La Jeune Fille et le Petit Cochon

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La Jeune Fille et le Petit Cochon

Monologue
par Eugène LEMERCIER




 
Dans une ferme de la Bresse,
Un paysan, tout guilleret,
Sur ses genoux, avec tendresse,
Caresse un beau petit goret.

Passe une jeune et belle fille,
Bientôt la voilà s’esclaffant
Devant ce père de famille
Qui berce un singulier enfant.

— Jean, vous ne seriez pas plus tendre
Si, moi, j’étais sur vos genoux,
Lui dit-elle. Sans plus attendre,
Le gas lui répondit : — Tout doux !

Vous, vous seriez la bonne affaire
Pour un gas d’la ville, un blanc-bec,
Mais, moi, c’est lui que j’vous préfère,
Et j’vas m’expliquer en cinq sec :

En passant ma main dans vos tresses,
Si j’étions dans vos p’tits papiers,
Je n’pourrions qu’vous manger d’caresses,
— Lui, bentôt, j’lui mang’rai les pieds.

Vous, il faut toujours qu’on vous voie
Dans des rob’s d’un prix effronté ;
Lui, ben, il est habillé d’soie,
Et sa robe n’m’a ren coûté.

Vous, pour votre petit’goul’rose
Faut des plats fins en quantité ;
Lui, mang’de tout et, mêm’, d’aut’chose,
C’qui prouv’qu’i’n’est point dégoûté.

Vous, si l’on vous app’lait : « Guernouille ! »
C’que vous en feriez un pétard ;
Mais, lui, quand je l’appelle : « Andouille ! »
Il sait ben qu’i’l’s’ra tôt ou tard.

Vous, ben qu’n’étant qu’un’paysanne,
Vous rêvez d’êtr’rich’, cré bon guieu !
Mais, lui, quand il est dans la panne,
Il sait qu’il est dans son milieu.

Vous, malgré vot’tête d’madone,
Vos p’tit’s mains, vos airs pudibonds,
J’suis sûr qu’vous n’devez pas êtr’bonne,
Lui, je l’class parmi les gens bons.

Vous, cert’s ! vous sentez bon d’un’lieue,
Lui, c’est tout l’contraire et, pourtant,
Il est bon d’la tête à la queue.
Vous… n’pourriez pas en dire autant.



Eugène LEMERCIER.