La Guerre de 1870 (E. Ollivier)/14

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La Guerre de 1870 (E. Ollivier)
Revue des Deux Mondes6e période, tome 16 (p. 241-279).
LA GUERRE DE 1870[1]

GRAVELOTTE — SAINT-PRIVAT


I

L’armée française n’était pas surprise. Sous un arbre, dit l’Arbre mort, aux premiers rayons du jour, Le Bœuf, en observant tous les coins de l’horizon, avait aperçu un courant très accentué de troupes marchant de notre gauche à notre droite, et qui paraissaient se diriger sur Saint-Marcel et Vernéville. Il ne douta pas que les Prussiens ne préparassent leur manœuvre habituelle, le mouvement tournant sur une aile et il en donna avis au maréchal par un de ses officiers, Petit du Coupperay. « Le maréchal dort, » répond-on à l’aide de camp. Celui-ci ayant déclaré qu’il ne partirait pas sans avoir vu le maréchal, Bazaine arrive enveloppé d’une robe de chambre, a moitié endormi et il dit : « Dites à Le Bœuf qu’il a une position excellente ; qu’il s’y défende et qu’il ne s’occupe pas du reste. » A huit heures et demie, une reconnaissance de cavalerie avait rapporté à Le Bœuf la confirmation matérielle du mouvement qu’il avait deviné. Immédiatement, il avait envoyé un second avis à Bazaine. Peu après survint de Frossard la même information, à savoir qu’à partir de sept heures et demie, on avait vu un mouvement de troupes ennemies de notre gauche vers notre droite, devant les positions du 3e corps, et qu’à huit heures, ce mouvement prenait plus d’importance. Réponse de Bazaine toujours la même à tous les messagers : « Ce ne sera pas sérieux, vous avez des positions excellentes qu’on ne pourra pas forcer, tenez-vous-y. »

Les Prussiens dérangèrent notre repos, mais ne nous surprirent pas. Ils trouvèrent en éveil le véritable Ladmirault actif, résolu, voyant vite et juste, rapide dans l’exécution. Manstein s’était engagé à fond de train, se servant d’abord de son artillerie et mettant en avant cinquante-quatre pièces, mais il n’avait pas eu soin de les tenir au loin, là où elles ne pouvaient pas être atteintes par nos obus ; il les avait rapprochées à cette distance moyenne où nous pouvions les contrebattre et ne leur avait pas donné un soutien suffisant d’infanterie. Ladmirault lui fit payer cher cette témérité.

Notre mousqueterie vint en aide à nos canons et couvrit l’artillerie ennemie d’une masse de feux d’une intensité toujours croissante. Une batterie de mitrailleuses, débouchant en avant d’Amanvillers et placée à bonne distance, joignit ses feux à ceux de la mousqueterie. L’artillerie allemande fut mise dans une véritable débandade. Ses lignes ne répondaient plus qu’avec peine à la nôtre en position au Sud d’Amanvillers et de Montigny-la-Grange. Les pertes de leurs batteries à cheval étaient si fortes, en hommes comme en attelages, qu’on en était réduit, pour emmener un canon dont six chevaux manquaient, à l’atteler sous le feu même de l’infanterie ennemie derrière une autre pièce. Une de leurs batteries fut anéantie, les autres mises hors de combat. Elles durent, en se retirant, abandonner des canons qu’il ne tenait qu’à nous de prendre, que je ne sais pourquoi on laissa sur place, et que les Allemands reprirent plus tard[2].

Manstein croyait que la Garde viendrait l’appuyer. En effet, les instructions de Frédéric-Charles au prince de Wurtemberg étaient de marcher sur Vernéville et de se placer en réserve derrière le IXe corps, chargé d’attaquer notre droite de flanc et de front à la fois. Mais, quand le prince de Wurtemberg eut vu de ses yeux qu’Amanvillers n’était pas à l’extrémité de notre ligne, prolongée bien au delà de Saint-Privat et de Sainte-Marie, il pensa que ce n’était pas à Vernéville qu’il devait aller soutenir le IXe corps, mais plus loin, en le protégeant contre une attaque de flanc qui viendrait de Saint-Privat. Ses instructions cependant étaient formelles : y désobéirait-il ? improviserait-il une manœuvre qui en serait complètement différente ? Soldat dresse à l’obéissance stricte, il délibéra « d’un cœur lourd[3], » et il finit par se dire que, l’instruction générale étant d’envelopper notre aile droite et que cette aile droite étant à Saint-Privat, il exécuterait véritablement son ordre en le violant. Il laissa Vernéville de côté et, par un large front, se dirigea vers Saint-Privat. Frédéric-Charles, avisé de cette initiative, ne l’approuva pas, car, provisoirement, en attendant le succès du mouvement enveloppant, le IXe corps, très compromis, se trouvait sans appui ; mais il ne s’opposa pas à la conversion commencée, les contremarches devant coûter trop de temps.

Il se rendit à Habonville, d’où se découvrait tout le champ de bataille. Là il constata à son tour que notre droite était bien à Saint-Privat, et non à Amanvillers, et il changea la destination qu’il avait donnée à la Garde et au XIIe corps saxon : la Garde aurait le même rôle d’attaque frontale du centre de la position française que le IXe corps, et le corps saxon effectuerait le cernement réservé jusque-là à la Garde.

Mais le plus pressé était de tirer le IXe corps de la position de déroute où la témérité de Manstein l’avait placé. Il lui envoya une brigade et opéra une concentration d’artillerie. Il ajouta à ses pièces des batteries hessoises, des batteries à cheval, des batteries de la Garde et du IIIe corps : en tout, 120 pièces qui formèrent une frontière de feu devant laquelle l’offensive de Ladmirault fut obligée de s’arrêter. Mais quand l’infanterie allemande voulut compléter l’œuvre de l’artillerie et enlever notre position, elle n’y parvint pas : elle prit seulement la ferme de Champenois et, malgré tous ses efforts, elle n’entama pas le large front de Ladmirault. L’épuisement des troupes de part et d’autre était tel que « sur cette partie du champ de bataille, la lutte subit une interruption presque complète[4]. »

Plus à gauche, les nouvelles instructions de Frédéric-Charles n’avaient pas été non plus respectées. Il avait enjoint à la Garde de ne pas aborder avec l’infanterie les hauteurs de Saint-Privat, avant que le mouvement tournant confié aux Saxons ne fût en pleine réalisation ; jusque-là, l’artillerie seule tiendrait l’ennemi en haleine. Le commandant de l’artillerie de la Garde, Hohenlohe et le prince de Wurtemberg jugèrent que Sainte-Marie, occupée par nous, devait être enlevée tout d’abord et sans attendre que le mouvement tournant des Saxons fut achevé. La fraction de l’artillerie saxonne, déjà présente, remplacerait les pièces de la Garde détachées au secours du IXe corps, et l’attaque sur Sainte-Marie commença.


II

A la droite française aucun indice ne marquait dans la matinée l’approche de l’ennemi ; les reconnaissances envoyées par le général Du Barail n’avaient rien aperçu, mais, à leur défaut, l’aumônier de la division, qui avait rejoint après être resté en arrière, sur le champ de bataille du 16 août, auprès de quelques blessés, annonça que les Prussiens se rapprochaient en masse et allaient tenter une action offensive. Canrobert n’en voulut rien croire : il supposait que la journée se passerait tranquillement ; mais la canonnade lui prouva que l’aumônier avait donné un renseignement exact. Il déploie aussitôt ses troupes sur leurs positions de combat ; il étend sa ligne de défense jusqu’à Roncourt, Sainte-Marie-aux-Chênes, pour opérer un rabattement de l’aile droite s’il devenait nécessaire. Au moment de s’engager, craignant que ses munitions ne lui fissent défaut, il chargea le lieutenant de Bellegarde (11 h. 1/2) d’aller dire à Bazaine qu’il n’avait pas pu reconstituer ses approvisionnemens le 17, qu’il avait dépensé beaucoup de gargousses le 16, et n’avait pu se ravitailler en cartouches ; qu’on lui en envoyât, parce qu’il n’avait que des caissons à moitié ou au tiers pleins. Il reçut à ce moment de Bazaine un avertissement qui le prévenait du choc qui le menaçait et contre lequel il se débattait déjà : « Metz, 18 août, 10 heures du matin. — M. le maréchal Le Bœuf m’informe que des forces ennemies qui paraissent considérables, semblent marcher vers lui ; mais, à l’instant où je vous écris, il m’envoie l’extrait ci-joint du rapport de ses reconnaissances. Quoi qu’il en soit, installez-vous le plus solidement possible sur vos positions ; reliez-vous avec la droite du 4e corps ; que les troupes soient campées sur deux lignes et sur un front le plus restreint possible. Si par hasard l’ennemi, se prolongeant sur notre front, semblait vouloir attaquer sérieusement Saint-Privat-la-Montagne, prenez toutes les dispositions de défense nécessaires pour y tenir et permettre à l’aile droite de faire un changement de front, afin d’occuper les positions en arrière, si c’était nécessaire, positions qu’on est en train de reconnaître. Je ne voudrais pas y être forcé par l’ennemi, et, si ce mouvement s’exécute, ce ne sera que pour rendre les ravitaillemens plus faciles, donner une plus grande quantité d’eau aux animaux, et permettre aux hommes de se laver ainsi que leur linge. Votre position nouvelle doit vous rendre vos ravitaillemens plus faciles par la route de Woippy. Profitez du moment de calme pour demander et faire venir tout ce qui vous est nécessaire. J’apprends que la viande a été refusée hier soir parce qu’elle était trop avancée. Nous n’en sommes pas aux économies, et l’intendant aurait bien pu faire abattre de façon à donner de la viande fraîche. — Je vous envoie la brigade de cavalerie du général Bruchard, qui sera provisoirement détachée du 3e corps, jusqu’à ce que la division de cavalerie qui vous est destinée soit reconstituée. — Je pense que votre commandant d’artillerie a reçu les munitions nécessaires pour compléter vos parcs et caissons. »

Cette lettre découvre l’état d’esprit de Bazaine et va expliquer toute sa conduite de la journée. Les avertissemens de Le Bœuf et de Frossard ne l’ont pas convaincu que l’ennemi fût en train d’opérer une offensive à fond sur son aile droite, qu’une grande bataille allait se livrer et que c’est là qu’elle se déciderait. Il s’en tient à l’hypothèse d’une bataille limitée, qui pourrait s’engager par hasard et il la règle : Si le hasard amène cette attaque, il prévient Canrobert qu’il n’ait pas à compter sur lui ; il lui a envoyé des munitions, une division de cavalerie, mais c’est tout. Il ne peut pas lui répéter ce que depuis le matin il a dit à Le Bœuf, Ladmirault, Frossard : « Vous avez une excellente position ; défendez-la et tenez bon. » Il savait que Canrobert n’avait pas une excellente position, qu’il en avait même une mauvaise, malgré le peu qu’on avait fait pour l’améliorer. Il n’aurait pu lui dire qu’une chose : « Si l’ennemi menace votre position, avertissez-moi, j’accourrai. » Au contraire, il dit implicitement : « Prenez vos dispositions pour tenir à Saint-Privat ; si vous n’y réussissez pas, ne comptez pas sur moi, battez en retraite sur les positions que j’ai fait reconnaître. »

Le matin, la retraite sur de nouvelles positions en arrière lui paraissait une hypothèse ; à dix heures, elle devenait une probabilité ; elle ne va point tarder à lui paraître une nécessité souhaitable.

Cette lettre bien lue annonce donc l’abandon de sa droite, dont il se désintéresse absolument, et dont par conséquent il ne s’occupera plus : que Canrobert se débrouille comme il le pourra, c’est son affaire et qu’il tienne ou qu’il recule, ce ne sera pas un mal. Pour Bazaine, la bataille n’est pas là, elle est à gauche où il est, où il restera.

Canrobert n’avait à ce moment qu’à obéir à la première partie des instructions de Bazaine : Tenez bon ! Lui et ses braves troupes n’y manquèrent pas. Il eût voulu débuter par une attaque de cavalerie. Il envoya à Du Barail l’ordre de charger. « Mais sur quoi veut-il que je charge ? Une charge doit être préparée, or je ne vois rien devant moi, et au loin une artillerie formidable fauchera mes hommes avant qu’ils aient fait quelques pas. » Canrobert vint lui-même renouveler l’ordre. Du Barail lui expliqua ses raisons : « Vous êtes un véritable homme de guerre, » lui répond Canrobert. Et il n’insista plus. Il n’y avait à mettre en jeu que l’artillerie et la mousqueterie. En les engageant, Canrobert, sur le rapport d’un commandant d’artillerie effaré, arrivé de la veille, qui criait au manque de munitions devant des caissons pleins, envoya le commandant Chalus renouveler sa demande de munitions en ajoutant celle d’un régiment (2 h. 1/2).

Bazaine accorda tout ce qu’on lui demandait, sauf le régiment qu’il retint, et si tout ce qu’il avait promis n’arriva pas, ce ne fut pas sa faute. Indépendamment des munitions qu’il avait et de celles que lui envoya Bazaine, il reçut de Ladmirault quatre caissons. Ni les obus ni les cartouches ne manquèrent donc aux défenseurs de Sainte-Marie-aux-Chênes, et les Prussiens en firent l’épreuve[5]. Mais nos braves furent écrasés par quatre-vingt-huit pièces rangées en demi-cercle autour du village. Ils l’évacuèrent après avoir atteint la dernière limite des efforts possibles. Les Prussiens n’y arrivèrent que dans un pêle-mêle complet (3 h. 1/2). « Cette occupation fournit à l’assaillant un excellent point d’appui qui, joint à ceux de Saint-Ail et du Bois de la Gusse, lui procura un fond de combat solide d’où l’artillerie put exercer en toute sécurité la suprématie qu’elle avait acquise[6]. »


III

Une petite portion de Saxons avait participé à cette attaque ; mais leur gros était au delà. Informé que notre aile droite s’étendait jusqu’à Roncourt, le prince Albert de Saxe avait donné une envergure plus ample à son mouvement tournant, qui devait d’abord se diriger droit sur Saint-Privat, et il le préparait en concentrant toutes ses forces le long de la forêt d’Auboué et en appelant celles qui étaient à Jarry et à Sainte-Marie-aux-Chênes. Pour un moment, il disparut du champ de bataille, et la Garde demeura seule en présence de Saint-Privat et d’Amanvillers. Le prince Frédéric-Charles, décontenancé par cette disparition, sent que la direction de la bataille lui échappe et il envoie un officier d’ordonnance courir après le prince, se renseigner sur ses intentions et le supplier de hâter son mouvement dont il ne sent plus l’action. De son côté, le prince de Wurtemberg n’a pas la patience d’attendre, malgré l’observation du général de la Garde, de Pape, qu’il était imprudent de brusquer l’événement avant que le corps saxon eût plus nettement dessiné son mouvement par Roncourt. Mis en goût d’aventure par l’enlèvement de Sainte-Marie, il se dit : « Pourquoi ne poursuivrions-nous pas jusqu’à Saint-Privat et ne faciliterions-nous pas la tâche des Saxons en marchant au-devant d’eux ? » Il se décide avec d’autant plus de confiance que, depuis la prise de Sainte-Marie, le silence s’était étendu sur les hauteurs de Saint-Privat et qu’on nous croyait partis. Il appelle la brigade de la Garde qu’on avait mise à la disposition du IXe corps et des bataillons hessois, il déploie en avant d’elle la IVe brigade de la Garde formée en deux lignes de demi-bataillons en colonnes à intervalle de déploiement précédée d’une ligne de tirailleurs. A la gauche de cette brigade, s’établit la 1re brigade de la Garde dans le même ordre.

Canrobert, préoccupé de ce qui se passait vers Roncourt, n’apercevait pas, du point où il se tenait, les remuemens préparatoires de l’attaque qui allait fondre sur lui. Cissey, mieux placé, les voyait. Il envoie à Canrobert son chef d’état-major Garcin. Canrobert ne croit pas aux renseignemens, l’écoute à peine, le brusque ; Garcin insiste : « Vous êtes donc Breton ? » demande Canrobert impatienté. — Non, je suis Lorrain, c’est la même chose. Je suis désespéré d’avoir mal rempli ma mission, puisque vous ne croyez pas au péril qui menace Saint-Privat. » Il lui indiqua à proximité un point du terrain d’où l’on pouvait se rendre compte des préparatifs de l’ennemi. « Eh bien ! j’y vais avec vous. » Le maréchal vit alors ce que Cissey avait vu et serra affectueusement la main de Garcin en lui disant : « Merci. Dites au général de Cissey que je compte sur lui pour me soutenir et se mettre en position pour recevoir en face l’ennemi. » Et il courut renforcer Saint-Privat dégarni de troupes. Et Cissey, motu proprio, par un rapide changement de front sur sa droite, s’établit face au flanc droit des deux colonnes prussiennes.

Les deux brigades de la Garde prussienne, pleines de confiance, s’avançaient d’un pas précipité vers la ferme de Jérusalem et vers Saint-Privat, sur un terrain plat et découvert. Dès qu’elles parviennent dans la zone dangereuse, Canrobert crie : Feu ! à ses tirailleurs qui couvrent la pente, couronnent la crête, embusqués dans les tranchées, derrière les haies, sur le toit des maisons de pierre du village. Cissey prend en écharpe les deux colonnes d’assaillans et, sous ce double feu convergent, en un clin d’œil la Garde est décimée, ravagée, taillée en pièces ; presque tous les officiers sont mis à terre ; les compagnies fondent sous le feu meurtrier des chassepots : près de huit mille hommes jonchent le sol ; cette belle troupe est presque anéantie[7]. Les survivans continuent à s’avancer et, profitant des faibles couverts que leur offrent les pentes plus escarpées, peuvent respirer un peu.

Nous voici au moment décisif de la journée. Les autres fractions de la Garde, les Hessois, sont encore au bas du plateau et le corps saxon poursuit au loin son mouvement tournant. Si Canrobert est laissé à lui-même, épuisé d’efforts, écrasé par le nombre et surtout par une effroyable artillerie, il est perdu. Que notre Garde arrive, qu’ils arrivent les grenadiers de Picard, les voltigeurs de Deligny, les zouaves de Jeanningros, qu’elles arrivent nos batteries de réserve conduites par le Bourbaki d’Inkermann, qu’elles arrivent nos deux divisions de cavalerie ! Un hourra formidable d’enthousiasme les accueillera et devant l’élan de ces braves électrisés, redevenus les audacieux de l’Alma, de Magenta et de Solférino, les rangs sans consistance de l’assaillant seront rejetés sur Sainte-Marie. Ensuite, si les Saxons n’ont pas été déjà suffisamment sabrés entre Roncourt et Auboué par la charge à fond de notre cavalerie, qu’ils débouchent du côté qui leur plaira, ils seront royalement reçus[8].

Mais notre Garde, au sens propre du mot, n’existe plus. Elle n’existe plus, cette petite armée unique placée dans la main d’un chef d’élite, prête à fondre en ouragan, au geste du généralissime, sur le point où sera la défaite ou la victoire. Dans une bataille sérieuse, même défensive, et qui, dans son cours, peut devenir offensive, une des principales attentions du général en chef est de tenir sous son commandement sa réserve compacte, de manière à s’en servir au moment opportun. Nous avons blâmé Frossard d’avoir transféré au général Bataille le soin de disposer sans lui de la réserve et de l’avoir coupée en deux. Bazaine fait pis : il retient au Saint-Quentin l’artillerie de réserve de la Garde composée de quatre batteries et la réserve générale, douze batteries, en tout quatre-vingt-seize bouches à feu intactes, mais inoccupées. Il émiette cette infanterie sans pareille qui, à elle seule, était une armée ; il place la première division de voltigeurs à Châtel-Saint-Germain, la deuxième brigade à Saint-Quentin : « Il veut donc, s’écrie Bourbaki, que je ne commande qu’à des tambours ! » Et il écrit au maréchal : « L’ordre d’envoyer une brigade pour appuyer les 2e et 3e corps d’armée va être exécuté sur-le-champ. La division de voltigeurs est désignée pour opérer ce mouvement. J’ai cru utile d’appeler l’attention de Votre Excellence sur ce fait inhérent à la nature humaine que tout commandant de corps d’armée, attaqué ou simplement menacé par l’ennemi, est disposé à réclamer sur-le-champ des secours. S’il était donné suite aux demandes de ce genre, la Garde impériale se trouverait bientôt disséminée et ne serait plus en mesure de produire le résultat sérieux qu’on est en droit d’attendre d’elle... Dans le cas présent, monsieur le maréchal, la (Jarde impériale réunie, ayant la totalité de ses corps, divisions ou brigades, placés dans les mains de ses chefs directs, pourrait produire un victorieux effort, quelles que fussent vos intentions ; il serait au contraire matériellement impossible de compter sur la Garde pour obtenir le résultat, si elle se trouvait répartie en un certain nombre de points de la ligne de bataille. »

Napoléon eût approuvé cette lettre : il a dit à Gouvion Saint-Cyr : « Lorsque les corps les plus à proximité sont engagés, je les laisse faire sans m’inquiéter de leur bonne ou mauvaise chance ; j’ai seulement grand soin de ne pas céder trop facilement aux demandes de secours de la part de leurs chefs. » Et il cita comme exemple Lutzen où Ney lui avait demandé les plus prompts renforts, ayant encore deux divisions qui n’avaient pas donné ; dans la même affaire, un autre maréchal lui en avait aussi demandé avant d’avoir un ennemi devant lui. Nonobstant cette plainte de Bourbaki, la dissémination est maintenue et les membres séparés ne sont pas rejoints. Sous le nom plein de promesse de Garde, il ne reste plus sous le commandement du général Bourbaki qu’une division, la division Picard, composée d’un régiment de zouaves et de trois régimens de grenadiers ; c’est peu en comparaison de ce qui aurait dû être, c’est cependant encore une force sérieuse. Bourbaki avait reçu plus que la liberté réglementairement due à tout chef de réserve, Bazaine lui avait conféré une liberté d’agir entière où il voudrait, quand il voudrait, comme il voudrait. Cette liberté le gêne ; il ne s’en sert pas ; il demande des ordres. Les ordres n’arrivent pas ; alors il prend sur lui de marcher[9] (2 heures) et il envoie chercher son artillerie de réserve à Saint-Quentin. Ses troupes s’avancent avec un entrain et une impatience de combattre qui éclatent tout le long de la route en propos joyeux ; elles se portent, moitié marchant moitié courant, vers le Gros-Chêne, puis dans une situation magnifique plus en avant. Là il crie à ses soldats impatiens : Halte ! Il réclame de nouveau des ordres ; les ordres n’arrivent pas ; il attend. Attente désastreuse : dès une heure et demie, dans un ordre général aux chefs de l’armée enjoignant de tenir les hommes dans les camps, Bazaine avait ajouté en post-scriptum : « Le maréchal commandant en chef fait savoir que le maréchal Canrobert est attaqué sur la droite. » Bourbaki savait donc où en était Canrobert. Cet avis ne lui fùt-il point parvenu, le canon le renseignait. Il aurait dû envoyer des officiers en quête de Canrobert et se mettre à sa disposition. Il attend. Sa liberté le déconcerte. « Je ne la comprends, a-t-il dit plus tard[10], que dans une sens très relatif, car ce n’est pas la coutume qu’il en soit ainsi. » Il persiste à vouloir des ordres. Les ordres n’arrivent pas.

Accourent, l’un après l’autre, deux messagers, l’aide de camp de Ladmirault, le capitaine de La Tour du Pin et le capitaine de Pesme. Ladmirault appelle Bourbaki, il s’agit de compléter un succès en train. Bourbaki hésite, puis se décide et part, laissant son artillerie. A un certain point de la route, le champ de bataille se déploie devant lui. Furieux, il s’écrie : « Capitaine, ce que vous avez fait n’est pas bien. Vous m’aviez promis une victoire et vous me faites assister à une déroute ! Il ne fallait pas me faire abandonner des positions magnifiques pour m’amener dans ce défilé où la moindre attaque me détruirait ! Vous avez votre gauche dans le bois à droite, qui est déjà en pleine retraite sur Saulny, et je, n’ai pas une pièce d’artillerie pour appuyer le déploiement de ma colonne. Si je continue, je ferai assassiner mes grenadiers. » Et il commanda demi-tour. Ce retour en arrière produit une panique momentanée parmi les isolés du 4e corps. La colonne vient se reformer sur le plateau qu’elle avait quitté une heure auparavant. Mais Bourbaki, brave entre les braves, comprend que sa renommée est perdue si, ayant refusé de secourir Ladmirault, il contemple de loin, sur ses positions magnifiques, la déroute de Canrobert. Quoiqu’il n’ait reçu aucun des appels de celui-ci, il marche vers lui. Mais les Saxons l’avaient devancé.


IV

L’officier envoyé par Frédéric-Charles avait rejoint le commandant du corps saxon vers la forêt d’Auboué où il opérait sa Concentration. L’un et l’autre ignoraient l’holocauste de la Garde. Le messager je Frédéric-Charles n’eut pas à prier le prince Albert de hâter sa marche : il partait, non il est vrai sur Saint-Privat, mais sur Roncourt, où il supposait les Français. Si cette extension donnée à l’enveloppement causait une perte de temps, elle assurait le succès de l’opération. Mais un officier prussien, aussitôt après le désastre de la Garde, s’était élancé à la poursuite du corps saxon. Il en avait rejoint la fraction la moins avancée, et il avait supplié son commandant de ne pas continuer sur Roncourt, de tourner à droite, et d’aller à toute vitesse vers Saint-Privat. Le commandant n’hésite pas, fait le crochet à droite et se dirige sur Saint-Privat à toute vitesse. Il est bientôt rejoint par son corps tout entier. De Roncourt évacué, où le prince Albert ne nous avait pas trouvés, lui aussi a couru vers Saint-Privat. De tous les côtés, les Prussiens, les Hessois, les fractions des IXe et Xe corps, les débris du corps de la Garde sortent des sillons où ils étaient restés couchés, se hâtent vers notre dernier refuge. Ils réunissent en masse toute l’artillerie ; deux cent quatre-vingts bouches à feu, appuyées à 90 000 hommes, battent en brèche 26 000 hommes et soixante-dix-huit pièces. Pendant ce temps, une soixantaine de bouches à feu sont immobiles à Saint-Quentin, pas même attelées, et les conducteurs, les servans dorment étendus sur le sol.

La résistance de Canrobert est épique. Il fait exécuter à sa troupe, sous le feu, un changement de front d’une précision et d’une sécurité admirables. Très exposé lui-même, il dit à ceux qui l’entourent : « Vous voulez vous faire tuer en restant là. Mettez-vous derrière une maison ; je vous appellerai quand j’aurai besoin de vous. » Avec lui une poignée de héros, le colonel Geslin et le commandant Mathelin à leur tête, luttent pied à pied, et leur ténacité, qui tient du prodige, est digne de ce qu’il y a de plus beau dans l’histoire de toutes les guerres.

Canrobert n’avait pas pris la précaution d’éparpiller ses troupes ; elles étaient concentrées dans les rues et sur les places du village. Les obus prussiens, à tout coup, creusaient au milieu d’elles des trouées effroyables. Il faut avoir été là, en ce moment, pour juger du courage et de l’abnégation de ces jeunes gens qui, presque sûrs de mourir, restaient à leurs postes, le fusil à l’épaule et le doigt sur la détente. Les officiers prussiens essayaient d’enlever de la voix et du geste, pour les précipiter sur nous, leurs soldats encore hésitans. Enfin les bombes incendiaires pleuvent de tous côtés sur les toits du village ; le feu éclate à la fois sur la maison d’ambulance et sur trois autres points ; Saint-Privat tout entier s’enveloppe d’une immense vague de flammes. En même temps, l’ennemi établit une batterie sur la gauche et prend d’enfilade la rue principale. Un torrent de boulets et d’obus balaie tout ce qu’il rencontre dans cette rue[11]. « Nul ne fut vu si abattu de blessures, qui n’essayât de se venger encore, et avec les armes du désespoir consoler sa mort en la mort de quelque ennemi[12]. » L’église, les faces Est et Nord du village et enfin, le cimetière sont le théâtre de combats isolés, livrés à coups de crosse et de baïonnette, luttes sanglantes et opiniâtres échappant à toute analyse et qui se prolongent jusqu’à la nuit close. A huit heures du soir seulement, les Allemands sont enfin les maîtres « de cet amas de ruines dont la conquête leur a coûté si cher[13]. »

Canrobert avait rempli jusqu’à épuisement la première partie des instructions de Bazaine : Tenez bon ! Il est obligé maintenant de se rappeler la seconde partie de ces instructions : « Si vous êtes forcé, retirez-vous sur les positions reconnues en arrière. » Avant de s’y résigner, il demande à Du Barail une charge de cavalerie. Du Barail fait déployer la brigade Bruchard. Il fallait parcourir 600 mètres pour atteindre l’artillerie ennemie, on n’en avait point parcouru cinquante que les deux régimens étaient désorganisés, le général avait son cheval abattu, son aide de camp était mortellement blessé. Les balles et les obus faisaient dans les rangs de tels vides que les cavaliers dégringolaient les uns sur les autres. Une lueur d’espoir anime encore le cœur de ces indomptables. « Ecoutez, dit tout à coup Canrobert à Du Barail, on bat la charge derrière nous, c’est une division de la Garde, nous allons reprendre Saint-Privat. » Ce n’était pas la Garde, c’était le colonel du 100e de ligne, qui avait imaginé de faire battre la charge par tout son groupe de tambours pour rassembler les hommes dispersés dans les bois. Le général Péchot avait défendu vigoureusement contre les Saxons la lisière du bois de Jaumont et la route chaussée qui la précédait, puis les carrières dans lesquelles il avait embusqué ses soldats. Il est à son tour obligé de rompre sur Bronvaux.

Elle apparut enfin, la Garde, réduite à sa division de grenadiers, ses deux batteries de réserve à cheval ; elle arriva lorsqu’il n’en était plus temps et qu’elle n’avait plus qu’à recueillir les fuyards.

Le lieutenant-colonel Montluisant avait établi en arrière de Saint-Privat, en avant d’Amanvillers, sept batteries sur une pente très inclinée, permettant à toutes les bouches à feu de tirer les unes par-dessus les autres. Trois batteries de la division Picard de la Garde et deux des batteries de la réserve se mirent également en position. Cette masse imposante retint dans Saint-Privat les Prussiens, qui d’ailleurs étaient à bout de forces. « C’est un désastre ! » s’écrie Canrobert (8 heures). Ce même cri s’était entendu un instant à la droite prussienne.


V

Les instructions données à Steinmetz le 17 août et plusieurs fois réitérées, étaient de conserver une attitude expectante, jusqu’à ce que l’aile gauche de la IIe armée se fût assurée si les Français s’étaient retirés par le Nord ou s’ils faisaient mine de tourner vers Metz. Le 18 août, sa tâche principale devait être d’attirer sur lui les forces de l’adversaire, afin de donner libre carrière au mouvement décisif que la IIe armée allait poursuivre, de tenir Bazaine en perpétuelle inquiétude d’être attaqué à son aile gauche et de l’amener ainsi à immobiliser ses réserves derrière l’armée de Frossard jusqu’à ce qu’il ne fût plus temps de venir en aide à Canrobert. En vue d’atteindre ce but, il fut autorisé à employer son artillerie dès qu’on entendit vers Amanvillers le canon de Manstein. Cette artillerie, souffrant beaucoup du feu de nos tirailleurs, il avait envoyé à son secours des fractions des VIIe et VIIIe corps ; le VIIe n’était pas sorti de son rôle de protection, le VIIIe, excité au combat, s’était emporté au delà. Contrairement aux instructions de Moltke, Steinmetz commença une bataille offensive là où ne devait se produire qu’une bataille traînante.

Entre les deux armées, était creusé par la Mance un ravin profond, alors à sec, dont les berges escarpées étaient couvertes de taillis presque impénétrables et que traversait une route en remblai formant défilé. C’est sur les deux bords de ce ravin pris et repris, que s’acharneront les attaques et les contre-attaques. La bataille parut d’abord favorable au général téméraire. L’artillerie prussienne domina nos batteries du Point-du-Jour, brisa la résistance de la division Aymard, du corps d’armée de Le Bœuf ; l’infanterie pénétra dans la région boisée à l’Est de Gravelotte, enleva la ferme Saint-Hubert où le bataillon Molière avait tenu jusqu’à la dernière extrémité, perdant avec son chef la moitié de son effectif. Mais les Prussiens ne purent pousser plus avant. Leurs tentatives réitérées furent arrêtées par le feu meurtrier de notre infanterie établie sur les hauteurs et soutenue par nos mitrailleuses, mais nous ne réussîmes pas non plus à les faire rétrograder ni à reprendre la ferme, ni à faire taire leur artillerie dont le feu, de plus en plus nourri, obligea la nôtre à ralentir le sien et même à faire dessiner à nos pièces un mouvement rétrograde que notre infanterie fut obligée de suivre. Les fermes de Moscou et du Point-du-Jour étaient en flammes.

Steinmetz enivré crut alors qu’il ne s’agissait plus que de poursuivre un ennemi en retraite et qu’une attaque directe sur notre droite obtiendrait immédiatement la solution triomphante que Moltke n’attendait que du mouvement tournant que devait exécuter l’armée de Frédéric-Charles. Il prend des dispositions fort habiles : il envoie à Jussy une brigade qui, en inquiétant Bazaine sur ses communications avec Metz, détournera son attention de la partie la plus importante du champ de bataille. Et il ordonne à Manteuffel, établi à Courcelles-sur-Nied, de se rapprocher de la rive droite de la Moselle et, par son artillerie, de tenir lui aussi Bazaine en alarmes. Puis il ramasse toutes les troupes fraîches des VIIe et VIIIe corps, leur fait traverser le ravin et les lance sur les hauteurs. Elles emportent d’abord toute résistance, éteignent nos batteries, refoulent nos bataillons ; Steinmetz est si sûr de la victoire qu’il demande à la division Hartmann (cuirassiers et uhlans) de s’apprêter à la poursuite sur les hauteurs. Il annonce ces bonnes nouvelles au Roi qui, de Flavigny, transporte son quartier général plus près du combat heureux, sur la hauteur Sud-Est de Rezonville (3 heures), puis encore plus près au Nord-Ouest de Gravelotte (4 heures), cette fois-ci presque sur la ligne de bataille, contrairement à toutes les règles qui interdisent à la haute direction d’une armée de trop s’approcher des combattans et, en se laissant absorber par les petites fractions, de négliger l’ensemble.

Alors un mouvement d’offensive de Le Bœuf et de Frossard, où reparut toute l’indomptable énergie de nos braves soldats, déconcerte, détruit les espérances de Steinmetz et du Roi ; le feu de notre mousqueterie et de nos mitrailleuses arrête l’ennemi, l’écrase, le rejette dans le ravin de la Mance ; nos essaims de tirailleurs le déciment. Le bois des Génivaux et le bois de la Folie, protégés inébranlablement par les divisions Neyral, Metman et Montaudon, pris et repris plusieurs fois, restent entre nos mains. Le général Lapasset tient ferme à Sainte-Ruffine, même lorsque le poste est dominé par l’occupation des crêtes de Jussy. En vain les Prussiens reviennent à la charge sans se lasser et s’acharnent jusqu’à complet épuisement de leurs forces. De même que les vagues furieuses, en se précipitant sur un roc, se brisent en écume, les assaillans furibonds, en se heurtant à nos lignes de fer et de feu, s’émiettent en morceaux sanglans.

La division Hartmann est fusillée, les cuirassiers sont refoulés, les uhlans précipités dans les carrières du Caveau d’une hauteur de 30 à 40 pieds ; des officiers de l’état-major sont tués ; les hommes isolés s’échappent du ravin en poussant des cris de terreur ; partout gisent les pièces abandonnées, les avant-trains démolis et culbutés. Une horde de cavaliers en débandade débouche des bois en hurlant, foule aux pieds les débris des régimens d’infanterie, qu’on essayait de rassembler sur la grand’route, et se jette en trombe au travers des voitures parquées dans les champs. La masse des fuyards s’éparpille en arrière, sourde à toutes les menaces ; elle continue sa course éperdue, jusqu’à ce que l’éloignement du danger permette enfin de l’arrêter. C’est une déroute échevelée.

Le Roi, trop rapproché du champ de bataille (5 h. 1/4), n’est plus en sûreté. Roon l’oblige à se porter en arrière ; Bismarck, séparé de lui, le rejoint péniblement au milieu des obus passant au-dessus de sa tête, labourant le sol sur lequel il galope. Les plus sombres perspectives apparaissent au Roi et à son ministre ; l’ordre est envoyé de débarrasser les ponts de la Moselle et leurs abords. Des officiers vont vers Fransecki (IIe corps) afin qu’il hâte sa marche sur Gravelotte.


VI

Il y a là un moment heureux pour nous. La Garde prussienne est étendue au pied de Saint-Privat ; Steinmetz est en déroute ; les forces ennemies sont disséminées sur un arc de cercle de seize kilomètres, dont nous tenons la corde. Mais nos forces ne nous permettent pas d’agir à la fois à notre droite et à notre gauche, d’arrêter les Saxons qui s’avancent sur Canrobert à notre droite et de pousser à bout à notre gauche notre avantage sur Steinmetz. En vue d’une intervention vigoureuse au profit de Canrobert, il était prudent de ne pas dépasser contre Steinmetz l’offensive courte qui n’était qu’un moyen de donner de l’air à la défensive. Frossard et Le Bœuf pouvaient croire que tel était le dessein de Bazaine, car il leur avait prescrit de s’en tenir strictement à la défense de leurs excellentes positions. Ils se conforment à ces instructions ; ils retiennent leurs troupes au bord du ravin de la Mance, car, en y descendant, elles perdraient la supériorité de la position dont elles venaient de profiter si efficacement. Ne nous sentant plus sur ses talons, l’état-major prussien reprend son aplomb et délibère. Moltke est d’avis de différer au lendemain la suite du combat ; on ne peut le reprendre qu’avec le concours du IIe corps ; il approche, mais il marche depuis deux heures du matin ; n’est-il pas dangereux de demander un dernier effort à des hommes exténués de fatigue ? Le Roi estime qu’aucun effort n’est au-dessus du courage de ses braves Poméraniens. L’idée de rester refoulé au pied de ces hauteurs, là où est la victoire, lui est insupportable, et à l’heure même où, à l’autre extrémité de sa ligne, les Saxons accourus lui assurent une victoire, il veut lui aussi en gagner une. Il ordonne un nouvel « en avant » général.

Les bataillons du VIIe corps, disposés, les uns sur la lisière orientale du bois de Vaux, les autres en réserve, abordent les hauteurs du Point-du-Jour. Cette fois, la résistance de Le Bœuf et de Frossard est encore plus vigoureuse. Notre première brigade de voltigeurs accourt de Châtel-Saint-Germain à l’appui de la division Aymard ; des tirailleurs débouchent en lignes épaisses, chassant devant eux les Allemands isolés par petits groupes, le plus souvent sans chefs, épars en rase campagne, et les culbutent jusque dans le ravin ; les efforts des officiers ne réussissent pas à ramener leurs hommes sur les épaulemens au pied desquels sont amoncelés tant de cadavres. Un grand nombre succombe, ces troupes restées sans officiers sont encore une fois saisies de panique. Un Anglais, Winn, présent sur les lieux, nous en a donné la description. « Les soldats allemands, dit-il, surpris par la soudaineté de l’attaque, s’enfuirent comme des lièvres. N’importe qui, arrivant à ce moment, aurait pensé que les Prussiens avaient été mis en complète déroute. Je n’avais jamais vu auparavant une fuite aussi précipitée, et je crois que peu de militaires en ont vu de telles. Artillerie, infanterie, bagages, ambulances, tous les genres de troupes imaginables se précipitaient pêle-mêle à la file. Les mots : « La cavalerie française arrive » étaient sur toutes les lèvres prussiennes, excepté sur celles des officiers qui s’enrouaient à crier : Halte ! Tout cela s’était produit en un temps fort court. J’attendais la cavalerie française. — Pour prouver combien les Prussiens croyaient alors la bataille perdue, je puis dire que j’ai vu un major prussien blessé à la jambe supplier de ne pas le laisser là, quelque douleur que dût lui coûter la marche, pour qu’il ne fût pas prisonnier des Français[14]. »

L’effet de cette panique se fit sentir jusqu’à la Malmaison et obligea le Roi à effectuer encore un changement de position. Il se retire vers Rezonville (7 h. 1/4), éclairé par les incendies des fermes et des maisons qui créent un jour dans l’obscurité. Moltke ne le suit pas ; il va sur le champ de bataille à Gravelotte, et, pour la première fois, il passe sur le front des troupes. On a même prétendu qu’il conduisit à l’attaque le IIe corps, qui venait d’arriver sur le plateau. « Un chef d’état-major eût manqué à tous ses devoirs par cette immixtion irrégulière, et, d’ailleurs, le vaillant Fransecki qui commandait le IIe corps ne l’eût pas tolérée[15]. » Le Roi n’avait pas trop présumé de ses Poméraniens. Ils le croisent sur la route de Rezonville, ils l’acclament, et, alertes comme s’ils sortaient de leur bivouac, ils se dirigent vers les carrières et à quelques centaines de pas du Point-du-Jour. Ils sont si pressés de combattre que, par mégarde, ils prennent des Prussiens pour des Français et leur font subir un véritable carnage. Eux-mêmes sont très cruellement éprouvés et perdent un grand nombre d’officiers et de soldats.


VII

Moltke avait eu raison contre le Roi : le ravin de la Mance était un obstacle infranchissable. Chaque fois que les Allemands avaient essayé de s’établir sur son bord oriental et d’atteindre la hauteur, ils avaient été refoulés. « Il était démontré que l’aile gauche des Français, qui occupait une position presque imprenable, grâce à la configuration du terrain et aux travaux qui y avaient été faits, n’en pouvait être délogée, en dépit du dévouement et de la bravoure des troupes, même au prix des plus grands sacrifices[16]. »

Et Moltke avait eu raison contre Steinmetz, plus encore que contre le Roi, lorsqu’il avait jugé que c’était uniquement à notre aile droite que la journée pouvait être gagnée. En effet, la nuit tombée, l’armée prussienne se trouvait, à sa droite et à son centre, exactement dans la même position qu’elle avait été à Rezonville, dans la soirée du 16 août : ni victorieuse, ni vaincue. Elle n’était pas victorieuse, puisqu’elle n’avait pas réussi à emporter le Point-du-Jour ; elle n’était pas vaincue, puisqu’elle était parvenue à s’emparer de tous nos avant-postes et « ce n’était pas un mince avantage que sa ligne de bataille la plus avancée fût occupée par le IIe corps, composé de troupes moins épuisées et que, derrière celles-ci, les fractions complètement emmêlées des VIIe et VIIIe corps pussent se reconstituer[17]. » Mais ces avantages avaient été achetés par d’effroyables sacrifices, en disproportion avec les résultats acquis.

Le Roi s’était établi à la sortie du village de Rezonville, près de la route, non loin d’une grange incendiée, devant un feu où brûlaient des portes, des échelles et toutes sortes de débris. Il était à l’un de ces momens où l’on doute de la victoire, à ce moment qui va couronner ou rendre stériles tous les efforts antérieurs, à ce moment où Napoléon regarde à l’horizon si Grouchy arrive, où Bismarck à Sadowa se demande s’il ne se brûlera pas la cervelle parce que le Prince royal s’attarde ; à ce moment dont le souvenir rend parfois les victorieux magnanimes parce que, pendant un instant au moins, ils ont été abreuvés des angoisses de la défaite. Guillaume connaît alors ces angoisses. Il a vu ses troupes reculant en panique devant nos lignes invincibles ; on est venu lui dire que sa Garde n’existe presque plus. Il est plongé dans les plus cruelles pensées et il entrevoit des perspectives de reculs lamentables. Quelques années plus tard, félicité par le roi de Grèce sur cette campagne ; où il n’avait eu que des succès, il répondit qu’il y avait eu aussi de cruelles inquiétudes : « Ainsi, à un certain moment, le 18 août, si Bazaine avait employé ses réserves, j’étais battu. » Le cardinal Antonelli m’a raconté que le prince Frédéric-Charles, qu’il avait vu peu auparavant, lui avait fait le même aveu, à peu près dans les mêmes termes.

Mais le Roi ne demeura pas longtemps dans ce tourment. Bientôt, Moltke, venu de Gravelotte au pas, afin de ne pas alarmer les isolés et les blessés étendus le long de la route, le rejoint ; il lui rapporte que la panique est conjurée et l’offensive française arrêtée. Cependant Frédéric-Charles ne se montre pas : il s’est retiré à Doncourt où il passera la nuit. Mais les autres rapports venus des différens corps annoncent que sur toute la ligne les affaires ont bien marché : Saint-Privat est pris, la droite française en retraite et nos 2e et 3e corps tournés. Le Roi posa aussitôt la question : « Qu’allons-nous faire demain ? » Bismarck dit : « Maintenant, Sire, mon avis personnel est qu’après les terribles pertes de cette journée, nous ne devons pas continuer l’attaque demain matin, mais bien attendre les Français. » Verdy du Vernois s’écrie violemment : « Alors je ne sais pourquoi nous avons attaqué aujourd’hui. » Bismarck répond sur un ton non moins violent : « Que voulez-vous, monsieur le lieutenant-colonel ? » La querelle allait s’échauffer, mais Moltke passa entre les deux interlocuteurs et, s’adressant au Roi de sa voix ferme et calme : « Sire, il ne nous reste plus qu’à donner l’ordre d’attaque, au cas où l’ennemi serait encore demain matin devant Metz. » Le Roi ordonna à Moltke de préparer cet ordre. Ensuite on discuta les termes du télégramme à expédier à la Reine. Bismarck rédigea un texte que le Roi trouva trop emphatique ; le Roi en proposa un que Moltke estima trop humble ; enfin, à neuf heures du soir fut expédié à la Reine le télégramme suivant : « L’armée française, en forte position à l’Ouest de Metz, a été attaquée aujourd’hui sous ma direction. Dans une bataille qui a duré neuf heures, elle a été complètement battue, rejetée sur Metz, ses communications avec Paris coupées. — Guillaume. »

Le Roi crut un moment qu’il serait obligé de coucher dans sa voiture, au milieu des chevaux morts ; on finit par lui trouver un gite, où il reposa plus doucement que dans son palais.


VIII

Le récit de la bataille est terminé, et j’y ai à peine prononcé le nom de Bazaine. C’est une indication de ce qu’a été son rôle, celui de l’effacement.

Il ne faudrait pas faire du mot effacement un synonyme d’apathie, de l’apathie d’un égoïste qui assiste indifférent à l’épreuve terrible que va traverser son armée. Dans toute la journée, l’esprit de Bazaine est resté actif, éveillé. Il commence par se donner de l’air, en écartant l’obligation de diriger l’armée de Mac Mahon en même temps que la sienne. Il n’avait pas encore répondu à la dépêche qui lui demandait d’expédier des ordres à Arcy-sur-Aube. De Paris, lettres, avis, intéressant Mac Mahon, le harcelaient. Il liquida cette situation obsédante par deux télégrammes. L’un, adressé à Mac Mahon, disait : « Je reçois votre dépêche ce matin seulement : je présume que le ministre vous aura donné des ordres, vos opérations étant tout à fait en dehors de ma zone d’action. Pour le moment, je craindrais de vous donner une fausse direction. » Au ministre de la Guerre il télégraphie : « J’ai l’honneur de faire observer à Votre Excellence que mes communications avec ces corps n’existent pas. Je n’ai aucun moyen de faire exécuter ces ordres ni de transmettre ces documens. Votre Excellence jugera sans doute opportun de ne plus m’envoyer cette correspondance et de la faire adresser directement aux intéressés. » Il rappelait au bon sens ceux qui en avaient manqué en lui imposant un commandement impossible à exercer de si loin.

Mac Mahon éliminé de son attention, il alla au plus urgent et assura minutieusement le ravitaillement de ses différens corps en vivres et en munitions et sur la plainte de Canrobert, qui dit n’avoir reçu ni vivres ni munitions, il prescrit d’écrire d’urgence aux commandans de corps d’armée « de donner l’ordre aux commandans d’artillerie d’envoyer prendre sur le plateau de Plappeville les munitions d’artillerie et d’infanterie qui leur sont destinées : je suis étonné qu’on ne mette pas plus de zèle dans l’accomplissement de mes ordres à cet égard, MM. les commandans de corps d’armée doivent stimuler le zèle de tous et chercher à exécuter un ordre donné dans le plus bref délai et avec tous les moyens possibles. » Il ne crut pas nécessaire de renouveler par écrit les instructions données par des officiers à Frossard, Le Bœuf et Ladmirault de tenir bon sur leurs positions. À Canrobert seul il les a données par écrit.

Il s’occupa ensuite d’un travail urgent : la formation d’un tableau d’avancement. Ce n’était pas une amusoire destinée à occuper le temps et à distraire de la lutte. Faire un tableau d’avancement, c’est-à-dire refaire des cadres, c’était tout simplement empêcher la dissolution de l’armée. Beaucoup d’officiers avaient été tués ou blessés, et un certain nombre d’unités étaient demeurées sans chef. Ainsi dans le corps de Frossard une compagnie était commandée par un caporal. Il fallait combler les vides et recréer un commandement normal. Cependant le tableau d’avancement ne détourne pas son attention du champ de bataille. Il ne s’inquiète pas de sa droite : Canrobert était là ; il connaissait ses intentions et un tel chef l’affranchissait de toute préoccupation. Il était au contraire extrêmement attentif à ce qui se passait à sa gauche, placée sous son commandement direct, et où, selon lui, devait se décider l’issue de la journée, par la victoire ou la défaite de l’offensive allemande.

Il charge le colonel Melchior, chef d’état-major de l’artillerie de la Garde impériale, d’envoyer des sous-officiers intelligens au fort de Saint-Quentin, afin d’examiner la plaine de la Moselle et de rendre compte des mouvemens de l’ennemi. Il n’a pas la même préoccupation de ce qui se passe à sa droite, car il se flatte que là le combat ne sera pas à fond, et ce sont des officiers de Canrobert, le lieutenant de Bellegarde et le capitaine de Chalus, qui lui apportent, de la part de leur chef, des nouvelles qu’il ne sollicite pas. Ils annoncent que Canrobert est vivement engagé, qu’il réclame des munitions, des canons et un régiment. Bazaine fait expédier du parc de Plappeville des obus et des cartouches. Quant au régiment, il allait le mettre en marche quand survient l’avis d’un général dont on n’a pas divulgué le nom, que tout allait bien au 6e corps. Alors il retint le régiment. Mais il avertit Bourbaki que le 6e corps était attaqué (1 heure).

Les sous-officiers envoyés à Saint-Quentin revinrent entre une heure et trois heures rapporter que des masses considérables passaient la Moselle et montaient par la vallée de Gorze : c’était en effet le IIe corps allemand qui, depuis le matin, parti de Pont-à-Mousson, gagnait Rezonville. Ils échangeaient des signaux avec les troupes prussiennes restées sur la rive droite et celles agissant sur les hauteurs. Bazaine reçut en outre des télégrammes inquiétans du poste du clocher de la cathédrale. Il se persuade que toute la bataille est de ce côté. Il interrompt son tableau d’avancement, monte à cheval (2 h. 1/2), Jarras lui propose de l’accompagner ; il le remercie. Il trouve plus urgent qu’il travaille à la reconstitution des cadres, puis, suivi de quelques officiers, il se rend au fort Saint-Quentin, au pas, car les douleurs de sa contusion, ravivées par la fatigue de la journée du 16 août, ne lui permet pas de trotter ou de galoper. Parvenu au mont Saint-Quentin, il ne recueille que des impressions rassurantes. Il fouille de sa lorgnette tous les points de l’horizon, il n’aperçoit rien de menaçant. Lapasset contient l’attaque sur Sainte-Ruffine, et là où Lapasset se trouve avec ses braves, aucun danger ne peut surgir et au pis aller, s’il doit se retirer, il sera à l’abri sous la protection du Mont Saint-Quentin, Bazaine se convainc que l’attaque lointaine de Manteuffel ne peut rien contre lui. On avait parlé de tirailleurs ennemis se glissant à l’abri de l’angle mort de la citadelle et menaçant la route de Rozérieulles sur Moulin-lès-Metz. On n’en découvre aucun.

Les rapports de ses chefs d’armée qui l’atteignent confirment ce qu’il voit. Frossard juge que les Prussiens ne font devant lui qu’une démonstration, en dessinant vers sa gauche un mouvement tournant, mais la brigade Lapasset étant à Sainte-Ruffine, il compte sur elle. Le Bœuf vient de repousser une attaque sur son front et s’attend à être assailli de nouveau vers cinq heures ; il serait heureux de recevoir des renforts (la division de grenadiers), mais il ne les demande pas formellement et croit pouvoir tenir avec ses propres moyens[18]. En effet, un billet de lui dit seulement : « Attaqué sur toute la ligne par l’artillerie qui est nombreuse. Nous tenons bien, je suis tranquille. » Bazaine reçoit du chef du poste télégraphique du clocher de la cathédrale une dépêche disant que la canonnade paraît se calmer ou du moins s’éloigner sur les plateaux. Ladmirault demande de l’infanterie, mais afin de poursuivre un succès qu’il ne peut mener à bout par ses propres moyens. Tout cela contente Bazaine et il télégraphie à l’Empereur : « En ce moment quatre heures, une attaque conduite par le roi de Prusse en personne, avec des forces considérables, est dirigée sur tout le front de notre ligne. Les troupes tiennent bon jusqu’à présent, mais des batteries ont été obligées de cesser le feu. »

Néanmoins Bazaine renforce Le Bœuf du 3e voltigeurs de Deligny ; plus tard il renforcera Frossard d’un régiment de zouaves. Mais il renvoie la division de cavalerie Forton (5 heures) rejoindre à Metz la division Valabrègue qui y était déjà et il inutilise ainsi toute sa cavalerie. Il est rejoint par le colonel Lewal qui lui remet le rapport sur les reconnaissances faites en vue d’un nouveau recul vers Metz. Il aperçoit vers six heures et demie, du côté de Saint-Privat, des nuages de poussière qui semblent indiquer qu’on se bat par là et il voit passer au grand trot la réserve d’artillerie de la Garde appelée par Bourbaki. « Il y a de l’émotion à droite, dit-il à l’aide de camp du général Pé de Arros, mais votre présence rétablira la situation. » Il examine le mécanisme de quelques bouches à feu, en fait pointer quelques autres dans le vide.

Il remonte à cheval, quitte le mont Saint-Quentin, et va voir ce qui se passe sur la route de Thionville. Il traverse les bivouacs de la réserve d’artillerie, dont les chevaux ne sont même pas garnis, et les batteries de la Garde qui ne sont pas attelées. Au col de Lessy, il rencontre le capitaine de Beaumont, qui ne comprend pas ce qu’il lui dit et va le répéter de travers, puis il rentre à Plappeville, à sept heures du soir, au moment même où Saint-Privat est en feu, Canrobert en déroute. Il dit à Jarras qu’il est satisfait de la journée ; ses troupes se sont maintenues derrière leur ligne inexpugnable.

Dans sa pérégrination, un nouveau changement s’était opéré dans son esprit. Le matin, il considérait le recul dans Metz comme un en-cas de défaite. Maintenant, il croit que c’est une mesure de prudence exigée, même si l’on a pu conserver ses positions sur toute la ligne. Sans réfléchir, ni consulter qui que ce soit, il arrête que : tous les corps coucheront sur leurs positions et effectueront leur retraite le lendemain matin. Les bagages partiront dans la nuit à trois heures. Les troupes suivront à quatre heures et demie, sauf la réserve d’artillerie, qui attendra jusqu’à onze heures. Il charge le colonel Lewal de rédiger des instructions dans ce sens ; il se remet à son tableau d’avancement et, ne voulant pas être troublé, il condamne sa porte.

Il ne tarde pas à être obligé de l’ouvrir : les mauvaises nouvelles affluent. Le commandant Caffarel, aide de camp de Canrobert, le capitaine de La Tour du Pin, aide de camp de Ladmirault, puis le commandant Lonclas, aide de camp aussi de Canrobert, surviennent successivement. Le commandant Caffarel annonce de la part de Canrobert qu’ayant épuisé ses munitions et qu’étant entouré de troupes considérables, écrasé d’obus dans Saint-Privat, il a été obligé de l’évacuer et de prendre ses dispositions pour faire sa retraite. La Tour du Pin est moins pessimiste : il affirme que nous tenions nos positions, que la bataille n’était pas perdue, mais qu’elle était à recommencer le lendemain matin. Le commandant ne laisse pas subsister cette espérance. Il raconte (9 h. 1/4e d’un ton désolé que le 6e corps avait abandonné complètement sa position, qu’il avait défendue toute la journée et que la droite du 4e avait dû suivre ce mouvement. Ils venaient demander au commandant en chef de leur assigner d’autres positions. Le maréchal écouta sans laisser paraître ni émotion ni surprise. Il dit : « Ne vous désolez donc pas ; ce qui sera fait ce soir aurait été fait le lendemain. Vous le faites douze heures plus tôt ; les Prussiens ne pourront pas se vanter de nous avoir fait reculer. »

Une dépêche de l’Empereur l’interrompt. Elle lui demande s’il faut maintenir à Verdun les immenses approvisionnement qui l’attendent. Il répond : « J’ignore l’importance des approvisionnemens de Verdun[19] ; je crois qu’il est nécessaire de n’y laisser que ce dont j’aurai besoin si je parviens à gagner la place. J’arrive du plateau, l’attaque a été très vive ; en ce moment, sept heures, le feu cesse. Nos troupes sont restées constamment sur leurs positions (!). Un régiment, le 60e, a beaucoup souffert en défendant la ferme de Saint-Hubert. — Metz, 18 août, sept heures cinquante du soir. » Canrobert n’eût pas été d’avis que les troupes étaient restées sur leurs positions. Et Bazaine libelle un ordre général de retraite à tous les chefs de corps (8 h. ou 8 h. 1/2).


IX

Mais cette retraite n’avait pas attendu son ordre. Celle de Canrobert était en train ; celle de Ladmirault ne tarda pas à la suivre. Quoique son flanc droit fût découvert par la disparition du 6e corps d’armée, Ladmirault tenta l’impossible pour différer l’inévitable. Le Bœuf, dont aucune attaque n’avait ébranlé la solidité, retarda un moment la catastrophe par l’envoi du brave Saussier.

Le prince Frédéric-Charles n’eût pas voulu devoir la possession des hauteurs à la retraite des corps qui les occupaient ; il mettait son point d’honneur à les enlever de haute lutte le soir même. Il ordonna à Manstein un en avant ! général et il lui adjoignit la brigade du IIIe corps en réserve à Vernéville. Mais ce mouvement ne put pas être exécuté et le prince dut se borner à une attaque sur Amanvillers. Ladmirault avait pris un dispositif en crochet et s’était préservé ainsi quelque temps d’une attaque de flanc ; mais, Saint-Privat enlevé, l’artillerie saxonne avait fait un bond en avant et battu en écharpe la division Cissey qui, prise ainsi de flanc et de front, ne put tenir et dut se résigner à la retraite. Grenier le suivit ; l’infanterie de la division Lorencez et la brigade Pradier, soldats aux cœurs de fer, soutinrent plus longtemps la lutte en désespérés, mais prirent enfin, eux aussi, la voie douloureuse de la retraite.

La retraite de Canrobert, soutenue par le général Péchot et par la cavalerie de Du Barail, s’accomplit d’abord avec ordre. L’artillerie allemande n’était pas entamée, mais son infanterie, surtout celle de la Garde, était dans une inexprimable confusion, en quelque sorte en bouillie, se cherchant, à bout de forces, dans l’état d’énervement qui suit un effort gigantesque, prête à la panique si un retour offensif s’était prononcé quelque part, hors d’état matériellement et moralement de suivre les vaincus qui fuyaient devant elle. Le désordre ne pouvait donc venir que de nous-mêmes. Il ne tarda pas et tourna à la débandade, à mesure qu’on s’enfonçait dans les bois et dans le ravin de Châtel-Saint-Germain : hommes, chevaux, voitures se croisaient, se heurtaient ; un grand nombre d’isolés se cachaient dans les bois ou se livraient à la maraude. Si Le Bœuf avait suivi Ladmirault, la panique aurait emporté la cohue qui se précipitait par une issue trop étroite. L’ennemi, ne sentant plus personne devant lui, aurait pourchassé les fuyards à la pointe de l’épée, et la retraite serait devenue une catastrophe.

Le Bœuf se rendit compte de ce qui se produirait s’il suivait l’ordre général de la retraite. Il prit sur lui de n’y point obéir, réunit ses généraux, leur exposa son intention de tenir bon jusqu’à ce que Canrobert et Ladmirault se fussent complètement écoulés. Il demanda à Frossard de l’imiter ; celui-ci promit de ne pas s’ébranler non plus, tant que le 3e corps resterait en position. En attendant, le général de Berckheim, commandant de la réserve du 3e corps d’armée, ordonna à nos batteries d’exécuter « un feu d’enfer, » contre les batteries allemandes de Gravelotte. La nuit était noire, le village de Gravelotte brûlait, les éclairs des mille détonations des bouches à feu et des projectiles sillonnaient le ciel. L’artillerie prussienne répondit. Aucune des deux ne produisit d’effet sur l’autre, mais les Allemands étonnés crurent à un mouvement offensif de tout notre centre et n’eurent pas l’idée d’inquiéter les 2e et 3e corps d’armée, qui purent s’écouler sans désordre le lendemain au point du jour[20].


X

Le maréchal Bazaine quitta Plappeville pendant la nuit sans prévenir personne. Son état-major le suivit à Metz.

Le 19, Bazaine rédige son rapport à l’Empereur : il ne l’expédie que le lendemain 20 à trois heures de l’après-midi :

« L’armée s’est battue hier toute la journée sur les positions de Saint-Privat-la-Montagne à Rozérieulles et les a conservées (!). Les 4e et 6e corps ont fait, vers neuf heures du soir, un changement de front, l’aile droite en arrière, pour parer à un mouvement tournant de la droite que des masses ennemies tentaient d’opérer à l’aide de l’obscurité. Ce matin, j’ai fait descendre de leurs positions les 2e et 3e corps, et l’armée est de nouveau groupée sur la rive gauche de la Moselle, de Longeville au Sansonnet, formant une ligne courbe passant derrière les forts de Saint-Quentin et de Plappeville. Les troupes sont fatiguées de ces combats incessans qui ne leur permettent pas les soins matériels et il est indispensable de les laisser reposer deux ou trois jours. Le roi de Prusse était ce matin à Rezonville avec M. de Moltke, et tout indique que l’armée prussienne va tâter la place de Metz. Je compte toujours prendre la direction du Nord et me rabattre ensuite par Montmédy sur la route de Sainte-Menehould à Châlons, si elle n’est pas fortement occupée ; dans le cas contraire, je continuerai sur Sedan et même Mézières pour gagner Châlons. »

N’est-il pas superflu de démontrer combien cette dépêche ne rend pas la réalité ? Elle représente comme volontaire et ne constituant qu’une simple évolution tactique, la débâcle très peu volontaire de Canrobert et la retraite des 3e et 4e corps qui en fut la conséquence obligée. Elle indique comme simplement imminent le mouvement des Allemands, consommé, triomphant, qui constituait pour eux une immense victoire. Bazaine raconte la bataille non telle qu’elle fut, mais telle qu’il l’aurait voulue. Il la réduit toujours à n’être que la « défense des lignes d’Amanvillers » et non la colossale bataille de Gravelotte-Saint-Privat. Il revient sur son intention prochaine de prendre la direction du Nord et de se rabattre ensuite par Montmédy sur la route de Sainte-Menehould. Cette indication était déjà bien risquée le 17 août avant la bataille ; elle n’était pas sérieuse après. La route du Nord nous était absolument interdite. La journée du 16 août nous avait fait perdre la route de Verdun, la reculade du 17 celle d’Etain et de Conflans ; la défaite du 18 nous fermait celle du Nord.

Nos pertes avaient été de 12 399 hommes, 619 officiers, et celles des Prussiens de 19 260 hommes, 899 officiers. « Notre belle armée ! s’écrie Kreischmann, encore beaucoup de victoires comme celle-là, et elle n’existera plus. » — « Quelle gloire ! mais quelle tristesse ! » écrit Roon à sa femme.

En dictant ces chiffres, je n’en puis plus, tout pleure en moi. Qu’il était limpide l’horizon des peuples le 1er juillet ! Mais tout à coup, un nuage noir avait obscurci toute clarté, un ouragan furibond s’était déchaîné, et quinze jours à peine se sont écoulés, notre sol a été souillé, dévasté. L’Alsace est perdue, la Lorraine va l’être. Paris est menacé : 30 000 Français, 50 000 Allemands, tous également braves gens, n’ayant aucun sujet de se détester, aimant la vie, ayant des mères, des femmes et des enfans, fils de la même civilisation, artisans d’un progrès semblable, destinés à se rapprocher pour se compléter, et non à se ruer les uns sur les autres pour se détruire ; des milliers de jeunes gens vaillans, auxquels on n’a pu accorder le sépulcre d’un sillon retourné, gisent sur le sol humide de leur sang. Et pourquoi ces hécatombes, ces tueries, ces chaumières incendiées, ces récoltes ravagées, ces malheureux affamés ? Pourquoi cette désolation, là où, quelques jours avant, régnait la douce paix ? Parce qu’il a existé un barbare de génie qui, trouvant trop lointaines les conquêtes de la persuasion et trop lente la marche naturelle de l’aiguille sur le cadran du temps, l’a poussée de son doigt brutal, espérant trouver dans le succès d’une guerre heureuse le moyen d’établir immédiatement sa domination. Et cette iniquité réussit. Qu’est devenu le Jéhovah qui détourne sa face de l’inique ? Notre pauvre planète lui paraît-elle indigne d’un de ses regards, ou est-il lui-même aux prises avec des Satans déchaînés, occupés à arracher de son front de lumière les rayons de la toute-puissance et, de sa main de fer, les foudres du châtiment ?


XI

« Datez vos justices ! » a dit Michelet aux historiens. C’est un des préceptes essentiels de la méthode historique. Un jugement en bloc sur un personnage est aussi faux qu’un tel jugement sur une époque. De la vie d’un homme finit par se dégager un certain nombres de traits caractéristiques qu’on retrouve dans tous ses actes espacés et qui constituent son originalité. Mais ces actes successifs eux-mêmes ne se ressemblent pas et, parfois, une platitude ou une médiocrité succède à un acte méritoire et on ne doit point, parce qu’un jour on a approuvé, se croire obligé à ne pas blâmer un autre jour.

La justice ne permet pas d’apprécier la conduite des généraux de corps d’armée et du généralissime pendant la journée du 18 sur la même mesure que leur conduite dans les journées antérieures. Le 18 août, Frossard et Le Bœuf méritent surtout d’être loués. Ils se révélèrent hommes de guerre de premier ordre. Frossard ingénieur hors ligne. Le Bœuf artilleur sans égal, avaient manié les trois armes réunies aussi bien que des généraux d’infanterie émérites. Ils surent faire alterner la fougue de l’élan avec la solidité du pied ferme. Frossard avait magnifiquement réparé son erreur de Forbach et Le Bœuf son abstention obligée de Rezonville. Ladmirault se retrouva le chef accompli qui avait conquis l’estime de l’armée : dans une situation des plus exposées il avait été, suivant le moment, prudent ou rapide, souple ou vigoureux. Si Saint-Privat eût tenu bon, il n’eût jamais été forcé dans sa position, pas plus que Le Bœuf et Frossard. La défense de Saint-Privat a été une des plus glorieuses pages de la glorieuse carrière de Canrobert. Seul Bourbaki n’a pas été lui-même : sa bravoure s’est effarouchée de la responsabilité qui lui était laissée et il n’a su comment l’employer.

Combien peu se ressemblent le Bazaine de Rezonville et le Bazaine de Gravelotte ! Ce sont deux hommes différens, qui n’ont de commun que le nom. Le Bazaine de Rezonville se trouve tout à coup par surprise dans l’obligation de livrer une bataille ; il la conduit avec une constante lucidité d’esprit. Le Bazaine de Gravelotte, dans une bataille préparée, n’a pas un instant cette lucidité. Le Bazaine de Rezonville a été actif, résolu, infatigable ; toute la journée, il a parcouru le champ de bataille, allant lui-même se rendre compte des péripéties favorables ou contraires de la lutte. « Il est impossible, a dit Bourbaki, d’avoir la figure plus calme et l’attitude plus ferme. Sa bravoure était telle qu’il se trouvait toujours en première ligne, si bien que parfois c’était un peu gênant pour nous, parce que nous ne savions jamais où le prendre[21]. » Le Bazaine de Gravelotte ne va pas voir ce qui se passe sur l’immense champ de bataille. Depuis l’aube, les généraux prussiens, rois et princes, circulent dans tous les sens ; le prince Frédéric-Charles, au premier coup de canon, est accouru à Vernéville ; l’inspecteur général de l’artillerie, d’Hindersin, est venu sur le champ de bataille, afin de suivre de plus près les effets du tir ; le vieux Steinmetz s’est transporté à Gravelotte ; le Roi est accouru de Flavigny, sur les hauteurs de Rezonville ; Moltke se montre sur le terrain, où d’ordinaire on ne le voit pas. Bazaine ne bouge pas, si ce n’est pour faire une promenade inutile sur le plateau de Saint-Quentin ; il ne se montre pas aux troupes ; il laisse les chefs et les soldats à eux-mêmes. Il avait trop galopé le 16 août ; il ne galope pas assez le 18.

Bazaine lui-même a compris que ce changement d’attitude n’échapperait pas à l’histoire et s’est cru obligé de l’expliquer : « J’étais alors très souffrant, a-t-il dit, de ma blessure ; je ne pouvais pas me tenir à cheval. Depuis le 1er août, je n’avais pas huit heures de repos par jour. » On ne s’est pas contenté de cette explication, on a rappelé le maréchal de Saxe miné par l’hydropisie, remportant les victoires de Fontenoy ; Saint-Arnaud à l’agonie, celle de l’Aima ; Drouot, débile, éreintant seize chevaux dans la journée de Waterloo. Le courage de Bazaine n’eût pas été moindre sans doute que celui du maréchal de Saxe, de Saint-Arnaud et de Drouot, s’il l’avait cru nécessaire au salut de son armée. Mais il s’était convaincu que dans la tactique qu’il avait adoptée, il n’avait qu’à rester immobile et à attendre. Cette conduite s’explique par une erreur fondamentale de jugement qu’il importe de bien mettre en relief.

Dans la journée de Rezonville, quoi qu’on en ait dit et quoi qu’il ait dit lui-même dans des réponses irréfléchies au Duc d’Aumale, il résulte de ses actes impartialement pesés qu’il n’a pas subordonné ses manœuvres de combat à la préoccupation de ne pas se séparer de Metz. Il est resté attaché à la pensée qu’il poursuivait depuis le 13 août : gagner au plus tôt Verdun. A partir du 17 août, il se détache de Verdun qu’il croit impossible à atteindre, malgré l’espérance qu’il en témoigne, dans ses dépêches. Dans son esprit, peu à peu se forme, grossit, devient dominante la conviction que le salut de son armée exige qu’à tout prix, il ne se sépare pas de Metz. En cela il faisait preuve de jugement.

La première partie du plan de Moltke de le couper de Châlons était réalisée par la bataille de Rezonville. — S’il laissait « accomplir la seconde partie qui était de le séparer de Metz, il était irrévocablement perdu. Enveloppé par les trois armées prussiennes, c’est-à-dire par plus de cinq cent mille hommes, ses cent vingt-cinq mille hommes étaient obligés de mettre bas les armes ou de s’enfuir en Belgique. Mais ne pas se séparer de Metz ne signifiait pas qu’on s’y enfermerait : être enfermé dans le camp retranché de Metz, c’était l’investissement et tôt ou tard la capitulation par le bombardement ou par la famine ; car il est peu d’exemples qu’une armée investie ait pu se dégager, si sa captivité n’était pas brisée par une armée de secours. Il était donc aussi impérieusement commandé de ne pas se laisser enfermer dans le camp de Metz que de ne pas s’en séparer. Et le seul moyen d’atteindre ce double but était de se cramponner aux lignes d’Amanvillers, de les défendre jusqu’à extinction de son dernier soldat et de jouer là la partie décisive de son dernier combat. Voilà ce que Bazaine n’a pas compris. Il n’a pas sérieusement défendu les lignes d’Amanvillers.

Indépendamment de tout avertissement, l’inspection du terrain indiquait que les Prussiens ne chercheraient pas la solution de leur offensive dans une attaque sur notre gauche et sur notre front, dont ils savaient aussi bien que nous l’inexpugnabilité et qu’ils essaieraient d’enlever notre droite par leur manœuvre habituelle, le mouvement tournant. Cette indication que fournissait le terrain lui-même avait été confirmée à la fois, de très bonne heure, par Le Bœuf et Frossard. Bazaine devait donc dès le matin sortir de son immobilité et comprendre que ce mouvement tournant était le vrai péril qui le menaçait, et qu’il devait adopter immédiatement, sans perdre une minute, les moyens de le prévenir, de l’arrêter ou de l’écraser. Un mouvement tournant peut être abordé ou par le centre ou par les flancs, en principe il n’y a pas de raison systématique de préférer un mouvement par le centre à un mouvement par une aile ; c’est une affaire de circonstance. Gouvion Saint-Cyr ayant fait observer à Napoléon que « dans sa manière ordinaire, il aimait mieux les attaques sur le centre que celles sur les ailes, tandis que celles-ci paraissaient presque toujours avoir été préférées par Frédéric, et que les premières, en présentant d’abord de plus grands obstacles à surmonter, offraient ensuite, quand elles réussissaient, de bien plus grands résultats, puisqu’il était presque impossible à un ennemi battu ou enfoncé par son centre d’éviter une déroute complète et de faire une retraite passable. Napoléon répondit qu’il n’accordait aucune préférence à l’attaque du centre sur celle des ailes et qu’il avait pour principe d’aborder l’ennemi avec le plus de moyens possible[22]. » En la circonstance, vu notre infériorité d’effectifs, l’attaque par le centre était infiniment dangereuse, car, si elle avait réussi un instant, les deux parties momentanément séparées de la ligne enveloppante se seraient refermées sur nous et nous auraient étouffés entre elles. Ce n’était pas le cas non plus d’opérer par notre aile gauche. De ce côté notre ligne, « protégée par le ravin de la Mance, les hauteurs du Point-du-Jour, les forts de Saint-Quentin, les remparts de Metz, constituait une position formidable dont nous ne pouvions être délogés en dépit de la bravoure des troupes allemandes, même au prix des plus grands sacrifices[23]. »

Le plan rationnel de Bazaine devait être de réparer vivement l’erreur qu’il avait commise en plaçant ses réserves à Plappeville, et d’adapter à notre usage la tactique que les Prussiens avaient adoptée, de confirmer l’ordre donné à Frossard, à Le Bœuf, à Ladmirault, de demeurer inébranlablement attachés à leurs positions dans une vigoureuse défensive, de n’engager, du Point-du-Jour jusqu’à Amanvillers, qu’un combat traînant, qui amuserait l’ennemi et le retiendrait devant des positions imprenables, puis de ramasser tout ce qu’on pourrait avoir de forces disponibles, réserve, Garde impériale au complet, cavalerie, y joindre quelques fractions des 2e et 3e corps, dès que leur solidité aurait été démontrée. Avec ces forces compactes, bien tenues en mains, aller vers Canrobert, briser l’offensive allemande, passer soi-même de la défensive à l’offensive, tourner ceux qui avaient compté nous tourner. Alors seulement faire sortir la gauche et le centre de leur immobilité et les pousser sur le front de l’armée allemande, que Canrobert presserait sur le flanc.

N’eût-on pas la force ou le temps de faire succéder l’offensive à une défensive triomphante, nous serions restés maîtres de nos positions après avoir fait subir des pertes considérables à l’assaillant, prêts à lui en faire éprouver de nouvelles, s’il s’enhardissait à recommencer le lendemain, jusqu’à ce que, l’ayant successivement usé, nous l’eussions contraint à se retirer.

Bazaine fait exactement le contraire. Pendant toute la journée, les VIIe , VIIIe, IXe, et à la fin le IIe corps allemands, avaient fait des efforts désespérés, non seulement contre le Point-du-Jour, mais contre toute la position jusqu’à Amanvillers ; ils avaient réussi à s’emparer de la ferme Champenois et de la ferme Saint-Hubert ; ils n’étaient point parvenus à prendre pied sur la position et ils avaient même dû reculer en panique devant les retours offensifs de Frossard et de Le Bœuf. Il y avait eu là des menaces, non un péril. A la droite, au contraire, le péril avait existé dès le début de la journée. La configuration des lieux dénués de toute défense naturelle facilitait le succès du mouvement tournant, objectif des Allemands. Et cependant Bazaine est absorbé par les menaces et ne voit pas le péril. Il accueille sans réflexion une foule de renseignemens saugrenus, contradictoires, se réfutant eux-mêmes, comme il en pleuvait depuis le commencement de la campagne. Il accumule les précautions à sa gauche où elles étaient inutiles et les néglige à sa droite où elles étaient indispensables. Il tient à sa gauche les réserves, désarticule à son profit la Garde impériale ; il ne refuse pas à la droite les munitions, mais il ne s’inquiète pas d’elle et il juge la crise terrible où elle se débat une simple émotion à laquelle il sera facile de remédier. Il se croit quitte par ses instructions du matin et par la liberté accordée à Bourbaki ; il laisse Canrobert se débrouiller comme il pourra.

Dans une bataille livrée sur un front étendu, il y a du danger partout. Le talent du chef d’armée est de discerner celui auquel il est le plus urgent de parer. Bazaine n’a pas eu ce talent le 18 août. Il n’a pas saisi que la défense des lignes d’Amanvillers était à Saint-Privat, et que, Saint-Privat perdu, notre front, du Point-du-Jour à Amanvillers, devenait intenable.


XII

À Dresde en 1813, le jeune duc de Plaisance vint annoncer à Napoléon un des plus grands désastres de la campagne, la défaite de Ney à Dennewitz (6 septembre). Napoléon, raconte Gouvion Saint-Cyr, avec le sang-froid le plus imperturbable, l’interrogea dans les plus petits détails sur les mouvemens opérés par les différens corps ; il expliqua, d’une manière qui paraît aussi précise que claire et juste, les causes des revers, mais sans le plus petit mouvement d’humeur, sans une expression malsonnante ou équivoque contre Ney ni aucun des généraux ses collaborateurs ; il rejeta tout sur les difficultés de l’art qui, disait-il, étaient loin d’être connues. La leçon ne fut point perdue, car Gouvion Saint-Cyr a écrit pour son compte : « Je ne crois pas qu’il ait jamais existé un général assez fort au physique et au moral pour bien conduire par exemple une armée de 200 000 hommes ; aussi, je pense que ce n’est pas dans un esprit de critique sévère, mais avec une indulgence qu’on ne doit pas craindre de pousser trop loin, qu’il faut juger les chefs de nos grandes armées.

On n’a pas fait profiter Bazaine de cette indulgence. La reculade du 17 août avait porté atteinte à son crédit dans l’armée ; son effacement du 18 le détruisit tout à fait. Passant d’un extrême à l’autre, on en vint à refuser la moindre qualité à celui à qui on avait accordé les plus éminentes. On le mit en dehors du droit commun, de l’équité. Des actes qui, de la part de tout autre, eussent paru naturels, semblèrent coupables ; on les travestit à plaisir. S’avance-t-il seul sur une situation exposée, laissant derrière lui son état-major afin de ne pas l’entraîner dans le danger, c’est qu’il ne veut pas que ses officiers voient sur son front la perfidie de ses pensées ; fait-il reculer les impedimenta, afin de rendre la route plus libre et de les soustraire à l’ennemi, c’est qu’il médite d’empêcher la manœuvre qu’en apparence il ordonne ; va-t-il établir son quartier général à un kilomètre de Gravelotte où est l’Empereur parce qu’il n’a pu trouver ailleurs à loger ses chevaux, c’est pour échapper à une surveillance importune ; télégraphie-t-il à Mac Mahon qui lui demande des ordres à Bar-sur-Aube : « Avisez vous-même, » c’est qu’il ne veut pas découvrir son incapacité à un autre en exposant ses projets ou en se montrant hors d’état d’en concevoir aucun. Il est généralissime, c’est-à-dire dispensé, dès qu’il a indiqué son plan général, de surveiller l’exécution des détails importans ou menus ; cependant, dès qu’un chef d’armée commet une bévue ou une omission, qu’un colonel place mal son régiment, c’est Bazaine qu’on prend à partie. Volontiers on le rendrait responsable des peccadilles du moindre caporal. On n’admet pas que ses erreurs soient involontaires ; on les attribue à une duplicité scélérate ; on en fait une espèce de Méphistophélès militaire tout en machinations, en calculs, assoiffé de se créer un grand rôle sur les ruines de son pays, et vraiment très original dans la manière de préparer le triomphe de son ambition. Jusqu’à lui on a pensé que la victoire est le moyen de tout obtenir d’un peuple : lui aurait imaginé que ce serait la défaite. Il redoute la victoire quand elle s’offre à lui et la fuit dans une inertie calculée ; c’est l’accumulation des défaites qui sera le piédestal sur lequel s’élèvera son apothéose. Tous ses actes n’ont été que la préparation sournoise de la trahison prochaine.

Ceci n’est pas sérieux.

Bazaine ne pouvait préparer le 17 et le 18 août une trahison qu’il n’a jamais commise. Qu’est-ce qu’un traître ? Politiquement, c’est celui qui, sous une forme quelconque, sert les intérêts des ennemis de sa patrie, en vue d’un profit personnel plus ou moins bas. Bazaine ne peut être range dans cette catégorie, car ces gens-là ne trahissent pas gratis, et lui a fini presque dans la mendicité. Quand le général d’Aurelle de Paladines, passant à Madrid, le vit dans le taudis où il s’était réfugié, il éclata en sanglots.

Juridiquement est traître celui qui a commis un acte auquel la loi pénale attribue cette qualification. Or, Bazaine n’entre pas non plus dans cette catégorie : on ne lui a imputé aucun acte qualifié légalement trahison ; on ne l’a poursuivi que pour n’avoir pas rempli son devoir d’honneur avant de capituler. Son accusateur, le général Pourcet, l’a reconnu dans son réquisitoire : « Il n’a jamais été question, pas plus dans le rapport que dans le réquisitoire, de trahison ni de conspiration. » La demande en grâce de ses juges s’explique par ce qu’il y avait de monstrueux dans une condamnation capitale motivée par les griefs invoqués, fussent-ils vrais, aussi disproportionnés avec la peine. Elle ne se comprendrait pas appliquée à un traître, car contre un maréchal de France reconnu coupable de trahison, aucun châtiment n’aurait été assez impitoyable. Accoler l’épithète de traître au nom de Bazaine est donc une contre-vérité historique et une calomnie.


XIII

Bazaine n’a jamais trahi. C’était un brave homme modeste jusqu’à l’humilité, sans aile ouverte à aucun idéal, d’humeur pédestre, n’ayant de fierté que celle professionnelle du troupier, si dévoué à ses devoirs de soldat que sa condamnation à mort a été la seule punition qu’il ait encourue dans sa carrière, uniquement préoccupé du soin de veiller à la sécurité de son armée et non de se hisser par elle à un rôle exceptionnel. D’un esprit fin, mais sans netteté et sans vigueur, d’un caractère facile, mais manquant de ténacité, ne sachant jamais dire résolument oui ou non, et, sans être déloyal, se donnant l’apparence de l’être par le vague dans lequel il se complaisait, rapidement accessible, sous un aspect imperturbable, aux pressions des circonstances et y cédant sans avoir souci de ce qu’il avait résolu de contraire auparavant, « On ne fait rien de grand au monde, a dit Thiers, sans les passions, sans l’ardeur et l’audace qu’elles communiquent à la pensée et au courage. » Il n’avait pas « cette chaleur entraînante qui, à la tribune, à la guerre, dans toutes les situations, enlève les hommes et les conduit malgré eux à de vastes fins. »

Le fond de sa nature était la prudence qu’accroissait la crainte des responsabilités ; porté par là aux résolutions défensives, il n’a parfois paru pousser à l’offensive que comme acheminement à une défensive plus solide. Ces dispositions avaient été singulièrement encouragées les derniers temps, car l’Empereur ne lui avait jamais donné un ordre sans lui répéter : « Surtout, ne compromettez pas votre armée. » De plus, il était pessimiste. A son départ de Paris il aurait dit : « Nous allons à un désastre. » Il jugeait « presque impossible, quoique ce mot ne soit pas français à la guerre, de réparer des fautes aussi capitales que nos premières fautes. » Il attachait une excessive importance à quelques épisodes malheureux de panique : « Les commandans des corps d’armée n’avaient pas été, dans l’exécution des ordres donnés, à la hauteur de leur commandement ; les soldats n’étaient pas comme leurs devanciers de la première République et du premier Empire[24]. »

Dominé par ce sentiment, il apporta dans toutes ses combi- naisons une âme de vaincu. Il n’était pas enclin à chercher la bataille parce qu’il était convaincu qu’elle tournerait mal. La journée du 16 août lui avait été comme un coup de marteau sur la tête, il y avait dépensé tout son capital d’énergie. Son état d’esprit général, permanent, qui se manifesta plus particulièrement dans cette circonstance, a été mieux dépeint par lui que par personne : « Je ne voulais agir que presque à coup sûr, » Et quand on ne veut agir que presque à coup sûr, on n’agit pas.

Cette disposition d’esprit l’a mal inspiré ; elle ne permet pas toutefois de l’accuser d’incapacité : on ne devient pas de simple soldat maréchal de France sans avoir donné des preuves multipliées d’habileté technique. Il connaissait très bien son métier. Un fait, petit en lui-même, mais révélateur, démontre à quel point cet incapable tenait son armée dans la main : « Il était presque nuit, un bataillon de la Garde arrive à Gravelotte et le commandant, ne sachant où était son campement, s’informe auprès des officiers de l’état-major. Alors le maréchal, s’avançant, lui indique le lieu précis du campement en l’avertissant qu’il y trouvera un autre bataillon qui l’attend pour partir à son tour. Le maréchal connaît donc non seulement la marche et le campement de ses corps d’armée, de ses divisions, mais celle même de ses bataillons. » Et le spectateur de ce fait, le docteur Anger, tout en indiquant qu’il manquait au maréchal l’audace, ne le considère pas moins comme le seul chef à la hauteur de la situation.

Seulement, sa capacité n’arrivait pas à ce degré supérieur qui est le génie. Canrobert me l’a défini d’un mot pittoresque : « C’était un cavalier qui, ne sachant pas se tenir en selle sur un cheval difficile, s’accroche à la crinière. » Il n’avait commandé jusque-là que 25 000 hommes. « Le grand nombre l’a ébahi, » a dit Changarnier. Voilà la vérité. Nous n’avons affaire ni à un fourbe, ni à un incapable, mais à un homme de capacité courante, à un pessimiste, qu’une situation écrasante a écrasé. Il a jugé tout de suite tout désespéré, et il s’est abandonné à ce qu’il croyait la fatalité, attendant la délivrance du dehors et non de la ténacité d’une volonté énergique : « Je croyais, a-t-il dit, qu’en donnant le temps à l’armée de Châlons de se former, elle pourrait atteindre un effectif considérable qui lui permettrait de venir nous dégager. »

L’art de la guerre a été résumé par Moltke dans cette admirable formule : « Peser, puis risquer. » J’imagine que Napoléon en eût modifié ainsi les termes : « Peser, puis surtout risquer. » Car il a écrit : « Il ne faut jamais désespérer, tant qu’il reste des braves aux drapeaux ; par cette conduite on obtient et on mérite d’obtenir la victoire. Que de choses paraissaient impossibles, et qui cependant ont été faites par des hommes résolus, qui n’avaient plus d’autre ressource que la mort ! »

Les Allemands ont souvent mal pesé et commis des fautes énormes, mais ils ont toujours très bien risqué, et c’est pourquoi ils sont restés victorieux. Bazaine a su peser, notamment lorsque dans la nuit du 16 août il n’a pas voulu lancer ses 125 000 hommes au milieu de 500 000 Allemands ; il n’a pas su risquer quand il ne s’est point précipité sur Gorze le 17 août au matin et le 18 sur Saint-Privat par une offensive endiablée semblable à celle d’Alvensleben. Et c’est pourquoi il a été vaincu.

A la guerre plus qu’ailleurs il vaut mieux risquer que peser. Quand on se trompe dans un calcul on est abaissé, quand on ne réussit pas dans une audace, on reste glorieux. Et quelles audaces ne pouvait-on pas se permettre avec nos sublimes soldats !


ÉMILE OLLIVIER.


Dans l’article de M. Emile Ollivier du 1er juin, les guillemets mis par erreur page 505, ligne 14, après le mot Lorry, doivent être supprimés ; dans la livraison du 15 juin, page 756, les guillemets qui ferment le dernier paragraphe doivent être reportés après le mot âge et clore l’avant-dernière phrase.

  1. Voyez la Revue du 1er, 15 juin et 1er juillet.
  2. Extraits de l’Histoire de l’état-major prussien, p. 677, 682, 684, 690, 694.
  3. Expression de Hohenlohe.
  4. Moltke, La Guerre de 1870, p. 70.
  5. Montluisant : « Il disposait de 100 coups par pièce et la moyenne de la consommation à Solférino avait été de 29 coups par pièce et à Sadowa du côté des Prussiens de 61. Le 16, de 61 de notre côté, de 94 du côté des Prussiens. D’ailleurs les ressources générales de l’armée étaient plus que suffisantes à pourvoir à un usage exceptionnel de munitions ; elles abondaient ; il suffisait de les diriger où elles étaient nécessaires. »
  6. Colonel Picard.
    Rapport du général de Rivière.
    Le 17, l’arsenal de Metz dirigeait sur Plappeville un parc mobile emportant 3 552 obus de 4 561 obus de 12. Le 18, il délivrait directement 3 326 obus de 4, 744 obus de 12,
  7. C’est à la suite de cette action que l’armée allemande renonça à l’attaque de la ligne de colonnes sur un terrain découvert, cette disposition ayant été considérée comme trop dangereuse et souvent impraticable. Le gros de la première ligne devra désormais se former en ordre mixte et agir, même au moment de l’attaque, en groupes moins forts que le demi-bataillon.
  8. Si nous admettons, a dit le général Goltz que, le 18 août 1870, la Garde impériale eût été en réserve derrière l’aile droite française, au lieu de l’être derrière la gauche, et qu’un Bonaparte commandât sur les hauteurs de Saint-Privat, un retour offensif du défenseur sur Sainte-Marie-aux-Chênes, contre nos bataillons fortement épuisés et décimés, eût fort bien amené un grand résultat s’il avait été fait au moment où la Garde prussienne cessait son attaque et où le mouvement tournant des Saxons ne se faisait pas sentir encore. » (Nation armée, opérations et combats, p. 347.) « Si dès le matin du 18, a écrit Frossard, lorsque les mouvemens reconnus de nos ennemis n’ont plus laissé de doutes sur l’imminence d’une attaque, le corps de la Garde impériale avait été posté en arrière de notre aile droite, avec la réserve générale d’artillerie de l’armée, cette puissante réserve, troupes d’élite et artillerie, dissimulée par les bois, en arrière de Saint-Privat-la-Montagne, se fût montrée quand le XIIe corps (saxon) est entré en ligne de ce côté, c’est à elle que les Saxons auraient eu affaire. L’ennemi avait été repoussé à plusieurs reprises à la droite, soutenu vaillamment au centre. Son aile gauche saxonne venant à être culbutée par le choc de la Garde impériale, quelle chance lui restait-il ? Nous devons avoir plus de regrets de cette bataille perdue que de tous nos autres malheurs. » « Il est étonnant que Bazaine, à la fin de son rapport, déclare encore que l’intention des Allemands avait été et était de le couper de Metz. Le croyait-il ? En tout cas, il n’a pas mentionné dans son rapport ni dans sa défense (L’armée du Rhin) que dans le courant de la journée de Gravelotte il eût pu, s’il avait été un général de génie, changer la face du combat. C’était vers les quatre à cinq heures, après l’échec de l’attaque prussienne sur Saint-Privat et lorsque l’aile droite allemande était fortement ébranlée. Si, à ce moment, le maréchal avait attaqué avec son aile gauche et la Garde impériale fraîche, il eût été très difficile, voire impossible aux Allemands de résister. Mais Bazaine ne sut pas saisir le « moment. » (Joannes Scherr, p. 354.)
  9. Audience du 13 octobre. Le Duc d’Aumale lui demande si, à trois heures, le général Bourbaki n’avait reçu aucun ordre formel et si c’est spontanément qu’il conduisit les grenadiers au Gros-Chêne ?... Ne reçut-il aucun ordre de porter plus rapidement ses grenadiers au secours du maréchal Canrobert ?
    Le maréchal : Quand un général du caractère du général Bourbaki a reçu l’ordre de prendre les dispositions suivant les phases de la bataille, je le laisse libre...
    Le président : Vous n’avez pas pu faire donner un ordre nouveau au général ?
    Le maréchal : ... Non, je l’ai laissé agir... A des hommes de cette intelligence il faut laisser une grande latitude.
  10. Procès.
  11. Historique manuscrit du 4e de ligne elle par Picard.
  12. Montaigne.
  13. Historique du grand état-major prussien.
  14. Winn cité par Hozier, Franco-Prussian War, p. 385, ch. XII, t. I.
  15. Verdy du Vernois, Souvenirs, p. 114.
  16. Moltke, Guerre de 1870, p. 74.
  17. Moltke, Guerre de 1870, p. 76.
  18. Lieutenant-colonel Picard, La guerre en Lorraine, p. 281.
  19. Il oublie un télégramme du 16 août, reçu à 2 h. 05 du soir, du ministre lui annonçant la présence à Verdun de 600 000 rations de biscuit en outre du pain, de la farine et de l’avoine. Le 17, il en avait reçu un autre disant l’arrivée de 1 500 000 cartouches et de 8 000 coups de quatre. « La place est bondée de biscuit. »
  20. Conférence du général Lebon.
  21. Procès Bazaine.
  22. D’après Gouvion Saint-Cyr.
  23. Moltke, Guerre de 1870, p. 76.
  24. Épisodes de la Guerre de 1870, maréchal Bazaine.