La Formation de la houille

La bibliothèque libre.
La Formation de la houille
Revue des Deux Mondes3e période, tome 54 (p. 657-691).
LA
FORMATION DE LA HOUILLE

Mémoire sur la formation de la houille, par M. L. Grand’Eury, extrait des Annales des mines. Paris, 1882.

On a dit que, de nos jours, la houille était la souveraine. Par elle marche la vapeur, s’allume le gaz ; par elle s’alimentent les usines, le métal s’épure et se transforme ; une foule de produits secondaires, l’asphalte, le pétrole, les substances colorantes les plus riches se tirent de la houille. Toute l’industrie moderne vit par elle, et la puissance des nations se mesure à la quantité de houille que recèle leur sol. Pourtant cet empire est nouveau ; ce n’est que récemment qu’on s’est avisé de faire de cet élément l’assise d’une civilisation, la plus active, la plus féconde en inventions matérielles de celles qui ont jamais éclos sous le soleil, depuis les jours de l’antique Orient. Cette portée immense du combustible minéral s’atténue pourtant avec rapidité et disparaît même aussitôt qu’on quitte notre siècle pour interroger ses devanciers. Il en est à peine question chez les anciens, et l’on feuilletterait tout Pline avant de saisir dans son livre autre chose que de vagues notions d’une pierre nommée « anthracite, » à laquelle l’auteur attribue des propriétés imaginaires.

Les mines de houille ou de charbon de terre ont été d’abord et longtemps exploitées sur une petite échelle en vue de la satisfaction des besoins locaux, pour les forges, les fours à chaux et les usages domestiques. Longtemps aussi la grande industrie les dédaigna ou les négligea. Il lui en aurait trop coulé d’y avoir recours. Une exploitation régulière des combustibles enfouis aurait exigé des travaux hors de proportion avec les ressources dont elle disposait. À l’aurore des temps modernes, lorsque la métallurgie, la fabrication du verre, des briques, les constructions et les ateliers prirent un essor qui ne s’est plus arrêté, c’est d’abord et avant tout aux forêts que l’on s’adressa, et les déboisemens qui affligent certaines régions françaises datent beaucoup plus de cette époque que des excès qui suivirent la révolution, comme on se le figure généralement. Les forêts une fois ravagées et l’essor industriel continuant, il fallut bien en venir à ce qu’on nommait le charbon fossile. Alors seulement on songea à en exporter des quantités, d’abord assez faibles, des pays producteurs qui regorgeaient de cette substance chez ceux qui en manquaient ou qui n’avaient pas encore appris à en utiliser l’emploi. C’est à 1769 seulement que M. Simonin[1] fait remonter les premiers arrivages de charbon de pierre, expédiés de Newcastle à Paris pour remédier à la cherté du bois.

À cette époque, la science avait déjà fixé les yeux sur le charbon minéral ; elle se préoccupait d’en expliquer la nature et l’origine. C’est au commencement du XVIII siècle que l’on doit placer la première tentative rationnelle de ce genre ; elle est due à l’un des Jussieu, qui présenta, en 1718, à l’Académie des sciences un mémoire intitulé : Examen des caunes des impressions de plantes marquées sur certaines pierres des encirons de Saint-Chaumont dans le Lyonnais. Plus de cent cinquante ans devaient s’écouler avant que le dernier mot fût dit sur cette question de la formation des houilles, résolue maintenant grâce aux recherches de M. Grand’Ëury ; mais si, au début, elle paraissait simple à bien des égards, elle était, au fond, si complexe et entravée, on peut le dire, de tant de préliminaires que l’intervalle écoulé depuis la première intuition jusqu’aux clartés définitives ne semblera pas trop long lorsque nous aurons exposé toutes les difficultés de l’œuvre qu’il s’agissait d’accomplir.


1.

Pour expliquer le charbon de pierre, avant même de chercher à comprendre son mode de formation, il se présentait une première alternative à résoudre : cette substance était-elle un minéral directement engendré par le sol ou bien un produit assimilable à celui que l’homme retire de la combustion du bois ? — En allant au fond des choses, comme on peut le faire actuellement, on aurait vu que l’une ou l’autre de ces propositions, qui semblent s’exclure, ne traduit pourtant qu’une part de la vérité, et si le charbon de pierre résulte réellement de végétaux accumulés et stratifiés, il n’est cependant devenu ce qu’il est qu’à la suite d’une opération chimique qui lui a communiqué, en le transformant, les propriétés d’une substance inorganique spéciale ; en un mot, le charbon de pierre est un fossile véritable, non pas au sens qu’avait ce terme pour les naturalistes du siècle dernier, celui de pierre ou corps minéral enfoui, mais avec la signification moderne de la dépouille d’un organisme « minéralisé » et plus ou moins converti eu un corps inerte destiné à ne plus éprouver de changement.

Jussieu, à une époque où l’on invoquait encore les forces aveugles et les jeux de la nature pour avoir la clé de ce qui semblait incompréhensible, dénonça l’origine végétale du charbon de pierre, mais l’opinion contraire ne fut pas renversée pour cela. De nos jours encore, elle a tenté certains esprits, qui ont voulu expliquer la formation de la bouille par des précipitations de l’atmosphère se dépouillant du carbone qu’elle aurait originairement contenu. Une pareille hypothèse n’a rencontré de défenseurs que parmi ceux qu’attire le paradoxe et qui mettent à fuir la vérité autant d’acharnement que d’autres à la poursuivre.

Le père de la botanique française[2] visita, en revenant d’Espagne, les environs de Saint-Chaumont ; il recueillit, le long de la petite rivière de Giès, une infinité d’empreintes végétales des plus variées et différentes de toutes les plantes que l’on rencontre en France. Il lui semblait, dit-il lui-même fort élégamment, herboriser dans un monde nouveau. Il remarqua, non-seulement que ces empreintes se rapportaient bien à des plantes véritables et que les plaques dont elles parsemaient la surface étaient d’autant plus noires et bitumineuses qu’elles étaient plus voisines du lit de charbon, mais encore en séparant ces feuillets schisteux empruntés « à la plus ancienne bibliothèque du monde, » il comprit fort bien que ces plantes n’existaient plus, ou bien, ajoutait-il, qu’elles n’existaient que dans des pays si éloignés que, sans la découverte de ces empreintes, on ne saurait en avoir la connaissance. — Quelle justesse de pensée à une époque où la botanique était dans l’enfance et le sol terrestre à peine exploré ! On ne pouvait savoir effectivement si ces espèces appartenaient réellement au passé ou bien si l’on avait des chances de les retrouver vivantes quelque part, soit en Amérique, soit dans le fond de l’Asie. Du reste, avec son coup d’œil exercé, le savant français n’a pas manqué de reconnaître des fougères ; elles lui semblent même voisines de celles que Plumier venait de rapporter des Antilles ; en outre, il a observé des formes rappelant les palmiers ou d’autres arbres exotiques. D’ailleurs ce sont bien des empreintes, et les échantillons sont toujours couchés à plat comme dans un herbier et jamais repliés en désordre. Telles sont les observations de Jussieu, dont on ne saurait trop admirer la pénétration. Mais il ne se contente pas d’observer ; il veut encore remonter aux causes, et, sur ce terrain mouvant, près d’un siècle avant que la géologie rationnelle ait été fondée, livré à son seul instinct, comment va faire ce savant si ingénieux pour imaginer un système plausible ? — Ces plantes inconnues à l’Europe, elles n’ont pu venir que des pays chauds ; l’idée d’un passé du globe antérieur à l’homme n’existe pas : comment concevoir ce transport ? La mer seule a pu l’opérer. Bernard Palissy a eu raison ; la mer et les courans, en recouvrant nos continens, y ont déposé les plantes et les coquillages que l’on observe à l’état de pétrifications, quelquefois avec une extrême abondance. Les courans auront entraîné de loin ces plantes flottantes pour les déposer ensuite sur des fonds argileux et les recouvrir de limon. Sans recourir à des bouleversemens ni même au déluge universel, il est évident pour Jussieu que la plupart des terres habitées ont été originairement occupées par la mer. Il pensait être hardi en avançant que ces restes de plantes étaient renfermés entre deux feuillets « depuis peut-être plus de trois mille ans. » La notion du temps, en géologie, était encore nulle, et un siècle entier devait s’écouler avant qu’elle pût s’établir. Maintenant encore, en dehors des géologues de profession, combien de savans l’ignorent ou gardent à son endroit une incurable défiance !

Cinquante ans après Jussieu, les idées sur la nature du charbon de pierre n’avaient rien gagné en étendue ni en précision. Valmont de Bomare, en 1769[3], croit cependant à l’origine végétale de la houille, dont il ne distingue pas d’ailleurs le lignite, et pour expliquer la formation du charbon minéral, il admet d’une façon générale l’enfouissement de forêts d’arbres résineux par suite des révolutions arrivées à notre globe.

Buffon, dans ses Époques de la nature, en 1778, il est juste de le reconnaître, fit faire un pas à cette question des houilles. Il alla aussi loin que l’intuition seule, dépourvue de méthode et de recherches analytiques, pouvait le permettre. Les veines de charbon, d’après lui, doivent leur origine aux premiers végétaux que la terre ait formés. Les eaux encore tièdes couvraient alors la plus grande partie de la surface terrestre, à l’exception de quelques îles qui se peuplèrent dès les premiers temps d’une infinité d’arbres et de plantes, dont les débris entraînés formèrent des dépôts de matières végétales sur une foule de points.

La science actuelle, si l’on reste dans les généralités, ne tient guère un autre langage, et les vues de Buffon étaient sages, à la condition toutefois de n’entrer dans aucun des détails qui sont du domaine de l’analyse. Les radeaux du Mississipi, les arbres charriés par l’Amazone jusqu’à son embouchure sont ici invoqués en témoignage, bien que la constitution insulaire des terres d’alors, établie par Buffon, dût paraître incompatible avec l’existence des fleuves énormes dont il admettait l’action. Mais l’esprit ne se préoccupait pas encore de semblables contradictions et la science était loin d’avoir acquis le degré de précision qui la caractérise de nos jours et qu’elle doit à l’habitude d’observer, à la nécessité où elle se trouve de spécialiser, en les serrant de près, les questions abordées par elle. Buffon accordait libéralement vingt à vingt-cinq mille ans de durée à cet âge de la houille sur lequel aucune évaluation n’oserait porter maintenant de peur de demeurer trop faible. Il s’écartait moins de la réalité en prenant les savanes noyées de l’Orénoque, peuplées de palmiers, entourées d’une ceinture de hautes forêts, jonchées d’arbres décrépits, comme devant offrir un tableau comparable à celui que présentait la terre à l’époque carbonifère. Ne semble-t-il pas l’écho fidèle des impressions de notre siècle lorsqu’il dit des mines de charbon : « Ce sont des trésors que la nature semble avoir accumulés d’avance pour les besoins à venir des grandes populations : plus les hommes se multiplieront, plus les forêts diminueront ; les bois ne pouvant plus suffire à leur consommation, ils auront recours à ces immenses dépôts de matières combustibles dont l’usage leur deviendra d’autant plus nécessaire que le globe se refroidira davantage. » Ce que prévoyait Buffon est en train de s’accomplir. Puisse-t-il avoir eu le coup d’œil aussi prophétique en terminant ainsi : « .. Néanmoins, ils ne les épuiseront jamais, car une seule de ces mines de charbon contient peut-être plus de matière combustible que toutes les forêts d’une vaste contrée. » L’assertion est exacte en supprimant le « peut-être, » et pourtant nous en sommes déjà à nous demander si les houilles ne s’épuiseront pas d’ici à quelques siècles, et comment fera l’homme une fois dénué de cette ressource dont il use à outrance sans s’inquiéter de l’avenir. On poursuit le rêve d’obtenir par l’électricité un moteur plus énergique que la vapeur et une lumière plus vive que celle du gaz, en dehors de toute dépense de combustible. Mais nous ignorons encore si les essais aboutiront jamais dans cette direction à des résultats pratiques et, comme des prodigues qui ne voient que le présent, nos générations insouciantes poursuivent leur route en usant des élémens qu’elles ont sous la main.


II.

Avec Buffon se terminent les tentatives d’explication sur la nature et l’origine du charbon de pierre par la méthode intuitive, comme si la science livrait jamais ses secrets à ceux qui s’obstinent à vouloir les deviner du premier coup. Il existe urne méthode plus sûre bien que plus longue, celle de l’observation, de l’analyse patiente qui divise les termes du problème pour les reprendre un à un et se borner à des résultats partiels avant d’atteindre à on ensemble définitif. Peu de temps après Buffon ou même, à côté de lui, des savans plus modestes et plus obscurs s’attachèrent à l’étude et à la description des empreintes et de tiges fossiles extraites des houillères. Blumeubach et Schlotheim, au commencement du siècle, continuèrent avec un succès relatif les mêmes recherches paléophytiques. Enfin, Sternberg en Allemagne et Adolphe Brongniart en France donnèrent simultanément, vers 1820, un essor subit à cette partie longtemps négligée de la botanique qui a pour objet la reconstitution des plantes du passé, soit entièrement éteintes, soit ayant avec les nôtres un degré d’analogie plus ou moins marqué. Brongniart surtout, ce génie fin, à la fois contenu et sagace, plein de mesure et de hardiesse, habile à atteindre le but en usant de tous les procédés d’investigation, Brongniart réussit à communiquer à l’étude des végétaux fossiles une impulsion qui ne s’est plus arrêtée et qui honore la science française, dont ce savant résumait les meilleures traditions.

Maintenant, nous savons que la période carbonifère représente le plus merveilleux épisode de cette chronique du globe qui se perd dans un lointain si reculé. Dans son étrangeté, elle est comparable à ces antiques civilisations qui étonnent par la puissance de leurs monumens et que l’humanité, encore jeune, vit s’épanouir au soleil avec l’éclat d’une fleur à demi sauvage. Figurons-nous la Memphis des. Pyramides ou Thèbes des anciens âges ; en apercevant ces villes, aurions nous devant les yeux rien qui rappelât nos boulevards, nos larges maisons, l’éclairage et le pavé de nos rues, cette précision dans les mouvemens régulateurs de l’organisme qui caractérise nos grandes cités ? Nous ne verrions assurément rien de tout cela ; mais, au milieu d’un fouillis inextricable, d’un labyrinthe de ruelles et de logis inégaux se dresseraient pourtant des édifices immenses, d’interminables avenues, des hypogées et des temples précédés de colosses et de colonnades à faire plier la pensée, et tout cet ensemble irait se fondre avec une harmonie de tons incomparable dans les vapeurs lumineuses et les transparences infinies des horizons de l’Orient, Devant un pareil spectacle, nous prendrions en pitié nos rues à trottoir, nos façades monotones, les devantures des magasins et jusqu’aux cafés-concerts. La civilisation moderne est admirable à analyser ; elle résulte de mille facteurs étroitement combinés et exige pour s’étaler l’effort d’une multitude de rouages enchevêtrés ; mais, à raison même de sa complexité, elle a perdu ces effets d’une simplicité et d’une grandeur souveraines qu’avec leur sève vigoureuse les nations primitives purent atteindre d’un bond, en déployant une force naïve, attribut inné de la jeunesse. — On peut dire la même chose de l’époque carbonifère : un concours inouï de circonstances amena l’expansion végétale de cette période. Le monde des plantes, remarquons-le, n’était pas bien éloigné de son point de départ originaire. Il était jeune et relativement imparfait ; mais, à raison même de sa nouveauté, il n’était pas encore rigoureusement limité. Il abondait en parties vertes susceptibles d’une croissance rapide et d’un développement pour ainsi dire indéfini. Il était cependant dépourvu de deux caractères essentiels que les végétaux plus récens ont acquis à la longue et qui constituent ce que nous considérons chez eux comme un progrès, uniquement parce qu’ils se trouvent par ces côtés plus en rapport avec les conditions de milieu qu’ils ont été appelés à subir et qui n’existaient pas dans l’âge dont nous parlons. Ces caractères acquis sont, d’une part, l’accroissement périodique et graduel des parties destinées à avoir une durée et, de l’autre, la spécialisation absolue, par une division plus complète du travail organique, des appareils reproducteurs, doués par cela même d’un degré plus prononcé de concentration et de personnalité.

Le règne végétal, ainsi considéré, est le premier facteur du phénomène des houilles, mais il n’est pas le seul ; il en est deux autres, dont il est indispensable de tenir compte avant d’obtenir la formule génésique des combustibles minéraux. — De ces deux facteurs, l’un consiste dans des conditions de milieu, c’est-à-dire de climat et de température, toutes spéciales ; l’autre, dans la disposition matérielle des lieux où les végétaux se trouvèrent placés. Effectivement, il suffit d’éliminer un des trois termes pour n’avoir plus de formation houillère. Ce qui le prouve, en ce qui concerne le dernier défini, c’est que les lits de charbon sont toujours intermittens, c’est qu’ils sont limités dans leur étendue et qu’ils passent latéralement à des lits de grès ou de schistes dépourvus de combustible ou n’en renfermant que de faibles traces. Il suffisait donc autrefois de certains changemens physiques pour interrompre la production du phénomène, et ce dernier n’avait rien d’universel : il était certainement localisé, c’est-à-dire qu’il dépendait de la présence de circonstances déterminées en dehors desquelles il cessait de se réaliser.

Il est encore plus aisé de concevoir que, sans le climat et la température propres à ces lointaines époques, la formation de la houille n’aurait pas abouti aux mêmes résultats. À elle seule, l’étrangeté des végétaux carbonifères dénote des conditions extérieures tellement différentes de celles que nous avons sous les yeux, du moins dans nos régions du Nord, que nous sommes bien obligés d’admettre de prodigieux changemens survenus à partir du temps où ces végétaux couvraient le sol de l’Europe. Enfin, si, en rétablissant par la pensée et le climat primitif et la disposition ancienne des lieux, nous nous contentions de placer dans ce cadre nos arbres actuels avec leur accroissement de diamètre périodiquement et graduellement accompli, aussi difficiles à déraciner qu’à entraîner, couvrant le sol de leur masse après leur chute et se décomposant à l’air libre, il ne sortirait évidemment d’une pareille combinaison aucun lit de combustible un peu considérable ; à peine obtiendrait-on à la longue des traces de houille insignifiantes et n’ayant rien de commun, à coup sûr, avec les richesses en ce genre que nous a léguées le passé.

Pour expliquer rationnellement la formation des houilles, il fallait donc avant tout prendre ces trois termes d’une même question : les végétaux, les conditions extérieures auxquelles ils avaient été soumis, les lieux où ils avaient vécu, et éclaircir à l’aide de l’observation tout ce que ces points pouvaient avoir d’obscur. Cette marche était la seule qui pût conduire à une solution ; elle a suscité l’effort de plusieurs générations de savans, et M. Grand’Eury, leur succédant, voyant tout par lui-même sous l’impulsion de Brongniart, observant sur place des objets que d’autres ne rencontraient que sous les vitrines d’un musée, a fini par dire le dernier mot après vingt ans d’explorations consciencieuses. De pareils exemples venant de la part d’un mode>te ingénieur qui se dévoue sans autre but que de servir la science sont trop rares et trop élevés pour ne pas avoir droit à une louange publique. M. Grand’Eury a voulu, dès le premier jour, expliquer la houille, non-seulement parce que le mode de formation de cette substance était réellement inconnu, ou, si l’on veut, imparfaitement déterminé, mais encore avec la pensée d’être utile à la grande industrie qui exploite les mines, en établissant le synchronisme des lits de charbon d’un bassin à l’autre et d’une région à une autre. C’est ainsi qu’il a réussi à débrouiller l’ordre relatif de superposition et les caractères distinctifs des divers étages carbonifères. Si maintenant nous tenons à connaître les résultats d’une recherche aussi féconde, nous devons agir tout d’abord comme M. Grand’Eury, qui devint botaniste par nécessité et exposer ce qui tient aux végétaux eux-mêmes, avant de passer aux conditions de milieu, ainsi qu’à l’aménagement physique des contrées habitées autrefois par ces végétaux. Nous verrons ensuite le problème du mode de formation se résoudre, pour ainsi dire de lui-même, les trois élémens générateurs une fois rigoureusement définis.


III.

Lorsque, interrogeant le passé au point de vue des plantes, on quitte l’homme pour remonter le cours des âges et considérer d’avant en arrière les modifications successives de la flore, on ne constate pas d’abord de bien grands changemens. Dans la période qui précède immédiatement l’apparition en Europe de la race humaine, on rencontre à peu près les mêmes arbres que maintenant : ce sont des chênes, des hêtres, des ormes, des tilleuls, des érables peu différens des nôtres. Plus loin pourtant, les formes végétales s’écartent graduellement de ce qu’elles sont de nos jours aux mêmes lieux ; il s’y joint des lauriers, puis des camphriers et d’autres arbres devenus exotiques. Les palmiers se montrent à un moment donné, et, à mesure que l’on poursuit cette marche rétrograde, on les voit se multiplier. Un âge vient où la végétation européenne n’est plus composée que de types à feuilles persistantes, indice de la chaleur croissante du climat. Cette végétation, sensiblement analogue à celle de l’Inde ou de l’Afrique subtropicale, se transforme encore sous les regards de l’observateur qui persiste à s’enfoncer dans le passé de notre continent. Les palmiers eux-mêmes disparaissent à leur tour ; les arbres à feuillage s’effacent, et, parvenu au sein des périodes secondaires, on ne trouve plus guère, en fait d’élémens végétaux, que trois catégories dominantes, constituant à elles seules toute la flore : des conifères, des cycadées et des fougères. Mais si l’on continue à marcher en arrière, aussitôt que l’on touche aux périodes paléozoïques dont le temps des houilles fait lui-même partie ; sur le seuil de cet âge et au moment d’y pénétrer, on voit enfin les conifères et avec elles les cycadées s’atténuer, puis s’évanouir ; les fougères, en revanche, grandissent en importance, et d’autres plantes absolument inconnues (ou du moins sans liens directs avec celles de notre époque) s’associent aux premières de façon à former un ensemble dont rien de ce que nous contemplons aujourd’hui à la surface du globe ne saurait nous donner l’idée.

Les fougères de l’âge carbonifère ont été l’objet de savantes Études, parfois contradictoires. Les uns, se fiant à l’apparence, voulaient les assimiler aux nôtres, comme si elles avaient appartenu aux mêmes genres ; les Allemands surtout ont suivi cette voie. D’autres, regardant cette apparence comme illusoire et superficielle, ont cru à des sections éteintes et à des affinités dont le vrai caractère échappait à l’analyse. Brongniart était du nombre de ces derniers et son opinion était la plus sage, puisque, par suite de patientes recherches sur les parties fructifiées de ces plantes et la structure de leur tige, recherches complétées heureusement par M. B. Renault, il a été démontré que ces fougères, sans rapport direct avec celles de nos jours, plus parfaites que les nôtres, presque toutes de grande taille et souvent arborescentes, ne pouvaient être comparées qu’aux types les plus exceptionnels des régions intertropicales actuelles. Non-seulement M. Grand’Eury a retrouvé leurs organes reproducteurs, dont il a décrit la structure, mais il a fait voir que les débris épars de leurs troncs aplatis et comprimés remplissaient des lits entiers, témoignant ainsi de l’abondance extrême de ces sortes de plantes, non moins remarquables par la puissance de leurs tiges ou de leurs souches que par l’étendue prodigieuse de leurs feuilles indéfiniment subdivisées et réellement colossales dans une foule de cas.

À côté des fougères se plaçaient l’es lycopodes géans que l’on a nommés « lépidodéndrées » et dont les strobiles convertis en silice et décrits aussi minutieusement que s’il s’agissait d’un organe vivant, ont laissé voir la même structure microscopique jusque dans la disposition de leurs séminules dissemblables selon le sexe, que celle qui distingue encore les lycopodes hétérosporés ou à spores différenciées.

Pour ces deux classes de plantes, rangées dans la catégorie des cryptogames, le problème est résolu et le classement définitif. Il n’en est pas de même de plusieurs autres végétaux de l’âge carbonifère, les uns controversés, les autres enveloppés d’obscurités que la science n’a pas encore percées.

Cependant les calamités sont généralement assimilées aux prèles, et il en est de même, bien qu’à un degré plus éloigné, des annulaires et des astérophyllites, plantes dont les rameaux portaient de distance en distance des fascicules de feuilles distribuées en étoile. Plus loin, les dissentimens se prononcent, mais ils étaient plus accentués encore au moment où M. Grand’Eury s’appliqua à la recherche de la vraie nature des plantes carbonifères, et le progrès qui résulta de la publication de son Mémoire sur la flore carbonifère du département de la Loire fut trop marqué pour ne pas être mentionné ici.

Il existe un groupe de plantes sur lequel s’est exercée la sagacité de la plupart des savans dont les travaux ont eu pour objet la flore carbonifère. Brongniart, le premier, après lui Geinitz, Gœppert et d’autres en Allemagne, Williamson en Angleterre, Lesquereux en Amérique, se sont occupés des sigillaires, type végétal sans rapport avec aucun de ceux qui existent actuellement. Par une sorte de mauvaise chance, les épis fructificateurs de ces plantes, connus à l’état d’empreinte, n’ont pas encore livré le secret de leur organisation intérieure ; au contraire, la structure anatomique de leurs tiges a été analysée et décrite. Non-seulement Brongniart, dans un mémoire demeuré célèbre, mais Williamson et, en France, M. B. Renault, l’ont étudiée avec autant de soins que s’il s’agissait d’une tige vivante. En effet, il suffit qu’un tronçon de l’ancien bois ait été converti en silice, agatisé si l’on veut, pour que, réduit en coupes minces, il laisse voir clairement les moindres détails de sa texture intérieure. Eh bien ! les tiges de sigillaires, ainsi examinées, ont montré un plan et des caractères dont l’ambiguïté a frappé les divers auteurs. M. Williamson y voit une cryptogame qu’il rejoint aux lépidodendrées, par conséquent aux lycopodes. M. Renault, sur les traces de Brongniart, a constaté au contraire, dans la distribution des zones de tissus et la nature des faisceaux libro-vasculaires, des affinités qui l’engagent à reporter les sigillaires auprès des phanérogames gymnospermes, et à les rapprocher des cycadées en particulier.

Mais ce qui ressort avec le plus d’évidence des études de M. B. Renault, conformes à celles de M. Grand’Eury et concordant aussi avec la manière de voir de M. Lesquereux, c’est la reconstitution intégrale de ce type des sigillaires que l’on reconnaît unanimement avoir joué le principal rôle sur les points eux-mêmes où les dépôts de houille s’effectuèrent. Seules, en effet, de tant de végétaux, les sigillaires paraissent, dans plusieurs cas, avoir vécu sur place. Leur souche submergée, formée de rhizomes rampans, couchés au fond de la vase sous-lacustre, pourvue tantôt de feuilles souterraines, tantôt de radicules, les unes et les autres molles, charnues et fusiformes, étalées de toutes parts, répondait aux « stigmariées » qui peuplent certains lits de houille et paraissent avoir largement contribué à leur dépôt. Les stigmariées auraient eu la faculté singulière de persister longtemps dans le même état, c’est-à dire de s’étendre horizontalement sous les eaux et dans la vase, se multipliant par stolons, mais incapables, dans ce premier état, de produire aucun appareil sexué. Au contraire, lorsque des circonstances favorables, et que d’aussi loin il est difficile de préciser, venaient à se réaliser, ces mêmes stigmariées donnaient naissance à d’énormes bourgeons d’où sortaient en s’élevant verticalement jusqu’à une hauteur de 30, 40 et 50 mètres, les tiges aériennes, érigées en colonne, plaquées à la surface d’une mosaïque de cicatrices foliaires d’une parfaite régularité, que l’on désigne sous le nom de sigillaires.

Les types houillers dont nous venons de parler, à l’exception du dernier qui n’a pu être encore rigoureusement défini, étaient des cryptogames, c’est-à-dire des plantes relativement inférieures, subordonnées à celles qui forment actuellement l’immense majorité du tapis végétal. C’était pourtant des cryptogames plus élevées et plus parfaites, surtout plus puissantes qu’aucune de celles que nous connaissons. N’ayant point à subir de concurrence de la part d’une catégorie encore absente, celle des plantes à feuillage, les cryptogames dominaient incontestablement ; cependant elles n’étaient pas les seules, ainsi qu’on l’a cru longtemps. C’est à M. Grand’Eury que revient en grande partie le mérite de cette curieuse révélation. Ses études sur les cordaïtées, qui abondent dans les couches de Saint-Étienne et dont il a reconstruit un à un tous les organes, les graines silicifiées qu’il a recueillies à Grand-Croix et que Brongniart, puis M. Renault, ont patiemment analysées, ont eu pour résultat de faire connaître l’existence d’un nombre relativement considérable de « phanérogames » carbonifères. Ces types, dont on soupçonnait à peine l’existence, sont venus accroître d’une façon inattendue la catégorie des « gymnospermes, » que les conifères et les cycadées représentent seules dans l’ordre actuel. Ces gymnospermes primitives se distinguent de celles qui leur ont survécu par des traits curieux d’une structure qui achève de se transformer, dont l’évolution, en un mot, est sur le point de s’accomplir, tout en laissant entrevoir des vestiges d’un état antérieur en grande partie effacé. Les gymnospermes constituaient alors le groupe supérieur par excellence ; situées un peu à l’écart et plutôt à l’intérieur des terres que dans les bas-fonds, elles ont aussi laissé moins de traces que les cryptogames, et leurs graines entraînées par les eaux courantes, variées de forme et dénotant une assez grande diversité de genres et d’espèces, sont le plus souvent les seules parties d’elles qui nous aient été transmises, comme si les feuilles et les tiges avaient eu moins d’occasion de venir s’accumuler au sein des lits en voie de formation.

Pourtant, au milieu de ces types de gymnospermes, dont plusieurs demeurent énigmatiques, il en est un, celui des cordaïtées, que M. Grand’Eury a très heureusement reconstitué. Élancé de tige, subdivisé dans le haut en de nombreux rameaux, il étalait à leur extrémité des feuilles largement ou étroitement rubannées, striées en long, tronquées ou pointues au sommet, selon les espèces, et insérées sur une base étendue en travers. Les graines et les feuilles éparses des cordaïtées sont répandues à Saint-Étienne, parfois avec une extrême abondance. M. Grand’Eury a observé jusqu’aux traces visibles de leurs troncs carbonisés, encore dressés verticalement et traversant les assises de grès de certaines carrières.


IV.

Des végétaux ainsi restaurés, par le rapprochement de leurs organes épars, remis en connexion, devaient fournir de précieux indices au sujet des conditions de milieu qui présidaient à leur développement. Pour certains d’entre eux ces indices étaient faciles à saisir et s’offraient, pour ainsi dire, d’eux-mêmes à la pensée.

Depuis longtemps on a répété que cette multitude de fougères, dont beaucoup étaient arborescentes et la plupart remarquables par l’étendue de leur feuillage, annonçaient un climat humide et chaud, une atmosphère à la fois tiède et étouffée et un ciel fréquemment brumeux. Ce sont là effectivement les circonstances qui favorisent le mieux actuellement la croissance des grandes fougères au sein des forêts vierges et dans le fond des ravins ombreux, sur le flanc des montagnes boisées des régions tropicales. La même chose peut se dire des lépidodendrées, sorte de lycopodes géans que leur taille et la perfection de leurs organes distinguaient des types actuels de ce même groupe, mais qui en avaient certainement les aptitudes.

Les différences que l’on remarque et qui sont toutes en faveur des anciennes plantes, c’est-à-dire leur vigueur prodigieuse, l’exubérance de leurs formes, ne font que rendre plus vraisemblable la présomption d’une chaleur et d’une humidité ultra-tropicale, et nous ajouterons d’une densité atmosphérique de nature à voiler le trop grand éclat de la lumière, puisque de nos jours les fougères et les lycopodes redoutent les rayons directs du soleil. Mais M. Grand’Eury est venu ajouter à ces premières remarques de nouvelles observations dont l’importance est telle que nous ne saurions les passer sous silence. Il a fait ressortir avec beaucoup de justesse, chez les plantes carbonifères, l’extrême abondance des surfaces vertes, des parties chlorophylliennes, comme on dit en botanique, c’est-à-dire de celles qu’occupe la « chlorophylle, » ce principe colorant des végétaux. Il a encore signalé, dans les tiges de ces plantes, la prédominance des tissus parenchymateux, c’est-à-dire uniquement cellulaires et essentiellement succulens, aux dépens des parties dures, fibro-ligneuses, toujours réduites à un cylindre insignifiant. Ces parties, effectivement, n’étaient pas destinées à s’accroître par l’action du temps, à l’exemple du bois de nos arbres. Même en examinant les tiges adultes de ces anciens végétaux, on ne rencontre en elles qu’un anneau très mince de bois proprement dit ; la moelle remplit tout le reste, et l’écorce même, sauf à l’extérieur, présentait souvent une consistance lacunaire ou spongieuse. M. Grand’Eury a conclu de tous ces faits que l’atmosphère, et par conséquent l’air ambiant, étaient alors saturés d’humidité et assez chauds pour que cette humidité se maintînt constamment à l’état de vapeur, entraînant de temps à autre, par excès de saturation, des précipitations aqueuses dont la violence était excessive et dont la preuve résulta de la manière dont les débris végétaux abattus sur le sol ont été balayés et finalement entraînés.

De nos jours, cette structure, lâche et succulente, est surtout propre aux végétaux aquatiques ; mais ceux-ci, lorsqu’on les soustrait au contact de l’eau, se flétrissent rapidement ; ils s’affaissent dès que l’évaporation leur enlève par tous les pores le liquide qui remplissait les mailles et les interstices de la trame cellulaire. Il en aurait été de même des végétaux carbonifères, s’ils s’étaient trouvés exposés à l’influence de notre atmosphère relativement sèche. Loin de dresser leurs tiges, d’étendre leurs rameaux et de déployer leur couronne de feuillage, ils seraient retombés inertes et promptement épuisés. Ils auraient été incapables de résister aux efforts de l’évaporation incessante qui agirait sur des surfaces n’ayant pas la fermeté des tégumens inertes qui servent d’étui à nos troncs. Il fallait donc qu’il en fût autrement du temps des houilles, et les plantes de cet âge, sous le bain de vapeur où elles plongeaient, presque sans bois, gorgées de suc et de parties molles intérieures, prolongeaient leurs pousses sans rien perdre de leur vigueur et parvenaient à atteindre une hauteur considérable. D’après M. Grand’Eury, c’est précisément cette poussée que ne ralentissait aucune saison, cette extension continue allant jusqu’à l’épuisement, sans repos ni alternatives, qui caractérise les végétaux des houilles. Il faut concevoir une accumulation de parties aussi rapidement évoluées que promptement épuisées, s’amoncelant sur le sol et faisant place à d’autres jets, pour expliquer le dépôt des lits de combustible, qui ne sont qu’une résultante de tous les résidus. Une végétation aussi exorbitante n’a pu être le produit que d’une chaleur ultra-tropicale unie à l’humidité la plus prononcée, se maintenant toujours égale à la surface d’un globe dépourvu de saisons, ou ne connaissant en fait de saisons que des intervalles de calme relatif et de déversemens pluvieux. — Mais ces intervalles de calme faut-il se les figurer avec un ciel étincelant de clarté ? La question a été touchée par M. Grand’Eury. Il lui semble qu’une vive lumière est indispensable pour rendre raison de cet immense développement de parties chlorophylliennes. Les plantes actuelles s’étiolent en effet et se décolorent à l’ombre ; on est donc en droit de se demander si un puissant éclairage n’était pas nécessaire à des plantes aussi luxuriantes de feuillage que celles des houilles, dont la périphérie presque entière, sur les liges et le long des rameaux, était visiblement verte comme les feuilles elles-mêmes et ne perdait cette teinte qu’à la longue, sur les points de l’écorce correspondant aux cicatrices des organes détachés.

Il est certain que la production des grains de chlorophylle, ce pigment vert des plantes, n’a lieu que sous l’influence de l’a lumière et s’affaiblit avec elle. C’est sur cette action verdissante de la lumière qu’est fondé le procédé de jardinage qui consiste à lier les légumes frais pour décolorer les parties intérieures. Au contraire, les plantes exposées au jour deviennent à la fois plus vertes et plus fermes. Mais ce que nous savons des fougères, qui préfèrent l’ombre à un jour trop éclatant, prouve bien que l’intensité lumineuse n’est pas nécessaire dans tous les cas à la genèse des organes chlorophylliens. Il suffit d’une lumière diffuse, tamisée à travers un voile à demi transparent, pour que la végétation soit active. L’opération que l’on fait subir aux vitrages de nos serres en les enduisant de chaux détrempée en est une démonstration journalière. Les plantes exotiques ne sont pas moins vertes sous cet abri, et leur développement se trouve plutôt favorisé par ce procédé.

En combinant ces divers indices, on est amené à conclure que la chaleur toujours égale et humide de l’âge des houilles était engendrée par une lumière « diffuse, » tempérée par un ciel souvent chargé de vapeurs, mais venant aussi d’un soleil auquel l’hypothèse du docteur Blandet s’applique avec plus de vraisemblance encore que pour toute autre période, tellement elle se trouve ; en harmonie avec l’ensemble des observations que l’étude des plantes carbonifères a permis de formuler. Selon cette hypothèse, la contraction du globe solaire aurait été graduelle. Avant d’être ramené à son diamètre actuel, encore énorme relativement, l’astre central aurait occupé antérieurement dans l’espace un périmètre d’autant plus considérable que l’on se placerait plus loin dans le passé. Originairement, par exemple, il aurait excédé l’orbite de la planète Vénus, puis celle de Mercure, et se serait ensuite condensé peu à peu à travers la longue durée des temps géologiques. Aux époques primitives, le soleil aurait ainsi compensé par l’étendue de l’éclairage et l’ampleur apparente de son disque les effets de l’obliquité de l’écliptique. Par conséquent, grâce à une illumination presque constante, accompagnée, si l’on veut, d’interminables crépuscules, l’influence des latitudes se serait trouvée annulée et la zone tropicale aurait débordé au-delà du pôle pour être ramenée ensuite jusqu’au cercle polaire. La lumière d’un globe solaire moins condensé aurait été par cela même plus calme. C’est justement ce qui semble avoir eu lieu dans l’âge où nous nous transportons par la pensée. Les zones polaires y font visiblement place à un climat uniformisé, ainsi que le démontre la présence des houilles du 35e au 80e degré de latitude, sans variations sensibles dans la composition de la flore. L’égalisation absolue du climat à travers les hémisphères, du Brésil à la terre Melville et au Spitzberg, concorde si bien avec la supposition d’un soleil encore très loin du degré de condensation auquel il est ensuite parvenu, que nous ne pouvons nous empêcher de proposer cette hypothèse comme la moins invraisemblable de toutes.

Le troisième élément de la question à définir, la disposition matérielle des lieux, plus décisif encore que les deux autres, était celui qui soulevait le plus de difficultés. Dès l’abord, deux systèmes se trouvèrent en présence avec leurs défenseurs respectifs. L’un que nous avons vu poindre dans le mémoire de Jussieu, expliquait la houille par des transports de végétaux lointains, opérés soit à l’aide de courans marins et à de grandes distances, soit au moyen des eaux d’un fleuve, accumulant à son embouchure des débris entraînés du fond des forêts.

Les partisans de ce premier système n’étaient pas généralement des naturalistes de profession. Plus familiers avec la botanique et surtout avec les plantes des houilles, ils auraient reculé devant l’impossibilité de justifier un pareil transport. Les savans dont l’esprit sagace s’appliqua à l’étude de la flore carbonifère, spécialement Brongniart, n’ont jamais admis que ces échantillons si délicatement posés, entremêlés sans confusion et souvent distribués uniformément par feuilles accumulées d’une même espèce, aient été amenés de bien loin, à la façon des bois des Antilles qui vont échouer en Islande ou aux Orcades, ni même comme ces radeaux charriés par les grands fleuves, confusément poussés le long de leurs rives et entassés dans les lagunes de leur delta. D’ailleurs il n’est pas de régions houillères où les tiges reconnaissables des calamités, des fougères, des sigillaires, des cordaïtées et d’autres types ne se retrouvent dans le voisinage du charbon, disposés verticalement à travers les assises de grès qui accompagnent ou séparent le combustible. Le spectacle n’est pas rare à Saint Étienne ; les restes de forêts enracinés y occupent encore leur place naturelle dans l’ancien sol. Des légions de psaronius ou fougères arborescentes, des calamités, des syringodendrons, sortes de sigillaires, encore debout, ont été décrits et figurés par M. Grand’Eury, dont les planches sont presque aussitôt devenues classiques. Ces divers types couvraient alors la surface entière du sol émergé, et si leurs dépouilles ont fourni la matière des lits de charbon, c’est par suite de quelque phénomène localisé, peut-être fort simple ou du moins fort naturel et résultant des conditions physiques du sol de cette époque, difficile pourtant à définir à une pareille distance des événemens. D’une façon générale, la raison d’être du phénomène résulte, il est vrai, de l’ensemble combiné de toutes les circonstances extérieures, mais c’est plus particulièrement à la configuration de certaines localités et à la fréquence de ces localités exclusivement favorables qu’il est rationnel d’attribuer la production des lits de combustible, aussi bien que l’étendue limitée du périmètre occupé par eux. Les plantes houillères couvraient alors toute la terre, mais elles n’ont donné naissance au charbon que sur des points déterminés de la surface terrestre. En résumé, le charbon a dû être engendré toutes les fois que la disposition physique des lieux est venue s’y prêter.

L’impossibilité d’admettre le transport à distance des plantes carbonifères avait suggéré un autre système qui dépassait le but, comme nous le verrons, en faisant naître le charbon des seuls débris tombés des arbres de l’époque et des végétaux vivant à leur pied, graduellement décomposés. Ce système, loin de recourir aux transports, les supprimait totalement et donnait lieu par cette suppression à de nouvelles difficultés. Il avait surtout l’inconvénient d’être extrême, de ne pas tenir compte de toutes les circonstances qui ont accompagné le dépôt de la houille et qui expliquent finalement sa vraie formation. M. Grand’Eury, qui est revenu par un détour, et en lui étant sa première signification, à l’idée de transport, combat avec raison le système de formation sur place qui a longtemps prévalu comme le plus logique et le plus naturel. Il l’était en effet si l’on fait abstraction des études minutieuses du savant de Saint-Étienne ; elles lui ont permis, non-seulement de concevoir ce qu’est la houille et les procédés auxquels nous la devons, mais d’entrer dans les détails de ces procédés, de remonter à leur véritable cause, et de décrire ce qui a dû se passer autrefois, avec autant de précision que s’il nous avait été donné d’y assister.

Adolphe Brongniart, en 1837, attribuait l’origine de la houille à des masses de végétaux accumulés, puis altérés et modifiés, « comme le seraient les couches de tourbe de nos marais, si elles étaient recouvertes et comprimées par des bancs de substances minérales<ref> Considérations sur la nature des végétaux qui ont couvert la surface de la terre aux diverses époques de sa formation, par M. A, Brongniart. (Académie des sciences, séance publique du lundi 11 septembre 1837)<ref>. » Dans un rapport sur le grand prix des sciences physiques pour l’année 1856, il revient à cette pensée d’un amoncellement des restes de la végétation carbonifère, pendant une longue suite de siècles, comme donnant la clé du phénomène. Il était par cela même partisan d’une formation sur place ou plutôt d’une décomposition à l’air humide de tous les résidus accumulés. Le savant français touchait au but de fort près en adoptant une hypothèse qui ne s’écartait pas très sensiblement du phénomène spécial des tourbières. En somme, de vastes et profondes forêts se succédant au sein de régions faiblement accidentées, dans un calme que des oscillations du sol, suivies d’immersion, n’auraient troublé qu’à de longs intervalles ; tel est bien le tableau des houillères, tracé par Brongniart antérieurement aux premières études de M. Grand’Eury. Il était réservé à celui-ci de saisir ce que le point de vue du maître avait encore d’incomplet, et, circonstance honorable pour ce dernier, après avoir deviné la portée des recherches de son élève, il l’encouragea à persister dans la voie qu’il avait choisie, ne reculant pas devant un démenti probable des opinions qu’il avait auparavant émises.

Il existait du reste des objections sérieuses et non résolues à l’encontre des conceptions, souvent contradictoires, au moyen desquelles on s’appliquait alors à définir l’ancien aspect des pays carbonifères.

En admettant des forêts immenses, couvrant un sol faiblement ondulé, on excluait les petites îles supposées par Élie de Beaumont. Fallait-il en revanche croire à des terres continentales, sillonnées par de grands fleuves et dominées par des chaînes assez puissantes pour donner naissance à ces fleuves, circonscrire et alimenter leur cours ? C’est bien ainsi que se présentent nos continens actuels, avec leur charpente lentement constituée, à l’aide d’une série d’oscillations et d’émersions successives, et leur orographie si complexe où se résument les conséquences dernières des plissemens de l’écorce terrestre. Mais n’est-il pas extrêmement invraisemblable que la surface du globe ait été distribuée d’après les mêmes lois, à une époque aussi reculée que celle que nous considérons ? D’ailleurs les gisemens de houille se trouvent disséminés à travers notre hémisphère tout entier ; par cela même ils relèvent d’une cause trop générale, trop uniforme dans ses résultats, pour que l’on soit en droit de la rapporter à des fleuves ; ceux-ci effectivement n’auraient pu agir dans le sens qu’on leur prête que sur un nombre restreint de points déterminés, et non sur le pourtour entier d’une contrée limitée, comme l’est en France le plateau central. La multiplicité, la dispersion, la répétition du phénomène des houilles, en même temps que sa localisation, obligent donc celui qui veut s’en rendre compte à rechercher des conditions physiques différentes de celles qui résultent du régime fluviatile de nos continens.

L’examen de ce qu’il faudrait de matériaux accumulés pour convertir en un lit de houille assez mince une forêt ensevelie subitement par les eaux ou projetant peu à peu ses résidus sur le sol, conduit à des calculs désespérans, tellement il est nécessaire d’exagérer outre mesure l’un des facteurs, soit le temps, soit la masse des végétaux. Ceux-ci effectivement ne sauraient passer à l’état de houille qu’à l’aide d’une opération qui leur enlève une certaine portion de leur contenu charbonneux, mais à la condition que cette portion soit aussi faible que possible. Or la portion soustraite est d’autant plus considérable que le carbone du végétal se combine plus librement avec l’oxygène de l’air. De là la nécessité pour la houille, au moment où elle s’est formée, d’avoir été préalablement soustraite à l’influence atmosphérique. Une désagrégation lente, étouffée, poursuivie en dehors du contact de l’air, favorise la production des composés auxquels le terme de « matières ulmiques » a été appliqué. Dès lors, le carbone des végétaux, au lieu de se dissiper sous la forme d’acide carbonique, constitue une masse hydratée, désormais fixe. Une semblable condition matérielle n’a pas fait défaut lors de la formation des houilles ; mais il fallait encore la découvrir et en préciser la nature. Sans elle, c’est-à-dire en supposant que les débris des plantes houillères s’étaient consumés en dissipant à l’air libre la plus grande partie de leur carbone, on était bien forcé d’invoquer des durées invraisemblables, sans expliquer ni la fraîcheur de tant de fragmens, ni l’extrême régularité de leur ordre de superposition.

La stratigraphie sagement interrogée suffit pour faire connaître l’économie probable des terres à l’époque carbonifère. Envahis souvent et à plusieurs reprises par la mer, situés par conséquent dans le voisinage de celle-ci, les dépôts de houille n’en constituent pas moins une formation essentiellement terrestre, spéciale au sol émergé de la période, c’est-à-dire une terre ferme, mais récemment exondée. En Belgique, comme en Angleterre, les houilles reposent sur un fond marin qui leur sert de base et avec lequel elles alternent plusieurs fois. La mer s’est donc retirée pour leur faire place, en agrandissant chaque fois l’espace continental ; en un mot, les terres se sont étendues et c’est justement sur les parties que les eaux marines venaient d’abandonner que la végétation des houilles s’est développée. C’est là un fait dont la signification va de soi, et comme il se répète ailleurs, il acquiert la portée d’un véritable phénomène.

Dans la France centrale, les bassins houillers sont distribués autour d’une région primitive, très anciennement mise à sec ; ils constituent le long de ses limites extérieures une ceinture interrompue et doivent répondre à autant de lagunes plus ou moins rapprochées des anciens rivages ou établies dans des dépressions délaissées par la mer et que les eaux douces venaient naturellement remplir. Mais tous les points non occupés par celle-ci étaient aussitôt recouverts d’une riche végétation. C’est ce qui résulte de l’étude du bassin de Saint-Étienne, bien que nous nous abstenions volontairement d’entrer ici dans de nouveaux détails. Selon M. de Lapparent, on distinguerait une double série de bassins discontinus qui jalonneraient les flancs de la région primitive, l’une extérieure constituée par le Creuzot, Blanzy, Saint-Étienne, Alais, Graissessac, Decazeville, etc., l’autre intérieure, relativement à la première, partant de l’Allier et se prolongeant par Commentry, Saint-Eloi et la Haute-Dordogne. Ces derniers bassins répondaient évidemment à des lacs d’une moindre étendue, comme les lacs intérieurs de la Suisse comparés à ceux de Genève, de Constance et de la Haute-Italie. La mer se montre à la base de quelques-uns de ces bassins avec l’étage que l’on nomme « anthracifère » et qui précède dans l’ordre des temps l’étage carbonifère propre ou étage producteur par excellence. Elle se retire ensuite inévitablement pour céder la place aux dépôts houillers dans lesquels la mer ne joue évidemment aucun rôle. Il en est de même à l’ouest, vers la Vendée, la Bretagne et la Normandie ; nulle part, on peut le dire, la mer n’est absente, elle a laissé presque partout des vestiges ; mais au moment du développement le plus énergique des conditions auxquelles est due la production de la houille, elle s’éclipse et se retire, refoulée par les eaux douces et par la végétation terrestre, dont ce retrait vient agrandir le domaine.

Sans vouloir prolonger outre mesure ces études, ni promener le lecteur en Allemagne, en Bohême, en Russie, en Amérique, les traits que nous venons d’esquisser suffisent ; ils attestent la physionomie et les caractères généraux du sol et des terres lors de l’époque qu’il s’agissait de définir. La production de la houille se trouvait certainement en rapport avec l’extension des terres relevées au-dessus du niveau de la mer. Ces terres, après leur émersion, constituaient des ceintures littorales qu’une différence de niveau assez faible séparait de l’élément océanique refoulé. Sur des plages à peine inclinées, les eaux douces envahissaient presque aussitôt les points déprimés, tandis que les plantes prenaient possession de tous ceux que l’émersion mettait à leur entière disposition.


V.

Il est temps de rechercher maintenant comment les choses se passaient au sein de ces régions parsemées de cuvettes lacustres aux bords évasés en talus ou « lagunes de fond, » lorsqu’une végétation, aussi remarquable par l’extrême vigueur de ses élémens que par la rapidité de sa croissance, était venue les occuper.

En dehors des stigmariées, dont nous avons signalé la singulière faculté de ramper sous les eaux et de persister quelquefois indéfiniment dans cet état avant d’émettre des tiges aériennes et fructifères, les autres végétaux houillers n’avaient rien, à ce qu’il semble, de précisément aquatique ; mais le voisinage immédiat et le contact momentané de l’eau ne les arrêtait pas non plus. Partiellement inondés, ils ne continuaient pas moins à vivre et à s’allonger. Baignés de vapeurs et de lourdes buées, ruisselant sous les averses, le pied dans l’humidité stagnante ou clapotante, leur organisation était telle qu’ils ne cessaient de s’élever en colonnes, de se couronner de feuillage ou de se subdiviser en rameaux, appuyés l’un sur l’autre, serrés et confondus. Les plus forts de ces végétaux dominaient les plus faibles, ceux-ci croissant à l’ombre des premiers ou s’entrelaçant à leurs tiges. Pourtant, M. Grand’Eury l’a bien vérifié, dans une foule de cas, le désordre faisait place à une distribution régulière, comparable à celle qui constitue l’aménagement naturel de nos bois.

De même que, sous nos yeux, les chênes, les bouleaux, les sapins se groupent séparément, il se formait des associations forestières uniquement composées de certains types. L’existence de ces colonies ressort en premier lieu de l’examen des lits charbonneux qui renferment assez fréquemment les débris uniformément répétés d’une seule espèce ; mais elle est encore visible lorsque, en dehors de ces lits, on interroge les vestiges épars dans les assises de grès qui les surmontent ou les séparent. Ces alternances mêmes fournissent une preuve évidente de l’intermittence du phénomène. La houille s’est déposée, en effet, et nous allons le montrer, au fond des dépressions lacustres dont les régions étaient alors parsemées et l’étendue des lits de charbon se mesure à celle des cuvettes disposées pour les recevoir. Mais une condition était indispensable à ces sortes de dépôts ; sans elle, pas plus alors que depuis et que maintenant, aucune couche de combustible ne saurait se produire ni continuer à se former : cette condition consiste en ce que l’eau qui parcourt le sol n’entraîne avec elle et ne charrie, au fond de la cuvette où ils vont s’accumuler, que des débris de végétaux, exclusivement à tout autre sédiment de nature détritique.

On conçoit que cette condition sine qua non ait eu plus de chance de se réaliser dans l’âge des houilles qu’en aucun autre temps, la flore étant alors plus exubérante et son extension plus favorisée du climat qu’elles ne le furent jamais. Mais on conçoit aussi que cette condition, après s’être établie et maintenue, ait ensuite fait défaut à plusieurs reprises et sur bien des points. Il a suffi soit d’une faible oscillation du sol, soit d’un changement dans la direction des eaux courantes, soit du ravinement de certaines falaises ou enfin de l’abaissement de certains obstacles, pour l’altérer et la détruire en substituant à l’apport des seuls résidus végétaux celui des sables, des limons ou des matières rocheuses triturées.

Nous pouvons l’affirmer tout de suite, pour ne plus avoir à y revenir, la principale raison d’être des lits de houille a dû dépendre de l’absence même sur les lieux du dépôt d’un véritable affluent, d’un cours d’eau en mouvement, à l’intérieur d’un bassin naturellement fermé et ayant au centre une dépression en forme de lagune. Dans ce cas, les débris seuls des végétaux ont été entraînés de tous côtés sous l’impulsion des eaux ruisselant sur le sol, le baignant sans le raviner, pour gagner le fond et aller aboutir à la lagune. Mais, dans le cas contraire, la sédimentation prenant un autre caractère, ce n’était plus des eaux pures servant de véhicule aux seuls résidus végétaux, mais des eaux bourbeuses, chargées de limon ou de sable, tendant à combler la lagune ou tout au moins à former de nouveaux lits d’une nature différente du précédent et destinés à le recouvrir. À chacun de ces changemens, le dépôt de la houille se trouvait interrompu pour faire place à un dépôt de grès, d’argile ou de calcaire plus ou moins pur, selon les cas, ou converti en feuillets schisteux parsemés d’empreintes végétales, lorsque aux fragmens de plantes ne se joignait qu’une assez faible proportion de matière limoneuse.

Telle est la véritable origine de ces alternances d’assises variées qui caractérisent constamment les mines de charbon et dont la connaissance permet aux ouvriers de suivre et de retrouver le filon productif en traversant pour l’atteindre les lits intermédiaires. À l’époque carbonifère, lorsque des eaux courantes se frayaient un passage à l’intérieur d’une région jusque-là fermée, leur effet le plus ordinaire devait être de refluer par-dessus les bords d’une lagune devenue insuffisante, d’en relever le niveau et de déposer la nouvelle assise « transgressivement, » c’est-à-dire au-delà du périmètre antérieurement occupé par le lit purement charbonneux. Les plans inclinés ainsi envahis et cette zone indécise tantôt mise à sec, tantôt comprise dans le domaine des eaux, qui servait de lisière à l’ancienne lagune, devaient alors se trouver submergés, tandis que, de leur côté, les pieds de végétaux demeurés en place se maintenaient dans une situation tolérable pour des plantes auxquelles le contact de l’eau n’était pas absolument nuisible. C’est là sans doute l’explication la plus naturelle de ces forêts fossiles, si souvent citées, dont la présence a rendu célèbre la carrière du Treuil, à Saint-Étienne, et dont M. Grand’Eury a si bien restitué le vrai caractère.

Encore enracinés dans l’ancien sol, ayant leur tronc verticalement érigé, coupés à la hauteur de l’assise qu’ils traversent, ces végétaux ont été visiblement ensevelis graduellement dans le sédiment déposé autour d’eux par l’eau qui les avait partiellement submergés. Leur persistance sur les lieux où on les observe atteste deux points essentiels : d’abord, que les assises ou lits encaissans durent se former dans un temps relativement court proportionné à la durée rapide que l’examen de leur structure extérieure oblige d’assigner à la plupart d’entre eux ; ensuite, que les eaux, au fond desquelles les sables s’accumulaient, n’étaient pas permanentes, mais provenaient plutôt de crues temporaires, envahissant l’espace occupé par la forêt et se retirant ensuite pour un temps plus ou moins long. Il ne faut pas oublier ici que plusieurs types de végétaux houillers avaient des tiges aériennes et verticales émises pour une durée limitée et provenant de stolons souterrains plongés dans la vase, n’ayant rien à redouter par conséquent de ces apports successifs de sédiment. Les calamités, les sigillaires, sans doute aussi les lépidodendrées, étaient de ce nombre ; mais la plupart des autres avaient encore la faculté de produire à différentes hauteurs des racines adventives sorties de leur tronc. Ces derniers végétaux se trouvaient donc parfaitement prémunis contre les éventualités du dépôt qui tendait à l’enfouissement graduel de leurs tiges par la base, tandis qu’elles Continuaient à s’allonger supérieurement. Leur appareil radiculaire renouvelé suivait le mouvement ascensionnel de l’atterrissement et se déplaçait avec lui. M. Grand’Eury a figuré un grand nombre d’exemples de ces émissions de racines opérées à des hauteurs successives du sol carbonifère. Les parties inférieures achevaient de se détruire, tandis que la plante, toujours en place, se soutenait à l’aide du développement d’organes plus récens et plus élevés.

Les associations végétales, ainsi observées, ne représentent (selon l’expression de M. Grand’Eury) que l’extension clairsemée des forêts carbonifères. Souvent réduites, comme dans les terrains houillers du Nord à de Tares individus isolés, elles ne constituent que des exceptions, plus fréquentes à Saint-Étienne que partout ailleurs. L’inondation qui, sur son passage, abattait les masses forestières et charriait ensuite les débris en les accumulant sur des points déterminés, a pu épargner, grâce à des circonstances trop lointaines pour être précisées, les colonies isolées, les pieds épars, situés à l’abri des remous et du passage des eaux trop profondes. De Là viennent ces groupes peu nombreux qui nous traduisent, après tant de milliers d’années, le tableau fidèle d’une végétation aussi étrangère à la nôtre que les monumens de Ninive comparés aux œuvres des peuples modernes. Parmi les types associés les mieux reconnaissables à Saint-Étienne, il faut noter les calamités dont les fûts, rayés de minces cannelures, s’élevaient nus et simples, évidés à l’intérieur, réduits à des parois d’une épaisseur à peine sensible, mais résistantes par suite de la silice qui les encroûtait. Un remplissage postérieur a assuré leur conservation par le moulage exact de la cavité cylindrique intérieure. Ailleurs, on a découvert un véritable bois de psaronius, qui représentent des troncs de fougères arborescentes. Leurs tiges charbonnées laissent entrevoir, en traversant la roche, la trace des innombrables radicules adventives qui garnissaient le pourtour de la souche le long de laquelle elles prenaient naissance, incessamment émises, les nouvelles venant de plus haut et recouvrant toujours les anciennes.

Ces scènes tranquilles, dérobées aux paysages de l’époque, ne sont pas les seules que l’on ait saisies aux environs de Saint-Étienne. D’autres pages de la même chronique ont été lues par M. Grand’Eury. Sur quelques points, les eaux, agissant à la façon des courans, ont charrié des tronçons de tiges, surtout de cordaïtées, associés à des débris de toute provenance, mêlés dans le plus grand désordre et couchés horizontalement à la base d’une assise. On constate là l’effet immédiat de la violence des eaux au moment où elles débordaient en balayant sur le sol tous les objets laissés à leur portée et les déposant pêle-mêle avant de les recouvrir d’un manteau détritique.


VI.

Les phénomènes qui viennent d’être signalés et dont les bassins carbonifères ont gardé des vestiges incontestables, correspondaient aux intervalles de temps pendant lesquels la houille cessait de se former. Quelquefois, sous l’influence d’un faible apport limoneux, il pouvait s’établir une sorte de compromis entre les deux catégories de dépôts, et la production de la houille, au lieu de s’interrompre, s’atténuait en se combinant avec la sédimentation marno-sableuse, trop peu abondante par elle-même pour neutraliser l’action des résidus charbonneux. Ce sont alors des schistes bitumineux qui ont pris naissance, et dans ces schistes la houille qui les colore plus ou moins ne se montre qu’à l’état d’indice et dans une proportion trop réduite pour être l’objet d’une recherche industrielle. Les feuillets sont cependant très riches en empreintes végétales. Leur examen fait comprendre que, lors de leur dépôt, le procédé auquel on doit la houille était en activité avec ses élémens essentiels toujours prêts à entrer en jeu. Ce qui le prouve, c’est qu’on observe les divers degrés qui mènent d’un lit purement schisteux à la houille proprement dite, en passant par tous les intermédiaires. En un mot, on a sous les yeux les débuts d’un phénomène en train de se manifester et sans cesse arrêté.

Ce qui précède fait bien voir qu’un lit de houille, quelle qu’ait été la durée nécessaire à sa formation, durée proportionnelle d’ailleurs, non-seulement à l’épaisseur de l’assise, mais encore à la masse des résidus accumulés dans un moindre espace de temps, a toujours exigé comme premier facteur l’absence de tout autre apport que celui des débris végétaux dont il est une résultante. Une pente naturelle nous ramène ainsi vers les conditions normales, productrices de la houille, et nous n’avons plus qu’à préciser le mode de fonctionnement des bassins carbonifères, alors que n’étant visités par aucune rivière, aux eaux chargées de limon, ils donnèrent naissance à des dépôts exclusivement charbonneux.

M. Grand’Eury, — et c’est en cela que consiste l’originalité de son système, — établit la coïncidence et la combinaison nécessaires de deux circonstances principales qui, selon lui, auraient également concouru à la formation de la houille. — L’une est le transport à petite distance de tous les débris végétaux de la région, entraînés par les eaux, puis étalés à plat et stratifiés au fond d’une lagune destinée à les recevoir.

L’autre particularité consiste dans le séjour antérieur sur le sol et l’exposition à l’air libre des débris ensuite entraînés, qui auraient subi pour la plupart une décomposition préalable dont la nature et les effets ont été l’objet d’une patiente analyse de la part de l’homme dont nous apprécions les travaux.

Ce savant insiste tour à tour sur ces deux points aussi indispensables à saisir l’un que l’autre pour celui qui tient à se faire une idée complète du phénomène. Il a eu soin, dans son mémoire, de les mettre en pleine lumière, et nous ne saurions faire autrement que de nous y arrêter après lui. — Il en ressort avant tout un enseignement précieux, d’un caractère général et que l’on peut résumer ainsi qu’il suit : Les eaux servant de véhicule aux débris végétaux, parfaitement claires puisqu’elles étaient pures de tout limon, assez puissantes pour les entraîner, assez universelles pour balayer tous les points d’une région boisée, ne pouvaient être que des eaux de pluie directement déversées sur des pentes assez prononcées pour faciliter leur écoulement et le transport des résidus, assez égales pour ne pas donner lieu à des ravinemens. La contrée elle-même où ruisselaient ces eaux devait disparaître sous un lacis de plantes et de débris accumulés, assez épais pour livrer à leur action de nombreux matériaux de transport, sans aller jamais jusqu’à l’érosion du sol sous-jacent.

Ces eaux, de leur côté, devaient être intermittentes, afin de laisser aux tronçons de tige abattus, aux résidus et aux fragmens de toute sorte, qui jonchaient le sol forestier, le temps de subir les effets de décomposition organique et de désagrégation partielle des tissus, constatés, par M. Grand’Eury et qui ont forcément précédé le moment de l’immersion définitive.

Il est constant par cela même qu’il existait alors, sinon des saisons au sens propre du mot, du moins des intervalles de calme durant lesquels les parties des végétaux que la vie abandonnait, celles que leur poids entraînait, les organes naturellement caducs ou accidentellement détachés, enfin toutes les tiges tombées, de vétusté qui couraient le sol s’y désorganisaient peu à peu en attendant le moment où, par une réaction inévitable, le calme faisait place à des précipitations pluviaires d’une violence extrême et d’une durée proportionnée à celle de la période qui avait précédé.

Des deux points que M. Grand’Eury a, voulu établir, prenons d’abord le premier : — La structure stratifiée de la houille attestant le transport par les eaux et le dépôt, à la façon des divers ordres de sédimens, des particules organiques dont elle est formée. La démonstration en est facile. Dans les plaques schisto-charbonneuses, aussi bien que dans la houille même, tous les résidus, grands ou petits, les tiges comme les feuilles, les lambeaux d’écorce, les fragmens de bois comme les organes isolés les plus délicats, les frondes de fougères et les folioles détachées sont toujours étalés à plat, appliqués les uns sur les autres, se recouvrant à la façon des feuillets d’un livre. Cette disposition ne souffre qu’un très petit nombre d’exceptions qui ne servent qu’à confirmer la règle, lorsqu’il s’agit, par exemple, des stigmariées. dont les stolons circulent et se croisent dans certains lits de houille, comme s’ils avaient vécu sur place, dans des conditions de submersion toutes spéciales.

Si l’on examine la houille, sa texture, observée à la loupe et analysée au microscope, met en, évidence l’intervention de l’eau qui, seule, peut avoir pris tous ces débris de toute taille et de consistance si diverse pour les accumuler l’un sur l’autre, les coller et les appliquer, conformément à ce qui a lieu pour des végétaux qui, d’abord flottans, gagnent ensuite un à un le fond de l’eau, à mesure que l’imbibition augmente leur poids spécifique ; ils vont alors constituer un lit stratifié qui s’accroît graduellement à l’aide d’apports successifs. Non-seulement les élémens de la houille sont demeurés visibles, non-seulement leur ordonnance en feuillets superposés est sensible et les moindres particules ont dû combler les interstices des plans de jonction de l’assise en voie de formation, mais l’organisation encore intacte de beaucoup de fragmens, leur empâtement dans une bouillie amorphe qui résulte de la macération préalable d’une foule de résidus, enfin la compression qui s’est exercée sur toute la masse réduite à la moitié de l’épaisseur primitive, tous ces effets réunis, qui relèvent, en réalité, d’un seul et même phénomène, dénotent l’action et la pesée de la couche d’eau au fond de laquelle la stratification s’est opérée.

Comme il s’agissait de débris enlevés au sol dans des états variés de fraîcheur ou de vétusté, les uns tombés de la veille, les autres désagrégés ou même totalement dissous, un des résultats forcés de ce genre de dépôt a été la diversité de composition de la houille. La plus grande uniformité a présidé, au contraire, au mécanisme de sa formation, puisque tous les élémens, les écorces déroulées et aplaties, les moelles détrempées, les larges feuilles aussi bien que les moindres résidus, ont été d’abord tenus en suspension dans l’eau de la lagune avant de venir s’étaler au fond.

C’est ainsi que la houille a généralement acquis, en se constituant, une structure schistoïde, c’est-à-dire formée de minces lits parallèlement disposés, et fissiles dans le sens qui répond au plan du dépôt. Mais, de plus, elle diffère selon que l’on examine attentivement les élémens qu’elle renferme et qui se trouvent étroitement associés sans être précisément confondus. Il y a d’abord ce que M. Grand’Eury a nommé le « fusain, » par allusion au léger charbon de bois ainsi désigné. Toutes les fois que la structure anatomique d’une tige ou d’une portion de tige carbonisée a disparu, tout en conservant reconnaissable l’ordonnance relative des diverses régions caulinaires, on dit qu’elle est à l’état de fusain. — Les feuilles, les épidermes, les écorces, les parties vertes, en un mot, qui sont parvenues, non encore désagrégées, au fond de l’eau, se montrent dans la houille ordinaire sous l’apparence de lames et lamelles cristallines, liées ou empâtées par une matière charbonneuse amorphe, plus ou moins terne, qui sert à les rejoindre et à les cimenter. D’autres fois, au lieu de lamelles, ce sent des parcelles noyées dans une masse charbonneuse provenant de la décomposition de tous les menus débris de végétaux délayés, réduits à l’état de bouillie et emportés par les eaux avec les autres fragmens ; c’est là une sorte de boue végétale qui devait combler toutes les flaques et les mares dormantes situées à l’ombre des forêts humides, aux endroits perdus dans l’épaisseur des bois.

Cette pâte résultant de la macération des parcelles entièrement décomposées constitue à elle seule les houilles amorphes dans lesquelles, en dehors du fusain, on finit cependant toujours par découvrir quelques restes de structure végétale attestant la commune origine de toutes les productions charbonneuses. Ces différences donnent d’ailleurs lieu à d’innombrables variétés qui conduisent par degrés d’un type vers un autre en empêchant d’établir une distinction tranchée entre les houilles les plus homogènes en apparence et celles qui présentent des traces multiples et manifestes d’élémens organisés à peine altérés.

En résumé et pour définir d’un mot le phénomène, M. Grand’Eury, après avoir admis un aménagement préalable des élémens charbonneux, état antérieur à leur submersion et à leur stratification, considère les écorces, les feuilles et les organes de toute nature encore revêtus de leur forme comme ayant suivi le même procédé de dépôt dans la houille normale que dans les schistes. Dans l’un et l’autre cas, les restes ont laissé leur empreinte sur la pâte molle du sédiment qui les enveloppait, la seule distinction appréciable résulte de la nature de ce sédiment marno-sableux ou argileux, d’une part, constitué, de l’autre, par une vase détritique purement végétale. En dehors de cette unique différence, le procédé est respectivement le même et les résultats ont été sensiblement pareils. Mais l’originalité du point de vue de M. Grand’Eury a consisté justement à établir cette similitude. Le premier il a déterminé les traces appréciables de cet état antérieur et préalable des résidus de toute nature désagrégés et macérés en partie ou même entièrement délayés sur le sol humide, et fournissant les matériaux de la sédimentation charbonneuse aux eaux qui venaient périodiquement s’en emparer.

Les tableaux tracés par M. Grand’Eury nous introduisent à l’ombre des forêts carbonifères, au plus épais des régions humides de cet âge, au pied des ondulations faiblement accusées où s’amoncelaient dans des mares dormantes ces immensités de résidus de toute provenance qu’engendrait une végétation toujours active, à la fois exubérante et promptement épuisée. Si de pareils amas s’observent de nos jours dans les pays chauds, au sein des forêts vierges, que devait-il en être dans ces époques premières où rien dans la structure des plantes n’était fait pour consolider les tiges par l’accroissement régulier du bois ! C’était de toutes parts des jets effrayans, des productions improvisées, des poussées subites élevant des colonnes vertes dont le rôle était aussi éphémère que la fermeté peu assurée. La plupart des tiges carbonifères, creuses ou gonflées de moelle à l’intérieur, succombaient par l’exagération même de leur croissance ; les fougères se couronnaient de frondes invraisemblables par leur dimension ; les tiges des sigillaires se dépouillaient rapidement de leurs feuilles et tous ces débris s’accumulaient sans trêve dans une ombre étouffée, sur un sol détrempé. On conçoit l’énormité des produits ulmiques, la décomposition faisant de nouveaux progrès à la moindre averse, de manière à réduire en une pâte noirâtre la couche de résidus la plus inférieure. L’examen des dépôts houillers démontre qu’il en était bien ainsi et c’est pour cette seule raison que l’on a tant de difficulté, en dépit d’une telle réunion de-matériaux, à reconstituer intégralement certains types. Rarement les tiges tombées demeuraient entières ; elles se gonflaient, s’ouvraient, les parties molles et lacunaires se désagrégeaient les premières, les parties denses et fibreuses se détachaient de la masse corticale ; celle-ci, plus tenace, souvent lisse et ferme extérieurement, se déroulait et résistait plus que tout le reste. Des troncs de fougères il ne restait que l’étui périphérique ou les fibres intérieures désagrégées ; des cordaïtes, des sigillaires, des lépidodendrées, rien que la région corticale. Les feuilles détachées formaient d’autres entassemens et tous ces monceaux obstruant certaines places au bas des déclivités, au débouché des vallées intérieures, attendaient l’arrivée et le passage des eaux pour abandonner à leur action d’innombrables matériaux parvenus à des degrés très inégaux de décomposition.

Lorsque venait le temps des grandes pluies, les eaux filtrant de toutes parts, ruisselant de toutes les pentes, formaient çà et là des lacs temporaires, puis entraînaient à la fin toutes les digues de matières organiques mises à leur portée. Quel immense amas de substances détritiques étaient ainsi charriées jusqu’à la dépression lagunaire ! Mais avec ces résidus vieillis et désorganisés, les pluies, que l’on doit imaginer torrentielles, entraînaient encore tout ce qui cédait à leur impulsion ; elles abattaient des tiges, des feuilles, de jeunes pousses, parfois des végétaux entiers, tout ce qui n’avait pas la force de leur résister, et, en définitive, dans nos collections, ce sont ces débris à l’état frais, ces feuilles si délicates, si nettes, ces organes demeurés entiers que nous retrouvons reconnaissables dans leurs moindres détails et couchés à plat sar les feuillets de l’immense herbier dont il nous est donné de dérouler les pages.

C’est par là que notre esprit remonte sans effort le cours des âges ; dans notre naïveté, nous trouvons tout simple qu’un modeste savant nous en facilite l’accès, qu’il renonce à toute carrière pour deviner de pareilles énigmes. Les labeurs obstinés, les explorations souterraines, les recherches pénibles, il les a volontairement assumés. Poussé par un instinct irrésistible, botaniste quand il a fallu, ingénieur, chimiste et géologue à d’autres momens, il s’est enfoncé bravement dans un passé prodigieux. Comment ne pas admirer sans réserve un pareil désintéressement qui par le fait honore notre époque et notre pays ? La science, quoi qu’on dise, sait encore en France animer les volontés et persuader à ses adeptes de lui faire le don de leurs meilleures années, sans autre but que le noble espoir d’agrandir un peu l’espace où elle se meut.


VII.

La conception logique et raisonnée du processus générateur de la houille appartient donc en propre à M. Grand’Eury, du moins sous la formule si nettement explicite dont il a su la revêtir. Il ne saurait plus être question maintenant d’une comparaison vague de l’ancienne opération avec le phénomène des tourbières, spécial à notre zone ; ce phénomène, incompatible avec la chaleur, se réalise sous nos yeux dans des conditions n’ayant avec celles qui caractérisaient l’époque carbonifère, qu’un rapport des plus éloignés, puisqu’il s’agit de plantes naines croissant en tapis serré sous les brumes des pays du Nord. Si les tourbes cependant peuvent, d’un certain côté, nous traduire une image affaiblie de ce que furent autrefois les houilles, c’est surtout en faisant toucher au doigt l’absolue nécessité que, dans toute formation charbonneuse, le lit des résidus accumulés ait été soustrait à l’action directe de l’atmosphère. Il est réservé à l’eau de remplir cette fonction au sein des tourbières, de même qu’elle lui était dévolue lors de la production des houilles. C’est en cela seulement que consiste l’analogie servant de lien entre les deux ordres de phénomènes ; les autres circonstances diffèrent pour la plupart, de part et d’autre, quelques-unes du tout au tout.

C’est à l’ombre épaisse des forêts et sous l’influence de la chaleur humide que commençait la transformation des résidus amassés sur le sol ; elle amenait la production des matières ulmiques, premier terme d’une série d’opérations qui aboutiront au charbon, puis à la houille. Cette dernière combinaison dont le processus demeure entaché d’une certaine obscurité n’a pu se réaliser qu’à la suite de la submersion et du dépôt stratifié qui plaçaient définitivement le lit charbonneux en voie de formation sous une nappe d’eau, par conséquent sous une couche imperméable à l’air. M. Grand’Eury est porté à admettre que l’élévation primitive de la température, jointe à l’humidité, a dû activer la conversion en houille des résidus préalablement ulmifiés, puis stratifiés, finalement comprimés par de nouvelles assises superposées. Le temps a fait le reste, et le combustible a acquis graduellement les propriétés qui distinguent la houille véritable des charbons plus récens, « stipites » et « lignites : » Ceux-là sont aux terrains secondaires, ceux-ci aux tertiaires, ce qu’est la houille relativement aux terrains primaires. Les différences qualitatives qui consistent surtout en une proportion décroissante de pouvoir calorifique, s’expliquent d’elles-mêmes, puisque des trois facteurs que nous avions admis comme ayant concouru à la production des houilles, deux ont forcément varié dans le cours des âges, nous voulons dire la flore et les conditions de milieu. Comment d’autres végétaux sans rapport avec leurs devanciers, sous un autre ciel astronomique, exposés à de tout autres influences de chaleur et d’humidité, auraient-ils pu donner lieu à la même sorte de combustible ? Loin d’être naturel, un pareil résultat aurait eu lieu de surprendre. Le combustible produit a dû varier et dans une proportion en rapport avec l’abondance décroissante des parties vertes accumulées, avec l’intensité moins prononcée de la chaleur, plus inégalement distribuée selon les saisons.

Cependant il est des stipites, comme ceux de Fuveau, dans les Bouches-du-Rhône, qui ont presque les qualités de la houille et qui, par conséquent, ont dû sans doute leur formation à des circonstances rapprochées de celles qui avaient engendré les charbons anciens, bien que les deux périodes se trouvent séparées par un immense intervalle. Lors des temps secondaires, une partie au moins des conditions de milieu qui avaient présidé à la formation des houilles pouvait encore se reproduire ; plus tard, dans le tertiaire, l’étroite similitude des plantes avec celles que nous possédons oblige d’admettre pour cet âge une ordonnance des saisons peu différente de celle qui prédomine actuellement. Pourtant même alors, dans la plus récente des périodes géologiques, il s’est produit des combustibles charbonneux, bien que sur une moindre échelle que dans les âges antérieurs. Cette répétition du phénomène prouve seulement que des trois facteurs que nous avons signalés, un seul est réellement indispensable à la genèse du phénomène. Ainsi, quoique tout ait changé, plantes, saisons, température, depuis l’époque primaire, s’il s’est rencontré une contrée tertiaire, soustraite momentanément à l’apport des sédimens marno-sableux, pourvue d’une lagune de fond dont la végétation ait envahi les bords, il a suffi que les résidus provenant de cette végétation aient été entraînés en masse considérable et stratifiés au sein de la dépression lacustre, pour que la formation d’un lit de charbon ait inévitablement résulté d’une semblable disposition des lieux. Cette formule, remarquons-le, s’applique à tous les temps ; elle n’exclut pas même le nôtre. Qui sait si, dans l’intérieur de l’Afrique, peuplée de nos jours de tant de lacs alimentés par des pluies périodiques, avec des plages basses couvertes d’une riche végétation, le phénomène des lignites ne se reproduit pas, préparant des trésors moindres sans doute que ceux que nous exploitons, mais encore considérables, à l’usage des gênérations à venir ? Vouloir restreindre à un passé reculé la formation des lits charbonneux, en faire le produit exclusif d’une époque déterminée, ce serait aller à l’encontre des faits, chaque période géologique a eu ses combustibles variant d’abondance et de qualités selon les âges, mais relevant, à ce qu’il semble, d’une cause toujours la même qui ne demande pour entrer en jeu que la réalisation des circonstances physiques strictement nécessaires à son fonctionnement. Pour ce qui est de l’opinion de ceux qui attachent un sens providentiel au rôle des houillères dont la mission aurait été d’épurer l’atmosphère à un moment donné, en lui soutirant des quantités d’acide carbonique, qui le rendaient impropre à entretenir la vie des animaux à respiration aérienne, bien que des hommes de génie se soient faits les éditeurs responsables d’une idée aussi bizarre, il est vraiment impossible de s’y arrêter sérieusement, ou il faudrait dire la même chose du calcaire, dont les assises, constituées en masse à partir d’une certaine époque, contiennent 16 pour 100 de carbone. Il faudrait craindre aussi, en exploitant et brûlant la houille, de restituer à l’atmosphère cette proportion nuisible d’acide carbonique qui lui aurait été enlevée jadis. Une semblable conception est au nombre de celles qu’on formule sans réflexion et qu’on répète ensuite par mutation ou par routine.

En laissant de côté les notions chimériques, il est naturel de se demander, dès que la théorie fait procéder les combustibles charbonneux d’un concours déterminé de circonstances physiques, comment elle s’applique aux charbons minéraux d’une origine plus récente que les houilles, et si les indices fournis par les « stipites » d’abord, par les « lignites » ensuite, sont de nature à la confirmer. Dans cet ordre d’idées, nous nous bornerons à deux exemples empruntés à la Provence, choisis de préférence comme nous étant plus familiers, avec la pensée que dans une matière aussi neuve, à peine effleurée par M. Grand’Eury, il vaut mieux ne pas s’aventurer au-delà d’un terrain déjà parcouru. Les lignites de Fuveau sont distribués en plusieurs bassins partiels et contigus ; ils comprennent des lits de charbon exploités sur une grande échelle, séparés par des schistes et des plaques marneuses ou bitumineuses. Celles-ci résultent d’un mélange de substance charbonneuse et de sédiment, allant depuis le charbon impur jusqu’au calcaire plus ou moins coloré en brun par la décomposition des résidus végétaux. Ces lignites appartiennent incontestablement à la partie récente du terrain secondaire. Ce sont donc des « stipites, » selon l’expression de M. Grand’Eury, et la parfaite homologie de structure qui les caractérise est déjà une preuve que leur formation a eu lieu dans des conditions et avec des alternances pareilles à celles que présente le terrain carbonifère. Mais les temps n’étaient plus les mêmes et la végétation en particulier avait pris une tout autre apparence. Il n’est donc pas sans intérêt de rechercher quelles sortes de plantes ont amené la production des lits de combustibles dont nous parlons. Il a fallu, pour le savoir, une exploration d’autant plus patiente que dans les couches de Fuveau, malgré la nature fissile de la roche et la présence d’une foule d’indices épars, les débris déterminables, c’est-à-dire ayant conservé leur forme, sont partout prodigieusement rares. En revanche, sur un grand nombre de plaques charbonneuses, on distingue une multitude de résidus de petite dimension, comme s’il s’agissait de plantes réduites par une macération prolongée à l’état de parcelles disséminées et flottantes dans une purée végétale qui aurait occupé le fond des marécages. L’absence de rameaux et de feuilles d’espèces arborescentes et l’abondance des débris provenant d’un amas de végétaux aquatiques décomposés sont visibles dans les plaques bitumineuses de Fuveau et, par conséquent, dans le lignite même de cette région. — À l’exception d’un vestige de palmier, observé une seule fois, et qui accuse un type actuellement confiné aux Séchelles, à l’exception encore des fruits filamenteux d’une nipacée, qui doivent avoir flotté comme leurs congénères actuels flottent sur les eaux du Gange, toutes les espèces recueillies se sont trouvées des plantes palustres ou fluviatiles.

Un type aujourd’hui éteint, mais aussi curieux par son organisation bien définie que par le rôle important qu’il a joué, a dû contribuer pour une forte part à cette abondance de détritus organiques, dissociés et réduits en bouillie. Ce type est celui des rhizocaulées dont les tiges, lâchement spongieuses à l’intérieur, lisses et fermes au dehors, s’élevaient alors au sein des eaux tranquilles, multipliées à l’infini et douées de la propriété d’émettre des radicules caulinaires qui descendaient pour aller, à travers le lacis des vieilles feuilles, atteindre l’eau et s’enfoncer dans la vase. De nombreux fragmens de cette plante curieuse parsèment les plaques schisteuses au contact des stipites de Fuveau. Récemment, un nélumbo ou lotus, cet ornement des lagunes fluviatiles de la Chine, qui se retrouve à l’embouchure du Volga, plus loin dans les eaux du Gange, et peuplait autrefois celles du Nil, a laissé voir d’innombrables empreintes de ses feuilles dans les lits charbonneux exploités à Trets, sur le prolongement de ceux de Fuveau.

Ces faits réunis ont leur signification ; ils annoncent qu’ici la masse du combustible a dû se former à la façon de la « houille de parcelles et bouillie végétales, » c’est-à-dire par le transport de fragmens encore organisés, noyés dans une pâte charbonneuse amorphe, provenant de matières ulmiques préalablement dissoutes. Cette fusion pâteuse aurait été la suite du développement d’abord, puis de l’entassement, au sein des vastes étendues marécageuses, d’un grand nombre de plantes palustres. Il convient de les placer à portée d’un fleuve qui aurait eu, comme le Nil, des temps de crues et dont les eaux gonflées, refluant bien au-delà des limites ordinaires, se seraient ensuite renfermées de nouveau dans leur lit. Dans ces conditions, pour obtenir des eaux pures, comme le Nil le fait voir chaque année dans la Haute-Nubie, il suffit qu’il existe des bassins supérieurs, traversés par des eaux du fleuve. Elles s’y décantent et vont ensuite envahir les plaines inférieures en entraînant tous les détritus organiques qui se trouvent sur leur passage, tous les résidus de plantes qui, durant la saison sèche, ont encombré le sol des marais, pour les transporter jusque dans les dépressions au fond desquelles se forme le lit charbonneux graduellement stratifié. Telle est sans doute la meilleure façon de comprendre et d’expliquer l’origine des stipites de Fuveau. Dans ce processus, on reconnaît à la fois la différence des époques, par l’intervention d’un fleuve ayant, comme le Nil et le Gange, ses crues périodiques, et l’analogie du mode de formation, par le transport des résidus végétaux, au moyen d’eaux pures de tout autre apport.

Avançons encore de plusieurs pas pour nous placer au milieu du tertiaire et apprécier le mode probable de formation des lignites de Manosque. Ici, le combustible est loin d’avoir les caractères de la houille. C’est un charbon bitumineux dont la structure schistoïde est due à l’alternance de lames ternes et résineuses. Il existait certainement auprès de Manosque un grand lac au fond duquel des affluens avaient longtemps accumulé des couches variées d’argile, de grès et de calcaire. Ce lac, comblé en partie, dut être envahi, vers l’époque où se déposèrent les lignites, par une ceinture de végétaux aquatiques ou de plantes palustres dont les traces sont encore visibles dans certains lits. Les joncs, les massettes, les nénuphars couvraient alors de vastes étendues, le long des bords de la nappe lacustre. Les arbres eux-mêmes, amis des stations fraîches, les séquoias, les aunes, les charmes, les peupliers, plusieurs érables s’aventuraient sur un sol mouvant et par places à demi submergé. C’est dans ces conditions que se formèrent les couches de lignites. Pour expliquer cette formation, on est bien forcé d’admettre que le lac de Manosque, converti en lagune marécageuse, disparaissait partiellement sous un épais tapis de verdure, qu’il avait des temps de crues pendant lesquels ses eaux débordaient et des saisons d’assèchement qui amenaient la décomposition d’une masse de végétaux. De là, sans doute, des encombremens de résidus que l’action périodique des eaux transportait des points momentanément envahis jusqu’aux endroits relativement déprimés. Ces eaux, qu’il faut bien supposer exemptes de limon, se déchargeaient enfin de tous les résidus végétaux, tenus par elles en suspension, au fond de la dépression centrale destinée à les recevoir en dernier lieu.

C’est bien ainsi, ou à peu près ainsi, qu’ont dû se passer les choses, et, dans l’état actuel des observations, on ne saurait pousser plus loin l’application directe des idées de M. Grand’Eury à l’étude d’une question locale. Il suffit de constater que la théorie de ce savant ne se trouve en désaccord ni avec les phénomènes anciens, ni avec ceux des périodes plus récentes, enfin qu’elle a peut-être sa place marquée au milieu des grandes scènes de la nature contemporaine. Effectivement, quand on lit les récits des voyageurs qui remontent les grands fleuves de l’intérieur de l’Afrique, le Nil, par exemple, on voit leurs barques longtemps arrêtées par les herbes, les résidus submergés, les accumulations de végétaux que l’eau pure des grandes crues entraîne, en arrivant des plateaux supérieurs et inondant l’espace à perte de vue. Devant ce tableau qui nous montre des cypéracées, des nénuphars, d’immenses colonies de plantes flottantes, sous lesquelles le fleuve disparaît, avec ses remous, ses lagunes temporairement envahies, ses bassins profonds, après avoir été presque à sec durant de longs mois, il est impossible de ne pas reporter son esprit vers les phénomènes, non pas sans doute tout à fait pareils, mais assurément du même ordre, auxquels les anciennes époques et en particulier notre Europe ont dû autrefois la formation des houilles, des stipites, plus tard des lignites. Ce ne sont pas là, en tout état de cause, des phénomènes accidentels ni purement épisodiques, nés de circonstances une fois réalisées pour ne plus jamais reparaître. Il s’agit plutôt d’un enchaînement véritable, d’une suite de combinaisons analogues, que le temps a ramenées à plusieurs reprises, et qui n’ont rien même d’incompatible avec ce qui se passe de nos jours à la surface du globe. En parlant ainsi, ce n’est pas l’Europe que nous avons en vue, mais l’intérieur des terres tropicales, et les parties de ces terres où l’eau, la chaleur et l’exubérance de la végétation sont encore réunies sur un sol dont la configuration se prêterait aux conditions matérielles définies dans cette esquisse.


G. DE SAPORTA.

  1. La Vie Souterraine, ou les Mines et les Mineurs, par L. Simonin. Paris, 1867.
  2. Antoine de Jussieu, né à Lyon en 1686, mort en 1758 ; il était frère aîné de Bernard de Jussieu, devenu plus célèbre que lui, et oncle d’Antoine-Laurent, mort à Paris en 1836, à l’âge de quatre-vingt-huit ans. Le fils de celui-ci, Adrien de Jussieu, professeur de botanique au Museum comme son frère, a été le dernier représentant de cette dynastie de savans, dont la France a le droit de se glorifier.
  3. Dictionnaire raisonné universel d’histoire naturelle, par M. Valmont de Bomare. Paris, 1769, t. t, p. 26. — L’article de l’Encyclopédie de Diderot (in-f, t. III de la 3e édition. Livourne, 1771. Article Charbon minéral), dû à la plume du baron d’Holbach, reproduit textuellement le passage de Valmont de Bomare ; mais l’Encyclopédie étant de beaucoup antérieure au Dictionnaire de Bomare, c’est à elle sans doute que ce dernier auteur aura emprunté son article.