La Figure de proue/Cigarette dorée

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Eugène Fasquelle (p. 46-47).

Cigarette dorée

Je sentais de profil brûler mon œil étrusque
Comme dans le musée ancien que nous aimons,
Et fumais… Tout à coup surgit l’ivresse brusque
        D’une bouffée en pleins poumons.

Lors, ce qui passe et vit dehors contre les vitres
Entra. Ce fut un monde invisible et divin.
Une chèvre bêla comme un faune. Il advint
        La matière de cent chapitres.

Il advint le mystère ordinaire des jours
Qu’on ne peut percevoir parce qu’on n’est pas ivre,
Parce qu’étant normal on est aveugle et sourd
        Et qu’on se contente de vivre.


Plus besoin de mourir pour trouver du nouveau !
Je vois ! L’Univers pâle est grouillant de merveilles.
Toutes mes personnalités se font pareilles,
        Et je n’ai plus qu’un seul cerveau.

Je suis simple d’esprit ! Des bravoures assises
Nous en avons fini, cœur las et fanfaron !
Je vais pouvoir ce soir comparaître aux Assises
        Internes, qui m’acquitteront.

Je vais enfin marcher au pas avec la clique
De la vie, et jouir de son quotidien,
La routine ? Elle était sublime. Tout est bien.
        Tout se débrouille, tout s’explique.

Les villes et le reste à l’extrême horizon,
Les mers où le vent claque aux voiles ineffables,
Tout respire dans l’or et les couleurs des fables :
        Nos enfances avaient raison.

Et, s’il faut l’attester, la miette de joie
Témoigne : le bonheur attend dans les chemins.
— Voici le bout doré, vraie et première proie
        Qui me demeure dans la main.