La Hongrie et le mouvement Magyare

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La Hongrie et le mouvement Magyare
Revue des Deux Mondes, période initialetome 20 (p. 1068-1089).

LA HONGRIE


ET


LE MOUVEMENT MAGYARE.




On applique indistinctement le nom de Hongrois aux peuples très divers qui sont disséminés sur le vaste territoire des deux royaumes annexés de Hongrie et de Croatie et dans la principauté des Sept-Forteresses ou de Transylvanie. Les Magyares sont l’un de ces peuples, et ils ont joué naguère le rôle de promoteurs dans le mouvement politique des jeunes nationalités de cette partie de l’Europe orientale ; mais aujourd’hui ce mouvement, qui a favorisé l’essor des races, semble tourner contre eux. A côté des Magyares ou parmi eux vivent et s’agitent trois autres peuples qui leur disputent vaillamment et la place et l’influence, les Slovaques au nord, les Valaques à l’est, les Croates au midi. Les Slovaques et les Croates appartiennent à deux familles de la race slave, ceux-ci à la famille illyrienne, ceux-là à la famille tchèque ; les Valaques sont Roumains. Quant aux Magyares, ils sont les derniers venus sur le sol hongrois[1] ; en y arrivant, ils trouvèrent les Slaves, qui, de temps immémorial, cultivaient ces riches contrées sous le nom de Pannoniens et d’Illyriens, et les Valaques ou Vlask, qui, au second siècle de l’ère chrétienne, avaient pris la place des Daces, exterminés par Trajan. Quelle était l’origine des Magyares ? Toutes leurs traditions écrites ou orales s’accordent à les représenter comme les arrière-neveux de ces tribus asiatiques qui, sous la conduite d’Attila, remplirent un instant l’Occident de terreur et de carnage. Les Magyares sont des Huns ; mais de quelle souche de peuples les Huns sont-ils eux-mêmes descendus ? Les anciens annalistes de la Hongrie et un savant contemporain, M. Étienne Horvath, font remonter leur généalogie aux Scythes et aux Parthes, dont l’humeur belliqueuse et l’esprit d’indépendance ont été éprouvés successivement par la Perse, la Grèce et Rome. M. Horvath range aussi, parmi les ancêtres des Magyares, les Philistins, les Cananéens, les Ammonites, les Jébuséens, si souvent en lutte avec Israël, les Pélasges, qui disputèrent le sol de la Grèce aux Hellènes, et les Sabins, dont les filles sont devenues les mères des Romains. Un savant magyare, recherchant dans le passé la filiation de sa race, ne pouvait point manquer de découvrir pour elle les preuves d’une parenté des plus anciennes et des plus glorieuses ; il était d’ailleurs obligé, par les prétentions des Slaves à une antiquité qui se perd dans la nuit des âges fabuleux, de leur opposer des prétentions semblables pour sa patrie ; mais sur ce terrain des origines, comme partout, les Slaves gardent encore l’avantage. Si, en effet, les Magyares sont issus de peuplades très belliqueuses, les Slaves ont autrefois fondé de grands empires, comme celui d’Assyrie, ou d’illustres royaumes, comme celui de Troie, et peut-être aussi sont-ils, avec les Étrusques, les plus anciens habitans de l’Italie, en sorte qu’ils ont une double raison de voir dans leurs aïeux les pères des Romains. Les Magyares ont beau invoquer les noms de Mithridate et d’Attila, les Slaves triomphent avec ceux de Pandarus, d’Énée et de Nabuchodonosor[2]. Dans cette rivalité d’érudition, les bons Valaques, qui ne sont point savans, mais qui ont la mémoire remplie de rians souvenirs, se bornent à dire avec une simplicité fière : « Nous sommes Roumains. » Chacun possède ainsi ses titres de noblesse.

Sans remonter au temps des Scythes et des Philistins, les Magyares, il faut le reconnaître, n’avaient, pour illustrer leur berceau, qu’à puiser à pleines mains dans l’histoire du moyen-âge. Les uns, fixés et organisés dès l’époque d’Attila, à l’extrémité orientale des Carpathes, sous le nom de Szeklers, de Sicules ou Scythules (petits Scythes), établirent promptement leur renommée de bravoure. Ainsi en fut-il des autres qui vinrent, du VIe au IXe siècle, s’installer plus à l’ouest, et se constituèrent sous la conduite d’Arpad. Leur domination une fois assurée sur les Roumains de la Transylvanie, qui forma néanmoins une principauté à part, sur les Slaves des Carpathes, enfin sur les Croates, les Slavons et les Dalmates, les Magyares, entraînés par la passion des conquêtes, furent un moment maîtres de la Bosnie et de la Serbie. Ils devaient cependant éprouver à leur tour les maux qu’ils faisaient souffrir aux peuples vaincus. Après avoir succombé, au XVIe siècle, sous les coups de Soliman, à Mohacz, dans un combat désastreux dont encore aujourd’hui ils ne parlent qu’en gémissant, ils furent réduits par la violence et par la ruse à se donner à la maison d’Autriche, qui les dépouilla peu à peu de toutes leurs libertés, et voulut leur enlever jusqu’au sentiment de leur nationalité. Depuis qu’ils avaient embrassé le christianisme, les petits-fils d’Attila n’avaient point d’autre langue politique que celle de l’église latine. La cour de Vienne, en les attirant par l’appât des dignités brillantes et des plaisirs élégans, les amenait vers la langue germanique, comme dans un piège où leur ruine pouvait se consommer.

Cependant, au moment même où les Magyares semblaient les plus fidèles sujets de l’Autriche, les savans qui étudiaient le passé avec admiration et surprise, les patriotes qui s’inspiraient du souvenir rajeuni de leurs aïeux, les nobles et les paysans eux-mêmes, effrayés du germanisme envahissant de Joseph II, se réveillèrent par un coup d’éclat, qui fut la naissance du mouvement connu sous le nom de magyarisme. La Hongrie changea son nom en celui de Magyarie ou de royaume magyare (Magyar-Orsag), sous prétexte que le mot latin Hungaria n’avait point d’autre sens possible dans la langue nationale. C’était à la fois un affranchissement et une conquête. Les Magyares s’affranchissaient de la suprématie du latinisme et du germanisme, et ils conquéraient, en les absorbant, les Slovaques, les Croates et les Valaques ; du moins le magyarisme, plus orgueilleux que prudent, se proposait ce double but.

Depuis l’époque où naquit ce mouvement à la fois anti-germanique et anti-slave, bien des événemens se sont produits qui ont dû enlever aux Magyares quelques-unes de leurs superbes espérances. L’humeur intraitable, la fougue aventureuse qui distinguent leur race, les ont entraînés dans des vicissitudes dramatiques qui deviennent chaque jour plus compliquées. Si le magyarisme a pu porter de rudes coups au germanisme, il en a reçu bien d’autres de l’illyrisme en Croatie, du tchékisme chez les Slovaques, et du roumanisme en Transylvanie. Les Magyares n’ont rien perdu cependant de leur orgueil, et la crise qu’ils traversent aujourd’hui est une conséquence naturelle de l’élan patriotique déterminé en Hongrie par les réformes de Joseph II.

Suspects aux Allemands, odieux aux Slaves, comment les Magyares maintiendront-ils leur ascendant en Hongrie ? Comment même échapperont-ils à une ruine complète ? Telle était la question qui m’attirait, il y a deux ans, en Hongrie. Cette question se représente aujourd’hui encore. J’avais pu constater sur les lieux mêmes les fautes du patriotisme magyare ; j’avais pu remarquer aussi parmi la jeune noblesse hongroise un esprit libéral qui avait déjà donné plus que des promesses. Je m’efforçais de croire que la dernière de ces tendances servirait un jour à expier et à racheter les erreurs de l’autre. Depuis ce temps, rien n’est venu démentir cette espérance, quoique le mouvement de plus en plus marqué des races ait rendu la situation des Magyares plus périlleuse, plus critique encore. Pour démontrer que rien ne répugne à l’union de l’idée nationale avec l’idée libérale, seul moyen d’adoucir, sinon d’éteindre les haines suscitées par le magyarisme, il suffira peut-être d’indiquer les rapports étroits de ces deux idées avec le génie même de la race, avec les mœurs et les traditions de la société magyare.


I.

D’inflexibles préjugés de race et un libéralisme chaleureux, tels sont les deux mobiles, bien opposés en apparence, dont je pus observer l’action au sein de la société magyare. Les campagnes devaient me montrer l’orgueil de race dans toute la naïveté de ses allures ; le séjour des villes me permettait, au contraire, d’étudier les idées libérales dans leur foyer même et sur le théâtre de leurs victoires. C’étaient, pour ainsi dire, deux mondes distincts à explorer, et j’avais arrangé mon itinéraire en conséquence. J’allais d’Agram, capitale de la Croatie, à travers quatre-vingt-dix lieues de plaine, à Presbourg, capitale parlementaire du royaume de Hongrie, d’où je comptais me rendre par Gran, capitale catholique, à Bude, capitale administrative, enfin à Pesth, capitale intellectuelle et centre de la politique magyare.

Nous passâmes la Drave à une journée au nord d’Agram, et je me trouvai tout d’un coup, sans transition, au milieu d’une société nouvelle. Les villages offraient le même aspect de simplicité primitive et de misère qu’en Illyrie : des maisons recouvertes de chaume et souvent sans cheminée, des siéges de bois et rarement des lits. Cependant, à la place de ces grands corps bruns, de ces robustes Croates à la taille élancée, au visage ovale, à la physionomie ouverte et presque enfantine, nous avions devant nous une population forte aussi, mais ramassée, au visage rond, à la physionomie orgueilleuse et rude. Cette population est hospitalière et bienveillante, mais non point, pour l’étranger du moins, avec cette sympathie empressée et fraternelle qui nous saluait au foyer illyrien. Cette réserve n’a pourtant rien qui déplaise, car elle ne cesse point d’être simple, et elle peut passer pour de la gravité orientale. Si d’ailleurs, à propos de quelque danse du pays ou de tout autre incident dont s’amuse le patriotisme des campagnes, on sait diriger la conversation sur le terrain de la politique, on trouvera tout d’un coup ces hommes si contenus expansifs à l’excès, comme si, malgré leur indigence, ils vivaient principalement pour la chose publique. Quelles exagérations d’ailleurs dans ce langage hyperbolique ! Que de croyances bizarres ! Nous entendons, de la bouche de ces paysans drapés dans leurs peaux de mouton huileuses, que le peuple magyare est le plus grand des peuples, et que la langue nationale est la plus harmonieuse des langues. Nous apprenons que les seigneurs sont plus nobles que le roi ; que quelques-uns descendent de Noé par Attila ; que saint Étienne, patron de la Hongrie, est le premier saint du ciel ; que Dieu a donné la révélation en langue magyare, et qu’il porte sur son trône éternel le costume national de la Hongrie. Nous saurons aussi (car le paysan n’est point sans songer à la gloire extérieure du pays), nous saurons que l’ambassadeur d’Autriche à Paris, très puissant par la vertu de sa nationalité sur le roi des Français, l’a déterminé ou contraint à étudier la langue héroïque, l’idiome magyare, tout comme la diète a fait pour sa majesté le roi de Hongrie[3]. Et s’il est quelque paysan gentilhomme qui pense que la France n’est point convenablement gouvernée, nous le verrons, dans la prochaine assemblée de comitat, proposer que le rappel du comte Apponyi soit demandé par députation à Vienne[4].

Ces paysans gentilshommes, que l’on ne distingue point d’abord des simples paysans corvéables (les uns et les autres végètent dans une égale indigence), représentent cependant une fraction originale de la société magyare dans les campagnes. Ils possèdent des droits politiques ; ils sont membres-nés des diètes de comitat. Quelques-uns montrent même un certain esprit d’indépendance ; mais la plupart, pliés aux idées de hiérarchie et d’ailleurs fermiers des grands propriétaires, se rangent sous la conduite d’un chef qui leur dicte ordinairement leurs votes et les héberge pendant toute la durée des sessions. Les florins roulent alors par milliers, le vin de Hongrie circule à pleins verres, les cerveaux s’échauffent ; dans le feu de l’enthousiasme, on prend la résolution de vaincre ou de mourir, et l’on se précipite en masse vers la salle du comitat, où l’on emporte d’assaut les suffrages, pourvu que le parti opposé n’ait point jeté sur les tables plus de florins et versé plus de vin de Hongrie. Ces paysans nobles portent dans les corps politiques toute l’ignorance, tous les préjugés des paysans corvéables, et aussi la même indifférence pour les peuples qui ne sont point de leur race, le même mépris pour ceux qui sont en lutte avec la nation magyare.

L’aristocratie titrée domine et gouverne ces agitations du fond de ses châteaux, où elle passe une partie de l’année dans l’appareil d’une féodalité encore puissante. Combien de fois, sur ces routes impraticables le long desquelles de pauvres cultivateurs s’essoufflent à pousser un chariot qui n’avance pas, ne rencontre-t-on point de ces fiers magnats traînés triomphalement par huit chevaux avec une escorte de trente ou quarante domestiques armés ? On sait que le prince Esterhazy, par une vanité ruineuse, entretient à ses frais, pour la garde de ses domaines, un régiment tout entier. Le cas échéant, il serait en mesure de soutenir un siége contre l’empereur d’Autriche ou de faire la guerre aux seigneurs ses voisins. Il mettrait en campagne quelques mille fusils et plusieurs pièces de canon. Naguère, il y a seulement cinquante ans, les conflits de privilèges ou d’intérêts manquaient rarement d’être tranchés ainsi par les armes. Plusieurs magnats ont plus de trois cents domestiques-soldats ; des archevêques et des évêques en possèdent jusqu’à mille, qui, aujourd’hui inoffensifs, font tranquillement sentinelle à la porte de l’église ou du palais épiscopal, mais qui eurent autrefois des mœurs fort belliqueuses.

L’orgueil de cette noblesse féodale qui peut encore dire : mes vassaux et mes sujets, cet orgueil, plus éclairé sans aucun doute que celui des paysans, s’accroît néanmoins outre mesure par le sentiment de cette toute-puissance. Le noble magyare ne connaît point d’égal ici-bas ; il étale aux regards du vulgaire des généalogies pompeuses qui le font remonter à la création ; il est hospitalier et magnifique, mais avec une réserve par laquelle il trahit l’idée toujours présente de sa personnalité. Au fond du cœur, dans le secret de sa conscience, il estime, plus qu’homme du monde après lui, le paysan magyare qui ne l’aborde qu’en lui baisant la main ; il regarde d’en haut la noblesse illyrienne, il marche sur la tête de la noblesse slovaque, et il affecte de ne point reconnaître la noblesse roumaine. Quant aux paysans de ces trois races, le seigneur magyare semble trop souvent ne voir en eux qu’une classe de parias. N’allons point porter dans les châteaux, dans ces brillantes citadelles du magyarisme, l’expression de nos sympathies pour les Illyriens ou les Valaques, car nous y perdrions l’amabilité de nos hôtes ; nous les verrions frémir comme de l’ardeur des batailles, et nous serions exposés à entendre quelque brûlante et lyrique menace contre ces rebelles qui repoussent loin d’eux l’honneur d’être magyarisés.

C’est dans les campagnes, on le voit, que le magyarisme nous apparaîtra sous son moins favorable aspect ; mais l’aristocratie terrienne passe quelquefois ses hivers dans les grandes villes, où elle se trouve mêlée à un élément nouveau : la petite noblesse lettrée qui suit les professions libérales, et les magnats progressistes qui trouvent de l’attrait au métier d’écrivains et d’agitateurs populaires. Qu’on entre à Bude ou à Pesth, dans ces vastes cités des bords du Danube qui sont le vrai centre de la Hongrie et qui appellent chaque année aux plaisirs bruyans et aux grandes manifestations politiques l’élite de la société magyare là on ne verra point la noblesse s’isoler dans son orgueil de race comme les paysans ou les vieux seigneurs féodaux. Elle ne dédaigne point d’abaisser ses regards sur les pays de l’Occident qui ont quelque expérience de la liberté. Un certain nombre de jeunes Magyares, placés au-dessus des préjugés nationaux, viennent même demander à notre histoire le complément de leurs études politiques. Pourtant, il faut en faire l’aveu, la plupart sont entraînés d’instinct vers d’autres sources, où ils peuvent en effet puiser des enseignemens mieux appropriés au tempérament national. C’est à l’Angleterre qu’ils s’adressent. Les institutions parlementaires, la division des deux pays en comtés, la ressemblance de la chambre des magnats avec celle des lords, de la chambre élective avec celle des communes, tous ces rapports de deux sociétés issues de la même civilisation attirent naturellement les Magyares vers l’Angleterre. Je n’affirmerais pas que les plus éclairés même parmi ceux qui se livrent à ce sentiment ne soient point persuadés de la supériorité de leur race sur la race anglo-saxonne. Ils admirent toutefois d’autant plus la société anglaise qu’elle leur ressemble davantage ; ils suivent ardemment sa politique, qu’ils vont chercher chaque matin dans ses journaux ; puis ils écrivent des ouvrages savans où ils comparent ses institutions aux leurs, non sans montrer combien les formes politiques de la Hongrie sont plus simples, plus voisines de la tradition que celles de l’Angleterre. En Hongrie, par exemple, le bien se mêle au mal : Sunt bona mixta matis ; mais en Angleterre, à côté de très grands biens il y a de très grands maux : Sunt magna bona mixta magnis matis[5]. La vie parlementaire chez les Magyares prend d’ailleurs instinctivement ou de propos délibéré les habitudes et les allures de la vie anglaise. C’est ainsi que les casinos ont la prétention d’être des clubs. Les orateurs célèbres reçoivent des banquets politiques de leurs partisans et tiennent, dans les grandes occasions, des meetings solennels. Quelquefois aussi ils sont l’objet de fêtes de nuit auxquelles prend part la jeunesse studieuse armée de torches flamboyantes, et alors ils haranguent la multitude du haut de leurs balcons ou des hustings. Plusieurs d’entre eux ont obtenu le nom d’O’Connell de la Hongrie. Enfin, lorsque les Magyares veulent se faire comprendre promptement de quelque voyageur qui les ignore, ils n’hésitent point à dire qu’ils sont les Anglais de l’Orient. Il est certain qu’il existe plus d’un rapport entre le libéralisme de la noblesse magyare et celui de l’aristocratie britannique. L’une se pique comme l’autre de rester à la tête de tout mouvement d’opinion après en avoir pris l’initiative, et l’une aime ainsi que l’autre à se dire prête à sacrifier de ses privilèges tout ce que les circonstances et le progrès des esprits exigent d’elle. La portion libérale de la noblesse magyare ne compte point seulement dans ses rangs de jeunes gentilshommes qui, privés de fortune et d’influence, soutiennent un peu la cause personnelle de la petite propriété contre la grande en attaquant les seigneurs féodaux ; quelques-uns de ces puissans seigneurs terriens lui viennent apporter eux-mêmes l’autorité de leur nom et mettre à son service une partie de leurs revenus. Ces jeunes magnats et ces jeunes nobles s’habituent de bonne heure, dans les réunions de comitat, à parler aux masses assemblées devant des orateurs émérites, et, à l’époque des diètes générales, la plupart s’attachent en qualité de secrétaires à quelque chef de parti, à l’école duquel ils apprennent la tactique et le vrai langage parlementaire. Ceux qui ne sont point héritiers d’un siége à la chambre des magnats travaillent alors à se créer dans les comtés une clientelle qui les puisse un jour envoyer à la seconde chambre. C’est du sein de cette heureuse et brillante jeunesse que sortent à leur tour les leaders qui gouvernent l’opinion dans les deux chambres. Tous ne sont point également libéraux, on le comprend bien, mais tous à peu près sont éclairés, et les débats qu’ils engagent dans la diète de Presbourg ne manquent ni d’élévation ni d’intérêt.

Il est curieux de voir les nobles libéraux aux prises, dans cette grande assemblée de Presbourg, avec l’opiniâtre immobilité des derniers représentans de la société féodale, de suivre ces rudes combats dans lesquels la noblesse des villes, conservatrice ou progressiste, apporte une parole diserte, des connaissances politiques, les manières faciles d’orateurs expérimentés, tandis que la vieille noblesse, pénétrée d’un respect religieux pour ses privilèges qui lui semblent l’essence même de la patrie, daigne à peine laisser tomber de ses lèvres quelques sentences solennelles dont tout le mérite est de donner une couleur poétique à des préjugés vermoulus. On sent bien dans ce contraste deux idées, deux époques, en un mot deux civilisations entièrement différentes. Si, en effet, cette portion de la vieille noblesse qui se tient obstinément renfermée dans ses domaines féodaux est encore, par l’esprit et par les mœurs, immobile dans son caractère oriental, l’autre, par le travail et l’étude, s’ouvre chaque jour davantage à l’esprit et aux mœurs de l’Occident. Celle-ci, il est trop vrai, n’est pas non plus exempte de préjugés de race, elle a jusqu’à présent vécu des communes espérances d’avenir et de triomphe dont le magyarisme s’est bercé ; mais elle a du moins l’intelligence pour comprendre le sens des événemens, et l’amour du bien pour porter remède à ceux des maux du pays qui ne sont point encore incurables.


II.

Dans les châteaux comme dans les villes, j’avais pu saisir l’histoire politique des Magyares tantôt à travers le langage passionné des patriotes de Pesth, tantôt à travers les ardentes déclamations de leurs adversaires. Cette histoire mérite qu’on la raconte, en la dépouillant des exagérations locales. Que servirait de flatter les Magyares ? Bientôt peut-être viendront-ils eux-mêmes démentir quiconque partagerait aujourd’hui leurs illusions. Assez d’orateurs ou d’écrivains de leur pays, avides de popularité, essaieront encore de leur plaire en caressant de dangereuses erreurs. C’est leur être utile, n’en doutons point, que de leur parler avec franchise, en accordant d’ailleurs des éloges mérités à l’énergie dont ils ont donné des preuves et aux qualités généreuses par lesquelles ils sauront peut-être encore éviter l’abîme où les conduirait l’intolérance.

Sous la domination allemande comme au temps de l’indépendance, les Magyares, arrivés sur le sol hongrois en conquérans, avaient conservé sur les Slovaques, les Croates et les Valaques, une suprématie à la fois politique et morale. L’aristocratie magyare, maîtresse de l’administration supérieure et du pouvoir législatif tant qu’il fut respecté, avait aussi plus d’ambition et plus de moyens d’agir que la noblesse croate et que le petit nombre des grandes maisons reconnues pour slovaques ou roumaines. C’est ce qui explique comment l’initiative des agitations nationales en face du germanisme a dû venir de la race magyare et comment, au lieu d’être slovaque, ou valaque, ou même croate, le mouvement politique de la Hongrie a commencé par être exclusivement magyare.

Le magyarisme naquit, nous l’avons dit, dans la réaction universelle provoquée par le germanisme violent de Joseph II. Par malheur, l’idée était encore bien obscure, et les hommes manquaient à l’idée. La Hongrie retrouvait ses institutions nationales ; mais les traditions politiques et parlementaires étaient à peu près perdues. Enfin, l’opinion, si exaltée qu’elle fût, n’avait pas d’autres armes que ses passions ; car elle n’avait point encore appris à se servir de l’idiome magyare oublié dans les villes, et elle ne possédait aucun de ces instrumens de propagande qu’une littérature nationale pouvait seule lui offrir. L’avenir de la nationalité et celui de la constitution restaient donc à la merci des événemens ; tout était précaire dans le nouvel ordre de choses, et, sous le prétexte de quelques troubles survenus dans les comitats, l’Autriche put, après la mort de l’empereur Joseph, retirer les concessions qu’elle avait faites. Au premier élan du magyarisme succéda ainsi une halte forcée, mais ce temps de repos ne fut point stérile. Une génération nouvelle, élevée dans la langue magyare, se préparait dans l’ombre à une lutte sérieuse, à la fois constitutionnelle et nationale. Par la puissance de l’opinion qu’ils surent tout d’abord créer, les jeunes Magyares réussirent à intimider l’Autriche, et cette constitution, deux fois brisée en si peu de temps, leur fut pour la seconde fois rendue. Ils montrèrent, dès 1825, à l’empire étonné qu’ils sauraient en tirer parti.

Ce n’était point l’indépendance qu’ils affectaient de rechercher. Lorsque Napoléon la leur avait offerte, sans doute avec peu de désintéressement, ils avaient repoussé par crainte de quelque arrière-pensée cette séduisante image[6]. Leurs sentimens à cet égard demeuraient enveloppés de mystère. Ils voulaient ostensiblement, sans rompre avec la maison de Lorraine, obtenir dans sa plénitude constitutionnelle le droit de se donner des lois et le droit de vivre d’une vie à eux propre, nationale, comme race distincte de la race gouvernante en Autriche. En un mot, ils voulaient être une nationalité libre sous une royauté limitée, sous la couronne de saint Étienne portée actuellement par l’empereur d’Allemagne. Ils avaient donc à s’assurer à la fois contre les caprices du pouvoir absolu et contre la prépondérance de la civilisation germanique, contre un prince habitué à l’exercice de la souveraineté illimitée sur ses autres sujets, et contre un peuple de conquérans à peu de frais, dont c’était l’occupation et le bonheur d’administrer sept races enchaînées ensemble par le jeu de la politique et du hasard.

À cette époque, qui fut comme la seconde naissance du magyarisme, le parti national et le parti libéral ne formaient qu’un seul et même parti dirigé et représenté, trait pour trait, par deux hommes déjà considérables, Étienne Széchényi et Nicolas Wéssélényi. Nobles et magnats, le premier en qualité de comte, le second en celle de baron, ils étaient issus l’un et l’autre de deux familles illustres qui avaient naguère occupé les plus hautes fonctions de l’état ; l’un et l’autre avaient été nourris dans le culte exclusif de la nationalité magyare et dans la haine de l’Allemagne. Dès le début de leur carrière, ils donnèrent au magyarisme des gages certains d’un dévouement absolu. Tous deux engagèrent leur immense fortune pour les besoins de la propagande, et saisirent eux-mêmes le rôle d’agitateurs dans les questions d’ordre matériel ou moral qui touchaient de près ou de loin aux intérêts du magyarisme[7]. Ils étaient liés alors d’une cordiale amitié, image fidèle de l’union des patriotes au commencement de l’œuvre nationale. Cependant, même au sein de cette concorde qui de part et d’autre était sincère, il était déjà facile de remarquer chez Széchényi un attachement profond au système de l’aristocratie parlementaire, une crainte non moins grande de voir tomber le sort du magyarisme aux mains de la petite noblesse, qui est en Hongrie l’élément populaire. Wéssélényi, au contraire, animé de sentimens plus hardis, ou, si l’on veut, plus téméraires, se complaisait à soulever autour du magyarisme, comme cortège, les passions des multitudes ignorantes, mais audacieuses. Széchényi essayait donc principalement de pousser la haute aristocratie, les magnats, dans les voies du progrès constitutionnel et des grandes entreprises économiques, tandis que Wéssélényi, déjà propriétaire et magnat en Hongrie et en Transylvanie, et par conséquent membre des diètes générales des deux pays, doublement citoyen, achetait des terres dans tous les comitats pour conquérir autant de droits nouveaux, et pouvoir au besoin assister et parler à chacune de ces assemblées populaires et tumultueuses qui se tiennent périodiquement dans chaque comitat. Ces penchans si divers, chez les deux hommes les plus éminens de la Hongrie, répondaient aux directions d’esprit qui se révélaient dès-lors au sein du pays, et qui contenaient le germe des fractionnemens de l’opinion en matière de réforme constitutionnelle ; mais, à l’époque où le magyarisme devint un système, les deux tendances si profondément distinctes se laissaient à peine deviner : la question de race occupait alors, avant tout autre intérêt, la pensée publique. Széchényi était extérieurement d’accord avec Wéssélényi, les magnats avec la petite noblesse ; tous, voulaient la substitution de la langue magyare au latin, dans les rapports privés, dans les corps politiques, dans l’administration, dans l’enseignement. Bien que les Magyares de la Transylvanie fussent séparés de ceux de la Hongrie par leur constitution, les uns et les autres marchaient du même pas vers le même but. Les salons de Clausenbourg imitaient ceux de Pesth, comme la diète de la principauté imitait celle du royaume, et les deux pays ne montraient qu’un regret c’était de ne pas former un seul et même corps, ainsi qu’ils formaient une seule et même race. Alors les autres populations de la Hongrie n’avaient point encore présenté de résistance ni donné de signes de leur énergie nationale, sinon par leur impassibilité ; et ainsi le magyarisme put faire une soudaine et victorieuse irruption par toutes les voies de l’activité sociale. Avec Széchényi, il envahit l’économie politique et l’administration ; avec Wéssélényi, il pénétra dans les comitats, en même temps que de jeunes écrivains le portaient dans l’histoire nationale, dans la statistique, dans toutes les branches de la poésie[8].

Une société savante, ou plutôt une académie nationale vint, en 1827, centraliser ces efforts individuels, et elle prit tout de suite l’importance d’une grande institution politique, car elle était le juge et le guide de ceux qui travaillaient à répandre l’idiome national. Elle professait littéralement que l’on pouvait écrire en magyare aussi bien que Cicéron en latin ; elle ne doutait nullement que le magyare ne fût plus philosophique et plus parfait que les autres langues parlées dans la Hongrie, et elle croyait, en l’imposant à toutes les populations hongroises, assurer à la fois la suprématie de la race magyare et le progrès de la civilisation en Orient. Si en effet le magyarisme eût pu être accepté pacifiquement par toute la Hongrie, c’eût été pour lui une conquête féconde ; il eût ainsi réuni sous son autorité, dans une même idée, une masse de treize millions d’hommes belliqueux sur un sol très riche, même sans culture. C’était plus que le tiers de l’empire d’Autriche, qu’il pouvait, avec un peu de résolution, ou dominer ou briser. Seulement, pour obtenir cette unité puissante, la première mesure à prendre était de rester Hongrois au lieu de se dire si hautement Magyare ; et si l’on tenait si fort à ce nom, qui avait l’inconvénient de ne s’appliquer point à tous les peuples de la Hongrie, il eût fallu du moins admettre leur développement simultané sous leur nom national. La Hongrie fût restée ainsi une confédération de quatre races unies contre un ennemi commun, le germanisme, qui eût été vraisemblablement fort empêché en face du magyarisme, de l’illyrisme, du tchékisme et du roumanisme, sans compter le polonisme hardiment campé en Gallicie et l’italisme de la grasse et indolente Lombardie ; mais les Magyares ayant persisté dans le projet d’imposer leur nom et leur langue à toute la Hongrie, à la place de l’unité hongroise, on vit naître la guerre des races, qui rendit à l’Autriche la sécurité et l’influence.

En 1827, au moment même où l’on se réjouissait à Pesth de la fondation d’une académie nationale, les Slovaques, par l’organe du poète Kollar, donnaient le signal de la plus audacieuse insurrection littéraire. Ce n’était pas seulement le slavisme qui s’éveillait pour se prémunir contre les envahissemens de l’idiome magyare, c’était le panslavisme lui-même qui, souriant ironiquement aux efforts d’une population si peu nombreuse, lui disputait son avenir, et qui, affrontant du même coup un autre ennemi, ne craignait pas de porter un défi à l’Allemagne. C’était le colosse dont la Russie est la tête, la Pologne le cœur, la Bohème le bras, et dont les pieds reposent d’un côté sur le Bosphore, de l’autre sur l’Adriatique, c’était le géant slave qui se montrait armé de pied en cap contre le Magyare oppresseur et contre l’Allemand jaloux et perfide. Kollar avait donné à son idée la forme d’un poème épique où la race slave était personnifiée sous le nom de fille de la gloire ou fille slave. Il recherche et retrouve ses traces dans l’Europe presque entière, sur les bords de la Sala, de l’Elbe, du Rhin, de la Moldau et du Danube. Après avoir rassemblé les débris mutilés de ce grand corps, les Bohèmes, les Illyriens, les Polonais, les Russes, il leur fait boire l’oubli de leurs divisions et de leurs haines dans les ondes du Léthé ; puis il les réconcilie. Tous les grands hommes des quatre familles slaves se donnent la main ; mais en même temps les Slaves qui n’ont pas su garder leur nationalité, ceux qui sont devenus Allemands ou Magyares, les grands hommes étrangers qui, dans le passé, ont combattu les nations slaves, sont impitoyablement traînés par le poète sur les bords de l’Achéron, dans le royaume des damnés.

Cette épopée bizarre, publiée par fragmens dès 1827, eut tout l’effet d’un événement politique. Certes, et il faut les en féliciter, les Slovaques n’allaient point, à la suite de leur poète, jusqu’au rêve d’une union avec les Slaves de tout l’univers sous un drapeau unique ; mais leur pensée moins audacieuse avait l’inconvénient grave d’être plus politique et plus immédiatement dangereuse. Sitôt que Kollar, avec ses sentences épiques et sa voix solennelle, les eut tirés du sommeil, ils annoncèrent qu’ils allaient se constituer pour fermer leurs églises, leurs écoles, leurs foyers au magyarisme qui les menaçait. Ils songèrent aussi à s’assurer des alliés, et, par un instinct bien naturel, ils se réfugièrent dans le sein de la nationalité bohème, leur mère bienveillante, qui alors, laborieusement engagée dans les travaux de pure érudition slave, entendit leurs cris de détresse et adopta sans hésitation leur cause. Ce fut même pour les patriotes de Prague, resserrés par la police autrichienne sur un étroit terrain lorsqu’ils voulaient défendre les intérêts nationaux de la Bohème, ce fut une occasion précieuse de donner un libre essor à leurs sentimens de nationalité, car ils combattaient hors de chez eux et seulement pour une tribu de leur race ; puis ils combattaient contre ces Magyares entreprenans et révolutionnaires, dont l’Autriche avait vu le réveil avec crainte et contemplait les progrès avec terreur. On ne s’effraya donc point à Vienne de cette rébellion littéraire des Slovaques ni de la complaisance avec laquelle les Tchèques de la Bohème se précipitaient à leur aide[9].

Le mouvement slovaque, qui n’opposait aux Magyares que deux millions d’adversaires en Hongrie, appuyés par six millions de Tchèques, n’eût point été cependant pour le magyarisme un sujet d’alarmes, si un mouvement semblable et plus prononcé n’eût éclaté bientôt sur un sol plus libre, à l’ombre tutélaire de la constitution hongroise elle-même. Les Croates, qui, loin de se reconnaître pour serfs des Magyares, ont toujours prétendu au titre de royaume-annexé, répondirent aux sommations du magyarisme en invoquant les souvenirs de la nationalité illyrienne et en l’abritant derrière leurs privilèges municipaux et leur diète locale. Sous le nom d’Illyriens et avec des hommes doués de sens pratique et d’éloquence, ils commencèrent une agitation qui s’étendit d’abord modestement à la Croatie et à la Slavonie, puis hors du royaume, à la Dalmatie, à la Carinthie, à la Carniole, à la Styrie, puis enfin, par-delà l’Autriche, à ce monde slave de la Turquie d’Europe, à ces peuples de pasteurs et de guerriers restés jeunes à travers les vicissitudes des temps, mais fatigués enfin de cette immobilité séculaire, et sympathiques à tout ce qui est renouvellement des traditions, développement de l’idée de race. L’illyrisme, qui avait des tribunes assurées dans les divers comitats de la Croatie et de la Slavonie, et plusieurs voix dans les deux chambres de la diète hongroise, eut aussi et promptement des journaux littéraires et politiques à Agram, à Laybach, à Zara, à Belgrade, à Pesth même, au cœur des pays magyares. Plus libres que les Slovaques et les Bohèmes, les Illyriens étaient plus hardis, sans cesser d’être prudens. Ils se posaient, non-seulement à Agram, mais quelquefois aussi à Belgrade, en Servie, et jusque chez les catholiques bosniaques, comme les meilleurs amis de l’Autriche. Ils voulaient simplement, disaient-ils, fermer au magyarisme les frontières de la Croatie et de la Slavonie. Dans les momens d’exaltation, ils se contentaient, pour toute violence, d’opprimer, par manière de représailles, le petit nombre de Magyares dispersés en Croatie, et tout au plus demandaient-ils, par l’organe de Louis Gaj, le rappel de l’union. L’Autriche n’y découvrait point de mal immédiat pour elle-même, et, ne pouvant guère empêcher un mouvement politique qui résultait de la nature des choses, elle ne chercha qu’à le retenir dans les limites d’une querelle littéraire et municipale, bien qu’il dût promptement franchir ces faibles barrières. L’illyrisme comptait deux millions d’aines en Croatie, en Slavonie, en Dalmatie, trois millions dans les autres provinces de l’empire, et dix millions en Turquie.

Une émulation fraternelle et une sympathie pleine d’encouragemens réciproques s’étaient rapidement établies entre les Slovaques et les Croates, les uns et les autres enfans de la grande famille slave ; les Valaques de la Hongrie orientale et de la Transylvanie, issus d’une race différente, instinctivement hostile aux Slaves, durent puiser dans leurs propres nécessités politiques leurs résolutions et tous leurs moyens d’opposition au magyarisme. Ils n’avaient à leur service ni un homme sensé et populaire comme M. Gaj, ni même un poète de la valeur de Kollar, bien que la littérature roumaine eût fleuri en Transylvanie au commencement de ce siècle. Des savans, des grammairiens, honnêtes patriotes, mais peu aptes au rôle de tribuns, des évêques bien déterminés à prendre la défensive, mais jusqu’alors très réservés et incapables de passionner l’opinion, c’étaient les seuls champions qui s’offraient au roumanisme. Ces savans et ces évêques promettaient de tenir les écoles et les églises nationales inaccessibles au magyarisme et de lui opposer une résistance courageuse ; mais leur pouvoir n’allait point au-delà. Cependant les choses marchaient vivement par leur propre force. D’une part, la misère effrayante des populations roumaines parlait avec une éloquence incomparable, et d’autre part des écrits périodiques rédigés en roumain, soit en Transylvanie, soit dans la Moldo-Valachie, s’armaient de ces griefs sociaux et politiques. La nationalité était aussi l’idole de ces populations, et le Magyare leur ennemi. Enfin les Valaques de la Hongrie protestaient de leur respect pour l’Autriche, qui, de son côté, ne pouvait méconnaître leurs souffrances, et qui n’avait pas le droit d’être plus sévère à leur égard qu’à l’égard des Slovaques et des Croates. Les Roumains offraient donc en Hongrie et en Transylvanie une nasse d’environ trois millions d’hommes qui sentaient tout près d’eux cinq millions de frères dévoués, les peuples de la Bucovine, de la Bessarabie et des principautés moldo-valaques.

Ainsi, le nom des Magyares était prononcé avec haine du Tyrol à la mer Noire et du fond des Carpathes jusqu’au revers méridional des Balkans. Plus détestés que l’Autriche, les Magyares s’étaient fait une dangereuse réputation de tyrannie dans toute l’Europe orientale, et l’on put recueillir sur les lèvres de leurs adversaires de sinistres paroles de vengeance. Surpris et non abattus, les chefs du magyarisme se demandèrent quelle pouvait être la cause de tant d’inimitiés ; mais, au lieu de la chercher là où elle résidait, dans leurs essais oppressifs d’unité magyare, ils imaginèrent que la Russie avait seule organisé cette ligue. La Russie avait soudoyé les Slovaques et les Croates par le panslavisme, et les Valaques par l’intérêt religieux, le puissant auxiliaire du panslavisme en Orient. Il est hors de doute que la Russie était intervenue dans ces querelles littéraires et politiques, elle avait même trouvé quelques apôtres de bonne volonté parmi tant d’agitateurs qui se disputaient l’influence chez des peuples insurgés contre le magyarisme ; mais, en général, ces émissaires avaient échoué misérablement contre les défiances que provoquaient si naturellement et le nom de Russes et tant d’actes sanglans commis sur un peuple voisin et slave lui-même. Les Magyares n’en croyaient pas moins voir la Russie partout présente, partout mêlée à leurs affaires, partout dirigeant les coups qui leur étaient portés. Par une nouvelle bizarrerie de leur ambition, ils s’en réjouissaient. Cette inimitié vraie ou supposée d’une grande puissance flattait leur orgueil et rehaussait à leurs yeux la mission qu’ils s’étaient donnée, car ils ne doutaient plus que le magyarisme ne fût une œuvre grandiose, providentielle, et, pour nous servir d’un mot inventé par les Slaves, une sorte de messianisme politique. Leurs pères avaient été l’avant-garde du christianisme en Orient au temps non encore oublié de l’invasion des Turcs. Le danger s’était déplacé et agrandi ; il ne venait plus du sud-est, sous la forme d’un essaim de barbares ; mais du nord, avec toutes les ressources de la diplomatie et de l’art européen. Le panslavisme russe poussait quatre-vingt-dix millions de Slaves sur la Hongrie et sur le monde ; la Hongrie allait sauver le monde, et le magyarisme serait le triomphe de la raison, de l’intelligence et de la liberté en Europe. Toutes ces considérations, développées avec beaucoup de passion par les orateurs politiques dans les comitats, étaient discutées ensuite dans les feuilles publiques, d’où elles se répandaient dans de nombreuses brochures écrites en magyare ou en allemand.

Un nouvel écrit de Kollar vint, en 1837, attaquer les Magyares jusque sur ce terrain de l’idéal et leur disputer ce dernier refuge de leurs illusions. A une théorie sur la mission providentielle du magyarisme, le poète, cette fois grammairien et philosophe, en opposait une autre sur les destinées probables du panslavisme. Kollar ne voulait, à l’entendre, que parler de réciprocité littéraire entre les différentes familles slaves ; mais, en réalité, il prêchait pour la fusion de tous les dialectes slaves en une seule langue, et de toutes les tribus slaves en une seule nation. Que demandait-il en effet ? Une sorte de confédération littéraire, pareille à la confédération politique des États-Unis, dans laquelle tous les Slaves, Russes, Polonais, Tchèques et Illyriens, pussent se comprendre entre eux sans étude. Or, le langage, c’est la vie, c’est la pensée, c’est l’homme, c’est. la nation. De l’aveu de l’écrivain, par la réciprocité littéraire, les Slaves redeviennent une nation ; ils n’ont déjà plus qu’une patrie. Si les Magyares arguent de leur droit de conquête sur le sol hongrois, Kollar leur répond que les Slaves sont à eux seuls la dixième partie de l’humanité entière, et, comme nous avons naguère renvoyé de l’autre côté du Rhin les Francs orgueilleux de leur origine, le savant slaviste demanderait volontiers que l’on renvoyât les Magyares au Mongol et au Thibet. Enfin, si les Magyares, qui voient déjà la Russie maîtresse de l’Europe, dénoncent la barbarie prête à renaître avec le panslavisme, Kollar ajoute que le panslavisme serait précisément le triomphe de la civilisation ; car il y a deux principes qui se sont développés isolément dans l’histoire : l’un antique et païen, qui nous est venu des Grecs et des Romains ; l’autre moderne, germanique et chrétien. Kollar veut, pour les temps qui vont venir, une tendance qui soit universelle et purement humaine. Une grande nation telle que la nation slave peut seule l’imprimer au monde. En un mot, dans l’opinion de Kollar, il n’appartient qu’aux Slaves réunis de concilier le présent avec le passé, et de fondre dans un principe unique et supérieur les deux principes qui ont produit la civilisation antique et la civilisation moderne.

Ainsi, les Slaves trouvaient une réponse prête à chaque prétention nouvelle des Magyares. Si les Slovaques et les Croates refusaient de s’associer aux aspirations mystiques de Kollar vers la Russie, ils n’en adoptaient pas moins ses doctrines philosophiques sur l’importance et sur le rôle des civilisations slaves dans l’avenir. Cette destinée sublime et souveraine promise à la pensée slave convenait principalement aux Illyriens, que la science regarde aujourd’hui comme la race-mère des populations slaves et la plus fidèle aux traditions antiques. Le slavisme illyrien tchèque et polonais était, pour les savans croates en particulier, un système social et politique, une croyance nouvelle qui allait régénérer la vieille Europe en la rajeunissant, et fournir à la raison mal affermie encore dans les voies du rationalisme moderne les encouragemens, les saines directions de l’instinct ; mais, si l’on voulait s’élever à la hauteur de cette mission, il fallait passer pardessus les ruines du magyarisme. Sur le terrain de la philosophie comme sur celui de la politique, tous les raisonnemens conduisaient à cette conclusion, et toujours revenaient fatalement, au bout de toutes les considérations théoriques ou positives, ces mots terribles : Il faut d’abord exterminer le magyarisme.

Attentive et prudente au milieu de ces tempêtes, l’Autriche suivait les phases diverses de ce conflit, sans laisser échapper aucune occasion de s’en faire une arme ou un moyen, et, comme la pensée libérale des patriotes magyares ne lui causait pas moins d’alarmes que le réveil des races, elle avait dû songer dès l’origine à diviser les Magyares contre eux-mêmes, pour paralyser ainsi le mouvement social. Elle était donc parvenue, à l’époque même de cette grande crise, en cette fâcheuse année 1837, à constituer en Hongrie un parti conservateur ou plutôt un parti de l’immobilité, qui menaçait de n’être pas moins funeste à ce pays que la lutte des races jouant sous les yeux de César le jeu des gladiateurs.

Certes, si l’on considère l’étendue de la tâche qui incombait alors au parlement hongrois, quel était l’état des personnes et des choses au point de vue social et politique ; si l’on se rappelle que la licence était organisée sous le nom de liberté au sein des comitats, que la diète, par le moyen de la première chambre, était livrée à l’égoïsme de la haute aristocratie, que la décentralisation rendait toute administration impossible ; si l’on se représente, en un mot, le désordre des codes, des coutumes, des privilèges locaux, l’on conçoit comment des hommes éclairés ont pu se trouver en désaccord sur les parties qui étaient à conserver, ou à réparer, ou même à détruire dans cet édifice informe. Il fallut, pour le malheur du pays, que la rivalité des races vint ajouter de nouvelles difficultés à cette confusion des intérêts sociaux. La noblesse magyare, beaucoup plus nombreuse que la noblesse illyrienne dans la diète de Presbourg, avait sans doute conservé l’influence dirigeante en matière législative. Elle était en majorité dans le parti conservateur comme dans le parti progressiste. Cependant, lorsque les votes se déplaçaient ou devenaient douteux, la noblesse illyrienne formait un appoint qui pouvait être décisif. L’Autriche avait ménagé au parti conservateur l’adhésion des Illyriens par une tolérance calculée, des concessions indispensables, et surtout de belles promesses. Elle avait demandé de semblables services aux évêques roumains en Transylvanie, aux mêmes conditions et avec autant de succès. Par penchant, les Illyriens eussent voté avec les libéraux, car, sous le régime de l’aristocratie, ils ont conservé le souvenir de la démocratie patriarcale qui est le fond des civilisations slaves, et ils ne sont pas tout-à-fait indifféreras aux charmes de la démocratie moderne. Par une impérieuse nécessité, les organes religieux de l’intérêt roumain se fussent prononcés énergiquement pour toutes les améliorations sociales et politiques, car il n’est point de misère plus profonde et plus évidente que celle des Roumains de la Transylvanie. Toutefois, en présence de cette alternative, ou de développer la condition sociale de leur pays en subissant le magyarisme, ou de sauver et de régénérer leur nationalité en servant les défiances de l’Autriche, les Illyriens et les Roumains avaient fait le choix le plus patriotique. C’est ainsi que la divergence des intérêts de classe et de race avait créé celle des systèmes et décidé de la formation et de la marche des partis constitutionnels.

Dans le débat des réformes sociales qui étaient à l’ordre du jour, la victoire demeura aux conservateurs et à l’Autriche. Indépendamment de cette défaite, la Hongrie libérale se vit affligée de deux blessures profondes. Des deux hommes qui l’avaient jusqu’alors le plus aimée et le mieux servie, l’un lui était arraché par la persécution, l’autre semblait faiblir dans sa foi. Széchényi, en présence des manifestations tumultueuses qui avaient ensanglanté les dernières assemblées de comitat, ne dissimulait plus l’effroi que lui causaient les principes d’agitation répandus parmi ces prolétaires privilégiés qui forment la petite noblesse. C’était à ses yeux la démocratie naissante ; il préférait la féodalité et l’Autriche. Véssélényi, poursuivi et condamné à la prison pour un discours véhément, restait magyare et libéral ; mais lorsqu’une amnistie vint rendre au grand martyr, ainsi que l’appelaient les patriotes, l’usage de sa liberté, épuisé par la maladie, il était perdu pour la vie active et les labeurs du tribun. Ainsi, le parti progressiste, abandonné par l’un de ses chefs, privé fatalement de l’autre, recevait de l’Autriche un coup violent qui retombait sur la nationalité magyare elle-même à l’heure où elle avait le plus besoin de toute sa force et de toute sa raison pour répondre à la triple rébellion littéraire des Slovaques, des Croates et des Valaques, et enfin au panslavisme de Kollar.

A partir de 1837 commence dans l’histoire du magyarisme une époque d’incertitude et de découragement. L’irritation croissante, les protestations officielles portées par les Illyriens et les Roumains dans la diète et par les Slovaques jusqu’au pied du trône impérial[10], le morcellement, la dissolution imminente du royaume, frappent enfin quelques esprits qui à l’origine s’étaient eux-mêmes laissé séduire par les brillantes illusions du patriotisme conquérant. D’abord des voix isolées et sans autorité osent prêcher la modération ; elles ne partent pas d’assez haut pour être écoutées et se perdent dans la foule. L’obscurité les sauve du mépris des patriotes. Il était clair que l’homme assez hardi pour dévoiler à ses concitoyens la vérité sur leurs fautes jouerait dans cet acte de véritable héroïsme toute popularité acquise ou à venir et s’exposerait inévitablement à une tempête de récriminations et d’injures. Pourtant, après plusieurs années d’hésitation, la vérité parvint à se faire entendre, en 1842, dans le sanctuaire même du magyarisme, dans l’académie nationale de Pesth. Elle avait emprunté la voix d’Étienne Széchényi, président temporaire de la docte assemblée. Après des éloges, d’ailleurs légitimes, accordés par conviction et par prudence à la littérature magyare, il eut le périlleux courage d’adresser des conseils de modération aux ultra-enthousiastes qui avaient poussé la pensée nationale à tant d’excès, et il osa reconnaître que le mouvement des Slovaques, des Croates et des Valaques dérivait directement non point des machinations de la Russie, mais du principe impérissable des races, violemment irrité par l’injustice du magyarisme débordé[11].

En dépit de cet aveu si remarquable, la diète de 1843 suivit les erremens de toutes celles qui l’ont précédée, et, dans une séance à l’issue de laquelle les députés croates avaient couru quelque danger pour leur vie, la majorité leur enjoignit de parler le magyare dans un délai de six ans. Toutefois le peu de cas que ceux-ci ont semblé faire de cette injonction, la puissance morale conquise par l’illyrisme sur son.propre terrain et à Vienne même[12], l’organisation plus étroite des Slovaques défendus par un journal de leur nationalité à Presbourg, l’attitude menaçante des Valaques énergiquement secondés par leurs évêques et par plusieurs écrits périodiques, toutes ces marques du péril qui augmente avec le temps, ont jeté dans l’opinion de secrètes terreurs sur lesquelles on aime à s’étourdir, que l’on oublie quelquefois, mais que la force des événemens doit ramener inévitablement. Les Magyares de la Transylvanie, pressés par leurs paysans de race roumaine, et mieux placés pour sentir toute la difficulté des circonstances, trahissent plus clairement encore le désespoir dont ils sont par momens saisis, et ces vœux de réunion officielle en royaume, qui étaient naguère un simple et, chaleureux élan de fraternité, renouvelés depuis avec plus d’instance, ont fini par ressembler à des mouvemens d’effroi et à des signaux d’alarme.

Ce sont là de cruelles déceptions : heureusement le fruit n’en a point été entièrement perdu. Le magyarisme, satisfait d’avoir porté des lois pour que l’idiome national fût partout substitué au latin et d’avoir tiré comme du néant une littérature nationale, a cru pouvoir se reposer dans l’attente d’une situation plus calme et plus propice ; il s’est réservé d’ailleurs de marcher à son but permanent par des détours, ne le pouvant plus à visage découvert. La pensée publique, moins occupée désormais de la question des races, a paru s’attacher presque exclusivement à l’étude et au soin des intérêts constitutionnels et sociaux de la Hongrie, ce qui peut d’ailleurs être une manière de prendre l’Autriche corps à corps par son côté le plus douloureux et aussi un moyen d’éloigner les catastrophes sociales dont se complique la guerre des nationalités. Les hommes nouveaux qui ont succédé aux champions défaillans, abattus ou égarés du magyarisme primitif ont su se distinguer du parti ultra-magyare, sans néanmoins s’en séparer, et, sous le nom de progressistes, ils ont réussi à fonder un grand parti constitutionnel qui ne se contente pas de menacer et de vaincre quelquefois l’Autriche sur le sol hongrois, mais qui la poursuit chez elle par une active et heureuse propagande[13].

Outre les concessions que ce parti a déjà arrachées aux conservateurs au profit de la roture, qui peut désormais acheter des biens nobles, il a formulé par écrit des programmes hardis et catégoriques. Fort éloigné de croire à la perfection absolue du mécanisme des comitats et des deux chambres, il accepte ces institutions telles qu’elles existent. Il veut cependant qu’elles s’ouvrent pour la bourgeoisie des villes, qui n’y possède qu’une ombre de représentation. Il veut la liberté de la parole et la liberté de la presse, limitées aujourd’hui par une censure introduite dans le royaume sans le consentement des états. Il veut pour la diète un droit de contrôle réel et une responsabilité effective dans les agens du pouvoir. Il veut aussi l’abolition des privilèges protecteurs de la propriété féodale, de ce privilège de l’aviticité par lequel les terres une fois vendues peuvent être rachetées à vil prix par le descendant du vendeur, et de cet autre privilège en vertu duquel la noblesse est exempte de l’impôt foncier et de tout impôt direct. Il demande l’égale répartition de toutes les charges publiques. Enfin il réclame à grands cris l’émancipation des terres et des paysans corvéables, l’affranchissement de la classe agricole par l’abolition des corvées et des prestations en nature[14].

Contre l’attente de l’Autriche et à son détriment, les idées émises ainsi en Hongrie ont franchi la frontière, et elles sont venues rallumer la vie presque éteinte dans le sein des diètes provinciales de l’empire. Ces corps politiques, vieux débris du moyen-âge, ne comptaient plus que comme un rouage insignifiant dans la machine administrative. La bureaucratie s’était substituée à toutes leurs fonctions, et elle avait peu à peu absorbé tous leurs privilèges. La diète de Hongrie, placée dans des conditions analogues sur un plan plus vaste, en se retrempant aux sources de la nationalité et du droit moderne, a offert aux diètes provinciales de l’Autriche des exemples qui ont réveillé leur ambition et répondent parfaitement à leurs instincts. L’Autriche effrayée s’est efforcée en vain de leur faire entendre que le mouvement constitutionnel de la Hongrie était révolutionnaire, subversif, dangereux pour la propriété et l’état social. Les défenseurs de ces diètes ont démontré avec beaucoup plus d’autorité et de succès que le triomphe du libéralisme hongrois était leur propre triomphe. Ainsi les Magyares ont créé à l’Autriche, dans ses provinces héréditaires, des difficultés sans doute moins grandes que celles de la question de race, mais capables néanmoins d’offrir des dédommagemens à leur orgueil et à leur désir de vengeance.

Au point de vue de la lutte des nationalités dans le royaume, la formation d’un véritable parti libéral est plus grave encore, et tous ces événemens semblent être un retour de fortune. Si, en effet, il y avait encore un remède aux maux causés par l’intolérance du magyarisme, où pourrait-on le chercher avec plus de sûreté que dans le triomphe prochain et complet des doctrines professées par les progressistes ? Après les ménagemens dus à leur langue nationale, quelle mesure serait plus agréable aux Slovaques et aux Roumains, si tristement accablés par le poids des charges féodales, que l’émancipation politique et civile des paysans ? Les Illyriens, qui ont parmi eux fort peu de seigneurs magyares, ne sentent pas, il est vrai, aussi vivement la nécessité de cette rénovation sociale, mais on ne peut pas dire, malgré le vote conservateur de leur représentation en diète, qu’ils l’accepteraient avec déplaisir. Loin de là, selon toute vraisemblance, leurs magnats et leurs députés ne se plaindraient point de se voir battus sur ce terrain de l’immobilité où ils tiennent à regret la position que l’Autriche leur a assignée. Combien dans tous les cas la liberté de la presse, qui figure aussi sur le programme des progressistes magyares, combien le droit de parler et d’écrire librement en faveur de la nationalité illyrienne n’aurait-il pas d’avantages et de charmes pour les patriotes croates !

Oui, si le magyarisme pouvait se soustraire aux périls politiques qu’il s’est créés par ses prétentions sans justice et sans raison, ce serait par le bienfait d’un changement rapide de la législation civile, lequel, à défaut de l’unité nationale désormais impossible, laisserait encore subsister une certaine unité sociale et adoucirait peut-être ainsi l’animosité des races en détruisant celle des castes.


III.

Lorsque je voyais à Pesth et à Bude les illusions conservées encore en dépit de l’expérience par quelques chefs du mouvement magyare, par la jeunesse, par le clergé, je ne pouvais me défendre d’un sentiment d’inquiétude, et je ne me dissimulais pas combien la réconciliation des peuples de la Hongrie présente d’obstacles. Je ne pouvais surtout m’empêcher de trembler pour l’avenir des Magyares, dont je ne désirais point la ruine, malgré les vœux que je formais pour les Illyriens, les Roumains et les Slovaques. On ne saurait nier, je l’avouerai, que la nationalité magyare, considérée en dehors de ces conflits funestes, ne se soit rajeunie et fortifiée par le travail qu’elle a accompli sur elle-même. Réduite à la décrépitude par le latinisme et le germanisme, elle a repris une physionomie nouvelle avec le sentiment de sa personnalité. Le principe de vie et de mouvement qu’elle a retrouvé ainsi au fond de sa conscience a pénétré si profondément dans tous les esprits, que désormais il ne semble devoir céder qu’à la pression d’une grande force matérielle. En un mot, pour que l’individualité de la race magyare puisse disparaître, il faut que cette race soit brisée une seconde fois sur les champs de bataille et tenue en sujétion par une main puissante. Alors nième, son originalité, qui n’a en aucun lieu du monde d’affinités connues, son orgueil, qui, jusque dans la servitude, l’entretient de rêves grandioses, son sang asiatique, qui semble craindre le contact du sang européen, lui donneraient contre un vainqueur une grande force d’inertie. Ainsi, tout porte à le croire, la nationalité magyare ne doit périr qu’avec la race elle-même. Mais combien cette race est menacée, si l’on compte les ennemis qui sont debout pour la combattre ! Les Illyriens, les Slovaques, les Roumains, avec l’énergie de la jeunesse et la bravoure militaire, n’ont-ils pas aussi l’avantage du nombre, soit qu’ils fassent entre eux cause commune, soit qu’ils combattent séparés, en s’appuyant simplement, les Slovaques sur la Bohème, les Croates sur toute l’Illyrie, les Roumains sur la Moldo-Valachie ! Je ne compte point les Allemands, dont la destinée est fort incertaine au milieu de ces vicissitudes, et qui, par la nécessité de diviser pour se maintenir, sont exposés à changer souvent de tactique et d’alliés. Il est vrai que l’Autriche a toujours été jusqu’à présent avec les faibles contre les forts, parce que les forts lui causaient de l’ombrage, et peut-être l’histoire serait-elle ainsi pour les Magyares une raison d’espérer en l’appui de l’empire ; mais ses six millions d’Allemands, joints à quatre millions de Magyares, prévaudraient-ils contre dix-sept millions de Slaves et trois millions de Roumains, encouragés par tous les Slaves et tous les Roumains de la Turquie, qui, en cas de détresse, auraient encore les sympathies fraternelles des Polonais, et, au besoin, le concours intéressé des Russes ?

Si donc la question des races doit se trancher un jour par la violence, dans ce grand conflit, les Magyares seront inévitablement écrasés. Écoutez toutes les prédications slaves. Ne poussent-elles pas dès à présent les Illyriens et les Slovaques à se rejoindre, en s’avançant les uns et les autres vers les bords du Danube, ce fier ancêtre de tous les Slaves ? Et, en vérité, ils n’en sont point assez éloignés pour que, sous l’impulsion de quelque grand intérêt, ils ne songent pas un jour peut-être à tenter l’aventure. Enfin, si le panslavisme devait intervenir dans le jugement de cette querelle, les Magyares le sentent bien, ils seraient exterminés, ou ils disparaîtraient sans retour dans le vaste sein d’un empire de quatre-vingt dix millions dames, où la population promet de doubler en un siècle.

Serait-ce que l’avenir est entièrement fermé aux descendans d’Arpad, et qu’au bout de tous les calculs de probabilités se retrouve pour eux la même certitude de ruine ? Les Magyares en seraient-ils arrivés à cet état désespéré où les peuples égarés, n’ayant point d’ame immortelle qui soit punie dans un autre monde, doivent du moins expier leurs fautes en celui-ci par le néant ? Non ; une voie leur reste ouverte, une voie qui ne les portera point sans doute à cette grandeur rêvée dans la foi de la jeunesse, mais qui les conduira à une condition encore honorable et à un rôle digne d’un peuple libre. Qu’ils réfléchissent à la situation critique de l’Europe et au mouvement des petites nationalités slaves, l’Illyrie, la Bohème, la Pologne. Il est certain qu’en dépit des projets du panslavisme, qui prétend entraîner dans les destinées de la Russie toute l’Europe orientale, le sentiment de l’individualité des familles slaves ne s’est pas plus affaibli chez les Illyriens et les Bohèmes que chez les Polonais. Laissons un moment de côté les Valaques, qui, grace à leur origine latine, ont leur tendance propre au milieu des Slaves. Bien que les Bohèmes, les Illyriens, les Polonais aient plus de penchant pour la Russie que pour l’Allemagne, cette inclination, qui vient du sentiment d’une origine commune merveilleusement exploité par la Russie depuis quinze ans, ne va pas pourtant jusqu’au désir d’une union politique. Kollar lui-même, éclairé par l’expérience, en est arrivé aujourd’hui à des idées plus calmes et plus pratiques, et n’oserait plus sans doute conseiller cette alliance à ses concitoyens ; mais les Polonais l’ont subie, et qui peut ignorer aujourd’hui le génie diplomatique des Russes partout victorieux, leur puissance matérielle incessamment croissante ?

Les Illyriens et les Bohèmes, qui sur ce point sont trop faiblement protégés par l’Autriche tremblante en face des czars, ont donc à se précautionner, à s’affermir, par tous les moyens matériels et moraux, contre les dangers que la Russie leur fait courir en leur offrant fallacieusement ses services, en les conjurant, par des regards et par des paroles caressantes, de croire à ses sentimens fraternels. C’est là l’état de choses qui ouvre à l’activité politique de la race magyare une issue nouvelle et sûre. Cette race a jusqu’à présent fait une guerre sans relâche au panslavisme, mais en le poursuivant là où il n’était pas, dans le mouvement national des Illyriens et des Tchèques ; il faut qu’elle l’aille chercher désormais là où il est bien réellement, dans la diplomatie secrète de la Russie, attentive à profiter de la situation difficile que le magyarisme a faite à ces peuples. Il faut qu’elle dérobe à la Russie ces circonstances à l’aide desquelles les émissaires moscovites peuvent un jour triompher de la répulsion que ces jeunes nationalités éprouvent pour ce panslavisme oppressif. Il faut que la race magyare, oubliant tant de rancunes injustes et domptant son funeste orgueil, cesse d’ambitionner des conquêtes impossibles pour proposer une paix nécessaire ; qu’au lieu de pousser les Illyriens et les Bohèmes dans les bras ouverts de la Russie, elle leur prête un appui, leur tienne un langage capables de les en détourner à jamais. Par une inconséquence heureuse, les Magyares, loin d’avoir pour les Polonais la haine qu’ils portent aux autres Slaves, ont toujours témoigné à cette nation les sympathies les plus vives, comme à celle dont le sort se rapproche le plus du sort de la race magyare. Mais que sont les Bohèmes et les Illyriens, sinon des Polonais dont la ruine et les malheurs sont plus anciens ? Et est-il besoin de rappeler aux Magyares que les Slovaques et les Croates leur sont liés encore par le nom de Hongrois, par une constitution, par des défaites communes, par une ressemblance de condition et d’intérêt qui rend ces liens sacrés ?

En appelant les Bohèmes et les Illyriens au partage des biens qu’ils ambitionnent pour eux-mêmes et pour la Pologne, les Magyares font donc un acte de rigoureuse équité et de saine politique. Ils préviennent d’une part la dissolution imminente du royaume de Hongrie, et de l’autre ils ferment les défilés des Carpathes au panslavisme des Russes. Or, les Valaques, auxquels les Magyares doivent la même justice qu’aux Croates et aux Slovaques, pour des raisons pareilles et non moins puissantes, seconderaient vraisemblablement une politique aussi salutaire. En effet, la jeune race roumaine, la seule nationalité de l’Europe orientale qui, avec les Magyares, ne soit point slave et ne s’accommode à aucun prix du panslavisme, ne serait-elle pas conduite, par ses propres inclinations, à entrer dans cette combinaison, soit comme médiatrice, soit comme partie agissante ? Les Moldo-Valaques, aujourd’hui non moins irrités que les Illyriens et les Bohèmes contre les Magyares, oseraient-ils conserver cette irritation dès qu’on leur proposerait d’élever sur les Carpathes et sur le Danube, d’accord avec les autres nationalités de l’Europe orientale, un rempart contre les agressions du panslavisme russe, et ne seraient-ils pas naturellement unis aux Magyares en face de toutes les difficultés que pourrait rencontrer cette grande et sage alliance de principes et d’intérêts ? L’union des Valaques avec les Magyares n’aurait pas seulement pour conséquence politique de vaincre le panslavisme en sauvant la Hongrie ; elle servirait aussi, en face des civilisations slaves, une civilisation plus forte et plus avancée. De même que les Magyares vont puiser quelquefois leurs exemples chez nos voisins d’outre-mer, les Valaques latins, par inclination comme par origine, viennent volontiers chez nous chercher des enseignemens qui les séduisent. Les deux grandes faces de la civilisation occidentale se trouveraient ainsi réfléchies, au milieu de la vaste race des Slaves, par deux peuples actifs, qui pourraient renvoyer cette lumière à tout l’Orient.

Voilà les perspectives qui se trouvent encore ouvertes devant les regards inquiets des Magyares ; c’est à eux de décider si un tel rôle n’est point au-dessous de leur ambition légitime ; c’est à eux de voir s’ils veulent rendre ce service à l’équilibre européen et aux idées modernes, de concert avec les Illyriens, les Tchèques et les Roumains, ou s’exposer par orgueil soit à périr de la main de ces peuples, soit à être exterminés par le panslavisme. Hors de cette union déjà tardive, il n’y a pour eux point de salut : la Hongrie marche à une dissolution inévitable, et le peuple magyare à des catastrophes certaines.

Un poète fort populaire, M. Worosmarty, a entrevu le secret de cette crise dans un hymne national qui est regardé comme une sorte de Marseillaise : C’est la vie ou c’est la mort. Certes, le poète espère bien que ce sera la vie, et, en songeant à toutes les souffrances que la race magyare a traversées, il ne croit pas qu’elles puissent rester sans récompense ; il compte sur un temps meilleur. Cependant des doutes pleins d’angoisse se mêlent à cet acte de foi, et il parle aussi, à défaut de ce temps meilleur, d’une grande ruine qui serait consommée, du cadavre d’un royaume qui roulerait dans le sang, du tombeau d’une nation autour duquel les peuples en deuil viendraient un jour pleurer. J’ai entendu pour la première fois cette mâle poésie sous l’humble toit d’une auberge de la Theiss, au moment de quitter le pays magyare pour arriver chez les populations roumaines. Un voyageur la récitait, après des danses bruyantes dont nos hôtes nous égayaient pour abréger les heures d’une soirée d’hiver. Je ne saurais dire avec quel saisissement religieux nobles et paysans l’écoutaient, comme si ces paroles eussent répondu aux plus secrets instincts des coeurs. Pour moi, elles avaient plus que l’intérêt d’une nouvelle observation à recueillir ; elles résumaient tout ce que j’avais appris du magyarisme, elles déroulaient devant mes yeux les principaux traits du passé et sans doute aussi de l’avenir de la race magyare : un long enchaînement de victoires et de défaites, beaucoup de gloire et beaucoup de malheurs, et, au bout de ces vicissitudes, l’alternative d’un nouveau triomphe à remporter par la prudence ou d’une chute qui serait la dernière.


H. DESPREZ.

  1. On laisse ici de côté, bien entendu, les Allemands, les Zingares, les Arméniens, les Bulgares, qui sont répandus çà et là et constitués en colonies plus ou moins florissantes au milieu de ces peuples.
  2. Voyez plutôt l’Église officielle et le Messianisme, par M. Mickiewicz.
  3. Il ne faut pas oublier que l’empereur d’Autriche n’est que roi constitutionnel en Hongrie, et qu’il n’y porte point d’autre titre que celui de roi.
  4. Cette proposition a été faite dans le comitat de Pesth il y a deux ans.
  5. C’est la conclusion d’un écrit allemand intitulé : England und Ungern, eine parallele (l’Angleterre et la Hongrie, parallèle). Cette brochure est signée d’un nom slave, Jean Czaplowicz ; mais je soupçonne fort l’auteur d’être magyarisé plus qu’à demi.
  6. Les Magyares ne négligent jamais l’occasion de faire sonner très haut ce trait de fidélité à la maison d’Autriche ; un pareil souvenir, ainsi rappelé, a toute l’apparence d’un reproche.
  7. On n’ignore point que Széchényi est le principal fondateur de la navigation du Danube.
  8. Bien que la vie parlementaire, ouverte à la jeunesse noble, absorbe une grande partie de l’activité intellectuelle en Hongrie, la littérature n’est pourtant point négligée ; mais il n’est guère donné qu’aux écrivains politiques de plaire à l’opinion. Dès l’origine, Széchényi prit la plume pour écrire sur différentes questions d’ordre social et obtint un succès populaire. L’historien Horvath est devenu célèbre par des travaux sur l’origine des Magyares, le poète Worosmarty par des vers où respire un brûlant patriotisme. Lorsque le théâtre national a été fondé, on a écrit pour la scène magyare en prose et en vers ; cependant on y a joué peut-être beaucoup plus de traductions du français et de l’anglais que de pièces originales. Quelquefois les écrivains magyares, préoccupés de se faire lire par les étrangers dans des questions d’intérêt pressant, ont été obligés de recourir à la langue allemande. Cela se pratiquait de la sorte surtout à l’époque où beaucoup de Magyares ignoraient encore leur langue nationale. C’est ainsi que Orocz a publié, sous le titre de Terra incognita, un volume allemand qui a contribué puissamment à mettre au jour les ressources matérielles et morales de la Hongrie.
  9. On a vu, il y a quelques années, un écrivain dont le nom a marqué dans le mouvement libéral et national de la Bohème, le comte Leo de Thun, soutenir à ce sujet une curieuse polémique épistolaire avec un jeune publiciste magyare, M. Pulzky. Cette correspondance a été publiée dans la Revue trimestrielle hongroise, éditée à Leipzig en allemand.
  10. Les pasteurs et les professeurs slovaques s’étaient réunis pour adresser à l’empereur un manifeste contenant tous leurs griefs. Les Illyriens sont parvenus, par des moyens semblables, à reconstituer leur diète nationale.
  11. Véssélényi, quoique retenu hors des affaires par une douloureuse cécité, a élevé la voix du fond de sa retraite pour condamner cette déclaration.
  12. Les Croates, qui avaient continué de parler latin jusqu’à ce jour dans leur diète nationale et dans leurs comitats, viennent de prendre la résolution de faire usage maintenant de l’illyrien. Peut-être voudront-ils aussi introduire cette langue dans la diète de Presbourg. Ce sera pour les Magyares un embarras de plus.
  13. Parmi les chefs de ce parti dont l’origine remonte à 1837, je dois citer MM. Déak et Clausal, orateurs éminens de la seconde chambre ; le baron Eotvos, écrivain disert, et destiné peut-être à une grande popularité ; enfin le journaliste Kossuth, au sujet duquel les opinions sont fort partagées, mais qui exerce néanmoins une certaine influence. Ce dernier a rédigé long-temps le Pesti-Hirlap (journal de Pesth), et vient d’être nommé député par le comitat de Pesth. Széchényi, qui avait rendu naguère tant de bons services au pays, avait eu cependant en 1840 la malheureuse idée de combattre le libéralisme de ce parti nouveau ; il l’avait fait par une publication intitulée le Peuple de l’Orient, dans laquelle il essayait d’établir qu’il n’y a point de salut pour la Hongrie en dehors de l’aristocratie parlementaire. Cet écrit fut l’occasion d’une grande polémique dans laquelle le Pesti-Hirlap prit une part très distinguée. Le baron Eotvos et Kossuth relevèrent d’ailleurs la question dans des publications de longue haleine. A la même époque, le comte Aurel Desewfy défendait, dans le journal le Vilag (la lumière), le système de la centralisation administrative qui répugne à peu près également aux conservateurs et aux libéraux.
  14. Toutes ces réformes font partie du programme rédigé à la fin de l’hiver dernier par l’opposition. Le parti conservateur a aussi formulé le sien, mais en termes beaucoup moins clairs. Enfin Széchényi a publié, sous le titre de Fragmens d’un programme politique, des études détachées pleines d’amertume. Ce sont des récriminations regrettables contre le parti libéral plutôt que des vues nouvelles sur l’état général du pays. Du reste, ces questions sont à l’ordre du jour dans la diète qui vient de s’assembler à Presbourg. Le gouvernement autrichien, cédant à la force de l’opinion, prend lui-même l’initiative d’une proposition pour le rachat des corvées. Il est donc à espérer que cette session de la diète ne sera point stérile, et puissent les idées de tolérance nationale y marcher de pair avec celles de progrès ! La diète s’ouvre sous les plus heureux auspices par la nomination d’un prince populaire, l’archiduc Étienne, aux fonctions suprêmes de palatin. Le jeune prince, l’un des plus instruits de la maison d’Autriche, a été élevé, par l’ancien palatin, l’archiduc Joseph, son père, dans la langue magyare et dans des sentimens qui passaient pour libéraux. Une intelligence ouverte et flexible comme celle de l’archiduc Étienne est une précieuse ressource dans la crise actuelle.