autre.
ette lande de bruyère rose
Où nous étions venus nous asseoir, —
Cette lande, se métamorphose
Sous les obliques rayons du soir.
On dirait que c’est un miroir
Où fleurissent des nuages roses
Une calme plaine de cristal
Où paissent nos âmes sentimentales.
Le ciel que le couchant teinte de roses —
On dirait une lande de bruyères. —
C’est comme une plaine reflétée,
Où broute mon âme dépareillée.
es Grecques sur le port en péplos de safran
Agitant des lauriers et des branches de roses
Regardent revenir vers les apothéoses
Les citoyens vainqueurs des rostres du tyran.
Fendant la mer, trouant l’onde, dressant leurs proues,
Les trières sur les hauts flots glauques, les nefs
Légères au rhythme des coups d’avirons brefs,
Longs paons noirs, soulèvent l’ècume en larges roues.
La foule est au quai, joyeuse : « Ils reviennent ! les
Voici ! » Des tapis d’or les mènent au palais
Suspendre au rude Arès les dépouilles coupées ;
Les sacrificateurs traînent des boucs cornus
Et des femmes au mur allongeant leurs bras nus
Croisent des rameaux verts sur le sang des épées.
U’ON déserte la ville ! que nul ne rallume
L’autel ! nous laisserons à tout jamais, ce soir,
Les dieux horribles de la terre, et dans le noir
Nous partirons, suivis par un frisson d’écume…
La nef impérieuse à travers l’amertume
Bondira, tranchant l’eau du fil de son coupoir,
Et nous nous pencherons sur la proue à l’espoir
De vos terribles voix, déesses de la brume !
Grands poissons glauques d’où fleurissent des corps blancs,
Nus miroirs de la lune et des flots nonchalants,
Vous qui chantez vos yeux dans les algues, Sirènes !
Quand nous aurons touché vos bouches, vous pourrez,
D’un signe seulement de vos doigts adorés,
Délivrer dans la mort nos âmes plus sereines.
ous avons pensé des choses pures,
Côte à côte le long des chemins.
Nous nous sommes tenus par les mains,
Sans dire ! — parmi les fleurs obscures…
Nous marchions comme des fiancés
Seuls, dans la nuit verte des prairies
Et nous partagions ce fruit de féeries,
La Lune ! amicale aux insensés…
Et puis ! nous sommes morts sur la mousse
Très loin, Tout seuls ! parmi l’ombre douce
De ce bois intime et murmurant…
Et là-haut ! dans la Lumière immense
Nous nous sommes trouvés en pleurant,
Ô mon bon Compagnon de Silence !…
e vous salue, ô frère exquis ! ô Mien !
Ensemble venons quand le jour mourra
Écouter le vieux chant grégorien !
Pénitente, une cloche tintera.
Comme un couvercle de tombeau, le soir
Bandera nos yeux, ouvrant notre coeur
Et nous marcherons, tenant l’encensoir
Dans la Nuit silencieuse du chœur.
Ô combien seuls devant Dieu ! combien seuls
Cherchant les purs et nocturnes linceuls
Ou bruit la parole auguste d’or…
Marchons vers la Lampe des Bien-Aimés,
Prions, ô frère ! puis, les yeux fermés
Embrassons-nous devant le Saint Thrésor.
n soir favorisé de colombes sublimes,
La pucelle doucement se peigne au soleil
Aux nénuphars sur l’onde elle donne un orteil
Ultime, et pour tiédir ses froides mains errantes
Des fois baigne au couchant leurs roses transparentes.
Tantôt, si d’une ondée innocente, sa peau
Frissonne, c’est le dire absurde d’un pipeau,
Flûte dont le coupable aux dents de pierrerie
Tire un futile vent d’ombre, et de rêverie
Par l’occulte baiser qu’il risque sous les fleurs
Mais toute indifférente à ces doux jeux de pleurs
Ni se divinisant par aucune parole
De rose, la beauté jouant de l’auréole
Mire dans l’œil auguste émerveillé d’un or
D’éparse chevelure où fuit la myrrhe encor,
De la lumière vue entre ses doigts limpides !
… Une feuille meurt sur ses épaules humides
Une goutte tombe de la flûte sur l’eau.
Et le pied pur s’épeure comme un bel oiseau
Ivre d’ombre…
i j’entre en la forêt du frêne et de l’alberge
Attiré par la lune au lac lucide et pur
À l’espoir d’entrevoir comme un songe futur
Ta Chimère apparue au miroir de la berge
Avant d’atteindre aux eaux d’où sa blanche ombre émerge
La marque de tes pas séchée au terrain dur
Me dira quel héros d’argent, d’aube et d’azur
A fait sourdre le sang nuptial de la vierge
Je n’irai pas au bois conquérir les seins froids
Où ta longue épée entre et luit comme une croix
Chercheur de face pâle et d’âme taciturne
Je suivrai le long gué par les marais du soir
Et j’irai découvrir nue en son trhône noir
Une déesse en fleurs dans une île nocturne
1 vol. in-4o écu tiré à cent exemplaires numérotés, tous sur papier de luxe :
4 sur Chine | 100 fr. |
9 sur Whatman | 30 » |
12 sur papier impérial du Japon | 20 » |
75 sur Hollande Van Gelder | 10 » |
LA LUNE (format in-4o écu) se publiera irrégulièrement et ne cessera jamais de paraître. Elle sera tirée à cent exemplaires. Il ne sera fait aucun service. Elle ne sera jamais réimprimée.