La Critique et l’Histoire dans une vie de Jésus-Christ

La bibliothèque libre.
La Critique et l’Histoire dans une vie de Jésus-Christ
Revue des Deux Mondes3e période, tome 101 (p. 520-577).
LA
CRITIQUE ET l’HISTOIRE
DANS UNE VIE DE JÉSUS-CHRIST[1]

Jésus-Christ est le grand nom de l’histoire. Il en est d’autres pour lesquels on meurt : il est le seul qu’on adore à travers tous les peuples, toutes les races, tous les temps.

Celui qui le porte est connu de la terre entière. Jusque chez les sauvages, dans les tribus dégénérées de l’espèce humaine, des apôtres, sans se lasser jamais, viennent annoncer qu’il est mort sur une croix; et le rebut de l’humanité peut être sauvé en l’aimant. Les indifférens, dans le monde moderne, reconnaissent que nul n’a été meilleur pour les petits et les misérables.

Les plus glorieux génies du passé seraient oubliés si des monumens, — palais, obélisques ou tombeaux, — si des témoignages écrits, — papyrus ou parchemins, briques, stèles ou médailles, — — ne nous en avaient gardé quelque souvenir. Jésus se survit dans la conscience de ses fidèles : voilà son témoignage, son monument indestructible.

L’Église, fondée par lui, remplit de son nom les temps et l’espace. Elle le connaît, elle l’aime, elle l’adore ; comme il vit en elle, elle vit en lui. Il est son dogme, sa loi morale, son culte. Elle enseigne à tous, sans distinction, sans exception, qu’il est le Fils unique de Dieu fait homme, conçu du Saint-Esprit dans les entrailles de la Vierge ; qu’il est venu en ce monde souffrir et mourir pour nous sauver, vaincre la mort par sa résurrection ; qu’il est remonté à son Père, afin de nous préparer la place près de lui ; qu’il reviendra juger les vivans et les morts, donnant aux bons la vie éternelle, repoussant les mauvais dans les ténèbres et dans la mort de l’âme.

Ce Credo est tout à la fois un précis dogmatique et historique, le dogme et l’histoire populaire de Jésus. Le croyant peut en vivre. En quelques mots simples et profonds, il apprend que le plus grand événement de l’humanité est la venue du Christ ; que Dieu l’aime, puisque Dieu veut le sauver du mal et se donner à lui ; que la charité est le devoir suprême, puisque c’est par amour que son Maître est mort ; qu’il doit être vigilant dans le bien, puisque son Maître sera son juge ; qu’il n’a pas à redouter la mort, puisque son Maître l’a vaincue et qu’il est destiné lui-même à l’éternelle vie.

L’homme qui croit à cet enseignement et à ce Christ peut marcher dans a vie ; il est armé pour s’y défendre et pour y grandir. Rien n’arrêtera sa croissance. Le disciple de Jésus est devenu le souverain du monde, non pas au point de vue matériel et brutal, — La violence n’est pas dans l’esprit de son Maître crucifié, — mais au point de vue de la justice, de la bonté, de l’abnégation, du sacrifice et de la dignité morale. En semant ces vertus comme des germes de vie, il prépare et enrichit le sol humain, qui devient capable de toutes les cultures, de toutes les moissons.

Mais, de même que la raison de ceux qui pensent cherche l’intelligence des dogmes élémentaires ; demande qu’on les lui explique, dans la mesure de nos connaissances imparfaites et toujours limitées ; exige qu’on repousse les attaques d’une philosophie, d’une science ou d’une littérature hostiles ; de même, elle aspire à connaître, dans le détail, la vie humaine et divine de Jésus, les paroles qu’il a dites, la loi qu’il a formulée, sa manière d’enseigner, d’évangéliser, de lutter, de souffrir et de mourir.

L’histoire de Jésus est le fondement de la foi. Doctrine évangélique, théologie, morale chrétienne, culte, hiérarchie ou Église, tout repose sur elle. Grâce au travail incessant des docteurs, la doctrine de Jésus, sa morale, son culte et son Église sont devenus peu à peu l’objet de sciences distinctes, parfaites, organisées, répondant aux aspirations légitimes des croyans qui veulent être des hommes de foi et des hommes de science ; pareillement, il faut que la vie de Jésus-Christ soit racontée suivant les exigences de l’histoire.

C’est à ce besoin profond qu’essaie de répondre le présent ouvrage.

Les partisans de ce qu’on appelle aujourd’hui l’école critique vont dire : Le Christ du dogme et de la tradition, le Christ des apôtres, et des Évangiles interprétés suivant la doctrine de l’Église, n’est pas et ne peut pas être le Christ de l’histoire. Ce Christ idéal. Dieu et homme, Verbe incarné, conçu par un miracle inouï, se disant le Fils unique de Dieu, au sens métaphysique et absolu, multipliant les prodiges, parlant comme le quatrième Évangile le fait parler, ressuscitant trois jours après sa mort, s’élevant au ciel à la face de ses disciples, après cinquante jours, n’est pas un homme réel. Il n’existe que dans la fantaisie pieuse des croyans, qui l’a créé de toutes pièces.

Le vrai Jésus, le Jésus de l’histoire, est né comme tous les hommes, il a vécu comme eux, il n’a pas plus fait de miracles qu’eux, il a enseigné une morale plus pure, fondé une religion moins imparfaite que les autres, et comme tous les réformateurs, en général, succombent sous l’intransigeance de leur milieu, il a été la victime de l’intransigeance juive ; il est mort comme nous ; il n’est ni ressuscité, ni vivant en Dieu.

Je suis révolté, — qu’on me pardonne le mot, — non-seulement dans ma foi de chrétien, mais dans mon impartialité d’homme, de cette contradiction entre le dogme et l’histoire, érigée en principe et opposée comme la question préalable à une vie de Jésus Dieu et homme. Convaincu que Jésus a été le Dieu invisible dans un être humain semblable à nous, comme historien je le regarde vivre, tel qu’il est, dans cette double nature.

La question de la Divinité divise les plus grands esprits, depuis la venue du Christ ; elle les divisera sans fin ; c’est déjà un phénomène étrange que Jésus seul ait soulevé un tel problème, qui ne s’endort jamais dans la conscience de l’humanité, un problème avec lequel on est sûr de l’émouvoir toujours. Je ne me permettrai ici qu’une simple réflexion historique à l’adresse des hommes sans prévention, des vrais critiques, à l’esprit largement ouvert.

Cette contradiction violente dont Jésus est l’objet a été prophétisée. Elle durera autant que le monde ; elle afflige le chrétien, mais il ne s’en étonne ni ne s’en trouble ; il y voit le signe de son Maître. Elle s’est produite du vivant même du Christ. Tandis que ses disciples, répondant à sa question, lui disaient : « Vous, vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant, » les hommes, les Juifs disaient : Il n’est qu’un prophète ; d’autres, plus aveugles, en faisaient même un blasphémateur et un révolté.

Lorsqu’il eut quitté la terre, pendant que les apôtres prêchaient aux synagogues juives le Messie Dieu et homme, rempli de la sagesse et de la vertu de Dieu, les premiers sectaires, les Nazaréens et les Ébionites, ne voulaient, voir en lui qu’un homme.

La lutte, sur ce point, se prolongea plusieurs siècles ; un philosophe païen, Celse, sans nier pourtant les miracles de Jésus, persiflait sa doctrine, qu’il appelait absurde, et sa croix, qu’il trouvait infâme ; Origène, le réfutant, proclamait de sa grande voix la divinité de son Maître.

Les temps ont marché depuis. Le Crucifié a grandi, détruisant le paganisme, absorbant la philosophie, détrônant l’Empire, conquérant la terre, civilisant la barbarie, créant un monde nouveau.

Qui donc avait raison : les Juifs anathématisant Jésus et le tuant ; les païens, comme Tacite, Suétone et l’honnête préfet de Bithynie, Pline le Jeune, le dédaignant, lui et ses disciples, qui leur semblaient une secte méprisable ; les philosophes, comme Celse, l’accablant de leur sagesse, — ou les apôtres, adorant en Jésus le Fils de Dieu ?

Si Jésus n’était en réalité que l’homme honni des Juifs et du paganisme, comment a-t-il creusé sur la terre un sillon pareil ? comment a-t-il fondé une religion qui domine le monde ?

L’œuvre est inexplicable : elle est la preuve populaire que Jésus était bien ce que l’Église affirme.


I.

La première condition d’une histoire scientifique est d’être éclairée par une critique sage, clairvoyante, impartiale.

Il ne faut pas, cependant, confondre la critique avec l’histoire ; bien qu’inséparables l’une de l’autre, elles doivent rester distinctes.

Dans son sens le plus général, la critique est l’exercice même de la faculté essentielle de tout être raisonnable, le jugement. Critiquer et juger sont deux termes synonymes ; car le jugement, comme la critique, a pour objet de discerner le vrai du faux. C’est le premier des droits, le plus nécessaire des devoirs de la raison. Quel que soit le domaine qu’elle explore : religion, philosophie, sciences, littérature, esthétique, mathématiques même, la raison doit être attentive à discerner la réalité et les apparences, le vrai, souvent invraisemblable, et le faux, quelquefois si plausible. La critique, dès lors, ne peut être une science spéciale ; elle est plutôt une condition de toute science. Elle rentre dans la logique même qui fixe à l’homme les règles pour penser juste et pour juger sainement. Ces simples considérations démontrent la vanité de ceux qui s’attribuent le monopole de la critique. L’école critique est l’école de tout le monde. Chacun peut et doit y prétendre. La tentation la plus ordinaire de l’esprit cultivé est de critiquer au-delà de la mesure, de vouloir tout juger, même ce qu’il ignore. Le sage modère cette volonté âpre, intempérante ; il apprend à ne juger que ce qu’il sait, n’oubliant jamais que son savoir est limité et son ignorance incommensurable.

On peut être un excellent critique en philosophie et un très mauvais juge en religion ou en histoire. Certaines connaissances humaines n’exigent pas seulement un esprit spéculatif, mais une longue expérience. Les doctrines morales seront bien mieux critiquées par l’ignorant qui a expérimenté la vertu que par le sceptique qui ne se doute pas des joies austères du sacrifice. Les saints, qui vivent de la parole de Jésus, l’entendront toujours mieux que l’exégète hellénisant qui la repousse et n’en connaît pas la saveur. Un dégustateur délicat perçoit des nuances qui échappent au chimiste.

Appliquée à l’histoire, la critique a un rôle bien déterminé. L’histoire a pour objet de raconter les faits ; or les faits du passé ne nous étant connus que par les documens, et les documens étant rédigés par les témoins plus ou moins immédiats des faits eux-mêmes, la critique doit examiner, tout ensemble, les faits, les documens et les témoins.

Certains faits sont absurdes : la critique les écarte ; il y a des documens altérés ou suspects : la critique les signale et les réprouve ; et si des témoins sont indignes de loi, elle les démasque et les confond.

En ce qui concerne la vie de Jésus, la critique préliminaire a le devoir et le droit de rechercher les documens et les témoins qui nous renseignent sur cette vie, l’ancienneté et l’authenticité des uns, la valeur testimoniale des autres ; elle doit examiner la nature des faits consignés dans les documens et rapportés par les témoins.

Ces problèmes ont soulevé, surtout depuis un siècle, en Allemagne, en Suisse, en Angleterre et en France, de tels débats, que plusieurs volumes suffiraient à peine à les traiter. La réfutation des solutions erronées en demanderait un à elle seule. Nous ne pouvons que tracer ici les grandes lignes et résumer, en les motivant, quelques conclusions certaines.

II.

Les ouvrages qui nous apprennent, en détail, les faits et les paroles de Jésus, sa naissance, sa vie et sa mort, sa doctrine, ses institutions, son œuvre, sont peu nombreux : quelques lettres écrites par les apôtres, quelques chapitres des Actes, et principalement les quatre livres connus sous le nom d’Évangiles canoniques.

Malgré leur petit volume, ces écrits sont d’une richesse inépuisable pour l’abondance des faits et des paroles qu’ils rapportent. Leur premier mérite, comme documens, est leur ancienneté. Rédigés dans les années qui suivirent les événemens, ils sont l’expression simple et véridique des souvenirs qu’avaient laissés dans l’âme des disciples l’enseignement, les préceptes, les exemples, la personne du Maître disparu. Deux années et demie d’un perpétuel contact avec lui les avaient peu à peu transformés. Une des œuvres essentielles de Jésus, celle qui primait toutes les autres et sans laquelle les autres ne pouvaient aboutir, était de graver dans la conscience de ses apôtres son image fidèle et vivante. Ne devaient-ils pas l’annoncer à toute créature? et, pour l’annoncer, ne devaient-ils pas le connaître? Lui seul pouvait les instruire.

Il ne leur a rien caché ; il les a traités, comme il le leur disait, en amis. Il s’est ouvert à eux pleinement. Ils ont reconnu en lui le Fils unique du Père et le Fils de l’homme ne de la femme, entendu ses paroles de sagesse et de sainteté, vu le ciel ouvert sur sa tête et les anges de Dieu monter et descendre sur le Fils de l’homme; ils ont été les témoins de sa puissance irrésistible et divine ; ils ont compris la raison cachée de ses souffrances, de ses douleurs, de sa faiblesse volontaire, de son insuccès auprès de la nation élue et de sa mort ; ils ont vu aussi la gloire du Ressuscité, gloire dont l’éclat, voilé au monde, fut réservé aux seuls disciples; ils ont été envahis intérieurement et visiblement par son Esprit. Revêtus de cette force surhumaine, ils se sont sentis les mandataires du Christ, les propagateurs invincibles de sa loi, les continuateurs de son œuvre; et ces Galiléens incultes, ignorans, timides, dépouillant toute hésitation, toute crainte, cinquante jours après sa mort, dans cette même ville où avait été crucifié leur Maître, se mirent à publier son nom à la face du peuple qui avait demandé son supplice, et du Sanhédrin qui l’avait préparé. Ils l’appelaient « le Saint, le Juste, l’Auteur de la vie; » ils leur reprochaient avec douleur de l’avoir tué ; ils affirmaient que Dieu l’avait ressuscité ; ils le disaient « l’Envoyé de Dieu, le Prophète annoncé par Moïse; » ils déclaraient que les miracles dont ils étaient les instrumens s’accomplissaient par la vertu de Jésus le Nazaréen ; et, dans l’audace de leur foi, ils le montraient comme la pierre dédaignée par les architectes, devenue, aux mains de Dieu, la pierre angulaire, et comme le seul Sauveur donné aux hommes[2].

Leur parole, leur courage, leur conviction et leur zèle étaient irrésistibles. Ni défense, ni menace, ni fouet, ni chaînes, ni supplices ne les arrêtaient. lisse disaient les témoins du Ressuscité ; et, faisant un appel à la conscience de leurs ennemis, ils ajoutaient que l’Esprit-Saint, que Dieu donne à tous ceux qui lui obéissent, témoignerait aussi de la vérité de leur parole[3].

Cette prédication apostolique est le premier Évangile. Il a jailli de l’âme des disciples immédiats de Jésus, sous l’impulsion du Saint-Esprit. C’est une parole divine : la conscience humaine ne l’a point inventée, elle est l’écho de la parole de Jésus.

Nul n’en peut nier l’antiquité, l’authenticité.

L’historien, habitué à l’évocation des choses du passé, à l’aide des documens, voit les disciples de Jésus réunis dans le souvenir et le culte de leur Maître. Leur union est d’autant plus étroite et plus intime qu’ils sont plus isolés dans un milieu plus hostile. Ils ne sont rien par eux-mêmes et ils n’ont rien. Toute leur force est dans la vertu de Dieu. Toute leur science se résume en un être : Jésus-Christ. Toute leur sagesse est en lui. Tout leur trésor est lui. Toute leur destinée se borne à lui ; et comme de telles choses n’existent que par la foi, la foi est tout pour eux : elle est sans mesure. Leur vie n’est plus à eux ; elle est au Christ[4]. Ils se sentent ses propres membres, et ils ont conscience que nulle énergie, sur la terre ni dans le ciel, ne les séparera de son amour. Jamais on ne rencontrera un phénomène psychologique pareil. Quelque influence que peuvent exercer les hommes supérieurs sur ceux qui les approchent, ils ne parviennent pas à se les assimiler aussi pleinement, ils ne les façonnent que par le dehors, incapables d’infuser leur propre esprit, comme force nouvelle, vivante et personnelle. C’est dans ce cénacle que toute la vie de Jésus a été vécue à nouveau. Comme ceux qu’un grand amour absorbe, les disciples mettaient en commun leurs souvenirs, se racontaient les actes du Maître, se redisaient ses enseignemens et les communiquaient à leurs néophytes. Les moindres détails des derniers jours si émouvans de sa carrière, l’arrestation, le jugement, le Calvaire, toutes ces scènes douloureuses, poignantes, apparaissaient de nouveau. Jamais Jésus n’avait été plus vivant dans leur conscience. C’est le propre de la séparation et de la mort de concentrer sur les absens et les disparus la puissance du souvenir. Ils renaissent en nous, et, en regardant au fond de l’âme, on les retrouve, on les voit, on les entend. Jésus était vraiment au milieu d’eux. Ils vivaient avec lui dans la prière[5], dans la pratique des vertus qu’il leur avait enseignées par sa parole et son exemple. C’est là qu’il faut chercher l’origine première de l’Évangile oral qui constitue la première prédication des apôtres et la source des Évangiles écrits.

Les apôtres ont vite éprouvé le besoin de fixer l’enseignement du Maître et l’histoire de sa vie. Les premiers fidèles devaient souhaiter ardemment de conserver dans leur souvenir « la bonne nouvelle » que les envoyés de Jésus leur prêchaient ; et les envoyés, en quittant les nouveaux convertis, les jeunes communautés organisées par eux, aimaient à leur laisser un témoignage plus durable que leur parole. L’Évangile écrit répondait à ces besoins, à ces nécessités.


III.

On ne peut préciser la durée exacte du temps écoulé entre le début de la prédication apostolique et l’apparition du premier Mémoire écrit. Ce temps dut être fort court. La tradition universelle de l’Église place la composition du premier Évangile entre l’an 33 et l’an 40 de l’ère chrétienne[6]. Cet Évangile a pour auteur l’un des apôtres, Matthieu le publicain. Il fut écrit en lettres hébraïques pour les Juifs de Palestine et de Jérusalem[7], dans la langue qu’ils parlaient alors, le dialecte araméen, — un mélange de chaldéen et de syriaque, — qui fut la langue de Jésus.

L’idée fondamentale sur laquelle se concentrait toute la foi des apôtres, c’est que Jésus était avant tout le Messie d’Israël annoncé par les prophètes. Ils s’efforçaient de le persuader à tous les Juifs ; leur prédication n’est que le témoignage public de cette vérité, comme le démontrent les fragmens de discours que les Actes nous ont conservés[8]. Ce que disait Pierre, tous ses compagnons, animés de la même foi, le disaient ; et dès que Jésus les eut quittés, fidèles à ses ordres, ils remplirent Jérusalem et toutes les synagogues de la Palestine du témoignage de leur foi en sa messianité.

Cette idée inspira le premier Évangile ; elle en est l’âme ; elle en ramène à l’unité toutes les parties.

Il est facile de s’en convaincre, en examinant les passages prophétiques que l’auteur rappelle, et dont son propre récit n’est que le commentaire et la justification historique[9]. Ce livre devait naturellement, forcément, avoir pour titre la généalogie même de Jésus, établissant sa descendance davidique, car le plus populaire des titres messianiques, aux yeux de tout Juif, était le titre de Fils de David.

Le grand discours sur la montagne convient au législateur des temps nouveaux ; les nombreuses paraboles du Royaume révèlent celui qui venait évangéliser les pauvres ; les anathèmes contre les Pharisiens et les prophéties sur l’avenir de Jérusalem et du monde annoncent le juge qui a le van dans la main et qui est le maître des hommes et des siècles.

Ce caractère tranché du livre explique, indépendamment de son origine apostolique et de sa priorité sur les autres Évangiles, l’autorité dont il jouit et l’action extraordinaire qu’il exerça dans l’évangélisation des Juifs. Jésus est-il, oui ou non, le Messie des prophètes ? C’était le grand débat entre les croyans et les Juifs. L’évangile de saint Matthieu y répondait avec une évidence triomphante.

Tous les titres messianiques signalés par les prophètes se vérifient en Jésus. L’Évangéliste le prouve par la vie même du Maître. Son livre est tout à la fois un tableau vivant de Jésus et une démonstration, une apologie populaire de sa messianité.

L’idiome général dans lequel il fut composé n’était guère compris en dehors de la Palestine ; et cependant la messianité de Jésus intéressait non-seulement les Juifs de Jérusalem, de Judée, de l’Idumée et de la Galilée, mais tous ceux de « la dispersion. » Ces derniers parlant le grec, il fallut leur interpréter l’Évangile syro-chaldaïque. Un grand nombre, d’après les fragmens de Papias[10], s’y appliquèrent. Une traduction grecque, dont l’auteur est inconnu[11], suivit de très près l’original araméen. Elle s’imposa soit par l’autorité du traducteur, soit par le consentement de l’Église ; elle éclipsa bientôt le texte primitif. Celui-ci disparut, après la destruction de Jérusalem, avec le groupe des chrétiens judéens qui en faisaient usage ; s’il en resta entre les mains des Ébionites et des Nazaréens une version, elle s’altéra, comme toutes celles que les sectes modifiaient, interpolaient, mutilaient, altéraient au gré de leurs doctrines.

Quelques années après, lorsque les apôtres, ayant accompli leur tâche en Judée et rendu témoignage à leur Maître dans la métropole, se dispersèrent pour porter au loin la bonne nouvelle, un des disciples de Pierre, son interprète, comme l’appelle Papias[12], ou son secrétaire, suivant le mot de saint Jérôme[13], accompagne le chef des apôtres dans ses missions. Il se nommait Marc et paraît être le Jean Marc des Actes[14].

Il se mit à la suite de Pierre, vers l’an 42, lorsque celui-ci, persécuté par Hérode Agrippa, dut s’éloigner de Jérusalem. C’est à Rome même qu’il vint annoncer l’Évangile. Sa prédication y obtint un succès extraordinaire. Les frères voulurent avoir un souvenir écrit de la parole de l’apôtre; sur leur demande, Marc écrivit son Évangile. L’apôtre approuva l’œuvre, qui, revêtue de son autorité, fut lue désormais par toute l’Église, ainsi que l’atteste saint Clément, au sixième livre de ses Hypostases[15].

L’antiquité est unanime à affirmer ces faits[16].

En comparant ce second Évangile au premier, dans une vue d’ensemble, on voit qu’il s’en distingue d’abord par sa brièveté. Tout l’élément judaïque de saint Matthieu, tout ce qui, dans l’histoire de Jésus, avait été relevé à l’adresse des Juifs comme preuve qu’il était le Messie d’Israël, est écarté : la généalogie davidique, les faits de l’enfance, le discours sur la montagne, dans lequel la loi nouvelle du Messie s’oppose aux imperfections de la loi ancienne et aux traditions, aux doctrines erronées des Rabbins, les nombreuses paraboles du Royaume de Dieu. On voit qu’il s’adresse à des lecteurs qui ignorent les usages des Juifs[17].


C’est la vie publique de Jésus-Christ, Fils de Dieu, qu’il raconte. Ces retranchemens considérables ont fait nommer cet Évangile un abrégé, et saint Marc l’abréviateur[18].

Il ne faudrait pas forcer l’expression jusqu’à méconnaître l’originalité réelle du second Évangile. Évidemment, il a été composé d’après le premier; sauf les retranchemens que nous venons de signaler, la ressemblance pour le choix et l’ordre des faits est incontestable. Saint Marc a dû avoir sous les yeux l’Évangile araméen de saint Matthieu, et il s’en est servi pour rédiger le sien en langue grecque. Mais, dans le récit des faits, son originalité se montre. Une comparaison attentive dénote qu’il est renseigné par ailleurs et qu’il a entendu son maître, l’apôtre Pierre. C’est à cette source surtout qu’il a dû puiser les détails nouveaux qu’il relève, la connaissance plus complète des noms, des lieux, en un mot tout ce qui caractérise son œuvre.

L’Évangile de saint Marc n’a pas, comme celui de saint Matthieu, une tendance apologétique. Il n’a point été conçu ni rédigé pour démontrer la messianité de Jésus. Il n’est que le récit populaire de sa vie publique en Galilée, du dénoûment tragique de cette vie, et de sa résurrection triomphante à Jérusalem.

Il est cependant la bonne nouvelle du Fils de Dieu, et il prouve implicitement la divinité de Jésus. Il contient aussi, dans sa forme historique, la prédication apostolique, telle que Pierre et tous ses collègues la pratiquaient, lorsqu’ils venaient annoncer aux populations païennes de l’Empire le nom du Sauveur, le seul qui, sous le ciel, eût été donné aux hommes[19]. Les faits tiennent plus de place que les discours. La puissance de Jésus, auquel tout obéit, est plus en relief que ses enseignemens. Cependant ses souffrances, sa condamnation par les Juifs, l’ignominie de sa passion et de sa croix n’y sont point voilées. Les apôtres ne rougissent pas de leur Maître ; ils savent que son sang versé au Calvaire est le moyen voulu pour régénérer l’homme et glorifier Dieu dans le Christ.

On se ferait une idée fausse et incomplète de l’activité ardente des chrétiens dans les premières années de l’Eglise, si on oubliait le zèle avec lequel ils cherchèrent à connaître la vie de celui à qui ils avaient donné leur foi et qu’ils adoraient comme le Messie, le Sauveur, le Fils de Dieu.

Enflammés par la prédication des apôtres, ils s’inspiraient des moindres paroles et des actes de Jésus. Beaucoup, parmi les disciples et les néophytes, s’efforçaient de fixer par écrit ce qu’ils avaient entendu de la bouche même des témoins. L’Evangile araméen de saint Matthieu semble avoir été plus particulièrement le centre de ce mouvement[20]. On l’interprétait, on le traduisait, on essayait d’y apporter de nouveaux détails et de lier les faits dans un ordre plus conforme à la réalité de l’histoire. Les fruits de cette activité littéraire ne sont pas parvenus jusqu’à nous; tous ces livres auxquels fait allusion un des Évangiles[21] ont disparu, comme tant d’œuvres imparfaites qui ne s’imposent pas à l’attention et qui, sans doute, n’ont pas la force de survivre au milieu dans lequel elles sont nées.

Lorsqu’un besoin réel, légitime, travaille un ensemble d’hommes, il trouve presque toujours un esprit plus vigoureux qui sait y répondre.

L’Église naissante appelait un écrit qui lui donnât un tableau plus complet de l’histoire du Christ. Un païen d’Antioche, peut-être un Juif, un converti de l’apôtre Paul, à coup sûr, un homme qui n’était pas sans culture et qui passe pour avoir enseigné la médecine à Antioche même, entreprit.de répondre à ce besoin des premiers fidèles. De là le nouvel Évangile qui vint s’ajouter à celui de l’apôtre Matthieu et de Marc, le disciple de Pierre. Saint Paul a loué cette œuvre dans une de ses lettres[22]. Elle se répandit dans toutes les Églises, et elle fit connaître un grand nombre de faits et d’enseignemens qui n’avaient pas été consignés dans les écrits antérieurs.

Saint Luc comble leurs lacunes. Le tiers de ses récits lui appartient en propre, et notamment cinq miracles et douze paraboles[23]. Toute sa préoccupation est de se renseigner auprès des témoins qui ont tout vu dès l’origine et qui ont été établis les ministres de la parole. Disciple de Paul, compagnon de ses voyages[24], collègue de Barnabé, l’un des soixante-douze, il est venu à Jérusalem[25]], il a interrogé les apôtres Pierre, Jacques le Mineur, qu’on appelait le frère du Seigneur, et Jean, le disciple aimé. Il a connu certainement la famille de Jésus et sa mère, et la parenté de Jean-Baptiste. Il a eu sous les yeux les divers écrits auxquels il fait allusion dans la préface de son œuvre, et sûrement les Évangiles de Matthieu et de Marc. Il est invraisemblable, en effet, que de tels documens, revêtus de l’autorité des apôtres et, à ce titre, vénérés par tous les fidèles, n’aient pas été dans ses mains. Il les a évidemment complétés par ses récits de la naissance de Jean et de l’enfance de Jésus, récits empruntés sans doute à une source plus ancienne, comme en témoigne leur style tout hébraïque.

Il les complète encore dans ces riches épisodes dont la vie errante de Jésus a été semée, pendant une période de quatre ou cinq mois, du jour où il quitte la Galilée, n’ayant plus où reposer sa tête, jusqu’à son entrée triomphale à Jérusalem.

Les deux premiers Évangiles sont muets sur cette phase importante. Il les enrichit encore dans son récit de la Résurrection et dans celui-de l’Ascension par lequel il ouvre son livre des Actes.

Mais l’originalité du travail de saint Luc est dans le lien chronologique qu’il essaie d’établir entre les faits et surtout dans l’esprit qui préside au choix des faits.

Le lien chronologique, bien que imparfaitement renoué, nous permet cependant de fixer la date de la naissance de Jésus, sous Hérode, et l’inauguration de son ministère galiléen à la quinzième année de Tibère, ce qui serait impossible avec saint Matthieu seul. L’esprit qui l’anime, on ne saurait le caractériser mieux qu’en l’appelant l’esprit même de Paul.

Au moment où saint Luc écrivait, un fait nouveau se produisait dans l’Église naissante. L’Évangile, combattu par les Juifs, rencontrait chez les païens une faveur prodigieuse. Le peuple accourait en foule à l’appel des envoyés et surtout de celui qui s’intitulait l’Apôtre des Gentils. C’était un entraînement. À côté du Juif défiant, toujours revêche et persécuteur, on voyait le païen docile et empressé. La prophétie de Jésus s’accomplissait visiblement : le Royaume allait être enlevé au peuple élu et transporté au peuple abandonné de Dieu. L’Évangéliste était témoin de cette nouveauté, et, sur les traces de son maître Paul, il travaillait à la conversion des Gentils. Au sein de l’Église, des dissensions s’étaient élevées, les Juifs convertis ne voyaient pas toujours d’un bon œil les nouveaux frères païens ; ils se prévalaient contre eux de leur titre de fils d’Abraham, se défendant mal d’un orgueil secret contre ces incirconcis. Ils eussent voulu les asservir aux prescriptions de la Loi ; mais les païens résistaient. La Loi était finie. Le Royaume de Jésus brisait ses vieilles attaches. Saint Paul défendait la liberté des enfans de Dieu, affranchis désormais de toute tutelle légale, de ce culte imparfait qu’il appelait les élémens de ce monde[26]. La vie du Maître était pleine de faits où ce nouvel état de choses était prophétisé, justifié : il fallait les produire.

L’Esprit vivant qui veillait sur les apôtres inspira saint Luc, comme il avait inspiré saint Paul ; et en lisant le troisième Évangile, on y trouve le Christ, Sauveur universel, tel que les païens devaient le voir, tel que Paul le prêchait, et tel qu’il s’était montré lui-même dans sa vie publique. Il recueille avec soin un grand nombre de traits omis par le premier Évangile, et qui, tout en humiliant les Juifs, pouvaient inspirer confiance aux païens : le salut promis au publicain Zachée et au bon larron, le pardon accordé à la pécheresse publique et au prodigue, la préférence donnée au publicain sur le Pharisien ; il vante le Samaritain, l’excommunié miséricordieux, en l’opposant au prêtre et au lévite sans entrailles ; il fait l’éloge de plusieurs païens, il montre Jésus priant pour ses bourreaux, convertissant le bon larron et le centenier romain.

Saint Luc a ainsi écrit les scènes les plus touchantes de la vie de Jésus, qu’il se plaît, à l’exemple de son maître Paul, à nommer « le Seigneur. » Si Marc est l’Évangéliste de la puissance, Luc est l’Évangéliste de la miséricorde et de la bonté. L’antiquité, dans sa prédilection pour les symboles, a donné à Marc le lion comme emblème, et à Luc, la victime, le taureau qu’on égorge. À toutes les pages de son œuvre, on reconnaît Celui qui sauve et qui pardonne, ce « Fils de l’homme, venu, non pour perdre, mais pour sauver, non pour juger, mais pour pardonner. »

L’ouvrage a été sûrement composé avant les Actes, qui en sont la continuation ; et comme ces derniers s’arrêtent à la fin du second séjour de Paul à Rome, il faut placer la rédaction de l’Évangile avant l’année 64.

La persécution de Néron contre les chrétiens obligea Luc à fuir la capitale de l’Empire, où Paul mourut ; et l’Évangile qu’il y avait écrit lut emporté par lui en Achaïe et en Béotie, où il avait cherché refuge[27].

Vers la moitié du Ier siècle, lorsque l’esprit qui animait l’Église la dilatait, emportant ses apôtres à la conquête de l’Empire, à travers les provinces d’Asie et de Grèce, la foi naissante n’y rencontra pas seulement l’hostilité des Juifs, elle se heurta aux doctrines païennes et à la kabbale juive, à cet ensemble d’opinions qui formaient la sagesse des civilisés de ce temps. Cet obstacle était plus redoutable que les persécutions : celles-ci n’atteignaient que le corps, tandis que la philosophie humaine pouvait corrompre la foi et la parole de Jésus.

Parmi les convertis du paganisme, beaucoup étaient imbus de cette fausse sagesse. Tous les siècles et toutes les civilisations se ressemblent. L’homme n’échappe jamais aux influences de son milieu, il en subit les doctrines, comme il en subit les mœurs, même sans raisonner et, le plus souvent, sans les comprendre.

Les doctrines qui composaient alors l’atmosphère intellectuelle, religieuse et morale, ont pris un peu plus tard le nom de gnosticisme : mélange confus de monisme, de panthéisme, de dualisme, de fatalisme, de théurgie et d’ascétisme bizarre, amalgame de spéculations sur le principe des choses et sur l’univers.

Deux courans dominaient : l’un partait d’un monisme outré qui flattait la doctrine unitaire des Juifs ; l’autre s’inspirait d’un dualisme irréductible.

Ceux qui suivaient le premier concevaient Dieu comme une unité transcendante et abstraite, dégagé de toute relation avec le monde et impénétrable en lui-même.

L’univers était le produit de forces intermédiaires, impersonnelles, émanées du principe silencieux et inconnu. L’une de ces forces, l’un de ces Éons, comme on les appelait, était le Logos ou Christ supérieur. Il s’était uni, un instant, à Jésus. La Rédemption, d’après eux, se réduisait à ceci : Jésus avait annoncé la Vérité ou le Dieu inconnu, il avait vaincu les puissances cosmiques, souveraines de ce monde qui paralysaient l’effort de l’être pneumatique ou spirituel vers l’être primitif. On n’était pas racheté par la foi en Jésus ni par les mérites du Rédempteur divin, mais par la Gnose, ou la connaissance de Dieu, des esprits ou Eons, de l’humanité et de leurs rapports. Il suffisait à l’homme d’être initié à la Gnose : cette initiation faisait de lui un être pneumatique.

D’après les dualistes, qui renouvelaient la doctrine des Perses, le monde est sous l’influence de deux forces opposées, émanées des profondeurs de l’Être : la lumière et les ténèbres. Le monde matériel est sorti des ténèbres, il est mauvais en soi ; mais la lumière triomphera et finalement délivrera les parcelles brumeuses captives dans les corps. Jésus, pour ces hérétiques, était vraiment le Christ, le Fils de Dieu en personne, mais ils niaient qu’il se fût véritablement incarné[28]. Il est facile de concevoir quels dangers la parole des apôtres devait courir en présence d’esprits qui, au lieu de la recevoir comme des enfans, suivant la volonté de Jésus, ne songeaient qu’à l’interpréter selon leurs opinions. Saint Paul, le fondateur de presque toutes les Églises d’Asie-Mineure, avait prophétisé le péril et mis en garde les chefs des communautés[29] contre ces maîtres qui viendraient corrompre la foi. De son vivant déjà, il les avait vus à l’œuvre ; il signalait leur perversité[30], et dénonçait leur science mensongère[31].

Ce péril est de tous les siècles cultivés. La plus grande difficulté pour l’homme est de se soumettre simplement à l’Évangile, et sa plus grande tentation est de vouloir le transformer à son gré, suivant ses propres systèmes.

Les gnostiques nient la divinité du Christ, en le réduisant au rôle d’Éon ou de force inférieure à Dieu. Ils méconnaissent le rapport essentiel et véritable qui relie Jésus à son Père, ils s’offusquent de son humanité qui le met en contact avec la matière, le principe du mal selon eux ; et ils la réduisent à une pure apparence. Ils refusent au Fils de Dieu et à celui qui s’est ainsi nommé une personnalité propre. Les Juifs convertis, connus sous le nom de Judaïsans, partagent quelques-unes de ces erreurs qui, en détruisant le Christ, ruinent par là-même toute son œuvre. Ébionites et Docètes se liguent, niant les uns l’humanité réelle, les autres la divinité de Jésus, et menacent le Christianisme dans son berceau. L’un de ces hérétiques était Cérinthe ; Irénée nous a conservé les grandes lignes de sa doctrine[32], c’est la doctrine même des Ébionites ; il ne voit en Jésus qu’un homme, dans lequel, au moment du baptême, un démiurge, un Éon, appelé Christ, est descendu. Un autre de ces faux docteurs était le diacre Nicolas, dont les mœurs déréglées s’alliaient aux spéculations les plus insensées sur la nature de Dieu, sur la création et les rapports entre Dieu et l’univers[33].

C’est pour combattre ces erreurs que l’un des apôtres écrivit un quatrième Évangile[34]. Cet apôtre est Jean, le disciple bien-aimé. Tous les chefs des églises d’Asie, l’apôtre André à leur tête, l’en prièrent[35]

Nul mieux que lui n’était capable d’attester la vérité.

Il n’oppose point une doctrine humaine, un système philosophique, à des doctrines humaines, à de vains systèmes de philosophie. Il n’est pas un philosophe, il est un témoin. Il ne connaît que la parole de son Maître, et il ne dit que ce qu’il a entendu. Tandis que saint Paul, dans ses épîtres, raisonne et discourt sur les faits évangéliques, sur la doctrine du Christ, sur l’œuvre de la Rédemption, sur sa mort et sur sa résurrection, saint Jean, recueillant ses souvenirs, inspiré par l’Esprit dont il était éclairé et qui lui suggérait, comme Jésus l’avait promis à ses fidèles, tout ce qu’il fallait dire, saint Jean rend témoignage : tout ce qu’il rapporte a un but, un seul but, établir la foi en Jésus-Christ, Fils unique de Dieu, source de la vie éternelle.

Il ne s’agit plus de démontrer par l’histoire, comme l’ont fait saint Matthieu, saint Marc et saint Luc, que Jésus est le véritable Messie promis aux Juifs, et le Sauveur de toute créature par le repentir et la foi ; il s’agit de déterminer la vraie nature divine de « Celui qui est apparu dans la chair. »

Qu’est-ce que le Fils de Dieu ? Quels sont ses rapports avec l’Être divin qu’il nomme son Père ? Qu’est-il venu accomplir en ce monde ? En quoi consiste le salut dont il est l’auteur ? La réponse à ces questions est tout le quatrième Évangile. Ce n’est pas Jean qui parle, c’est Jésus même ; car lui seul pouvait nous renseigner sur sa vraie nature divine. Le mot par lequel l’Évangéliste ouvre son écrit et qui forme le résumé de tout ce qu’il va rapporter, est ce mot de Parole, de Verbe, de Logos. « Dans le Principe était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. Oui, le Verbe était, dans le Principe, auprès de Dieu. Toutes choses ont été faites par lui, et sans lui rien n’a été fait de ce qui a été fait. En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes, et la lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point comprise[36]. »

Cette expression qui traduit son Être divin, Jésus ne se l’est jamais donnée dans les discours que saint Jean lui-même rapporte. Elle n’a rien de commun avec le νóος des Grecs, le Verbe de Platon et de Philon l’Alexandrin ; elle rappelle plutôt « la parole » des Prophètes et la sagesse personnelle des Proverbes et des Livres sapientiaux. Peut-être Jésus l’a-t-il révélée à ses apôtres, lorsqu’il leur ouvrit l’intelligence des Écritures[37]. Aucune ne rend mieux ce qu’il est ; elle implique son origine éternelle du sein du Père, où le « Logos » est toujours vivant, sa distinction du Père d’où il émane, dans l’égalité d’une même vie, et le rapport de Dieu avec ce monde créé par le « Logos, » conduit par le Logos à travers le temps, et sauvé par le « Logos » fait chair. Toute la théodicée est fondée sur cette idée ; et il a suffi du mot divin qui l’exprime, pour mériter à saint Jean d’être appelé le Théologien et le Théosophe.

Comment le Verbe, Fils unique du Père, s’est-il révélé dans sa vie humaine ? Les Évangélistes répondent à leur manière : les trois premiers nous l’apprennent par le récit de ses enseignemens et de ses actes. Il enseignait, remarquent-ils, comme un Maître absolu, remettait les péchés, comme Dieu, et commandait à la nature, comme Celui qui n’a pas de supérieur, par sa force propre. Le quatrième Évangile nous instruit par les discours directs dans lesquels Jésus atteste lui-même sa préexistence, son origine éternelle, sa communauté d’essence avec le Père, sa puissance d’éclairer, de créer, de sauver, de donner la vie, de juger comme le Père.

Et, afin qu’il soit bien établi que ces discours ne sont point des compositions artificielles, ils ont été encadrés dans des faits précis, déterminés comme temps, comme lieu, avec un soin particulier, une intention marquée. La plus transcendante des révélations est ainsi présentée sous une forme sensible et populaire qui permet de lire la vérité divine dans des images saisissantes comme Jésus se plaisait à la montrer[38].

Les faits que l’Évangéliste rapporte sont tous, à l’exception de deux, — la multiplication des pains au désert de Bethsaïde, et la marche de Jésus sur les eaux du lac, — empruntés à des périodes de la vie de Jésus omises par les trois premiers Évangélistes. Le miracle des eaux montre en Jésus la puissance de transformer les substances, égale à la puissance qui les crée. La guérison à distance du fils de l’officier de Capharnaüm prouve que la parole de Jésus est souveraine et qu’elle agit malgré l’espace. La multiplication des pains accuse sa force créatrice ; sa marche sur les eaux et la tranquillité imposée à la tempête, son autorité absolue sur la nature ; la guérison du paralytique de Béthesda révèle que le mal le plus invétéré ne lui résiste pas ; l’aveugle-né atteste qu’il est le principe de la lumière, et la résurrection de Lazare démontre qu’il est le Maître de la mort et de la vie.

Ses discours, tels que Jean les rapporte, par fragmens, ne sont que l’expression de sa nature divine, de sa vie intime, de ses rapports avec le Père, de son égalité absolue avec lui, en essence, en pouvoir, en activité. Sans doute, il tient tout du Père ; mais cette origine, en établissant sa distinction personnelle du Père, est sans préjudice de son égalité absolue, puisque le Père lui a tout donné dès l’éternité, en l’engendrant comme son Fils unique. Et en révélant ces mystères intimes, on remarquera que Jésus n’émet aucune doctrine, il atteste seulement des faits intérieurs dont il a la conscience totale, des faits transcendant, puisqu’ils constituent la vie même de Dieu[39].

il donne enfin la révélation la plus profonde de son œuvre, qui consiste à communiquer à tous ceux qui croient, l’Esprit de son Père et le sien. C’est l’idée qu’on retrouve au fond des paraboles que l’Évangéliste a rapportées. L’Eau vive dont il parle à la Samaritaine, le Souffle mystérieux dont il est question dans l’entretien avec Nicodème, la Source jaillissante du rocher, la Lumière qui éclaire le monde, le Berger qui conduit les brebis et qui les mène aux pâturages, tous ces symboles expriment l’Esprit mystérieux et divin de Jésus, la force par laquelle son œuvre s’accomplit dans le secret des âmes et dans l’humanité.

Il n’y a, dans ces discours religieux, aucune métaphysique abstraite. Jésus, tel que le révèle saint Jean, n’est pas plus un philosophe que le Jésus des trois premiers Évangiles. Il ne vient pas démontrer la vérité par des raisonnemens ni exposer un système religieux. Sa parole est l’expression pleine, vivante, adéquate de ce qui est ; la loi morale, c’est sa volonté et son esprit ; Dieu, pour lui, c’est l’Être vivant, aimant, tout-puissant, le Père ; il en traduit en langue humaine, non pas la conception intérieure qu’il s’en fait par une vue systématique, mais la réalité dont il a la perception immédiate.

Les trois premiers Évangiles racontent ce qui se voit en Jésus, le quatrième ce qui ne se voit pas. Mais comme le visible a toujours sa cause invisible, les faits des synoptiques ont leur cause cachée dans le Dieu invisible qui est en Jésus et que saint Jean révèle. Les uns nous montrent le Dieu vivant parmi les hommes, semblable à eux, l’autre nous parle de ce qu’il est en lui-même, dans le sein du Père.

Les premiers Évangiles montrent l’homme en Jésus, le quatrième révèle le Dieu. Tous, même les profanes, peuvent lire les uns : l’autre est réservé aux initiés que l’éternelle Lumière éclaire. Le génie, laissé à ses pauvres clartés humaines, ne le comprendra pas, mais les âmes simples l’entendront, malgré sa sublimité ; et quiconque l’ouvre doit se souvenir de la parole du Maître : « Bienheureux les cœurs purs, ils verront Dieu. »

L’authenticité du plus divin des Évangiles n’a jamais été niée parmi les anciens. Une seule secte obscure, les Aloges, l’a répudié, mais elle n’invoque aucun témoin, et ne s’appuie que sur des raisons dogmatiques. Ceux qui niaient le Verbe ne pouvaient accepter l’Évangile du Verbe.

Presque tous les Pères apostoliques en contiennent des citations très soigneusement relevées par le docteur Funk[40].

On ne peut rien opposer au témoignage d’Irénée, disciple de Polycarpe, disciple lui-même de saint Jean, attestant l’existence de l’écrit johannique[41].

Il a été rédigé en grec, à Patmos, suivant les uns, à Éphèse, suivant d’autres. La tradition est incertaine sur ce point, de même que sur l’époque exacte de la rédaction. Il est vraisemblable que l’Apôtre l’écrivit dans sa vieillesse, alors que, seul survivant des témoins directs de la vie et de la doctrine de Jésus, il fut prié par tous les évêques des Églises d’Asie-Mineure d’élever sa grande voix pour confondre les négations naissantes dont la nature de Jésus était l’objet et qui se sont multipliées pendant six siècles, toujours vaincues par le témoignage du quatrième Évangile.

Quant au silence de Papias, il n’est plus possible d’en tirer un argument contre le quatrième Évangile. Un nouveau fragment de l’évêque d’Hiéropolis, cité par Thomasius (I, 344) et que j’emprunte au docteur Aberle[42], témoigne qu’il connaissait l’œuvre de l’Apôtre.

D’ailleurs, l’authenticité des quatre Évangiles canoniques est une question désormais tranchée.

Il est prouvé par le fragment du canon de Muratori que, sous le pontificat de Pie Ier, en 142, il existait quatre Évangiles, que l’Église romaine n’en reconnaissait pas d’autres, qu’elle les lisait dans l’ordre même où ils sont classés aujourd’hui, qu’elle les tenait pour inspirés de Dieu, écrits par un seul et même Esprit.

Il est prouvé, par une comparaison savante et détaillée, que tous les Évangiles peuvent être reconstitués, fragmens par fragmens, mais intégralement, à l’aide des citations recueillies dans les ouvrages des Pères du Ier et du IIe siècle, depuis l’auteur de l’Épître de Barnabé jusqu’à Tertullien et Irénée.

Il est prouvé que non-seulement dès le milieu du IIe siècle, en 150, il existait déjà une version latine des Évangiles, la vieille Italique, mais qu’avant elle il y en avait déjà deux : l’une en Afrique, l’autre en Italie. Il est prouvé, grâce à la découverte de M. Cureton, qu’avant la vieille Italique il existait une version syriaque, la Peschito; qu’elle avait été traduite en grec, et que le traducteur de l’Italique avait sous les yeux cette traduction grecque portant en marge des variantes syriaques auxquelles il s’est surtout référé. Il est prouvé ainsi que les traductions sont contemporaines des originaux.

Il est prouvé enfin, par la découverte du Codex Sinaïticus de M. G. Tischendorf, qu’à l’époque même où, selon Tertullien, le manuscrit autographe des Évangiles était encore conservé dans les Églises apostoliques, il existait une copie contemporaine. Cette copie nous est offerte dans le Codex Sinaïticus, antérieur aux corrections des manuscrits exigées officiellement par Constantin.

Ainsi on est en droit de conclure que les Évangiles existaient dès le Ier siècle et qu’ils existaient tels que nous les possédons. A défaut des manuscrits originaux, autographes, nous avons du moins des traductions contemporaines. La critique est satisfaite. Entre elle et la tradition de l’Église, sur ce point essentiel, l’harmonie est totale.


IV.

Le premier caractère de ces documens, c’est d’être, avant tout, au sens le plus rigoureux et le plus précis, des témoignages. Ils ne discutent pas, ils n’exposent pas des idées, des théories; ils n’expliquent, pas ; ils racontent des faits, ils rapportent des paroles, ils les affirment. De là, leur impersonnalité. L’auteur disparaît devant les choses. S’il se révèle quelquefois, par exemple dans le prologue du troisième Évangile ou dans le quatrième, avec une réserve extrême, c’est pour déclarer qu’il n’est qu’un témoin, qui s’est renseigné sur tout et qui a vu ou entendu ce qu’il écrit.

On ne surprend pas l’expression des sentimens intimes dont ces écrivains débordaient en peignant la vie de leur Maître. Aucun enthousiasme, aucun cri d’admiration, aucune réflexion propre. Ils se souviennent : voilà tout, et ils écrivent leurs souvenirs selon que l’Esprit les leur suggère ou que d’autres témoins peuvent leur permettre de les mieux préciser.

Certains événemens ont plus frappé les uns que les autres ; le récit en est plus détaillé, plus vivant, plus frais de couleur. Les circonstances dans lesquelles chacun des Évangélistes a écrit ont été aussi l’une des causes positives du triage et du choix des faits et des paroles sans nombre qu’ils avaient pu voir ou entendre dans la vie de leur Maître. Le cercle des lecteurs auxquels ils s’adressaient n’a pas peu contribué non plus à modifier leur œuvre. Ils ne pouvaient parler à des Juifs niant la messianité de Jésus comme à des païens sans préjugé juif ; à des simples sans culture comme à des convertis, nourris dans la Gnose judaïque ou grecque ; à des Églises où les Juifs prétendaient allier la liberté évangélique avec la servitude légale comme à des Églises affranchies de ces questions irritantes. Celui qui avait été admis, dès la première heure, à l’intimité du Maître, qui avait concentré dans son âme aimante les meilleures confidences de Jésus, qui, plus que tout autre, avait été frappé par les entretiens où il révélait sa nature divine, sa filiation éternelle, les profonds mystères de la foi et du salut par l’Esprit, devait évidemment laisser passer dans son témoignage une suavité, une tendresse, un charme, une vivacité de souvenir que nul autre n’égale. Mais toutes ces différences s’évanouissent dans un fait supérieur et dans une unité plus haute.

Tout, dans l’œuvre de chaque Évangéliste, vient de Jésus. C’est lui et lui seul qu’on voit vivre, lui seul qu’on entend. Le discours sur la montagne, les paraboles, les discussions avec les Pharisiens et les Sadducéens, les instructions aux douze apôtres et aux soixante-douze disciples, les anathèmes contre les faux docteurs, la prédiction de la ruine du Temple et de Jérusalem, les annonces répétées de sa passion future et de sa mort, ses entretiens avec la Samaritaine et avec Nicodème, les affirmations solennelles de sa messianité, à la face des grands de Jérusalem, sous le portique de Salomon, les déclarations prodigieuses de sa nature divine, de son égalité avec le Père, de sa fonction messianique symbolisée par le rocher de l’Horeb, par les lumières de la fête des Tabernacles, par tous les grands faits de l’histoire juive et par le culte qui rappelait les faits : tout est la parole de Jésus. Prétendre que les Évangélistes, et notamment le quatrième, auraient prêté des discours à leur Maître, l’auraient fait parler, comme Tite-Live les généraux romains, c’est leur enlever le seul titre dont ils se réclament tous formellement ; c’est méconnaître le respect infini qu’ils portaient à leur Maître ; c’est ébranler et contredire, sans aucun motif positif, la tradition universelle, ininterrompue ; c’est faire mentir celui qui a dit avec une insistance solennelle : « Ce que nous avons vu, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé, ce que nos mains ont touché du Verbe de la Vie; — oui, la Vie s’est manifestée, et nous avons vu, et nous attestons et nous annonçons la Vie éternelle, celle qui était auprès du Père, et elle nous est apparue, — Ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons[43]. »

On s’explique ainsi comment ces pêcheurs de Galilée, ces natures incultes, ont pu écrire un livre pareil aux Évangiles : ils n’ont eu qu’à se souvenir. S’ils avaient composé un dialogue à la Platon, ou quelque traité à la Philon d’Alexandrie, on aurait cru à leur génie; et leur génie eût paru suspect. Ils auraient mis de leurs idées et de leur création dans l’œuvre. Mais ils ne savaient rien. Tout ce qu’on peut remarquer en eux, c’est que, sous l’action constante de Jésus, ils ont dépouillé peu à peu les préjugés populaires de leur race, et accepté, dans une foi pleine, les exemples, la parole de leur Maître. Ils n’existent plus, à proprement dire; c’est leur Maître qui est tout en eux.

Dans bien des cas, je préfère, comme critique, le paysan simple au philosophe subtil et avisé.

Le premier me dira bonnement ce qu’il a vu ; l’autre voudra me l’expliquer. Ce qui intéresse l’historien, c’est d’abord le fait ; l’explication du fait ne vient qu’après. En toute hypothèse, avant d’expliquer les phénomènes, il importe de les constater. Je me délie pour cette opération de l’esprit trop cultivé : il a toujours devant les yeux son système. Il appelle cela un instrument perfectionné. Ne se fait-il pas illusion? C’est un instrument perfectionné pour voir ce qu’on veut et ne pas voir ce qui ne nous convient point.

Le caractère testimonial des Évangiles repose non-seulement sur l’intention expresse des rédacteurs, solennellement formulée par eux, mais encore et principalement sur la volonté de leur Maître : — « Allez, leur a-t-il dit en les quittant, enseignez les nations et apprenez-leur tout ce que je vous ai confié. Je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles[44]. Vous êtes les témoins de ces choses[45]. Vous recevrez la vertu de l’Esprit-Saint survenant en vous, et vous me rendrez témoignage à Jérusalem et dans toute la Judée, en Samarie et jusqu’aux confins de la terre[46]. »

Leur parole ne sera pas un simple souvenir humain, livré aux hasards de la mémoire et de la conscience fragiles ; elle sera gardée, sanctionnée par la vertu de l’Esprit de Jésus vivant en eux, et leur suggérant à l’heure même tout ce qu’il faudra dire[47].

C’est ainsi que l’Église, dans une tradition ininterrompue, a toujours considéré les Évangélistes.

Il suit de là qu’on ne peut distinguer dans leur œuvre un élément propre aux écrivains et un autre propre à celui dont ils écrivent. Tout ce qui est sorti de leur plume appartient à Jésus, soit comme acte de sa vie, soit comme enseignement de sa doctrine. L’acte est plus ou moins nettement, vivement décrit, l’enseignement est reproduit plus ou moins complet ou fragmenté, mais l’un comme l’autre est partie intégrante de la vie et de la doctrine du Maître.

Là est le secret de la beauté, de la simplicité, de la sainteté, de l’immortelle vertu des Évangiles. Ce n’est point l’âme, l’esprit, le génie des écrivains qui ont passé en eux, c’est l’âme, le génie, l’esprit de leur héros. Il vit en eux, agit, parle, émeut, éclaire et sanctifie. Sa douceur rayonne et enveloppe, son attrait charme et attire, ses exemples entraînent ; sa bonté se communique toujours. On marche à sa suite avec les pauvres gens qui lui faisaient cortège, avec les pécheurs et les malades dont il guérissait les plaies visibles et les blessures cachées ; on peut écouter ses leçons, comme il les donnait à la foule, s’asseoir avec elle pour les entendre, au sommet des collines de Galilée ou sur la grève de son lac, l’accompagner dans ses voyages et le reconnaître avec ses fidèles comme le Fils de Dieu. Non, personne n’a parlé avec une telle puissance et répandu plus de bienfaits. Ses confidences intimes à ses disciples, ses adieux, ses derniers entretiens à la veille de mourir nous semblent adressés ; ses douleurs se laissent voir dans leur plénitude effrayante ; son supplice atroce nous fait pleurer comme ses amis au pied de la croix. Son triomphe prodigieux nous rassure ; et, en le voyant quitter la terre dans la gloire de son Ascension, nous nous sentons pleins d’espérance et de force, car il nous laisse, comme à ses disciples fidèles, l’Esprit qui a vaincu le monde et qui fait de nous des enfans de Dieu.

Ces documens gardent une vie, une jeunesse, une fraîcheur éternelles. Ils sont comme le Christ dont ils témoignent. Il était hier, il est aujourd’hui, il sera demain. Le ciel et la terre passeront : son être, sa parole, jamais. Tous ceux qui souffrent peuvent lire les Évangiles, ils y goûteront une consolation ; ceux qui aiment peuvent les méditer, ils y apprendront le sacrifice ; ceux qui veulent le bien peuvent les interroger, ils trouveront là le secret de toute vertu. Les désespérés y verront le salut, et tous ceux qui pensent, s’ils les scrutent d’un cœur droit et simple, seront vaincus par cette sagesse divine qui nous instruit du mystère de Dieu, en nous découvrant les misères de l’homme et le moyen de les soulager. Quelle autre science vaut la peine de vivre?

Il y a, dans l’histoire, deux sortes de documens : les uns sont une lettre morte, les autres sont vivans; les premiers, vrais débris des peuples, des sociétés, des civilisations, des races disparues, pierres et stèles gravées, parchemins et bandes de papyrus couverts d’hiéroglyphes ou de caractères d’une langue inconnue, n’appartiennent plus à personne ; ils sont tombés dans le domaine de tous, et ils n’ont plus l’esprit vivant d’un peuple pour les interpréter; les seconds restent la propriété d’un peuple, d’une société, d’une religion vivante. Ils sont écrits dans une langue qu’on parle et qu’on entend ; ils sont gardés intacts par ceux qui en vivent et qui en connaissent la valeur.

Tous les documens égyptiens, assyriens, phéniciens et autres sont de la première catégorie. Les Évangiles occupent le premier rang dans la seconde. Aucun livre ne mérite mieux le nom de vivant.

Ce qu’ils rapportent est la vie même de millions de consciences qui pensent comme eux, se dirigent d’après eux, se consolent en eux, espèrent par eux. Ils sont nés dans une société religieuse qui les regarde à juste titre comme son bien, ses titres de famille, un de ses plus précieux trésors. Cette société qui, sous le nom d’Église, couvre le monde, présente à tous son Évangile: mais il n’appartient qu’à elle de l’interpréter. Elle en est l’auteur, puisqu’il est sorti d’elle. Qui connaît mieux la pensée d’un livre? N’est-ce pas celui qui l’a conçu?

S’il fallait prouver cette vérité trop simple et cependant méconnue, je dirais à ceux qui l’oublient, à tous les exégètes qui ne font aucun cas de l’Église et de sa doctrine traditionnelle pour arriver au sens des Évangiles : lorsque vous voulez interpréter les documens morts, quelle méthode suivez-vous? Vous essayez de reconstituer le peuple auquel ils appartenaient, vous l’évoquez en quelque sorte, vous le ranimez de ses cendres, et, lorsque vous le voyez vivant devant vous, avec sa langue, ses mœurs, ses doctrines, avec toute son histoire, vous hasardez la lecture du document, et vous en donnez timidement l’interprétation, car la résurrection historique d’une civilisation finie, d’un peuple anéanti, est toujours imparfaite. Or, les documens évangéliques ne sont pas des documens morts, ils appartiennent à un peuple vivant, très vivant, qui grandit toujours, qui parle, qui enseigne, qui ne cesse de les interpréter, de les lire et de les raviver. De quel droit les traiter comme un simple papyrus découvert dans le tombeau de quelque momie, ou comme un vieux parchemin oublié dans les archives d’une ville dévastée ?

Si les Égyptiens de Ramsès revenaient aux bords du Nil, ils seraient, je pense, les meilleurs interprètes de leurs écritures : les égyptologues ne feront aucune difficulté de le reconnaître. En bonne critique, et sans invoquer pour l’Église catholique l’autorité infaillible qu’elle tient de son Maître dans la conservation et l’interprétation de la foi, je demande qu’on la traite comme toute société vivante et intelligente, et qu’on veuille bien admettre qu’elle est mieux que personne en mesure d’expliquer ses propres livres.

Ce droit reconnu , je ne fais aucune difficulté d’appliquer aux documens restés vivans malgré leur antiquité séculaire, la méthode qui consiste à replacer ces livres dans le milieu qui les vit se produire, et d’emprunter à la connaissance de ce milieu des élémens de grande valeur pour les mieux comprendre.

Qu’on me permette un exemple. Il y a, dans les auteurs évangéliques, une expression significative dont l’interprétation est d’une importance majeure : c’est l’expression Fils de Dieu, appliquée à Jésus.

Les critiques modernes qui étudient les Évangiles comme un simple Hérodote ou un Tite-Live, disent justement que la locution a divers sens et qu’elle se prend quelquefois au sens métaphorique et moral, et qu’à ce point de vue, elle peut s’appliquer et s’applique de fait à des hommes.

Ils ajoutent : c’est dans ce sens qu’on doit l’appliquer à Jésus.

La question est de savoir comment Jésus voulait qu’on la lui appliquât, et de quelle façon les apôtres la lui ont donnée.

C’est une question de fait et de témoignage. L’Église, gardienne de la tradition des apôtres, redisant avec eux et après eux, d’âge en âge, ce qu’ils ont enseigné, l’Église affirme que le titre de Fils de Dieu a toujours été, depuis saint Pierre qui le lui a donné le premier, jusqu’aujourd’hui, un titre impliquant non pas une filiation métaphorique et morale, mais une filiation absolue, dans l’identité d’une même nature divine.

Que peut prouver l’exégèse en opposition avec un tel témoignage ? Certes, la raison est libre de refuser sa foi à la parole de l’Église comme à celle des apôtres et à celle de Jésus; mais je ne comprends plus qu’elle vienne dire aux auteurs des livres eux-mêmes, ou, — ce qui est la même chose, — aux gardiens fidèles de ces ouvrages : Vous ne savez pas ce que vous écrivez et ce que vous lisez. — En vérité, qu’en peut-elle connaître?

Entendue au sens catholique, l’expression peut paraître étroite ou choquante à certains esprits ; mais si Jésus l’a acceptée au sens catholique, l’historien n’a qu’à le consigner, et il fausse l’histoire, s’il s’y refuse.


V.

Un autre caractère des documens évangéliques, c’est le nombre, la variété et leur indissoluble harmonie.

Le nombre est nécessaire à la valeur du témoignage : il la garantit, il la confirme. Quatre témoins ont plus de poids qu’un seul, lorsque leur parole, malgré les différences individuelles, reste concordante.

La variété n’importe pas moins ; le nombre n’existerait pas sans elle. Quatre témoins racontant la même chose en termes toujours identiques se confondraient en un. La validité du témoignage exige des dépositions qui s’accordent sur le fond et qui se diversifient dans le détail, sans pourtant se contredire. Les récits évangéliques, comparés, présentent ce caractère. L’histoire de Jésus, composée tout entière avec ces récits fondus, en donnera la preuve au lecteur ; je ne puis mieux faire que de le renvoyer à l’ouvrage. Je dois le prévenir cependant que j’ai examiné avec une attention scrupuleuse les oppositions contradictoires que certains critiques ont prétendu voir dans la narration multiple des quatre Évangélistes ; jamais je n’ai pu les découvrir. À la vérité, je me suis défendu de reconnaître un seul fait lorsque les détails me prouvaient qu’il y en avait deux, et ainsi, bien des contradictions se sont évanouies. Je citerai, comme exemple, la question des aveugles de Jéricho. J’admets deux miracles, l’un à l’entrée de la ville, l’autre à la sortie ; mais je demanderai aux exégètes qui n’ont voulu en voir qu’un seul, sur quel motif ils appuient leur sentiment. Si, d’après saint Luc, certain aveugle fut guéri lorsque Jésus arrivait, pourquoi récuser son témoignage ? et si, d’après saint Matthieu et saint Marc, deux autres, dont l’un est appelé Bartimée, furent guéris lorsque Jésus partait, pourquoi récuser leur récit ? La tradition était confuse, répondent-ils : de là la confusion des narrateurs. Qu’en savent-ils ? et comment peuvent-ils l’établir ?

Je citerai encore les deux généalogies de Jésus, celle de saint Matthieu (I, 1-16) et celle de saint Luc (III, 23-38). Elles se contredisent, dit-on ; si la première est vraie, la seconde ne l’est pas ; et inversement, si la seconde est authentique, la première ne peut l’être.

La déduction serait incontestable, à la condition de ne pas s’appuyer sur une hypothèse erronée. Pourquoi les deux généalogies ne seraient-elles pas vraies l’une et l’autre? Il suffirait simplement qu’elles fussent différentes, que la première donnât les ascendans de Jésus par Héli dont Joseph est l’héritier légal : ce que fait saint Luc ; et que la seconde énumérât les ascendans de Joseph par Jacob, selon la paternité naturelle: ce que fait saint Matthieu. On appelle cela un expédient. Pourquoi? j’ai autant et plus de droit de le considérer comme de l’histoire.

Une condition essentielle pour comprendre l’harmonie des quatre documens évangéliques est de se faire une idée exacte du rôle des écrivains qui les ont rédigés. Ils ne prétendent pas tout dire, en rapportant un fait ou un discours. Ils notent quelques traits, quelques fragmens, et cela suffit à l’histoire.

Ce que l’un voit de profil, l’autre peut le voir de face. Tel détail a frappé celui-ci, tel autre celui-là. Il résulte de cette liberté laissée aux narrateurs, des omissions plus ou moins volontaires, des tableaux plus ou moins complets ; on serait mal venu dès lors, en les comparant, d’arguer de l’omission d’un détail à la fausseté de ce détail dans le récit qui le contient. Le rôle vrai du critique impartial, dans la comparaison des documens, est de les compléter l’un par l’autre.

Les différences qui se remarquent entre les quatre Évangélistes ont des causes multiples et précises que je me bornerai à signaler sommairement : elles s’expliquent toutes, pour peu qu’on réfléchisse, par la personne même du rédacteur, par le but qu’il poursuivait, les lecteurs immédiats qu’il avait en vue, et les circonstances déterminées, historiques, du milieu dans lequel il vivait. Ces circonstances ont souvent mis en relief bien des actions et des paroles de Jésus, qui restait toujours pour eux le modèle à regarder et la règle doctrinale à suivre.

Ainsi, lorsque la lutte entre les judaïsans et les païens convertis déchirait les Églises naissantes, il est évident que les paroles du Maître prophétisant la conversion des païens, et les scènes touchantes où il vantait leur foi quand il la rencontrait, durent s’éveiller plus vives dans la mémoire des disciples. Ces circonstances déterminaient le but des écrivains qui, en rendant témoignage de ce que Jésus avait fait et enseigné, raffermissaient la foi et tranchaient tout litige. Le cercle des lecteurs était de la sorte circonscrit par le but, comme le but était déterminé par les circonstances; et l’Esprit vivant du Maître disparu donnait aux Évangélistes l’impulsion voulue pour discerner ce qu’il fallait dire, ou pour écarter ce qu’il convenait de garder encore sous le voile. Tout en eux était subordonné à cet esprit intérieur qui les assistait, mieux sans doute que le génie national n’inspire ceux qui racontent l’histoire de la patrie. Quel que soit leur travail, — qu’ils se recueillent pour retrouver leurs souvenirs, qu’ils interrogent les divers témoins de la vie du Maître, qu’ils consultent les écrits antérieurs, — l’Esprit est là pour les défendre contre l’inattention et la fraude, pour les maintenir dans la pleine vérité du témoignage.


VI.

L’indissoluble harmonie entre les quatre Évangiles a toujours été reconnue, en dépit de leurs différences, dès la plus haute antiquité. Elle est de tradition universelle dans l’Église. Chacun de ces livres contenant la parole même de Dieu il était impossible d’admettre entre eux un désaccord. La parole de Dieu ne peut être en contradiction avec elle-même. Aussi, dès le milieu du IIe siècle, des concordances, des diatessaron, comme on les nommait, furent publiés pour ramener à l’unité les quatre récits inspirés. Cette unité a priori est justifiée par l’étude critique, par une comparaison attentive des documens. Non-seulement les trois premiers Évangiles, qu’on a nommés synoptiques à cause de la similitude manifeste de leur plan, concordent entre eux, mais ils s’harmonisent avec le quatrième, malgré de profondes divergences apparentes.

Le premier coup d’œil jeté sur ce dernier ouvrage montre, en effet, qu’il ne rappelle en rien ses trois devanciers. Les faits, le cadre géographique et chronologique, les discours, tout diffère. Certains critiques se sont empressés de conclure de ces différences à une contradiction, et ils ont formulé ce dilemme: si les synoptiques sont exacts dans la façon de retracer la vie de Jésus, saint Jean nous a donné une histoire fantaisiste, et si les discours rapportés par les trois premiers Évangiles sont les vrais discours de Jésus, ceux de saint Jean sont une composition artificielle; et inversement, si le quatrième Évangile est véridique dans ses récits et ses discours, les trois premiers ne peuvent l’être.

von-seulement les différences réelles, évidentes, que nous devons constater entre les Évangiles synoptiques et le quatrième, n’autorisent pas à conclure à une opposition irréductible, mais elles démontrent plutôt l’harmonie indissoluble des quatre documens. Saint Jean ne contredit pas ses devanciers, il les complète et les explique, au point de vue du cadre géographique et chronologique de la vie du Maître, des faits qui forment la trame de cette vie, et des discours qui résument son enseignement.

Les trois premiers Évangiles n’ont donné pour théâtre à l’apostolat de Jésus que la Galilée et Jérusalem ; le récit de saint Jean prouve qu’avant d’annoncer en Galilée le Royaume de Dieu, Jésus, pendant une année entière, prêcha en Judée et se révéla solennellement à la métropole par l’expulsion des vendeurs du Temple. Les synoptiques ne parlent expressément que du dernier voyage de Jésus à Jérusalem pour la Pâque où il devait mourir ; saint Jean mentionne tous ses divers voyages à la ville sainte, sa retraite en Pérée, au-delà du Jourdain et à Ephrem, sur les confins du désert. Les synoptiques ne commencent le récit de la vie publique qu’à l’époque de l’emprisonnement de Jean-Baptiste ; le quatrième Évangile la fait commencer avec le baptême de Jésus et détermine sa durée totale par les trois Pâques qu’il mentionne[48]. Les synoptiques ne nous donnent aucun point de repère pour le classement chronologique des faits de la vie publique ; saint Jean les signale avec une précision extrême par les divers voyages de Jésus à Jérusalem[49], aux grandes fêtes juives. Les synoptiques, n’ayant pas raconté les divers séjours du Maître à la métropole, n’ont pu nous instruire de ce qu’il y a fait, ni des enseignemens solennels qu’il y a donnés ; mais saint Jean nous les rapporte avec une grande richesse de détails.

Tous ces renseignemens précieux, on le voit, ne contredisent en rien les synoptiques, ils comblent leurs lacunes, et ils ont de plus le mérite d’expliquer leur récit. Impossible sans eux de reconstituer le drame émouvant de la vie de Jésus, de comprendre son mode particulier d’enseigner et d’instruire. Les grandes luttes, les enseignemens les plus sublimes, ont dû avoir la métropole juive et les autorités nationales pour témoins. C’est là que devait se terminer la carrière du Messie, là qu’il devait se produire avec un éclat souverain. La Galilée, pour Jésus, n’a été qu’un lieu relativement tranquille où, loin du foyer de haine qui, depuis le premier jour, le menaçait, il a pu évangéliser le Royaume de Dieu aux pécheurs et aux humbles, former ses disciples et asseoir les bases de son œuvre dans les consciences fidèles destinées à la répandre. Mais s’il s’est retiré en Galilée, comme le disent les synoptiques[50], Jean seul nous donne le motif historique de cette retraite[51].

D’après les trois premiers Évangiles, on remarquera que Jésus, comme Thaumaturge, Maître et Docteur, agit et par le avec une autorité personnelle absolue. Quand il guérit les malades, commande aux esprits mauvais, ressuscite les morts, on ne le voit point se réclamer d’un principe supérieur auquel il emprunte une force; il parle, il impose les mains, il ordonne, et les malades sont guéris, les démons se retirent, les morts revivent. Lorsqu’il enseigne, même allure : il remet les péchés, comme Dieu, il promulgue la loi morale en son nom propre, comme Dieu ; ce n’est point au nom de Dieu qu’il l’impose, c’est en son nom. Il veut que ses disciples reconnaissent en lui le vrai Fils du Dieu vivant; et il les loue d’être arrivés enfin à cette foi suprême et totale.

Qu’est-ce qu’un tel être? Quelle est sa nature? Quelle est sa relation réelle avec celui qu’il nomme son Père? Quelle est dans les consciences son œuvre propre ? Qu’est-ce que le personnage messianique annoncé par les Prophètes et réalisé en lui ? Quel est le secret du Royaume fondé par lui ?

Les trois premiers Évangiles ne rapportent que la parole de Jésus où toutes ces choses ont été dites en paraboles et en signes. Il était réservé au quatrième Évangile de nous donner la pleine clarté, en nous rapportant les discours les plus solennels et les plus intimes où Jésus a exprimé, dans une langue que n aile créature ne peut parler, ces mystères inénarrables.

Jésus n’est pas un fils de Dieu, il est le Fils; c’est le nom qu’il se donne toujours. Il est un avec le Père[52], de même essence; avant qu’Abraham fût, avant que le monde fût[53], il était, et il était dans le Père[54]. Il a tout reçu du Père : puissance, lumière et vie. Il juge, il éclaire, il vivifie. Il communique son Esprit, et avec son esprit la vie éternelle. Il est la plus expressive, la seule et parfaite manifestation du Père. Qui le voit, voit le Père ; qui l’aime, aime le Père. Il est dans le Père comme le Père est en lui[55].

Ces révélations transcendantes à toute conscience et à toute intelligence créées ne peuvent être acceptées que par celui qui donne sa foi à la parole de Jésus. Elles nous transportent dans une sphère divine, inaccessible au génie lui-même, mais ouverte à l’âme simple et au cœur droit.

Non-seulement de tels discours ne contredisent point les enseignemens moraux de Jésus et ses paraboles, mais ils leur apportent la seule explication qui les éclaire.

Si Jésus a parlé comme saint Jean le fait parler, je comprends le Thaumaturge, le Docteur des synoptiques, la souveraineté absolue avec laquelle il agit, et l’autorité propre avec laquelle il formule sa loi. C’est ainsi que le Fils de Dieu, — l’unique, le vrai, sans métaphore et sans réserve, — devait commander et légiférer ; sinon, le Jésus des synoptiques devient une énigme indéchiffrable, et on se demande comment un simple envoyé de Dieu a osé assumer un mode d’être, d’agir et de parler qui ne convient qu’à Dieu.

L’unité des documens est indissoluble. On ne peut les opposer l’un à l’autre qu’en invoquant des motifs étrangers à l’histoire. Ceux qui partent de l’hypothèse que Jésus n’est qu’un homme sont condamnés évidemment à sacrifier tout le quatrième Évangile, les faits comme les discours : on ne saurait admettre les uns et répudier les autres, ils forment un tout indivisible. L’écrivain qui atteste les faits garantit par son témoignage les discours. Son œuvre est d’une seule venue, elle se tient dans toutes ses parties et se fond avec l’œuvre des trois premiers Évangiles. Impossible d’écrire une Vie de Jésus conforme aux règles de toute histoire et de toute critique, sans les renseignemens johanniques. La première condition pour retracer l’histoire d’une personnalité supérieure est de mettre en lumière la conscience intime qu’elle avait d’elle-même ; or, c’est le but principal de saint Jean de nous révéler, en Jésus, cette conscience intime. L’historien n’a pas à rechercher si une telle révélation gêne ou contredit ses idées et sa philosophie ; son rôle est plus important, plus désintéressé: il nous doit, dans sa pleine teneur, l’attestation de ceux qui ont vu et qui ont entendu.

Le premier, le grand tort de la critique moderne, protestante ou incrédule, dans le travail immense et opiniâtre qu’elle a consacré aux documens évangéliques, depuis le XVIIIe siècle, en France, en Angleterre, en Suisse et en Allemagne surtout, a été de traiter ces documens comme une lettre morte. Elle a sciemment oublié qu’ils n’étaient point des livres tombés dans le domaine public, mais la propriété inaliénable de l’Église catholique. Alors même que, pour elle, l’Église n’était pas une institution divine, ayant reçu de son fondateur la garde infaillible de sa parole écrite ou orale, pouvait-elle méconnaître sa haute valeur comme société organisée ? Et dès lors, où prenait-elle le droit de considérer ses propres livres comme un simple papyrus de la vieille Égypte, échappé à la ruine du peuple qui avait tracé là quelques signes, quelques pensées ?

La tradition indéfectible d’une religion comme celle de Jésus, s’enchaînant sans interruption depuis dix-huit siècles, laissant à chaque siècle l’empreinte vigoureuse de sa foi, dans des ouvrages sans nombre, éminens par la doctrine qu’ils exposent, par les vertus qu’ils enseignent et par le génie qui les conçoit, — une telle tradition peut-elle être légèrement écartée ? N’est-ce pas une force puissante? Et puisque cette tradition est la gardienne vivante des Évangiles, n’est-ce pas à elle qu’il faut avoir recours, en bonne, en impartiale critique, pour les comprendre, pour savoir leur origine et leur teneur?

Tout livre, séparé de la société à laquelle il appartient et dont il forme un élément précieux, est à la merci du premier venu.

Les Évangiles, arrachés à la tradition religieuse, dont ils sentie plus antique et le plus sacré monument, ont été la proie de tous.

Pour les faire parler, il fallait les ranimer ; car l’âme d’un document est dans le milieu qui l’a inspiré, dans les idées qui dominaient ce milieu, dans les passions qui l’agitaient, dans les coutumes qui le caractérisaient. Ils ont essayé de reconstituer artificiellement ce milieu, et, naturellement, c’est à l’Église qu’ils ont emprunté, aux livres de ses docteurs, aux ouvrages même qu’ils avaient devant eux et cherchaient à comprendre. L’école de Tubingue, entraînée par Baur[56], s’est signalée particulièrement dans cette évocation difficile. Sa grande hypothèse a été convaincue d’arbitraire et d’exagération. Ne voir dans le christianisme primitif du Ier et du IIe siècle que l’antagonisme des judéo-chrétiens, représentés par Pierre, Jacques et Jean, et du christianisme universaliste, représenté par Paul, c’est borner à plaisir l’horizon, donner à un détail la valeur de l’ensemble, prendre un trait qu’on force outre mesure pour en composer toute une physionomie. Tous les écrits apostoliques, et les Évangiles en première ligne, ayant été interprétés à ce point de vue étroit et exclusif, on devine ce qu’ils sont devenus aux mains de la critique et de son école.

Qu’est-il résulté de ce travail acharné pour la solution du problème qu’on posait aux documens?

A-t-on expliqué leur mode de formation, trouvé le secret de leur ressemblance et de leur divergence? A-t-on pénétré la raison de l’unité indissoluble qui les rapproche comme les membres d’un même corps? A-t-on découvert l’ordre exact de leur origine ?

Il suffit de parcourir les ouvrages sans nombre écrits sur ce sujet pour constater l’impuissance radicale de ceux qui ont soulevé ces divers problèmes.

Toutes les hypothèses ont été soutenues.

Les uns ont admis un Évangile source dans lequel les trois premiers Évangiles auraient puisé[57]. Herder les combattit; nos Évangiles, selon lui, tirent leur origine d’un Évangile oral. Des conteurs ambulans, un vrai corps de rapsodes s’en allaient, annonçant la bonne nouvelle; leurs récits, appris par cœur, embellis et enrichis, voilà la source de nos Évangiles écrits.

Il y eut aussi la théorie des petits livrets[58], rédiges par des anonymes, sorte de fragmens historiques de la vie de Jésus, qui auraient servi notamment à composer l’ouvrage de saint Luc.

On prétendit que l’Évangile de Matthieu avait été remanié; on crut à un Matthieu primitif qui aurait disparu et aurait servi à la rédaction du premier Évangile actuel et du second, attribué à saint Marc.

Mais quelques-uns donnaient à saint Marc la priorité, et le considéraient comme la source de saint Matthieu et de saint Luc[59].

Ces hypothèses indéfinies qui se succèdent les unes aux autres accusent leur fragilité, car, en se succédant, elles se détruisent, et il n’en est pas une qui puisse tenir quelques années. On les oublie avec ceux qui les ont inventées.

Lorsque la critique qui s’appelle indépendante aura mis d’accord ses représentans les plus autorisés, il sera temps d’examiner ses conclusions. Jusqu’alors, le témoignage de l’Église sur les auteurs évangéliques et sur leurs ouvrages peut dédaigner ces voix discordantes qui dépassent à peine les murs d’une école ou le cercle d’un parti.

Un tort non moins grave de l’exégèse est de méconnaître le caractère testimonial des Évangiles.

Au lieu de ne voir en eux que le récit de faits attestés par des témoins renseignés et honnêtes, on a essayé de distinguer, dans leurs ouvrages, le fond de la forme ; les plus modérés ont accepté l’un et discuté l’autre, ne se doutant pas peut-être qu’en attaquant la forme, ils détruisaient le fond.

Ainsi les premiers chapitres du troisième Évangile ont été, d’après eux, une poésie charmante dont la beauté les frappait d’admiration ; mais tous ces détails si frais, si vivans, n’étaient qu’un voile poétique pour traduire la sainteté de Jean-Baptiste et embellir la conception et la naissance de Jésus. Ils ont pu nier de la sorte la conception virginale du Christ[60].

Tout l’Evangile johannique, d’après le même procédé, a été tenu pour une œuvre de théologie et non d’histoire, qui avait pour but d’expliquer dogmatiquement, dans des théories transcendantes, la doctrine de l’auteur sur la nature divine de Jésus[61]. Cette exégèse, qui présente un caractère de candeur et de modération parfaite, est la ruine de l’autorité des Évangiles. Du reste, elle est en opposition formelle avec les rédacteurs de ces documens. Deux d’entre eux attestent qu’ils ne sont que des historiens qui racontent fidèlement ce qu’ils ont entendu et vu, ou ce qu’ils ont appris de la bouche des témoins immédiats des événemens. A moins de suspecter leur bonne foi et de leur attribuer un mensonge vulgaire, il convient de les recevoir comme ils se donnent. Depuis le XVIIIe siècle, aucune critique qui se respecte n’est admise à traiter les Évangélistes d’imposteurs et de fourbes, même en atténuant l’épithète et en réduisant la fourberie à un artifice littéraire, à la mode orientale. On peut leur refuser la science mondaine et la littérature des académies, mais non pas l’honnêteté et la sincérité.

Tous ces auteurs ont donné leur vie pour soutenir ce qu’ils disaient être la vérité. De toutes les preuves de bonne foi, il n’en est pas de plus sacrée, de plus triomphante parmi les hommes. La simple parole peut être suspectée, la parole scellée par le martyre et le sang des témoins s’impose à la confiance des plus sceptiques.


VII.

La critique historique ne doit pas examiner seulement les sources écrites et leurs auteurs, les témoignages et les témoins, elle doit apprécier le contenu des livres et des documens, les faits et les doctrines qui y sont rapportés.

Quels faits, quelles doctrines sont racontés, exposés dans les quatre Évangiles et forment la substance des dépositions de chaque témoin ? — Les faits de la vie de Jésus, la doctrine religieuse qu’il a inculquée à ses disciples et par eux à la conscience humaine.

Or, tous les faits, — je ne dis pas quelques faits, je dis tous les faits importans, sans exception, depuis l’origine de Jésus jusqu’à sa sortie, son exode de ce monde, — sont des faits miraculeux. Toute sa doctrine relative à sa personne et à sa nature, sa loi morale aussi bien que les déclarations solennelles par lesquelles il révèle son œuvre et ses relations avec le Père qui l’envoie et l’humanité qu’il vient sauver, toute sa doctrine est transcendante à la raison; elle est essentiellement prophétique, car elle exprime des vérités supérieures à l’expérience et aux déductions de l’homme. Elle ne peut être acceptée que par la foi, et sa crédibilité ne peut être vérifiée que par les miracles et les faits qu’elle engendre dans l’âme du croyant.

Les Évangiles ne sont qu’une trame ininterrompue de prophéties et de miracles. Il n’y a pas à chercher à l’atténuer, on doit le reconnaître absolument et sans détour.

Je suis assez de mon temps pour ne pas ignorer sa répulsion violente contre le miracle, le transcendant et l’invisible, et sa défiance envers les témoins qui les attestent. Cette répulsion et cette défiance invétérées forment un des traits de l’incrédulité moderne. Les causes dont elles dérivent sont multiples et profondes; elles demanderaient une longue et pénétrante analyse qui n’entre pas dans le dessein de cette étude. Je remarquerai seulement que les grands progrès des sciences expérimentales, et leurs applications merveilleuses, n’ont pas été sans influence sur l’état intellectuel et psychologique de cette génération.

La culture excessive des sciences exactes et naturelles a absorbé l’esprit dans la matière ; on a demandé aux forces matérielles l’explication de tout; on a peu à peu tenu pour rien ce qui était en dehors d’elles; et si, pour obéir à ce besoin d’unité indestructible dans les intelligences supérieures, on a cherché le principe universel qui dominait la nature et l’humanité, au lieu de le voir au-dessus de la nature et de l’humanité, on l’a cherché aveuglément dans l’une et dans l’autre. De là, le positivisme, le matérialisme, le panthéisme; ils pèsent plus ou moins sur un grand nombre d’esprits parmi ceux qui enseignent les autres, et leur alliance secrète enchaîne inconsciemment la foule. Ces trois systèmes forment une espèce d’atmosphère diffuse dans laquelle se meut et respire la masse humaine dans notre siècle et notre pays.

Venir parler de miracle et de prophétie en un temps qui ploie sous le joug d’une telle opinion, c’est s’exposer à être éconduit, sans même être écouté jusqu’au bout. Si je n’hésite pas à le faire dans la force d’une conviction mûrie et dans la plénitude de ma foi, je n’hésite pas non plus à soumettre les miracles et les prophéties de la vie de Jésus à l’examen et à l’épreuve de la critique.

Mais il y a critique et critique, comme il y a balance et balance.

Quelle est donc la critique véritable et sûre, celle qui sauvegarde à la fois la légitime indépendance de l’historien, la vérité des faits qu’il examine, l’antiquité des documens et le respect dû aux témoins?

Il y a trois élémens dans l’esprit humain : les principes évidens, les systèmes, les croyances. Les principes sont indiscutables; ils se ramènent tous aux principes de contradiction ou d’identité, de causalité ou de raison suffisante. En vertu de ces axiomes, les choses absurdes, contradictoires, les faits sans cause ne peuvent exister que dans l’imagination. Les principes ne se jugent pas, ils jugent tous les systèmes et les croyances, ils mesurent toute vérité.

Les systèmes sont un ensemble de propositions coordonnées à l’aide desquelles certains esprits cultivés essaient d’expliquer l’origine des êtres.

La masse des hommes est incapable de les construire; elle ne peut que les accepter passivement avec une confiance plus ou moins aveugle. Ils déterminent souvent les croyances individuelles et l’opinion d’un siècle. Mais les principes premiers de la raison et les croyances sont à la portée de tous.

La critique ne peut donc s’appuyer que sur trois bases : les vérités premières, ou les systèmes et les croyances de chacun. Si elle invoque une croyance pour mesure, elle n’aura de valeur qu’auprès de ceux qui acceptent cette croyance ; et si elle invoque un système particulier, elle n’aura d’autorité que pour les partisans de ce système. Si, au contraire, elle fait appel aux vérités essentielles et aux principes immuables de la raison, elle s’imposera à tous, car la raison ainsi comprise s’impose à tout être intelligent.

Celui qui juge les faits et les documens où ils se trouvent consignés, avec l’humeur de son siècle et l’opinion régnante, s’expose à l’erreur, car les siècles changent d’humeur, et l’opinion varie. Celui qui les juge d’après son système personnel et sa petite philosophie se trompera de même, car aucune philosophie, quelque large qu’elle prétende être, n’est à la mesure des choses et ne contient tout le réel.

Il faut avoir une raison plus large et plus sûre; or, la seule qui présente à ce double point de vue toute garantie, c’est la raison dans ses axiomes fondamentaux, invariables, éternels, absolus.

Je demande à la critique de juger à cette lumière tous les faits évangéliques et tous les miracles; j’attends avec confiance son verdict.

Cette critique n’appartient ni à un siècle ni à une école; universelle et nécessaire, elle domine tous les systèmes et tous les temps. Elle a été pratiquée par tous les hommes qui ont respecté leur propre raison et qui ne se sont pas suicidés dans le scepticisme. Nul ne peut la récuser, à moins de renoncer à sa nature intelligente et raisonnable.

Tout relève d’elle : croyances et religions, systèmes de philosophie et sciences positives, livres et documens.

Non-seulement la religion chrétienne, la théologie et les livres sacrés de l’Église de Jésus ne la fuient ni ne la redoutent, mais ils l’appellent; et je n’hésite pas à affirmer que, seuls, entre toutes les croyances, les religions, les systèmes et les documens, ils sont capables de l’affronter. Ni la religion de Bouddha, ni celle de Zoroastre, ni celle de Mahomet, ni les livres sur lesquels ces trois religions s’appuient, ni le panthéisme, ni le matérialisme, ni le positivisme, ne résisteront à la critique de la raison ramenée à ses principes premiers de causalité et de contradiction. Son jugement inexorable ne laissera debout que le monothéisme des Juifs, la théologie des chrétiens, les documens sacrés de l’Ancien et du Nouveau Testament. A mesure que l’homme moderne, désabusé des vains systèmes en vogue, renoncera à leur demander la mesure de ce qu’il doit tenir pour vrai, il ne consultera plus Kant, Spinoza, Hegel, Voltaire, ni aucun maître d’un jour; il se repliera sur la raison première, sur les vérités inattaquables qui en forment la base éternelle, et il rendra justice à Celui qui est venu lui enseigner l’origine et le but de la vie, la Loi sainte à laquelle il doit se conformer, la force de lui obéir, en un mot tout ce qui éclaire et console, enchante et réconforte.

L’esprit armé de la vraie critique est le gardien vigilant et incorruptible des frontières de l’histoire ; il écarte impitoyablement ceux qui voudraient y introduire, comme des faits réels, les caprices, les rêves de leur fantaisie; il proscrit et démasque les obstructionnistes qui prétendent mutiler le domaine de la réalité, en supprimant des faits réels, parce qu’ils ne portent pas l’estampille de leur système ou la marque de leur maison. L’histoire est un terrain qu’on se dispute aujourd’hui. Il ne faut pas permettre que des usurpateurs le confisquent et s’y implantent. Certains voudraient la convertir en un fief réservé à l’athéisme, au panthéisme, au matérialisme ; le devoir du critique est de les repousser. L’histoire ne doit appartenir qu’à la raison pure. Aucun rôle n’exige un esprit plus large et plus libre, plus désintéressé et plus intègre.

Or, voici ce que la critique doit se demander, au nom de la raison pure : les faits surnaturels de l’Évangile, l’origine et la naissance de Jésus, son éducation et sa croissance visible, sa nature humaine et divine, sa vocation, les actes de sa vie publique et leur enchaînement, son œuvre, son enseignement, ses lois, ses miracles, ses luttes, sa manière de vivre et d’agir, sa mort et sa résurrection, sont-ils des réalités historiques qu’il faut raconter et dépeindre en toute vérité? Il ne s’agit pas de chercher d’abord comment toutes ces choses ont pu se produire, si elles sont à la mesure de notre esprit, plus ou moins conformes à nos préjugés et à notre culture : il s’agit de savoir si elles sont. Une fois établies, l’intelligence pourra essayer de les comprendre, de les expliquer, d’en démontrer la grandeur et la crédibilité; elle n’aura pas le droit de les atténuer, de les nier, de les mutiler, de les travestir. L’historien incorruptible ne s’inquiète pas des caprices de la raison ; il enregistre avec une impassible conscience ce qu’il constate. Il ne se demande pas si un fait est miraculeux ou non, surnaturel ou naturel; il le décrit tel qu’il le voit.

Tout ce qu’on est en droit d’exiger de lui, c’est d’être un témoin consciencieux, intègre et véridique, c’est de n’accepter que les dépositions de témoins consciencieux, intègres et véridiques. Il doit se tenir à égale distance de la crédulité qui accepte tout, même les absurdités, même les fables, et de la défiance superbe qui récuse le témoignage, dès que le témoignage choque son système, sa science et sa culture, — ce qu’on nomme à tort la raison.

L’homme prévenu est indigne d’écrire l’Histoire. Il ne sera jamais qu’un faussaire.


VIII.

En ce qui concerne la réalité de la prophétie, j’appellerai l’attention du lecteur sur ce fait prodigieux qui servira de justification préventive aux discours prophétiques de Jésus intégralement reproduits dans cet ouvrage. Le Christ est plus que prophète ; il est le grand, l’unique prophétisé. Avant qu’il fût né, son histoire était écrite.

En parcourant le livre de l’Ancien Testament, dont nulle critique ne contestera l’antiquité et l’intégrité, voici, en effet, ce que tous les yeux y peuvent lire :

« Le Seigneur dit à Abraham : EN TA RACE toutes les nations seront bénies. (Gen., XXI.)

« Un prophète, Balaam, fils de Béar, dit : UNE ETOILE sortira de Jacob, et un SCEPTRE s’élèvera d’Israël. (Nombr., XXIV, 15.)

« Il sortira un REJETON du tronc coupé de Jessé, et UNE FLEUR naîtra de sa racine; l’Esprit du Seigneur se reposera sur Lui, En ce jour-là, le REJETON de JESSE sera exposé comme un signe aux yeux de tous les peuples : les nations viendront lui offrir leurs prières. (Isaïe, XI, 1 et suiv.)

« Cieux, envoyez d’en haut votre rosée, et que les nuées fassent descendre comme une pluie CELUI QUI EST LA JUSTICE MÊME; que la terre s’ouvre, que CELUI QUI EST LE SALUT soit produit et que LA JUSTICE GERME. (Isaïe, XIV, 8.)

« Le Seigneur vous donnera lui-même un prodige : la Vierge concevra et enfantera UN FILS qui sera nommé EMMANUEL. (Isaïe, VII, 14.)

« Et toi, Bethléem, Epphrata, tu n’es pas la moindre d’entre les villes de Juda, car c’est de toi que naîtra LE CHEF QUI CONDUIRA MON PEUPLE D’ISRAËL. (Mich., V, 2.)

« Un petit Enfant nous est né; et un Fils nous a été donné : il portera sur son épaule la marque de sa principauté. Il sera appelé I’ADMIRABLE, le CONSEILLER, le DIEU FORT, le PERE D’UNE FAMILLE ÉTERNELLE, le PRINCE DE LA PAIX. (Isaïe, IX, 6.)

« J’entends la voix de celui qui cric dans le désert : Préparez la voie du Seigneur; rendez droits, dans la solitude, les chemins pour NOTRE DIEU. (Isaïe, LXI, 3.)

« L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce que Jéhovah m’a rempli de son onction. (Isaïe, XLI, 1.)

« Ce sera Lui qui bâtira une maison à mon nom, et je rendrai son Royaume inébranlable, à jamais. Je SERAI SON PERE, ET IL SERA MON FILS. (II Rois, VII, 13, 14.)

« Le Seigneur m’a dit : Vous êtes MON FILS, JE VOUS AI ENGENDRE aujourd’hui. (Ps., II, 7.)

« JE SUIS SORTIE DE LA BOUCHE DU TRES-HAUT, JE SUIS NEE AVANT TOUTE CREATURE. (Ecclés., XXIV, 5.)

« c’est Lui qui a trouvé toutes les voies de la vraie science, et qui l’a donnée à Jacob son serviteur et à Israël son bien-aimé. Après cela, il a été vu sur la terre et il a conversé avec les hommes. (Baruch, III, 36, 37, 38.)

« Le Seigneur notre Dieu, avait dit Moïse à son peuple, vous enverra UN PROPHETE COMME MOI, de votre nation et d’entre vos frères. C’est lui que vous écouterez, je lui mettrai mes paroles dans la bouche, et il leur dira tout ce que je lui ordonnerai. Que si quelqu’un ne veut pas entendre les paroles que ce Prophète prononcera en mon nom, ce sera moi qui en ferai vengeance. (Deut. XVIII, 15 et suiv.)

« C’est pourquoi mon peuple connaîtra mon nom; c’est pourquoi il saura, en ce jour, que C’EST MOI QUI PARLE : ME VOICI !

« Qu’ils sont beaux, sur la montagne, les pieds de CELUI QUI APPORTE LA BONNE NOUVELLE, QUI PUBLIE LA PAIX, de Celui qui apporte de bonnes nouvelles, qui publie le salut, de Celui qui dit à Sion : C’est le Règne de ton Dieu! (Isaïe, LII, 6, 8.)

« j’ouvrirai ma bouche pour parler EN PARABOLES, je proposerai DES ENIGMES, en rappelant ce qui s’est fait dès le commencement. [Ps., LXXVII, 11.)

« Voici mon SERVITEUR que je soutiendrai, mon ÉLU en qui je me complais. J’ai mis mon Esprit sui-lui. Il annoncera la justice aux nations. Il ne criera point, il n’élèvera point la voix. On ne l’entendra point dans les rues. Il ne brisera point le roseau cassé ; il n’éteindra point la mèche qui brûle encore. Il annoncera la justice selon la vérité. Il ne se découragera point, il ne se relâchera point, jusqu’à ce qu’il ait établi la justice sur la terre. (Isaïe, XLII, 1 et s.)

« Fille de Sion, sois comblée de joie. Fille de Jérusalem, pousse des cris d’allégresse; voici ton Roi qui vient à vous... Il est monté sur une ânesse et sur le poulain de l’ânesse. (Zach., IX, 9.)

« Il nous a paru méprisable, le dernier des hommes, un homme de douleur et qui sait par expérience ce que c’est que souffrir. Nous nous détournions pour ne pas le voir; nous l’avons méprisé, nous n’en avons fait aucun cas. (Isaïe, LIII, 3.)

« Vous êtes vraiment un Dieu attentif à vous cacher, ô Dieu d’Israël, unique Sauveur. (Isaïe, XLV, 15.)

« Mes frères m’ont traité comme un étranger, et les enfans de ma mère comme un inconnu, parce que le zèle de votre maison me brûle et que je m’intéresse à toutes les injures qui vous déshonorent. (Ps., LXVIII, 9.)

« Faisons tomber LE JUSTE dans nos pièges, parce qu’il nous incommode, qu’il est contraire à notre manière de vivre, qu’il nous reproche la violation de la loi et noue déshonore, en décriant les fautes de notre conduite. Il assure qu’il a la science de Dieu, et il s’appelle le FILS DE DIEU. Il est devenu le censeur de nos pensées mêmes. Sa seule vue nous est insupportable. Il s’abstient de notre manière de vivre comme d’une chose impure ; il préfère ce que les justes attendent à la mort, et il se glorifie d’avoir Dieu pour Père. {Sag., Il, 12 et s.)

« Celui même qui m’était très uni et à qui je me fiais et qui mangeait à ma table s’est élevé contre moi insolemment. (Ps., XL, 10.)

« L’opprobre me jette dans l’abattement, et l’affliction me consume. J’ai attendu que quelqu’un prît part à ma douleur, et personne ne l’a lait. J’ai cherché des consolations, et je n’en ai pas trouvé. Pour nourriture, ils m’ont donné le fiel, et pour breuvage, dans ma soif, ils m’ont donné du vinaigre. (Ps. LVIII, 21 et s.)

« Je suis dans le trouble à cause des cris de l’ennemi... Les épouvantes de la mort m’ont saisi; la crainte et le tremblement m’ont surpris, et j’ai été couvert de l’horreur des ténèbres. (Ps., LIX, 4, 5.).

« Ils pesèrent alors trente pièces d’argent pour ma rançon. Et le Seigneur me dit : — Allez jeter à l’ouvrier en argile cette belle somme à laquelle ils m’ont estimé, lorsqu’ils m’ont mis à prix, (Zach., XI, 12.)

« O épée, réveille-toi, dit le Seigneur des armées. Viens contre MON PASTEUR, contre l’homme qui m’est intimement lié. Frappe LE PASTEUR, et les brebis seront dispersées. (Zach., XIII, 7.)

« Ne m’abandonnez pas à la mauvaise volonté de ceux qui m’oppriment. De faux témoins et des hommes qui ne respirent que violence se sont élevés contre moi. (Ps., XXVI, 12.)

« On lui a demandé ce qu’il ne devait pas, et il a été dans l’humiliation ; mais il n’a pas ouvert la bouche. Il a été mené à la mort comme un agneau et comme une brebis qui est muette devant celui qui la tond; il n’a point ouvert la bouche. (Isaïe, LIII, 7.)

« J’ai abandonné mon corps à ceux qui me frappaient, et mes joues à ceux qui les arrachaient. Je n’ai point détourné mon visage de ceux qui me couvraient de crachats. (Isaïe, I, 6.)

« Examinons-le par les outrages et les tourmens, afin que nous éprouvions quelle est sa douceur et sa patience. Condamnons-le à la mort la plus infâme. (Sag., II, 19, 20.)

« Servons-nous du bois pour le faire mourir, exterminons-le de la terre des vivans, et que son nom soit effacé de la mémoire des hommes. (Jérém., XI, 20.)

« Ils ont percé mes mains et mes pieds. On compterait tous mes os. Ils prennent plaisir à me considérer dans cet état. Ils partagent mes vêtemens, ils jettent ma robe au sort. (Ps., XXI, 17 et s.)

« Je lui donnerai en partage la multitude des nations. Il distribuera les dépouilles des forts, parce qu’il a livré son âme et qu’il a été mis au nombre des scélérats. (Isaïe, LIII, 12.)

« Ils m’ont jeté dans une fosse, et ils ont roulé une pierre pour m’y renfermer. (Lament., III, 53.)

« Ma chair reposera avec assurance, parce que vous ne laisserez point mon âme dans le Schéol, et que vous ne permettrez point que VOTRE SAINT éprouve la corruption dans le tombeau. Vous me découvrirez les sentiers de la vie; vous me rassasierez de joie par la vue de votre visage, et vous me ferez goûter à votre droite les délices éternelles. (Ps., XV, 9.)

« O mort, je serai ta mort. enfer, je serai ta ruine. (Osée, XIII, 14.)

« En ce temps-là, le REJETON DE JESSE sera élevé comme un Signe aux yeux de tous les peuples. Les nations viendront lui offrir leurs prières, et son sépulcre sera glorieux. (Ps., XI, 10.)

« En ce temps-là, l’homme tournera ses regards vers Celui qui l’a créé ; il jettera les yeux vers le SAINT D’ISRAËL, et il ne portera plus ses regards vers les autels qu’il avait faits de ses mains. (Isaïe, XVII, 7, 8.)

« L’élévation de l’homme sera abaissée, la superbe du grand sera humiliée. Le Seigneur seul paraîtra grand en ce jour-là. IL DÉTRUIRA ENTIÈREMENT LES IDOLES,.. ses idoles d’argent et ses statues d’or qu’il s’était faites pour les adorer. (Isaïe, II, 17.)

« Oui, en ce jour-là, il y aura une fontaine ouverte à la maison de David et aux habitans de Jérusalem pour y laver les souillures du pécheur et de la femme impure ; et moi, dit le Seigneur, j’ABOLIRAI DE LA TERRE LE NOM DES IDOLES, et il n’en sera plus fait mention. (Zach., XIII, 1-2.)

« Écoutez, îles, et vous, peuples lointains, prêtez l’oreille.

« Le Seigneur m’a appelé dès le sein de ma mère... Et maintenant le Seigneur m’a répondu, lui qui m’a formé, dès le sein de ma mère, pour être son serviteur, afin que je ramène Jacob vers lui, car Israël se réunira à lui : je serai glorifié aux yeux du Seigneur, et mon Dieu sera ma force.

« Le Seigneur m’a dit : c’est pour que tu me serves pour rétablir les restes de Jacob et pour réparer les ruines d’Israël. Je t’ai établi pour être la LUMIERE DES NATIONS et le SALUT que j’enverrai jusqu’aux extrémités de la terre. Levez les yeux, regardez autour de vous : toute cette grande multitude de peuples vient se rendre à vous. (Is., XLIX, 1 et s.)

« La nation que j’avais élue pour mon héritage est devenue à mon égard comme le lion de la forêt, elle a jeté de grands cris contre moi; c’est pourquoi elle est devenue l’objet de ma haine. (Jérém., XII, 7, 8.)

« Je découvrirai sa folie aux yeux de ceux qui l’aiment, et il n’y aura point d’homme qui puisse la tirer de ma main. Je ferai cesser ses cantiques de joie, ses jours solennels, ses néoménies, son sabbat et toutes ses fêtes. (Osée, II, 10.)

« LE CHRIST SERA MIS A MORT, et le peuple qui l’aura renié ne sera plus son peuple. Un autre peuple, dépendant d’un chef qui doit venir, détruira la ville et le sanctuaire. (Daniel, IX, 26, 27.)

(c Si vous vous détournez de moi, vous et vos enfans,.. J’exterminerai leur génération de la terre que je leur ai donnée. Je rejetterai loin de moi ce Temple que j’ai consacré à mon nom. Israël deviendra la fable et l’objet des railleries de tous les peuples. CETTE MAISON SERA RENVERSEE, comme un exemple de ma justice. Quiconque passera près du lieu où elle était, sera frappé d’étonnement et lui insultera. (III Reg., IX, 6, 7.)

« Je regardais la nuit la vision, et j’aperçus comme le Fils de l’homme qui venait sur les nuées du ciel ; il s’avança jusqu’à l’Ancien des jours et lui fut présenté. Et il lui donna la puissance, l’honneur et le royaume, et tous les peuples, toutes les tribus, toutes les langues le servirent. Sa puissance est une puissance éternelle qui ne lui sera point ôtée, et son Royaume ne sera jamais détruit. » (Daniel, VII, 13, 14.)


Je prie le lecteur de remarquer que ces extraits, dont j’aurais pu augmenter le nombre, sont empruntés à la Bible telle que les Juifs la conservent ; les livres dont cette Bible se compose étaient tous rédigés plusieurs siècles avant Jésus, et leur recueil total embrasse une période de plus de quatorze siècles.

Ces passages fragmentaires forment un tableau détaillé et complet du Messie ; on le croirait tracé par les Évangélistes après son apparition.

Tous les traits essentiels s’y retrouvent : sa race abrahamique, sa descendance de Jacob et de David, son origine virginale, l’attente universelle dont il était l’objet, sa naissance dans la petite ville de Bethléem, son origine éternelle dans le sein de Dieu, sa filiation divine, son nom d’Emmanuel et de Sauveur, sa fuite en Égypte, sa retraite dans le pays méprisé de Nazareth, la venue de son précurseur, son onction divine par la plénitude de l’Esprit, sa fonction de prophète, d’évangéliste, de thaumaturge, son caractère d’une bonté sans bornes et d’une douceur infinie, le mystère dont sa nature divine reste enveloppée, l’insuccès de son apostolat au milieu de son peuple, les persécutions et la haine dont il est poursuivi, tous les détails de la mort qu’il doit subir, son agonie, sa trahison pour trente deniers par l’un des siens, son abandon de la part des disciples eux-mêmes, sa croix, sa sépulture, sa résurrection, enfin son triomphe éblouissant proclamé à la face de la terre, au grand jour de l’histoire, par la destruction de l’idolâtrie, par l’épouvantable châtiment de ses persécuteurs, par la conquête du monde païen, par l’établissement de son propre règne au milieu de ce monde qui, en l’attaquant, prouve sa puissance indestructible et son éternité.


IX.

Tous ces documens disséminés, éparpillés le long des siècles, sont comme les pierres d’un édifice prodigieux, taillées et sculptées par des ouvriers qui ne se sont pas connus et sous l’inspiration d’un architecte invisible dont les desseins ne furent livrés pleinement à aucune créature.

Lorsque le Christ parut, il révéla dans sa personne, dans son œuvre, dans sa doctrine et dans sa vie le mystère voilé à toutes les générations[62]. Il accomplit une à une toutes les prophéties ; il réalisa jusqu’au moindre trait tout ce qu’elles avaient annoncé ; il le disait à tous, il essaya de le persuader à son peuple.

Les docteurs refusèrent de le comprendre. Ils n’ont pas su pénétrer le sens spirituel du langage symbolique de leurs prophètes ni s’affranchir de leur orgueil de race et de religion. Choqués par l’élément de douleur, d’humiliation et de mort qui formait un des caractères essentiels du vrai Messie, ils n’ont pas su s’élever jusqu’à sa nature divine et allier dans une synthèse hardie ce double mystère de la divinité et de l’humanité souffrante qu’il portait en lui. Ils n’ont pu reconnaître l’imperfection de leur loi qui devait disparaître devant la loi vivante du Christ; et, bien que leur aveuglement opiniâtre devant le Messie eût été annoncé par leurs prophètes, ils ne se sont pas doutés de leur opiniâtreté ni de leur aveuglement; et ils se sont brisés contre la pierre de l’angle sur laquelle tout l’édifice de Dieu allait se construire.

Quelques hommes, quelques élus parmi les ignorans et les simples, — les plus dédaignés, — ont été seuls initiés à la vérité messianique. Ils ont appris, à l’école de Jésus, ce que les sages de la nation n’avaient pu voir. Leur loi a confessé, à la lumière de l’Esprit, la filiation divine et le mystère effrayant des douleurs du Fils de l’homme. Ils ont reconnu en lui le Lion invincible de Juda et l’Agneau de Dieu qui se laisse égorger. C’est à eux, à ces pauvres gens sans culture que nous devons de connaître « Celui qui, tout en étant dans la forme de Dieu, s’est anéanti lui-même dans la forme d’une créature, obéissant à son Père jusqu’à la mort et jusqu’à la croix, » — Ce supplice des esclaves.

En répudiant Jésus, en s’obstinant à le méconnaître, les Juifs ont perdu le sens vrai de leur Livre. Ils le gardent pourtant et ils le lisent, mais ils ne le comprennent plus. C’est pour eux un livre fermé et voilé. L’idée, le héros, l’œuvre messianique en forment le lien, l’unité, la vie : or, ces choses leur échappent : elles n’ont de sens que dans la doctrine, la personne et l’œuvre de Jésus.

Il y a là un phénomène unique dans l’histoire, nous le recommandons à tous ceux qui nient le prophétisme et les prophéties.

Toute la Bible est messianique. Étudiée dans son esprit, dans son sens le plus profond et le plus vrai, elle regarde ce personnage de l’avenir; elle le promet et l’appelle; elle le décrit, le figure et le prépare. Les plus grands docteurs parmi les Juifs, les targumistes du Ier et du IIe siècle, les Onkélos, les Jonathan et les Akiba, n’ont jamais hésité à interpréter ainsi le livre sacré. Les passages que nous avons cités ne faisaient aucun doute pour eux ; et en les entendant comme nous, ils ne se doutaient pas qu’ils préparaient leur propre confusion; car c’est au Prophète anathématisé par le Sanhédrin, au seul Crucifié triomphant, que peuvent convenir les grandes paroles des voyans d’Israël.

Les exégètes modernes, témoins du triomphe persistant de Jésus, n’ont eu d’autre ressource, pour ébranler la prophétie, que d’attaquer la réalité de l’histoire évangélique ou d’effacer, par une interprétation étroite, la prophétie de cette histoire. Ils ont repris la Bible, ayant soin, en l’interprétant, d’écarter le sens mystique et de dénaturer souvent le sens littéral. C’est une peine perdue. L’étude impartiale des documens bibliques amène à ce résultat : les paroles des voyans n’ont pas de justification plus parfaite que l’histoire même de Jésus; elles n’ont leur sens plein qu’en lui. Elles dépassent toujours le premier plan qu’elles dessinent, et elles révèlent à l’arrière-plan qui domine tout, le Messie et son œuvre tels que Dieu, dans sa providence insondable, les préparait depuis l’origine des temps et des choses.

La religion, enseignée par Jésus et réalisée en lui, embrasse dans sa vitalité puissante l’humanité entière. Elle est comme un grand livre d’histoire en deux volumes. L’un contient la prophétie de ce qui doit être; l’autre, le récit des événemens prophétisés. L’Esprit de Dieu seul a pu écrire le premier; seul, il a pu réaliser ce que contient le second et permettre à des hommes de le comprendre et de le raconter. Les deux volumes sont ouverts à tous les yeux. Il n’est plus au pouvoir de personne de les falsifier. Si les chrétiens attentaient au premier, les Juifs élèveraient des quatre coins du monde une protestation ; et si les hérétiques ou les païens modernes voulaient attenter au second, l’Eglise, qui remplit l’humanité, se soulèverait pour sauvegarder ses Évangiles.

Voilà les deux grands témoignages de Dieu. Il apparaît ainsi maître des temps, puisqu’il les annonce bien avant qu’ils ne soient, et puisqu’il les fait arriver comme il les avait annoncés par la voix des prophètes.

Nulle critique, nulle exégèse, nul système, nulle incrédulité n’aura raison de cette œuvre colossale ; mais Dieu se plaît, dans ses rapports avec l’homme, à confondre la vaine sagesse qui se prévaut contre lui et à dédaigner cette culture qui, sous le nom de science et de philosophie, s’acharne à démolir son œuvre. L’œuvre subsiste, impassible et grandissante, étonnant ceux qui se brisent contre elle et ralliant à sa lumière les simples, les souffrans, les humbles, et même les grands esprits, pour peu qu’ils renoncent à mesurer Dieu et s’appliquent à l’aimer.


X.

Si la prophétie existe, — et l’on a vu avec quelle puissance historique elle s’impose à l’esprit sans prévention, — pourquoi le miracle n’existerait-il pas? S’il existe un Jésus prophétisé, pourquoi pas un Jésus thaumaturge?

Je pose la question non au panthéiste, au matérialiste, au positiviste, au sceptique, à l’incroyant, au croyant; je l’adresse à l’homme. Avant d’être ralliés à un système ou à une croyance. avant d’appartenir à une école ou à un siècle, nous sommes tous de la même nature intelligente et libre, aspirant à la vérité et au bien. C’est à ce titre que nous nous sentons unis à travers le temps et l’espace, les civilisations et les frontières.

Le miracle est-il ou n’est-il pas?

Il est impossible, me dira-t-on. Tous les miracles sont des légendes ou des mythes qui n’ont de réalité que dans l’imagination qui les forge, dans la crédulité ou l’imposture des narrateurs. Les Prophéties ne sont que des livres rédigés après l’événement. L’humanité ne connaît ni prédictions ni miracles.

Ceci est la réponse du panthéiste, du matérialiste ou du positiviste. Au point de vue de ces systèmes, elle est logique; mais ce n’est pas la réponse de l’homme. Le panthéisme est-il démontré? Le matérialisme est-il la vérité? Le positivisme est-il la règle infaillible? S’ils se trompent, s’ils sont dans l’erreur, comme il serait facile de l’établir, que vaut leur réponse? Et, pour celui qui ne les accepte pas, que représente leur dogme de l’impossibilité du miracle ?

Il y a, d’ailleurs, une offense à la dignité humaine et une atteinte au respect qu’on doit à tout témoin, dans tous ces systèmes condamnés à traiter de fourbes et de mais ceux qui ont rapporté solennellement, sérieusement, les miracles qu’ils ont vus, les discours prophétiques qu’ils ont entendus.

La critique ainsi comprise n’est pas digne de ce nom. C’est une fausse balance qui trompera toujours ceux qui veulent s’en servir.

J’interroge la critique de la raison pure, impersonnelle.

Le miracle est un fait qui se produit en dehors des lois de la nature, par l’intervention des forces supérieures à la nature et de la force même qui, en créant la nature, en a déterminé les lois.

La raison peut-elle démontrer que cette force n’existe pas, qu’elle n’est ni intelligente ni libre? Et si cette force existe, la raison peut-elle prouver qu’elle n’est pas capable d’intervenir dans la trame des événemens humains ou dans la succession des phénomènes de l’univers, et de communiquer à des intelligences créées la connaissance de l’avenir?

Jamais, qu’on le sache bien, dans aucun temps, dans aucune école, dans aucun système, de telles conclusions n’ont été prouvées. Cette preuve, nous l’attendons depuis des siècles. Comment et par qui serait-elle fournie? Elle n’existe pas. De grands génies révoltés contre Dieu la cherchent, et, ne la trouvant pas, ils sont condamnés à la négation systématique ; mais ce qu’ils s’obstinent à nier au nom d’un système, nous l’affirmons tranquillement au nom de la raison pure; or les systèmes changent, et la raison pure est immuable. La philosophie scientifique parle de l’immutabilité des lois : elle confond la régularité avec l’immutabilité. — Si elles ne sont pas immuables, dit-elle, toute la science devient impossible, car elle est précisément fondée sur elles. — C’est un sophisme. La science est fondée sur le déterminisme; or, l’intervention passagère d’un être supérieur au déterminisme constaté par nos expériences, n’empêche point la régularité. Cette intervention n’est qu’un élément nouveau qui se ramène à une unité plus haute, englobant dans son cercle immense la nature, l’homme, et le Dieu qui les régit.

La faiblesse de la thèse qui cherche à établir l’impossibilité du miracle et de la prophétie est tellement évidente, même pour ses adeptes, que, pressés trop vivement par l’inexorable logique, ils se rejettent aussitôt dans la non-existence des phénomènes surnaturels.

— Ils n’existent pas, disent-ils, on n’en a jamais vu.

— La preuve?

— Notre expérience scientifique n’en a jamais constaté.

Qu’est-ce que peut démontrer une expérience scientifique de quelques savans et de quelques années? Alors même qu’elle serait exacte, elle est sans valeur pour les siècles qui furent les témoins de choses qui ne se voient plus.

On ne voit plus apparaître la vie dans un monde non vivant : cette expérience peut-elle nous autoriser à contester ce phénomène prodigieux? On ne voit plus l’homme apparaître dans une faune qui ne parlait pas et qui ne pensait pas : notre défaut d’expérience nous autorise-t-il à nier la venue d’un premier couple humain?

On ne voit plus dans aucun peuple, sur aucun rivage, surgir un être pareil à Jésus ; et cependant, le Christ a vécu et il s’est révélé.

Prétendre mesurer à une expérience d’un jour ou d’un siècle, alors même qu’elle serait conduite par des académies impeccables, sans préjugé et sans hostilité, les phénomènes qui ont rempli la durée antérieure de la nature et de l’humanité, semble si simple ou si superbe, qu’on est désarmé, pour répondre, par tant de naïveté ou de présomption.

On a essayé d’englober sous la même dénomination de légendes, de fables ou de mythes, les miracles tels que les documens évangéliques les rapportent, avec ceux qu’on peut lire dans les livres sacrés des autres religions, ceux de l’Inde, les Védas, le Lalitavistara, le Lotus de la Bonne Loi et autres, ceux de la Chine, les Kings, celui du Mahométisme, le Coran. Cette confusion est injuste et offensante.

Il faut la dissiper.

Une distinction essentielle doit être établie entre ce que j’appellerai le miracle et le merveilleux.

L’un est un fait essentiellement concevable, parce qu’en lui-même il n’implique aucune contradiction, parce qu’il a une raison d’être suffisante et une finalité morale. Le merveilleux, au contraire, est souvent absurde ; lorsqu’on cherche la cause qui aurait pu le produire, on ne la trouve pas ; et si l’on veut découvrir son but, il apparaît vain ou immoral.

Qu’on examine, un à un et en détail, les faits miraculeux dont la vie de Jésus est pleine, qu’on les compare avec ceux qui se retrouvent dans les livres consacrés à Bouddha ou à Mahomet, et même avec les récits des évangiles apocryphes, et l’on verra la différence entre le miracle que la raison peut et doit accepter, s’il est certifié par des témoins dignes de foi, et le merveilleux fantastique que la raison doit inexorablement répudier, fût-il attesté par des témoins prétendus. Il n’y a pas de témoin contre la vérité. Elle domine tout. Celui qui dépose contre elle se trompe ou il nous trompe. Il n’y a pas à hésiter ; son sang versé ne prouverait que la sincérité des illusions du martyr ; il ne serait pas traité de fourbe, mais de visionnaire, d’illuminé et de fanatique.

Les miracles de Jésus, rapportés par les Évangiles, présentent tous un même caractère de force divine, de vérité, de simplicité, d’harmonie et de bonté. Ils n’ont rien de bizarre comme ceux que la légende a attribués à Bouddha et à Mahomet, rien qui sente l’ostentation, le dessein d’étonner la foule et d’inspirer la terreur. Ils restent toujours empreints de douceur et d’une infinie miséricorde. Pareils à Celui qui les accomplit, ils dévoilent sa puissance sous les dehors d’une mansuétude inaltérable.

La cause qui les produit est dans le Dieu vivant caché sous l’humanité de Jésus, et leur raison finale est le bien des hommes. Tous ont pour but d’éclairer, de toucher, d’améliorer, de provoquer la confiance et d’inspirer la vertu. Ils sont ainsi consacrés par la moralité la plus pure et la sainteté la plus parfaite.

Les prodiges dont la légende de certains hommes a été émaillée ne font pas corps avec l’histoire de ces hommes ; ils peuvent en être retranchés, sans que cette histoire soit atteinte dans le lien même des événemens. Mahomet s’explique avec son œuvre, ses luttes, ses-préceptes, ses succès, son ascendant sur les Arabes, — sans prodiges. Jésus ne s’explique pas sans ses miracles. Ils sont un élément essentiel dans sa mission : par eux, il a conquis la foi de ses disciples, il les a convaincus de sa vocation messianique ; par eux, il a exercé une action puissante sur le peuple, il a pu affirmer et démontrer la vérité de sa doctrine. Jusqu’après sa mort, dans sa survivance au milieu du monde, il reste essentiellement miraculeux. Son œuvre est le plus grand des prodiges. Aucune philosophie de l’histoire n’expliquera, sans l’intervention constante de l’Esprit de Dieu, cette société immense, indéfectible, publiant à toute créature un Dieu crucifié, protestant contre toutes les passions humaines et tous les vices, contre toute puissance tyrannique et tout esclavage, enseignant le salut par la foi en ce Dieu crucifié, par l’humilité et la pénitence, par la charité et le sacrifice.

Une telle doctrine et de telles vertus ne peuvent prendre leur point d’appui dans la nature ni dans l’humanité, puisque la nature et l’humanité leur font une guerre sans merci. En dehors de la nature et de l’humanité, il n’y a que Dieu, et c’est Dieu révélé en Jésus qu’il faut reconnaître comme le soutien immuable de la foi et de la sainteté des croyans.

Je signalerai encore un caractère frappant et absolument original des miracles de Jésus. Ils sont tous symboliques et prophétiques ; suivant l’expression soulignée par le quatrième Évangile, ils méritent le nom de signes. Ils traduisent tous visiblement une des fonctions invisibles du pouvoir divin de Jésus pour sauver l’humanité et transformer les consciences ; ils prophétisent tous ce que ce pouvoir divin devait accomplir dans la suite des siècles, au plus profond de l’âme et même au grand jour de l’Eglise.


XI.

Tous les critiques qui ont pris pour point d’appui un système particulier impliquant la négation du miracle se sont vus dans la nécessité de procéder à l’élimination des faits miraculeux contenus dans les documens évangéliques. La méthode demande à être signalée.

Dès qu’on se trouve en présence d’une parole annonçant l’avenir, on crie à l’interpolation. — C’est ajouté après coup ! dit-on. — A-t-on signalé l’interpolateur ou le faussaire ? — Non, mais il est certain. La prophétie n’existe pas. Elle est impossible ! — Impossible pour ceux qui n’admettent pas Dieu ; mais ceux-là ont-ils démontré jusqu’à l’évidence leur système?

Le procédé d’élimination appliqué aux faits miraculeux est multiple. L’école mythique, née il y a cinquante ans et morte depuis, disait : Tous ces faits sont l’invention des premiers chrétiens. Ils avaient dans l’esprit un type convenu du héros messianique qu’ils attendaient, et un être supérieur appelé Jésus leur ayant persuadé qu’il était ce héros, ils lui ont attribué tous ces traits.

L’école mythique a-t-elle donné une preuve certaine, positive, de ce travail de création légendaire ? A-t-elle expliqué par des documens certains comment l’ouvrier charpentier Jésus a exercé sans miracle un ascendant tel sur ses disciples, qu’il les a subjugués au point d’en faire ses Apôtres, héroïques par leur fidélité et leur vertu? A-t-elle réfuté le témoignage des narrateurs affirmant, attestant la vérité de leurs récits? Ils mentaient donc en glorifiant leur Maître? L’histoire est donc une duperie?

Je ne réfuterai pas ces doctrines mortes.

La vieille école rationaliste allemande pratiqua le procédé littéraire pour se débarrasser du miracle évangélique. Toute la vie de Jésus était en réalité une vie comme nos vies humaines. Rien de prodigieux, rien de miraculeux. Les plus simples événemens ont revêtu un caractère miraculeux par la façon dont les écrivains les racontent. Ils poétisent, ils embellissent ; ils prennent une illusion d’optique pour la réalité; les morts n’étaient qu’endormis ; les possédés n’étaient que des épileptiques ou des maniaques. C’est l’ignorance, la crédulité, l’imagination orientale qui ont donné à la vie de Jésus cette apparence légendaire et surnaturelle dont la vraie science critique doit la dépouiller.

Cette méthode, dont les vieux Allemands, Semler et Paulus, ont lourdement abusé, a succombé bien vite sous le rire de l’école mythique elle-même.

Voilà les seuls outils de la critique antithaumaturgique au service des systèmes panthéistes, matérialistes et athées. Ils ont été forgés en Allemagne ; en France, on les a imités, on a su les rendre plus fins, plus subtils, les manier d’une main plus légère et plus svelte. On n’a pas réussi à dissoudre le roc immuable de l’histoire de Jésus.

Il faut prendre cette histoire telle qu’elle est, ou la nier en bloc. Enlever ce qu’elle contient de transcendant et de miraculeux, c’est la détruire, non pas en elle-même, — elle défie tout, — mais dans l’esprit de ceux qui essaient de l’épurer, comme ils disent, de tout surnaturel.

En résumé, voici, au sujet d’une vie de Jésus traitée d’après les règles de l’histoire, les questions nécessaires et les réponses nettes de la critique impartiale, qui ne s’appuie que sur la raison pure.

Quels sont les documens où les faits de cette vie ont été consignés?

Les quatre Évangiles.

Ces écrits émanent-ils des témoins immédiats des événemens, ou de ceux qui ont interrogé les témoins immédiats ?

Oui.

Leur antiquité, et, par là-même, leur authenticité, sont-elles certaines, appuyées par les preuves les plus convaincantes?

Oui. La critique incroyante elle-même le reconnaît.

Les faits racontés, bien que prodigieux et miraculeux, sont-ils concevables et n’impliquent-ils aucune contradiction, soit qu’on les examine dans le détail, soit qu’on les juge dans leur ensemble ?

Ils sont concevables, leur harmonie est indissoluble et d’une parfaite unité ; ils ont pour cause la force infinie de Dieu intervenant dans l’humanité de Jésus qui en est l’organe irrésistible ; ils ont pour fin la vertu, l’instruction, la sainteté et le salut des hommes, la manifestation de la miséricorde ineffable de Dieu.

Les témoins de toutes ces choses transcendantes peuvent-ils être reniés ?

Non, leur vie sainte et leur martyre attestent leur sincérité ; ils prouvent, dans l’espèce, non-seulement qu’ils croient ce qu’ils affirment, mais que ce qu’ils affirment est réel ; car leur affirmation a pour objet des faits palpables, extérieurs, sensibles, publics, sur lesquels il n’y a pas d’erreur possible.


XII.

Lorsque la critique a accompli son œuvre, éprouvé et choisi les matériaux, l’histoire peut commencer la sienne et construire l’édifice.

Les élémens essentiels de la vie de Jésus sont fournis par les Évangiles. Celui qui les examine avec impartialité, à la lumière d’une critique affranchie de toute idée philosophique, antérieure à toute croyance, d’une critique qui, seule, à ce titre, a le droit de se nommer la critique de la raison pure et impersonnelle, celui-là, — n’eût-il pas la foi, — devrait les accepter dans leur intégrité absolue, sans les altérer ou les atténuer, sans retrancher un seul fait, une seule parole.

Tout en eux est historique et réel, même et surtout les faits miraculeux, et les paroles de Jésus les plus transcendantes par leur mystère.

C’est ainsi que je les ai acceptés dans cet ouvrage : ils s’y retrouvent intégralement, harmonisés et fondus. Alors même que ma foi ne m’eût pas fait un devoir sacré de les accueillir sans réserve, ma seule raison d’historien impartial me l’eût commandé. Loin de chercher à ramener les événemens prodigieux de cette vie sans pareille et la doctrine mêlée à ces événemens aux proportions de ma pensée individuelle, je me suis efforcé de m’élever à la hauteur des choses que je raconte et de m’effacer moi-même devant la Sagesse infinie dont j’ai reproduit les enseignemens. Une telle disposition d’esprit est une garantie de fidélité, car l’homme est naturellement enclin à substituer ses propres sentimens et ses propres idées aux sentimens et aux idées qu’il essaie de représenter. C’est en mêlant le moderne à l’antique qu’on altère presque toujours l’histoire du passé.

L’œuvre historique est d’abord descriptive, picturale. Elle doit peindre les faits exactement, les reproduire dans un récit animé et coloré qui les rende présens aux yeux du lecteur, malgré les siècles, et qui les fasse revivre, malgré la mort. Je ne crois pas qu’aucun livre, à ce point de vue, puisse être comparé aux Évangiles. Les scènes qu’ils racontent, les tableaux qu’ils dessinent sont des modèles d’esthétique. Ils ont la simplicité et la grandeur, la sobriété et les détails expressifs. Sans se soucier des règles de l’art, qu’ils ne connaissent guère, uniquement préoccupés de raconter fidèlement, dans une langue à peine correcte, la vie de leur Maître, tout remplis de leurs souvenirs, ils ont laissé un monument achevé, comme histoire descriptive. J’ai reproduit leur récit avec une fidélité scrupuleuse, et afin de le rendre exactement, j’ai respecté jusqu’aux incorrections parfois si expressives dans leur rudesse. Il m’eût semblé que je le profanais en y ajoutant ou en y retranchant. Ce sont des tableaux de maîtres hors ligne. On ne touche pas aux chefs-d’œuvre.

Pourquoi, alors, entreprendre après eux d’écrire sur Jésus ? Les Évangiles sont parfaits, et ils suffisent ; tout ce qu’on peut tenter, c’est de les mettre en concordance et de les traduire dans nos langues modernes.

Mais l’histoire n’est pas seulement une narration de faits ; si elle est d’abord et avant tout une œuvre picturale, elle a le devoir d’encadrer les faits et de les replacer dans leur milieu.

Tout événement est soumis à la loi du temps et de l’espace. La raison ne le conçoit qu’en le rapportant au point de l’espace où il s’est accompli, et au point du temps qui l’a vu se produire. Le point de l’espace nous est indiqué par la géographie ; le point du temps, par l’histoire générale des peuples et de l’humanité. La description d’un fait n’est complète qu’à la condition de le montrer non-seulement en lui-même, mais dans ce double milieu qui l’enveloppe. Il est même souvent incompréhensible et il reste inexpliqué, si nous l’isolons de son cadre.

Lorsqu’on écrit sur les événemens contemporains, pour des contemporains, on suppose qu’ils connaissent le théâtre géographique et historique de ces événemens, et on leur laisse, en racontant les faits, le soin de les y placer. Ainsi ont fait les Évangélistes, en écrivant la vie de leur Maître pour les premiers chrétiens. D’ailleurs, le fait brut leur suffisait ; il contenait toujours quelque élément éternel, supérieur au temps et à l’espace, et en négligeant à dessein peut-être les conditions de temps et de milieu, ils plaçaient le Fils de Dieu dans l’immensité des siècles et au-dessus de la terre ; et leur personnage avait assez de grandeur pour répondre à tous les siècles et à toute la terre.

Cependant, nous qui n’avons pas vu comme eux le Christ vivre, agir et parler, nous qui ne le voyons que dans ce qu’il a d’éternel, ne nous est-il pas permis de le replacer dans son cadre terrestre et humain, dans cette terre de Palestine qui a gardé la trace de son passage et qui a été le témoin de sa vie? Nous sera-t-il interdit de le remettre dans ce milieu social juif, parmi les hommes qui furent ses concitoyens, parmi cette foule qui se pressait sur ses pas, en face de cette société judéenne dont il encourut la colère et dont il expérimenta l’opiniâtreté et l’aveuglement?

Non-seulement je considère cette œuvre comme légitime, mais elle me paraît indispensable pour l’intelligence de la vie de Jésus, de ses faits et gestes, de ses douleurs, de la forme de ses discours.

Un fait s’altère, isolé de son milieu. Si parfaite que soit une toile, elle veut son cadre vrai, harmonique, pour que la gamme des couleurs et des tons ne soit pas faussée et qu’elle prenne toute sa force.

Je me suis appliqué avec soin à encadrer la vie de Jésus dans ce que j’appellerai son milieu pittoresque ou géographique et dans son milieu social et juif.

Deux voyages prolongés m’ont permis d’étudier de très près la Palestine, la terre de Jésus. Je l’ai parcourue lentement, dans tous les sens, suivant les traces du Maître depuis Bethléem et Hébron jusqu’aux confins de Tyr et de Sidon et aux sources du Jourdain[63]. Je me suis arrêté longuement dans les lieux mêmes où Jésus avait le plus longuement vécu, le plus ardemment lutté et souffert, le plus enseigné, le plus aimé. J’ai essayé de les revoir tels qu’ils étaient, il y a dix-huit siècles ; leur désolation présente, leurs ruines amoncelées, les constructions élevées par la piété des chrétiens n’ont laissé subsister presque rien de l’état primitif. J’ai consulté les traditions vénérables, interrogé les voyageurs les plus experts, étudié les Évangiles surtout ; et je puis dire que je les ai vécus là-bas, sur cette terre où tout ce qu’ils racontent s’est accompli.

Ceux qui ont combattu la réalité de l’histoire de Jésus n’ont sûrement pas vu la Palestine ; s’ils l’avaient étudiée, l’Évangile à la main, ils auraient compris que l’Évangile ne s’invente pas.

Aucune vie ne présente à l’égal de la vie du Christ une harmonie plus étroite avec la terre où elle s’est déroulée. Comme la Galilée, avec sa ville de Nazareth, son lac de Tibériade, son Thabor, ses collines et ses vallées toutes vertes, encadre bien la figure de Jésus vivant trente ans inconnu, de l’apôtre, du docteur populaire annonçant l’Évangile du Royaume, enseignant la foule en paraboles, l’entraînant au désert, et révélant sur une montagne à ses disciples sa gloire éternelle ! Comme la Judée austère, aride, avec ses monts rocailleux, comme Jérusalem avec sa vallée du Cédron, assombrie par ses tombeaux, s’harmonisent bien avec le Prophète méconnu, repoussé, condamné ignominieusement et mourant sur un gibet !

Il me semble avoir pris, au contact de la Palestine, de ses ruines, des souvenirs sacrés dont elle est pleine, le sentiment profond des faits évangéliques, de leur vérité, de leur réalité et de leur beauté. Ces faits sont inséparables de cette terre. Elle peut devenir plus triste encore, plus désolée, plus morte; elle les encadrera toujours dans sa lumière, dans ses vallées, dans ses collines ondulantes, dans ses chemins par où Jésus a passé et par où des générations sans fin passent et repassent encore après Ini.

La reconstitution du milieu social où Jésus vécut est plus difficile que la peinture des lieux prédestinés à le voir agir. C’est peut-être le travail le plus complexe et le plus difficile de l’histoire[64]. On peut tenter le portrait d’un homme, non celui d’un siècle, d’un temps, d’une civilisation, à un moment déterminé de son existence. Cependant, on ne comprendra jamais un homme, surtout un homme public, si on ne l’étudié pas dans la société à laquelle il appartient. Or, une société est faite de milliers d’élémens qu’il est impossible, malgré tous les efforts et avec les informations les plus multipliées et les plus exactes, de reproduire dans leur complexité, leur mobilité et leur activité. Tout ce que peut essayer l’historien sincère, c’est de décrire l’organisation religieuse et politique d’un peuple, de nommer et d’expliquer les partis qui s’agitaient dans cette organisation, de signaler les doctrines philosophiques, les croyances, les préjugés, les habitudes de vivre, les mœurs, les coutumes traditionnelles, les passions politiques et religieuses. Quelque imparfaite que soit cette restauration, elle jette une grande clarté sur la vie d’un homme. Beaucoup de paroles de Jésus, beaucoup de faits de sa vie s’expliquent d’eux-mêmes, sans qu’il soit besoin de les commenter, par cela seul que les uns et les autres sont replacés dans leur milieu vrai.

Lorsqu’il a rétabli les faits d’une vie humaine dans leur cadre naturel, l’historien n’a réussi qu’à en achever la description. Une tâche non moins nécessaire s’impose à lui, il doit les grouper dans leur ordre chronologique.

La suite des événemens, c’est l’histoire même. L’unité d’une vie n’est pas concevable sans cet enchaînement. Une des difficultés, un des problèmes de la vie de Jésus est de déterminer avec exactitude la succession des faits que les documens nous ont rapportés et qui constituent sa vie publique. Les données chronologiques fournies par le troisième et le quatrième Évangile et par quelques historiens profanes, éclairées d’ailleurs par l’astronomie et la numismatique attentivement étudiées et comparées, nous ont permis d’arriver à un résultat motivé. Le lecteur trouvera dans le premier Appendice, sous le titre de : Chronologie générale de la vie de Jésus les motifs qui m’ont autorisé à fixer à l’an 747-748 la naissance de Jésus, à l’an 27-28 l’époque de son baptême, à l’an 28-29 son ministère galiléen, à l’an 30 sa mort. Je n’ignore pas les divergences nombreuses qui divisent, sur ces divers points, les chronologistes et les historiens de Jésus ; mais je crois que ces divergences, qui ne dépassent pas sept années pour l’époque extrême de la naissance et de la mort, qui se réduisent à une seule année pour la durée de la vie publique, sont de peu d’importance au point de vue de la substance même de l’histoire. Elles autorisent, en tout cas, la liberté de l’écrivain, si, en adoptant une conclusion, il la motive.

Quelques auteurs ont avancé que la vie publique avait duré jusqu’à sept années. Pour être acceptable, un tel sentiment devrait s’appuyer sur les documens évangéliques et non sur des autorités postérieures. Or, on peut discuter, d’après les Évangiles, le point de savoir s’il y a eu trois ou quatre Pâques dans le ministère de Jésus; mais rien ne nous permet d’en découvrir une de plus ou de moins.

Quelque système qu’on adopte, l’histoire entière de Jésus se déroule entre deux dates fixes, incontestables. Il est né avant la mort d’Hérode, qui eut lieu au printemps de l’an 750 ou 751, et il est mort sûrement avant que Pilate quittât la Judée, c’est-à-dire avant l’an 36 de l’ère vulgaire.

Les faits d’une vie décrits et classés suivant une chronologie justifiée, il ne reste à l’historien qu’un devoir, le plus ardu et le plus délicat, celui de les expliquer, d’en montrer la nature, l’importance, le lien profond, les causes diverses et les conséquences, sans cependant les altérer, les amoindrir, les défigurer.

C’est avec un respect infini que, devant une vie comme celle de Jésus, j’ai essayé ce travail. Chacune de ses paroles, chacun de ses actes me semblait comme un diamant, une perle précieuse : je me suis contenté d’imiter l’art du joaillier, j’ai serti ces pierres taillées par une main divine, et je n’ai cherché, en les montant, qu’à leur donner plus de relief et plus d’éclat.

Pour comprendre les actions du Christ et sa doctrine, les sciences auxiliaires de l’histoire, psychologie, morale, philosophie, théodicée, sociologie, anthropologie, ne suffisent pas. Jésus les dépasse toutes. Aucune ne le contient tout entier. Sa vie, à tout instant, déroute ce que nous appelons notre psychologie, notre morale, notre philosophie, notre sociologie, notre anthropologie, notre faible et timide théodicée.

Aussi, en faisant appel à ces sciences, dans la mesure où elles m’étaient familières, je n’ai jamais hésité 4 les élever à la hauteur de Jésus et jamais tenté de l’y emprisonner. Quand il les domine, il ne les détruit pas, il les éclaire.

Le plus grand monument élevé par la théologie à la gloire de Jésus est le Traité de l’Incarnation de saint Thomas d’Aquin[65]. Nul génie n’a expliqué dans une synthèse plus puissante, avec une raison plus ferme, une psychologie plus exacte, le mystère du Christ. Toute vie de Jésus devrait le contenir tout entier, pour être dans la pleine lumière de la doctrine. Je dois à ce maître le meilleur de ce que j’ai essayé pour atteindre h. ce qu’on pourrait appeler la philosophie chrétienne de cette histoire.


XIII.

En commençant ce travail, je ne me suis dissimulé ni sa grandeur ni ses difficultés. Je les ai senties s’accroître à mesure que je le poursuivais. En le voyant terminé, je reconnais ses lacunes et son insuffisance. Il ne dépend pas de ma volonté qu’il soit moins indigne de Celui dont j’ai raconté l’histoire.

Une conviction profonde m’a soutenu : le Christ, vivant, agissant par son Esprit dans l’Église, est le salut de l’humanité et des peuples modernes. Rallier à lui les consciences d’un pays et d’un siècle, l’essayer seulement, c’est apporter à ce siècle et à ce pays le plus grand des bienfaits. La civilisation moderne, avec ses aspirations ardentes vers la justice, vers l’affranchissement et le bien-être des petits, vers la charité et la paix, est née de Jésus. S’il lui a donné la vie, quel autre que lui pourrait la conserver, dompter l’égoïsme, museler la violence, asservir les folles passions qui nous dévorent? Il accomplit ces merveilles dans le secret des consciences ; il ne tient qu’à nous de lui permettre de les accomplir dans notre pays.

La lutte qui nous déchire, au fond, c’est la lutte à mort entre le vieux paganisme persistant et le règne nouveau de l’Évangile. Apôtre, j’ai voulu travailler à ce règne nouveau qui est le règne de Dieu, le règne spirituel de l’Église, le règne de l’homme libre de tous les servages humains et du plus terrible de tous, parce qu’il les engendre tous, le servage intérieur du mal, de l’ignorance et du vice.

Comme Jésus faisait appel à la conscience plus qu’à la science, puisqu’il parlait à tous, ce livre, qui essaie de l’évoquer devant ce siècle, s’adresse à la conscience de mes contemporains, sans pourtant dédaigner la science.

Un préjugé vivace aujourd’hui prétend qu’entre la science et la foi le divorce est consommé, irrémédiable. Ce préjugé, je l’ai combattu toute ma vie avec une conviction que l’expérience n’a fait que rendre intraitable ; je le combattrai jusqu’à mon dernier souffle et ne cesserai de mettre en harmonie ma foi éternelle et ma culture moderne. Ni en politique, ni en histoire, ni en science naturelle, ni en philosophie, on n’a jamais signalé un fait certain, une loi démontrée jusqu’à l’évidence, qui fût en contradiction avec la parole de Jésus, telle que l’Église la garde, immuable et incorruptible. L’épreuve dure depuis de longs siècles ; et c’est parce qu’elle est triomphante que la race des hommes qui portent leur foi, je ne dis pas dans une conscience pure, mais dans une raison indépendante et virile, affamés de toute vérité neuve et inflexibles contre les préjugés du moment, — eussent-ils la faveur de l’opinion, — se perpétue et se perpétuera.

Je sais qu’entre le Christ de la foi et les esprits cultivés de ce temps on a multiplié les malentendus. Cet ouvrage en dissipera peut-être quelques-uns. Écrit dans la solitude et le silence, loin de ce qui divise les hommes, fruit d’un travail long et persévérant, je puis dire de toute ma vie, il n’est point une œuvre agitée de polémique, mais une œuvre tranquille d’histoire, une œuvre de foi. Il m’a semblé, en écrivant la vie du Maître, que sa beauté, sa douceur, sa sagesse, sa sainteté, sa charité, sa divinité rayonnant à travers ses paroles, ses actes, ses douleurs, le défendraient mieux que nos faibles argumens et nos vaines colères. Je voudrais que quelque chose de Lui, un souffle de son âme et de son esprit eût passé dans ces pages. Je voudrais communiquer à tous ce qu’il m’a donné.

Malgré tout, Jésus reste la grande figure dans le ciel des peuples chrétiens. La justice, vivifiée par la charité telle qu’il la voulait, est devenue la loi souveraine de ce monde, elle presse toutes les consciences, et ceux mêmes qui ont perdu la foi au Christ gardent sa morale, oubliant qu’elle est de lui. La puissance du sacrifice, ce levier que Jésus a mis aux mains de ses disciples, est intarissable ; les vrais croyans sont toujours prêts à donner leur vie pour que l’humanité, dans le moindre de ses enfans, soit arrachée au mal, à l’ignorance, à la douleur, à la mort.

C’est vers le Christ, tel que l’Église le garde, que je voudrais attirer les yeux de cette génération. On la dit malade : il la guérira; vieillie et désabusée : il lui rendra ses vingt ans et ses grands rêves ; car son disciple reste l’homme de l’éternelle espérance. On l’accuse d’être positive, de ne croire qu’au palpable et au visible, à l’utile et au délectable : il lui apprendra à voir l’invisible, à goûter l’immatériel, à comprendre que l’homme le plus utile à lui-même et aux autres, à la patrie et à l’humanité, c’est celui qui sait s’immoler, et que de tous les biens, le plus savoureux pour les raffinés, c’est le sacrifice de soi. On la dit folle de plaisir et d’argent; peut-être est-ce pour cela qu’elle décline, car le plaisir tue, et l’argent peut mener à tous les vices : le Christ lui apprendra h dédaigner le plaisir et à bien employer ces richesses qui débordent à mesure que la terre est plus savamment conquise.

Dans tous les cas, le monde reste en proie à mille douleurs, à mille angoisses, à mille tristesses. Ceux qui vantent la joie de vivre savent bien que cette joie est terriblement mélangée, et que la mort est d’autant plus cruelle qu’elle brise une vie plus heureuse. Le Christ est le seul qui enseigne la joie de souffrir, parce qu’il est le seul qui verse dans l’âme une vie divine que nulle douleur n’étouffe, que l’épreuve fortifie et qui méprise la mort, parce qu’elle nous permet de la regarder, pleins d’espérance.

Si j’osais emprunter la parole du plus grand des Évangélistes, je dirais : « Ces choses ont été écrites pour que vous croyiez que Jésus est le fils de Dieu. » C’est la foi catholique : je la confesse dans la plénitude de ma raison et de ma liberté.


F.-H. DIDON.

  1. En détachant les pages qui suivent d’un livre qui doit prochainement paraître à la librairie Plon, la Revue n’a point entendu prendre parti dans la question, et elle laisse à l’auteur toute la responsabilité de ses argumens comme de ses conclusions. Mais, si l’on connaît peut-être assez les résultats de la critique et de l’exégèse contemporaines, tant allemande que française, il a paru qu’il était bon de connaître aussi les raisons qu’y oppose la foi, quand elle consent à sortir du sanctuaire pour nous produire publiquement ses titres. Ce serait manquer de libéralisme, et bien plus encore de confiance dans le pouvoir de la vérité, que d’en paraître alors redouter l’exposition. Ajoutons qu’on ne trouvera pas dans le travail du père Didon un mot qui puisse blesser, irriter, ou froisser personne; et c’est pourquoi nous ne doutons pas que nos lecteurs, quelle que soit leur manière de penser, ne nous sachent gré de l’avoir imprimé. (N. d. l. R.]
  2. Act., III, 14 et suiv. ; IV, 11.
  3. Act., V, 30 et suiv.
  4. Galat, II, 20.
  5. Act., I, 14.
  6. Eusèb., Chronic ; Irénée, Adv. hœres., III. 1.
  7. Jérôme, Adv. Pelag., III, 1 ; Irénée, Adv. hœres., III. 1 ; Eusèbe, Hist. ecclés., III. 24 ; Jérôme, De vir. illustr. ; Fragm. Papias.
  8. Cf. Act., II, 14 et suiv. ; IV, 8 et suiv., V, 29-32, etc.
  9. Cf. Matth., I, 23 ; II, 6, 15, J8, 23 ; III, 3 ; IV, 15 ; VIII, 17 ; XI, 5, 10 ; XII, 18 ; XIII, 35 ; XXI, 5, 16, 42 ; XXII, 44 ; XXVI, 31 ; XXVII, 9, 35, 43, 46.
  10. Eusèbe, Hist. ecclés., III, 39.
  11. Jérôme, De vir. illustr., III.
  12. Eusèbe, loc. cit.
  13. Epist., CXX, qu. 11.
  14. Act., XII, 25.
  15. Jérôme, De vir. illustr., VIII.
  16. Cf. Papias, ap. Eusèbe, Hist. ecclés., III, 39; Clément d’Alex., ap. Eusèbe, II, 15; VI, 14; Irénée, Adv. hœr., III, 1; Épiph., Hœres., LI, n° 6.
  17. Cf. Marc, VII, 1-4.
  18. Cf. Jérôme, De vir. illustr., c. VIII; August., De cons. Evang., I, 4; Eusèbe, Hist. ecclés., II, 15.
  19. Act., IV, 1-2.
  20. Cf. Frag. Papias; Eusèbe, Hist. ecclés., III, 30.
  21. Luc, I, 1.
  22. H. Cor., VIII, 18.
  23. Luc, I ; II ; VII, 11-18, 30-50 ; X, 1, 25-42 ; XII-XVI ; XVIII, 1-14 ; XIX, 1-28 ; XXIII, 6-12 ; XXIV, 12-53.
  24. H. Cor., VIII, 18.
  25. Act., XX.
  26. Gal., IV, 3.
  27. Jérôme, De vir illustr., C, VII.
  28. Ignace, Ad Smyrn., II. Cf. H. Timoth., II, 8-17.
  29. Act., XX, 28-31.
  30. I Timoth., I, 5-7.
  31. Id., 19 et suiv. ; VI, 20, 21.
  32. Irénée, Adv. hœres., I, XXVI, 1.
  33. August., De hœres., in princ.
  34. Irénée, Adv. hœres., III, I, 1 ; Clém. d’Alex., ap. Eusèbe, Hist. ecclés., VI, 14 ; Tertull., Contr. Marcion., IV, 2.
  35. Canon de Muratori ; Jérôme, De vir. illustr., CIX.
  36. Jean, I, 1.
  37. Luc, XXIV, 45.
  38. Cf. ch. IV ; VI ; IX ; X ; XI.
  39. Jean, V ; X.
  40. Opera Patr, apostol, t. I, p. 565 et suiv.
  41. Irénée, Adv. hœres., III, I, 1.
  42. Einleitung in das Neue Test., p. 112.
  43. Ephés., I, 1-3.
  44. Matth., XXVIII, 19. 10.
  45. Luc, XXIV, 48.
  46. Act., I, 8.
  47. Jean, XIV, 10.
  48. Jean, II, 13 ; VI, 4 ; XII, 1, XIII.
  49. Jean, V, 1 ; VII, 2 ; X, 22. Les synoptiques contiennent cependant des allusions certaines aux divers voyages de Jésus à Jérusalem; mais nous ne sommes renseignés sur ces voyages que par le quatrième Évangile. (Matth., XXIII, 37 ; Luc, IX, 51 ; XIII, 22.)
  50. Matth., IV. 12 ; Marc, I, 14 ; Luc. IV, 14.
  51. Jean, IV, 3.
  52. Jean, X, 30.
  53. Jean, VIII, 58.
  54. Jean, XVII, 5.
  55. Jean, XIV. 10.
  56. Vorlesungen über Neu-Test. Théologie.
  57. Eichhorn, Einleitung in d. N. Test.
  58. Schleiermacher, Kritisch. Versuch iib. die Schrift des Lukas.
  59. Reuss, Histoire évangélique. Introd.
  60. Ibid.
  61. Reuss, Théologie johannique. Introd.
  62. Éph., III, 9.
  63. Je dois à mon excellent et brave drogman, Melhem Ouardy de Beyrouth, une grande reconnaissance pour le dévouement et l’expérience qu’il a mis à mon service.
  64. Les ouvrages les plus précieux pour la connaissance de la société juive au temps de Jésus, et qu’on peut nommer les ouvrages sources, sont les livres du Nouveau Testament, les livres de l’Ancien Testament, les apocryphes de l’Ancien Testament, quelques traités de Philon, les Talmuds, le Livre des antiquités et la Guerre de l’indépendance de Flav. Josèphe, les Livres sibyllins, la grande histoire classique de Rome, Suétone, Tacite, Pline le Jeune, Dion Cassius, etc.
    Les travaux modernes, en Allemagne surtout, sont considérables, et l’on ne peut que reconnaître leur importance. Autant l’exégèse, en ce pays, a été stérile, parce qu’elle a été presque toujours au service d’une tendance, autant l’histoire proprement dite des temps christiques a été féconde.
  65. Summa theolog., 3e p.