La Dupe (fragment)

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Europe (revue)15 mars 1935 — no 147 (p. 354-363).


LA DUPE[1]

(Fragment)


Avec de fades Juvenilia (Sonnets macabres, Invocations et Blasphèmes, Au Jour le Jour, L’autre Évangile) que je présenterai aux lecteurs d’un prochain Cahier, Baillon laisse, en 1932, trois importants inédits : le roman qui fait l’objet de cette préface, La Dupe ; une étrange et audacieuse nouvelle, Le Pénitent exaspéré ; et, sur le modèle d’En Sabots, un recueil d’images des années de Marly, Pommes de Pin. De toutes les œuvres précitées, seule, la dernière a été publiée ; celle qui nous occupe verra le jour très prochainement ; les autres attendent le bon vouloir des éditeurs.

On chuchote que La Dupe porte des marques évidentes de sénilité : ce jugement sommaire n’est heureusement pas fondé ! Au simple lecteur comme au critique, ces pages, qui terminent la narration des souvenirs de jeunesse, réservent d’agréables surprises. Pour justifier les apparentes redites qui semblent entraver la marche du récit, il convient de préciser que la composition de cet inédit est antérieure au Neveu de Mademoiselle Autorité et à Roseau. La relation des incidents qui suivent la mort de la mère de Daniel Hauduin (Henry Boulant), et précèdent le départ pour l’Université, n’est pas, comme dans Roseau, un scrupuleux rappel. Serpent qui se mord la queue, La Dupe, premier écrit sérieux d’André Baillon, marque le commencement et la fin d’une carrière.

Amorcé à Forest vers 1897, « au lendemain d’une fugue dont d’autres ne se seraient jamais relevés », relégué au fond d’une malle pendant une dizaine d’années, ce texte est remanié et complété à Bruxelles et à Boendael sur les instances de Germaine Lievens. Dès lors, Baillon écrit d’arrache-pied : Le Pénitent exaspéré, Histoire d’une Marie, Moi quelque part, Zonzon Pépette. En 1919, Georges Eekhoud présente magistralement son quatrième ouvrage — et non le premier, comme on l’affirme à tort : peu après, Charles Vildrac préface le précédent. Unanime, la critique salue en Baillon un écrivain de race.

Ainsi, l’obscur petit bouquin de la vingt-deuxième année n’est pas un fond de tiroir jauni et desséché. Humble et féconde comme la terre de Flandre, c’est la mère — jusqu’à présent secrète — qui, déterminant la manière de notre auteur, supporte et nourrit l’œuvre entier, par delà la série Des Vivants et des Morts.

On a appelé l’Histoire d’une Marie : le grand arbre de la vie douloureuse de Baillon. Oui, un arbre qui a La Dupe pour racines !


André, futur ingénieur des mines, quitte la poésie et la rhétorique des Joséphites pour les mathématiques de l’Université catholique de Louvain. Il ne tarde pas à s’éprendre d’une chanteuse de café-concert, Rosine, qui l’aide à dilapider, en deux ans, la — bagatelle d’un demi-million. Trompé, escroqué, ruiné — dupé de tous côtés, il tente, sans conviction, de se suicider. On le sauve et nous le retrouvons cafetier, rue de la Cité, à Liège. Cette vie désordonnée, au lendemain plein d’amertume, constitue l’armature de La Dupe, comme les prochains, ce livre est le récit sans fards des années d’apprentissage de notre ami. Mince, dans cette œuvre, est la part de la fiction.

Pauvre et désabusé, Baillon se réfugie auprès de son frère. Bientôt, il s’exile à Forest et consacre à la rédaction du livre qui nous occupe les loisirs que lui laissent d’obscures besognes.

Pressé de nous associer au dégoût et au désespoir qui l’accablent, il n’a cure de nous conter l’histoire complète du frêle roseau. Les clinquantes anecdotes de l’adolescence lui cachent la discrète et cruelle beauté de l’enfance. On sait avec quelle douloureuse lucidité il se penchera plus tard sur le film brumeux de cette enfance sans tendresse, sans joie, sans espérance.


Au sortir de la Salpêtrière, Baillon entreprend une nouvelle version de la fin de La Dupe ; en 1930, après la publication du Neveu de Mademoiselle Autorité, il remanie le début de notre inédit pour l’adapter à Roseau.

Pour qui veut suivre de près la patiente et laborieuse genèse de L’Œuvre, l’ensemble de ces textes présente un intérêt capital. Encore que La Dupe se réclame, par maint côté, du réalisme et du naturalisme, Baillon, peu porté à l’outrance, n’adopte pas l’attitude volontairement pessimiste, impitoyable, furibonde ou scientifique de ses grands devanciers. Du point où il se place, il a sur l’homme, qu’il ne laisse pas d’observer rigoureusement, une vue plus étendue, partant plus compréhensive, plus sympathique.

De la poésie frelatée et inconsistante des Sonnets macabres et des contes du Thyrse — fastidieux plagiats des tics symbolistes ou diaboliques — Baillon passe, sans transition, à une œuvre personnelle et déjà solidement charpentée.

À la vérité, La Dupe est un peu floue ; l’objectif n’est pas encore au point. Le style qui ne manque pas d’équilibre n’atteint pas à la dramatique concision des livres de la maturité. Les aventures financières et amoureuses de Daniel, en dépit des efforts du conteur, ne nous émeuvent pas. À l’auteur qui déclame et s’écoute souffrir avec complaisance, on peut surtout reprocher de prendre des égratignures, quelque cuisantes qu’elles soient, pour de nobles et profondes blessures. Seuls, l’éloignement et une connaissance profonde du « métier », lui apprendront à se garder de toute émotion extérieure et à distinguer la douleur authentique de l’emphase mélodramatique. L’impartialité de l’éclairage et de l’observation devaient restituer à ces souvenirs leur relief véritable… Mais la suite est un peu triste — la mort surprend Baillon à l’œuvre.


Weslmalle, Forest, Bruxelles, La Salpêtrière, Marly — étapes pathétiques que notre Peintre de la Réalité a tirées de l’ombre pour l’enrichissement de notre expérience humaine.

Les étapes de l’adolescence nous manquaient — voici, tout à la fois, Baillon étudiant sage, Baillon amoureux transi, Baillon révolutionnaire, Baillon millionnaire et prodigue, proie facile de comtes russes en rupture de ban, Baillon candidat au suicide, Baillon cafetier et poète maudit, Baillon Frère postulant !

Labyrinthe plein d’embûches et d’impasses, sans doute ; mais quelle émotion de rencontrer, au détour d’une phrase tortueuse ou d’un lieu commun usé, l’éternel Baillon avec l’inextinguible lueur verte de ses yeux immenses qui transfigure les pages imparfaites !

Il me souvient qu’un autre grand Flamand, le graveur Frans Masereel, a inscrit ces quelques lignes de Colas Breugnon en exergue de son Livre d’Heures, assurément proche parent de l’imagerie de Baillon : « …des plaisirs et des peines, des malices, facéties, expériences et folies, de la paille et du foin, des figues et du raisin, des fruits verts, des fruits doux, des roses et des gratte-culs, des choses vues, et lues, et sues, et eues, vécues ! »

On ne peut mieux définir La Dupe.

carle maria von israël.
Traduction de
otto balka-draeger.


Un jour, Rosine prit un air grave pour expliquer ses projets. Ils étaient simples. Elle avait à Liège — Daniel ne l’ignorait pas — des connaissances nombreuses qui l’estimaient beaucoup et ne manqueraient pas de la favoriser si elle entreprenait un commerce dans cette ville,

— Mais nous ne sommes pas commerçants, interrompit son amant.

— Je le sais. Mais il existe des commerces faciles qui n’exigent guère d’expérience et où les risques sont légers.

Bref, après de longs ambages et prévenant Daniel que l’idée, à première vue, le choquerait peut-être, elle exposa son plan : ouvrir un débit de bière.

— Cafetier ! s’exclama-t-il. Jamais. Me vois-tu, moi, après les études que j’ai faites, établi derrière un comptoir, en tablier, verser des chopes à des ivrognes, comme un garçon ?

Elle parut mécontente :

— Préfères-tu le bureau ?

Et comme il courbait la tête sans répondre, elle n’en parla pas davantage. Pendant quelques jours, elle s’enferma dans une bouderie qui tortura Daniel. Puis un matin, s’installant sur ses genoux, lui tapotant les joues :

— Voyons, mon petit Dani, ce commerce t’effraie donc si fort ? Il n’est cependant pas plus vilain qu’un autre. Personne n’en saura rien ; je m’occuperai de tout. Tu ne te montreras pas, si tu ne le désires pas. Tu auras ta chambre, ta bibliothèque, tes livres… tu pourras écrire.

— Oui, mais toi ? demanda-t-il un peu radouci par cette promesse.

— Oh ! moi, je consens à tout pourvu que rien ne nous sépare et que tu sois heureux.

Et comme il hésitait encore :

— D’ailleurs, ajouta-t-elle, nous aurons une honnête clientèle : des ouvriers, des houilleurs et ces gens ne sont pas si mauvais. Leur société vaut bien celle des comtes russes.

Ce raisonnement parut le frapper. Et comme il était las, qu’il craignait, s’il s’obstinait, de voir sa maîtresse encore maussade :

— Soit, dit-il enfin, tu feras comme tu voudras.

— À la bonne heure ! Tu le verras, tu ne regretteras pas ta résolution.

Et, de fait, en y réfléchissant, comme s’il eût voulu peut-être se justifier vis-à-vis de lui-même, l’idée de Rosine lui parut merveilleuse et de conséquences imprévues. Il l’admira de l’avoir trouvée.

Son dernier argument surtout le hantait. Ces hommes, ses futurs clients, aux mains rudes, aux torses râblés, dépassaient, dans leur laborieuse roture, l’indolence de tous ces seigneurs à noms sonores qu’il avait autrefois admirés. Rosine, qui sortait de cette souche généreuse, détenait dans la simplicité de son âme plus de noblesse que ces gens n’en pouvaient étaler sur leur blason. Le peuple — il l’avait lu quelque part — c’était l’arbre aux ramures puissantes et fécondes où les autres vivaient en parasites prétentieux.

Sur ce tronc, il grefferait ses efforts. Il ne s’avilirait pas en descendant vers ces hommes : la misère l’avait déjà fait leur semblable. Il se souvenait de son enthousiasme social lorsque, étudiant à Louvain, il allait mêler ses rêves aux revendications des prolétaires. L’heure arrivait de les reprendre. À cause d’eux, on l’avait exclu de l’Université et il se glorifiait d’avoir souffert déjà pour la Cause.

Peu à peu, son imagination embellissant ses projets, il en venait à oublier la pompe à bière et le torchon.

Ce n’était plus un vulgaire breuvage qu’il versait au peuple, mais le flot somptueux de sa parole. Il trouverait là des cœurs simples qui le comprendraient, dont il se ferait l’apôtre. Il écouterait leurs confidences, il écrirait pour eux !

Dans son exaltation il poussait Rosine pour qu’elle hâtât leur départ. Déjà il voyait flamboyer l’enseigne : « À l’ami du Peuple » en lettres sanglantes, proclamant à la face du monde, ses sympathies.

À Liège, dès les premiers jours, ils se mirent à la recherche d’un local convenable. Levés tôt, ils visitaient des établissements, discutaient l’emploi des pièces et, déjà, Rosine prenait des mesures pour les meubles. Elle s’inquiétait surtout de son comptoir ; Daniel lorgnait la pièce dont il ferait sa chambre d’études. Les propriétaires montraient un air aimable en apprenant qu’il s’agissait de leur immeuble, mais leur mine se renfrognait dès que les jeunes gens confessaient qu’ils n’étaient pas mariés et, les uns, brusquement, les autres, en phrases onctueuses, ils coupaient l’entretien.

Les amants recommençaient avec moins de courage le lendemain. Ils battirent ainsi, presque toutes les rues de la ville.

Enfin, près de la Meuse, aux abords d’un marché, ils trouvèrent une maison, trop vaste pour eux, d’aspect maussade et délabré, mais dont le détenteur consentit à les recevoir.

Ce n’était ni un comte russe, ni un colonel polonais. La simplicité de son nom inspirait confiance ; il s’appelait Jeangros et menait la respectable vie des champs dans une maison de plaisance aux abords de la ville. Ils trouvèrent le bon campagnard, en sabots, engraissant ses terres, dans une vapeur de fumier. Il ouvrit lui-même la barrière de son enclos. Il eut un sourire indulgent quand Daniel, suivant un euphémisme préparé d’avance, déclara que la loi n’avait pas encore consacré leur union.

Il hocha approbativement la tête à tous leurs projets, souhaita bonne réussite et, comme ils allaient signer le bail, tout à coup il le reprit et annonça qu’il exigeait une caution de mille francs et se voyait forcé d’augmenter d’autant le prix de son loyer.

— Soit, murmura Daniel, craignant, s’il discutait de manquer encore cette affaire.

En quelques jours la baraque se purifia : des lettres d’or et non de couleur rouge s’étalèrent à la devanture, car, Rosine ayant jugé trop provoquante l’enseigne imaginée par Daniel, l’Ami du Peuple était devenu simplement le Café Marengo. De même au lieu du mobilier qu’il voulait austère, conformément à la gravité de sa mission, elle choisit des chaises coquettes en bois courbé, des tables dont la plaque de marbre luisait de fraîcheur et un comptoir en chêne sculpté montrant dans ses panneaux la joie rustique d’une kermesse flamande. Il y eut aussi, contre le mur, une étagère où brillaient, entre des cristaux rouges et bleus, des flacons de liqueurs ; et la bière lançait ses bulles dans les colonnes transparentes d’une pompe monumentale que chevauchait un petit Gambrinus levant un broc et riant dans sa barbe d’argent.

Des affiches, par toute la ville, annoncèrent l’ouverture du nouveau débit tenu par « Madame Rosine Rechet », et un samedi, à quatre heures, tous les deux ayant endossé le costume de leur rôle, Daniel tourna la manivelle du volet qui se leva comme au théâtre sur la nouvelle scène de sa vie.

Le premier client qui se présenta fut un vieil ouvrier revenant de son travail. Il n’aperçut pas la main que lui tendait le jeune homme. Les coudes au comptoir, il demanda du genièvre et vida gravement sa goutte en crachant sur le parquet fraîchement récuré ; puis entrèrent deux amoureux, l’homme en casquette, la femme tête nue sous un châle. Ceux-là s’installèrent dans un coin et, les mains unies, les yeux dans les yeux, tombèrent en extase sans plus s’inquiéter de leur bière qui moussait inutilement dans leur chope. D’autres buveurs suivirent et, bientôt, la salle entière se remplit.

C’étaient, pour la plupart, des connaissances de la jeune femme. Dès la porte, ils criaient : Ah ! voilà notre Rosine ! la fêtaient, la taquinaient et, le bras à la taille, l’enlevaient pour un tour de valse. Ils bousculaient le jeune homme sans paraître le voir. Rosine aussi semblait l’oublier. Riant avec l’un ; plaisantant avec les autres, la riposte sur les lèvres dans un wallon qu’il ne comprenait pas, elle tirait les boissons, les lui tendait par-dessus le comptoir, l’affolait de ses ordres. Et tandis qu’il épanchait maladroitement la bière sur le plateau, qu’il s’embrouillait dans ses comptes, il croyait surprendre dans le regard de ses clients un peu d’hostilité avec une pointe de malice. Vainement il multipliait les politesses, saluant ceux qui venaient, remerciant ceux qui partaient, toutes les réponses, par-dessus sa tête, s’en allaient à Rosine. Quelquefois cependant, une main distraite s’égarait dans la sienne ; alors il répondait avec conviction à cette étreinte. Sa timidité seule l’empêchait de dire : citoyens et compagnons !

Quelquefois, un passant se présentait hâtivement au comptoir, demandait une grande goutte et filait en s’essuyant les moustaches du revers de la main. Daniel n’avait pas le temps de commencer un entretien. D’autres restaient plus longtemps, les ivrognes surtout dont il s’humiliait de devoir écouter les bavardages. Rarement venait un groupe d’ouvriers dont l’air plus sérieux, la lavallière et certaine finesse dans la tenue, trahissaient des soucis plus intellectuels. Daniel écoutait leur conversation, les interrogeait sur leur rêve. Ils répondaient par une plaisanterie, où bien leur patois wallon le rebutait ; les moins incultes bouchaient leur cervelle de quelques grands mots : Suffrage universel, Nationalisation du sol, Émancipation sociale dont ils opposaient l’obturation têtue à toute discussion nouvelle.

Il se lassa bientôt de ses nouveaux amis ; il se sentait étranger au milieu d’eux et les connaissances de Rosine continuaient à le traiter chez lui en subalterne.

Un jour, il lut dans un livre démocratique cette déclaration : « Le problème social est avant tout une question d’estomac » ; cette phrase, ramenant ses rêves à une platée de pommes de terre, acheva de le dégoûter.

C’était d’ailleurs un mauvais commerçant ; il ouvrait des crédits qu’on ne clôtura pas ; ne frelatait ni ses pensées, ni ses liqueurs ; il dut reconnaître que, décidément, il ne possédait pas l’impersonnalité du cabaretier, cette machine stoïque et sérieuse qui distribue ses boissons, ses poignées de main, ses approbations, flegmatiquement, à toutes les bêtises.

— Si tu veux, je viendrai moins souvent au café, dit-il un soir à Rosine.

— C’est parfait… tu faisais d’ailleurs, depuis quelques jours, une de ces têtes !…

Il y revint cependant une dernière fois.

Cette année, à l’occasion du 1er mai, le Parti Ouvrier devait solenniser la fête du Travail. Un grand cortège était organisé où des jeunes filles, de blanc vêtues et portant en écharpe des guirlandes de coquelicots, devaient symboliser l’aube des Temps Nouveaux, tandis que le groupe des travailleurs, compact sous les bannières, signifierait par sa masse la force des revendications démocratiques.

Or, Daniel avait dans sa cave un grand stock d’une mixture imbuvable qu’un voyageur malhonnête lui avait cédée sous le nom d’« Amer ». Elle était si mauvaise que tous ses clients la crachaient avec horreur, mais elle avait une belle couleur rouge.

La veille, le jeune patron étala sur le comptoir tous les flacons, en transvasa un dans une bouteille représentant une Marianne avec son bonnet phrygien ; et au moment où le cortège passait, on vit se dérouler à sa vitrine une banderole proclamant en lettres sanglantes : « Ouvriers, venez boire ici la liqueur du 1er mai. »

Un client entra portant l’œillet à la boutonnière :

— Un 1er mai !

Religieusement, Daniel saisit sa Marianne par le cou, remplit un verre.

L’homme en huma la moitié, la fit couler dans sa bouche, à droite, puis à gauche, ferma les yeux, parut se recueillir une seconde :

— C’est très bon : encore une !

Et celle-là, d’un seul coup, il la versa dans son gosier.

D’autres manifestants l’imitèrent. Ce fut bientôt la cohue, chacun voulait connaître la fameuse boisson ; tous la jugeaient excellente ; on lui demandait la recette ; des pères de famille en emportaient pour la déguster en famille, si bien qu’à midi, comme les dernières bannières défilaient, Daniel constata que, de verre en verre, de flacon en bouteille, il avait déversé tout son stock.

— Voilà ! songea-t-il ; une étiquette sur un mensonge et le peuple se saoule.

Et, pour toujours, il se retira dans sa chambre.

ANDRÉ BAILLON.
  1. Œuvre inédite d’André Baillon.