La Jeune Inde/9

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Traduction par Hélène Hart.
Stock (p. 40-43).


LE 6 AVRIL ET LE 13


Il nous est impossible d’oublier le 6 Avril, qui donna des forces vitales à l’Inde tout entière, et le 13 qui fit du Pendjab un lieu de pèlerinage. Le 6 avril vit l’aube du Satyâgraha. On peut différer d’opinion au sujet de la Désobéissance Civile, mais nul ne pourrait nier sa doctrine de Vérité et d’Amour, c’est-à-dire de non-cruauté. Avec Satyâ et Ahimsâ[1] réunis, on peut amener le monde entier à ses pieds. Le Satyâgraha n’est pas autre chose dans son essence que l’introduction de la Vérité et de la Douceur dans la vie politique, c’est-à-dire nationale. Et que l’on se lie ou non au Satyâgraha par serment, il n’y a pas de doute que l’esprit de Satyâgraha se soit répandu parmi les masses. Telle fut en tous cas mon expérience personnelle, parmi les milliers de Pendjabis que j’ai rencontrés dans ma tournée au Pendjab.

Le 6 Avril inaugura également un plan défini d’Union Hindoue-Musulmane et de Swadeshi. Ce fut le 6 Avril qui dévoila le sens caché de la loi Rowlatt et en fit lettre morte. Le 13 Avril, eut lieu non seulement la terrible tragédie, mais dans cette tragédie le sang hindou-musulman répandu à flots se mêla en un seul ruisseau et scella l’entente.

Que faut-il faire pour commémorer et célébrer ces événements nationaux ? Je me permets de proposer que ceux qui le désireraient consacrent la journée du 6 Avril prochain au jeûne (vingt-quatre heures d’abstinence totale) et à la prière, et qu’à sept heures du soir dans l’Inde entière se tiennent des réunions demandant l’abolition de la loi Rowlatt et exprimant la conviction nationale que toute paix dans l’Inde est impossible tant que cette loi subsistera. Que la loi soit devenue lettre morte est tout à fait insuffisant. Cette loi est ou n’est pas une honte. Si cette loi est une honte, il faut qu’elle soit abolie. En l’abolissant avant l’application des Réformes, le Gouvernement montrerait sa bonne volonté. La semaine qui suivrait le six devrait être consacrée entièrement à quelque œuvre se rapportant à la tragédie du treize. Je proposerais donc que cette semaine fût consacrée à réunir des souscriptions pour le monument commémoratif du Jallianwala Bagh, en se souvenant que la somme nécessaire est de un million de roupies. Chaque ville pourrait organiser la quête à sa guise, ainsi que chaque village, en prenant toutes les précautions contre la fraude et les détournements, et la terminerait, le soir du 12 Avril.

Parlons maintenant du 13. Ce jour-là entre tous devrait être consacré au jeûne et à la prière. Il ne devrait y avoir ni animosité ni colère. Nous voulons chérir la mémoire de morts innocents, nous ne voulons pas nous souvenir du crime qui a été commis. C’est en se montrant prête au sacrifice que la nation s’élèvera, et non en se préparant à se venger. Je voudrais aussi qu’en ce jour la nation se souvînt des excès commis par la masse et qu’elle s’en repentît. La semaine se terminerait par des réunions où l’Inde entière s’engagerait à réclamer au Gouvernement Indien et au Gouvernement Impérial les mesures nécessaires pour qu’une tragédie semblable ne pût se renouveler.

Je voudrais demander en outre avec insistance que pendant cette semaine chacun fit tous les efforts possibles pour arriver à comprendre plus parfaitement les principes du Satyâyraha, l’Union Hindoue-Musulmane et le Swadeshi. Et afin de donner encore plus de poids à l’Union Hindoue-Musulmane, je voudrais conseiller le 12 avril à 7 heures du soir que la question du Califat fût résolue conformément aux justes sentiments des Musulmans.

Cette semaine nationale serait donc ainsi une semaine de purification, d’examen de conscience, de sacrifice, de discipline parfaite, en même temps que l’expression des sentiments nationaux qui nous sont chers. Il ne devrait subsister nulle trace d’amertume, nulle violence de langage, mais un courage et une fermeté absolus.

Ne devrait-il pas y avoir hartal, le six et le treize ? Je répondrai catégoriquement : non. Cette semaine est la semaine du Satyâgraha pour ceux qui croient à la Vérité et à la Non-Violence. Le hartal du 6 était un hartal de Satyâgraha en ce sens qu’il était un prélude au Satyâgraha. Le hartal du 6 avril dernier, bien que spontané, ne fut pas dépourvu de pression indue dans la façon dont on persuada au public de ne pas se servir des voitures, etc. Je ne conseillerais donc pas de hartal pendant cette semaine de pénitence et de discipline. D’autre part, il ne faut pas diminuer la valeur des hartal, en les rendant trop fréquents. Il faut les conserver pour les grandes occasions.

J’espère respectueusement que tous les partis et toutes les classes trouveront le moyen de prendre part d’une façon complète à l’observance de cette semaine nationale et en feront un événement qui servira au progrès véritable et réel de l’éveil national.

10 mars 1920
  1. Ahimsâ : Non-tuer, Non-Violence.