La Jeunesse de Schopenhauer

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La Jeunesse de Schopenhauer
Revue des Deux Mondes5e période, tome 17 (p. 900-922).
LA JEUNESSE DE SCHOPENHAUER


I. — LES PARENS

Il y a dans le principal ouvrage de Schopenhauer un long chapitre sur l’hérédité morale. Que les caractères physiques des individus, aussi bien que des espèces, soient héréditaires, aucun philosophe ni aucun naturaliste n’en a jamais douté, et l’expérience de tous les jours le prouve. Mais en est-il de même des penchans, des aptitudes, de tout ce qui ne tient pas essentiellement à la forme du corps ? Peut-on dire d’une manière absolue que bon chien chasse de race, et que tel père, tel fils ? Non seulement Schopenhauer l’affirme, mais il prétend déterminer, dans la transmission des qualités morales, la part de chacun des deux parens. Le père fournit l’élément primordial et fondamental de tout être vivant, le besoin d’agir, la volonté. De la mère dérive l’intelligence, faculté secondaire. Schopenhauer n’a pas de peine à trouver dans l’histoire des faits qui justifient sa théorie, et il écarte simplement ceux qui la contredisent. Que, par exemple, Domitien ait été le vrai frère de Titus, « c’est ce que je ne croirai jamais, dit-il, et j’incline à mettre Vespasien au nombre des maris trompés. » Mais il ne pensait sans doute qu’à lui-même quand il disait : « Que chacun commence par s’observer, qu’il reconnaisse ses penchans et ses passions, ses défauts de caractère et ses faiblesses, ses vices aussi bien que ses mérites et ses vertus, s’il en a ; qu’il se reporte ensuite en arrière et qu’il pense à son père : il ne manquera pas de retrouver en lui tous ces mêmes traits de caractère[1]. » Les ascendans paternels de Schopenhauer, aussi loin qu’on peut suivre sa généalogie, étaient des hommes de forte volonté, avec un penchant à la bizarrerie. La famille était d’origine hollandaise. Le grand-père était un propriétaire campagnard des environs de Dantzig ; il eut des revers de fortune, dus en partie aux révolutions politiques qui firent passer l’ancienne ville hanséatique de la suzeraineté des rois de Pologne sous le gouvernement de la Prusse. La grand’mère, devenue veuve, fut déclarée folle, et il fallut lui donner un conseil judiciaire. De leurs quatre fils, l’aîné était faible d’esprit ; le second le devint, par suite d’excès. Le quatrième, Henri-Floris, le père du philosophe, s’associa avec son troisième frère pour fonder à Dantzig une maison de commerce, qui fut bientôt très florissante. C’était un homme grand et fort ; il avait la bouche large, le nez retroussé, le menton saillant, l’oreille dure. Lorsqu’il entra dans son comptoir, dans l’après-midi du 22 février 1788, pour annoncer à ses commis la naissance d’un (ils, son teneur de livres, confiant en sa surdité, le complimenta en ces mots : « S’il ressemble à son père, ce doit être un beau babouin. »

Deux qualités qu’on ne peut refuser à Henri Schopenhauer, ce sont une volonté droite et ferme, qui ne rejetait pas la discussion, mais qui finissait toujours par s’imposer, et cette largeur d’idées que donne facilement le grand commerce maritime. Il avait fait son apprentissage à Bordeaux, et avait ensuite voyagé en France et en Angleterre. Il était cosmopolite ; mais s’il avait eu à choisir une nationalité, il se serait fait Anglais ; il lisait chaque jour le Times. Avant que son fils fût né, il avait décidé qu’il en ferait un commerçant et qu’il l’appellerait Arthur, ce nom étant le même dans toutes les langues. Il avait assisté, au cours de ses voyages, à une revue de Frédéric II à Potsdam, et il avait attiré l’attention du roi par son air de gentilhomme. Frédéric l’avait fait venir au château, avait eu avec lui une conversation qui dura deux heures, et lui avait accordé, par diplôme spécial, l’autorisation de s’établir dans ses États avec toutes sortes de franchises. Il n’usa jamais de ce privilège, et, lorsqu’en 1793 la ville de Dantzig fut incorporée au royaume de Prusse, il transporta le siège de sa maison à Hambourg. Il resta toute sa vie fidèle à sa devise : « Point de bonheur sans liberté. »

Il avait épousé, en 1785, Johanna-Henriette Trosiener, fille d’un conseiller de Dantzig. Il avait alors trente-huit ans ; elle en avait dix-neuf : c’est à peu près la différence qui existait entre les deux parens de Gœthe. Johanna, telle qu’on nous la dépeint, était plutôt gracieuse que belle ; elle était de petite taille, avait les cheveux bruns, les yeux bleus, et dans sa physionomie une expression de vivacité affable et prévenante ; elle aimait le monde et causait à merveille. Elle venait d’avoir son rêve de jeunesse, un amour déçu ; et quand le riche commerçant demanda sa main, elle l’accepta sans hésiter. « Je ne pris même pas, dit-elle, les trois jours de réflexion que, selon l’usage du temps, les jeunes filles se réservaient. De telles simagrées ont toujours répugné à mon sens droit, et je gagnai ainsi, dès le premier instant et sans le savoir, l’estime de l’homme le plus libre de préjugés que j’aie jamais connu. » Johanna devint plus tard célèbre par ses romans. Pour le moment, elle ne pensa qu’à jouir de l’aisance que lui procurait son époux, à satisfaire les besoins d’élégance et de luxe qui étaient dans sa nature. Elle s’établit dans une spacieuse villa, ayant vue sur la mer et adossée à des forêts. « Que ne possédais-je pas ! le superbe jardin disposé en terrasses, le jet d’eau, l’étang avec sa gondole peinte qui venait d’Arkhangel, si légère qu’un enfant de six ans l’aurait dirigée, des chevaux, deux petits chiens d’Espagne, huit agneaux blancs comme neige, avec des clochettes au cou, dont la sonnerie argentine formait une octave complète, ensuite le poulailler avec des espèces rares, enfin les grosses carpes dans l’étang, qui ouvraient leurs grandes bouches dès qu’elles entendaient ma voix, et se disputaient les miettes que je leur jetais de ma gondole. » Quoiqu’elle n’aimât pas les « simagrées » dans la vie ordinaire, elle ne manquait pas d’une certaine teinte romanesque. Elle se souvient avec émotion des « courtes et tièdes nuits d’été du Nord, où le soleil se cache pendant quelques heures seulement, comme pour narguer les hommes, et où la raie de pourpre du couchant n’est pas encore éteinte, quand déjà les feux d’un jour nouveau montent à l’orient[2]. »


II. — L’EDUCATION

Arthur avait cinq ans quand la famille, fuyant devant l’occupation prussienne, s’établit dans la ville libre de Hambourg. Son unique sœur, Adèle, naquit quatre ans après, en 1797. La même année, son père commença à s’occuper de son éducation. Henri Schopenhauer voulait faire de son fils un gentilhomme comme lui, ayant l’œil ouvert et le sens droit, jugeant de tout par lui-même et sachant se retourner dans le monde. S’il préférait la carrière commerciale à toute autre, ce n’était point par habitude ou par préjugé, mais à cause de l’aisance et de la liberté qu’elle procure et de l’exercice qu’elle donne à toutes les facultés. Il y avait deux moyens de s’y préparer, l’étude des langues et les voyages ; c’étaient, selon lui, les doux fondemens de toute éducation personnelle et libérale. « Il faut que mon fils, disait-il, apprenne à lire dans le livre du monde. »

En 1797, Arthur Schopenhauer fut placé chez un correspondant de son père, au Havre. Il resta là deux ans ; il apprit le français, si bien qu’à son retour il ne pouvait plus s’habituer aux dures consonances de la langue allemande. Plus tard, étant à Amsterdam, il se félicitait d’avoir pu passer une soirée entière dans une société où l’on ne parlait que français. A Hambourg, il commença ses études, ou plutôt sa préparation à la carrière commerciale, dans un institut qui n’était fréquenté que par les enfans des familles patriciennes. Mais, toutes les fois que l’occasion s’en présentait, son père l’emmenait au loin, et on le trouve tour à tour à Hanovre, à Cassel, à Weimar, à Prague, à Dresde, à Leipzig, à Berlin. Arthur Schopenhauer s’est sans doute souvenu des leçons et des expériences de sa jeunesse, quand plus tard il traçait ce parallèle entre l’éducation naturelle et l’éducation artificielle :

« D’après la nature de notre intelligence, nos idées abstraites doivent naître de nos perceptions ; celles-ci doivent donc précéder celles-là. Si l’éducation suit cette marche, comme c’est le cas chez celui qui n’a eu d’autre précepteur et d’autre livre que sa propre expérience, l’homme sait parfaitement quelles sont les perceptions que chacune de ses idées présuppose et qu’elle représente ; il connaît exactement les unes et les autres, et il les applique avec justesse à tout ce qui se présente devant ses yeux. C’est la marche de l’éducation naturelle.

« Au contraire, dans l’éducation artificielle, qui consiste à faire dire, à faire apprendre, à faire lire, la tête de l’élève est bourrée d’idées, avant qu’il ait été mis en contact avec le monde. On espère ensuite que l’expérience suppléera les perceptions qui doivent confirmer ces idées. Mais, avant qu’elle ait pu le faire, les idées sont appliquées à faux, les choses et les hommes sont mal jugés, vus de travers, maniés à contresens. L’éducation produit ainsi des têtes mal faites. Le jeune homme, après avoir beaucoup appris et beaucoup lu, entre dans le monde comme un enfant perdu, tantôt sottement inquiet, tantôt follement présomptueux. Il a la tête pleine d’idées qu’il s’efforce d’appliquer, mais qu’il applique presque toujours maladroitement. C’est une opération qui revient à mettre la conséquence devant le principe. L’éducateur, au lieu de développer d’abord chez l’élève la faculté de connaître et de juger, n’est occupé qu’à lui encombrer l’esprit d’idées toutes faites et qui lui sont étrangères ; et il faut ensuite qu’une longue expérience vienne rectifier les jugemens provenant d’une fausse application des idées. Cela réussit rarement, et de là vient qu’il y a si peu de savans doués de ce bon sens naturel qui abonde chez les non-savans[3]. »

Arthur Schopenhauer, tout en jouissant de ses jeunes expériences et de ce premier regard qu’il lui était donné de jeter sur le monde, commençait à manifester du goût pour les études savantes. Il aimait à lire les poètes ; il s’appliquait au latin, autant que le lui permettait le peu de temps que le programme de l’école consacrait à cette langue. Ses maîtres le déclaraient unanimement fait pour la carrière des lettres. Henri Schopenhauer, le père, d’abord étonné, puis contrarié, n’aurait peut-être pas résisté au désir de son fils, « si, dans son esprit, l’idée de la vie littéraire n’avait été indissolublement unie à celle de pauvreté[4]. » Il songea d’abord à lui acheter un canonicat, et, comme la négociation traînait, il lui laissa l’alternative ou d’entrer immédiatement au gymnase, ou de faire avec ses parens un long voyage à travers l’Europe, après lequel il retournerait au comptoir. « On me prit par la ruse, dit Arthur Schopenhauer ; on savait que je ne demandais qu’à voir du pays. » On fit briller devant son imagination « les royaumes de ce monde ; » il se laissa tenter ; et, au mois de mai 1803, il prit avec ses parens la route d’Amsterdam, où l’on devait s’embarquer pour Londres.

Nous avons sur ce voyage trois sources de renseignemens : d’abord les Souvenirs de la mère, écrits sur le ton du roman, et où elle ne manque aucune occasion d’intercaler une anecdote plaisante, vraie ou inventée ; ensuite le Journal qu’Arthur rédigea sur la demande de ses parens ; enfin les lettres que la mère adressait à son fils quand les voyageurs se séparent. Ils passent six mois dans la Grande-Bretagne, et, pendant que les parens vont faire une excursion dans la région des lacs et en Écosse, le fils est laissé dans une pension à Wimbleton près de Londres, pour apprendre l’anglais ; il arrive, en effet, à le parler assez couramment pour faire illusion sur sa nationalité. Mais ce qui le choque, lui qui avait été habitué à l’urbanité des mœurs françaises, c’est le formalisme anglais et surtout « l’infâme bigoterie. » Sa mère le redresse là-dessus. Le 19 juillet 1803, elle lui écrit : « Il faut que tu sois plus accueillant que tu n’as l’habitude de l’être. Toutes les fois que deux hommes se rapprochent, il faut que l’un fasse le premier pas ; et pourquoi ne serait-ce pas toi, qui, quoique le plus jeune, as l’avantage d’avoir été mêlé de bonne heure et souvent à des étrangers, et par conséquent de n’être retenu par aucune espèce de timidité ? J’admets que le ton cérémonieux te frappe, mais il est nécessaire à l’ordre social. Quoique je tienne peu à la froide étiquette, j’aime encore moins les façons rudes des gens qui ne cherchent qu’à se complaire à eux-mêmes. Tu as une propension à cela, comme je l’ai souvent remarqué avec peine, et je ne suis pas fâchée que tu te trouves maintenant avec des gens d’un autre acabit, quoiqu’ils penchent peut-être un peu trop du côté opposé. Je serai satisfaite si je puis voir, à mon retour, que tu as pris quelque chose de ce ton complimenteur, comme tu l’appelles ; car je ne crains en aucune façon que tu en prennes trop. »

Une autre fois elle lui recommande, dans ses lectures, de ne pas trop s’en tenir aux poètes : « Tu as maintenant quinze ans, et tu as déjà lu et étudié les meilleurs poètes allemands, français et même anglais, et, à l’exception de ce que tu as dû lire en classe, tu n’as lu aucun ouvrage en prose, si ce n’est quelques romans, ni aucun livre d’histoire. Cela n’est pas bien. Tu sais que j’ai le sentiment du beau, et je suis heureuse de penser que tu l’as hérité de moi. Mais tu dois bien te dire que ce sentiment ne peut pas nous servir de guide dans le monde, tel qu’il est L’utile passe avant tout, et rien ne pourrait me déplaire autant que de te voir devenir ce qu’on appelle un bel esprit[5]. » Quant à la « bigoterie, » elle l’engage seulement à ne pas se livrer là-dessus à des déclamations de mauvais goût, et elle lui rappelle en plaisantant que, tout petit, il demandait instamment à ne rien faire le dimanche, parce que c’était « le jour du repos. »

De Londres, le voyage se continua, au mois de novembre 1803, par Rotterdam, Anvers et Bruxelles, sur Paris. Ici, les voyageurs trouvèrent un guide excellent dans Mercier, l’auteur du Tableau de Paris, un polygraphe s’il en fut, qui s’intitulait lui-même le plus grand livrier de France, et dont l’esprit paradoxal ne devait pas déplaire au jeune Schopenhauer. Celui-ci se répandait beaucoup, s’orientait partout. Il passait de longues heures dans la galerie des antiques au Louvre. Quant aux représentations dramatiques, c’étaient le vaudeville et l’opéra-comique qui lui paraissaient le plus conformes à l’esprit français et le plus parfaits en leur genre. Il ne pouvait s’habituer, dit-il, à la déclamation tragique, même dans la bouche d’un Talma. Vers la fin de janvier de 1804, on gagna le midi de la France, et de là, par Lyon, la Savoie et la Suisse. Le retour se fit par la Souabe, la Bavière et l’Autriche, et, au mois de septembre, les voyageurs arrivèrent à Berlin.

Les impressions d’Arthur Schopenhauer pendant la dernière partie du voyage sont de deux sortes. Il est sensible aux beautés de la nature ; il les considère en artiste et en philosophe ; il cherche volontiers un sens symbolique aux grands phénomènes qui se présentent devant lui. D’un autre côté, un penchant inné l’attire vers le spectacle des misères humaines. A Saint-Ferréol, dans la Montagne Noire, la gorge obscure au fond de laquelle gronde le flot qui alimente le canal du Midi lui donne pour la première fois, dit-il, la sensation du sublime. La cime du Mont-Blanc représente à ses yeux l’isolement du génie. « L’humeur sombre qu’on remarque souvent chez les esprits éminens, écrit-il plus tard, a son image sensible dans le Mont-Blanc. La cime est le plus souvent voilée ; mais quand parfois, surtout à l’aube, le voile se déchire, quand la montagne rougie par le soleil et dressée vers le ciel regarde sur Chamonix, chacun sent son cœur s’épanouir au fond de son être. Ainsi l’homme de génie, habituellement porté à la mélancolie, montre par intervalles cette sérénité particulière qui n’est possible qu’à lui, qui plane sur son front comme un reflet de lumière, et qui tient à ce que son esprit sait s’oublier et se fondre dans le monde extérieur[6]. » Ailleurs, la vue d’un beau paysage, dont sa mère ferait volontiers le cadre d’une idylle, lui est gâtée par quelques pauvres masures qui bordent la route et où végètent des êtres rabougris. A Toulon, il visite le bagne, et il écrit : « C’est une chose terrible de se dire que la vie de ces misérables esclaves est sans aucune joie, et, chez ceux dont les souffrances ne finiront même pas après vingt-cinq ans de détention, sans aucun espoir. Que peuvent éprouver ces malheureux, attachés à un banc dont la mort seule les séparera ? » A Lyon, il trouve encore les traces de la Révolution. « Cette grande et magnifique ville a été le théâtre d’horribles exploits. Il n’est presque pas une famille qui n’ait perdu quelques-uns de ses membres ou même son chef ; et les survivans se promènent maintenant sur cette même place où leurs parens et leurs amis ont été mitraillés en masse. Croirait-on qu’ils peuvent vous raconter de sang-froid l’exécution des leurs ? On ne comprend pas que le temps efface si vite les impressions les plus vives et les plus terribles[7]. »

A Berlin, au mois de septembre, les voyageurs se séparent encore une fois. Le père prend le chemin de Hambourg. Arthur se rend, avec sa mère, à Dantzig, où il doit recevoir la confirmation protestante. Dans les lettres que Henri Schopenhauer écrit à son fils à Dantzig, il lui recommande d’avoir de l’ordre dans ses affaires grandes et petites, dans son habillement, dans son linge de corps, dans son mobilier, dans ses papiers, de s’appliquer à la correspondance française et anglaise, de soigner son écriture, « les lettres d’un négociant étant faites pour être lues, » d’être affable et prévenant dans ses rapports journaliers, enfin de se tenir, toujours droit, même en mangeant et en écrivant : « Un homme qui fait le gros des devant une table ou un bureau ressemble à un savetier déguisé. » Qu’il engage même ses amis à lui donner une tape, toutes les fois qu’il se tiendra mal ! « Tel fils de prince a eu recours à ce moyen, et a préféré une humiliation passagère à la honte de passer pour un lourdaud toute sa vie. » Ainsi cette éducation, qui avait pour but de faire du fils un négociant gentilhomme comme l’était le père, se continuait à distance. Au mois de décembre, Arthur Schopenhauer quitta Dantzig pour n’y plus revenir, et, au commencement de l’année suivante, fidèle à sa promesse, il entra dans la grande maison du sénateur Jénisch à Hambourg, afin d’achever sous une direction étrangère l’apprentissage qu’il avait commencé sous la tutelle paternelle.

Quand plus tard, ayant déjà changé de carrière, il se rappelait ces années de voyage, sa première initiation à la vie, il écrivait : « Il est évident que deux années de ma jeunesse ont été entièrement perdues pour les disciplines scolaires, et cependant ne m’ont-elles pas apporté des fruits d’autre sorte, qui ont largement compensé cette perte ? A l’âge où l’intelligence s’éveille et s’ouvre aux impressions du dehors, où le jeune homme est avide de comprendre et de savoir, on ne m’a pas, selon l’usage, rempli la mémoire de formules, mal appropriées à des objets dont je ne pouvais avoir aucune connaissance exacte. Au contraire, je me suis nourri de la vision des choses ; j’ai appris ce qu’elles étaient, avant de m’exercer à raisonner sur elles, et je me suis habitué de bonne heure à me défier des formules et à ne pas prendre les mots pour les choses[8]. »


III. — LE COMPTOIR

Arthur Schopenhauer assure, et on le croit sans peine, qu’il n’y eut jamais au monde un plus mauvais employé de commerce que lui. Tout prétexte lui était bon pour se soustraire à un travail qui lui répugnait. La seule chose qui l’intéressât durant les derniers mois d’hiver de 1805, ce furent les conférences que le docteur Gall vint faire à Hambourg sur la phrénologie. Il était décidé à garder l’engagement qu’il avait pris vis-à-vis de son père, et pourtant la pensée de sa carrière manquée le rongeait comme un remords. Il s’en prenait aux autres de sa propre infortune, se confirmait dans son humeur sarcastique et frondeuse, et, généralisant le mal dont il souffrait, il trouvait de plus en plus que le monde était l’œuvre d’un génie hostile à l’humanité. Son père mourut le 20 avril, étant tombé ou s’étant jeté d’un grenier dans le canal qui passait derrière la maison. Les circonstances de cette mort n’ont, jamais été bien éclaircies. Arthur, dans son autobiographie latine, l’attribue à un accident[9] ; mais, dans un document académique et officiel, il n’était pas tenu à plus de détails, ni, en pareil cas, à plus de franchise. Dans le public, on croyait à un suicide. Gwinner, l’un des biographes les mieux informés de Schopenhauer, dit : « Des déclarations qui m’ont été connues indirectement, provenant de la mère et du fils, auquel, du reste, je me suis abstenu de poser aucune question à ce sujet, permettent à peine de douter que le bruit public ait été fondé. » Grisebach, au contraire, se fait un devoir d’ignorer ces renseignemens « indirects[10]. » Ce qui est certain, c’est qu’on remarquait depuis quelque temps chez Henri Schopenhauer une singulière défaillance de la mémoire ; il ne reconnaissait plus ses amis, leur parlait comme à des étrangers. Peut-être Arthur Schopenhauer a-t-il pensé à son père, lorsqu’il a écrit ces mots dans un chapitre de son grand ouvrage, où il traite du génie et de la folie : « Le plus souvent, les fous ne se trompent point dans la connaissance de ce qui est immédiatement présent ; leurs divagations se rapportent toujours à des choses absentes ou passées, et indirectement à la liaison de ces choses avec le présent : en conséquence, leur maladie me paraît affecter surtout la mémoire[11]. » Si la mort de Henri Schopenhauer a été due à un suicide, c’est un trait de plus à ajouter aux annales pathologiques de la famille.

Arthur pouvait se croire libre ; il porta sa chaîne encore deux ans, pour des raisons qu’il indique. Le ressort de sa volonté était brisé ; une tristesse morne le paralysait ; enfin la promesse qu’il avait faite à son père lui paraissait d’autant plus sacrée que celui-ci n’était plus là pour l’en délier. Sa mère, pour l’arrangement de sa vie à elle, se montra moins hésitante. Elle procéda d’abord à la liquidation du fonds de commerce ; puis elle songea à s’établir dans une ville où elle pût se livrer à ses goûts littéraires. Son choix se porta naturellement sur Weimar, le séjour des Muses, comme on disait alors. Elle y fit un voyage de reconnaissance, avec sa fille Adèle, au mois de mai 1806, et, à son arrivée, elle écrivit : « Je crois, mon cher Arthur, que je dresserai ici ma tente. Les relations y sont agréables, et l’on y vit à bon marché. Je pourrai, avec peu de peine et encore moins de frais, réunir au moins une fois par semaine les plus fortes têtes de la ville et peut-être de l’Allemagne. » Elle se lia dès lors avec le bibliothécaire de la duchesse Amélie, Fernow, qui devait bientôt avoir une influence décisive sur la vie d’Arthur Schopenhauer ; et elle était déjà en relations avec Bertuch, le collaborateur de Wieland au Mercure allemand et l’un des fondateurs de la Gazette littéraire d’Iéna. Elle se fixa définitivement à Weimar dans les derniers jours de septembre. Peut-être eût-elle été moins prompte à quitter Hambourg, si elle avait prévu l’orage qui s’approchait ; car on était à la veille de la bataille d’Iéna. Mais elle était plus au courant de la littérature que de la politique. Au reste, elle n’eut pas à se repentir de son imprudence. Sa maison fut épargnée dans le pillage de la ville. Ensuite elle se fit un devoir d’adoucir chez les autres des souffrances qui lui avaient été épargnées à elle-même ; elle institua à ses frais une ambulance où elle recevait une cinquantaine de blessés. Ils mouraient presque tous entre ses mains, dit-elle, mais ils étaient vite remplacés, car chaque soir en amenait au moins trois cents. Le 19 octobre, elle écrivait à son fils : « En dix jours, on a appris à me connaître ici, mieux qu’en d’autres circonstances, on ne l’aurait fait en dix ans. Goethe m’a dit aujourd’hui que le baptême du feu m’avait faite Weimarienne, et il a bien raison. Il m’a dit aussi que, puisque l’hiver s’annonçait plus tristement que d’habitude, il fallait nous rapprocher, nous alléger réciproquement le poids des mauvais jours. Je fais ce que je peux pour m’entretenir en belle humeur et ne pas me décourager. Tous les soirs je réunis chez moi les personnes que je connais. Je leur offre le thé avec des tartines de beurre, dans la plus stricte acception du mot. Meyer[12] et sa femme, Fernow, parfois Goethe, sont du nombre. D’autres, que je ne connais pas encore, demandent à être introduits. Ainsi tout ce que je souhaitais autrefois se trouve de soi-même, et je ne le dois qu’au bonheur que j’ai eu de garder ma demeure intacte, de pouvoir me montrer telle que j’étais, de conserver toute ma sérénité d’esprit, ayant été la seule parmi des milliers qui n’ait éprouvé aucune perte sensible et qui n’ait eu à déplorer que le malheur public. Cette pensée est très égoïste, je le sais, mais c’est là précisément le côté le plus affligeant de notre détresse, l’égoïsme qui envahit et déprime les meilleurs d’entre nous[13]. »

Conserver la sérénité de l’esprit : sur cette règle de conduite, Johanna Schopenhauer pouvait s’entendre avec Gœthe. Celui-ci eut bientôt une autre raison de se rapprocher d’elle. Il venait de faire consacrer par l’Eglise son union avec Christiane Vulpius, et, tandis que la société aristocratique de Weimar faisait grise mine à la roturière, Johanna l’accueillit avec son affabilité ordinaire. « Quand Gœthe lui donne son nom, disait-elle, nous pouvons bien lui offrir une tasse de thé. » Elle-même, du reste, n’avait d’autre titre à faire valoir auprès de la petite cour ducale que celui de conseiller aulique que son mari avait reçu du dernier roi de Pologne et qu’il n’avait jamais voulu porter.

Elle continua de recevoir ses amis deux fois par semaine, et toujours avec la même simplicité. Ses « thés littéraires » alternaient avec le théâtre, et Gœthe finit par y être très assidu. Johanna Schopenhauer a pour Gœthe une admiration qui s’exalte parfois, mais qui n’exclut pas le jugement et qui n’est pas banale dans l’expression ; on sent qu’il y a entre eux, toute proportion gardée entre l’homme de génie et la femme du monde, une affinité de nature. « Le cercle qui se forme autour de moi le dimanche et le jeudi, écrit-elle à son fils le 28 novembre, n’a probablement pas son pareil dans toute l’Allemagne. Que ne puis-je, une fois seulement, d’un coup de baguette, te transporter ici ! Gœthe se sent bien chez moi et vient souvent. Il a sa petite table à lui dans un coin, avec tout ce qu’il faut pour dessiner[14] : c’est Meyer qui m’a donné cette idée. Il s’installe là, quand il en a envie, et improvise des paysages à l’encre de Chine, légèrement esquissés, mais vivans et vrais, comme lui-même et comme tout ce qu’il fait. C’est un être à part, grand et bon. Comme son arrivée n’est jamais annoncée, je suis toujours saisie quand il entre. Il faut bien qu’il soit d’une nature supérieure, puisqu’il produit la même impression sur ceux qui le connaissent depuis plus longtemps et de plus près. Lui-même reste d’abord muet pendant quelques instans et presque embarrassé, jusqu’à ce qu’il ait bien considéré la société. Ensuite il s’assied près de moi, un peu en arrière, en s’appuyant sur le dossier de ma chaise. Je me mets à causer, il s’anime et devient très aimable. C’est l’être le plus parfait que je connaisse, même dans son extérieur : une belle taille, droite et haute ; beaucoup de soin dans son habillement, toujours noir ou bleu foncé ; les cheveux arrangés avec goût et d’une manière conforme à son âge ; enfin une figure expressive, avec des yeux bruns, à la fois doux et pénétrans. Il embellit beaucoup quand il parle, et alors on ne peut trop la regarder. Il cause de tout, a toujours quelque anecdote à raconter, et n’impose nullement par sa grandeur ; il est sans prétention, comme un enfant. » Gœthe faisait souvent la lecture ; le Prince constant de Calderon occupa plusieurs soirées. « Il nous ravit tous, écrit Johanna Schopenhauer à son fils (le 23 mai 1807), quoiqu’il ne lise pas selon les règles de l’art. Il s’anime trop, il déclame, et, dans les scènes de combat, c’est un tapage comme à Drurylane. Il joue chaque rôle, quand le rôle lui plaît, aussi bien qu’il est possible de le jouer en étant assis. Les beaux passages lui font à lui-même une très vive impression ; alors il les explique, les relit, y ajoute mille choses encore plus belles. Bref, c’est un être unique, et malheur à qui voudrait l’imiter ! Mais il est impossible de le voir et de l’entendre sans l’admirer. Et comme tout cela va bien à sa figure et à toute sa manière d’être ! Avec quelle grâce supérieure il s’en acquitte ! Il a quelque chose de si simple, de si enfantin ! Ce qui le frappe, il le voit aussitôt devant lui ; à chaque scène il ajoute le décor. Bref, je souhaiterais que tu pusses l’entendre une fois[15]. » Ce que ces jugemens de Johanna Schopenhauer sur Gœthe ont d’intéressant, c’est le trait caractéristique sur lequel elle insiste en toute circonstance, la simplicité, la naïveté enfantine, qui nous font voir un Gœthe intime, tout différent de l’Olympien qu’on se représente d’ordinaire.

Ce qu’elle ne savait pas, c’est qu’en parlant ainsi, elle était la plus imprudente des mères. Arthur Schopenhauer n’avait pas besoin qu’on lui fît une si vive peinture des délices de Weimar pour prendre de plus en plus le négoce en aversion. Irrésolu comme il était, il souffrait sans pouvoir s’arrêter à un parti, et il se résignait en maugréant. Il avait dix-neuf ans : se mettrait-il encore sur les bancs du gymnase ? Le 28 mars 1807, il écrivit une lettre plus pressante à sa mère, où il lui exprimait ses inquiétudes[16]. Elle y répondit le 28 avril suivant, après avoir pris conseil de son ami Fernow, qui pouvait d’autant mieux l’éclairer qu’il s’était trouvé dans une situation semblable à celle du jeune Schopenhauer. Fils d’un paysan de la marche de Brandebourg, Fernow avait déjà été clerc de notaire et apprenti pharmacien, lorsqu’il connut à Lubeck, à l’âge de vingt-trois ans, le peintre Carstens, qui le tourna vers les études artistiques, et avec lequel il vécut plusieurs années à Rome. Il enseigna plus tard l’histoire de l’art à l’université d’Iéna, et il publia, avec Meyer et Schulze, la première édition complète des œuvres de Winckelmann. Fernow avait eu à lutter contre un obstacle de plus que Schopenhauer, la pauvreté ; Johanna le recueillit chez elle pendant sa dernière maladie, en 1808. Le 28 avril, Arthur reçut une longue lettre de sa mère, contenant une note presque aussi longue de Fernow[17] : « Je me suis réservé cette journée, disait-elle, pour pouvoir répondre en détail à tes plaintes et à tes désirs. A moi aussi, mon cher Arthur, la chose me tient à cœur ; j’y ai beaucoup réfléchi, et cependant je ne suis arrivée à aucun résultat satisfaisant, tant il est difficile de se mettre par la pensée dans la situation d’un autre, là surtout où il y a différence de caractère. Tu es irrésolu par nature, moi trop prompte peut-être et trop portée à choisir, entre deux issues, celle qui paraît la plus étrange : c’est ce que j’ai fait en venant m’établir à Weimar, où j’étais une étrangère, au lieu de retourner, comme la plupart des femmes l’auraient fait à ma place, dans ma ville natale, où j’aurais retrouvé des parens et des amis… Je savais depuis longtemps que tu étais mécontent de ta situation, mais je n’en étais pas inquiète, car j’attribuais ton mécontentement à d’autres causes. Je ne sais que trop aussi que la joyeuse humeur de la jeunesse ne t’a pas été donnée en partage, et que tu as malheureusement hérité de ton père un penchant à la réflexion mélancolique. Cela m’a souvent attristée, mais je n’y pouvais rien, et j’ai dû en prendre mon parti, espérant que le temps, qui change tant de choses, te changerait peut-être aussi. Là-dessus est venue ta lettre. Ce ton sérieux et calme, venant de l’âme et allant à lame, m’a tirée de mon repos. Serait-il possible que tu eusses manqué ta vocation ? Il faut, dans ce cas, que je mette tout en œuvre pour te sauver : je sais ce que c’est que de vivre contrairement à ses goûts… »

Elle lui montre ensuite les deux routes qui s’ouvrent devant lui : d’un côté, une vie aisée et considérée dans une grande ville, avec des relations dans tous les grands ports de l’Europe ; de l’autre, un effort surhumain pour rattraper le temps perdu, et, au bout, une existence laborieuse, simple et retirée, avec l’estime de quelques-uns et la satisfaction que donne la noblesse du but poursuivi. « Considère tout cela, ajoute-t-elle, et choisis. Mais, ton choix fait n’hésite plus et ne faiblis pas, et tu atteindras sûrement le but que tu te seras proposé, quel qu’il soit. Je ne te dis pas de ne pas me tromper, car je connais ta pure et profonde loyauté ; mais, je t’en conjure les larmes aux yeux, ne te trompe pas toi-même. Entre en conseil avec toi, sérieusement et honnêtement : il s’agit du bonheur de ta vie et de la joie de mes vieux jours, car ce n’est que de toi et de ta sœur que je puis attendre encore une compensation pour ma jeunesse perdue. Je ne supporterais pas de te savoir malheureux, surtout si je devais me reprocher d’avoir causé ton malheur par trop de condescendance… »

C’est en cette circonstance que Johanna Schopenhauer se montre sous son meilleur jour. Elle marque bien, dans sa lettre, ce qui la distingue de son fils, et ce qui bientôt les séparera. Elle avait cette mobilité d’esprit, cette faculté d’adaptation rapide qui fait les natures heureuses, parce qu’elle leur permet de prendre toujours leur part, grande ou petite, des jouissances de la vie. Ses enfans ont pu lui reprocher plus tard un défaut d’économie, de prévoyance, un peu d’égoïsme dans la recherche de ces plaisirs de l’esprit dont elle n’entendait plus être sevrée, peut-être même une certaine ingratitude envers l’homme qui, en l’enrichissant, lui avait donné le moyen de se les procurer. Mais, au moment où la carrière de son fils se décide, elle n’écoute que son cœur maternel. Un reproche plus grave que la postérité sera toujours en droit de lui adresser, c’est de nous avoir dérobé les lettres de jeunesse du futur philosophe. On aimerait à observer en lui et à l’aide de ses propres confidences la genèse de son pessimisme. Il avait dans le sang un fonds d’humeur noire. Ce fonds premier et héréditaire n’a pu que se développer dans la gêne de sa vie de comptoir. Il se défiait de tout le monde, et, à force de se défier des autres, il en était venu à se défier de lui-même : de là son irrésolution. Et, comme pour se dédommager de son incertitude dans l’action, il était devenu de plus en plus tranchant et amer dans ses jugemens. Ce qui augmentait son trouble intérieur, c’est qu’il sentait en lui la vocation philosophique, assez forte déjà pour lui donner des tentations de révolte, mais assez vague encore pour qu’il n’osât pas s’y livrer sans réserve. Dans un aphorisme qui date de 1807, il dit : « On a peine à concevoir comment l’âme immortelle, exilée dans le corps peut être arrachée de son apathie sublime et ravalée dans la petitesse de l’existence terrestre, au point de désapprendre complètement son état antérieur et de s’identifier avec une manière d’être qui, de son point de vue élevé, devrait lui paraître infiniment mesquine… L’homme passe sur un pont dont il ne connaît pas les fondemens ; il suit son petit sentier, sans penser d’où il vient, ni où il va, et ne considérant toujours que le pas prochain. » D’autres indications précieuses devaient être contenues dans ses lettres ; nous n’en avons que le reflet dans les réponses de sa mère.


IV. — LES ÉTUDES CLASSIQUES

Fernow calculait que, avec la connaissance qu’il avait des langues modernes, avec l’expérience qu’il avait acquise dans ses voyages, il faudrait à Schopenhauer quatre ans pour accomplir le stage des études classiques. Il ne songeait pas que rien n’égale l’énergie du rêveur qui est sorti de son rêve, ou de l’irrésolu qui a pris son parti. Schopenhauer n’eut besoin que de deux années ; encore furent-elles traversées par un incident dû à son humeur caustique. Il était entré au gymnase de Gotha, où enseignait alors l’helléniste Jacobs, auquel il a toujours gardé un souvenir reconnaissant. Il suivait à la fois les cours appropriés au degré de son instruction générale, et, pour l’allemand, le cours supérieur appelé la Selecta, sans compter les leçons particulières qu’il recevait du directeur, Frédéric-Guillaume Dœring. Un des professeurs du gymnase ayant plaisanté inconsidérément la Selecta dans une feuille publique, Arthur crut devoir venger ses camarades dans une épigramme très mordante, qui circula de main en main. Il dut quitter l’établissement. Mais tout d’abord il reçut une vive semonce de sa mère. « Si tu pouvais seulement finir par comprendre, lui disait-elle, ce que tu cries par-dessus les toits ! Tu répètes à tort et à travers la sentence de Goethe : « Tenez donc les fous pour des fous, comme cela doit être[18]. » Mais est-ce les tenir pour ce qu’ils sont que de vouloir les corriger ? C’est, au contraire, se mettre à leur niveau. La sagesse consiste à les abandonner à eux-mêmes, à profiter de leur folie ou à s’en divertir à l’occasion, surtout à ne pas les heurter, de peur de faire du simple fou un fou furieux ; et c’est ce que Goethe a voulu dire. Tu n’es pas méchant ; tu as de l’esprit, de la culture, tout ce qui pourrait faire de toi un ornement de la société ; je connais ton cœur, il n’en est pas de meilleur ; et, avec cela, tu es à charge et insupportable, et j’estime qu’il est très difficile de vivre avec toi. Toutes tes bonnes qualités sont gâtées et obscurcies par ta suprasagesse, par la fureur qui te possède de vouloir tout savoir mieux que tout le monde, de voir partout des défauts, excepté en toi-même, de prétendre tout corriger et gouverner. Tu aigris ainsi les hommes contre toi. Personne ne veut se laisser corriger et éclairer si violemment, surtout par un individu aussi peu important que tu l’es encore… Je te dis cela, non pour te faire des reproches, mais pour essayer une fois de te montrer à tes propres yeux tel que le monde te voit, tel que moi, ta mère, qui t’ai donné tant de preuves de mon affection, je suis obligée de te voir. Maintenant, c’est à toi de conclure. »

Elle lui laissait le choix ou de continuer ses études à Altenbourg, ou de prendre des leçons particulières à Weimar : cette ville possédait bien un gymnase, mais trop peu important pour donner un enseignement complet. Arthur se décida pour Weimar ; sa mère aurait préféré l’autre solution.

Johanna sentait qu’avec la différence de leurs natures, ils ne pouvaient s’entendre qu’à la condition de ne pas vivre trop près l’un de l’autre ; elle prévoyait qu’un contact trop fréquent et trop immédiat amènerait inévitablement un choc, et c’est en effet ce qui arriva. Elle déclara d’abord qu’Arthur ne demeurerait pas chez elle, qu’il ne viendrait même la voir qu’à de certains jours et à de certaines heures, en un mot, qu’il garderait sa liberté et qu’il ne gênerait pas celle de sa mère. La lettre qu’elle lui écrivit, à la date du 13 décembre 1807, lorsqu’il était encore à Gotha, commence, comme beaucoup d’autres, par des protestations de tendresse maternelle ; elle n’en est pas moins explicite dans son contenu : « Tu ne doutes pas de mon affection ; je t’en ai donné des preuves toute ma vie. Il est nécessaire à mon bonheur de te savoir heureux, mais de ne pas en être témoin. Je t’ai toujours dit qu’il était difficile de vivre avec toi, et, à mesure que je te connais davantage, cette difficulté me paraît augmenter, du moins quant à moi. Je ne te le cache pas, aussi longtemps que tu seras tel que tu es, je consentirais à tous les sacrifices plutôt qu’à la vie commune. Je ne méconnais pas ce que tu as de bon : aussi, ce qui m’éloigne de toi ne réside pas dans ton cœur et dans ton âme, mais dans ta manière d’être extérieure, dans tes opinions, dans tes jugemens, dans tes habitudes. Bref, je ne puis m’accorder avec toi sur rien de ce qui concerne la vie extérieure. Ton humeur chagrine aussi m’est à charge et trouble ma gaîté habituelle, sans profit pour toi. Rappelle-toi, mon cher Arthur, les visites passagères que tu m’as faites : il en est résulté chaque fois des scènes vives pour des riens, et je ne respirais librement qu’après ton départ. Tes doléances sur des choses inévitables, tes mines farouches, tes jugemens bizarres, qui tombaient de ta bouche comme des oracles et ne souffraient point de réplique, tout cela me pesait, sans parler de l’effort que je faisais sur moi-même pour ne pas te répondre et pour éviter les occasions de dispute. Voilà longtemps que je n’ai eu un moment désagréable, excepté avec toi. Rien ne me dérange, personne ne me contredit, et je ne contredis personne. Jamais, autour de moi, un mot ne se dit plus haut que l’autre. Tout va son train uniforme, je suis mon chemin de mon côté, et l’on remarque à peine, dans la maison, qui commande et qui obéit. Chacun fait ce qui est de son devoir, et les jours glissent l’un après l’autre, sans qu’on s’en aperçoive. Tel est le genre de vie qui me convient, et auquel tu ne dois rien changer, si la tranquillité et le bonheur des années qui me restent à vivre te tiennent à cœur. Plus tard, mon cher Arthur, quand l’âge t’aura fait voir plus nettement certaines choses, nous nous entendrons mieux, et peut-être aurai-je alors mon meilleur temps dans ta maison, au milieu de tes enfans, comme il convient à une vieille grand’mère… En attendant, voici sur quel pied nous devons vivre ensemble. Dans ton logis, tu es chez toi ; dans le mien, tu es un hôte, un hôte bienvenu, toujours bien accueilli, mais qui ne se mêlera de rien… À mes jours de réception, tu dîneras chez moi, si tu veux réprimer ta fâcheuse envie de disputer, qui me contrarie, et t’abstenir de tes éternelles lamentations sur la sottise humaine et les misères de ce monde, qui me donnent de mauvais rêves et m’empêchent de dormir[19]. »

Arthur accepta tout. Son unique pensée était de s’instruire, et il était décidé à s’y employer avec acharnement. Il avait l’ambition de figurer un jour avec honneur dans ce groupe illustre où il n’apparaissait encore que comme un original. Ses premiers rapports avec Goethe furent tout extérieurs. Lui-même n’était pas homme à faire des avances, même à plus grand que lui, et Gœthe, dit-il, « ne lui adressait pas habituellement la parole[20]. » Il eut pour principal directeur, à Weimar, comme à Gotha, un helléniste : c’était Franz Passow, seulement de deux ans et demi plus âgé que lui, plus tard professeur à l’université de Breslau, et qui remania et compléta le dictionnaire grec-allemand de Schneider. Schopenhauer devint un classique déterminé, nourri des poètes grecs et latins. Il écrivit alors sur la première page de son Homère cette oraison dominicale en hexamètres, qui rappelle la Prière sur l’Acropole de Renan :

« Notre Père Homère, toi qui maintenant, avec le noble Achille, — te promènes dans les bosquets de l’Elysée, que l’on nom soit sanctifié ! — que l’on esprit nous visite, et, comme, au pays des ombres, — ta lyre se fait entendre, qu’ainsi elle retentisse jusque sur la terre, — elle dont les accords chassent de nos âmes le souci du pain quotidien, — et qui, charme merveilleux de l’oreille, réconcilierait les Centaures avec les Lapithes ! — Cependant, que jamais ton génie ne nous induise à la tentation d’une lutte inégale ! — Mais délivre-nous seulement pour quelques instans de la destinée de ce monde ! — Car à toi appartient la force d’émouvoir les cœurs, à toi le laurier, — ô saint Père, aux siècles des siècles ! Amen. »

Les dernières lignes contiennent en germe tout un côté de la philosophie de Schopenhauer, Ce sera plus tard une de ses règles de conduite de chercher dans la poésie et dans les arts une consolation et un refuge, un contrepoids au spectacle des misères humaines, qu’un penchant inné le portait à scruter sans cesse.


V. — L’UNIVERSITE

Au commencement du mois d’octobre 1809, il se rendit à Gœttingue. Les études classiques l’avaient familiarisé avec l’antiquité ; l’université devait l’orienter dans les sciences de la nature. Il se fit inscrire à la Faculté de médecine. L’université de Gœttingue, la Georgia-Augnsta, qui avait été fondée au siècle précédent pour opposer une digue au dogmatisme théologique, était restée un asile de la libre recherche. Elle comptait alors parmi ses professeurs le naturaliste Blumenbach, l’historien Heeren, le philosophe Gottlob-Ernest Schulze. Celui-ci, dans son premier ouvrage, intitulé Enésidème, avait produit, sous le masque du sceptique alexandrin, ses scrupules 8ur l’idéalisme transcendantal, qu’il craignait de voir dégénérer en idéalisme absolu ; et déjà, en effet, cette évolution s’opérait entre les mains de Fichte. Schulze voulait qu’on appelât sa propre philosophie non pas un scepticisme, mais un anti-dogmatisme. Sceptique seulement à l’endroit des théories métaphysiques sur l’origine de nos connaissances, il était disposé à admettre pour vrai tout ce que l’expérience raisonnée nous donne comme tel. Schulze fut le premier directeur philosophique de Schopenhauer ; il lui conseilla d’étudier d’abord Kant et Platon et d’y joindre ensuite Aristote et Spinosa, réunissant ainsi dans une double synthèse, qui comprenait chaque fois un ancien et un moderne, ce qu’il considérait comme le fonds acquis et la matière indispensable du travail philosophique.

À ce moment, Schopenhauer montrait encore plus de goût pour Platon que pour Kant, dont la rigoureuse analyse lui semblait décolorer le monde extérieur. Dans une de ces nombreuses notes qu’il prenait au courant de ses lectures, il disait ; « Si Gœthe n’avait pas été envoyé dans ce monde en même temps que Kant, comme pour lui faire contrepoids dans l’esprit du siècle, Kant aurait pesé sur les âmes comme un cauchemar ; il les aurait écrasées et endolories. Maintenant ils agissent tous deux dans des directions contraires ; leur action combinée est bienfaisante, et élèvera peut-être l’Allemagne à une hauteur où l’antiquité elle-même n’a pu atteindre. » Si Schopenhauer éprouve encore, devant l’austère critique de Kant, une sorte d’effroi dont il triomphera bientôt, il est séduit dès l’abord par la théorie des Idées platoniciennes, types éternels des choses périssables, et Platon restera pour lui le divin Platon. « Les Idées, dit-il dans une autre note, sont des réalités qui existent en Dieu. Le monde des corps est comme un verre concave qui disperse les rayons émanés des Idées ; la raison humaine est un verre convexe qui les réunit de nouveau et qui rétablit l’image primitive, quoique troublée par ce détour. » Les Idées les plus hautes, continue-t-il, nous sont communiquées directement par Dieu ; mais, comme elles ne correspondent à aucun objet sensible, comme d’un autre côté nous éprouvons le besoin de leur donner une expression, nous essayons de les traduire au moyen des formes et des images que nous fournit la nature : « ces essais, nécessairement imparfaits, sont la philosophie, la poésie et les arts. » Ainsi Platon est associé à Kant et prend même le pas sur lui, dans la première conception de la philosophie de Schopenhauer. En général, on remarque chez lui, pendant toute la durée de ses années d’études, à côté de sa tendance innée à l’observation pessimiste, un besoin de contemplation idéale, auquel il donnera plus tard satisfaction par sa théorie des arts.

Il continuait de lire les poètes. Parmi les anciens, c’étaient surtout les tragiques grecs ; parmi les modernes, c’était, de préférence à tous, Gœthe. Il prenait des leçons de musique. Tout jeune, il avait joué de la flûte ; à Gœttingue, il apprit la guitare. Au reste, son pessimisme n’était pas de ceux qui se plaisent dans la solitude ; il conversait volontiers avec ses semblables, à condition d’exercer librement sur eux, à l’occasion, sa mauvaise humeur. Il persistait dans cette manie de disputer que sa mère lui reprochait, et il perdait, dit-on, force paris pour vouloir soutenir son opinion contre toute vraisemblance. Parmi les hommes qui formaient alors sa société, on cite l’humaniste Thiersch, le jeune poète Ernest Schulze, le philologue Lachmann, surtout Karl-Josias Bunsen, qui s’appela plus tard le chevalier Bunsen, et qui fut ambassadeur de Prusse à Rome et à Londres. Schopenhauer, ayant amené Bunsen à Weimar pendant les vacances de Pâques de 1811, le présenta à Gœthe. Il eut, à la même époque, une conversation avec Wieland, à la suite de laquelle celui-ci dit à Johanna Schopenhauer : « Je viens de faire la connaissance d’un jeune homme qui sera un jour un grand philosophe. »

La carrière universitaire de Schopenhauer se termina par trois semestres passés à Berlin (octobre 1811 à mai 1813). Ce qui l’attirait surtout dans cette ville, c’était le désir d’entendre Fichte, pour lequel il avait conçu à distance « une admiration a priori » qui ne résista pas à l’épreuve. Plus tard, il aimait encore à parodier « le petit homme à la face rougeaude, au regard perçant et aux cheveux hérissés, » jouant devant ses auditeurs la comédie du moi et du non-moi. En réalité, ce qui l’éloignait de Fichte, c’était le dogmatisme du fond et le caractère oratoire de la forme. Le cours de Schleiermacher sur l’histoire de la philosophie au moyen âge le laissa indifférent. Mais il se passionna pour les leçons de Bœckh sur Platon, et plus encore pour celles de Wolf sur Aristophane et sur Horace ; le poète latin devint un de ses auteurs favoris. Au printemps de l’année 1813, il quitta Berlin, jugeant son instruction universitaire suffisante, et il songea à la rédaction de sa thèse de doctorat, qui fut son premier ouvrage important.

Schopenhauer a vingt-cinq ans. Ses années d’apprentissage sont terminées, « des années d’apprentissage qui, chose peu ordinaire, viennent après les années de voyage[21]. » Sa jeunesse a été longue, sa maturité tardive. Tout son développement a été marqué par un effort continu, âpre et persistant, qui est empreint sur ses traits. On a deux portraits de Schopenhauer, du temps de sa jeunesse. L’un est un pastel, attribué à Gerhard de Kugelgen, un ami de Fernow ; il date de 1809. L’autre, de 1814, est un portrait à l’huile, fait par Louis-Sigismond Ruhl, un élève de l’Académie des beaux-arts de Dresde, plus tard conservateur du musée de Cassel[22]. Les deux portraits s’accordent assez, ce qui est une garantie d’exactitude. Les yeux sont brillans, bleus comme ceux de Johanna Schopenhauer, profondément encaissés et très espacés. Le nez est finement tracé vers le haut, élargi aux ailes. La bouche est petite, un peu charnue. Les cheveux sont blonds et frisés ; une boucle descend sur le front, selon la mode du temps. Le front est plutôt large que haut. Schopenhauer avait la petite taille de sa mère, la poitrine bombée, les épaules larges, la voix forte, la parole incisive. Il était soigneux de sa mise, et il a toujours gardé, selon la recommandation de son père, sa tenue de gentilhomme. On disait qu’il ressemblait à Voltaire quand il parlait, à Beethoven quand il se taisait[23].

Schopenhauer, à l’âge de vingt-cinq ans, n’a encore rien publié ; il n’a fait que prendre des notes sur ses lectures. Mais dès maintenant on peut déterminer les élémens dont se composera sa philosophie. Sa vocation s’est décidée pendant l’enseignement qu’il a reçu de Schulze, un kantien sagace et prudent, se défiant des conséquences qu’on commençait à tirer de la doctrine du maître. Ses observations personnelles se portent principalement, par suite d’une disposition innée, sur les côtés tristes de la destinée humaine. « La vie, disait-il à Wieland, est un dur problème à résoudre ; j’ai consacré la mienne à y réfléchir. » Ses réflexions se coordonnent à la lecture de Kant et de Platon. Il empruntera au premier sa théorie de la connaissance, en la modifiant dans les termes plutôt que dans le fond ; au second, sa vision sublime des Idées, dans lesquelles il trouvera l’inspiration et la règle de la poésie et des arts. Il composera ainsi un pessimisme d’une espèce particulière, qui n’abdiquera d’un côté que pour se reprendre de l’autre, et qui se relèvera du spectacle déprimant de la réalité par la contemplation idéale.


A. BOSSERT.

  1. Die Well als Wille und Vorstellung, supplément au 4e livre. chap. 43.
  2. Jugendleben und Wanderbilder, Brunswick, 1839.
  3. Parerga und Paralipomena, chap. XXVIII.
  4. Vitæ curriculum : Notice autobiographique qu’Arthur Schopenhauer remit a la Faculté philosophique de l’Université de Berlin, le 31 décembre 1819, lorsqu’il demanda l’autorisation d’enseigner.
  5. W. Gwinner, Schopenhauer Leben. Leipzig, 1878.
  6. Die Welt als Wille und Vorstellung, supplément au 3e livre, chap. 31.
  7. Tagebuch, extraits dans Gwinner, ouvrage cité.
  8. Vitæ curriculum, 1819.
  9. Pater optimus carissimusque subito, fortuito, cruento mortis genere repente abreptus est (Vitæ curriculum. 1819).
  10. Grisebach, Schopenhauer, Berlin, 1897 ; p. 35, note.
  11. Die Welt als Wille und Vorstellung, 3e livre, § 36.
  12. Jean-Henri Meyer, professeur et plus tard directeur à l’Académie de peinture de Weimar, collaborateur de Schiller dans les Heures et de Gœthe dans les Propylées et dans l’Art et l’Antiquité.
  13. L. Schemann, Schopenhauer Briefe. Leipzig, 1893.
  14. Gœthe aimait à dessiner, tout en causant. Dans les salons qu’il fréquentait le plus, chez la duchesse Amélie, chez le libraire Frommann, il avait sa place habituelle, où on lui mettait ses dessins.
  15. Düntzer, Gœthes Beziehung zu Johanna Schopenhauer und ihren Kindern, dans : Abhandlungen zu Gœthes Leben und Werken, 2 vol. Leipzig, 1885 ; au 1er vol.
  16. Cette lettre est perdue, comme toutes celles que Schopenhauer écrivit à sa mère ; elle-même les détruisit. Quant aux lettres qu’elle lui adressa, elle les lui redemanda, lorsqu’en 1837 elle commença la rédaction de ses Souvenirs ; ce qui en a été conservé se trouve dans la succession du professeur Düntzer, mort le 16 décembre 1901.
  17. On a reproché à tort à Johanna Schopenhauer d’avoir fait attendre sa réponse un mois à son fils. Dès le 13 avril, elle lui avait écrit une lettre, où elle lui apprenait la mort de la duchesse Amélie, et qui commençait par ces mots : « J’ai à répondre à deux de tes lettres, l’une très longue et sérieuse, et qui mérite une réponse sérieuse… J’y répondrai en détail : cela te prouvera une fois de plus que je t’aime et que j’ai du moins le désir de contribuer à ton bonheur, si je n’en ai pas le pouvoir… » Cette lettre, dont Düntzer n’avait donné que des fragmens, a d’abord été publiée en entier dans le Journal de Francfort du 9 avril 1902.
  18. « C’est folie d’espérer que les fous se corrigeront. Enfans de la Sagesse, tenez donc les fous pour des fous, comme cela doit être. » Tel est le refrain d’une chanson cophte qui se trouve parmi les Lieder de Gœthe ; cette chanson devait figurer dans la pièce intitulée le Grand Cophte, dont Goethe voulait d’abord faire un opéra.
  19. Gwinner, ouvrage cité.
  20. Non me alioqui solebal (Vitæ curriculum. 1819).
  21. Kuno Fischer, Geschichte der neueren Philosophie, t. VIII.
  22. Le premier sert de frontispice à la biographie de Gwinner, le second aux Schopenhauer Briefe de Schemann.
  23. Le portrait de Schopenhauer qui a été le plus souvent reproduit est celui d’Angilbert Gœbel ; il a été fait en 1859. Schopenhauer, alors âgé de soixante et onze ans, le trouvait « ressemblant, très bon, mais sans aucune idéalité. » Les traits sont devenus durs, le front s’est dégarni, la bouche s’est élargie par la chute des dents, mais le regard a gardé tout son feu. C’est ce portrait qui semble avoir servi de modèle à celui de Lenbach, fait pour la Villa Wagner à Bayreuth. Lenbach y a mis « l’idéalité, » mais il a noyé les traits dans les tons neutres et affaibli l’expression. Le portrait de Gœbel est reproduit dans Gwinner (ouvrage cité, p. 582), celui de Lenbach dans Schemann (Schopenhauer Briefe, p. 510).