La Gardienne du Phare/04

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Le Courrier Fédéral Ltée (p. 13-14).

CHAPITRE IV

La vieille Hermance

Quand le temps était beau, Claire se levait de bonne heure et se rendait à son cher jardin. Depuis qu’elle avait un canot à sa disposition, elle faisait une promenade sur le lac jusqu’à l’heure du déjeuner. Un matin, comme elle se disposait à quitter le jardin pour se rendre à la salle à manger, elle vit arriver Zénaïde, portant un plateau.

«  Je suis venue vous porter votre déjeuner ici. » dit la servante, en souriant.

— « Vous me gâtez, Zénaïde, » répondit Claire,… « Si la vieille Azurine savait cela ! » et Claire se mit à rire.

« Ce n’est pas de ses affaires. Mademoiselle, » dit Zénaïde, « Azurine n’est qu’une méchante vieille et je ne la consulte pas souvent. »

Chaque matin, après cela, Claire déjeunait au jardin, en face du petit lac.

Un matin qu’elle déjeunait ainsi, elle aperçut une femme qui semblait se diriger de son côté. Cette femme était vêtue d’un long manteau noir, surmonté d’une sorte de capuchon. Elle s’appuyait fortement sur un bâton et portait, passé à son bras gauche, un grand panier. Tout-à-coup, Claire vit cette femme porter la main à son cœur, puis tomber lourdement sur la pelouse. En un clin d’œil, la jeune fille fut à ses côtés. L’étrangère n’était pas évanouie ; mais elle semblait suffoquer.

« Ô mon cœur, mon cœur ! » s’écria-t-elle.

Claire descendit sur le bord du lac, elle trempa son mouchoir dans l’eau et, remontant à la hâte, mouilla les tempes de la femme en prononçant des paroles encourageantes.

« Essayez de marcher », proposa Claire, « je vais vous aider ».

En la soutenant, Claire parvint jusqu’à un banc où elle fit asseoir la femme. Elle ôta son grand manteau, puis prenant un journal qu’elle trouva à sa portée, elle éventa doucement la malade. Bientôt, celle-ci respira plus à l’aise.

«  Que vous êtes bonne, ma jolie demoiselle ! Je suis sujette à ces suffocations ; mais jamais on n’a pris la peine de prodiguer d’aussi bons soins à la vieille Hermance ! »

— « Allez-vous loin ? » demanda Claire.

— « Je me rends jusqu’à la ville. Mademoiselle. Je ne suis pas une mendiante, vous savez, » ajouta-t-elle, avec une certaine fierté, « je vends de menus objets sur la route ; voyez. »

Elle souleva le couvercle du panier et montra à Claire son contenu. Il y avait des crayons, du fil, des aiguilles, des épingles, etc., etc. Claire, qui était charitable, découvrit tout à coup qu’elle avait besoin de plusieurs des objets contenus dans le panier de la vieille Hermance… Justement, son porte-monnaie était dans sa poche. Elle en sortit un billet de banque et acheta plusieurs articles.

« Croyez-moi, pauvre vieille, » dit la jeune fille, « ne courez pas les routes aujourd’hui ; vous êtes trop malade. Restez chez vous à vous reposer un peu. »

« Je vais suivre votre conseil. Mademoiselle ; votre grande charité me facilite la chose » et elle se leva pour partir. Mais au moment de s’en aller elle dit à la jeune fille :

« Encore merci ! Dieu vous bénira… Quant à moi, je n’oublierai jamais ce que vous avez fait pour moi aujourd’hui ! »

En effet, elle ne l’oublia jamais.