La Femme en blanc/III/Walter Hartright (fin)/1

La bibliothèque libre.
Traduction par Paul-Émile Daurand-Forgues.
J. Hétzel (1 et 2p. 394-403).
Troisième époque — Walter Hartright


I


Quand j’achevai le dernier des feuillets écrits par le comte, la demi-heure pendant laquelle j’avais promis de rester à Forest-Road était écoulée depuis quelques minutes déjà. M. Rubelle regarda sa montre, et m’adressa un profond salut. Je me levai tout aussitôt, laissant cet agent en possession de la maison déserte. Jamais je ne l’ai revu, depuis lors ; jamais je n’ai entendu parler de lui, ni de sa femme. Pour venir ramper sur notre route, ils étaient sortis de ces obscurs sentiers qu’habitent la trahison et l’ignominie ; — ils y retournèrent en rampant, et s’y perdirent à jamais dans les ténèbres.

Un quart d’heure après avoir quitté Forest-Road, j’étais rentré à la maison.

Il ne me fallut pas beaucoup de paroles pour expliquer à Marian et à Laura l’issue de ma tentative désespérée, et quel événement prochain devait venir modifier nos trois existences. Je remis à une heure plus avancée du jour les détails que j’avais encore à leur donner, et je me hâtai de retourner à Saint-John’s-Wood, afin d’interroger la personne chez qui le comte Fosco avait loué la voiture de remise avec laquelle il était allé à la station pour chercher Laura.

L’adresse qu’il m’avait donnée me conduisit à un établissement de location situé à un quart de mille de Forest-Road. Le propriétaire se trouva être un homme parfaitement honnête et courtois. Lorsque je lui expliquai qu’une importante affaire de famille me forçait à lui demander d’examiner ses livres, afin d’établir une date que pouvait me fournir exactement l’authentique détail de ses affaires quotidiennes, il ne m’opposa aucune sorte d’objections. Le registre fut produit ; et là, sous la date du 26 juillet 1850, la commande avait été inscrite en ces termes :

« Un Brougham pour le comte Fosco, 5, Forest-Road. Deux heures. (John Owen.) »

En m’informant, j’appris que le nom de « John Owen » compris dans la commande, se rapportait à l’homme qui avait dû remplir l’office de cocher. Il travaillait, à ce moment même, dans la cour des écuries où sur ma demande, on alla le chercher.

— Vous souvenez-vous, lui demandai-je, d’avoir, au mois de juillet dernier, pris un gentleman au no 5, Forest-Road, pour le conduire à la station de Waterloo-Bridge ?

— Ma foi, monsieur, répliqua l’homme, je ne saurais trop vous le dire.

— Peut-être ce gentleman lui-même vous aura-t-il laissé un souvenir plus distinct ? Vous rappelez-vous avoir conduit, l’été dernier, un personnage de haute taille et remarquablement gras ?…

Le visage de cet homme s’éclaira aussitôt : — Je me le rappelle, monsieur. Le gentleman le plus gras que j’aie jamais vu : — la pratique la plus lourde que j’aie traînée. Oh ! oui, je me le rappelle, monsieur. Nous allâmes effectivement à la station, et c’est bien de Forest-Road que nous étions partis. Il y avait à la croisée un perroquet, ou quelque oiseau de ce genre, qui criait à déchirer les oreilles. Le gentleman était particulièrement pressé d’enlever les bagages de la dame qu’il allait prendre ; et il me donna une jolie gratification pour avoir eu l’œil au guet, et m’être procuré les malles sans trop de retard…

S’être procuré les malles ! Je me rappelai aussitôt qu’en me racontant son arrivée à Londres, Laura m’avait parlé de ses bagages dont s’était chargé un individu quelconque, venu à la station avec le comte Fosco. C’était précisément l’homme que j’avais devant moi.

— Vîtes-vous la dame ? lui demandai-je. Quelle physionomie avait-elle ?… Était-elle jeune ou âgée ?

— Ma foi, monsieur, dans tout ce tumulte de gens qui se pressaient et se poussaient, je ne pourrais dire très au juste ce qui en était. J’ai beau chercher ; ma mémoire ne me rappelle rien de cette dame… Non, rien… excepté son nom, cependant.

— Son nom ?… Vous vous rappelez son nom ?

— Oui, monsieur. Elle s’appelait lady Glyde.

— Et comment, ayant oublié son visage, êtes-vous arrivé à vous rappeler son nom ?…

L’homme se prit à sourire, et un peu embarrassé, à s’escrimer de son pied droit autour de sa jambe gauche.

— Ma foi, monsieur, répliqua-t-il, s’il faut tout vous dire, je venais dans ce temps-là de me marier ; et le nom de ma femme, avant qu’elle l’échangeât contre le mien, était précisément le même que celui de cette dame, — à savoir le nom de Glyde. Ce fut elle-même qui me le dit : — Votre nom est-il sur vos malles, madame ? lui avais-je demandé… — Oui, répondit-elle, mon nom est sur mes bagages… mon nom est : Lady Glyde… — Allons ! me dis-je à moi-même, je n’ai pas d’ordinaire une bien bonne tête pour retenir le nom des personnes ; mais quant à celui-ci, c’est une vieille connaissance, et je ne risque guère de l’oublier… Le temps où tout cela s’est passé, monsieur, je ne saurais trop le dire ; peut-être un an, peut-être six mois. Mais quant au gros gentleman et au nom de la dame, j’en jurerai, au besoin, tant que vous voudrez…

Il était parfaitement inutile qu’il se rappelât l’époque, la date étant positivement établie par le livre d’ordres de son patron. Je comprenais, dès lors, j’avais en main de quoi faire crouler d’un seul coup l’échafaudage entier de la conspiration. Sans hésiter une seconde, je pris à part le propriétaire de l’établissement, et lui fis connaître de quelle importance étaient les preuves fournies par son registre de commandes et par son cocher. Un arrangement fut bientôt pris pour le dédommager de ce qu’il allait être momentanément privé des services de cet homme ; quant à la mention portée sur le registre, j’en pris moi-même une copie que la signature du patron rendit authentique. Seulement alors je quittai l’établissement, après être convenu avec John Owen qu’il se tiendrait à ma disposition pendant les trois jours suivants, et même plus longtemps si besoin était.

J’avais maintenant en ma possession tous les documents requis ; une copie en règle du certificat de décès, et la lettre datée de sir Percival étant logées bien en sûreté dans les poches de mon portefeuille.

Porteur de ces preuves écrites, et gardant toutes fraîches dans ma mémoire les réponses du cocher, je me dirigeai, pour la première fois depuis le commencement de toute cette enquête, vers l’étude de M. Kyrle. Je me proposais d’abord, en lui faisant cette seconde visite, de lui raconter ce que j’avais fait. Je voulais aussi le prévenir que j’étais résolu à conduire ma femme à Limmeridge, dès le lendemain matin, pour la faire accueillir et reconnaître publiquement dans la maison de son oncle. Je laissai à M. Kyrle le soin de décider, dans les circonstances données et en l’absence de M. Gilmore, s’il n’était pas tenu, comme solicitor de la famille, d’être présent à ce qui allait se passer en cette occasion décisive.

Je ne dirai rien de l’étonnement de M. Kyrle, ni des termes dans lesquels il exprima son opinion sur la conduite que j’avais tenue depuis le début de ces investigations délicates. Le seul point essentiel à mentionner, c’est qu’il prit immédiatement son parti de nous accompagner dans le Cumberland.

Nous partîmes le lendemain matin de bonne heure, par le premier train : Laura, Marian, M. Kyrle et moi, dans un des compartiments ; John Owen et un des clercs de M. Kyrle avaient leurs places dans un autre. Arrivés à la station de Limmeridge, nous nous rendîmes tout d’abord à la ferme de Todd’s-Corner. Il était fermement arrêté dans mon esprit que Laura ne mettrait pas le pied chez son oncle avant d’y avoir été formellement reconnue comme nièce de l’opulent châtelain. Je laissai Marian régler la question des logements avec mistress Todd, dès que la bonne femme fut un peu remise de la stupéfaction où nous l’avions jetée en lui faisant connaître le but de notre arrivée dans le Cumberland ; et je convins avec le mari que John Owen serait confié à la cordiale hospitalité des domestiques de la ferme. Ces mesures préliminaires ayant été prises, M. Kyrle et moi partîmes ensemble pour Limmeridge-House.

Je ne saurais, en vérité, m’étendre sur les détails de notre entrevue avec M. Fairlie ; car je ne puis en évoquer le souvenir sans un sentiment mêlé d’impatience et de mépris, qui me le rend tout à fait répulsif. Je préfère donc constater simplement que j’en vins à mes fins. M. Fairlie essaya de nous traiter d’après son système habituel. Nous laissâmes passer, sans y prendre garde, les insolentes politesses qui marquèrent de sa part le début de notre conférence. Nous entendîmes ensuite, sans la moindre sympathie, les protestations par lesquelles il voulut nous convaincre que la découverte du complot l’avait littéralement « bouleversé ». Il finit par gémir et se lamenter comme un enfant qu’on tourmente : — « Pouvait-il deviner que sa nièce était vivante, quand on lui disait qu’elle était morte ? Il recevrait avec plaisir la chère Laura, pourvu qu’on lui donnât le temps de se remettre. Nous semblait-il avoir la mine d’un homme dont il faut hâter la fin par des tracasseries perpétuelles ? non, n’est-ce pas ? Eh bien, alors, pourquoi le tracasser ainsi ?… Il réitéra ses doléances, chaque fois que s’en offrit l’occasion, jusqu’au moment où j’y mis un terme en le plaçant résolument entre deux alternatives inévitables. Je lui donnai le choix entre la justice qu’il devait rendre à sa nièce, dans les termes par moi fixés, — ou les conséquences qu’entraînerait pour lui la revendication publique des droits de Laura devant une cour de justice. M. Kyrle, vers lequel il se tournait pour implorer son assistance, lui dit en termes fort nets qu’il fallait trancher la question sur place et à l’heure même. Choisissant alors, d’une manière caractéristique, le parti qui devait plus tôt lui ôter tout ennui, toute anxiété personnelle, il déclara, dans un soudain élan d’énergie, « qu’il n’avait pas la force de supporter de nouvelles violences, et que nous pourrions, sans qu’il y mît obstacle, faire tout ce qui nous plairait. »

M. Kyrle et moi nous descendîmes aussitôt pour rédiger de concert la formule d’une circulaire destinée à tous ceux des tenanciers qui avaient suivi les funérailles apocryphes, au nom de M. Fairlie. Ils étaient convoqués pour le surlendemain à Limmeridge-House. Un sculpteur de Carlisle reçut ordre en même temps d’expédier au cimetière de Limmeridge, un de ses ouvriers, afin d’effacer une inscription funéraire. M. Kyrle, qui devait coucher au château, se chargea d’obtenir que M. Fairlie apposât après lecture, au bas de ces diverses lettres, sa signature autographe.

J’employai à la ferme le jour d’intervalle qui m’était laissé, en rédigeant un précis historique de la « conspiration, » et j’y ajoutai un exposé de faits qui donnait le plus formel démenti au décès prétendu de Laura. Avant de le lire, le jour d’après, aux tenanciers assemblés, je soumis ces documents à M. Kyrle. Nous convînmes aussi de l’ordre dans lequel, à l’issue de cette lecture, nous ferions entendre les témoignages qui devaient la corroborer. Ceci réglé, M. Kyrle essaya de détourner la conversation sur les affaires de Laura. N’y connaissant rien, ne désirant y rien connaître, et doutant d’ailleurs qu’il approuvât, à son point de vue d’homme d’affaires, la détermination que j’avais crue devoir prendre par rapport à l’intérêt viager que ma femme possédait dans les dix mille livres léguées jadis à madame Fosco, je priai M. Kyrle de m’excuser si je m’abstenais de discuter avec lui ces questions. Je pus lui dire, en toute sincérité, qu’elles se trouvaient intimement associées à ces chagrins, à ces malheurs passés dont nous ne parlions jamais entre nous, et qu’il nous était instinctivement pénible de discuter avec des étrangers.

Mon dernier travail, à l’approche du soir, fut de me procurer « la Relation de la tombe funéraire », en prenant copie, avant qu’elle fût effacée, de l’inscription menteuse qui déshonorait encore la sépulture de famille.

Le jour vint, — le grand jour où Laura reparut dans cette salle à manger de Limmeridge-House que nous connaissions si bien. Toutes les personnes qui s’y trouvaient réunies se levèrent de leurs sièges, au moment où elle entra, conduite et soutenue par Marian et moi. Dans leurs rangs coururent, à l’aspect de son visage, un ébranlement de surprise, un murmure d’intérêt, que nos yeux et nos oreilles purent aisément saisir. M. Fairlie était présent (je l’avais formellement exigé), ayant à ses côtés M. Kyrle. Son valet de chambre se tenait derrière lui, d’une main tenant un flacon d’odeurs, de l’autre un mouchoir blanc, fortement imprégné d’eau de Cologne.

J’ouvris la procédure, en appelant M. Fairlie à dire publiquement si j’étais là de son aveu, et s’il sanctionnait expressément mes paroles. Il étendit ses bras vers M. Kyrle, et vers son valet de chambre, se souleva sur ses jambes avec leur secours, et ensuite s’exprima dans ces termes : « Permettez-moi de vous présenter M. Hartright. Je suis aussi peu valide que jamais ; il aura l’extrême obligeance de parler pour moi. Le sujet qu’il va traiter est terriblement ardu, veuillez lui prêter l’oreille ; et ne pas faire de bruit !… » À ces mots, il se laissa lentement retomber dans son fauteuil, et chercha refuge derrière son mouchoir parfumé.

Suivit la révélation du complot, lorsque j’eus présenté sous la forme la plus abrégée et la plus simple mes explications préliminaires. Je me trouvais là (dis-je à mes auditeurs) pour déclarer en premier lieu que ma femme, présentement assise à côté de moi, était la fille de M. Philip Fairlie ; en second lieu, pour établir, par ces faits positifs, que les funérailles auxquelles ils avaient fait cortège dans le cimetière de Limmeridge étaient celles d’une autre femme ; troisièmement enfin, pour leur rendre compte fort simplement de la manière dont tout cela s’était fait. Sans autre préface, je leur lus aussitôt le récit de la conspiration, dont j’avais mis le plan bien en relief, n’appuyant guère, d’ailleurs, que sur les motifs pécuniaires qui l’avaient inspirée, et me gardant bien de compliquer mon exposé de faits par d’inutiles allusions au secret de sir Percival. Après cela, je rappelai à mon auditoire la date que portait l’inscription gravée dans le cimetière (le 25 juillet), et j’en confirmai l’exactitude en produisant les certificats de décès. Je leur lus ensuite la lettre de sir Percival, datée du 25, et par laquelle il annonçait pour le 26 le voyage que sa femme allait faire du Hampshire à Londres. De là, je passai à la preuve que ce voyage s’était réellement accompli, preuve résultant de l’attestation personnelle du cocher de remise ; et j’établis la date exacte du voyage, au moyen du registre d’ordre tenu par le loueur de carrosses. Marian ajouta le récit de sa rencontre fortuite avec Laura dans la maison d’aliénés, et des moyens par lesquels elle avait fait évader sa sœur. Là-dessus je terminai, en informant les personnes présentes que sir Percival était mort et que j’avais épousé sa veuve.

M. Kyrle se leva, lorsque je me fus rassis, pour déclarer en sa qualité d’agent légal de la famille que j’avais produit, à l’appui de mes assertions, les témoignages les plus clairs, les plus irréfragables qu’il eût jamais entendus de sa vie. Au moment où il prononçait ces paroles, je passai mon bras autour de la taille de Laura et je la soulevai de manière à ce que chacun des assistants pût la contempler à son aise : — Êtes-vous tous du même avis ? demandai-je ensuite, faisant quelques pas vers eux et leur montrant ma chère femme.

L’effet de cette question fut électrique. Tout au fond de la longue galerie, un des plus vieux tenanciers du domaine se leva soudainement, et avec lui, à l’instant même, entraîna le reste de l’assistance. Je vois encore cet homme, avec sa figure brune et ses cheveux gris, monté sur l’appui de la fenêtre, brandissant sur sa tête son lourd fouet de poste, et donnant le signal des clameurs joyeuses : — La voilà vivante ! la voilà guérie ! — Dieu la bénisse !… Allons, mes enfants ! c’est le cas de se montrer ! Les cris enthousiastes qu’il obtint pour réponse et qui reprirent à plusieurs fois, furent à mes oreilles assourdies la plus douce musique qu’elles eussent jamais entendue. Les laboureurs du village et les garçons de l’école, groupés sur la pelouse, entendirent ces bravos étourdissants, et nous les renvoyèrent en échos prolongés. Les bonnes fermières accourues autour de Laura, se disputaient à qui la première lui serrerait la main, et tandis que leurs joues ruisselaient de larmes, la conjuraient de tenir bon, de ne pas pleurer.

Mais elle était si émue, si hors d’elle, que je fus obligé de la leur enlever et de la porter jusqu’au seuil de la pièce. Là, je la remis aux soins de Marian, de cette Marian qui ne nous avait jamais manqué jusqu’alors, et dont le courageux sang-froid ne nous manqua pas davantage ce jour-là. Resté seul à la porte, et après avoir remercié toutes les personnes présentes, au nom de Laura et au mien, je les invitai à me suivre dans le cimetière, où elles verraient, de leurs yeux, disparaître l’inscription menteuse.

Elles quittèrent toutes le château, et allèrent se joindre à la foule des villageois réunis autour du tombeau, près duquel nous attendait l’ouvrier sculpteur. Ce fut au milieu d’un silence profond que le premier choc de l’outil d’acier retentit sur le marbre. On n’entendit pas une voix, et personne ne bougea jusqu’à ce que ces trois mots : « Laura, Lady Glyde » eussent complètement disparu. Il y eut alors, parmi la foule, un grand soupir de soulagement, comme si elle comprenait qu’à ce moment-là même tombaient les derniers anneaux de la chaîne rivée autour de Laura. L’assemblée, ceci fait, se dispersa lentement. Il fallut ensuite presque toute la journée pour effacer tout le reste de l’épitaphe. À sa place, ultérieurement, on n’a gravé qu’une ligne : « Anne Catherick, 25 juillet 1850. »

Je revins à Limmeridge-House, le même soir, assez tôt pour prendre congé de M. Kyrle. Lui, son clerc et le cocher John Owen s’en retournaient à Londres par le train de nuit. Après leur départ, un insolent message me fut remis de la part de M. Fairlie, qu’on avait emporté presque évanoui de la salle à manger, au moment où les clameurs des tenanciers avaient répondu à mon appel cordial. Son envoyé nous apportait « les meilleures félicitations de M. Fairlie, » et venait s’informer, de sa part, si « nous avions le projet de faire halte au château. » Je lui répondis verbalement que l’unique objet en vue duquel j’avais franchi le seuil du château se trouvait maintenant accompli ; que je n’avais le projet de faire halte chez personne, si ce n’est chez moi ; et que M. Fairlie n’avait nullement à craindre de nous revoir jamais ou de jamais entendre parler de nous. Nous retournâmes passer la nuit chez nos amis de la ferme ; et le lendemain matin, — escortés jusqu’à la station, avec le plus chaleureux enthousiasme, par le village entier et par tous les fermiers des environs, — nous nous en revînmes à Londres.

Tandis que les collines du Cumberland s’effaçaient à nos yeux dans l’éloignement, je songeais aux circonstances décourageantes qui avaient marqué le début de cette longue lutte, maintenant achevée. Il était étrange, en revenant sur le passé, de voir que cette même pauvreté qui nous avait isolés de toute assistance, était indirectement devenue la cause de notre triomphe, en m’obligeant à faire moi-même ce qu’exigeaient les circonstances. Si nous eussions été assez riches pour trouver appui chez les gens de loi, quel eût donc été le résultat ? Le gain du procès, (ainsi que M. Kyrle me l’avait démontré lui-même), aurait été plus que douteux ; la perte, — si l’on en jugeait simplement d’après le cours que les événements avaient suivi, — la perte était assurée. Jamais la procédure légale ne m’eût procuré mon entrevue avec mistress Catherick. Jamais elle n’eût découvert en Pesca l’instrument indispensable pour arracher au comte ses aveux décisifs.