La Femme libre/03

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Collectif
La Femme libre (p. 1-8).

La Femme de l’Avenir

APOSTOLAT
DES FEMMES.

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Avec l’affranchissement de la femme viendra l’affranchissement du travailleur.

La cour d’assises a vu figurer sur ses bancs les apôtres de l’affranchissement des femmes et du peuple ; un tribunal, composé d’hommes seuls, a prononcé sur des théories que les femmes doivent aussi juger.

En mon nom, et au nom de celles qui se joignent à moi, je réclame en ce jour nos droits. Je demande de l’impartialité des hommes la pleine et entière liberté de faire des réunions de femmes, où seront discutées ces théories déclarées immorales. J’en appelle à la franchise de toutes les femmes aimantes, de toutes les mères de famille, pour examiner cette grave question, et si cette doctrine est vraiment immorale, leur cœur, aussi vrai que la science des hommes, la leur fera rejeter.

Je proteste de toutes les forces de mon âme contre l’imputation faite aux apôtres de vouloir le droit du seigneur et la communauté des femmes. Nous repousserions avec horreur de pareilles idées si elles avaient pu leur venir, mais nous pouvons affirmer qu’ils ne les ont pas eues. Nous voulons être libres afin d’acquérir la sincérité et la dignité nécessaires au rôle de moralisation que la femme, par sa délicatesse, est appelée à remplir ; et le droit du seigneur était l’asservissement de la jeune fille innocente au très-haut et puissant seigneur, souvent débauché. La communauté des femmes est l’avilissement le plus complet de notre sexe. Elle existe, de fait, par la prostitution, et nous voulons la détruire pour l’avenir. La communauté des femmes est là où une partie d’entre elles sont une propriété servant au bon plaisir des hommes, et sur laquelle l’État prélève un impôt, et autorise, moyennant de l’or, ce trafic honteux, qui livre la plus belle au plus offrant. Si la société, ne détruisant pas le plus bel ouvrage de Dieu, la variété qui doit être dans l’humanité comme dans le reste de la nature, ne nous imposait plus ce type, d’après lequel nous sommes toutes élevées en dépit d’un naturel opposé ; mais qu’au contraire, elle donne par une éducation plus large au libre essor au développement de nos facultés morales, intellectuelles et physiques, les désordres dont notre sexe est souvent la cause secrète n’existeraient pas. C’est dans l’intérêt de la société tout entière que nous voulons notre liberté ; c’est pour en poser les bases et les limites, et la faire comprendre aux femmes et aux hommes que nous avons fondé notre Apostolat ; il est composé en grande partie de femmes prolétaires. Le hasard de la naissance nous a fortifiées et préparées pour en pouvoir porter le lourd fardeau. Comme l’apôtre ancien, nous nous dépouillons des vieux préjugés de la civilisation pour revêtir la robe nouvelle ; mais comme lui, nous ne pleurerons pas sur la grande Babylone, car si elle renferme dans son sein de nombreux vices, nous savons que, par nous, ces vices se transformeront en grandes et sublimes vertus. Les temps de l’anathème sont passés : Dieu veut que tous soient élus. Voilà quelle est notre foi, voilà ce que nous avons mission d’enseigner ; et nous pouvons dire que notre mission est divine, car elle a pour but le bonheur de tous.

Jeanne-Désirée.

PROCÈS DES APÔTRES.


Il est enfin rendu ce jugement ! Oui, à la majorité de plus de sept voix, les accusés sont coupables, a dit d’une voix tremblante le jury ; et il déclarait coupables d’immoralité des hommes qui ont conçu la pensée de sauver la femme des souillures de la prostitution et des souffrances de l’esclavage ! Des hommes qui, pénétrés de douleur en voyant le désordre qui règne dans les relations de l’homme avec la femme, ont entrepris d’apporter dans ces relations : ordre, franchise et liberté pour tous. Ils veulent faire cesser ce conflit qui existe entre les différentes natures ; ils veulent que ceux qui trouvent leur bonheur dans une union durable, n’aient pas à craindre de voir cette union souillée par l’adultère, et que ceux qui sont d’une nature vive, puissent changer, mais changer sans déshonorer les familles, sans porter le désordre dans les ménages, la douleur et le remords dans le cœur des femmes, changer en se proposant un but de moralisation sur ceux qu’ils auront puissance de moraliser. Et c’est là ce qu’on appelle immoralité ! Vraiment, en entendant un pareil langage, peut-on croire qu’il y ait bonne foi de la part de ceux qui le tiennent ? Peuvent-ils être tellement ignorans sur les mœurs de notre siècle, qu’ils ne sachent qu’il n’y a que douleur, que déchirement à attendre dans le monde, tel qu’il est organisé ? Ils ne peuvent se dissimuler le grand nombre d’époux qui vivent en mésintelligence ; et quand je dis en mésintelligence, je n’entends pas parler seulement de ceux qui sont en guerre ouverte, mais aussi de ceux qui ne s’aiment pas assez pour trouver du charme même à souffrir ensemble, et qui s’aiment assez peu pour ne pouvoir trouver dans leur amour mutuel les consolations qui leur feraient oublier les peines de la vie. Je dis donc qu’ils ne peuvent se dissimuler le grand nombre de ménages où règne cette mésintelligence, parce qu’on ne s’est pas occupé, en unissant ces époux, de voir si leur nature était en harmonie, ou parce qu’on leur fait un devoir de rester unis, alors même que cette harmonie n’existe plus. Et ces femmes sur lesquelles pèsent un si grand anathème, si, dès leurs jeunes ans, on avait accordé satisfaction à leur nature, tout en les dirigeant vers un but moral, elles emploieraient leur beauté à moraliser à leur tour, et ne seraient pas, comme aujourd’hui, un sujet de chutes pour plusieurs, et un fardeau pour elles-mêmes. Contenues dans de justes limites, sans être asservies à une morale exclusive, elles concourraient plus qu’on ne le pense, au progrès, au bonheur de l’humanité. Au lieu de cela, que sont-elles ? la honte, l’opprobre de leur sexe, et comme le disent ceux qui nous condamnent, un mal nécessaire. Et c’est vous qui nous taxez d’immoralité ! vous, qui désespérez assez des moyens de bonheur que la Providence vous met dans les mains pour penser que la prostitution soit un mal nécessaire ! Et moi, je vous le demande, sont-ils vraiment moraux ceux qui admettent le comble de l’immoralité comme chose nécessaire, et qui refusent les moyens qu’on leur offre de moraliser l’immoralité elle-même, qui déclarent cette moralisation impraticable ; que dis-je ! qui la font envisager, non comme un remède, mais comme un poison violent. Qu’ils jettent donc un regard observateur sur le passé, sur le présent, fruit de leurs vastes conceptions en politique, en morale, et sur l’avenir qu’ils se préparent, en suivant la même route. Est-il tellement beau, ce passé, ce présent, cet avenir, qu’ils aient beaucoup à s’en glorifier. Qu’ils considèrent l’impuissance, le vice même du mode de moralisation qu’ils ont employé jusqu’à présent, en en voyant les funestes effets ; et je ne puis trop le dire, ces funestes effets c’est l’adultère, c’est la prostitution. Que faut-il donc que le mal ait de plus terrible pour qu’ils consentent au remède ? Que leur faut-il de plus que les souillures et les douleurs innombrables de la chair, pour leur faire voir qu’elle ne peut, qu’elle ne doit pas être soumise à l’esprit, mais bien marcher son égale. Qu’attendent-ils donc pour être convaincus que des élémens de progrès, des principes de moralisation, plus puissans que ce qu’ils ont imaginé dans leur morale toute spirituelle, sont renfermés dans ces vices sur lesquels ils ne savent que jeter anathème. Ce qu’ils attendent sans doute, c’est que la femme s’unisse à l’homme pour formuler la loi nouvelle. C’est qu’elle quitte l’aiguille et la navette pour endosser la robe de l’apostolat ; c’est qu’elle vienne, elle que l’homme ne pourra repousser, leur dire et ce qu’il y a d’impuissant dans leur morale pour le bonheur du monde, et tout ce qu’il y a à espérer de paix, d’ordre, de bonheur, dans ce qu’elle veut pour l’avenir. Nous en avons la foi : quand la femme aura parlé, on ne condamnera plus, on ne s’effraiera plus, parce qu’il appartient à la femme, de concert avec l’homme, d’apporter au monde paix, ordre et bonheur.

Joséphine-Félicité.

LE PROCÈS.


Après sept mois d’instruction, les Saint-Simoniens ont comparu devant leurs juges ; mais quelle transformation s’est faite en eux. Il y a sept mois ils n’étaient qu’associés ; aujourd’hui un sentiment religieux les unit. À cette époque ils disaient : nous sommes Saint-Simoniens ; ils l’étaient, il est vrai, mais ils n’étaient que cela : aujourd’hui ils sont apôtres. Apôtres des femmes et du peuple. Ils ont un costume, et chacun peut dire en les voyant : ceux-ci ont du dévoûment, car il en faut pour se livrer ainsi au monde pour s’exposer aux risées de ceux qui ne comprennent pas qu’on puisse avoir une foi religieuse. À cette époque, ils disaient : nous aimons le peuple, et ils faisaient des discours ; aujourd’hui ils l’ont prouvé en détruisant chez eux la domesticité et en se livrant à des travaux déclarés vils, ils ont montré que vraiment pour eux l’industrie est aussi sainte que la science et qu’ils avaient renoncé aux priviléges auxquels par leur naissance, leur éducation, ils pouvaient prétendre.

C’est en cette position qu’ils sont comparus devant un jury composé d’hommes propriétaires. Ces hommes qui sont venus pour les juger, qui sont-ils ? je les reconnais pour la majorité, hommes de probité, bons pères de famille ; mais peu capables de juger des questions telles que celles mises en causes, et surtout dans le peu de temps qui leur était donné pour les examiner. Ils ont dû les condamner. Comment pouvait-il en être autrement ? ils sont venus pour juger des doctrines qui, au premier abord semblent détruire tous leurs droits, comme hommes et comme propriétaires. Je dis au premier abord, car lorsqu’on les examine d’avantage on reconnaît bien vite qu’elles veulent le bonheur pour tous, et non celui d’une partie de la société aux dépens d’une autre. Oui ! je vous le demande à vous riches, qui avez un cœur sensible, ne souffrez-vous pas des douleurs du peuple ? Oh ! oui vous en souffrez, car il vous est impossible de vous soustraire au tableau de ces douleurs, elles vous suivent partout dans vos plaisirs, vos fêtes et vous ne pouvez faire un pas sans qu’elles se présentent à vos yeux, et puis ne devez-vous pas craindre que venant à se lasser de sa misère, il ne se révolte et ne viennent porter chez vous la désolation ; il est donc de votre intérêt qu’il s’établisse un ordre de choses dans lequel le prolétaire deviendra votre associé, et où il n’y aura plus de misère. Il y aura du bonheur pour vous et vous pourrez sortir dans les rues, sans rencontrer ces douleurs qui vous font frémir aujourd’hui. Pour la morale on a dit qu’ils détruisaient les droits des hommes ; oui, ils détruisent la suprématie qu’ils exercent sur les femmes, mais je le demande à tout homme de bonne foi, ne serait-il pas plus heureux si au lieu d’avoir à gouverner une femme qui se révolte contre son autorité, non pas peut-être ouvertement, mais par la ruse, le mensonge. Ne serait-il pas plus heureux s’il avait une femme qui étant son égale, partagerait ses droits mais aussi ses travaux, et ne serait pas comme aujourd’hui un meuble de salon ou un ustensile de ménage. Cela existe déjà de fait sinon de droit, car la femme du marchand partage les travaux de son mari, et se mêle de tout ce qui dépend de son commerce. Puisqu’elle partage ses travaux, pourquoi ne partagerait-elle pas ses droits ? Oui, la femme a dû être soumise tant que le pouvoir de l’épée fut celui qui régla la société, mais du jour où il sera remplacé par celui de l’industrie, elle doit et peut devenir l’égale de l’homme, car si elle ne l’égale pas en force physique elle l’égale en amour et en intelligence. Et c’est pour ces doctrines que l’on a condamné des hommes qui ainsi que vous le voyez, loin de vouloir le malheur de personne viennent pour assurer le bonheur à tous, en faisant cesser la misère qui est la cause continuelle des émeutes ; en associant le maître à l’ouvrier, en les faisant s’aimer l’un l’autre, en associant l’homme à la femme et en faisant disparaître la violence et la ruse qui sont la base de presque tous les rapports qui les unissent aujourd’hui. Oui on les a condamné les hommes qui prêchent ces doctrines, et ils subiront leur condamnation, leur foi est assez grande pour tout supporter. Ils savent que l’humanité leur tiendra compte de ce qu’ils font pour elle. Oui le jour où l’humanité jouira du bonheur qu’ils travaillent à lui donner, elle reconnaîtra que ce sont eux qui le lui ont fait conquérir, et elle bénira leur nom comme elle a béni celui des Apôtres du Christ.

Marie-Reine.

Cette petite brochure, rédigée et publiée par des femmes, paraît à jours indéterminés ; on n’y insère que des articles de femmes : celles qui voudront écrire sont priées de s’adresser au Bureau de l’Apostolat, tous les jours, de midi à 4 heures, rue du Caire, n. 17, à l’entresol ; on y reçoit les souscriptions des personnes qui prennent intérêt à notre œuvre.

Nous recevons les lettres relatives aux questions traitées dans nos publications.

(Affranchir les lettres et envois).
Marie-Reine, Directrice.


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PARIS. — IMPRIMERIE DE AUGUSTE AUFFRAY,
PASSAGE DU CAIRE, no  54.