La Figure de proue/D’une fenêtre sur la rade

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Eugène Fasquelle (p. 228-230).

D’une fenêtre sur la rade

I

Envol

Dans le creux de ces huit montages orageuses,
La baie au soir tombant est comme un bol de lait.

Viens t’accouder devant le port, puisqu’il te plaît
De voir évoluer les coques voyageuses.

Tu ne sais pas le mal et le bien que te font
Ce soir tombant, ce ciel, ce port, ces promenades,

Toi dont l’âme d’oiseau de mer, devant les rades,
Tourne en criant autour des bateaux qui s’en vont.

II

Élan

Personne ne pourra sur la terre savoir
    Combien j’aime les silhouettes
Des puissants paquebots ancrés, rouges et noirs,
Dans les ports bleus d’Afrique où tournoient les mouettes.

Ô mes chers paquebots pour un jour à l’écart
    Du large où le destin se joue,
Que soit ma face au vent la figure de proue
De vos avants tournés du côté du départ !…

III

Veillée

À la fenêtre lumineuse de la chambre,
Le clair de lune, peu à peu, devient le jour.
Qu’est-ce donc, dans ton âme obscure, qui se cambre
    Et qui s’affaisse tour à tour ?

Pourquoi donc cette nuit de veillée inquiète ?
Faut-il, faut-il, alors que le monde est blafard
Et mort, qu’un bateau sombre attende quelque part,
Et que soit ton repos, comme d’une mouette,
Égratigné par la grande aile du départ ?…