La Fée des pleurs

La bibliothèque libre.
Poésies de André LemoyneAlphonse Lemerre, éditeur1855-1870 (p. 137-140).

La Fée des pleurs

 
À Jules Levallois.


Vous souvient-il encor des Écritures saintes ?
Avez-vous contemplé ces vierges aux grands cils
Qui par Jean de Fiesole, au Val d’Arno, sont peintes.
Détachant sur fond d’or leurs mystiques profils ?

Pour faire le portrait de madame Aurélie,
Il me faudrait l’art pur du maître florentin
Qui de la Renaissance a charmé le matin,
Aurore de printemps sous le ciel d’Italie.


Un air de bienvenue éclaire sa beauté.
Mais sa marche révèle une grâce de reine.
Comme un ruisseau d’argent, par sa limpidité,
Sa voix, presque enfantine, enchante et rassérène.

Une ingrate pensée, au sourire moqueur,
De ses lèvres jamais n’a troublé l’harmonie.
Son beau regard jaillit d’une source bénie,
Et repose la vue en apaisant le cœur.

On se plaît à revivre aux époques lointaines
Où, la jarre à la main, des filles de pasteurs,
Conduisant les troupeaux d’Israël aux fontaines,
Gardaient des fils de rois sept ans pour serviteurs.

À l’aube d’un jour bleu, jour de Pâques fleuries,
Elle est née, — à Paris (voilà vingt ans demain),
À l’heure où les croyants du faubourg Saint-Germain
Écoutent le réveil des claires sonneries.

Quand on leur dit son nom, si doux à prononcer.
Pour avoir un baiser de ses lèvres vermeilles,
De beaux groupes d’enfants accourent l’embrasser,
Comme à l’églantier rose accourent les abeilles.


Plus d’une vieille femme, ignorant l’alphabet,
Mais sachant, par lambeaux, quelque pieuse histoire,
En la voyant venir, cherche dans sa mémoire :
« Est-ce la reine Blanche ou sainte Élisabeth ? »

Ému de la jeunesse et de la bonne grâce
De cette étrange fée aux yeux pleins de rayons,
Le vieux pauvre, ébloui quand sa charité passe.
Sent un cœur de vingt ans rire dans ses haillons.

Si la rue est trop sombre, ou l’escalier, — qu’importe —
Son pied monte aussi haut que le pied peut monter.
Elle apparaît sans bruit, donnant l’or sans compter.
Comme un soleil d’avril aux fentes de la porte.

De loin, elle pressent la région des pleurs,
Le plus obscur réduit, la plus humble soupente ;
Sœur des liserons blancs dont la vrille grimpante
Dans un œil de lucarne épanouit ses fleurs.

Le monde la croit veuve. — Il est des âmes fortes,
Gardant le souvenir d’un grand bonheur défunt,
Comme un chêne, l’hiver, garde ses feuilles mortes,
Et le rameau d’un cèdre abattu, son parfum.


L’amour a pris en elle un divin caractère,
Comme un grain d’encens pur embaumé par le feu :
Sur les êtres créés à l’image de Dieu
Il répand les trésors de son cœur solitaire.