La Femme et le Féminisme avant la Révolution/Introduction

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Éditions Ernest Leroux (p. i-xxii).

INTRODUCTION


Le féminisme de l’époque révolutionnaire, source première du féminisme moderne et contemporain, ne s’explique que par le grand mouvement d’idées, qui au xviiie siècle, a bouleversé toutes les notions jusque-là communément admises sur la nature et le caractère des femmes, leur rôle dans la famille et dans la société. Et l’on ne saurait comprendre ce mouvement si l’on n’a d’abord une idée nette de la condition légale de la femme du xviiie siècle et de la place qu’elle tient, en fait, dans la vie du pays.

La condition et le rôle des femmes au xviiie siècle, les discussions soulevées alors par le problème féminin, tel est l’objet de notre étude.

Cependant, bien que le xviiie siècle soit une ère de révolution morale et de changements sociaux, on ne saurait étudier la situation de la femme à cette époque ni les échanges d’idées qu’elle a déterminés sans jeter un coup d’œil sur l’évolution féminine aux siècles immédiatement précédents. L’étude est vaste et demanderait un long développement. Nous n’avons pas l’intention de l’entreprendre ici, en ayant déjà donné une esquisse dans notre Histoire Générale du Féminisme.

Cependant, pour comprendre certains faits auxquels nous faisons allusion au cours de cette étude, il est nécessaire d’avoir présents à l’esprit quelques idées essentielles sans lesquelles on ne s’explique ni certains aspects en apparence contradictoires de la condition féminine, ni les discussions auxquelles elle a donné lieu. Ce sont ces traits essentiels que nous nous proposons de rappeler au lecteur.

Droit romain, système féodal, mouvement des idées depuis la Renaissance, voilà quelques-uns des éléments qui expliquent l’évolution de la condition féminine à l’époque qui nous occupe. Ces éléments, il est nécessaire de les déterminer brièvement.

À Rome, déjà la question féminine est posée. L’esprit de la cité primitive est antiféministe. Les vieux juristes romains font peser sur la femme, quasi esclave dans sa personne et dans ses biens, une tutelle perpétuelle et ne lui reconnaissent d’autre rôle que de donner des enfants à son mari et de filer la laine à la maison familiale. Nul changement ou presque jusqu’à la deuxième guerre punique. Mais, au iie siècle avant l’ère chrétienne, l’influence hellénique accomplit son œuvre de dissolution morale et sociale. Les cadres de la famille et de la cité s’élargissent ou se brisent ; la femme s’émancipe. Elle sort du gynécée, relâche le lien marital par la pratique du divorce, s’instruit et tend de plus en plus à se mêler aux affaires de la cité. Malgré les efforts des défenseurs de l’ordre moral ancien, tel le vieux Caton au début du iie siècle, l’empereur Tibère deux siècles plus tard, qui essaient, l’un en maintenant strictement les lois sur le luxe, l’autre en interdisant aux femmes des magistrats et gouverneurs de s’ingérer dans les affaires publiques, l’évolution se poursuit. Sous l’Empire, le droit la consacre en partie : peu à peu, la femme, dégagée des entraves légales, cesse d’être une mineure pour devenir, presqu’au même titre que l’homme, libre de toutes ses actions. Presqu’aussi instruite que son mari dans les classes élevées, participant, dans les classes inférieures, aux mêmes travaux, pouvant user facilement du divorce, elle devient, dans la société conjugale, presque l’égale de l’homme. Différents subterfuges légaux lui donnent la disposition pleine et entière de sa fortune ; veuve, elle peut être tutrice de ses enfants, et, le cas échéant, recueillir leur héritage. Sans qu’aucune loi positive les y autorise, mais aucune loi ou coutume contraire ne le leur interdisant, les femmes peuvent exercer la plupart des professions masculines : elles sont hommes d’affaires, doctoresses, avocats consultants. Lorsqu’elles approchent du trône, on les voit, sous les premiers des douze Césars et surtout sous les Sévère, jouer un rôle politique des plus importants ; mieux, les femmes de la classe moyenne et populaire obtiennent, sans même, semble-t-il, avoir eu la peine de la revendiquer, une participation légale aux affaires de leur municipe. L’Italie du Sud, les Baléares, l’Afrique du Nord, l’Asie Mineure, nous offrent des exemples nombreux de citoyennes prenant part aux votes ou élevées aux honneurs.

Cependant, la loi est bien loin de consacrer toutes ces conquêtes. Si, dans la pratique, il se plie aux mœurs nouvelles, l’esprit du droit romain est hostile à la femme. Car, pour le juriste romain, la muliebris impotentia de Tacite reste article de foi et une complète égalité légale de l’homme et de la femme serait, à ses yeux, monstrueuse. Aussi est-ce un axiome du droit romain que « sur beaucoup de points la condition des femmes est inférieure à celle des hommes ». Des mesures législatives comme le sénatus-consulte Velléien, qui interdisait à la femme de s’obliger pour autrui, montrent que la femme n’est pas jugée aussi pleinement capable que l’homme, que, même hors de la puissance maritale, elle n’est pas, comme lui, maîtresse de ses biens.

Cet esprit antiféministe persistera jusqu’à l’époque moderne et contemporaine dans toutes les législations issues du droit romain. Il est nécessaire d’en avoir une idée pour comprendre la situation faite à la femme du xviiie siècle par les coutumes et les lois.

Si le christianisme a contribué à modifier la condition de la femme, ce n’est d’abord que pour la rendre plus défavorable, l’esprit sémitique, dont il est issu, étant, plus encore que l’esprit romain, antiféministe et la Bible ajoutant aux croyances presque universelles sur l’infériorité physique et morale de la femme le poids du péché. Quand le christianisme triomphe, ce triomphe coïncidant d’ailleurs avec les invasions des Barbares qui ont détruit tout l’ordre des choses anciennes, la femme retombe dans une presque complète servitude.

Sous les législations qui sont en vigueur à partir du ve siècle dans l’ancien empire romain, la femme ne compte plus ni dans la famille ni dans l’État. Comme la matrone romaine des anciens âges, elle est entièrement « dans la main de ses tuteurs légaux ».

L’établissement du régime féodal amène une transformation nouvelle des institutions et des mœurs. La femme en bénéficie. Sans doute le droit canon, qui est la loi de l’Église, qui inspire la loi civile et souvent tient lieu de cette loi, considère, suivant l’avis des théologiens et particulièrement du plus illustre d’entre eux, saint Thomas, la femme comme un être inférieur dont la destination est d’obéir à l’homme comme la destination de l’homme est d’obéir à Dieu, et tient tout manquement à cette obéissance comme une rébellion contre Dieu même. Le droit romain et le droit coutumier issu du droit germanique consacrent en effet la dépendance de la femme, l’inégalité de ses droits. Fille, elle doit abandonner à ses frères tout l’héritage paternel ; femme, elle est entièrement dans la main du mari qui dispose, comme il l’entend, de sa fortune, a le droit légal de la battre et, si elle le trompe, de la tuer.

Ne comptant pour rien dans la famille, privée de tout droit civil, la femme tient du droit féodal une très large place dans la société. L’organisation politique est fondée alors sur la possession de la terre. Or, si le propriétaire du sol n’a pas d’héritier mâle, c’est sa fille qui, après lui, le détient. S’il laisse un enfant en bas âge, c’est sa veuve qui administre, en son nom, le patrimoine. Or, lorsqu’il s’agit d’une terre noble, d’un fief, l’administration du domaine implique des droits et des obligations auxquelles nous attribuons — et qui ont en effet — un caractère politique, mais qui, alors, étaient considérés comme étant partie intégrante de la propriété. Vassale, la femme prête hommage à son suzerain, siège à sa cour de justice, peut au besoin conduire elle-même son contingent à l’ost seigneurial. Suzeraine, elle reçoit cet hommage, semond ses vassaux de lui envoyer leurs troupes et de venir siéger à son tribunal, contrôle les aliénations ou mutations de terre de ses hommes-liges, délivre des chartes communales. À l’intérieur de son fief, nous la voyons exercer son activité dans le domaine militaire, politique, administratif, économique. Une étude approfondie de la société française au moyen-âge, la seule lecture des documents d’archives relatifs à tel grand fief : Bourgogne, Champagne, Franche-Comté, montrerait que la femme soldat, législateur, juge, administrateur, ne fut pas, au xiie et xiiie siècles, une exception, mieux, que la France féodale fut faite presqu’autant par la femme noble que par le baron.

Si la femme noble bénéficie de droits politiques étendus, et, en ce domaine, d’une parfaite égalité avec le gentilhomme, le femme du peuple elle-même n’est pas sans participer, au moins en une certaine mesure, à la vie de la communauté villageoise ou de la ville de commune. On ne saurait soutenir, comme l’ont fait à tort certaines féministes contemporaines, que la participation des femmes aux araires municipales fut une loi générale et communément observée. Mais il est prouvé que, dans les communes suivant la loi de Beaumont-en-Argonne ou des lois analogues, c’est-à-dire dans le nord-est de la France et le Luxembourg, ainsi que dans certaines localités du Midi (Languedoc, vallée de Saint-Savin, dans les Pyrénées), le droit de siéger à l’assemblée de ville ou de village appartenait à toute veuve ou fille possédant une maison ou tenant un commerce. Une bulle d’Innocent IV consacre le droit des femmes à siéger, suivant la coutume de France, dans les Universités, autrement dit les assemblées populaires où l’on débattait les questions intéressant la cité. Enfin dans certaines régions de la Touraine (Ferrières ) des femmes (probablement des filles ou veuves de propriétaires) prirent part aux élections pour les premiers États généraux. De ces faits, et de bien d’autres, on petit conclure que le sexe n’était nullement un obstacle à l’exercice des droits politiques et que la roturière, comme la femme noble, les possédait toujours virtuellement, quitte à ne les exercer effectivement que lorsqu’ils ne l’étaient pas en son nom par son mari.

Ces droits politiques, les femmes les verront tomber peu à peu en désuétude, par suite de l’action centralisatrice de la royauté qui fera disparaître tous les grands fiefs, dans les petites ou moyennes seigneuries, supprimera presque complètement les droits souverains des seigneurs, et d’autre part réduira presqu’à rien les libertés communales. D’ailleurs, à partir du xive siècle, le droit romain l’emportant décidément sur le droit féodal, on ne comprendra plus qu’une femme puisse être juge ou général d’armée, ni même qu’elle puisse prendre normalement part à la vie politique. Mais, si diminués que soient, sous cette double influence, les droits féminins, il n’en subsistera pas moins, à l’époque moderne et jusqu’à la Révolution, d’importants vestiges. Le statut politique de la femme au moyen-âge est l’un des éléments essentiels de la condition féminine à l’époque moderne ; on ne saurait, sans le rappeler, comprendre l’action de la femme noble dans telles périodes fort importantes de notre histoire moderne, la Ligue, la Fronde, ni le rôle parfois si grand encore que jouèrent au xviiie siècle, dans la vie provinciale et locale, les femmes nobles et les bourgeoises possédant des terres féodales, ni enfin la participation des corporations religieuses féminines et des femmes nobles aux élections pour les États généraux de 1789.

L’attribution des droits politiques se conciliait, d’ailleurs, au moyen-âge avec la persistance des idées touchant l’infériorité naturelle du sexe féminin. Les sermonnaires et les auteurs de fabliaux et contes populaires en étaient les interprètes. Dans la famille, et en présence de son mari, la femme restait serve, lors même qu’elle détenait un grand fief, lors même que, comme dans la vallée de Saint-Savin, elle était, à l’exclusion de son mari, seule propriétaire de la maison et du domaine familiaux. Ses droits politiques même ne laissaient pas, en dépit des coutumes qui les consacraient, d’être souvent contestés, et nombreux étaient les hommes, barons, ecclésiastiques, érudits, poètes satyriques qui voulaient ramener les femmes dans l’antique gynécée.

Aussi, au rebours de ce que nous avons vu se produire à l’époque moderne, l’antiféminisme précède le féminisme et, par une réaction naturelle, le suscite. Vers la fin du moyen-âge, le féminisme, à peu près inconnu jusqu’alors, apparaît. Il prend plusieurs formes bien différentes. Issue, peut-être par une filiation indirecte et lointaine des antiques religions orientales qui placent, à l’origine des choses, le principe féminin et font d’Éros le grand démiurge, la chevalerie fait de l’amour le mobile dernier des actions humaines, exalte la femme, la place sur un plan supérieur à celui de l’homme, plus près du divin. Les hérétiques, Albigeois et Vaudois, directement issus du gnosticisme, proclament l’égalité morale et spirituelle de l’homme et de la femme, donnent à la femme une place importante dans la hiérarchie de leur église : s’inspirant d’eux, poussant jusqu’au bout leurs théories, une mystique, Guillelmine de Bohême, créera une église féminine et songera à s’asseoir sur le trône de saint Pierre. Christine de Pisan enfin, la première, élabore un corps de doctrine féministe dans le même esprit et avec la même méthode que les modernes défenseurs des droits de la femme. Sans faire appel à un mysticisme transcendant, sans prétendre, ainsi que le font Guillelmine ou les féministes albigeois, altérer le dogme ni changer les bases de la société, s’appuyant exclusivement sur « la justice, la droiture et la souveraine raison », démontrant d’ailleurs ses thèses par l’histoire ancienne et moderne et par une analyse pénétrante du mécanisme de la société française au xive siècle, Christine de Pisan établit l’égalité naturelle des deux sexes et, comme plus tard Poulain de la Barre, Condorcet et Stuart Mill, en tire les conséquences logiques : la possibilité, la nécessité de dispenser à la femme une éducation aussi complète qu’à l’homme, la légitimité des aspirations féminines à l’exercice des professions et métiers masculins, le haut intérêt moral et social que présente l’émancipation féminine. Son Trésor des Dames et sa Cité des Dames, trop ignorés aujourd’hui, sont la première expression du féminisme tel que nous le concevons. C’est sur ces deux œuvres que semblent être calquées les innombrables apologies des femmes qui paraîtront aux xviie et xviiie et qui n’auront pas toujours autant de vigueur.

Ainsi, à la fin du moyen-âge, le féminisme est né. Il va se développer largement aux siècles suivants et parce qu’il trouve forcément sa place dans l’œuvre des écrivains qui, à la lumière de la raison, se mettent à analyser les ressorts du cœur humain et le mécanisme de la société, et parce que le mouvement hostile à l’émancipation morale, intellectuelle ou politique de la femme ne cesse de s’accentuer et suscite comme au moyen-âge de puissantes réactions, et parce qu’enfin, bien que les droits des femmes ne cessent de se réduire, on voit à certaines époques de crise, où la féodalité et l’esprit féodal reprennent vie, certaines femmes jouer un rôle très important, tenir une large place dans la vie du pays et témoigner d’une intelligence et d’une énergie que leur dénient leurs contempteurs.

Dès l’aurore de la Renaissance, et pendant tout le cours du xvie siècle, les apologies des femmes fleurissent, si nombreuses qu’elles finissent par devenir, en Italie et en Espagne, un genre littéraire commun. En France, elles apparaissent dès l’aurore de la Renaissance. Au début du xvie siècle, l’humaniste Guillaume Dufour, prédicateur de la Cour, plus tard inquisiteur et évêque de Marseille, compose, sous l’inspiration d’Anne de Bretagne, l’histoire des femmes célèbres depuis la création jusqu’à la Pucelle d’Orléans. Il s’agit, dit notre auteur, de faire comme le désire la reine, un ouvrage destiné à défendre les femmes contre la méchanceté des auteurs qui, « de langue ou de plume », se sont acharnés après elles ; à en parler loyalement et sagement, et à faire ressortir la prudence, le courage et la vertu de toutes les femmes illustres du temps ancien et du temps présent. L’ouvrage, où la Sainte Vierge et les prophétesses bibliques voisinent avec les déesses mythologiques, les héroïnes de l’histoire romaine, les baronnes du moyen-âge et Jehanne de Vaucouleurs, est lourd et n’a ni la vigueur, ni la conviction profonde ni la largeur de vues de la Cité des Dames ; il est néanmoins intéressant comme signe de l’état d’esprit féministe de son inspiratrice.

L’érudit Guillaume Postel, qui apparaît ensuite, est un féministe mystique à la manière de Guillelmine de Bohême. Ses conceptions ont, à n’en pas douter, leurs sources dans le gnosticisme autant que dans la scolastique médiévale. Comme saint Thomas, Postel juge la nature féminine moins noble que la nature masculine ; celle-là représente la matière inerte, confuse mais riche de toutes les possibilités. Celle-ci, force organisatrice, doit leur donner la forme et la vie.

La femme représentant la matière, l’homme l’esprit, Adam doit se contenter de la royauté spirituelle laissant à Eve le monde des Corps. Donc, aux femmes la domination temporelle ; elle leur revient de droit. Seules, d’ailleurs, elles sont capables de rénover le monde des corps, parce qu’il y a entre elles et le monde des corps une affinité de nature.

À la mère Jeanne, phophétesse qu’il avait rencontré à Venise et qu’il déclarait sortie de la substance du Christ par sa seule volonté, Postel destinait le suprême pontificat.

Elle a rénové la partie inférieure, ou féminine, du monde comme le Christ a rénové la partie supérieure. La libération et le triomphe des femmes sont la condition essentielle de cette rénovation.

Rien de précis, sans doute, touchant les conditions de cet affranchissement des femmes. Postel reste plus imprécis, encore plus hermétique, s’il est possible, que ses maîtres les gnostiques. Cependant, comme eux et dans la même mesure, il est le précurseur du féminisme : ses théories sont le dernier épanouissement, — avant qu’en matière de féminisme comme dans les autres domaines, le rationalisme ne triomphe, pour plusieurs siècles, — d’un mysticisme qui ne reparaîtra bien changé mais encore reconnaissable, qu’avec Boissel et les saints-simoniens.

La régence de Catherine de Médicis, les guerres de religion, la Ligue font apparaître de brillantes individualités féminines, laissent une grande part aux intrigues des femmes, ressuscitent la féodalité où la femme noble déploie librement son activité. Aussi, à la fin du xvie siècle, le courant féministe devient plus fort.

La Cour de France entend Catherine de Médicis protester contre la loi salique au nom de l’égalité intellectuelle des deux sexes. Marchant sur les traces de Christine de Pisan et de Postel, des féministes italiens et allemands soutiennent la précellence du score féminin et, sans doute s’inspirant des idées de ses devanciers dont elle fait un curieux mélange, Marguerite de Navarre (la populaire reine Margot) compose un ouvrage en forme de lettres « pour défendre son sexe contre d’injustes mépris ». Venue, dit-elle, après l’homme, dernière œuvre du créateur, la femme est le chef-d’œuvre de la création…

Plus intelligente que l’homme, elle possède « le transcendant des choses créées », c’est-à-dire saisit par intuition l’essence même des choses. Pour la première fois, la faculté intuitive de la femme est aperçue. Apte à commander, la femme peut revendiquer l’égalité politique comme la conséquence d’un droit historique et d’un droit naturel, étant, puisque la plus intelligente, la plus raisonnable, la plus capable de gouverner avec équité. D’ailleurs : dans les premières sociétés civilisées « les femmes commandèrent, jusqu’au moment où l’homme usurpa leur pouvoir ». Voilà donc ébauchés (sans preuve, sans arguments, mais d’une façon néanmoins assez claire) la théorie du matriarcat. Le plaidoyer de Marguerite de Navarre, que malheureusement nous ne connaissons que par une analyse faite par Pierre de l’Escale dans la Défense des femmes, marque donc une date dans l’histoire du féminisme.

À la fin du xvie siècle, quelques-uns des écrivains des plus représentatifs de leur temps se laissent gagner au féminisme, moins convaincus sans doute par les apologies des femmes que par leur propre expérience.

Brantôme ne se contente pas d’élever un véritable monument à la gloire du sexe faible, il parsème son œuvre de réflexions féministes.

Rapportant la sortie de Catherine de Médicis contre la loi salique, il s’élève contre l’usurpation que les hommes, favorisés par la faiblesse d’un sexe incapable de débattre ses droits à la pointe de l’épée, ont faite des droits féminins, montre, par des exemples empruntés au moyen-âge, que l’exclusion des femmes de la vie politique n’est ni un fait naturel, ni universel, soutient, comme le fera plus tard Montesquieu, que la beauté, la douceur et la vertu féminines seraient, autant que la force, un utile ressort du gouvernement.

D’esprit nullement révolutionnaire et peu original, Brantôme ne peut que refléter une opinion commune. Montaigne, qui passe au crible de sa raison tous les préjugés, semble lui aussi peu éloigné de reconnaître l’égalité naturelle des sexes.

« Je dis, professe-t-il, que mâles et femelles sont jetés dans le même moule. Sauf l’institution et l’usage, la différence n’y est pas grande. Platon appelle indifféremment les uns et les autres à la société de toutes les études, charges et vocations guerrières et paisibles, et le philosophe Antisthénés ôtait toute différence entre leur vertu et la nôtre… Il est plus aisé d’accuser un sexe que d’excuser l’autre… »

Sans doute, Montaigne ne laisse pas de cribler parfois les femmes de ses brocards ; mais il crible aussi les hommes. Et le passage que nous venons de citer devient significatif si l’on songe que Mlle de Gournay, l’initiatrice, après Christine de Pisan, du féminisme moderne, est la fille spirituelle de Montaigne. À la fin du xvie siècle, déjà, il n’était plus besoin de mysticisme pour conduire au féminisme. En face du féminisme mystique, le féminisme rationaliste apparaissait, autrement fort. Il sera celui de Poulain de la Barre et de Condorcet.

Comme au xvie siècle et pour des raisons analogues, le féminisme prend, au xviie siècle (ou du moins dans les trois premiers quarts de ce siècle), un très grand essor. Les périodes de trouble et de guerres civiles que traverse la France, pendant la minorité de Louis XIII et de Louis XIV, sont favorables au développement des cabales de Cour où triomphe le génie féminin de l’intrigue et à une nouvelle et dernière résurrection de l’esprit féodal. Par deux fois, des régentes gouvernent. Pendant un demi-siècle, des femmes, Léonora Galigaï, Marie de Médicis, la duchesse de Chevreuse, Mme de Longueville, Mlle de Montpensier sont, sinon les leaders, du moins les chefs apparents des partis. La Fronde les transforme en négociateurs politiques et en chefs militaires. De nouveau, on revoit, comme au xiiie siècle et sous la Ligue, des femmes chevaucher à la tête des armées, voire livrer hardiment bataille : Mme de Longueville entraînant les Espagnols — et Turenne — sur la route de Paris, la princesse de Condé marchant sur Bordeaux, la Grande Mademoiselle entrant dans Orléans par la brèche et dirigeant la défense de Paris, la maréchale de Guébriant ralliant au roi les garnisons d’Alsace, voilà quelques aspects caractéristiques — entre cent — du rôle militaire des grandes dames. Leur rôle politique n’est pas moindre. C’est par l’intermédiaire de Mme de Longueville, de la princesse palatine Anne de Gonzague, de Mme de Chevreuse, de Mme de Montbazon que s’accomplissent ces brusques évolutions des partis, ces conversions soudaines qui donnent à l’histoire de la Fronde un aspect si embrouillé et si confus. Et nous les voyons, avec Mme de Longueville et Mme de Guébriant, diplomates et ambassadeurs, avec Mlle de Montpensier, orateurs et tribuns. Sans doute, n’est-ce pas leur action qui, quoi qu’en aient dit Mazarin, et après lui Mézerai, est le mobile premier des événements. Mais là n’est pas l’important. Ce qui est remarquable, c’est l’attitude de l’opinion publique : nul alors ne s’indigne ou ne s’étonne de voir les femmes ainsi sortir de leur rôle traditionnel, usurper non seulement les positions masculines mais les titres correspondants : du peuple parisien aux princes et aux parlementaires, tout le monde reconnaît comme légitime l’autorité des femmes chefs d’armée, diplomates, chefs de parti. Les idées sur les fonctions respectives des hommes et des femmes sont, du moins en ce qui concerne la noblesse, moins nettes qu’aujourd’hui. Et plus ou moins implicitement, on reconnaît à la femme noble le droit d’exercer les mêmes fonctions qu’un gentilhomme. C’est là encore une survivance du régime féodal.

D’autre part, les femmes — et non plus seulement une catégorie assez restreinte de grandes dames, mais les bourgeoises avec les femmes nobles — jouent un grand rôle dans l’évolution littéraire et la transformation des mœurs.

Les femmes firent le succès de l’Astrée. Les Précieuses polirent à la fois la langue et la société. Elles formèrent cet « esprit de conversation » qui, pendant deux siècles, donna à la société française son aspect caractéristique, son génie particulier.

Fixant pour de longues années, en disciples intelligents de d’Urfé, l’idéal amoureux. Mlle de Scudéri et Mme de Lafayette ont contribué grandement à aiguiller la littérature française dans la voie de la psychologie.

Dans la chambre bleue d’Arthénice se forme et s’épure la langue française, précieux métal dans lequel seront coulées tant de belles œuvres ; autour de Mme et Mlle de Rambouillet, de Mme de Maure, de Mlle de Scudéri, se réunissent les beaux esprits, ridicules sans doute par l’affectation de leur langage et la subtilité de leurs discussions, mais dont le culte du beau langage, l’amour désintéressé des belles lettres, créeront cette atmosphère de serre chaude dans laquelle la pensée française produisit ses plus belles fleurs. « Le monde précieux, dit avec juste raison M. Lanson, a été l’école où se sont formés les Bussy et les La Rochefoucauld, les Sévigné et les Lafayette, les Maintenon et les Ninon, c’est-à-dire les plus exquis exemplaires de la société française dans la seconde moitié du siècle ». Les femmes sont l’âme de tous les cénacles, l’esprit de tous les salons. Le goût des femmes fait la loi, imposant la clarté, l’unique et admirable clarté de nos chefs-d’œuvre classiques. Sous leur influence, l’amour devient la préoccupation essentielle du monde et, la littérature classique étant mondaine, la psychologie amoureuse, le seul but de la recherche des analystes du cœur humain. Et l’un des aspects, le principal peut-être de notre littérature classique, s’explique par la royauté de l’esprit féminin.

Dès cette époque, d’aucuns ne laissent pas d’apercevoir le choquant contraste entre l’importance du rôle tenu par les femmes dans la vie politique sociale et littéraire et la condition inférieure où les tient toujours la loi civile et religieuse. Le sentiment de cette contradiction, le désir de la résoudre en faveur des femmes suscite, pendant un peu plus d’un demi-siècle, de très nombreuses apologies du sexe faible. Le premier historien des femmes et du féminisme, Thomas, en cite une vingtaine et, s’il a eu entre les mains un assez grand nombre d’ouvrages, aujourd’hui disparus, bon nombre d’autres lui ont échappé. Au début du siècle ce sont les ouvrages de Pierre de l’Escale, ardent champion du beau sexe, et ceux du capitaine Vigoureux, l’Apologie pour les femmes, de Jeanne de Miremont (1602), le traité de l’égalité des hommes et des femmes, de Mlle de Gournay (1612), et les Griefs des Dames, du même auteur. En 1665, paraît La femme généreuse, qui montre que son sexe est meilleur, plus noble, meilleur politique et plus vaillant que l’homme, dédié par Jaquette Guillaume à la duchesse d’Alençon. En 1673 et 1674, Poulain de la Barre fait paraître coup sur coup deux ouvrages capitaux : De l’Égalité des Sexes (1673) ; et De l’Éducation des Dames (1674).

Si la plupart de ces plaidoyers ne sont que d’assez banales variations sur des thèmes connus : constance, fidélité, chasteté des femmes — variations coupées d’ailleurs de vues intéressantes sur l’égalité naturelle des sexes et la possibilité pour la femme de parvenir, par une éducation appropriée, à exercer les mêmes charges que l’homme et les mêmes droits — trois d’entre eux du moins se détachent et témoignent de l’heureuse et féconde évolution subie par le féminisme. Ce sont le Traité de l’égalité des hommes et des femmes, de Mlle de Gournay, et les deux ouvrages de Poulain de la Barre.

Fille d’alliance de Montaigne, la première s’inspire de ses méthodes : universelle enquête et libre critique, appel au bon sens et à la raison contre toute autorité, même religieuse, pour discuter le problème féminin.

Ne nous laissons pas tromper par cette déclaration liminaire : « Je prouverai l’égalité des sexes, non par raison qu’on pourrait débattre, mais par autorité des Pères, de Dieu et des grands Hommes ! »

C’est là une concession plus apparente que réelle à l’esprit du temps et les arguments que lui fournissent les autorités philosophiques et religieuses ne sont pas, quoi qu’elle en dise, les plus nombreux ni les plus forts.

Les raisons que donnent les adversaires des femmes sont, pose-t-elle dès le début, absolument vaines. Ce sont « beaux » mots dont il est facile de démontrer l’inanité. Nulle différence spécifique entre l’homme et la femme, « l’animal humain n’est ni homme ni femme », les sexes étant faits tous non absolument mais « secundum quid », c’est-à-dire pour la seule propagation. Sous la forme scolastique l’idée est claire, c’est la vieille idée platonicienne, la future idée saint-simonienne. L’être humain n’est ni homme ni femme, mais homme et femme ; les deux sexes se complètent, ne s’opposent pas.

L’homme est plus fort ? soit. Mais « c’est une vertu si basse que la bête en tient plus par dessus l’homme que l’homme par dessus la femme ».

Quant à l’inégalité des esprits, la nature ne l’a pas voulue. Présentement, certes, les femmes sont en fait inférieures aux hommes et le « Tiers chef de la segesse humaine » a raison d’avancer, en ses Essais, « qu’il est peu de femmes dignes de commander aux hommes ». Mais l’infériorité présente est, comme le dit encore Montaigne, créée par la seule différence d’éducation. Ce qu’une éducation a fait, un autre système le peut défaire et pourquoi « leur institution ou nourriture… ne frapperait-elle pas ce coup de remplir la distance qui se voit entre les entendements des hommes et ceux des femmes » ?

On peut tout attendre, en effet, et c’est là une théorie très moderne de l’influence des habitudes prises, du milieu, du « climat ». La servitude féminine n’est que relative, occasionnelle ; ni la volonté de Dieu ni celle de la nature ne l’ont consacrée, mais seulement la volonté toujours changeante des hommes. La femme est donc en droit de revendiquer l’égalité dans tous les domaines.

Ici, Mlle de Gournay précise moins qu’elle ne laisse entrevoir sa pensée.

Dans la famille, la subordination féminine ne doit pas être entendue à la lettre. Il y faut des accommodements.

Dans la société, la femme est comme l’homme apte aux lettres et aux affaires. L’exercice même du sacerdoce n’excéderait pas sa compétence. Les premiers pères ont pu admettre qu’elle puisse donner le baptême, elles peut donc en droit distribuer les sacrements et si, plus tard, les canons de l’Église lui en interdirent la pratique, c’est que les rédacteurs des canons ont voulu être de leur sexe et affermir l’autorité des hommes.

N’est-ce pas là la pensée, l’expression même des féministes contemporaines ? Pour Mlle de Gournay aussi, la femme subit la loi de l’homme, elle doit songer à s’en affranchir.

Avec plus de science et de force, avec une dialectique plus puissante et plus serrée, avec plus de hardiesse dans les conclusions, une telle hardiesse que nulle féministe moderne ou contemporaine ne la pourra dépasser, Poulain de la Barre refait à sa façon le même plaidoyer. Ses ouvrages représentent bien l’étape la plus importante que, depuis Christine de Pisan, ait franchie l’idée féministe. Avec lui, le féminisme se dégage et des brumes mystiques et des discussions scolastiques et des controverses littéraires pour être porté sur son véritable terrain : l’égalité naturelle de tous les êtres humains, les droits de la femme comme membre de la société, l’intérêt même de cette société. Avant tout, son ouvrage apparaîtra comme la critique d’un préjugé qui, pour universel qu’il soit, ne résiste pas à un examen sérieux et impartial. Disciple de Descartes, Poulain de la Barre est bien décidé à s’en remettre à la seule raison du soin de trancher les questions qui divisent les hommes. Il veut n’admettre pour vrai rien qui ne soit appuyé par des idées claires et distinctes. Style cartésien, méthode également cartésienne.

« Les hommes n’admettent pas, dit-il, que les femmes enseignent dans une chaire, marchent dans les rues pour mettre la police, haranguent devant les juges en qualité d’avocat, soient assises dans un tribunal pour y rendre la justice, à la tête d’un Parlement, conduisent une armée…, parlent devant les Républiques ou les Princes comme chef d’une ambassade. » Voilà un fait ; la raison le justifie-t-elle ? Pas le moins du monde. Sur quoi en effet s’appuient les détracteurs des femmes pour légitimer les coutumes injustes qui les tiennent à l’écart ? Sur un simple argument de fait. « Leurs plus forts raisonnements se réduisent à dire que les choses ont toujours été comme elles sont à l’égard des femmes, ce qui est une marque qu’elles doivent toujours être de la sorte. » Argument sans valeur, malgré son universalité et l’adhésion même de la femme à l’injuste sentence. Car la raison montre que le prétendu droit naturel de l’homme n’est qu’une usurpation.

Suit une théorie de l’assujettissement des femmes où une géniale intuition parfois devance Darwin.

L’état d’infériorité physique où la grossesse met la femme, le goût de la parure qui fut un signe d’abord, bientôt une cause de faiblesse, voilà qui a permis aux hommes, aux siècles où seule régnait la force, d’établir leur empire sur les femmes[1].

Ceci fait, « ceux qui ont fait et compilé les lois étant des hommes, ont favorisé leur sexe, et les jurisconsultes ont tourné les lois en principes ». Plus tard, les historiens, hommes également, ont déformé l’histoire. « Tout ce qui a été écrit par les hommes sur les femmes doit être suspect, car ils sont à la fois juges et parties. » Le mensonge de l’histoire officielle, il a été dénoncé et maintes fois par nos féministes. Poulain de la Barre est leur précurseur.

Repoussant comme mensongère l’autorité, Poulain de la Barre ne va, pour réfuter ses adversaires, faire état que de la nature, de la raison, de l’observation des faits sociaux.

Le premier, il se pose la grande question : Les cerveaux de l’homme et celui de la femme sont-ils identiques ? Oui, répond notre cartésien, car « l’anatomie la plus exacte ne nous fait remarquer aucune différence dans cette partie entre les hommes et les femmes ». La différence des sexes se réduit au sexe. Elle n’existe que dans la mesure oit, elle est nécessaire au dessein de Dieu qui a voulu former des hommes par le concours de deux personnes. Mais l’esprit n’a pas de sexe. Tout esprit, féminin comme masculin, est susceptible par le secours des sens d’étudier la nature, donc de s’initier aux sciences. Pourvue du bon sens et de la logique qui lui permet de saisir l’enchaînement de ces diverses sciences, toute femme comme tout homme peut s’élever jusqu’à la science suprême : la métaphysique. Des sens justes, du bon sens, voilà les qualités générales qui rendent propre à toutes les sciences. Ce grand principe cartésien qui n’est évidemment pas entièrement juste, mais qu’au xviie et au xviiie siècles tant de génies ont vérifié, trouve donc en faveur des femmes son application. S’il suffit de qualités générales pour réussir dans toutes les sciences, les femmes comme les hommes en sont susceptibles.

La question qui se pose à propos des femmes est d’ailleurs plus vaste et plus haute. « Nous avons tous, hommes et femmes, dit Poulain de la Barre, également droit à la vérité puisque l’esprit est en tous également capable de la connaître. »

Voilà une parole singulièrement importante et qui confirme cette vue de certains historiens : Descartes, précurseur des philosophes, et, par conséquent, de la Révolution. Avec bien plus de force que ses prédécesseurs, Poulain de la Barre repousse cette distinction que juristes romains et théologiens catholiques faisaient entre l’esprit de l’homme, vigoureux et pondéré, et celui de la femme, faible et impulsif. Il réclame pour les deux sexes le droit à la vérité. Olympe de Gouges et Condorcet réclameront, pour les deux sexes, le droit à la vie politique ; les saints-simoniens, pour les deux sexes, le droit au bonheur. Développements de l’idée cartésienne dont Poulain de la Barre est, au point de vue féministe, le grand représentant.

Pour permettre aux femmes comme aux hommes de connaître la vérité, il est nécessaire de réformer leur éducation. Tel est l’objet de l’Éducation des Dames qui, écrite un peu après l’Égalité des Sexes, complète assez bien, sur ce point particulier, la pensée de l’auteur. De ce dialogue philosophique, platonicien d’allure, très cartésien de pensée et dédié à la Grande Mademoiselle, plusieurs idées importantes se dégagent. « Il importe d’établir parmi les hommes une raison souveraine qui les rende capables de juger sainement et sans prévention ». Cette raison souveraine, elle peut être l’apanage des deux sexes, à condition qu’on veuille bien abolir la frivolité qui règne dans l’éducation de la femme pour la remplacer par une forte et philosophique instruction.

Il faut d’abord, et ce sera l’affaire d’un certain nombre de femmes formées spécialement pour cette mission, de munir la femme « des principes premiers nécessaires à la connaissance de nous-mêmes et à celle de la nature ». Car l’une ne va pas sans l’autre et celui ou celle qui sait se connaître soi-même sait aussi connaître le monde extérieur. « Les principes de toutes les sciences, dit, avec un esprit bien cartésien, Poulain de la Barre, sont compris dans la connaissance de nous-mêmes. Munie de ces premiers principes, c’est-à-dire pourvue d’un raisonnement juste et d’un sens droit, la femme pourra aborder les livres et la nature, étudier la géométrie, la philosophie, les sciences.

Nulle différence essentielle dans ce programme que développe éloquemment et clairement Stasimaque et celui que l’on pourrait tracer aux jeunes gens.

Il doit former l’honnête homme, l’honnête femme. Car, dit le traité de l’Égalité, ce n’est pas pour l’utile seulement qu’il faut rechercher la science. Celle-ci doit permettre aux deux sexes de bien conduire leur vie et de trouver leur bonheur dans la pratique de la vertu. Mais combien il est important pour les femmes de se mettre au même niveau que leurs maîtres d’aujourd’hui ! C’est l’infériorité d’instruction qui fait l’infériorité des femmes dans la famille comme dans la société. Si les femmes étaient plus instruites, il y aurait moins de ménages malheureux.

En principe, donc, l’instruction servira aux femmes, comme aux hommes, d’ailleurs, à bien conduire leur vie et à réaliser plus facilement la vertu et le bonheur.

Mais pourquoi les femmes ne mettraient-elles pas, si besoin était, les qualités ainsi acquises au service de la société ? Qu’elles soient capables de jouer un grand rôle social, c’est ce que l’examen impartial des faits démontre. Car, dépourvues comme elles le sont d’instruction, les femmes, déjà, se montrent aptes à la conduite des plus importantes affaires et leurs qualités propres les prédisposent à l’étude de toutes les sciences.

« Dans le mariage, les femmes sont capables de conduire une maison à l’âge où les hommes ont encore besoin d’un maître… Presque toutes les maisons ne sont réglées que par des femmes et le soin qu’elles prennent de l’éducation des enfants est bien plus considérable aux familles, bien plus important à l’État que celui qu’elles ont des biens. » Voilà des faits et, le premier, Poulain de la Barre formule l’importance sociale de la maternité. Comme les hommes, les femmes ont su organiser à merveille les ordres religieux. Le don du commandement, la science du maniement des hommes ne font pas défaut aux abbesses. Les femmes ont soin des pauvres, c’est leur charité qui dispense les secours aux malades de l’Hôtel-Dieu… voilà des faits encore et dont, cependant, le vulgaire ne tient pas compte, sans doute parce qu’ils lui apparaissent comme tout naturels, mais qui, si on y réfléchissait, modifieraient profondément sa conception du caractère féminin.

Ajoutons, dit Poulain de la Barre, que les femmes ont des qualités particulières : une facilité de parole qui va souvent jusqu’à l’éloquence naturelle, une faculté de parler avec solidité et profondeur des plus hauts mystères, une patience et une diligence, un sens pratique dont elles donnent mille exemples dans le gouvernement de leur maison et le soin des malades. En un mot, les femmes ont toutes les qualités des hommes, sans leurs défauts, et bon nombre de qualités particulières.

N’est-il pas juste qu’elles en puissent user pour leur avantage personnel et le plus grand bien de la société ? Poussant avec une rigueur géométrique ces principes à leurs dernières conséquences, Poulain de la Barre revendique pour la femme l’exercice de toutes les professions masculines. La méthode déductive qu’il emploie est curieuse et mérite que l’on s’y arrête.

Il est suffisamment démontré que les femmes peuvent, comme les hommes, s’assimiler toutes les sciences, mieux, particulièrement réussir dans l’étude de quelques-unes d’entre elles. Mais si l’on possède bien une science, rien n’est de plus facile que de l’enseigner, surtout pour la femme communément douée de patience et du don de la parole.

Donc, la femme peut prendre le titre de docteur, de maître en théologie et en médecine et en l’un et l’autre droit.

L’emploi le plus approchant de celui de maître, c’est celui d’être pasteur ou ministre de l’Église. Sans discuter la parole de Paul le misogyne, Poulain de la Barre se contente d’affirmer que la foi leur est commune avec nous, et que l’Évangile et les promesses ne s’adressent pas moins à elles.

Mais la façon dont il soutient le droit des femmes à gouverner des royaumes annonce Montesquieu. « Il ne faut pas plus d’application, dit-il, pour la conduite d’un royaume, que toutes les femmes en ont pour leur famille et les religieuses pour leur couvent. D’ailleurs, comme la piété et la douceur sont naturelles à leur sexe, la domination en serait moins rigoureuse que n’a été celle de plusieurs princes. » Eut-il connaissance de l’ouvrage de Poulain de la Barre ? rien ne le prouve, mais le passage de l’Esprit des lois où Montesquieu fait, presque dans les mêmes termes, l’apologie des gouvernements féminins, semble une réminiscence du traité de l’Égalité des sexes.

Celui-ci, d’ailleurs, dépasse de beaucoup par sa hardiesse l’Esprit des lois. Son auteur se contentera de justifier en droit un usage commun : l’exercice du pouvoir suprême par les reines ou régentes. Poulain de la Barre, lui, réclame pour les femmes toutes les fonctions d’état, « elles peuvent être, dit-il, vice-reines, gouvernantes, secrétaires, conseillères d’État, intendantes des finances ». Et comme il n’y a, conclut Poulain de la Barre, ni charge ni emploi qui ne soit renfermé dans ceux dont on vient de parler, il faut reconnaître que les femmes sont propres à tout.

Les traités de l’Éducation des femmes et de l’Égalité des sexes constituent certainement le plaidoyer le plus vigoureux, le plus serré qui ait jamais été fait pour l’émancipation féminine. Toutes les idées, tous les thèmes que développeront aux trois siècles suivants les écrivains, hommes ou femmes, sont déjà formulés, déjà indiqués et souvent heureusement développés. Égalité naturelle des sexes prouvée par l’identité des cerveaux, combattue par la différence injuste de l’éducation, restituée par une éducation semblable, droit de la femme à connaître la vérité et à en faire, pour l’élévation de son âme, pour la conduite de ses semblables, pour son profit personnel au besoin, l’usage que bon lui semble, revendication de la liberté contre la religion qui accapare, malgré elles, tant de jeunes filles, contre les maris trop souvent despotes[2], tout le catéchisme, tous les catéchismes féministes sont contenus dans les ouvrages de Poulain de la Barre, l’un des penseurs les plus hardis de son époque, et qu’une injustice de la destinée littéraire a empêché de mettre à sa vraie place parmi les grands précurseurs.

Ni Condorcet, ni Stuart Mill, ni les modernes suffragettes ne trancheront d’une manière plus décisive la question. Ses ouvrages ont donc, au même titre que ceux des philosophes du xviiie siècle, une grande valeur « humaine ». Il n’empêche qu’à côté de la logique, de la pure raison et des principes du maître, le spectacle de son époque n’ait été pour une bonne part dans la netteté de ses conceptions. L’exemple de la Grande Mademoiselle et de tant d’autres lui a montré que les femmes peuvent entreprendre avec succès ce qu’il y a de plus élevé et aspirer à tout.

Une étude approfondie de l’évolution des idées concernant la nature et le rôle de la femme pendant le règne de Louis XIV montrerait ces deux faits curieux : Poulain de la Barre, si original par sa claire méthode et la hardiesse de sa logique, n’est cependant que le représentant le plus remarquable d’un état d’esprit plus courant de son temps qu’on ne le croit communément. Sous le règne de Louis XIII, la régence et le début du règne de Louis XIV, l’esprit féministe a gagné, avec la noblesse, la bourgeoisie elle-même. Les professions de foi féministes de Mlle de Montpensier et de Mlle de Scudéry, revendiquant l’une égalité dans le ménage, l’autre l’égalité d’instruction, des pièces comme les Précieuses ridicules et l’Académie des femmes de Chappuzeau, daubant sur les velléités d’émancipation intellectuelle ou légale des petites bourgeoises, les pièces même de Corneille où les héroïnes ne laissent pas de marquer autant de maîtrise de soi-même, de logique raisonneuse et de volonté que les protagonistes masculins, voilà d’éclatantes preuves de la large diffusion des idées féministes.

Mais bientôt, ce grand mouvement s’arrête. Au moment où paraissent les œuvres de Poulain de la Barre, dernier épanouissement d’un demi-siècle de pensée féministe, un autre esprit, nettement antiféministe, commence à s’établir. Les grands écrivains sont unanimes à circonscrire l’empire des femmes dans les bornes du pays du Tendre ou à les renvoyer durement au foyer.

Pour tous ceux qui font profession d’observer, sans passion, les hommes, La Bruyère, La Rochefoucauld, Saint-Evremond, les femmes sont les esclaves de leur cœur et de leurs sens. Jamais la froide lumière de la raison ne les guide, mais toujours les impulsions du cœur. En un siècle où la raison est déesse, où être raisonnable est pour une personne, pour une œuvre, la suprême qualité, l’infériorité est irrémédiable.

Inférieure à l’homme, la femme, pense Molière, ne doit pas viser à cultiver de la même façon que l’homme son esprit. Sans doute Chrysale lorsqu’il trace à la femme ce par trop modeste programme !

Que la capacité de son esprit se hausse
à connaître un pourpoint d’avec un haut de chausse


n’est pas l’interprète de Molière. Et sans doute ses exégètes ont-ils raison d’affirmer que la femme, « qui a des clartés de tout », a ses sympathies et répond à son idéal. Sans doute même peut-on dire, et il semble qu’on ne fait pas jusqu’ici remarqué suffisamment, que Molière est, en un certain sens, féministe. Ne revendique-t-il pas la liberté de la femme en face de l’arbitraire du père et du mari, le droit pour elle de choisir un époux qu’elle aime, le droit même de tromper un mari mal assorti ? N’importe. Molière dénie à la femme le droit à une culture supérieure, et ceci pour une raison qui est celle de tous les adversaires de l’émancipation : la place de la femme est au foyer, et toute occupation intellectuelle la détourne de ses devoirs d’épouse et de mère.

Comme Molière, Boileau est pénétré du dogme de l’infériorité féminine et avec d’autant plus de force que son esprit janséniste le pousse à voir dans la femme l’origine du mal. Sa Satire 10, où il brandit le fouet de Juvenal, est la synthèse de toutes les satires qu’avant lui d’innombrables poètes ont lancées contre le sexe, la perfection du genre… Une misogynie plus farouche que comique l’anime et la femme lui apparaît comme l’être impulsif et inconstant des juristes romains, comme l’instrument de perdition flétri par les canonistes du moyen-âge en même temps que comme le sujet des infortunes et des tourments conjugaux, thème éternel de nos vaudevillistes.

Le mépris dans lequel les écrivains tiennent la femme, tout en l’adulant par ailleurs et en cherchant avant tout ses suffrages, n’est pas sans soulever de temps en temps une protestation…

Contre les jugements trop sévères de La Rochefoucauld, un certain nombre de ses lectrices s’inscrivent en faux.

À la Satire des Femmes, le satirique Pierre Henri, émule et zoïle de Boileau, répond par une Satire des Hommes qui en est l’exacte contre-partie, et une autre de ses pièces, Le Pour et le Contre du mariage, exalte les femmes vertueuses.

De plusieurs articles du dictionnaire de Bayle, ressort cette idée que le grand critique et compilateur ne s’incline pas toujours devant l’opinion commune. Il parle avec sympathie de quelques auteurs néerlandais : Voetius, Béverovic qui ont pris dans leurs ouvrages la défense du beau sexe, qui ont combattu la doctrine fameuse de saint Thomas, d’après laquelle la femme est une imperfection de la nature et prouve qu’elle n’est inférieure à l’homme, ni par les qualités du corps, ni par celles de l’esprit. Lui-même rapportant la dispute d’Acidadalius et Gedyk, s’élève contre la stupide grossièreté du premier ; en plusieurs occasions, il aborde pour son compte, — non ex professo, car nul de ses articles n’est consacré spécialement à la femme, mais par d’assez fréquentes et copieuses digressions, — le problème féminin. Et nous le voyons reconnaître aux femmes, outre des qualités particulières à leur sexe, telles la vertu, la douceur et la bonté, un certain nombre de qualités masculines, le courage, la constance et même l’aptitude du gouvernement.

Est-ce à dire cependant que Bayle soit un champion de l’égalité des sexes ? Il s’en faut et, bien plus libéral que la plupart de ses contemporains, Bayle s’accorde avec eux sur ce point : c’est le sentiment qui prédomine chez la femme, non la raison ; c’est par son cœur, non par son esprit qu’elle se dirige. Pour lui donc, comme pour la plupart des écrivains, et, bien qu’il reconnaisse que certains arguments militent en faveur de la thèse contraire, la femme reste un être inférieur.

C’est qu’en réalité, le règne de Louis XIV est extrêmement défavorable à l’éclosion d’un mouvement féministe : car le triomphe de la monarchie absolue dans le domaine politique suppose, dans le domaine social, familial, religieux, moral, le triomphe d’autres conceptions, toutes hostiles à l’émancipation de la femme.

Le règne de l’ordre, c’est, dans la société, le triomphe d’une rigoureuse hiérarchie, d’une hiérarchie appuyée sur la tradition du passé. Or, quelle qu’ait pu être au moyen-âge la liberté politique des femmes, le souvenir s’en est depuis longtemps évanoui avec celui des antiques libertés politiques du peuple français. La tradition, établie par les lois divines et humaines, c’est donc la subordination des femmes. Qui voudrait les émanciper, qui oserait prêcher cette égalité des sexes que, pour telle femme noble — mais ceci encore est privilège — l’on a parfois pratiquement reconnue[3], serait considéré comme destructeur de l’ordre social ; et son enseignement de nature à le ruiner jusqu’à ses fondements. L’émancipation féminine serait aussi dangereuse pour l’ordre établi que celle du paysan et de l’ouvrier ; discuter la souveraineté masculine serait aussi condamnable que mettre en question, par exemple, le droit de propriété.

Comme tout régime d’autorité, comme la Rome républicaine, comme la France de Napoléon, la monarchie absolue a pour substruction première une très forte organisation de la famille : l’autorité du père, héritier du pater familias, doit, sur la femme comme sur les enfants, s’exercer sans restriction aucune. Parler aux femmes d’émancipation, c’est les dresser contre leur maître légitime, contre celui qui dans la famille représente le roi et Dieu. C’est porter l’anarchie au sein de la petite société qui est l’image réduite de l’État. C’est par là même en saper les bases.

Quelque effort enfin que le christianisme mondain, celui des Jésuites en particulier, mette à masquer « la face hideuse de l’Évangile », il ne peut faire que la dureté du dogme biblique ne pèse toujours sur la religion. Eve a perdu l’humanité ; de toute éternité elle fut destinée à être la servante de l’homme et sa servitude doit être d’autant plus dure qu’elle est la rançon de sa faute. Que les prêtres ne se gendarment pas lorsqu’ils voient les femmes régner à la Cour, commander aux hommes, même, comme on le vit pendant la Fronde, monter à cheval et saisir les armes, rien d’étonnant, la pratique n’est rien et le dogme demeure Mais qu’un homme ou une femme prêche sérieusement l’émancipation du sexe féminin, et le clergé verra en lui une rebelle contre la loi divine. Au xixe siècle et au xxe siècle, une grande partie du clergé et bon nombre des intellectuels catholiques ont pris position contre le féminisme. Combien la tâche leur eût été plus facile à une époque où le catholicisme avait à son service toute la puissance séculière, où l’hérétique était l’ennemi de l’État.

La loi politique, la loi religieuse, la coutume familiale se réunissent donc pour rendre difficiles, sinon impossibles, les revendications féministes : on s’explique aisément que les ouvrages de Poulain de la Barre ou de Jacquette Guillaume soient restés ensevelis dans un silence profond. Tout de même en alla-t-il des théories d’Olympe de Gouges et de Condorcet pendant le règne de Napoléon.

Comparons, enfin, le théâtre de Racine et celui de Corneille : le théâtre de Racine, disent bien des critiquas littéraires — et cette idée, chez eux, est passée à l’état de dogme — est féministe parce qu’il donne à la femme la plus large place, parce que la femme et l’amour sont moteurs d’action.

Mais la réalité est assez différente : les héroïnes, comme les héros de Corneille, sont des êtres de volonté qui raisonnent froidement, qui font passer leurs sentiments, leurs passions après l’intérêt familial, politique ou religieux, après le devoir en un mot. Chez elles, comme chez les hommes, la raison, la volonté l’emportent. Corneille, comme un grand nombre de ses contemporains, juge l’esprit et le cœur de la femme égaux à ceux de l’homme : courage, maîtrise de soi ne sont pas l’apanage du sexe masculin : si les héroïnes cornéliennes eurent de l’influence, sur telle frondeuse, comme Mlle de Montpensier, Corneille de son côté ne s’inspire-t-il pas, pour tracer le portrait de telle femme énergique, ambitieuse, des modèles que, surtout au temps de la Fronde (époque où, par exemple, fut écrite Rodogune), la Cour offrit facilement à ses yeux ? Mais plus que la femme de son époque, c’est l’opinion que son époque se fait de la femme, que reflète le théâtre de Corneille : à le lire, la femme apparaît bien comme l’égale de l’homme.

Avec Racine, tout change : qualifier son théâtre de féministe, c’est jouer sur les mots, tout autant que si on qualifiait de féministe la Genèse, parce que, dans le drame de la chute, Eve tient le principal rôle. L’héroïne de Racine, c’est déjà la femme telle que la représenteront les littérateurs contemporains : un être capricieux, d’une séduction infinie et d’une inconsciente perversité qui ne raisonne pas mais qui s’abandonne sans contrainte au déchaînement de la passion. De son caractère, la contradiction est la loi parce qu’elle est livrée sans contre-poids aucun aux impulsions contradictoires de ses sens et de son cœur. L’héroïne cornélienne sait ce qu’elle veut et le réalise ; l’héroïne de Racine est mue par des forces inconscientes qui viennent du plus profond d’elle-même : elle reste la femme impuissante à se dominer qu’a, pour jamais, évoquée Tacite. Le « qui te l’a dit » d’Hermine réalise l’éternel féminin, cet éternel féminin qu’on chercherait vainement dans Corneille. Quand, après Polyeucte et Rodogune, triomphe Andromaque et tombe Phèdre, une nouvelle conception du caractère féminin prévaut que Racine a contribué peut-être à former, mais que, surtout, il reflète fidèlement.

Aussi, pendant un demi-siècle et plus, entre le dernier des ouvrages de Poulain de la Barre et les ouvrages de Mlle Archambault et de Mme Galien, on ne verra apparaître aucun plaidoyer féministe. Et nul écrivain, avant Montesqieu dans ses Lettres persanes, n’aura l’idée de soutenir de nouveau la thèse de l’égalité des sexes.

Il n’en reste pas moins que le mouvement féministe qui, pour les raisons que nous avons indiquées, a atteint au milieu du xviie siècle une telle ampleur, prépare le féminisme du xviiie siècle, comme Descartes prépare le mouvement philosophique et qu’il est, avec le droit romain et les institutions féodales, l’un des éléments essentiels dont il faut tenir compte pour comprendre la position du problème féminin au siècle suivant.

  1. Darwin, dans : De l’origine des espèces, explique l’assujettissement des femmes de façon à peu près semblable.
  2. Ces deux idées sont indiquées seulement avec la discrétion qui convient mais néanmoins d’une manière fort nette. Stasimaque, l’un des personnages du dialogue sur l’éducation, s’exprime ainsi : « J’empêcherais qu’on ne mît les filles en religion malgré elles. Je limiterais si bien l’activité maritale que pas un homme n’en abuserait. »
  3. Mme de Guebriant, ambassadrice en Pologne, eut des émules : MMmes de la Haye Vantelet, ambassadrice à Venise ; la duchesse d’Aiguillon, gouverneur du Havre en 1686.