La Guerre de l’Afrique australe et le Droit des gens

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La Guerre de l’Afrique australe et le Droit des gens
Revue des Deux Mondes4e période, tome 158 (p. 38-78).
LA
GUERRE DE L’AFRIQUE AUSTRALE
ET
LE DROIT DES GENS


Je cherche, de la façon la plus impartiale, à jeter quelque lumière sur diverses questions internationales que soulèvent les péripéties de la guerre engagée dans l’Afrique australe. J’aborde l’examen de ces questions sans parti pris et sans préjugé. Le lecteur éprouvera donc une déception s’il attend une œuvre de polémique. Mon seul désir est qu’il ne soit pas déçu s’il cherche dans cette étude la solution réfléchie d’assez nombreux problèmes juridiques, confinant en général à la politique, incomplètement traités (on le comprend aisément) par la presse quotidienne, qui divisent et passionnent depuis quelques mois l’opinion publique dans tout le monde civilisé.


I. — LES BŒRS RECONNUS COMME BELLIGÉRANS PAR LES ANGLAIS. — CONSÉQUENCES INTERNATIONALES DE CETTE RECONNAISSANCE

Dans une première phase de la guerre sud-africaine, le gouvernement de Sa Majesté britannique avait informé les puissances que le conflit suscité dans l’Afrique australe par l’entêtement des Boers était une affaire d’ordre purement domestique. Des vassaux s’étaient révoltés contre leur suzerain légitime. Cela regardait le suzerain et ne regardait que lui. Le 18 octobre, à la Chambre haute, lord Kimberley, chef des libéraux, avait adouci la rudesse de ces propositions par un euphémisme : l’Angleterre, avait-il dit aux lords, se trouvait engagée dans une guerre qui, « à quelques points de vue, ressemblait à une guerre civile. » A la fin de novembre, il fallut changer de langage. Le chargé d’affaires anglais notifiait au gouvernement russe que la Grande-Bretagne se trouvait depuis le 11 octobre en état de guerre avec les républiques du Sud ; ainsi se trouvait annulée, ajoutait-il, la précédente déclaration d’après laquelle l’Angleterre n’était pas engagée dans une guerre, mais se bornait à réprimer un soulèvement. L’Allemagne et plusieurs autres puissances recevaient à la même date (26 novembre) une communication semblable.

A vrai dire, il était à peu près impossible au gouvernement anglais de maintenir sa déclaration primitive et, de méconnaître cet état de belligérance. La force même des choses dictait sa résolution. Lorsqu’on s’agitait aux Etats-Unis, en 1869, pour faire attribuer aux insurgés cubains la qualité de belligérans, M. Sumner avait pu dire à la convention des républicains du Massachusetts : « Les Hongrois, lorsqu’ils se soulevèrent contre l’Autriche, n’ont jamais été reconnus, bien qu’ils eussent de grandes armées en campagne et que Kossuth les commandât ; les Polonais, dans leurs insurrections réitérées contre la Russie, n’ont pas été reconnus, bien que leur lutte fît palpiter l’Europe… Les insurgés cubains sont en armes, je le sais ; mais où sont leurs villes, leurs places fortes, leurs provinces ? où est leur gouvernement ? où sont leurs ports, leurs cours de justice, leurs tribunaux de prises maritimes ?… où est donc le fait de la belligérance ? » et le Président Grant put s’approprier tout ce raisonnement en ouvrant le Congrès, le 6 décembre 1869. En 1893, le Président Cleveland avait pu refuser de traiter avec l’amiral brésilien de Mello, parce que ce chef militaire, s’il tenait en échec depuis six mois les forces régulières de son pays, n’avait pas justifié d’un établissement fixe en terre ferme[1].

Mais la situation des Boers offrait précisément le plus saisissant contraste avec un tel état de choses. On chercherait vainement ailleurs un pareil ensemble de circonstances qui maîtrisât la volonté de leurs adversaires et dictât-leur conduite. La quatrième commission de l’Institut de droit international, dans le rapport qu’elle soumettait à cette compagnie au cours de notre dernière Session[2], s’exprimait en ces termes : « Les tierces puissances ne peuvent reconnaître au parti révolté la qualité de belligérant : 1° s’il n’a pas conquis une existence territoriale distincte par la possession d’une partie déterminée du territoire national ; 2° s’il n’a pas réuni les élémens d’un gouvernement régulier exerçant en fait sur cette partie du territoire les droits apparens de la souveraineté ; 3° si la lutte n’est pas conduite en son nom par des troupes organisées soumises à la discipline militaire ; 4° s’il ne poursuit pas un but politique opposé à celui du gouvernement combattu ; 5° si, pour atteindre ce but, il pratique des moyens d’attaque ou de défense réprouvés par les usages des peuples civilisés. » Où trouver ailleurs une collection d’êtres humains qui aient conquis d’une façon plus irréfragable une existence territoriale distincte par la possession d’un territoire national ? où les pouvoirs législatif, exécutif, judiciaire sont-ils plus complètement organisés ? quelles troupes observent avec plus de rigidité la discipline militaire ? quel autre peuple a poursuivi plus activement un but politique opposé à celui du gouvernement combattu ? Le lecteur appréciera bientôt si, pour atteindre ce but, il a dévié des usages qui font la loi des peuples civilisés. Dénier aux Boers la qualité de belligérans, c’eût été toucher à l’absurde. L’Angleterre n’a pas commis cette faute.

A vrai dire, la presse et le public se sont généralement exagéré les conséquences internationales de cette reconnaissance. Si l’Angleterre, a-t-on dit plusieurs fois[3], attribue la qualité de belligérans aux Boers, c’est qu’elle renonce à sa prétention d’Etat suzerain ; car on ne saurait imaginer une guerre déclarée qu’entre deux États également indépendans. Or, en droit strict, ce serait aller beaucoup trop loin.

Les mémorables « Instructions de 1863 pour les armées en campagne des États-Unis d’Amérique » ont posé la règle juridique avec toute la netteté désirable. « Lorsque le gouvernement légitime, poussé par un sentiment d’humanité, disent-elles[4], applique en tout ou en partie à l’égard des rebelles les lois de la guerre régulière, cette conduite n’implique en aucune façon de sa part une reconnaissance partielle ou complète du gouvernement que les rebelles peuvent s’être donné ou de leur indépendance comme État autonome et souverain. »

« L’application des lois de la guerre aux rebelles[5] n’implique pas qu’on veuille s’engager avec eux au-delà des limites tracées par cette loi. »

En reconnaissant la belligérance, on pourvoit aux nécessités de l’heure présente ; en reconnaissant l’indépendance, on admet l’existence définitive d’un État nouveau. L’article il du projet soumis à l’Institut du droit international pose catégoriquement cette règle.

Donc l’Angleterre avait tout à gagner, et ne pouvait rien perdre en attribuant aux Boers la qualité de belligérans. D’abord elle déclinait, dans ses rapports avec les tierces puissances, la responsabilité des réquisitions excessives, des confiscations déguisées, des fautes internationales commises par ses prétendus vassaux ; ensuite elle cessait de se confiner elle-même dans la sphère des droits exercés en temps de paix, et pouvait revendiquer tous les privilèges que le droit international confère aux belligérans ; quant à la contrebande de guerre et à la surveillance du commerce maritime, il lui devenait loisible, par exemple (et rien ne pouvait mieux lui convenir), d’imposer aux tierces puissances l’observation rigoureuse des lois de la neutralité, à moins que celles-ci n’eussent elles-mêmes refusé d’adhérer à la reconnaissance[6]. D’autre part, elle n’a rien à perdre, pas même l’espoir de la vengeance ; car, au lendemain d’une victoire, elle saurait se rappeler, le cas échéant, si son intérêt bien entendu ne l’en empêchait pas, que l’application aux rebelles, sur le champ de bataille, des lois et usages de la guerre, n’empêche pas le gouvernement « légitime » ou légitimé par le succès, de juger et de punir les chefs de la rébellion[7].

Tel était l’état de l’opinion, qu’aucune des puissances ne s’avisa de refuser son adhésion. Non seulement tous les États reconnurent aux Boers, d’accord avec la Grande-Bretagne, la qualité de belligérans, mais aucun d’eux ne s’avisa de faire ressortir la distinction mise en relief dans les Instructions américaines de 1863. Au contraire, on s’empressa, dans tout le monde civilisé, d’assigner à cette attribution la portée la plus large, et d’en tirer toutes les conséquences possibles. Un peu plus tard, après le 15 janvier, certains organes du parti conservateur anglais demandèrent que les colons rebelles faits prisonniers au Cap ou dans le Natal fussent déclarés coupables de haute trahison et mis à mort : personne ne s’avisa de réclamer l’application d’un pareil traitement à ces autres vassaux révoltés, les Boers du Transvaal, tombés entre les mains de leurs adversaires. Le Novoie Vremia de Saint-Pétersbourg remarqua, dès le 26 novembre 1899, que les puissances avaient désormais le droit d’envoyer au Transvaal des détachemens de la Croix-Rouge ; d’installer des agens militaires au camp des Boers ; et qu’elles pourraient choisir le moment le plus favorable pour s’interposer entre les belligérans. La Gazette de l’Allemagne du Nord se félicita hautement de ce que l’Angleterre avait, en cessant d’envisager les Boers comme des rebelles, abandonné la plus absurde des thèses : elle ajouta que l’Allemagne pouvait à l’avenir exercer tous les droits, comme elle était astreinte à pratiquer tous les devoirs issus de la neutralité. Bientôt, en effet, la Société russe de la Croix-Rouge expédia de Saint-Pétersbourg aux Boers un détachement sanitaire composé de cinq médecins, de deux économes, de huit sœurs de charité, de quatre aides-chirurgiens, de douze officiers de santé, disposant de vingt-cinq lits et pourvu d’un matériel suffisant pour soigner au besoin cinquante malades. Cet exemple fut promptement suivi. C’est ainsi que la Société française de secours aux blessés adressa, du commencement des hostilités au 15 janvier, trois envois fort importans aux blessés de l’armée républicaine.

La Gazette de Francfort annonça, le 5 décembre, que plusieurs États étaient sur le point d’attacher des représentais militaires à l’armée des républiques sud-africaines. Déjà, depuis plusieurs jours, le lieutenant Weedner, du 23e régiment d’infanterie, en garnison à Trêves, avait obtenu un congé régulier d’un an sans solde, afin de suivre à l’état-major de cette armée les opérations de la campagne[8]. Une dépêche du quartier général boer, datée du 2 décembre, avait annoncé que trois attachés militaires français et un attaché militaire autrichien venaient d’arriver et parlaient pour le Natal. Un télégramme de la Haye (7 décembre) nous avisait bientôt que le capitaine de Ram et le lieutenant Thomson, ayant appartenu à l’armée des Indes, allaient partir pour le camp boer en qualité d’attachés militaires hollandais. A Washington, un député démocrate déposa sur le bureau de la Chambre des représentans, le 16 décembre, un projet de résolution conjointe, déclarant que l’état de guerre existait dans l’Afrique australe, suivant les règles de belligérance fixées par le droit international ; protestant en conséquence contre la direction barbare que la Grande-Bretagne imprimait à la guerre ; et conviant le président de la grande république à prendre toutes les mesures nécessaires d’abord pour rappeler les belligérans à l’observation des lois internationales, ensuite pour faire aboutir la guerre de l’Afrique australe à une paix honorable. Du moins, dans les derniers jours du même mois, le président Mac-Kinley annonça que le département allait se faire représenter au camp boer par un officier de l’armée fédérale.

La France ne se décida pas du premier coup. Le prince Henri d’Orléans reprocha vivement à notre gouvernement ce retard ou cet oubli, dans une lettre adressée au Matin le 25 décembre. Il allait jusqu’à se demander si nous ne manquions point par-là même « aux règles de la neutralité, puisque nous avions accrédité le commandant d’Amade près le général en chef des armées anglaises. » Mais ce reproche ne fut pas longtemps mérité : le capitaine Démange, de l’état-major général de l’armée, fut désigné pour représenter notre pays près le général Joubert.

En droit strict, ces tierces puissances, je le répète, n’ont pas engagé leur liberté pour l’avenir ; mais il faudrait être bien aveugle ou bien ignorant pour contester l’empire des circonstances, et les plus rigides jurisconsultes doivent comprendre que, si la reconnaissance de la belligérance n’implique pas nécessairement la reconnaissance de l’indépendance, elle est loin de l’empêcher.

Tel est assurément l’avis de M. Labouchère[9] à Londres, et du Sénat américain à Washington comme représentant officiel du Transvaal et pour quelle raison cette requête aurait été repoussée (dépêche de New-York, 19 janvier 1900).[10].


II. — DES MOYENS DE NUIRE A L’ENNEMI. — OBUS A LA LYDDITE OU AU PÉTROLE. — BALLES « DUM-DUM »

1° La conférence de la Haye, on le sait, a voté successivement trois conventions et trois déclarations, sans parler de six vœux, dont le premier[11] fut unanimement adopté, les cinq autres furent adoptés à l’unanimité sauf quelques abstentions.

La deuxième déclaration concernait « l’interdiction de l’emploi des projectiles qui ont pour but unique de répandre des gaz asphyxians ou délétères ; » la troisième, « l’interdiction de l’emploi de balles qui s’épanouissent ou s’aplatissent facilement dans le corps humain. » L’Angleterre a signé les trois conventions[12] et refusé de mettre sa signature au bas des trois déclarations. Quant aux deux républiques sud-africaines, elles n’ont rien signé du tout, n’étant pas représentées à la Haye.

Mais, si les trois déclarations ont formé des liens strictement obligatoires entre les puissances signataires en cas de guerre ou entre plusieurs d’entre elles, il ne faut pas se figurer qu’elles aient créé tout d’une pièce un droit des gens ; elles l’ont, sur plus d’un point, constaté, fortifié, sanctionné. Certains principes antérieurs à la réunion de la Conférence ne se sont pas écroulés parce que les puissances ont ajourné leur vote et suspendu leur adhésion.

Dans l’antiquité grecque et romaine, on regardait, déjà comme illicite l’emploi du poison contre un ennemi dans une guerre en forme[13]. Manou, l’ancien législateur de l’Inde, avait posé le même principe[14]. Les instructions américaines de 1863 n’innovaient donc en aucune manière lorsqu’elles posaient cette règle : « L’emploi du poison, de quelque manière que ce soit, qu’il ait pour but d’empoisonner les puits, les alimens, les armes, est absolument proscrit dans les guerres modernes : celui qui y recourt se met lui-même hors la loi et les usages de la guerre[15]. » Le projet de déclaration voté par la conférence de Bruxelles en 1874 codifiait une maxime établie par l’usage de vingt siècles, en disant : « Les lois de la guerre ne reconnaissent pas aux belligérans un pouvoir illimité quant au choix des moyens de nuire à l’ennemi. D’après ce principe, sont notamment interdits : l’emploi du poison ou d’armes empoisonnées[16]. »

Dans les premiers jours de novembre, les journaux anglais[17] annoncèrent que le général Joubert avait écrit au général White pour protester contre l’emploi de projectiles creux chargés de lyddite. On sait que la lyddite est un grand explosif appartenant à la famille de la mélinite. Les journaux et les revues en décrivirent à cette époque les effets terrifians. Un obus à la lyddite, tiré dans un champ où se trouvaient cent moutons, en avait tué quatre-vingts, sans que ces cadavres portassent la moindre trace de blessures. A Omdurman, on avait découvert, après le combat, dix derviches tombés en tas, dont les corps taillés en pièces n’offraient encore aucun indice de blessures : la force de l’explosion avait suffi pour produire le carnage. Une dépêche du camp de la Tugela, datée du 21 janvier, atteste que cette même force d’explosion renversa le commandant Viljoen et deux Burghers, mais sans méconnaître que le commandant eût promptement recouvré l’usage de ses sens. Au demeurant, il ne semble pas que les Boers aient insisté sur cette violation du droit de la guerre et nous n’avons jamais eu sous les yeux le texte de leur protestation. On a fait observer qu’il n’y avait pas de différence appréciable entre la lyddite anglaise, la mélinite française et la roburite allemande. Bien plus, un Boer, interrogé par la rédaction du Times[18], aurait déclaré qu’on avait bâti des légendes sur les ravages causés par la lyddite : ses effets n’étaient pas plus « asphyxians » ni plus « délétères » que ceux des anciens obus. On continua donc à s’en servir sans qu’un nouvel incident arrêtât les Anglais : par exemple, un régiment d’artillerie placé sous les ordres du général Methuen s’en servit avec un certain succès dans l’après-midi du 17 janvier. On lit encore dans deux télégrammes du 20 janvier datés l’un de Rendsburg, l’autre du camp anglais de Spearman’s farm, que les canons de Sa Majesté britannique envoient aux Boers sur des points différens des obus chargés de lyddite, et la première de ces dépêches constate que « la violence des explosions a été terrible. » Les troupes anglaises firent pleuvoir sur les Boers, dans la bataille de Spion-Kop, des obus à la lyddite, mais qui paraissent n’avoir pas très régulièrement éclaté. Des meetings tenus à Minneapolis et à Saint-Louis dans les derniers jours de janvier[19] dénoncèrent cet explosif.

Il était à prévoir que les Anglais saisiraient, à un moment donné, l’occasion d’adresser un semblable reproche à leurs adversaires. En effet, s’il faut en croire le Times du 19 janvier, les Boers auraient employé contre Mafeking un nouveau canon, envoyant des obus qui contiennent un liquide chimique, et ce liquide les fait éclater aussitôt qu’ils sont en contact avec l’air. Mais le grand journal anglais ne manifeste aucune indignation : « ces projectiles d’un nouveau genre, dit-il, n’ont pas jusqu’ici causé de grands dommages : ils ont néanmoins allumé plusieurs petits incendies. » Les journaux français se sont bornés à remarquer que Mafeking était probablement sur le point de succomber, puisque le War Office avait laissé passer une dépêche accusant les Boers de précipiter la capitulation de cette place au moyen d’obus à pétrole. Le fait est-il établi ? le correspondant du Times a-t-il été, ce jour-là, bien renseigné ? Nous en doutons.

Au demeurant, il ne nous paraît pas démontré que les belligérans aient, dans ce premier ordre d’idées, dépassé l’extrême limite de leur droit.

2° La déclaration de Saint-Pétersbourg du 11 décembre 1868 est ainsi conçue : « Considérant que le seul but légitime que les États doivent se proposer durant la guerre est l’affaiblissement des forces militaires de l’ennemi ; qu’à cet effet, il suffit de mettre hors de combat le plus grand nombre d’hommes possible ; que ce but serait dépassé par l’emploi d’armes qui aggraveraient inutilement les souffrances des hommes mis hors de combat ou rendraient leur mort inévitable ; que l’emploi de pareilles armes serait dès lors contraire aux lois de l’humanité ; les parties contractantes s’engagent à renoncer mutuellement en cas de guerre entre elles à l’emploi par leurs troupes de terre ou de mer de tout projectile d’un poids inférieur à 400 grammes, qui serait ou explosible ou chargé de matières fulminantes ou inflammables. » On s’était demandé depuis plus de trente ans si les balles dum-dum, utilisées par les Anglais aux Indes, tombaient sous le coup de cette prohibition. La plupart des jurisconsultes européens et surtout des jurisconsultes français résolvaient affirmativement cette question, tandis que les Anglais la tranchaient négativement. La troisième déclaration dissipe, sur ce point, toute équivoque et c’est pourquoi le plénipotentiaire du gouvernement britannique ne l’a pas signée. Il est vrai que, les Anglais étaient déjà liés par la déclaration de Pétersbourg, qu’ils avaient signée.

Qu’est-ce, au juste, que la balle dum-dum ? C’est une balle explosible recouverte par une enveloppe de métal, la partie supérieure de l’engin restant libre, et qui s’épanouit tantôt en champignon, tantôt comme les baleines d’un parapluie dans le corps humain. La blessure est « atroce, » a dit le chirurgien anglais Davis. Nous renvoyons le lecteur qui voudrait être renseigné plus exactement à l’étude comparative des effets produits par les différens projectiles, publiée, dans la première quinzaine de janvier, par un autre chirurgien dans l’Army and Navy Gazette. En les rangeant d’après la gravité croissante des blessures qu’elles déterminent, les balles dum-dum occuperaient le sixième rang[20].

Dès le début des hostilités, le général Joubert signala, dans une protestation adressée le 18 octobre aux consuls de toutes les puissances résidant à Pretoria, « l’emploi des balles dum-dum contre les armées des deux républiques. » Il est donc vraisemblable que les Transvaaliens n’ont pas menti lorsqu’ils ont déclaré, presque à la même date[21], avoir trouvé des balles dum-dum dans le camp abandonné de Glencoe. Ils sollicitèrent alors du Président Krüger l’autorisation de retourner ces projectiles contre leurs adversaires, mais celui-ci aurait répondu qu’il ne permettrait pas cette violation du droit des gens. Il paraît avéré qu’on préparait encore à l’arsenal de Woolwich d’importans envois de ces mêmes balles à destination de l’Afrique australe[22]. Ces projectiles furent plusieurs fois extraits du corps des soldats boers, par exemple après le combat d’Elandslaagte[23]. Le Petit Bleu, de Bruxelles, informa, le 22 janvier, ses lecteurs qu’il avait reçu de Pretoria plusieurs lettres accompagnées d’un curieux document : l’échantillon, taché de sang et de boue, des enveloppes de cartouches anglaises ramassées sur le champ de bataille de Nicholson-Neck, qui portait, imprimés en lettres rouges, les mots « dum-dum n° 2, » la marque des fabriques et l’indication du calibre des cartouches. Les meetings de Saint-Louis et de Minneapolis condamnèrent énergiquement, quelques jours après, l’emploi des balles dum-dum.

Le correspondant du Times à Mafcking a reproché le 26 décembre aux Boers d’avoir employé des balles explosibles. Ce reproche est dénué de fondement[24]. L’Army and Navy Gazette compare précisément la balle Mauser, employée par les Boers, à la balle du fusil anglais Lee-Metford et la déclare plus humaine dans ses effets, parce que son calibre est plus petit et sa vitesse plus grande. Un médecin-major de l’armée anglaise, dans un rapport adressé le 19 janvier à ses chefs sur les blessures reçues par les soldats anglais après un engagement sur les rives de la Tugela, répète encore que ces blessures sont « aussi humaines que possible. »

Il devient difficile aux Anglais, on le conçoit aisément, de soutenir que, fussent-ils liés par la déclaration de Saint-Pétersbourg, ils ne le sont pas dans leurs rapports avec les républiques de l’Afrique australe parce que celles-ci ne l’ont pas signée. En effet, les Boers ne s’arrêtent pas à la question de procédure et se regardent comme astreints par cette règle internationale. L’Angleterre paraît avoir senti qu’elle ferait mieux, dans l’intérêt de sa propre gloire et de sa propre grandeur, de ne pas se retrancher derrière une subtilité juridique sur une question semblable. Une note publiée dans les journaux du 13 janvier avisa le monde civilisé que le gouvernement britannique décidait, par déférence envers la Conférence de la Haye, de cesser la fabrication des balles explosibles et réformait la balle n° 5, éclatant sous le choc, pour employer le type n° 11, c’est-à-dire une balle lisse sans cavité, n’éclatant pas.


III. — ABUS DU PAVILLON PARLEMENTAIRE. — BLESSÉS ; VIOLATIONS DE LA CONVENTION DE GENÈVE. — PRISONNIERS

Au contraire, le gouvernement de Sa Majesté britannique a signé sans réserve la deuxième convention de la Haye (concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre), et par suite adhéré pleinement au règlement en soixante articles, annexe de cette convention.

Or ce règlement contient un chapitre intitulé : « Des parlementaires. » S’il proclame, en thèse, l’inviolabilité de l’individu qui se présente, autorisé par un des belligérans, avec le drapeau blanc, il ajoute : « Le chef auquel un parlementaire est expédié n’est pas obligé de le recevoir en toutes circonstances. Il peut prendre toutes les mesures nécessaires afin d’empêcher le parlementaire de profiter de sa mission pour se renseigner. Il a le droit, en cas d’abus, de retenir temporairement le parlementaire (art. 33). » « Le parlementaire perd ses droits d’inviolabilité, s’il est prouvé d’une manière positive et irrécusable qu’il a profité de sa position privilégiée pour provoquer ou commettre un acte de trahison. » Les instructions américaines de 1863 allaient encore plus loin, puisqu’elles assimilaient dans ce cas à l’espion[25] le porteur du drapeau parlementaire. Ces maximes sont d’ailleurs fort anciennes : les puissances représentées à la Haye ont voulu les constater et les codifier, mais n’ont pas prétendu les introduire dans le droit des gens.

Les Anglais ont reproché six fois aux Boers soit d’avoir méconnu les immunités du pavillon parlementaire, soit d’en avoir abusé[26]. Si nous ne nous trompons, il n’est point démontré que l’abus ait été systématique et que des méprises n’aient pas causé la plupart de ces incidens. De semblables imputations se reproduisent dans toutes les guerres. C’est ainsi qu’en 1871 les Prussiens accusèrent les Français, les Français accusèrent les Prussiens d’avoir fait feu sur des officiers envoyés en parlementaires[27]. Nous avons beaucoup de peine à croire aujourd’hui qu’on ait, soit d’un côté, soit de l’autre, porté des atteintes volontaires à l’inviolabilité des parlementaires. Une balle égarée par un soldat ignorant ou même par un soldat qu’affole un accès de fièvre chaude (c’est dans de telles conditions qu’un colonel anglais a tué sur les bords de la Tugela un parlementaire républicain) n’entraîne pas la responsabilité du belligérant. « S’il n’y a pas eu mauvaise foi, dit très sagement Bluntschli, si le tout n’est qu’un déplorable accident, il n’y a pas eu de crime international. »

La deuxième convention de la Haye prohibe également l’usage abusif des signes distinctifs de la convention de Genève. Frédéric II se plaisait à dire qu’on prend alternativement à la guerre la peau du renard et la peau du lion ; mais ce conseil n’est pas toujours bon à suivre. Est-ce qu’on peut respecter l’inviolabilité du corps médical, s’il ne s’abstient pas de toute ingérence dans les opérations des belligérans ? est-ce qu’on peut maintenir la neutralité d’un hôpital qu’on transforme en observatoire ou qu’on affecte secrètement au service de la guerre ? est-ce que les voitures employées déloyalement au transport des munitions, des approvisionnemens, etc., vont être soustraites aux chances de la guerre, parce qu’elles seront couvertes du drapeau blanc à croix rouge ? Ce serait absurde.

La protestation officielle du général Joubert adressée, le 18 octobre, aux consuls des différentes puissances résidant à Pretoria met sur le premier plan deux griefs on ne peut plus sérieux : « 1° lors de l’attaque faite contre le général Koch et ses troupes à Elandslaagte, les soldats de la nation civilisée anglaise ont dirigé leur premier coup de canon sur l’ambulance de la Croix rouge, qui était nettement visible ; 2° ils ont essayé d’assassiner un des docteurs portant visiblement une croix rouge et, cherchant à lui planter une lance dans le corps, ont tué son cheval. » Cet exemple avait été donné par les Turcs, dans la guerre de 1877. Si rien n’est exagéré, la convention de Genève aurait été violée de la façon la plus manifeste.

Toutefois sir Redvers Buller s’émut, un peu plus tard, d’un autre récit publié dans les Standard and Digger’s News par le Révérend Martens, qui avait suivi, dans le camp boer, les péripéties d’un autre combat : si les obus anglais avaient tiré sur une ambulance, c’était par erreur. Les ambulances doivent être placées, d’après l’usage, à trois milles du champ de bataille, et c’est pourquoi les Anglais n’avaient pas enfreint, dans cette autre circonstance, les usages de la guerre. « Mais je ne crois pas, ajoutait le général, que les Anglais eussent tiré sur l’ambulance, s’ils avaient su qu’elle était là. » Nous ne le croyons pas non plus ; mais il faudrait donner aux officiers et aux sous-officiers des instructions plus précises. Une correspondance adressée de Pretoria au Petit Bleu de Bruxelles et publiée le 24 janvier dénonce que les Anglais déclarèrent prisonniers de guerre après la bataille de Modder-River des médecins et des infirmiers transvaaliens, puis les dirigèrent sur le Cap dans des wagons à bestiaux ; au Cap, on les relâcha[28], et l’on fit bien. Mais le moment est venu de ne pas retomber incessamment dans la même méprise.

D’un autre côté, les Boers ont reproché vivement aux Anglais d’avoir abusivement employé les signes distinctifs de la convention de Genève. Cette même protestation du général Joubert accusait : 1° les fuyards de Dundee de s’être dérobés aux poursuites sous le drapeau de la Croix rouge pour rejoindre les troupes anglaises et combattre de nouveau les troupes orangistes ; 2° un train cuirassé d’être parti sous le même drapeau pour réparer à son aise un pont détruit. Dès le mois d’octobre 1899, le général Kronje signalait 1« nombre excessif des bâtimens sur lesquels on avait arboré, dans la ville assiégée de Mafeking, les drapeaux de la Croix rouge.

Le colonel Baden Powell répondit le 31 octobre : « Il n’y a de drapeau portant la croix rouge sur fond blanc que sur le couvent, l’hôpital et le camp des femmes. » Kronje réitéra sa plainte à la fin du mois suivant : on reprochait encore une fois aux assiégés d’avoir hissé le signe distinctif de la convention de Genève sur la partie de la ville de Mafeking où se trouvaient les munitions et l’artillerie. On ne céda ni d’un côté ni -de l’autre. Le général Kronje soutint que le colonel Baden Powell n’avait pas le droit d’immobiliser et de neutraliser plus d’un bâtiment ; interprétation trop étroite de la convention[29], quoique, sans nul doute, l’excessive dissémination des bâtimens occupés par les blessés ait tous les inconvéniens possibles. Le général Kronje envoya, le 22 décembre, un message à lord Methuen pour l’aviser que les ambulances et les médecins, placés sur la ligne même du feu pendant une bataille, ne seraient pas « nécessairement respectés. » En effet, le service de santé ne doit pas gêner, même accidentellement, les opérations militaires. C’est pourquoi nos trois sociétés françaises de secours aux blessés (Société française de secours, Union des Femmes de France, Association des Dames françaises), chargées de centraliser les efforts individuels, sont elles-mêmes entièrement soumises à l’autorité militaire en temps de guerre. S’il en était autrement, la convention de 1864 dépasserait la mesure et disparaîtrait. Toutes les lois de la guerre sont mises en échec, si les insignes de la convention servent à couvrir la lâcheté, le vol ou l’espionnage.

La convention de Genève n’a pas réglé la protection du soldat ennemi blessé sur le champ de bataille. Le consensus gentium, établi depuis les temps les plus reculés, suffisait. Hostes ! dum vulnerati, fratres, disait le droit romain. C’est un crime de droit commun en même temps qu’un délit international que d’achever ou de dépouiller le combattant réduit à l’impuissance. Le code militaire français (art. 249) punit de la réclusion tout militaire qui dépouille un blessé, de mort celui qui, pour dépouiller un blessé, lui fait de nouvelles blessures. Ces spoliateurs, ces assassins, ces hyènes de champ de bataille, ne sont pas en général des militaires[30]. Aussi les Instructions de 1863 pour les armées des Etats-Unis en campagne généralisent-elles cette responsabilité pénale : « Quiconque blesse intentionnellement l’ennemi déjà complètement réduit à l’impuissance, disent-elles, sera mis à mort.

La déclaration faite et ratifiée sous serment le 8 novembre devant un juge de paix de Johannesburg[31] contient, il faut l’avouer, des révélations accablantes. Le général Kock, prisonnier des Anglais après la bataille d’Elandslaagte, raconte qu’un soldat anglais, paraissant appartenir aux troupes indiennes, est venu lui prendre son argent dans la poche de son pantalon, puis sa montre, tous ses vêtemens, à l’exception d’un paletot, et l’a laissé tout nu dans une petite tente. Un autre captif (S. S. Koch), atteint au poumon gauche, n’a pas été mieux traité ; un soldat anglais lui a volé tous ses vêtemens et une paire de chaussures pendant qu’un médecin examinait sa blessure. Je vis, poursuit l’auteur de ce récit lamentable, le cadavre de l’adjudant commandant Bodenstein. Il était atteint d’une balle au sein gauche. On lui avait ôté les bagues du doigt et tout son argent avait disparu. Au cadavre de Piet Blignant S. on avait enlevé souliers, montre, argent, tabatière ; l’argent et une bague au cadavre de Willie Pretorius, receveur des contributions à Johannesburg. A Serwaas de Wet, qui n’était que blessé à la jambe, on avait pris son argent et sa bague. Le Hollandais Lepeltakhoeft, blessé par un lancier, s’était rendu : il reçut l’ordre de marcher et de tourner à gauche ; comme il ne se hâtait pas assez au gré de l’officier, une balle de revolver l’atteignit entre les épaules et resta dans un poumon. Il est mort le même soir. Hostes, dum vulnerati, fratres[32] !

Le général Joubert avait déjà signalé, le 18 octobre, au corps consulaire un fait monstrueux, presque incroyable. Les soldats de l’armée d’invasion ayant fait prisonniers près d’un wagon de provisions 18 Boers, dont 2 étaient blessés, les avaient attachés en une rangée à une longue et forte corde attachée à un canon Maxim, et les avaient traînés derrière ce canon en le faisant avancer.

Que faut-il penser des excès signalés par deux journaux allemands. Le baron de Dalwig, ancien capitaine de l’armée allemande, aujourd’hui capitaine chef de batterie dans l’armée des deux Républiques, écrit à la Gazette de la Croix (24 janvier) une lettre annonçant que des femmes et des jeunes filles ont été violées par des soldats anglais aidés par des noirs ; le landrost du district de Rustenburg aurait entre les mains les dépositions des victimes, faites sous la foi du serment. La Gazette de Francfort (même jour) publie le rapport suivant, envoyé, dit-elle, du camp boer des environs de Derdepoort. : « Nombre de paysannes et de jeunes filles, quelques-unes âgées de douze ans, ont été prises de force par les Cafres de la tribu de Khama, après une marche de 60 milles : quatre Cafres les tenaient pour permettre aux soldats anglais d’assouvir leurs instincts. Quelques-unes d’entre elles sont actuellement ici (à Johannesburg), à l’hôpital, malades de la syphilis ; je les ai vues moi-même. Le gouvernement rendra publics les affidavit (témoignages légalisés). » Il faut attendre cette publication, sans laquelle il ne saurait y avoir de certitude. Tout ce qu’on peut dire à la décharge du gouvernement anglais, c’est que son armée est composée d’élémens hétérogènes, et qu’un certain nombre de ses soldats, habitués à combattre hors d’Europe, n’ont pas la moindre notion des lois et coutumes de la guerre entre peuples civilisés. Toutefois, c’est au gouvernement des belligérans qu’il appartient d’inculquer aux combattans le sentiment de leurs devoirs militaires.

Les Anglais paraissent avoir fait, au contraire, un certain effort pour se conformer, sur un autre point de leur territoire colonial, à la deuxième convention de la Haye (art. 4 et 7), d’après laquelle tout belligérant doit, à défaut d’une entente spéciale, traiter ses prisonniers de guerre, pour la nourriture, le couchage et l’habillement, sur le même pied que ses propres troupes. Le télégramme du Cap du 16 janvier, publié par le Times du 18 janvier, fait ressortir que 450 prisonniers boers, transférés à bord de la Catalonia, s’ils « manquent absolument de confort et d’exercice à bord de ce navire[33], » sont logés et traités comme 1 200 soldats anglais.

Les Boers n’ont pas été représentés à la conférence de la Haye ; mais ils prouvent d’une façon péremptoire à toutes les nations civilisées qu’ils auraient mérité d’y être invités. Le 23 novembre, c’est un correspondant du Morning Post qui ne tarit pas en éloges sur les bons traitemens qu’ils prodiguent aux prisonniers anglais : ils vont jusqu’à leur offrir des cigarettes ! Le 17 décembre, c’est lord Methuen qui envoie une lettre de remerciemens au général Kronje pour les bons procédés des Boers envers les ambulances et les hommes de corvée affectés à l’enterrement des cadavres anglais. Le capitaine-adjudant Rice, des Royal-Irish fusiliers, blessé à Nicholson’s Neck, devient le plus ardent des panégyristes[34]. Le 8 janvier, les passagers américains du vapeur Kœnig écrivent au New York Herald que les prisonniers anglais sont traités avec une grande bonté. A Stormberg, on leur fournit le moyen de jouer au football ; on les aide même à donner des concerts[35]. M. Léopold Hess raconte que les officiers anglais, captifs à Pretoria, s’étant plaints de n’avoir pas de marmelade à leur déjeuner, le Président Krüger a donné l’ordre de leur offrir tout ce qu’on pourrait trouver de ce dessert : « Le monde, aurait-il dit, verra que nous sommes des gens civilisés[36]. » Bien plus, dans la seconde quinzaine de février, d’après l’attestation d’un chirurgien anglais, les fédéraux, non contens de fournir des matelas aux soldats de Sa Majesté britannique, se sont privés de tous les œufs qu’ils avaient à leur disposition pour les donner à leurs prisonniers malades. La conférence de la Haye n’en demandait pas tant, et cet excès de courtoisie dépasse les prévisions de la philanthropie la plus ardente.


IV. — INTERDICTION DU COMMERCE ENTRE BELLIGÉRANS. — LA CONTREBANDE DE GUERRE

Les Anglais ont toujours affecté de maintenir, avec une énergie particulière, la vieille maxime du droit international : est prohibition habere commercium cum inimicis. Le sous-secrétaire d’Etat Bourke, tout en défendant devant la Chambre des communes, le 3 mars 1877, la déclaration de 1856, attaquée pour la neuvième fois dans le parlement, réfutait avec une grande vivacité les novateurs qui soutenaient la légitimité du commerce impartial entre belligérans : « Ce pays, disait-il, pourrait-il supporter un résultat aussi absurde : l’ennemi bombardant nos côtes, et ses navires marchands entrant dans nos ports ou en sortant avec une absolue sécurité ? La convention qui consacrerait un tel principe ne survivrait pas une heure à l’ouverture des hostilités. » C’est une phrase creuse, car ces mêmes Anglais, sans parler des licences spéciales qu’ils délivrent incessamment pour importer ou exporter certaines marchandises, suspendent sans la moindre hésitation, après l’ouverture des hostilités, l’application de cette règle antique, dès qu’ils trouvent un intérêt à la suspendre. C’est ce qu’ils ont fait, par exemple, dans la guerre de Crimée et pendant l’expédition de 1860 contre la Chine.

Le Reichanzeiger, journal officiel de l’Empire allemand, publia donc, dès le 24 novembre, la note suivante : « Selon le droit anglais, il est défendu pendant la durée de la guerre aux sujets britanniques de trafiquer avec la république sud-africaine, l’Etat d’Orange, ou avec les sujets des deux États. En vertu de cette défense, les autorités et les bâtimens de guerre britanniques saisissent provisoirement toutes les marchandises à destination des deux républiques, même dans le cas où ces marchandises ne peuvent pas être réputées contrebande de guerre. Le commerce allemand appréciera s’il n’est pas de son intérêt d’éviter, durant la guerre actuelle, l’emploi de bâtimens britanniques pour le transport de marchandises dans l’Afrique australe. » Une proclamation du Foreign Office rappelle, non seulement aux sujets britanniques, mais aux étrangers, résidant accidentellement sur le territoire anglais, qu’il est illégal de trafiquer avec les Boers. Cela n’empêcha pas les ports anglais de leur expédier des munitions de guerre et de bouche. Par ordre du War Office, tous les vaisseaux sortant de ces ports durent être soigneusement visités. C’est ainsi que la douane découvrit, le 5 janvier, à bord du vapeur Cato deux canons de gros calibre embarqués pour l’Afrique australe dans les docks de Londres. Le surlendemain, six Maxims furent encore trouvés sur un second vapeur dans les mêmes docks, tandis qu’on saisissait une grande quantité de conserves à bord d’un troisième. Il est inutile d’entrer dans de plus longs développemens.

Cette interdiction du commerce rend illicites d’un pays à l’autre tous les actes commerciaux : non seulement les achats et ventes de marchandises, les entreprises de transport, mais encore les opérations de change, les contrats d’assurance au profit de l’ennemi, etc. Ces actes sont frappés d’une nullité définitive, qui survit même à la conclusion de la paix. C’est ainsi qu’on lut dans les journaux du 6 février : « Toutes les banques des colonies du Cap et du Natal ont reçu l’ordre de refuser les billets payables dans le Transvaal et dans l’Etat d’Orange. » La mesure lésait avant tout les colons du Natal : une note rectificative annonça qu’elle s’appliquait seulement aux chèques et aux traites : on annonce aujourd’hui qu’elle sera probablement rapportée. Nous ne regardons pas, pour notre compte, l’interdiction du commerce inoffensif comme une conséquence naturelle de la guerre, et nous jugeons inutile d’ajouter cette cause de ruine à tant d’autres que l’état de guerre suscite. Mais nous ne prétendons pas que la pratique anglaise soit contraire au droit des gens, tel que le détermine encore, à l’heure présente, le consensus gentium.

Les belligérans ont en outre le droit de restreindre la liberté du commerce des neutres en ce qui concerne la contrebande de guerre. L’expression « contrebande de guerre » sert à désigner les objets qu’un neutre ne peut transporter à un belligérant sans violer les devoirs de la neutralité. Jusqu’ici, l’entente est facile. Mais quels sont ces objets ? Sur ce deuxième point, l’entente ne s’est pas encore établie.

Ce n’est pas sans raison que le professeur autrichien Neumann, il y a près d’un quart de siècle, reprochait à la mémorable déclaration de 1856 d’avoir entamé la réforme du droit maritime sans l’achever, parce qu’elle avait laissé dans le vague ce qui concernait la contrebande de guerre. Le Congrès de Paris avait pourtant sous les yeux la déclaration de Catherine II ; ce qu’il n’ébauchait même pas, la grande impératrice l’avait osé. Le 9 mars 1780, elle avait annoncé sa résolution d’affranchir le commerce des neutres en étendant « à toutes les puissances en guerre » les obligations contenues dans le traité anglo-russe du 20 juin 1766 (art. 10 et 11). Or le traité contenait cette énumération restrictive : « Tous les canons, mortiers, armes à feu, pistolets, bombes, grenades, boulets, balles, fusils, pierres à feu, mèches, poudre, salpêtre, soufre, cuirasses, piques, épées, ceinturons, poches à cartouches, selles et brides au-delà de la quantité qui peut être nécessaire pour l’usage du vaisseau, ou au-delà de celle que doit avoir chaque homme servant sur le vaisseau et passager, seront réputés munitions et provisions de guerre. » Quand l’Institut de droit international débattit à Venise, dans sa session de 1896, un projet de règlement sur la contrebande de guerre, je défendis avec toute la vigueur possible les principes de 1780. L’Institut confirma ces principes par un triple vote. Il limita les articles de contrebande (objets destinés ou pouvant être employés immédiatement à la guerre) ; il abolit les contrebandes relative (usus ancipitis) et accidentelle ; il permit cependant au belligérant d’exercer, moyennant indemnité, un droit, de séquestre ou de préemption sur les objets qui, en chemin vers un port de son adversaire, peuvent également servir à la guerre et à des usages pacifiques.

Ce qui caractérise précisément le rôle de l’Angleterre, c’est qu’elle a repoussé, pendant tout le XVIIIe siècle, et tout le XIXe, un règlement fixe et stable, commun à toutes les nations. Neutre, elle a déclaré libres le plus grand nombre d’objets possible, et, par-dessus tout, les produits de sa propre fabrication ; belligérante, elle étend démesurément la liste des articles prohibés, surtout de ceux qui peuvent être utiles à son adversaire : c’est ainsi qu’elle en vient à interdire le transport des choses les plus indispensables à la vie ordinaire : le blé, les farines, le vin, etc. Elle peut le faire sans heurter le droit des gens conventionnel, puisque celui-ci ne pose aucune règle, mais non sans se mettre en opposition avec la nature des choses et sans provoquer, par suite, certaines révoltes de l’opinion publique.

La France, au contraire, s’attacha généralement, surtout depuis le traité des Pyrénées, à faire prévaloir la théorie de la détermination restrictive, c’est-à-dire à prendre en main la cause des neutres. Elle manqua toutefois à cette tradition et sacrifia peut-être son intérêt permanent à des convenances accidentelles lorsque, dans sa lutte de 1885 avec la Chine, elle avertit les neutres, par une circulaire ministérielle, qu’elle allait traiter le riz comme un article de contrebande. La Grande-Bretagne protesta : « Le gouvernement de Sa Majesté ne peut admettre, dit-elle, que le fait de traiter des provisions, en général, comme contrebande de guerre soit compatible avec la loi et la pratique des nations, et avec les droits des neutres. » M. J. Ferry crut pouvoir établir, par un raisonnement plus ou moins subtil, que les cargaisons de riz expédiées des ports chinois du Sud étaient affectées à un usage militaire. Lord Granville réitéra la protestation de l’Angleterre.

Cette puissance s’est, au contraire, comportée dans la guerre actuelle comme dans les guerres de la Révolution et de l’Empire. Elle a cherché, sans choisir entre les moyens et sans ménager les droits des neutres, comment elle parviendrait le plus sûrement à mettre son adversaire hors d’état de continuer la lutte.

Les croiseurs anglais pouvaient assurément saisir, quoiqu’on l’ait contesté, des armes et des munitions de guerre à bord du transport allemand le Kaiser, ou même une cargaison de soufre à bord du vapeur argentin Marrias, pourvu que ces articles fussent expédiés au Transvaal. S’il en était autrement, il n’y aurait plus de contrebande de guerre et les neutres pourraient tout se permettre.

Mais les Anglais affichèrent, presque aussitôt après l’ouverture des hostilités, la prétention de classer les denrées alimentaires parmi les objets de contrebande. Les Allemands en résidence à Pretoria adressèrent à ce sujet, le de novembre 1899, une réclamation pressante à leur gouverneur. A la même date, s’il faut en croire les journaux belges, le Président Krüger aurait adressé la dépêche suivante à lord Salisbury : « Etant donné que nous avons ici près de 2 000 Anglais comme prisonniers de guerre, nous serons forcés de les nourrir avec de la bouillie de maïs, si vous continuez d’arrêter l’importation des denrées alimentaires. » M. Chamberlain aurait répondu, le 10 novembre, que le gouverneur avait donné des instructions « relatives à l’importation des objets d’alimentation dans la République sud-africaine, abolissant toutes les mesures restrictives édictées par les autorités britanniques dans l’Afrique du Sud. » Ou cette correspondance n’a existé que dans l’imagination des journalistes, ou le cabinet anglais changea bientôt d’avis. En effet, le 8 décembre, on apprit que le vapeur américain Mashona, à destination de Lourenço-Marques, avec un chargement de farines pouvant être réexpédiées au Transvaal, avait été saisi par un vaisseau de la marine royale. L’émotion fut très vive aux Etats-Unis. Sont-ce là, demandait le New-York World dans un article intitulé « Notre commerce attaqué », les premiers fruits de la fameuse alliance anglo-saxonne ? L’Angleterre outrepasse son droit. Le Herald soutenait à son tour qu’elle comblait de joie tous ses futurs ennemis en faisant des céréales un article de contrebande. La thèse anglaise, dit le Times de New-York, se retournera contre l’Angleterre, quand celle-ci sera engagée dans une guerre européenne. Le Sun écrivit : « C’est une tentative de suicide : si l’Angleterre ne peut subjuguer les Boers sans établir un tel précédent, mieux vaut cent fois pour elle rappeler ses soldats et reconnaître l’indépendance du Transvaal. » Lord Rosebery, sans donner ce dernier conseil, laissa percer les mêmes inquiétudes, dans une lettre adressée au Times (de Londres) le 30 décembre. Cependant la cour des prises coloniales était saisie ; un télégramme du 5 janvier annonça qu’elle venait de relâcher le vapeur, mais retenait la cargaison jusqu’à plus ample informé. M. Choate, ambassadeur des États-Unis à Londres, entama des pourparlers avec lord Salisbury, mais n’obtint pas une réponse immédiate. On commençait à perdre patience dans les deux Chambres du Congrès. Le sénateur Hale demanda, par un projet de résolution, des renseignemens sur les mesures que le gouvernement avait prises depuis la saisie des farines américaines, déclarant en outre que ces marchandises étaient détenues « injustement » et sans cause. Il ajouta, comme le mot « injustement » effarouchait un certain nombre de ses collègues, qu’il fallait porter à la connaissance de l’Angleterre le sentiment des États-Unis. La discussion fut ajournée ; mais le Sénat fut saisi bientôt après d’une seconde motion toute semblable (17 janvier) et d’une troisième, présentée sous une forme plus radicale (25 janvier)[37].

Le cabinet de Saint-James tenta d’abord de s’en tirer par une distinction subtile. Il imagina (11 décembre 1899) de diviser en deux classes les denrées d’alimentation : il consentait à reconnaître que la farine n’était pas, en elle-même et par la force des choses, un objet de contrebande ; mais il assimilait aux munitions de guerre « la viande de conserve et d’autres articles qu’on peut envoyer aux troupes en campagne. » Cette nouvelle thèse ne fut pas prise au sérieux ; on ne s’y arrêta pas, même en Angleterre. Mais le ministère, bien conseillé par quelques jurisconsultes, se plaça presque aussitôt sur un terrain moins mauvais en reprenant avec des amplifications nouvelles la théorie du voyage continu, adoptée par la Cour suprême des États-Unis en 1862, dans l’affaire du Springbock, c’est-à-dire en s’appuyant sur ces deux propositions : 1° la destination hostile de la marchandise est présumée dès que le navire est présumé devoir touchera un moment quelconque un point du territoire ennemi ; 2° à la présomption de fraude fondée sur l’itinéraire du navire il faut ajouter la présomption fondée sur la simple intention du chargeur.

On comprend aisément que toute marchandise peut dès lors se transformer en contrebande de guerre au gré d’un belligérant : on le comprendra mieux encore en lisant le chapitre 144 de l’ouvrage écrit par sir Travers Twiss sur le Droit des gens en temps de guerre, qui résume la jurisprudence des cours anglaises. Le calcul était à moitié juste. M. Crammond Kennedy, l’un des jurisconsultes qui traitent avec le plus d’autorité, aux Etats-Unis, les questions internationales, avoua[38] que « cette réexpédition devrait être réglée par la clause du droit international relative au voyage ininterrompu, ainsi qu’il avait été décidé pendant la guerre de Sécession, notamment dans l’affaire du Springbock. » Mais il atténua singulièrement, dans ses observations, la portée de cette jurisprudence. « L’onus probandi, ajoutait-il, sera, dans ce cas, à la charge du gouvernement anglais. La puissance qui saisit la cargaison est tenue de prouver qu’elle était expédiée contrairement aux règles établies. Si les céréales étaient destinées aux Boers, et que cela fût démontré, le droit de les capturer en pleine mer est indiscutable. » La cour des prises coloniale tâtonna. Le 16 janvier, elle n’avait pas encore relâché les farines, parce qu’elle n’en connaissait pas le propriétaire réel et craignait d’exposer le gouvernement britannique au paiement d’une indemnité, si cette cargaison n’était pas livrée à son véritable destinataire. Les rôles étaient donc intervertis. Puis elle ajourna sa décision au 29 janvier : encore n’a-t-elle rendu ce jour-là qu’un arrêt d’ « avant faire droit, » comme on dit au Palais, autorisant le capitaine à prouver, dans le délai de trois semaines, qu’il n’avait jamais eu l’intention de négocier avec les Boers, préjugeant par-là même qu’il n’y avait pas lieu de prononcer la confiscation[39], et ne la prononçant pas. On pressentait assurément ce dénouement à Washington, car il y avait longtemps que le Président Mac Kinley se déclarait pleinement satisfait.

Un incident encore plus grave s’était produit le 29 décembre. Le steamer Bundesrath, de la Compagnie allemande de l’Afrique orientale, avait été saisi par un vaisseau de la marine royale anglaise et celle-ci se proposait de le détenir à Durban en attendant que la cour des prises eût statué. L’émotion fut vive à Hambourg ; dès le 30 décembre, une discussion très chaude s’engagea dans la Chambre de commerce : M. Eiffe, s’exprimant au nom des maisons en relation d’affaires avec l’Afrique australe, demanda si cette chambre prenait les mesures nécessaires pour la protection du commerce allemand, et M. Voermann, président, répondit qu’elle allait provoquer une intervention du gouvernement. Une note diplomatique, contenant une protestation véhémente, fut, en effet, envoyée sur-le-champ à Londres. Les autorités de Durban ayant prétendu tout d’abord que le bâtiment saisi contenait vingt-trois officiers ou soldats qui allaient prendre du service dans les armées des deux républiques, l’armateur, mandé par le ministre des Affaires étrangères à Berlin, déclara que le Bundesrath ne transportait ni contrebande de guerre, ni volontaires pour le Transvaal. Cependant les journaux de Londres publièrent le 3 janvier, la dépêche suivante : « Le Bundesrath portait, outre 7000 selles, 5 gros canons, 50 tonnes de projectiles, et 180 artilleurs exercés. » Nouveau démenti. On finit par reconnaître que le navire contenait seulement des fusils de chasse, sans emploi pour la guerre et d’ailleurs expressément portés sur le connaissement. Une seconde note, plus énergique, fut envoyée au cabinet de Saint-James par le cabinet de Berlin. Cependant la presse allemande prit feu ; des articles très vifs furent publiés ; un mouvement d’opinion publique se dessina contre l’Angleterre. Ce mouvement devint de plus en plus violent à mesure qu’on apprit la saisie successive du Hans Wagner, autre vapeur hambourgeois (qui n’a été relâché que le 7 février), des paquebots impériaux Herzog et General, de la barque allemande Marie, venant d’Australie avec un chargement de farines pour le Transvaal. Le 8 janvier, les autorités coloniales anglaises se bornèrent à relâcher les passagers du Bundesrath ; le 16, elles débarquèrent la cargaison, après avoir reconnu qu’elle était conforme au manifeste, mais sans qu’il fût statué sur la validité de la prise : ces demi-mesures ne calmèrent pas l’effervescence générale.

Cette exaspération croissante du peuple allemand mit le gouvernement impérial dans un certain embarras. On ne pouvait pas contenir même les journaux officieux. L’interpellation de M. Mœller, député national-libéral au Reichstag, fut cependant retardée jusqu’au 19 janvier. La réponse de M. de Bulow, ministre des Affaires étrangères, fut catégorique et provoqua de longs applaudissemens. Le secrétaire d’Etat déclara qu’on avait illégalement convoyé le Herzog à Durban, illégalement débarqué le chargement du Bundesrath et du General, sans qu’il y eût une suspicion fondée de contrebande. Il répudia la théorie anglaise et anglo-américaine du « voyage continu : » l’Allemagne n’admettait pas que « des marchandises à destination d’un port neutre fussent en aucune façon de la contrebande. » « Sur nos réclamations, ajouta-t-il, le General et le Herzog furent aussitôt relâchés ; le Bundesrath ne l’a été qu’hier[40]. Nous avons, en outre, demandé une compensation pécuniaire pour l’arrêt, non motivé en droit, des vaisseaux et pour les pertes que cet arrêt a causées à des sujets de l’Empire. L’Angleterre a reconnu en principe qu’elle était tenue de nous donner des compensations. De nouvelles instructions anglaises ont interdit de pratiquer à l’avenir l’arrêt et la visite de navires se trouvant à Aden ou à des points soit plus éloignés, soit même aussi éloignés de l’Afrique australe. » La conclusion était très ferme : « Nos bonnes relations avec l’Angleterre ne peuvent se maintenir que sur la base d’une parité complète de droits et d’égards mutuels. » (Approbation et bravos.) La Grande-Bretagne avait déjà pressenti cet éclat et mitigé pour la circonstance la rigueur de ses doctrines.

Les Allemands réclameront peut-être d’assez fortes indemnités. D’après la coutume internationale, sanctionnée par un grand nombre de traités, reconnue par l’illustre jurisconsulte anglais Phillimore et par lord Stowell, non seulement la visite doit être faite avec tous les ménagemens possibles, mais le capitaine du vaisseau belligérant ne peut rompre ni ouvrir lui-même les écoutilles, encore moins les ballots ou colis qui pourraient contenir des marchandises sujettes à confiscation ; il doit les faire ouvrir par les gens du navire visité[41]. Or, les Anglais auraient, d’après le capitaine du General, bouleversé la cargaison, brisé les caisses, cassé divers objets, exposé des marchandises à la pluie qui les avait détériorées. La compagnie hambourgeoise, qui demande pour le Bundesrath 430 000 marks, réclamerait donc, d’après les télégrammes de Berlin (23 janvier) une indemnité beaucoup plus élevée pour le General. La déduction serait exacte si la plainte est fondée en fait, ce que nous ignorons.

En outre, le General était un paquebot-poste et certains traités, par exemple la convention franco-anglaise du 14 juin 1833 et la convention franco-italienne de 1869, exemptent ces navires de tout embargo. Mais, si l’immunité des paquebots-poste est instamment proposée par divers publicistes, elle n’a pas été généralisée, en fait, par le droit international positif. En fait, le droit de visite n’est pas exercé généralement dans toute sa rigueur contre les paquebots-poste qui portent des dépêches ; mais M. Mœller avait raisonné, dans son interpellation, comme si ces bâtimens étaient universellement et légalement inviolables. M. de Bulow dut se borner à répondre : « Nous avons fait observer qu’il serait hautement désirable que le gouvernement anglais avisât les commandans de ses vaisseaux de ne pas arrêter les vapeurs naviguant sous le pavillon allemand de la poste. Ce gouvernement a envoyé des instructions pour que ces paquebots ne fussent pas retenus et visités sur une simple suspicion. Ces instructions resteront en vigueur jusqu’à ce qu’intervienne un autre arrangement entre les deux puissances[42]. »

Le bâtimens neutres peuvent être arrêtés, visités ou saisis dans les eaux des belligérans ou dans la haute mer. Mais les belligérans commettraient une violation du territoire s’ils se livraient à ces opérations dans les eaux territoriales d’un État neutre. Un journal français a blâmé la Magicienne, croiseur anglais, d’avoir arrêté le Cordoba, vapeur français, à soixante-dix milles de Lourenço-Marquès. Mais c’était donner une extension démesurée à la mer territoriale portugaise[43].

Toutefois les Anglais ont, au cours de la guerre actuelle, incessamment méconnu cette règle élémentaire du droit international. Le 2 novembre 1899, un vaisseau de guerre anglais, dans la baie de Delagoa, tira sur un voilier qui était entré dans le port sans arborer son pavillon. On se demanda naturellement à Lisbonne de quel droit l’Angleterre faisait la police dans un port de Portugal[44]. Le duc d’Almodovar exposa le 5 décembre 1899 à la Chambre des députés espagnole qu’un vapeur d’une puissance neutre avait été visité par un croiseur anglais, aux îles Canaries, dans les eaux territoriales de l’Espagne. Quelques semaines plus tard, des céréales américaines furent saisies par des cuirassés anglais dans la baie de Delagoa. Un peu plus tard encore, le gouvernement portugais fut contraint d’avouer qu’un croiseur anglais avait tiré sur un vapeur norvégien dans les eaux de Lourenço-Marquès : il ajouta que cette « irrégularité » venait d’être signalée au gouvernement de Sa Majesté britannique et que celui-ci donnait à ses commandans l’ordre de respecter la souveraineté du Portugal. Un journal russe, la Rossija, en vint à demander (14 janvier) qu’un accord s’établît entre les puissances européennes pour envoyer dans la baie de Delagoa des navires chargés de protéger la liberté des échanges dans les eaux neutres[45].

Cependant les tempêtes qu’avaient soulevées, à plusieurs reprises, les procédés de la Grande-Bretagne inspirèrent au monde civilisé des réflexions salutaires : on se demanda s’il ne devenait pas indispensable de compléter la déclaration de Paris (1856) par un nouvel accord international. Le Tageblatt de Berlin, annonça, le 18 janvier, que le gouvernement russe venait de prendre l’initiative et de communiquer à quelques puissances le projet de réunir une conférence qui serait chargée de régler divers points de droit maritime et particulièrement de définir avec précision la contrebande de guerre. Dès le lendemain, on avait fait un grand pas : M. de Bulow déclarait dans son discours au Reichstag que « l’Allemagne souhaitait la réunion d’une conférence internationale réglant le droit de visite et définissant la contrebande de guerre. » D’après le Times de New-York du 21 janvier, « cette suggestion du comte de Bulow était généralement approuvée » aux États-Unis. Le Standard, de Londres, reçut le lendemain (22 janvier) de son correspondant de Berlin une information plus importante encore : l’Angleterre, les États-Unis et la Russie accueilleraient favorablement ce projet d’une conférence pour la conclusion d’une convention internationale maritime. L’Angleterre, qui l’eût cru ? après s’être appliquée depuis si longtemps à faire séparément, au gré de ses intérêts, dans chaque guerre, la détermination de la contrebande en imposant sa liste de prohibitions à toutes les puissances ! Il faut souhaiter que cette nouvelle se confirme, car on ne peut rien sans l’adhésion du gouvernement britannique.

Il est facile de tracer en deux mots sinon tout le programme de la future conférence, au moins une partie de ce programme. Faut-il revenir aux principes de 1780 et reprendre le plan de Catherine II ? Maintiendra-t-on, à côté de la contrebande absolue, une contrebande relative, comprenant les marchandises d’un usage double et douteux[46] comme l’or, l’argent, les vivres ? si l’on supprime la contrebande relative, ne devra-t-on pas, en revanche, comprendre dans la contrebande absolue les objets qui, pour servir immédiatement à la guerre, n’exigent qu’un travail de juxtaposition[47] ; alors même qu’on supprimerait la contrebande relative, faudra-t-il laisser encore au belligérant, quant aux marchandises affranchies de la saisie, le droit de préemption introduit par l’ordonnance française de 1543 et remis en vigueur à la fin du XVIIIe siècle par les juges anglais ? enfin rompra-t-on avec la théorie du voyage continu ? Une immunité doit-elle être accordée définitivement aux bâtimens hospitaliers et aux paquebots-poste ? comment la limiter pour déjouer la fraude ? Les puissances qui obtiendraient sur ces divers points le vote d’un règlement fixe et non équivoque auraient bien mérité de l’humanité.


V. — OPÉRATIONS ENTREPRISES A TITRE PARTICULIER PAR LES RESSORTISSANT D’UNE PUISSANCE NEUTRE. FOURNITURES. — ENROLEMENS

Deux principes sont au-dessus de toute discussion. 1° Quand une puissance neutre procure elle-même à un belligérant des armes, des munitions, des subsides, elle enfreint les lois de la neutralité ; elle les enfreint encore, quand elle leur fournit elle-même des troupes auxiliaires. Mais il ne faut pas confondre les actes accomplis par l’Etat neutre et les opérations entreprises à titre particulier par ses nationaux. 2° Les actes faits à titre individuel par les sujets ou citoyens d’une tierce puissance ne peuvent être assimilés aux (actes accomplis par ses représentans légaux. En thèse, un gouvernement n’est pas responsable d’une opération commerciale, fût-ce un envoi d’armes, faite par un de ses nationaux à ses risques et périls.

Cette distinction semble simple et cependant elle ne résout pas toutes les difficultés. La question est quelquefois très complexe : par exemple, quand on reproche au neutre d’avoir laissé s’organiser sur son territoire, dans ses ports, dans ses eaux territoriales, de grandes livraisons de fournitures faites avec son plein assentiment ou des expéditions militaires dans l’intérêt d’un belligérant. Quand y a-t-il « abus de territoire ? » à quels signes peut-on reconnaître une certaine connivence entre l’Etat et ses ressortissans ? La ligne de démarcation est souvent difficile à tracer.

Les gouvernemens neutres se sont appliqués cette fois, en général, depuis le commencement des hostilités, à pratiquer les devoirs issus de la neutralité. C’est ainsi que, dès la première heure, l’empereur Guillaume, dans un ordre de cabinet aux chefs de corps d’armée, recommanda non seulement aux officiers de l’armée active, mais encore aux officiers de la réserve de ne prendre aucune part à la guerre actuelle. Une note officieuse, publiée le 22 décembre, déclara qu’aucun officier allemand n’avait reçu d’autorisation ni même de congé pour se rendre dans l’Afrique australe. Le 29 janvier, le même gouvernement allemand refusa de transmettre au Président Krüger un chèque de 750 dollars, produit d’une souscription recueillie par un journal allemand de Saint-Louis, aux Etats-Unis[48]. L’empereur Nicolas a refusé formellement au prince Louis-Napoléon, colonel dans l’armée russe, un congé pour aller combattre avec les Boers. Le gouvernement hongrois a, dans les premiers jours de novembre, opposé le même refus à plusieurs officiers de son armée active. Le gouvernement portugais n’a pas laissé franchir la frontière du Transvaal à des soldats portugais qui voulaient se joindre aux troupes des Boers (11 janvier). A la même date, l’Intransigeant annonçait que deux cent onze officiers de l’armée française allaient porter le secours de leur expérience et de leur énergie aux troupes républicaines ; mais il ajoutait que, par-là même, ces hommes avaient perdu non seulement leur qualité d’officiers français, mais encore leur qualité de Français[49]. Tous ces gouvernemens neutres ont témoigné par leurs actes, de la façon la moins équivoque, qu’ils ne voulaient pas descendre eux-mêmes dans l’arène et se mettre à la remorque d’un belligérant. Au contraire, il serait difficile d’approuver le Japon, s’il a réellement, comme le lui reprochent les télégrammes du 12 février, permis à l’Angleterre de prendre dans la maison Armstrong quatre canons à tir rapide qu’il avait commandés pour son propre compte.

Mais ce qu’on ne fait pas soi-même, on peut le laisser faire, et non seulement le tolérer, mais l’encourager. Il y a vingt modes de coopération indirecte qui valent une coopération directe. L’Etat qui veut écarter tout soupçon de coopération indirecte peut enchaîner ses nationaux par diverses mesures prohibitives ; c’est une simple faculté dont il use, s’il trouve un intérêt quelconque à marquer d’un trait énergique sa ligne de conduite, par exemple à ne laisser aucun prétexte aux réclamations d’un belligérant. C’est ainsi que, depuis le commencement des hostilités, le Portugal, tremblant pour ses possessions de l’Afrique orientale, met tout en œuvre pour dissiper les soupçons de l’Angleterre. Il prit une mesure particulièrement significative en refusant, le 25 janvier, des billets de chemin de fer pour le Transvaal à trente Français transportés à Lourenço-Marquès par la Gironde. Le consul français le prit d’assez haut et finit par faire rétracter cette mesure. Les autorités portugaises autorisèrent alors les consuls à signer les demandes de passeport de leurs nationaux, quand ceux-ci donneraient l’assurance qu’ils se rendaient au Transvaal pour leurs affaires et non pour s’engager dans les armées des deux républiques. Mais elles craignirent de s’être aventurées. Tout au moins, depuis le 1er février, les consuls devront « personnellement » garantir que les solliciteurs ne sont pas des militaires allant au Transvaal ; autrement, les passeports seraient refusés.

L’Allemagne a témoigné d’une façon plus éclatante encore, si je ne me trompe, son désir de garder la plus stricte neutralité. Tandis qu’elle avait laissé ses grandes usines vendre des armes aux belligérans pendant la guerre de Crimée, pendant la guerre de Sécession, pendant la guerre turco-russe de 1877, elle a pris cette fois une autre attitude. Tous les journaux avaient publié la dépêche suivante, datée de Berlin (22 décembre) : « Depuis quelque temps, une activité fiévreuse règne à Essen, où l’on travaille jour et nuit. Les indiscrétions du personnel ne laissent aucun doute au sujet des travaux en cours ; il s’agit d’une commande de munitions pour l’artillerie anglaise. En raison de la situation quasi officielle de la maison Krupp, cette révélation provoque de violentes critiques. » Le gouvernement de l’Empire repoussa cette imputation et fît publier la note suivante dans l’officieuse Gazette de l’Allemagne du Nord : « On a plusieurs fois annoncé que la maison Krupp exécutait une grande commande d’obus en acier pour l’Angleterre, et l’on s’est demandé si cette livraison de matériel de guerre à l’un des belligérans était compatible avec les devoirs créés par la stricte neutralité que l’Empire allemand observe dans la guerre sud-africaine. Cette question est résolue négativement dans les sphères compétentes, et la maison Krupp a été priée, aussitôt après la publication des informations ci-dessus mentionnées, de ne pas opérer les envois d’armes, de canons, de munitions qu’elle pouvait avoir l’intention de faire à l’une des parties belligérantes. » Cette mesure fut désagréable au gouvernement britannique ; mais, comme il s’était plaint de ce que la flotte commerciale allemande transportât beaucoup de volontaires destinés à l’armée des deux républiques, une compensation lui fut donnée : les compagnies maritimes de Hambourg ne donnèrent plus de billets pour Johannesburg ou Pretoria, et refusèrent d’accepter des passagers de troisième classe pour Delagoa-Bay (19 janvier).

L’Echo de Paris crût un moment, dans la seconde quinzaine d’octobre, « tenir de source certaine qu’une commande de canons des plus importantes ayant été faite pour le compte du Transvaal à la maison Canet, la compagnie des Chargeurs réunis, qui devait faire le transport par le territoire de Mozambique avait, reçu de M. Delcassé l’interdiction formelle de satisfaire à ses engagemens. » L’agence Havas publia sans délai la note suivante : « Contrairement à ce qu’affirme un journal du matin, il est inexact que la compagnie des Chargeurs réunis ou n’importe quelle autre compagnie de navigation ait reçu du ministère des Affaires étrangères aucune interdiction d’aucune sorte. » C’était très clair. Le gouvernement français ne sortait pas du droit commun en laissant à l’industrie privée sa liberté d’action.

Les démarches faites par le gouvernement de Sa Majesté britannique pour recruter, sur une grande échelle, dans plusieurs pays, des soldats à destination du Transvaal soulevaient une question bien plus délicate. On pouvait se demander si le gouvernement neutre ne tolérait pas un abus de son propre territoire, car de pareilles opérations ne pouvaient guère se poursuivre qu’avec son assentiment. C’est pourquoi M. Vandervelde, leader de la gauche socialiste, ayant interpellé le gouvernement belge sur le racolement d’hommes opéré par l’Angleterre en Belgique, M. van den Heuvel répondit, sur la foi de ses bureaux, que les bruits répandus à ce sujet n’étaient pas fondés. Mais le Mémorial diplomatique fit immédiatement observer que l’annonce suivante s’étalait dans plusieurs journaux belges : « Engagemens pour l’Angleterre. Les personnes qui désirent prendre un engagement dans l’armée anglaise sont priées de se faire inscrire de suite chez M. E. F. (ici l’adresse) à Bruxelles. » De même aux Etats-Unis : le major George A. Armes organisant librement une « expédition de flibustiers » à destination du Transvaal, on chercha des excuses et l’on manda de Washington, dans la première semaine de novembre, à la Correspondance politique que le gouvernement fédéral était impuissant à réprimer de telles menées, les entrepreneurs déployant une si grande prudence que les autorités n’auraient pas trouvé le moyen de justifier leur intervention. »

Au contraire, en Hongrie, le gouvernement fit d’abord les plus sérieux efforts pour empêcher une bande de recruteurs anglais de racoler des jeunes gens destinés à servir dans l’armée anglaise de l’Afrique australe[50]. En Allemagne, on agit d’une façon décisive : la Gazette de Voss était informée, le 20 décembre, par une dépêche de Kambourg (duché de Saxe-Meiningen) que la justice avait décerné un mandat d’amener contre un sujet britannique, accusé d’avoir recruté des Allemands pour l’armée anglaise. L’Espagne ne témoignerait pas la même impartialité, s’il est vrai, comme l’annoncent les journaux du 18 février, qu’on y laisse ouvertement recruter les volontaires pour l’armée anglaise dans les débits de boissons et dans d’autres lieux publics. D’après les journaux du 11 février, les gouvernemens de Vienne et de Budapest avaient interdit aux compagnies subventionnées de transporter cinq mille chevaux achetés en Hongrie pour le compte de l’Angleterre. Toutefois c’était déjà beaucoup que d’avoir toléré sur le territoire hongrois l’achat, par d’aussi grandes quantités, d’un tel matériel de guerre.

Mais il est évident qu’aucun État neutre ne répond des enrôlemens individuels. Le gouvernement portugais, malgré toute sa bonne volonté, ne put pas empêcher, dans la seconde quinzaine de décembre, quelques déserteurs du croiseur Adamastor d’aller à Pretoria pour servir comme artilleurs chez les Boers. L’ancien colonel français de Villebois-Mareuil partit de Marseille le 26 octobre pour aller prendre un commandement dans l’armée des deux républiques, sans que le gouvernement français eût à s’en mêler. Ce gouvernement n’a pas d’explications à donner, parce qu’un certain nombre d’anciens artilleurs français, partis à leurs risques et périls, se trouvent en ce moment à Pretoria. Le gouvernement russe n’eut aucun moyen de retenir le colonel Gourko, qui s’embarqua le 25 décembre à Marseille sur le Natal, des Messageries maritimes, pour se rendre au Transvaal par Lourenço-Marquès. Si le gouvernement italien peut défendre à Ricciotti Garibaldi de recruter un régiment de volontaires dans la péninsule, il ne saurait l’empêcher de mettre « son épée » à la disposition du gouvernement britannique.

Le 31 octobre, les journaux français annoncèrent que 3 000 mulets avaient été, dans l’espace de huit jours, embarqués dans les ports italiens pour le compte de l’Angleterre à destination de l’Afrique australe. La Liberté soutint et pouvait soutenir, en effet, que le territoire italien devenait, par cette fourniture colossale, une base d’opérations contre les deux républiques. On télégraphiait, presque à la même date, de la Nouvelle-Orléans au Daily Mail : « Quatre officiers anglais ont, depuis trois mois, acheté à la Nouvelle-Orléans plus de 7 000 mulets, et 7 steamers ont été affrétés pour les transporter dans l’Afrique du sud[51]. » Si les Boers s’étaient plaints, le gouvernement fédéral n’aurait pas manqué de répondre que la plupart de ces commandes étaient antérieures à l’ouverture des hostilités. C’est ainsi que M. Silvela, questionné dans les Chambres espagnoles, le 27 janvier, expliqua l’achat, fait par l’Angleterre, de 60 000 obus fabriqués à l’usine de Plasencia (provinces basques). Le même ministre s’est tiré par une autre réponse évasive d’une autre question posée sur la vente de cartouches Maxim à l’Angleterre par la même manufacture d’armes (13 février). Il est on ne peut plus difficile de déterminer où commence, où finit l’abus du territoire neutre.

Il faut, au demeurant, laisser, en cette matière, une certaine marge à l’industrie privée Le Daily Mail, organe de M. Chamberlain, aurait bien voulu mettre en cause le gouvernement français, lorsqu’il accumula, dans le milieu de janvier, les griefs de l’Angleterre contre la compagnie du Creusot, l’accusant, après une enquête sur place, disait-il, de fabriquer jour et nuit, sans repos, de l’artillerie et des munitions pour les Boers, déclarant en outre « tenir de bonne source » que, depuis dix-huit mois ( ! ), plus de cent mécaniciens, parmi les meilleurs de cet établissement, étaient allés au Transvaal former les soldats de la république sud-africaine au maniement de l’artillerie. Mais le Creusot, qui ne se rattache par aucun lien, même officieux, au gouvernement de notre République, est libre de choisir ses cliens. Une seule chose est démontrée, c’est qu’il a refusé de fournir un matériel de guerre au War Office. L’usine autrichienne de Skoda put agir de même et s’abstenir de vendre au gouvernement anglais des canons qu’elle avait fabriqués. Les gouvernemens, en se gardant de forcer la main à ces établissemens, n’ont assurément enfreint aucune règle internationale et sont demeurés fidèles à leur devoir de neutralité.


VI. — LES CABLES SOUS-MARINS ET LES CONVENTIONS TÉLÉGRAPHIQUES

Quelques semaines après l’ouverture des hostilités, l’Europe fut profondément étonnée de ne recevoir les nouvelles de l’Afrique australe, — l’Angleterre ayant profité de l’apathie universelle pour monopoliser à son profit presque tout le réseau télégraphique sous-marin, — que par l’intermédiaire des Anglais et selon leur bon plaisir.

Dès le 20 octobre, plusieurs journaux annonçaient qu’une dépêche chiffrée adressée par un banquier de Paris à son correspondant de Madagascar était arrêtée par les agens du gouvernement britannique. « De quel droit ? demandait le Moniteur universel. Tamatave ou Tananarive ne sont pas, que nous sachions, compris dans le rayon éventuel des opérations dont l’Afrique australe est le théâtre. » Les Anglais en vinrent promptement à supprimer toute communication chiffrée entre l’Europe et les diverses colonies européennes de l’Afrique orientale ; l’avis suivant fut publié par le département des postes et télégraphes : « Le câble télégraphique entre Lourenço-Marquès et Mozambique a été réparé ; les communications avec l’Afrique du sud par le câble de la côte orientale sont donc rétablies. Il a été jugé nécessaire de suspendre à Aden, comme on l’a fait au Cap, la transmission des télégrammes en mots de code ou en chiffres envoyés soit par les gouvernemens étrangers, soit par les particuliers, à destination ou en provenance de Zanzibar, Seychelles, Maurice, Madagascar, l’Est-Afrique anglaise, l’Est-Afrique allemande, Mozambique, Delagoa-Bay, Rhodesia, Afrique centrale anglaise, État libre, Transvaal, colonie du Cap, Natal. Les télégrammes ordinaires seront soumis à la censure. » Le Journal des Débats dénonça dans les termes les plus vifs les intolérables embarras qu’un procédé semblable allait causer aux gouvernemens européens.

Le cabinet de Saint-James fit, naturellement, la sourde oreille. Un télégramme de Berlin informa, le 23 décembre, tous les pays commerçans que les Anglais refusaient de transmettre les ordres télégraphiques à destination de Lourenço relatifs aux objets de première nécessité, vivres, sucre, pétrole par exemple, de peur que ces objets ne fussent réexpédiés au Transvaal. Deux nouveaux faits furent signalés quelques jours après par la presse française : un télégramme en langage clair, envoyé le 2 janvier par la Compagnie lyonnaise de Madagascar à sa maison de Tananarive, fut arrêté à Aden par la censure anglaise[52] ; le même jour, un correspondant marseillais de la même maison télégraphiait à son fils, en résidence à Majunga, les mots suivans : « Patiente, Pagnoud, câble Tananarive ; » le télégramme fut encore arbitrairement retenu par la même censure et simplement confisqué. L’indignation et l’inquiétude redoublèrent.

Toutes les fois qu’il s’agit d’atténuer les maux de la guerre, on est sûr de trouver le jeune empereur de Russie au premier rang parmi les promoteurs d’une réforme salutaire. On peut donc croire à l’information publiée le 6 janvier par la Gazette de Cologne : « Le gouvernement russe vient d’adresser aux cabinets une circulaire pour leur demander s’ils estiment que la façon dont l’Angleterre intercepte ou renvoie les télégrammes non seulement privés, mais administratifs, en provenance ou à destination des deux républiques, se concilie avec le traité télégraphique international conclu à Saint-Pétersbourg en 1875[53] avec les puissances, » Cette feuille ajoutait qu’il y aurait surtout à examiner, d’après la note du gouvernement russe, l’application de l’article 7 du traité de Saint-Pétersbourg et le paragraphe 46 du règlement révisé à Budapest en 1896.

Il importe de poser la question avec une certaine précision, sous peine de n’en pas comprendre un mot.

La législation internationale des télégraphes se résumait, avant la convention du 14 mars 1884 pour la protection des câbles sous-marins, en deux actes signés à Saint-Pétersbourg : 1° une convention du 22 juillet 1875 entre la France, la Russie, l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, la Grèce, l’Italie, les Pays-Bas, la Perse, la Suède et la Norvège, le Portugal, la Suisse, la Turquie, remplaçant les anciennes conventions du 17 mai 1865, du 21 juillet 1868, du 14 janvier 1872, formant désormais la charte des télégraphes internationaux et posant les principes fondamentaux ; 2° un règlement daté du même jour, contenant les règles d’exécution qui devaient varier avec le développement des communications ou les progrès de la science, et qui fut, en effet, sans cesse remanié[54]. La convention originaire et les règlemens successivement arrêtés pour son exécution ont été conclus, signés, ratifiés, il importe de le remarquer, avec la même solennité que la convention elle-même.

En face de ces pactes internationaux, il faut placer la convention de Paris du 14 mars 1884 conclue entre la France et vingt-cinq autres puissances, parmi lesquelles la Grande-Bretagne, pour la protection des câbles sous-marins. Dès 1869, les États-Unis avaient exprimé le désir qu’une conférence se réunît à Washington pour délibérer sur un projet de convention spéciale à ces câbles qui serait soumis aux puissances. On s’était hâté lentement, mais on n’avait jamais cessé d’en parler, par exemple à la conférence télégraphique de Rome en 1871, à la conférence de Bruxelles en 1874. L’Institut de droit international avait, sur un rapport très remarquable qui lui avait été présenté par M. Louis Renault, voté pour cet objet distinct un projet de règlement sommaire en deux articles (septembre 1873).

On n’a pas manqué d’invoquer, pour justifier les procédés anglais, la convention de juillet 1884. On a fait ressortir que l’article 15 de ce traité disait : « Il est bien entendu que les stipulations de la présente convention ne portent aucune atteinte à la liberté d’action des belligérans. » Si le régime international de la télégraphie terrestre, ajoutait-on, est organisé par les conventions télégraphiques proprement dites, celui des câbles sous-marins ne l’est que par la convention de Paris. Or celle-ci suspend elle-même son action en temps de guerre et donne carte blanche aux belligérans. Donc les belligérans n’ont d’autre loi que leur propre volonté,

Mais, d’après la note publiée par la Gazette de Cologne, ce n’est pas la convention de 1884, c’est la convention générale de 1875, c’est le dernier règlement arrêté pour son exécution que les chancelleries opposeraient au cabinet de Saint-James. Peuvent-elles ainsi procéder ? Je ne crois pas que la question ait encore été traitée et je me vois obligé de soumettre les textes au lecteur.

La convention de 1875 déclare dans son article 6 que « les télégrammes d’Etat et de service peuvent être émis en langage secret dans toutes les relations. » La portée de ces derniers mois est très générale. L’article 7 ajoute : « les Hautes Parties contractantes se réservent la faculté d’arrêter la transmission de tout télégramme privé qui paraîtrait dangereux pour la sécurité de l’Etat ou qui serait contraire aux lois du pays, à l’ordre public ou aux bonnes mœurs. » Cette clause, loyalement comprise, exécutée de bonne foi, ne donne point un pouvoir arbitraire aux puissances signataires. Il est vrai que l’article 8 ajoute : « Chaque gouvernement se réserve aussi la faculté de suspendre le service de la télégraphie internationale pour un temps indéterminé, s’il le juge nécessaire, soit d’une manière générale, soit seulement sur certaines lignes et pour certaines natures de correspondance, à charge par lui d’en aviser immédiatement chacun des autres gouvernemens contractans. »

Se figure-t-on que cette disposition abandonne tous les intérêts privés et publics au caprice d’un Etat, par cela seul qu’il détient, en tout ou en partie, un réseau télégraphique ? Ce serait une grave erreur, que dissiperait la lecture du règlement international, inséparable de la convention originaire, voté le 22 juillet 1896 à Budapest et signé pour la Grande-Bretagne par MM. Zamb, Frischer, P. Benton. J’en reproduis quelques articles :

Art. 46, § 1 : « Il ne doit être fait usage de la faculté, réservée par l’article 7 de la Convention, d’arrêter la transmission de tout télégramme privé qui paraîtrait dangereux pour la sécurité de l’Etat… qu’à charge d’en avertir immédiatement l’administration de laquelle dépend le bureau d’origine ; 2° le contrôle est exercé par les bureaux télégraphiques extrêmes ou intermédiaires, sauf recours à l’administration centrale, qui prononce sans appel ; 3° la transmission des télégrammes d’Etat et des télégrammes de service se fait de droit. Les bureaux télégraphiques n’ont aucun contrôle à exercer sur ces télégrammes. » On peut se demander d’abord si les chancelleries européennes ne pourraient pas opposer le second alinéa de l’article 46 au gouvernement britannique. Il faut combiner, en effet, cette clause avec les articles 79 et 80 du même règlement. L’article 79[55] définit les attributions de cet organe central, placé sous la haute autorité de l’administration supérieure de l’un des gouvernemens, désigné à cet effet par le règlement de service, et l’article 80 ajoute aussitôt : « L’administration supérieure de la Confédération suisse est désignée pour organiser le bureau international dans les conditions déterminées par les articles 81 à 83. » Les chancelleries ne peuvent-elles pas dire au cabinet de Saint-James : Vous vous êtes engagé vous-même à ne pas arrêter la transmission des télégrammes d’Etat et des télégrammes de service. Sommes-nous en désaccord sur la portée de la convention télégraphique ? Saisissons l’administration centrale qui prononcera.

Mais le troisième alinéa complète assurément les articles 6 et 7 de la convention originaire, en détermine le sens et les rectifierait au besoin : les bureaux télégraphiques des États signataires n’ont aucun contrôle à exercer sur les télégrammes d’Etat et de service. C’est très clair.

Il faut, pour les soustraire à cette injonction, soutenir que la convention de Saint-Pétersbourg et les règlemens faits pour son exécution ne peuvent jamais concerner à un point de vue quelconque une partie quelconque du réseau télégraphique sous-marin. Or cette thèse ne me paraît pas pouvoir être soutenue.

D’abord on assimilait généralement au télégraphe terrestre proprement dit, même avant 1875, dans le chaos des législations locales parallèles aux actes de 1865, de 1868 et de 1872, le télégraphe sous-marin en tant qu’il était établi sur le territoire d’un État (or, les câbles sous-marins atterrissent nécessairement sur plusieurs points de la terre ferme) et, par une conséquence logique, la portion même de ces câbles située dans la mer territoriale[56]. Une convention internationale du 16 mai 1804 débutait ainsi : « Les H. P. C. déclarent d’utilité internationale et prennent à ce titre sous leur protection et leur garantie, sur leurs territoires respectifs, la ligne de télégraphie transatlantique. » Une autre convention signée en 1864 entre notre ministre de l’Inférieur et les sieurs Rowett et autres disait encore : « Les portions des câbles sous-marins et les lignes souterraines ou sur poteaux qui les rattacheront aux bureaux télégraphiques seront placés, sur le territoire des pays soumis à la France, sous la protection des lois françaises, comme si elles étaient la propriété de l’État. » On lisait, enfin, dans un règlement de Saint-Pétersbourg : « Les administrations concourent, dans les limites de leur action respective, à la sauvegarde des fils internationaux et des câbles sous-marins. »

Il serait absurde de supposer que la grande convention de 1875, complétée par ses règlemens de service, ait modifié cet état de choses. La convention de Paris n’a qu’une portée très restreinte ; elle se propose seulement, en définitive, de prévenir, de réprimer ou de réparer la rupture ou la détérioration des câbles sous-marins dans la haute mer. La convention de Saint-Pétersbourg et le règlement de Budapest, en 87 articles, qui s’y incorpore, ont, au contraire, la portée la plus large. D’ailleurs, en 1896, on avait sous les yeux le pacte de 1884 pour la protection des câbles télégraphiques ; si l’on avait voulu éviter toute combinaison des conventions et, par exemple, soustraire n’importe quelle portion des câbles sous-marins, même envisagés comme câbles d’atterrissage, à toutes les dispositions de ce règlement, on l’aurait dit. La convention de Paris avait soustrait le cas de guerre à ses propres prévisions dans un article spécial ; rien n’était plus aisé que d’introduire une disposition de ce genre dans le nouveau pacte : on s’est gardé de le faire.

Or, il est à remarquer que les actes arbitraires et vexatoires reprochés aux Anglais se sont passés, non dans la haute mer, mais sur leur territoire. C’est au point même où les câbles atterrissent sur ce territoire, soit au départ, soit à l’arrivée, qu’on saisissait et qu’on interceptait les télégrammes. Puisque les télégraphes sous-marins sont encore des télégraphes, pourquoi les affranchir des mesures prises dans l’intérêt universel par des règlemens internationaux qui font la police des réseaux télégraphiques sans la moindre distinction ? J’incline à penser que les chancelleries, en s’appuyant sur ces règlemens, ont trouvé le terrain d’un débat diplomatique.

Un échange de notes et d’observations ne retardera pas d’ailleurs de vingt-quatre heures le développement des réseaux télégraphiques sous-marins que les circonstances imposent à plusieurs puissances, gravement menacées dans leurs intérêts.


CONCLUSION

La conclusion, c’est qu’il faut mettre le plus tôt possible un terme à cette guerre. C’est là, je le sais, pour un titan comme M. Chamberlain, une politique de pygmée. La faute grave de ce personnage est d’avoir convaincu les Anglais qu’il leur suffit, pour escalader le ciel, de vouloir l’escalader ; mais cette faute même le porte aux nues et sa popularité centuple son ardeur belliqueuse. Pitt, Burke, Fox, Canning, se sont figuré que leur noble pays pouvait tenir un des premiers rangs, le premier peut-être dans l’univers, sans recommencer l’histoire du peuple romain. Au Secrétariat des Colonies, on voit aujourd’hui les choses de plus haut : l’Angleterre, croit-on, doit conquérir le monde ou manque à sa destinée. C’est, du moins à Birmingham, la grande politique, la seule politique. Nous répondons que la grande politique consiste, précisément à l’heure actuelle, dans un acte de justice internationale. Nous ne croyons pas faire injure à l’Angleterre en lui disant qu’elle est assez forte pour être juste. C’est l’opinion du monde entier.

Sans doute il est généralement désagréable au public anglais de s’entendre dire quelle est sur son compte à un moment quelconque l’opinion du monde ; mais rien ne lui est plus utile. Cette phrase même serait déplacée dans la bouche d’un Français : c’est pourquoi je l’emprunte au discours prononcé le 15 février devant la Chambre haute par lord Rosebery.


ARTHUR DESJARDINS.

  1. Quoique les rebelles eussent installé récemment un gouvernement provisoire dans la ville de Desterro.
  2. Et sur les conclusions duquel il n’a pas encore été statué.
  3. Voyez le Journal des Débats, du 28 novembre 1899.
  4. Art. 153.
  5. Art. 154.
  6. Projet de règlement en ce moment soumis à l’'Institut de droit international, art. 5 : « Une tierce puissance n’est pas tenue de reconnaître aux insurgés la qualité de belligérans parce qu’elle leur est attribuée par le gouvernement du pays où la guerre civile a éclaté. Tant qu’elle n’aura pas adhéré elle-même à cette reconnaissance, elle n’est pas tenue de respecter les blocus établis par les insurgés sur les portions du littoral occupées par le gouvernement régulier. Ses navires ne pourront être visités en pleine mer. »
  7. Instructions précitées des États-Unis, art. 155,
  8. Toutefois la Deutsche Tages Zeitung reprocha vivement à l’Allemagne de n’avoir pas encore envoyé chez les Boers un officier qui la représentât officiellement.
  9. M. Labouchère demande, dans un article public par le Truth (18 janvier 1900), que l’Angleterre aboutisse à la reconnaissance de l’indépendance.
  10. Le Sénat adopte une résolution mettant le président Mac Kinley en demeure de faire savoir au Congrès si un citoyen boer n’a pas demandé à être reconnu
  11. Relatif à la prompte réunion d’une conférence pour la révision de la convention de Genève.
  12. En faisant des réserves sur l’art. 10 de la convention pour l’adaptation à la guerre maritime des principes de la convention de Genève du 22 août 1864.
  13. Grotius, Le Droit de la Paix et de la Guerre, t. III, ch. IV, § 15 à 19.
  14. T. VII, p. 96.
  15. Art. 70.
  16. Art. 12 et 13.
  17. V. notamment les Central News du 3 novembre.
  18. Numéro du 29 décembre.
  19. Télégramme de New-York du 29 janvier.
  20. Il faudrait encore assigner un rang supérieur aux balles Remington avec cavité dans le cuivre (n° 7), aux balles en plomb du Remington et du Martini-Henry (n° 8), aux balles en cuivre du Remington à cavité en cuivre ouverte et à balle en plomb à découvert (n° 9), aux shrapnels (n° 10), à la grenaille (n° 11).
  21. Voyez les journaux du 28 octobre.
  22. Voyez, entre autres journaux, la Liberté du 16 novembre.
  23. Voyez la déclaration de l’adjudant P. R. Kock, faite sous la loi du serment, le 8 novembre devant un juge de paix de Johannesburg, et publiée plus tard par les Standard and Digger’s news.
  24. Les Anglais avaient insinué déjà, quelques semaines plus tôt, que leurs adversaires employaient des balles dum-dum (Voyez le Journal des Débats du 26 novembre) ; mais cette imputation ne fut pas prise au sérieux.
  25. Art. 114. Or, aux termes des mêmes instructions, l’espion pouvait être pendu (art. 8).
  26. D’après une dépêche publiée le 10 novembre 1899 par le War Office, les Boers auraient envoyé, le 9 novembre, au général White, sous la protection d’un parlementaire, quelques réfugiés venant du Transvaal. Un parlementaire anglais serait allé les recevoir au-delà des piquets plantés par les assiégés de Ladysmith ; lorsque les deux parlementaires se sont séparés, les canons boers auraient « ouvert le feu sur l’envoyé anglais avant qu’il eût atteint les piquets. » Pour la quatrième fois, lit-on dans le Journal des Débats du 20 novembre, « les troupes britanniques dénoncent une pratique de leurs adversaires contraire aux lois de la guerre. Les Boers montrent le drapeau blanc et les officiers anglais font cesser le feu : les Boers en profitent alors pour tirer de nouveau. » Enfin les Boers auraient encore tiré, dans la dernière semaine de janvier, sur le colonel Thorney Croft, qui avait quitté les lignes anglaises pour conférer à l’abri du drapeau parlementaire avec le commandant d’une de leurs patrouilles.
  27. Voyez le texte des protestations adressées aux puissances par le comte de Thile le 15 et le 25 août 1870 ; v. aussi les document publiés au Journal officiel du 14 janvier 1871.
  28. Toutefois, dit la correspondance, sans leur restituer leurs voitures et leurs ambulances.
  29. L’art. 1 de cette convention dit, en effet : « Les ambulances et les hôpitaux militaires sont reconnus neutres et, comme tels, protégés et respectés par les belligérans aussi longtemps qu’il s’y trouvera des malades ou des blessés. »
  30. Comp. Guelle. Précis des lois de la guerre, t. I, p. 183.
  31. Standard and Digger’s News (trad. par la Liberté du 21 décembre).
  32. Par malheur, ce document n’est pas isolé. Les journaux allemands du 16 janvier ont publié une lettre d’un jeune Mecklembourgeois, attestant qu’on lui a volé sa montre, sa bague, son argent : « des soldats anglais lui auraient à moitié cassé la tête, parce qu’il ne se laissait pas dépouiller de bonne grâce. »
  33. « Les entreponts sont noirs et sans air, ajoute la dépêche ; les hommes sont entassés les uns sur les autres. »
  34. Voici le texte de l’interview : « J’étais couché entre des rochers, dans l’impossibilité de me lever. Un soldat boer vint à passer près de moi : « Un demi-souverain lui dis-je, si vous me transportez au bas de la colline. » Il me prit entre ses bras comme un enfant et me déposa sur un sol moins rocailleux. Je lui tendis alors le demi-souverain ; il refusa de le prendre. Passèrent alors près de moi, comme j’étais grelottant de fièvre, deux commandans boers. L’un me dit en anglais : « Qu’avez-vous donc, mon vieux ? vous êtes blessé ? — Oui, répondis-je. — Ah ! reprit-il, vous vous êtes tout de même bravement battus et ce n’est pas votre faute si… » Il n’acheva pas. Avant de s’en aller, ils jetèrent leurs manteaux sur moi. Je fus ensuite transporté dans une ferme, où je reçus les soins nécessaires. »
  35. Télégrammes du 26 janvier.
  36. Journaux du 20 janvier 1900.
  37. La « résolution » du 25 janvier énonçait que les États-Unis « ne reconnaissaient à aucune nation le droit de déclarer les denrées alimentaires contrebande de guerre ni de les saisir pour cette raison, et que toute saisie de cette nature serait réputée par eux acte anti-amical. »
  38. Télégramme adressé de Washington le 25 décembre au New-York Herald.
  39. Les dépêches du 1er février disent la confiscation « du navire ; » il faut assurément ajouter « et de la cargaison. »
  40. La barque Marie fut relâchée sans conditions le 22 janvier.
  41. Commentaries, t. III, p. 419 ; Comp. Ortolan, Règles internationales et diplomatie de la mer, t. II, p. 253 ; Lampredi, Du commerce des neutres en temps de guerre, § 12 ; Joutlïoy, le Droit des gens maritime universel, p. 229 ; Perels traduit par Arendt, § 33, p. 323.
  42. Le Herzog était aussi dans une situation particulière parce qu’il transportait une ambulance allemande. Mais il transportait en même temps, d’après l’Allgemeen Handelsblad (Amsterdam), le lieutenant hollandais Keulemans qui se rendait dans l’Afrique Australe pour combattre avec les Boers et qui fut retenu prisonnier par les Anglais.
  43. L’Institut de droit international adopta la règle suivante dans sa session de Paris : « La mer territoriale s’étend à six milles marins de la laisse de basse marée, sur toute l’étendue des côtes. » M. de Martens ne put obtenir que cette zone fût étendue à dix milles. Toutefois l’Institut ajouta : « En cas de guerre, l’État riverain neutre a le droit de fixer, par la déclaration de neutralité ou par notification spéciale, sa zone neutre au-delà de six milles, jusqu’à portée du canon des côtes. »
  44. L’incident n’eut pas de suites, parce qu’il se trouva que ce voilier était précisément un navire anglais.
  45. D’après la Birmingham-Post, le gouvernement anglais aurait envoyé deux agens à Delagoa-Bay pour faire la visite des envois douteux, de concert avec les agens portugais, et le Portugal aurait accepté cette collaboration sur son territoire ! C’est on ne peut plus grave. Voyez encore, sur les obstacles suscités par les agens anglais, à Lourenço Marquès, à la délivrance des passeports pour le Transvaal, les télégrammes du 15 février.
  46. Usus ancipitis, quæ in bello et extra bellum usum habent (Grotius).
  47. Par exemple, les machines ou parties de machines pour bâtimens de guerre.
  48. Il finit par accepter, en stipulant que cette somme serait exclusivement affectée aux familles nécessiteuses du Transvaal.
  49. Comme ayant pris du service militaire à l’étranger sans autorisation du gouvernement français (art. 17 du Code civil).
  50. V. les journaux du 22 décembre.
  51. Les télégrammes du 15 février annoncent un nouvel achat de 2 500 mules fait à la Nouvelle-Orléans par des agens anglais.
  52. Par surcroit on refusait de rembourser 85 franc », montant du prix de la dépêche.
  53. La plupart des journaux ont imprimé par erreur « 1895 » au lieu de « 1875. »
  54. La Grande-Bretagne n’avait pas signé la convention de juillet 1875 ; mais elle figure parmi les puissances signataires du « règlement de service » arrêté le 17 décembre 1883 pour l’exécution de cette convention. Dès 1881, le Natal el le Cap avaient adhéré à la convention proprement dite. Le colonel Robinson, directeur des services indiens, avait signé le règlement de 1875, mais non la convention.
  55. Reproduisant l’art, 14 de la convention originaire.
  56. Comp. le rapport de M. L. Renault.