La Grande guerre ecclésiastique/05

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Note B
LA QUESTION DES RÉGÎTRES

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Bien peu de personnes, dans Montréal, savent dans quelle grave position se trouvent nombre de familles relativement à leur fortune et à leur avenir par suite du projet, nourri et préparé avec persistance depuis vingt ans peut être, par Mgr de Montréal, de subordonner en tout l’État à l’Église en Canada. Sa Grandeur n’a réellement fondé le Nouveau Monde que pour imposer d’autorité à l’opinion publique le principe de la suprématie cléricale. On l’a peu à peu préparée à regarder comme obligatoire pour la conscience l’idée que tout ce que l’Église veut, même en matière temporelle l’intéressant indirectement, l’état doit l’accorder et considérer la demande comme nécessairement juste et raisonnable par cela seul que c’est l’Église qui l’a faite. C’est là compter bien naïvement sur l’ignorance générale, mais il y a si longtemps que l’on parle seul que l’on a fini par s’étourdir de son propre tapage.

Décidée à faire triompher coûte que coûte le principe de la suprématie ecclésiastique, S. G. combinait il y a cinq ans son grand mouvement stratégique de la subdivision de la paroisse de Montréal de manière à faire d’une pierre deux coups, car ce mouvement était encore plus dirigé peut être contre le pouvoir civil que contre le Séminaire. On a cru longtemps qu’il ne s’agissait que de celui-ci, mais on voit aujourd’hui, par ce qui se passe à propos des régîtres et des nouvelles paroisses, que le principal objet de S. G. était de signifier de fait à l’état qu’Elle se croyait devenue assez forte pour ouvrir la lutte sur la question de l’existence civile des paroisses. En faisant d’un côté une chose légitime, la subdivision d’une immense paroisse dans laquelle une seule desserte devenait une impossibilité, S. G. préparait en silence un autre projet dangereux au bon gouvernement de la société civile, celui de se passer du pouvoir civil dans l’érection des nouvelles paroisses. Voilà le véritable objet de Sa G., objet que l’on n’a pas soupçonné dès l’abord par suite de cette déplorable habitude où nous sommes de ne jamais regarder comme possible qu’un ecclésiastique, et surtout un Évêque, puisse projeter des choses nuisibles à la société. Nous nous laissons constamment aveugler par les protestations de ces Messieurs qu’ils ne songent jamais qu’au seul bien de la religion et des âmes, et c’est avec ces grands mots qu’ils ont toujours enchaîné le monde sans qu’il s’en doutât.

S. G. a donc d’abord jeté le défi à l’état sur la question de l’érection des paroisses ; puis elle vient de lui jeter un second défi sur celle de l’imposition des taxes sur les citoyens par la demande aux paroissiens de Beauharnois qui n’ont pas de terres de payer un quart pour cent sur la valeur de leurs propriétés de village, avec menace de refus des sacrements et de sépulture ecclésiastique contre ceux qui ne paieraient pas cette taxe. Celui qui la refuse ne peut donc plus faire baptiser ses enfants, ni se marier, ni faire mettre sa dépouille mortelle au cimetière. Cela conduira peut-être à des troubles graves, et certainement à des procès sans fin, mais qu’est-ce que cela fait à l’Église pourvu qu’elle domine ?

Puisque le défi est maintenant jeté à la loi sur ces deux questions, il était à propos de les discuter. Sur la question de l’érection civile des paroisses et celle des régîtres, comme sur celle de l’imposition d’une taxe sur les habitants de Beauharnois, je n’entends comme de raison que constater les faits pour poser les bases d’une discussion future plus approfondie.

Mgr de Montréal s’est donc décidé à briser l’ancienne organisation légale de la paroisse de Montréal. Qu’il fût à propos de subdiviser cette énorme paroisse de 85,000 âmes, c’est admis ; mais pourquoi S. G. s’est-elle affranchie des devoirs que la loi impose à ceux qui veulent démembrer une paroisse ? Parcequ’Elle vise depuis longtemps à se rendre entièrement indépendant de la loi civile même dans la sphère temporelle. L’Église doit être un état dans l’état, et si l’état croit que l’Église viole les droits individuels, il se trompe nécessairement puisqu’aucun droit n’existe contre ce que nos amplificateurs de collège appellent les droits de l’Église, droits qui pourtant, pour ceux qui savent quelque chose, ne sont que des usurpations remontant à une dizaine de siècles, et presque toutes fondées sur des faux historiques ou matériels.

S. G. a donc créé un certain nombre de paroisses sans s’occuper de les faire reconnaître et régulariser par le pouvoir civil. Et comme les régîtres de l’état civil, base, ou plutôt preuve des droits individuels, sont inséparables de l’existence de la paroisse en ce pays, S. G. veut modifier la forme de ceux-ci pour l’harmoniser avec l’ensemble de son projet. La loi veut certaines choses, et S. G. cherche tous les subterfuges imaginables pour s’affranchir des dispositions de la loi. Dans les nouvelles paroisses qu’Elle a créées, S. G. voulait bien tenir des régîtres, mais elle veut en même temps mettre de côté les dispositions du code qui s’y rapportent. Elle a fait affirmer par le Nouveau-Monde que « c’est l’État qui est dans l’Église, et non pas l’Église dans l’État, » donc l’Évêque peut tout ce qu’il veut et l’état n’a qu’à se mettre à genoux.

S. G. a donc délivré aux curés des nouvelles paroisses canoniques qui ne sont pas encore reconnues civilement, des régîtres sous son seing et sceau dans lesquels ces curés ont enregistré un nombre considérable de baptêmes, mariages et sépultures, sans les faire entrer aux régîtres de la seule paroisse reconnue par la loi, celle de Notre-Dame de Montréal, desservie par le curé de Montréal. Il s’en suit qu’un grand nombre de familles et d’individus se trouvent aujourd’hui sans état civil ; et qu’un grand nombre de personnes se sont mariées, ou sont nées, ou sont mortes, sans qu’on puisse le prouver légalement devant les tribunaux ; donc un nombre infini de droits individuels exposés au litige et à la contestation des collatéraux. Combien de procès résulteront de cet état de choses, Dieu seul le sait, mais qu’est-ce que cela fait à l’Église si elle domine l’État ? Qui sera responsable de ces procès ? Évidemment l’homme qui a voulu se mettre au dessus de la loi et violer ses prescriptions. Que dirait Mgr de Montréal si on le forçait plus tard d’indemniser les individus pour les droits qu’il leur aura fait perdre en refusant d’obéir à la loi ? La chose ne serait-elle pas de toute justice ? Et là encore le Clergé crierait à l’usurpation quand il est le seul usurpateur.

Voyant cette usurpation et ce grave désordre dans le fonctionnement de la société civile, la Législature de Québec, à sa dernière session, passa une loi déclaratoire et remédiale dont les principales clauses se lisent comme suit :

[1]Cap. xvi. Acte concernant les Régîtres de l’État Civil.

Sa Majesté, par et de l’avis et du consentement de la Législature de Québec, décrète ce qui suit :

1. Tout prêtre catholique romain, autorisé par l’autorité ecclésiastique compétente à célébrer le mariage, administrer le baptême ou faire les obsèques, pour aucune église, chapelle particulière, ou dans aucune mission, aura droit de tenir des régîtres de l’état-civil, pour telle église, chapelle ou mission, et sera censé et considéré autorisé à tenir les dits régîtres, et à les avoir numérotés, paraphés et certifiés, conformément à la loi.

6. Et attendu que de doubles régîtres ont été tenus par des prêtres dûment autorisés par l’autorité ecclésiastique compétente à célébrer le mariage, administrer le baptême ou faire les obsèques, mais que les dits régîtres n’ont pas été authentiqués de la manière requise par le Code Civil et le Code de procédure civile : et attendu qu’un grand nombre de familles ont intérêt à ce que les dits régitres soient légalisés, et qu’il est opportun de pourvoir à leur légalisation et authenticité : en conséquence, il est par le présent acte en outre décrété comme suit :

7. Tout régître ou régîtres de l’État Civil jusqu’ici tenus dans aucune église catholique romaine, par un prêtre catholique romain, dûment autorisé par l’autorité ecclésiastique compétente à célébrer le mariage, administrer le baptême ou faire les obsèques, pourront et devront, sur présentation d’iceux à cette fin, quoique ces régîtres aient déjà servi, être numérotés, paraphés et certifiés par le fonctionnaire civil ordinaire, de la même manière et au même effet que si les dits régîtres n’avaient pas antérieurement servi, et un double d’iceux pourra, de la même manière et au même effet être déposé et reçu chez le fonctionnaire civil ordinaire ; Et un certificat de l’Évêque sera une preuve suffisante qu’un prêtre a été dûment autorisé comme susdit.

8. Lorsque les dispositions de la précédente section auront été remplies au sujet d’aucun régître, tel régître, ou aucun extrait d’icelui seront censés et considérés comme authentiques, comme aussi légaux et valides que s’ils avaient été faits conformément aux exigences de la loi.

10. Le présent acte n’aura d’autre effet que celui d’autoriser à tenir des régîtres authentiques, et à légaliser ceux déjà tenus dans les cas et de la manière ci-dessus prévus, sans que le dit présent acte puisse avoir d’autres conséquences légales, et affecter en rien au-delà de son objet direct, la position civile actuelle des paroisses et fabriques régulièrement existantes.

11. Cet acte viendra en force le premier Janvier mil huit cent soixante-treize. »


Cette loi était en force depuis le premier de Janvier dernier, et l’urgence aurait dû porter Messieurs les curés canoniques à s’empresser de venir déposer tous les régîtres non légalisés au Greffe de la juridiction pour les faire légaliser et mettre un terme à l’abus.

Trois semaines se passent et le 21 Janvier le Protonotaire reçoit du Secrétaire de l’Évêque une lettre déclarant qu’avant de soumettre ses prêtres à cette loi, il désire savoir du Protonotaire quelle forme de légalisation sera donnée à ses régîtres illégalement tenus depuis plusieurs années. Le Protonotaire répondit comme suit, en citant la lettre du Secrétaire :


Bureau du Protonotaire,
Montréal, 23 Jan. 1873.


Au Rév. J. O. Paré, Ptre.,

Secrétaire, à l’Évêché.


Monsieur,

Nous avons l’honneur d’accuser réception de votre lettre du 21 Janvier courant, par laquelle vous nous informez que Sa Grandeur Monseigneur l’Évêque de Montréal désire profiter de la clause de l’Acte concernant les régîtres qui a été passé dans la dernière Session du Parlement de la Province de Québec ; mais qu’avant de les faire présenter au Greffe pour être légalisés, il lui est nécessaire de savoir quel Entête sera donné à ces régîtres ; et que votre lettre est pour nous en faire la demande en son nom.

Nous comprenons que vous faites allusion aux sections six, sept, huit, neuf, dix et onze du Chapitre Seize intitulé : « Acte concernant les Régîtres de l’État Civil. »

Dès que Messieurs les Prêtres que Sa Grandeur a autorisés depuis plusieurs années à tenir de tels régîtres se seront conformés aux sections susdites du dit Acte et particulièrement aux clauses septième et onzième, en apportant au Greffe les Régîtres en question, il sera du devoir du Protonotaire, et il s’empressera de le remplir, de donner sans délai à ces régîtres, déposés en double entre ses mains, toute la légalisation et l’authenticité requises, en se conformant, au meilleur de sa capacité, aux ordonnances et directions de la Loi, du Code Civil, du Code de Procédure Civile, des Statuts, et notamment de ce dernier Statut de la Législature qui déclare dans la section six « qu’un grand nombre de familles ont intérêt à ce que les dits régîtres soient légalisés. »

Nous avons l’honneur d’être,
Monsieur,
Vos très humbles serviteurs,
(Signé,)
Hubert, Papineau et Honey,
P. C. S.


Cette lettre est demeurée sans réponse.

Au commencement de Janvier, les curés de l’Évêque avaient présenté au Greffe des régîtres en blanc pour l’année 1873 pour être certifiés et authentiqués par le Protonotaire ; semblant vouloir se conformer ainsi à la loi, du moins pour l’avenir. Après avoir consulté les juges sur une loi nouvelle et exceptionnelle, qui donnait en dehors du Droit Commun du pays à tout prêtre autorisé par l’Évêque le droit de tenir des régîtres dans toute église, chapelle ou mission, tandis que jusqu’à présent il n’y avait eu que les Curés de paroisses qui eussent été autorisés à tenir de tels régîtres ; un régîtres pour chaque paroisse ; le Protonotaire avait donné à ces régîtres de nouvelle espèce la formule suivante :

Ce régître contenant xxxxxxx feuillets, le présent non numéroté compris, destiné à l’enrégistrement des Actes de naissances, mariages et sépultures faits dans l’Église de xxxxxxx dans les limites de la paroisse de Montréal pendant l’année 1873, a été par Messire xxxxxxx Prêtre Catholique Romain dûment autorisé par Sa Grandeur Monseigneur l’Évêque de Montréal suivant ses lettres (ou certificats) en date du xxxxxxx présenté à nous Protonotaire de la Cour Supérieure du Bas-Canada exerçant dans le District de Montréal, et a été par nous numéroté, paraphé, et authentiqué en vertu de l’Acte de la Législature Provinciale de Québec de la 36e année du règne de Sa Majesté chapitre Seize intitulé : « Acte concernant les régîtres de l’État-Civil. » À Montréal ce xxxxxxx jour dexxxxxxx

Il est évident que cette formule est strictement conforme à l’esprit et à la lettre de ce Statut de la Législature. Néanmoins, Sa Grandeur jugea à propos de produire au Greffe de la Cour Supérieure, le 13 Février dernier, le long manifeste, protêt, dissertation ou mandement, (je ne sais comment le qualifier), qui suit, et qu’elle intitule une Requête :


Province de Québec,
District de Montréal.
Aux Honorables Juges de la Cour Supérieure pour la Province de Québec, siégeant à Montréal, savoir ; aux Honorables Juges Mondelet, Johnson, Mackay, Torrance et Beaudry.


L’Humble Requête du soussigné Évêque Catholique Romain de Montréal,
Expose :

« Qu’il accomplit aujourd’hui un pénible mais rigoureux devoir, en adressant à Vos Honneurs la présente Requête, pour demander que l’Ordre extra judiciaire qu’ils ont donné il y a quelques semaines, concernant l’Acte des régîtres passé dans la deuxième Session du Parlement de la Province de Québec, soit amendé ou révoqué, pour les raisons qu’il se permet de leur exposer, avec la pleine confiance que toute justice lui sera rendue.

» Cet ordre ne permet pas en effet à ceux qui sont autorisés par leur Évêque à baptiser, marier et inhumer de prendre les titres qui leur sont conférés par leurs lettres d’institution.

» Or c’est là une chose dont il est difficile de se rendre raison, parce que c’est chose reçue, dans tous les états et conditions de la société, de désigner chacun par le titre qui l’honore et qui indique les devoirs qu’il a à remplir envers ses semblables. Mais c’est surtout quand il s’agit de quelques personnages autorisés à faire des actes publics auxquels s’attache une grande responsabilité, que l’on serait inexcusable, aux yeux de la loi, de négliger de donner ou de prendre les titres qui leur sont propres.

» Ainsi, en prenant pour exemple les actes de baptême, mariage et sépulture qui doivent se consigner dans les régîtres de l’État Civil, n’est-il pas requis de mentionner le titre, la profession de ceux qui comparaissent dans ces actes ? Ne faut-il pas signifier l’état, la profession, le titre d’un père qui présente son enfant au baptême, d’un époux qui prend une épouse ? Toute omission à cet égard n’exigerait-elle pas l’intervention judiciaire pour la faire réparer ?

» Mais s’il en est ainsi pour les particuliers, qui figurent dans ces Actes, pourrait-on croire que ceux à qui est confié le soin de les faire, et qui en doivent avoir toute la responsabilité aux yeux de l’Église et de l’État, pourraient apparaître dans ces Actes comme de simples particuliers et sans prendre les titres qui leur donnent droit de remplir le ministère qu’ils exercent ? Pourrait-on croire surtout qu’il ne leur serait pas permis de se présenter eux-mêmes avec ces titres ? Ou s’ils les prennent, ne pourrait-on pas leur reprocher de se mettre en contradiction avec les livres authentiques qu’ils ont entre les mains ? Ne suffirait-il pas pour cela de rapprocher leur signature avec l’En-tête de ces livres ?

» Et en effet, comment sont-ils désignés dans cet En-tête ou Intitulé ? Comme de simples prêtres, chargés de présenter ces régîtres aux Protonotaires ou aux Juges. Ils devront formuler les Actes de ces régîtres, déclarés authentiques par l’autorité civile, comme des commis ou des secrétaires chez qui on ne reconnaît aucune capacité officielle, aucun titre public.

» Cet ordre ne semble t-il donc pas injurieux au prêtre à qui néanmoins est confié le soin de pourvoir, par des actes faits en bonne et due forme, aux intérêts des familles. Cette injure paraîtrait d’autant plus frappante qu’il est le seul que l’on prive ainsi du droit qu’il a d’être reconnu avec le titre qui lui est dûment conféré. Car il est bien connu que les ministres des diverses dénominations religieuses sont admis à l’octroi des régîtres avec les titres d’honneur ou de dignité qu’ils assument, sans que l’autorité civile ait jamais cru devoir y voir. Pour s’en convaincre, il suffit de jeter un coup d’œil sur leurs régîtres déposés au Greffe.

» Il est à remarquer maintenant que cet Ordre paraît d’autant plus extraordinaire qu’il ne saurait se justifier par la loi qu’il est censé mettre en pratique. Il y est en effet statué que ceux qui sont autorisés par leur Évêque à faire des baptêmes, mariages et sépultures, ont droit de tenir des régîtres de l’État Civil. Il leur suffit pour prouver ce droit d’exhiber leur lettres d’institution. Or, ces lettres d’institution leur confèrent des titres en vertu desquels seuls ils peuvent exercer ces fonctions ; si ces titres leur étaient ôtés, ils cesseraient d’avoir le pouvoir de les remplir et par conséquent d’avoir droit aux régîtres. Il est donc nécessaire que l’autorité civile reconnaisse les titres d’où découle le pouvoir de faire des baptêmes, mariages et sépultures, pour constater chez ceux qui remplissent ces fonctions le droit aux régîtres. Autrement on pourrait séparer le titre de Juge et le droit de juger, ce qui assurément n’est venue à la pensée de personne.

» Cet Ordre fait donc dire à la loi ce qu’elle ne dit pas et ce qu’elle ne pourrait dire sans s’écarter des notions connues du droit, et sans se mettre en contradiction avec les usages reçus partout, comme on l’a observé plus haut.

» De plus cet Ordre empêche la loi d’atteindre son but qui, on n’en saurait douter, est d’assurer à un grand nombre de familles respectables la paisible jouissance des droits religieux et civils dont elles ne pourraient être privées sans injustice.

» Car si cet Ordre est maintenu, l’Acte concernant les régîtres peut devenir lettre morte, et les Catholiques recourront, connue ils viennent de le faire, à la Législature, pour lui demander une nouvelle loi qui pourvoie plus efficacement à l’état de souffrance dans lequel les aura tenus l’Ordre en question.

» Cet Ordre est donc propre à compliquer les difficultés qui ont existé jusqu’ici. Par conséquent il ne peut faire atteindre à l’Acte concernant les régîtres son but et sa fin. Les intentions îles législateurs vont donc se trouver frustrées par un tel Ordre ; et ils seront en conséquence dans l’obligation d’y revenir dans une prochaine session.

» Enfin, cet Ordre, en dictant au Protonotaire la formule de l’En-tête des régîtres qui doivent être octroyés en vertu de la nouvelle loi, y introduit cette clause qui assurément, ne pouvait entrer dans l’intention des Législateurs, savoir : « Ce régîtres ------ destiné à l’enregistrement des actes des naissances…------ obsèques qui se feront ------ dans l’enceinte de la paroisse de Notre Dame de Montréal présenté ------ par Messire ------, lequel nous a fait apparaître des lettres ------ l’autorisant à administrer le baptême ------ dans la dite Église……… » car s’il faut accepter cette clause selon sa forme et teneur, le Curé de Notre Dame ne peut plus paraître dans l’En-tête de ses régîtres comme Curé, car sa lettre d’institution est formulée comme celle des autres curés ; et comme cette loi s’étend à toute la Province, cette observation s’applique à tous les Curés du district : avec de plus cette singularité que l’Église pour laquelle les régîtres seront accordée sera toujours donnée comme étant dans l’enceinte de la paroisse de Notre Dame de Montréal, quelle que soit la paroisse où elle se trouvera.

» De plus, le droit de l’Évêque de tenir des régîtres est reconnu par la loi civile. Mais comme son Église est aussi dans l’enceinte de l’ancienne paroisse de Notre Dame, son titre d’Évêque devra disparaître de l’En-tête aussi bien que celui des Curés.

» Quant aux régîtres qu’il s’agit maintenant de légaliser, l’on a refusé, à plusieurs reprises, au Greffe, de communiquer l’En-tête que l’on se propose d’y mettre ; et l’on s’est contenté de dire à celui qui y avait porté le sien de le laisser, et qu’il serait authentiqué plus tard. Cette circonstance à quelques chose d’inouï. Quoi donc ! un Curé n’aura pas droit de connaître d’avance ce qui pourra être inscrit dans un livre dont il doit porter la responsabilité aux yeux de l’Église et du Gouvernement !

» Pour ces raisons et autres aussi graves qu’il croit devoir omettre ici, l’Évêque soussigné demande avec instance à Vos Honneurs de vouloir bien amender ou révoquer l’Ordre extrajudiciaire qui est l’objet de la présente Requête.

» En ce faisant, il est intimement convaincu qu’il ne fait qu’user du droit qu’il a, comme Évêque, de maintenir la liberté religieuse dont doivent jouir, dans ce pays, tous les sujets catholiques de Sa Majesté.

» Au reste, il croit pouvoir se rendre en conscience le témoignage qu’en faisant une telle réclamation, il ne s’écarte en aucun point des règles du respect, de l’honneur et de la soumission qu’il doit à Vos Honneurs, chargés de rendre à chacun ce qui lui est du. »

» Et il ne cessera de prier.


» (L S.)

 » (Signé,)
 » † Ig. Évêque de Montréal. »

Ce document, produit au Greffe de la Cour Supérieure à Montréal, le 13 Février 1873, et entré et endossé sous le No 458, fut déposé devant les Juges en Chambre, et par eux pris en considération.

La lettre dont suit copie fit connaître à Sa Grandeur la réponse des Juges à sa Requête :


Montréal, 25 Février 1873.


Au Rév. M. J. O. Paré, Ptre,

Secrétaire, Évêché de
Montréal.


Monsieur,

Le Protonotaire a reçu du Juge président (Monsieur le Juge Johnson) le mémoire dont suit copie, avec ordre de le transmettre à Sa Grandeur Monseigneur de Montréal.

« Sir, you will have the goodness to signify to Sa Grandeur Monseigneur l’Évêque de Montréal, that the Judges of the Superior Court are unable to adjudicate upon his Petition of the tenth inst. fyled on the thirteenth, which concerns a subject of internal discipline of the Court as between the judges and their officer respecting which their Honors decline to entertain speculative remonstrances. »

Nous avons l’honneur d’être,
Monsieur
Vos très humbles serviteurs,
(Signé),
Hubert, Papineau et Honey,
P. C. S.


Voici la traduction de la note des Juges :

Vous aurez la bonté de signifier à Sa Grandeur Monseigneur l’Évêque de Montréal, que les Juges de la Cour Supérieure ne peuvent adjuger sur sa Requête du dix du courant produite le treize, qui a rapport à un sujet de discipline intérieure de la Cour entre les Juges et leur officier, et que leurs Honneurs ne peuvent prendre en considération des remontrances purement spéculatives.

La requête de S. G. et la réponse des juges sont dûment consignées aux régîtres de la Cour Supérieure.

Cette réponse des juges était clairement la seule qu’ils pussent faire. Quand des juges, après examen d’une loi et pour l’appliquer, ont approuvé une formule qui en exprime parfaitement et la lettre et l’esprit, comment viendraient-ils discuter avec un individu quelconque — aux yeux de la loi ou des Cours, l’Évêque est un individu comme les autres, n’ayant ni moins ni plus de droits qu’eux — comment, dis-je, viendraient-ils discuter avec un individu pour le convaincre que c’est lui et non pas eux, les juges, qui ne comprend pas la loi, qui lui donne une interprétation factice ou absurde, et qui réclame des choses inadmissibles ? Dans les affaires ordinaires, après les plaidoyers respectifs, la Cour décide, mais ne discute pas avec les parties. Et dans le cas qui nous occupe, celui d’une loi exceptionnelle qu’il a fallu passer pour mettre fin à une usurpation de l’Évèque et pour régulariser la position de nombreuses familles dont cette usurpation compromet gravement les droits ; quand les juges ont donné leur interprétation de la loi à l’officier chargé de l’exécuter, c’est faire preuve d’une grande audace dans ses prétentions que de venir affirmer aux juges qu’ils n’ont pas compris la loi et lui font dire ce qu’elle ne dit pas. Si les juges avaient pu discuter avec Mgr de Montréal, ils lui auraient fait passer un très mauvais quart d’heure en lui indiquant les prodigieuses méprises dans lesquelles il est tombé. Ils auraient pu lui rappeler que les juges n’ont pas de leçon à recevoir des Évêques ; que ce sont au contraire les Évêques qui ont besoin de leçons quand ils ne veulent pas obéir à la loi. Et quand un Évêque veut mettre la loi de côté, il faut bien lui remettre dans l’esprit l’idée que c’est la loi qui est souveraine et non les Évêques. Que la Législature décide que c’est le droit canon qui est la loi du pays, alors les juges seront bien forcés de décider d’après le droit canon, mais il est assez probable que nous attendrons longtemps ce bienheureux état de choses. Car il existe en Canada quelque laïcs qui connaissent assez de droit canon pour montrer les nombreuses contradictions dont il fourmille et qui pourraient citer bien des décisions qu’on y trouve qui feraient honte même à ses admirateurs. Que la même chose puisse se dire des codes laïcs, c’est incontestable, mais les laïcs ne se prétendent pas infaillibles, pendant que l’on nous présente le droit canon comme la règle certaine des devoirs.

Je voudrais pouvoir faire ressortir tout ce que la requête de S. G. comporte de prétentions insoutenables et de projets subversifs de tout notre système légal. Je suis forcé par le temps et l’espace de passer sous silence nombre de considérations importantes sur lesquelles il me faudra revenir dans une autre occasion. Mais les lecteurs qui ont un peu d’expérience ont dû voir que S. G. ne vise à rien moins qu’à amener peu à peu l’état à se faire l’humble serviteur du Clergé et à modifier d’année en année suivant le bon plaisir de l’Évêque, son droit civil et statutaire. Ce qui forme le côté le plus saillant de ce remarquable document, c’est d’abord le peu de compréhension des sujets qui y sont traités, et puis la fausseté des analogies, la plus singulière confusion d’idées, le raisonnement presque toujours illogique, les méprises prodigieuses que son auteur commet en confondant le droit commun du pays avec les statuts exceptionnels qu’ont nécessités les violations par l’Évêque de ce même droit commun, le parti pris le plus étonnant de donner aux mots et aux choses une signification qu’ils ne comportent pas, et enfin des assertions d’une inexactitude révoltante. Tout cela forme un ensemble d’erreur qu’il ne nous est pas souvent donné d’observer.

S. G. commence par informer les juges qu’Elle vient accomplir un pénible mais rigoureux devoir !… Ces mots à effet conviennent sans doute à une certaine classe de lecteurs, mais quel est le fait réel ? C’est que S. G. prépare silencieusement depuis bien des années l’accomplissement de ce rigoureux devoir, qui semble, d’après ce qu’elle dit, lui incomber inopinément, et qui consiste tout simplement à bouleverser toute notre législation pour le bon plaisir de l’église. Si c’est un rigoureux devoir pour un Évêque d’opérer une révolution dans notre législation, ne serait-ce pas aussi peut-être un rigoureux devoir pour l’État d’empêcher cette révolution, et pour les juges de maintenir la suprématie de la loi ? On peut sans doute m’adresser là dessus des phrases ronflantes à n’en plus finir accompagnées d’anathèmes, mais je montrerai facilement par des faits sans nombre, où nous mènerait l’adoption des prétentions de l’Église. On l’a mise partout à la raison du 14me au 18me siècle, et cela chez les gouvernements les plus catholiques comme chez les autres, et ce n’est pas au 19me siècle qu’elle peut sérieusement espérer reprendre le terrain qu’elle méritait de perdre par les effrayants abus qu’elle introduisait partout. Le tableau de ces abus, pris dans des auteurs ecclésiastiques et jusque dans les ordonnances des conciles, surprendrait beaucoup ceux qui croient que l’ultramontanisme nous dit tout ce qu’il sait.

Vient ensuite une longue dissertation sur ce que l’on refuse aux curés leur titre. C’est ici que S. G. montre un peu trop son jeu. Elle veut faire reconnaître comme curés des fonctionnaires ecclésiastiques qui ne peuvent être que desservants aux yeux de la loi. Que S. G. fasse ériger civilement ses nouvelles cures, et les juges sauront parfaitement sans qu’elle le leur dise qu’ils ont affaire à des curés. Tant qu’elle n’aura que des dessertes aux yeux de la loi, les juges ne peuvent voir que des desservants dans ceux que S. G. veut faire appeler des curés.

Si S. G. avait lu un peu attentivement la loi, elle aurait vu que son seul objet est de régulariser des régîtres qui n’ont aucun caractère légal, régîtres qui d’ailleurs n’ont pas été tenus par les curés, mais par des prêtres catholiques dans des églises catholiques autres que curiales aux yeux de la loi ! Or c’est une forte méprise que d’aller demander à des juges d’appeler curés des hommes auxquels la loi prend soin de refuser ce titre pour l’excellente raison que tant que la subdivision paroissiale n’est pas sanctionnée par le pouvoir civil, ce titre ne leur appartient pas aux yeux de la loi tout en étant régulier pour l’Évêque pour les seules fins spirituelles.

Et l’on voudra bien remarquer que la formule donnée est strictement basée sur la loi telle qu’elle est. S. G. tombe donc ici une seconde fois dans la même méprise qu’avec l’Archevêque. Elle prétend que les juges font dire à la loi ce qu’elle ne dit pas, pendant que la vérité est que c’est S. G. qui demande aux juges de trouver dans la loi ce qui n’y est certainement pas ! Quand les méprises d’un Évêque se répètent si souvent, est-on catholiquement tenu de ne jamais leur donner un autre nom ?

— Mais vous traitez mes prêtres comme des commis ou des secrétaires, ajoutes S. G. — Il n’a tenu qu’à S. G. de les faire traiter autrement. Qu’elle obéisse à la loi, et quand ses prêtres auront droit au titre de curé, ni la loi ni les juges ne leur refuseront ce titre. Mais j’admire cette puérilité de venir demander à des juges la reconnaissance d’un titre que l’esprit comme la lettre de la loi ont mis de côté. S. G. a-t-elle vraiment cru, parceque le Nouveau Monde avait traité ces questions comme un aveugle parle des couleurs, qu’il avait réussi à rendre aussi aveugles que lui le gouvernement, la Législature, les Juges, et tous ceux qui ont quelques notions de droit ? Il faut une autre espèce de discussion que celle-là et un autre savoir que celui-là pour faire changer tout le droit d’un pays.

« Mes curés sont désignés comme de simples prêtres » dit avec chagrin S. G. Où sont-ils désignés ainsi ? Dans la loi d’abord, puis dans l’entête approuvée par les juges, qui ne pouvaient sortir des termes de la loi. Et c’est aux juges qui n’ont absolument rien autre chose à faire que d’appliquer la loi telle qu’elle est, que S. G. s’adresse pour obtenir la reconnaissance d’un titre que la loi ne reconnaît pas ! Elle ne commet que la légère méprise de demander à des juges ce que la Législature seule peut faire ! Elle ne fait aucune espèce de différence entre les attributions judiciaires et les attributions législatives ! Ah ! plus que jamais ici, S. G. aurait dû supplier l’ange de St. Raymond de Pennafort de venir lire par dessus son épaule. Mais aussi il est très possible qu’un ange même eût désespéré de faire céder S. G, sur quoique ce soit !

« Mes curés ont l’intérêt des familles dans leurs mains, » dit aussi S. G.

Donc, Mgr, ils sont en conscience, comme V. G. obligés de se conformer à la loi, puisqu’en ne s’y conformant pas, ils compromettent l’intérêt des familles et peuvent en ruiner un grand nombre. V. G. seule sera moralement responsable des litiges et procès sans nombre qui vont probablement surgir de l’absence de régîtres réguliers de l’état civil pendant plusieurs années dans les subdivisions purement canoniques d’une paroisse civilement érigée. V. G. qui aura ruiné ces familles par sa violation de la loi, les indemnisera-t-elle ? C’est ici, Mgr, que l’on peut dire en toute sûreté : Va-t-en voir s’ils viennent, Jean !  ! Je ne fais aucun doute, quant à moi, que V. G. les traitera comme elle a déjà traité certains parents des individus qui lui ont donné des biens considérables, et comme elle en eût traité certains autres si la loi n’était venue à leur secours en forçant V. G. d’être juste.

Plus loin S. G. affirme carrément que l’ordre des juges « paraît d’autant plus extraordinaire qu’il ne saurait se justifier par la loi qu’il est censé mettre en pratique.

Certes, voilà les juges bien et dument notifiés qu’ils n’ont rien compris à la loi ! Le procédé n’est-il pas un peu raide, même chez un Évêque ? Et quand chaque phrase de cet Évêque contient ou un avancé inexact ou une interprétation risiblement erronée, comment qualifier l’acte d’un pareil dignitaire qui ose s’exprimer ainsi ? Quoi c’est l’homme qui ose dire aux juges qu’ils n’ont pas compris la loi, qui vient montrer par ses propres interprétations qu’il n’en a saisi ni l’esprit ni même la lettre !  ! S. G. veut absolument voir ce qui n’est pas dans la loi, se refuse absolument à voir ce qui s’y trouve sans doute possible, et puis Elle vient faire la leçon à ceux qui sont chargés de régulariser ses actes extra légaux ! Ah ! S. G. méritait richement une leçon bien autrement sévère que celle qu’elle a reçue !

S. G. n’a donc pas vu que la loi qu’elle discute est une loi exceptionnelle passée seulement pour couvrir sa désobéissance à la loi générale ; qu’elle n’avait aucunement pour objet de régler la tenue des régîtres de l’État civil par les Curés (car cela est réglé depuis longtemps, et elle le sait) mais uniquement de donner le caractère légal à des régîtres privés de ce caractère parcequ’ils ont été tenus en dehors des dispositions de la loi par des prêtres qui ne sont pas curés puisque les églises qu’ils administrent ne sont pas civilement reconnues comme paroisses, et qu’ils ne montrent pas à leur face les formes légales que la loi exige.

S. G. a fait démontrer à sa manière dans le Nouveau Monde que l’Église ne devrait pas être soumise à cette reconnaissance civile, et a fait parler de droit gallican, d’hérésie, etc., etc., etc., mais même si S. G. avait raison dans ce point de vue, ce n’est pas en rusant avec la loi qu’elle la changera, mais en demandant à l’autorité compétente de la modifier. Mais voilà précisément l’un des points où ses amis qui ont vécu de son influence n’oseront pas la soutenir ; et cela pour l’excellente raison que l’état ne peut pas se suicider en se subordonnant à l’église.

En lisant la loi que S. G. discute avec si peu de bonheur, il saute aux yeux que cette loi n’a parlé que d’églises non-curiales ou extra-paroissiales. La chose est si évidente qu’il n’est réellement pas admissible que S. G. ne l’ait pas vue. Cette loi ne parle que d’églises, chapelles particulière ou missions, et cela en rapport direct avec le fait que certains régîtres n’ont pas été authentiqués de la manière requise par la loi ; donc il ne peut pas s’agir d’églises paroissiales dont aucune en Canada n’est dans le cas récité dans la loi. La loi ne parle pas non plus de curés, mais de prêtres autorisés à faire des baptêmes, mariages et obsèques dans aucune église, chapelle particulière ou mission. Il est donc évident per se que la loi n’a trait qu’à des régîtres irrégulièrement tenus, à la légalisation desquels elle dit qu’il est nécessaire de pourvoir. Et elle va jusqu’à expliquer nettement qu’elle n’aura d’autre effet que celle de légaliser les régîtres tenus dans les cas prévus — nécessairement les cas exceptionnels pour lesquels elle est faite — et qu’elle ne pourra comporter d’autres conséquences, ni affecter en rien au-delà de son objet direct la position civile actuelle des paroisses déjà existantes. Qu’y a t-il de plus clair ? Il n’y a pas deux interprétations possibles ! Serait-ce donc là la raison qui a fait tomber S. G. sur une interprétation impossible ? Elle est dans une erreur qui fait peine chez un homme de sa position, et c’est justement quand elle ne saisit pas le moins du monde le sens de la loi qu’elle vient faire la leçon à ceux qui ont l’habitude d’interpréter les lois et qui ont parfaitement compris celle-ci !

Eh bien, voilà l’homme qui, depuis trente ans qu’il est Évêque a commis vingt erreurs aussi pénibles pour ses amis, aussi risibles pour ses adversaires, et qui n’a jamais consenti à dire qu’il se fût trompé ! Souvent irréfléchi dans ses actes, toujours arbitraire dans ses décisions, poussant l’opiniâtreté jusqu’aux limites du possible, il n’a jamais voulu reconnaître un tort ! Et quand la Législature pousse la condescendance jusqu’à régulariser ses actes illégaux au lieu de le laisser se débattre comme il pourrait devant les tribunaux avec ceux dont il a gravement compromis la fortune et les droits, il vient encore faire du parlage et de la petite ruse pour obtenir des juges ce que la Législature lui a refusé : la reconnaissance comme curés de prêtres administrant des paroisses non érigées civilement !  !

Et qu’y a-t-il réellement au fond de tout cela ? Rien autre chose que l’idée ultramontaine aussi arrogante qu’aveugle de la suprématie ecclésiastique en tout et partout ! Mais si le Clergé obtenait la reconnaissance de cette suprématie, avec ses habitudes séculaires de justice envers les laïcs, il n’y aurait plus moyen de vivre dans un pays ! L’arbitraire se substituerait partout à la loi ; la condamnation des absents parceque c’est un ecclésiastique qui accuse, redeviendrait comme autrefois de pratique journalière ; et les laïcs retomberaient sous le régime de l’excommunication pour oser prendre leurs récoltes sur le champ avant que le Curé ne fût allé choisir ses gerbes !  !

Non ! cette inconvenante remontrance de l’Évêque aux juges, qui n’ont pas à discuter la loi mais à l’appliquer selon sa forme et teneur ; cette persistance à combattre une loi passée par complaisance pour l’excuser d’avoir violé les prescriptions de la loi générale ; ce parti pris de tenir tête au pouvoir civil quand il a la condescendance de ne pas sévir comme il le devrait ; tout cela montre combien il serait dangereux de ne pas limiter sévèrement les pouvoirs d’hommes qui ne reconnaissent aucun droit hors des prescriptions de l’église, prescriptions qui souvent violent autant le droit naturel que le droit public ou le droit civil ! Tout cela montre quel peu de cas font les ecclésiastiques de la loi civile ; combien ils méprisent de fait le pouvoir civil, et combien ils sont tenaces quand il s’agit de leur suprématie sur le temporel. L’Évêque jette le défi à la loi, se met au dessus d’elle ou agit comme si elle n’existait pas, et quand la Législature est obligée de régulariser sa position, il ose encore faire la leçon aux juges qui appliquent la loi dans son vrai sens ! Voilà ce que l’état gagne à faire des concessions à ces Messieurs. Donnez leur un pied, ils en prendront dix, et si vous leur refusez l’onzième, ils crieront à la persécution !  ! L’état doit donc dire à S. G. ce que St. Louis disait à ses Évêques : « Quoi ! si les Évêques font tort à un laïc, vous ne voulez pas que mes juges interviennent !  ! » Et on ne niera pas ceci : que St. Louis valait bien mieux que les Évêques auxquels il donnait cette leçon. Si on veut des détails intéressants sur les Évêques de ce temps, j’en donnerai plus qu’on n’en voudra.

Vient ensuite le remarquable enfantillage d’informer les juges « que les lettres d’institution des curés des paroisses canoniques leur confèrent des titres en vertu desquels seuls ils peuvent tenir des régîtres ; qu’ils ne pourraient plus les tenir si ces titres leur étaient ôtés… que cela équivaudrait à séparer chez le juge le titre de juge et le droit de juger, etc, etc.

Eh bien, tout cela est du dernier ineffable, car aucun de ces raisonnements n’a la moindre raison d’être. S. G. vient soutenir que ses prêtres ne pourront pas tenir des régîtres si on leur refuse le titre de curé, précisément en discutant une loi passée tout exprès pour permettre aux prêtres qui ne sont pas reconnus civilement comme curés de tenir des régîtres ! La loi vient dire à l’Évêque : « Pour réparer votre faute, j’autorise vos prêtres que je ne reconnais pas comme curés, à tenir des régîtres. » La chose est là, clairement exprimée ! Les mots ne peuvent pas comporter un autre sens ! Et S. G. ne le voit pas ? Allons donc ! Elle le voit comme nous ! Mais ici comme à Rome d’après ses propres collègues, elle cherche des faux fuyants pour ne pas se soumettre. J’ai donc eu raison de dire qu’elle ne voit jamais que ce qu’elle veut voir ! Voilà l’illustration claire et complète de sa sincérité !

Mais il y a si longtemps qu’Elle a l’habitude de l’arbitraire ; qu’elle n’écoute jamais aucune représentation ; qu’elle n’admet jamais la moindre discussion de ses idées, que quand elle se trouve en présence de la Législature et des juges, elle conserve exactement les mêmes habitudes de discussion qu’elle a depuis longtemps consacrées quand elle a affaire à ces marguilliers de paroisse qui s’imaginent que quand un Évêque a parlé sa fabrique n’a plus aucun droit.

Eh bien, il est temps que les ecclésiastique se mettent dans l’idée que la loi est au dessus d’eux ! Ils est temps qu’ils renoncent à cette extravagante prétention ultramontaine qu’une loi qui punit un ecclésiastique coupable de crime, ou qui exige du Clergé une redevance, ou qui règle l’état civil laissé entre les mains du Clergé, est nulle de plein droit et ne les oblige en rien ! Il est temps que ces Messieurs comprennent que nous ne sommes plus au 13me siècle où leur volonté arbitraire seule faisait la loi ! Certes ! nous voilà loin du temps où St. Grégoire le Grand rappelait aux moines de Palerme qu’ils étaient obligés de payer l’impôt parceque les chrétiens devaient moins que tout autre faire tort à personne. Lequel des deux papes s’est trompé sur cette question de l’impôt sur les ecclésiastiques ? St. Grégoire le Grand ou Boniface VIII dont on a dit de si effroyables choses au Concile œcuménique de Vienne ? Et faut-il aussi rappeler à S. G. que St. Jean Chrysostôme informait les fidèles qu’il fallait se soumettre à la puissance civile, et que quand bien même il s’agirait d’un apôtre, son obéissance lui était commandée de Dieu puisque la puissance civile est de Dieu ? Je sais bien que l’ultramontanisme a jeté ces hautes autorités au panier et a mis de côté toute la tradition chrétienne des sept premiers siècles sur la soumission due à l’état ; mais l’opinion de ces deux grands chrétiens n’en vaut pas moins, je pense, celle des falsificateurs de nos jours.

Plus loin S. G. se livre à l’intéressante besogne de fendre des cheveux en quatre, mais on voit au premier mot qu’Elle n’en a pas l’habitude ; aussi se fourvoie-t-elle d’une manière terrible. Elle pose d’abord en principe que la loi qu’Elle épluche si savamment s’adresse à toute la province et s’applique à tous les curés du pays.

Or comme on ne parle dans l’En-tête préparé par le Protonotaires que des obsèques qui se feront dans la paroisse de Montréal, S. G. se permet l’innocente petite gaieté de montrer comment les Juges se sont donné le ridicule de déclarer « que l’église pour laquelle les régîtres seront accordés sera toujours donnée comme étant dans l’enceinte de la paroisse de Montréal quelle que soit la paroisse où elle se trouve. » Et chose horrifiante, S. G. découvre dans ce même En-tête que le curé de N. D. de Montréal ne peut plus paraître comme curé dans l’En-tête des régîtres de sa paroisse !

Les petites gaietés de S. G. sont malheureusement aussi boiteuses que sa logique ; et il faut réellement un grand empire sur soi-même pour conserver son calme quand on lit des appréciations aussi peu sincères, c’est le mot, que celle-là. Y a-t-il une autre paroisse, dans le diocèse de Montréal, où les mêmes circonstances se retrouvent, et où il faille régulariser des régîtres tenus en dépit des prescriptions de la loi ? Non ! il n’y en a pas ! La loi n’a donc d’application pratique que dans la seule paroisse de Montréal où S. G. a commencé a défier la loi et le droit commun du pays.

L’agréable plaisanterie que S. G. se permet à l’adresse de la Législature et des Juges a pu lui paraître miraculeusement tranchante, mais il est une chose certaine, c’est que les seules méprises plaisantes à voir se trouvent chez Elle. Car venir prétendre qu’un En-tête de régîtres appliquant une loi purement d’occasion que la Législature explique au long ne pouvoir produire aucun effet quelconque sur les paroisses régulièrement organisées civilement va empêcher le curé de Montréal de continuer de prendre le titre de Curé dans l’En-tête des régîtres qu’il tient, c’est non seulement se moquer du sens commun, mais forcer ceux qui combattent S. G. de la supplier, pour le soin de sa propre réputation, de faire traiter par ceux qui les comprennent les questions qu’Elle soulève sans voir ce que tout le monde y apperçoit clairement, et en y trouvant au contraire ce que personne absolument n’y peut voir.

Mais il y a encore plus que cela, S. G. prétend que comme Elle a le droit de tenir des régîtres à sa cathédrale, son titre d’Évêque, d’après cet En-tête, devra disparaître aussi de l’En-tête de ses propres régîtres comme celui de ses curés. Ici plus que jamais S. G. ne veut pas voir ce qui lui crève les yeux. En vertu de quoi S. G. tient elle des régîtres ? En vertu d’une loi passée tout exprès pour l’y autoriser. L’En-tête préparé par le Protonotaire ne peut donc en aucune manière affecter la loi spéciale passée pour S. G. d’autant plus que la dernière loi même explique qu’elle ne peut avoir d’autre effet que celui qui y est explicitement défini. S. G. pouvait-Elle ignorer que la loi qui l’autorise a tenir des régîtres n’était nullement affectée par celle dont Elle se plaint ? Certainement non ! Il n’y a donc pas la bonne foi ordinaire dans son affirmation ; ou bien Elle se trompe si malheureusement qu’Elle devrait toujours confier à d’autre le soin de mettre ses idées devant le public. Mais pour dire la vérité il n’est pas admissible que S. G. prenne ainsi pour vrai le contraire de ce que les phrases signifient pour tous les autres ! Quel est donc son but en niant ainsi le sens des mots et des choses ? Ce ne pouvait être de donner le change aux Juges eux-mêmes sur le sens de la loi. Quel est donc son but, car il y en a un ?

Eh bien, ce but, le voici. Ne pouvant l’emporter sur la loi, Elle a fait une dernière protestation sous forme de requête appelée respectueuse quoi qu’elle ne le soit que dans les mots, et avec cette protestation, Elle crée un certain malaise dans l’esprit public en faisant concevoir des doutes sur l’action des tribunaux ; Elle crée chez la masse ignorante, source principale de sa force sociale, l’idée qu’Elle est maltraitée parcequ’Elle défend les droit de l’Église. Elle sait que cette masse ignorante a une confiance implicite en Elle tant pour son caractère d’Évêque que pour l’austérité bien connue de sa vie, et elle se sert de cette ignorance comme d’un point stratégique d’où Elle peut longtemps encore défier le pouvoir civil et la loi ! Les hommes instruits voient bien que dans cette inconvenante remontrance aux Juges, Elle défigure le sens de chaque phrase de la loi et donne à l’En-tête des régîtres irréguliers une portée qu’il ne peut avoir ; mais la masse ignorante ne verra pas cela pour l’excellente raison qu’elle ne lira rien, et qu’elle jugera la question sur le seul fait de la résistance de Monseigneur qui, à ses yeux, ne peut évidemment combattre la loi que parceque la loi offense l’Église.

Voilà le pouvoir contre lequel tous les peuples ont dû lutter pendant des siècles, et les tactiques contre lesquelles bien des gouvernements sont venus se briser avant que l’Église n’eût été refoulée dans sa sphère. Elle fait aujourd’hui un suprême et dernier effort pour reprendre ce qu’elle a perdu, mais les gens sensés voient cela sans beaucoup d’alarme, car sur la question de sa suprématie sur le temporel elle est définitivement vaincue, et cela dans les pays les plus catholiques.

Mais nous voici au point qui tient le plus au cœur de S. G. Elle se plaint de ce que l’on a refusé, au Greffe, de communiquer l’En-tête que l’on se propose de placer sur les régîtres. « Cela est inouï, dit-Elle. Quoi donc ! un curé n’aura pas le droit de connaître d’avance ce qui est inscrit dans un livre dont il aura la responsabilité… »

Seraient-ce donc les curés qui veulent absolument connaître l’En-tête des régîtres ? Pourquoi donc ne l’ont-ils pas demandé quand ils ont laissé leurs régîtres pour l’année courante au bureau du Protonotaire ? Pourquoi donc ont-ils remporté leurs régîtres une fois légalisés sans souffler mot ? Qui donc veut absolument connaître cet En-tête ? S. G. évidemment ! Pourquoi donc S. G. parle-t-elle des curés ? Pourquoi donc ne pas dire les choses telles qu’elles sont ? Pourquoi donc toujours des détours au lieu de parler franc et net comme les autres ? La raison en est bien simple : c’est parce que Sa Grandeur veut obtenir ce qu’Elle ne veut pas dire. Elle voudrait que le pouvoir civil ne se mêlât pas du tout des régîtres de l’état civil parce que c’est le Clergé qui les tient ; mais elle n’ose pas encore formuler sa prétention en toutes lettres. De là des phrases ambiguës, entortillées, et des interprétations hazardées, forcées, inadmissibles ou ridicules pour arriver sans qu’on l’apperçoive au point vers lequel Elle s’avance en se découvrant le moins possible. Si S. G. disait ce qu’Elle pense, voici ce qu’Elle aurait écrit au pouvoir civil : « Je veux connaître l’En-tête que vous mettrez aux régîtres parceque, comme Évêque, je représente l’Église qui a un contrôle absolu sur l’État, et que nos régîtres étant tenus en vertu d’une ordonnance du Concile de Trente, vous n’avez pas le droit d’en prescrire la forme. Et songez bien qu’il y a excommunication ipso facto contre ceux qui entravent directement ou indirectement la juridiction ecclésiastique. Je puis donc, vous déclarer excommuniés quand il me plaira ! »

Voilà comme les Évêques parlaient au 13me siècle ; mais dans les temps calamiteux où nous sommes, ce beau style n’est plus de mise. Il éclairerait trop même la classe ignorante sur les prétentions ultramontaines. Mieux vaut donc regarder à gauche quand on veut aller à droite et tâcher toujours d’obtenir ce que l’on veut en paraissant demander autre chose.

Pour expliquer sa demande de leur communiquer l’En-tête des régîtres, S. G. argue de la responsabilité des curés. De quoi donc sont-ils responsables ? De la forme légale du régître ? Pas le moins du monde ! Le protonotaire seul est responsable de la légalisation du régître. Le prêtre qui le tient n’est responsable que de son exactitude matérielle ; entrer régulièrement tous les actes de naissances, etc., etc., et les noms des personnes, etc. Si le Protonotaire ne légalisait pas le régître de la manière voulue par la loi, serait-ce le curé qui pourrait être puni ? Certainement non. Donc le prêtre ou curé n’a aucunement besoin de connaître l’En-tête légal puisque cette partie du régître ni le concerne en rien. Donc l’État n’est pas le moins du monde tenu moralement de le communiquer à l’Évêque, et celui-ci ne tient si fort à ce qu’on le lui communique que pour essayer de surprendre à l’État une formule qui rencontre ses vues, c’est-à-dire qui lui donne en tout ou en partie ce que l’État lui refuse. L’Évêque ne tient donc si fort à voir l’En-tête que pour empiéter sur un domaine qui n’est pas le sien. Et dans le cas particulier qui nous occupe, il se sert évidemment de la question des régîtres pour faire passer ses curés, et en même temps du titre de ses curés pour maintenir son point de vue de la question des régîtres, le tout se résumant dans une résistance formelle à l’autorité civile.

Puisque ces régîtres sont à toutes fins que de droit « les régîtres de l’état civil, » tenus sans doute par le Clergé pour l’État, mais pour être déposés dans les Greffes des Cours de Justice pour constater l’état civil des personnes, il semble que la légalisation de ces documents est le seul partage de l’État qui peut adopter telle formule que bon lui semble. Voilà ce que le bon sens dit. Mais l’ultramontanisme le prend sur un tout autre ton. Écoutons-le un peu. « Que venez-vous nous chanter avec vos régîtres de l’État civil ? Nous ne tenons pas de tels régîtres ! Si vous en voulez, tenez les vous-mêmes. D’ailleurs vous appelez régîtres des naissances, mariages et obsèques, ceux que nous tenons sous le titre : régîtres des baptêmes, mariages et sépultures ! Arrière, impies, avec la tournure laïque que vous donnez aux chose saintes ! C’est pour obéir au Concile de Trente que nous tenons nos régîtres ! Et pour vous rendre service, à vous État, nous en tenons un double que nous vous passons ; mais ne venez pas prétendre que nous soyons officiers de l’État civil ! Nous, officiers civils ! Horreur ! Nous commandons au civil ! Nous sommes maîtres et non serviteurs de l’État civil puisque l’État nous est subordonné en tout ! »

Voilà les aménités ultramontaines que certaine école nous débitait à mots très peu couverts il y a quelques mois. Et tout cela se dit sous l’admirable prétexte de devoir de conscience quand il ne s’agit absolument que domination sur l’État.

Eh bien, il est bon de rappeler à S. G. une chose qu’Elle perd beaucoup trop de vue : c’est que quand la loi a été forcée d’intervenir pour corriger une illégalité commise par un Évêque qui compromet l’État civil des citoyens ; quand une fois elle a parlé, et chargé ses officiers d’exécuter ses dispositions relatives à l’ordre public, et que ceux-ci obéissent à la loi après consultation sérieuse avec les Juges, qui sont chargés d’interpréter les lois ; il est souverainement déplacé, chez un Évêque comme chez tout autre, d’exiger qu’on lui soumette la formule qu’il a fallu adopter pour régulariser l’acte extralégal que la loi lui reproche. Ce n’est pas à celui qui s’est volontairement mis en faute et a jeté en toute préméditation le défi à la loi à contrôler la rédaction du document qui doit réparer sa faute. On aimerait savoir de quel droit celui que la loi corrige peut exiger qu’on lui soumette la formule de correction de sa faute pour qu’il voie si elle lui convient ou non ! Autant vaudrait que le Juge soumît sa sentence à la partie ! Un laïc qui demanderait ces choses provoquerait le rire universel ! Vont-elles devenir raisonnables et sensées par cela seul que c’est un Évêque qui s’entête contre la loi de son pays !

Mais puisque l’état éprouve tant de difficultés, tant de résistance au sens commun, tant d’arrogance dans les prétentions, de la part du corps qui est chargé de la tenue des régîtres de l’état civil, pourquoi donc n’organise-t-il pas l’état civil de manière à le rendre absolument indépendant du Clergé ? Tout le monde y gagnerait. L’état n’aurait plus d’officiers insubordonnés qui se moquent de ses ordonnances, et qui lui disent tout crûment qu’ils ne doivent obéir qu’au pape et pas le moins du monde à la loi ; le Clergé y gagnerait de n’être pas toujours en lutte contre l’autorité, contre son devoir comme partie intégrante de la nation, et souvent contre le plus simple bon sens ; et les citoyens y gagneraient aussi de ne plus être tyrannisés à tout bout de champ par des hommes plus zélés qu’éclairés, et qui mettent journellement de côté leurs devoirs d’officiers de l’état civil pour maltraiter des gens qui ne le méritent pas. On sait combien le prêtre devient implacable contre ceux qui lui opposent la moindre résistance, et combien il a la colère plus facile que tous les autres. J’ai déjà cité, dans mes remarques sur l’affaire Guibord, plusieurs exemples des odieuses tyrannies exercés par des curés arrogants (et quelquefois coupables de monstruosités, je l’ai appris depuis) contre des paroissiens paisibles et respectables, depuis le refus de parrains qui avaient voté pour un candidat libéral jusqu’à la menace de refuser le baptême aux enfants des libéraux, et au refus formel d’enterrer dans le cimetière un homme que le curé avait refusé d’aller voir à son lit de mort quoique prié à plusieurs reprises de le faire — infamie qui aurait dû le faire interdire s’il y avait une justice ecclésiastique qui méritât ce nom[2] mais il est clair que tant que l’État aura peur du Clergé ces criants abus subsisteront. Quand le Clergé croit qu’on a peur de lui, rien n’égale son arrogance. Mais quand il sent qu’il a affaire a des hommes d’énergie il change complètement de ton et d’allures et se réfugie dans la plus savante diplomatie, ce qui ne veut pas dire la plus sincère. Il ne faut pas l’avoir suivi beaucoup pour savoir cela.

Mais que l’on parle d’ôter l’état civil à ces Messieurs, ils vont crier à l’impiété et au danger de la religion ! Tout ce qui leur ôte un moyen de contrôle sur une population est l’abomination de la désolation. « Nous sommes maîtres du terrain, profitons-en, » disait Mgr de Montréal dans une circulaire secrète au Clergé, que j’ai sous les yeux. Avis au peuple et à ceux qui devraient le protéger contre l’envahissement ultramontain.

S. G termine ce qu’elle appelle sa requête, et ce que j’appellerai, moi, son manifeste de résistance au pouvoir civil, en arguant de la liberté religieuse. Le mot est assez singulièrement appliqué puisqu’il s’agit tout simplement de la légalisation des régîtres de l’état civil ; mais, prenons le tel que prononcé. Eh bien, je serais très heureux d’entendre le soldat dévoué de l’ultramontanisme invoquer la liberté religieuse si cette invocation était sincère, mais comment la croire telle quand on sait que S. G. voudrait pouvoir la refuser aux autres ? S. G. réclame ici pour elle-même ce qu’elle est forcée par devoir, (devoir malentendu, va sans dire) de dénier péremptoirement à tous autres que les catholiques. L’encyclique Mirari vos, de Grégoire XVI, déclare la liberté religieuse un délire !

— Mais le délire, me dira S. G. consiste à accorder la liberté religieuse à ceux qui ne sont pas catholiques.

— Précisément ! Donc S. G. réclame ce qu’elle ne peut ni ne veut accorder à autrui. Elle ne reconnaît pas aux autres ce droit sacré qu’elle réclame pour elle même. Comment concilie-t-elle cette justice pratique avec ce grand précepte de morale évangélique, tombé de la bouche même du Christ, et qui s’impose avec autant de force à la conscience qu’à la raison et au sens de justice inné au cœur de chaque homme : « Ne faites pas à autrui ce que vous ne voulez pas qu’on vous fasse à vous même. Autrui signifie-t-il seulement les catholiques, ou tout le genre humain ! Nécessairement le genre humain. Voilà donc une encyclique qui contredit l’un des plus grands préceptes évangéliques. Voilà donc le vicaire du Christ en contradiction palpable avec son maître ! Quel précepte devons-nous suivre ? Celui de Grégoire XVI ou celui de Jésus-Christ ?

Si la liberté religieuse est un délire, il devient évident que les catholiques seuls ont des droits que l’on soit tenu de respecter ; et que ni le protestant, ni le grec schismatique, ni le juif, ni le musulman, ni le payen ne possèdent un droit qui s’impose aux autres hommes. Il y aurait donc onze cent millions d’hommes en ce monde qui n’ont aucun droit que le catholique soit tenu de respecter. Ces onze cent millions d’hommes sont pourtant autant de créatures de Dieu ; mais d’après le droit ultramontain, nous avons le droit de leur faire ce que nous ne voudrions pas que l’on nous fit à nous-mêmes !

Voilà les notions de justice et de conscience qu’en plein dix neuvième siècle l’ultramontanisme essaie encore d’inculquer au monde ! Aimez le prochain comme vous-même. Cela veut-il dire : Faites-lui ce que vous ne voulez pas qu’on vous fasse ? Comment S. G. ose-t-elle donc demander ce qu’elle se croit obligée de refuser aux autres ? On peut donc lui dire en toute sûreté qu’elle est l’homme de la lettre, mais certainement pas l’homme de l’esprit. « Vous ne savez pas à quel esprit vous appartenez ! ! Conséquence logique : Ne demandons pas ce que nous ne voulons pas concéder aux autres.

S. G. méritait donc une leçon, qu’elle a reçue sans doute, mais aussi adoucie que possible. Mais comprend-elle cette leçon ? Maintenant que les juges lui ont signifié que sa requête ne pouvait être admise, va-t-elle au moins se soumettre ? La Législature a parlé, les juges ont interprété la loi, cela ne devrait-il pas clore le débat ? Cela clôt tous les débats avec les laïcs. Mais est-ce que les ecclésiastiques sont obligés d’obéir à la Législature et aux tribunaux ? Est ce que l’Église peut céder ? Est-ce que les Papes n’ont pas excommunié les ecclésiastiques qui reconnaîtraient n’importe quelle juridiction civile ?

— Vous voudriez donc, me diront les arrogants, que l’Église cède sur les choses qui tiennent à la religion ? »

— Ah ! la tenue des régîtres de l’état civil en la manière et forme prescrites par la loi est chose de religion sur laquelle l’Église a droit de commander à l’état ! Ah ! Pharisiens !

S. G. a donc signifié très clairement aux juges qu’elle ne céderait pas. Voyez plutôt. « Si cet ordre est maintenu, dit S. G. l’acte concernant les régîtres peut devenir lettre morte… Voilà la tournure de phrase que S. G. adopte pour bien avertir les juges qu’elle leur résiste décidément. Elle n’a pas osé dire, à cause de la masse ignorante qui s’en serait scandalisée malgré tout : « Votre ordre, j’en ferai une lettre morte parceque je me moque de la Législature et des tribunaux ; » mais si elle ne l’a pas dit, elle le fait, car elle n’a pas encore transmis les régîtres irréguliers pour authentification. Elle devait au moins le faire après la décision des juges, sinon après la lettre du Protonotaire. Il y a donc plus de trois mois qu’elle maintient contre la Législature et les juges le défi qu’elle a jeté à la loi. Sa phrase que l’acte peut devenir une lettre morte, signifiait donc dans son esprit : « Je ne bougerai pas quoique vous fassiez. » C’est le plus sûr soutien de l’ordre dans l’état qui parle ainsi à l’état ! La loi et les tribunaux sont donc moins que rien pour les ecclésiastiques.

S. G. résiste donc carrément à loi et aux tribunaux. Mais il fallait colorer sa résistance, et comment s’y prend elle ? Voyons un peu à quel renversement des faits et de toute franchise elle a recours pour expliquer cette résistance. Elle continue donc : … « et les catholiques recourront comme ils viennent de le faire à la Législature pour lui demander une nouvelle loi qui pourvoie plus efficacement à l’état de souffrance dans lequel les aura jetés l’ordre en question. »

Ainsi ce n’est pas S. G, qui tient des régîtres illégaux depuis quatre ans, qui cause un état de souffrance ; ce sont les juges au contraire qui le causent en exécutant la loi ! Ce n’est pas S. G. qui a compromis les fortunes privées par ses registres illégaux ; ce sont bel et bien les juges qui régularisent ces régîtres ! Eh bien, je le demande à tous les hommes francs et honnêtes ; comment qualifier comme elle le mérite cette audacieuse perversion des faits ? Comment s’amener à croire qu’un Évêque puisse les pervertir ainsi de sang froid ? S’il ne comprend pas la question, pourquoi parle t-il ? Et s’il a la pleine intelligence de ce qu’il ose dire ; alors… le mot propre pour définir son acte serait si gros qu’il me faut renoncer à l’employer.

Voici donc la loyale logique de S. G. « L’état de souffrance n’est pas causée par mon acte illégal, mais seulement par votre acte de légalisation. » J’ai fait du bien moi, par l’acte qu’il faut corriger ; c’est vous, juges, qui faites du mal en corrigeant un acte qui compromettait les fortunes individuelles. » Autant vaut donc dire : « ce n’est pas la blessure qui cause le désordre de la santé, c’est le remède : » « ce n’est pas celui qui vous loge une balle dans l’épaule qui attente à votre vie, c’est le médecin qui vient l’extraire !  ! »

Eh bien, voilà la logique et le sens des affaires qui ont présidé depuis trente ans à l’administration de ce grand Diocèse ! Et impies étaient ceux qui osaient trouver en défaut ce logicien exceptionnel :

Mais ce n’est pas tout encore. Non-seulement S. G. n’avoue jamais qu’elle a pu se tromper, mais quelqu’évidents que soient ses torts ou ses erreurs, il faut encore faire croire que ce sont les autres qui se sont trompés ! « J’ai tort, c’est vrai, mais que deviendrait la religion si la masse qui fait ma force croyait que c’est moi qui me trompe ? Je vais donc lui dire que c’est vous qui avez tort quoique vous ayiez clairement raison en loi, et que c’est moi qui ai raison quoique la loi me condamne. » Voilà comme S. G. applique religieusement le précepte : « Faites aux autres ce que vous désirez qu’ils vous fassent. »

« Cet ordre, dit S. G. est donc propre à compliquer les difficultés qui ont existé jusqu’ici, et les intentions des Législateurs vont se trouver frustrées par un tel ordre…

L’ordre des juges va compliquer les difficultés. Comment peut-il les compliquer quand il n’y avait au contraire pas d’autre moyen de les applanir ? Pourquoi y a-t-il des difficultés ? Parceque S. G. a tenu des régîtres qui n’ont aucune authenticité légale. C’est donc S. G. qui a donné naissance aux difficultés. Si l’ordre des juges est exécuté, les difficultés disparaitront-elles ? Certainement oui. Il n’est donc pas vrai qu’il complique les difficultés. Qu’est-ce donc que les complique ? Rien autre chose absolument que la résistance de l’Évêque à ce qu’elle appelle cet ordre. Et c’est l’Évêque qui seul complique les difficultés par sa résistance au tribunal, qui s’en vient placidement dire aux juges : « Voyez vous comme vous compliquez les difficultés ? « Eh bien, il est pénible de le dire, mais je ne pense pas que jamais pareille impertinence se soit encore vue en Canada. Voilà un homme qui a complètement tort et sur le fait qu’il défigure sciemment et sur le droit qu’il outrage impunément parcequ’il est Évêque, et qui ose dire aux juges qui ont certainement raison, et qui sont dans leur rôle et leurs attributions en corrigeant sa faute : « C’est vous qui entravez la loi ! C’est vous seul qui serez cause que les intentions des Législateurs seront frustrées !  ! » Et pourquoi sont elles frustrées à l’heure qu’il est ? Parceque l’Évêque ne veut pas porter ses régîtres pour y faire mettre l’Entête que la loi exige, qui est approuvé par les juges, et qui est absolument conforme à la loi ! Toujours le même système d’odieux travestissement des faits ! Toujours cette aveugle opiniâtreté qui ne recule devant aucune violence à la vérité, à la bonne foi et à la conscience pour ne pas céder ! J’ai tort, et rien ne me fera dire que vous avez raison. » Voilà encore une fois comment le Diocèse est gouverné depuis trente ans.

Qu’est ce que les juges feraient à un officier laïc de l’état civil qui oserait défier ainsi et la loi et le plus simple bon sens, et viendrait dire à un tribunal : « C’est vous qui frustrez l’intention de la loi en l’appliquant ; et c’est moi qui ne la frustre pas en résistant ! On logerait certainement mon homme en prison, pour mépris de Cour, et on le condamnerait probablement à une forte amende pour mettre ainsi en péril les droits individuels et les fortunes des familles. Mais c’est un Évêque qui se moque ouvertement de la Législature et des juges, et on va le laisser braver la loi. L’Évêque est au-dessus de la loi, et si les fortunes privées continuent d’être gravement compromises par son acte, tant pis pour les individus qui seront ruinés parce que la loi n’ose pas s’affirmer comme elle le devrait. Il faudra pourtant tôt ou tard que la suprématie de la loi soit maintenue.

Voilà où nous en sommes pour avoir laissé depuis dix ans le camp ultramontain affirmer arrogamment sa suprématie et la sujétion entière des gouvernements au Syllabus. Cette suprématie n’est basée que sur des faux historiques, des pièces fausses comme la donation de Constantin et les fausses décrétales ; et les journaux religieux, qui ont cru pendant longtemps en être arrivés à faire taire ici toute opinion indépendante, n’ont fait depuis dix ans que tromper le public en lui affirmant constamment comme vraies des choses qu’ils savaient n’être pas vraies. Il était temps que quelqu’un vint démontrer leur mauvaise foi et leur passion de dominer, et je l’ai fait sachant bien à quelles haines et à quelles injures je m’expose.

Heureusement les injures m’affectent peu, et j’ai assez étudié les sujets que je traite pour voir que mes adversaires ou ne les ont pas étudiés, ou les défigurent en toute préméditation quand ils l’ont fait. Je suis prêt à leur montrer cela où, quand et comment ils le voudront. Je n’ai encore fait qu’effleurer le sujet, et je suis loin de les avoir montrés tels que l’histoire vraie les fait.

Non ! tant que le Clergé aura n’importe quelle fonction civile à remplir, il cherchera à l’excéder et à empiéter sur le droit de l’état. L’Église seule nous dit-on, peut déterminer ce qui est son droit. L’état n’aura donc que ce qu’elle voudra bien lui laisser. Et elle couvrira ses plus impardonnables exactions comme ses plus insoutenables immunités d’un prétendu droit divin inventé pour l’occasion. Le Concile de Bamberg, à la fin du 15me siècle, avait déclaré de droit divin l’exemption des ecclésiastiques de payer un sou pour traverser un pont. Le collecteur et le propriétaire étaient excommuniés s’ils réclamaient ce sou. Voilà les hommes qui ont seuls le droit de définir les droits des états et des individus ! Mais ceci est un exemple du 15me siècle, et nos savants défenseurs des bons principes ne manqueront pas de nous affirmer en présence de Dieu qu’il n’en est plus ainsi aujourd’hui. Le droit divin varierait-il donc ? Voyons un peu.

Il y a un canoniste en France que l’on nous qualifie souvent d’illustre. C’est M. l’abbé Maupied, missionnaire apostolique, chanoine honoraire de Reims, docteur en théologie et en droit canonique de l’université romaine, etc., etc. Voilà un homme qui doit connaître le droit divin. C’est lui que l’on citait de préférence à tous autres pendant le procès Guibord pour édifier le droit de l’Église sur la ruine de tous les autres droits ; et l’on sait que quand le Nouveau-Monde a dit : Maupied, c’est comme s’il avait récité la loi et les prophètes.

M. le chanoine Maupied a donc réimprimé en 1861 un pamphlet intitulé : Petit catéchisme pour le temps présent ; et vendait cet opuscule cinquante centimes. « C’est 49 centimes de trop, » disait un mauvais plaisant du jour, mais c’était sûrement un impie ! L’impôt du timbre sur cet intéressant opuscule était de 15 centimes ou trois sous. Et que dit à propos de ces trois sous M. le canoniste Maupied, en tête de cette effusion de son ultramontanisme ? Lisons un peu :

« Afin de ne point encourir l’excommunication majeure, sous laquelle tombent tous les violateurs de la divine liberté et des saintes immunités de l’Église, aussi bien que les ecclésiastiques qui consentent à cette violation ; l’auteur déclare et proteste qu’il ne se soumet à l’impôt du timbre et à la juridiction laïque, pour le présent opuscule, que contraint par la nécessité. »

Donc suivant cet illustre canoniste, on est excommunié pour payer un impôt de trois sous au gouvernement sur un pamphlet ultramontain. Chaque acheteur du pamphlet qui n’a pas eu l’adresse de faire un protêt en l’achetant s’est donc trouvé excommunié sans le savoir ! Et s’il s’est vendu 50,000 exemplaires du pamphlet sans protêt de la part des acheteurs, voilà donc 50,000 excommuniés ! Car celui qui paie pour acheter est clairement aussi excommunié que celui qui paie pour vendre ! Allez donc à présent payer des impôts à un gouvernement sans que l’Église vienne voir si l’impôt est régulier ! Excommunication majeure si vous ne faites pas vos réserves en temps opportun !

Mais voilà donc un illustre canoniste qui nous informe très sérieusement que la divine liberté exige que les ecclésiastiques bien pensants soient exempts de l’impôt du timbre sur les produits de leur génie. Car s’il s’agit d’un de ces affreux gallicans qui forment en ce monde le Sanhédrin de l’enfer, d’après le saint des saints de nos journaux, ce serait clairement une vertu que de tripler l’impôt. D’après le même Maupied, il faut donc croire aussi que les « saintes immunités de l’Église » consistent à rejeter sur les laïcs seuls cet infernal impôt. L’ultramontain dira donc tout ce qu’il lui plaira, et personne ne pourra parler que lui sans payer. Ces gens ne sont-ils pas charmants ? Mais tous les gouvernements sont donc excommuniés puisque le timbre se paie partout sur les livres de piété comme sur les autres ! Car enfin si l’illustre Maupied eût payé ses trois sous sans protêt, il l’eût été du coup ! Or le gouvernement qui a reçu les trois sous était bien autrement coupable puisquil violait le droit divin en forçant le dit Maupied de payer ses trois sous ! Eh bien, voilà les misères auxquelles l’ultramontanisme descend pour fanatiser les masses. C’est un crime de faire payer trois sous à un ecclésiastique ! C’est violer la divine liberté ! Faites donc contrôler la législation d’un pays par ces illustres !  !

Au reste voilà la lutte bien ouverte, bien définie entre le pouvoir ecclésiastique et le pouvoir civil. Le défi est nettement jeté à la loi par l’Évêque de Montréal. Il a très formellement signifié aux juges, quoiqu’en termes un peu couverts, qu’il ne céderait pas, et qu’il tiendrait la Législature en échec jusqu’à ce qu’elle passe un autre loi qui lui convienne ! ! Et la preuve que telle était bien son intention c’est qu’il ne veut pas transmettre les régîtres irréguliers pour les faire régulariser.

Voilà les scandaleuses luttes de l’Archevêque de Fribourg et de l’Archevêque de Turin contre le pouvoir civil transplantées en Canada ! Et comme à ces deux Archevêques, nous verrons peut-être arriver quelque jour un bref du Pape à son cher fils de Montréal pour le féliciter de s’être mis au-dessus des tribunaux et des lois sur une question aussi essentiellement spirituelle que la tenue des régîtres de l’état civil comme la loi le désire !

Mgr de Montréal veut que le Syllabus contrôle ou inspire notre législation ; et maintenant que le Pape est infaillible sur les mœurs, c’est-à-dire sur toutes les questions de l’ordre politique, légal et social, il faut bien que les gouvernements et les législatures, essentiellement faillibles, obéissent au premier signe d’un homme qui ne peut pas se tromper en matière temporelle. Le Pape est donc le maître du monde. Un Pape nous l’a déjà dit d’ailleurs en toutes lettres. Paul IV n’a-t il pas dit Ex cathedrà, — c’est-à-dire parlant au monde comme interprète de la vérité — dans la bulle Cùm ex apostolatûs officio : que le Pape règne avec une puissance absolue sur les peuples et les royaumes ; qu’il juge tout le monde et ne peut être jugé de personne. »

Comprend-on maintenant pourquoi tous les gouvernements catholiques ont prévenu la curie romaine que si l’infaillibilité du Pape était proclamée ils seraient forcés de prendre une attitude nouvelle vis à-vis de ce nouveau maître du monde ? L’infaillibilité sur les mœurs n’a jamais signifié autre chose que la suprématie absolue du Pape sur les peuples et les Rois, sur les législateurs et les gouvernements ; et ceux-ci voyaient parfaitement où l’on en voulait venir. De là leurs protestations et leurs avertissements. Mais la curie n’a rien voulu entendre et a montré son opiniâtreté habituelle. Aussi a-t-elle vu tous les gouvernements se déclarer forcément ses adversaires. Donc il faudra que tôt ou tard elle recule. Cela n’admet pas de doute pour ceux qui ont un peu d’histoire en tête et qui ont pu compter ses reculades par douzaines !  ! Et elle a été bien autre chose qu’opiniâtre.

Avant le Concile, que répondait-on aux Évêques qui s’informaient par lettre si l’on se proposait de proclamer l’infaillibilité ? Que répondait-on à des demandes analogues de la part des gouvernements ? Que l’on n’avait aucune telle intention ; que la Civiltà s’était trompée ; que la Cour de Rome n’était pas responsable de ce qu’un jésuite pouvait écrire…

Et quand on faisait ces réponses, le comité des théologiens avait déjà préparé et voté le schéma sur le nouveau dogme. Mais les Évêques n’en savaient absolument rien, car on avait imposé aux théologiens un serment de silence absolu sur ce que ferait la commission. On affirmait placidement que l’on ne pouvait prédire ce qu’un Concile inspiré par le St. Esprit pourrait faire, mais on ne disait pas que tout était déjà fait et préparé. Personne dans la curie n’avouait, avant le Concile, que le vrai objet de sa convocation fût la proclamation de l’infaillibilité ; mais le 14 Février l’Évêque du Bellay demande au Concile de proclamer l’infaillibilité de suite vu que c’était vraiment là le seul objet de la réunion de l’Église. Cet objet, on le cachait avec le plus grand soin possible avant la réunion. Et quoi qu’il fût parfaitement déterminé dans la pensée du Pape, (ce qu’affirme formellement un théologien dans une réponse à Mgr Dupanloup) le Pape n’en dit pas un mot dans la bulle de convocation du Concile ni dans aucun des autres documents y ayant rapport. Au contraire on tient les Évêques dans l’ignorance du projet aussi longtemps que cela est possible.

Un peu plus tard le cardinal Antonelli répond aux gouvernements que si la théorie de l’infaillibilité leur donnait des inquiétudes, ils pouvait compter que l’on saurait rendre la pratique acceptable ; que l’Église ne pouvait fléchir sur les principes, mais que le Pape, au moyen de concordats et de privilèges spéciaux, satisferait toutes les exigences ; que Sa Sainteté n’entendait pas appliquer le nouvel article de foi au renversement des constitutions et à l’abrogation des lois ; qu’au contraire, Sa sainteté, dans sa bonté, regarderait d’un œil favorable bien des choses introduites dans la pratique sociale par la civilisation et les principes politique du temps.

Il fallait bien de l’aplomb, quand le Pape actuel a si souvent flétri les constitutions et abrogé et déclaré nulles les lois des États avant d’être déclaré infaillible, pour affirmer ainsi qu’il n’entendait pas appliquer le nouvel article de foi aux constitutions ou aux lois des États après qu’il l’aurait été. Mais il y a quelque chose de plus grave. Par là, le cardinal Antonelli informait vraiment les catholiques qu’on pouvait fort bien ne pas appliquer dans la pratique les principes que le Pape et l’Église déclaraient solennellement au monde être des vérités révélées ; que le devoir peut être relatif ou absolu suivant les cas ; que le Pape peut appliquer ou non à son gré la loi divine ; et surtout que l’on peut toujours mettre l’esprit de côté pour ne s’en tenir qu’à la lettre et vice-versa. Ces conséquences ne comporteraient-elles pas de très graves erreurs en morale ?

Voici donc comment on parlait avant le Concile. Et c’est le premier ministre du Pape, membre du Concile, qui faisait toutes ces heureuses distinctions. Mais comment parle-t-on depuis ? Toute la presse religieuse n’affirme-t-elle pas que le moindre mot du Pape est obligatoire pour les gouvernements comme pour les individus ? Et le Jésuite Schrader n’est-il pas venu démontrer au long qu’une fois l’infaillibilité proclamée, toutes les ordonnances, décrets ou décisions des papes devaient être acceptées comme infaillibles ? Il n’est plus même question de la forme Ex cathedrà, sur laquelle il y avait plus de vingt opinions différentes, toutes également probables !

Enfin quelles paroles l’Archevêque de Londres, dans un sermon à Kensington, met-il dans la bouche du Pape ? « Je prétends être le Directeur suprême… de la famille qui se renferme dans le cercle de la vie privée, comme de la législature qui fait les lois du Royaume ! je suis le suprême et seul juge de ce qui est bien et de ce qui est mal. »

Voilà ce que le cardinal Antonelli disait avant, et voilà ce que l’Archevêque de Londres dit après.

Mais il fallait bien, avant, tourner le moins mal possible les obstacles nombreux et formidables que l’on prévoyait. Après, on dit tout ce que l’on pense !  !

Mais gare aux autres qui osent penser ! !

  1. Les passages soulignés l’ont été par moi.
  2. J’ai en mains une partie des papiers relatifs à cette triste affaire, y compris le certificat d’inhumation délivré par le Curé. Les papiers qui ont rapport au fameux tour de passe-passe au moyen duquel on s’est mis en règle quand on a vu que la Législature allait intervenir, sont restés aux mains de l’un des députés du temps. J’ai donné le récit de ce fait de tyrannie cléricale dans mon pamphlet sur « l’affaire Guibord », page 41.