La Jeunesse et les premières épreuves de Vauban

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LA
JEUNESSE DE VAUBAN[1]

Prenez la France aux divers momens de sa formation historique, depuis les parcelles du morcellement féodal jusqu’à nos circonscriptions administratives, en passant par les prévôtés du domaine, par les apanages et les grands fiefs, par les provinces, les gouvernemens, les généralités, les élections, les bailliages et le reste, à travers toutes ces divisions et répartitions du territoire, sous cette mêlée de réseaux compliqués et changeans, malgré les nombreuses variations de cette nomenclature, vous reconnaîtrez toujours de grandes régions naturelles, de vastes terroirs qui ont gardé leur nom primitif, et dont les traits originels sont restés inaltérés comme au premier jour. De ce qui n’était qu’un fait d’observation, une science moderne, la géologie, a tiré une loi générale, lorsqu’elle a découvert les assises du sol dont nous ne connaissions que la surface. Ainsi s’est expliquée la persistance de ces. régions que l’on pourrait presque appeler des personnes géologiques.

Voyez le Morvan. Les duchés de Bourgogne et de Nevers dans l’ancienne France, dans la nouvelle trois ou quatre départemens s’en sont fait le partage ; qu’importe ? Le Morvan n’en demeure pas moins avec son nom, sa physionomie, son caractère. Les divisions administratives n’ont pas entamé la sévère unité de son terroir. Quand on demande aux gens du pays ce que c’est que le Morvan, ils répondent : C’est la terre où le froment vient mal. « De la terrasse de Vezelay, des collines de Domecy et de Taroiseau, et de tous les points élevés des environs d’Avallon, on voit se dessiner au midi les masses granitiques du Morvan, presque entièrement couvertes de forêts. Ce sont des dômes surbaissés, plus ou moins irréguliers, mais toujours arrondis. La terre formée par la destruction du granité, en général très légère, est connue sous le nom de terre de bruyère. On, ne peut la fertiliser qu’en lui donnant beaucoup d’engrais : légère et friable, le froid la soulève et déracine les plantes que l’on y sème. On ne cultive le même sol que tous les dix ans, après avoir essayé de le féconder en faisant brûler les fougères, les ajoncs épineux et les genêts, qui y croissent rapidement. Le seigle, le blé sarrasin, les pois, les pommes de terre, sont les seules plantes utiles à l’homme qui puissent y réussir dans l’état actuel de la culture. On y voit cependant çà et là quelques champs de blé et d’avoine ; mais la paille est grêle, et les épis clair-semés ne portent que des grains rares et petits. Les chênes et les hêtres y deviennent vigoureux ; le châtaignier y prospère presque partout, mais principalement sur les pentes des coteaux, car les sommets sont en général nus et stériles[2]. »

Voilà le langage précis de la science moderne ; voici, par comparaison, les notes d’un observateur qui a décrit vers la fin du XVIIe siècle la partie septentrionale du Morvan.


« C’est un terroir aréneux et pierreux, en partie couvert de bois, genêts, ronces, fougères et autres méchantes épines, où on ne laboure les terres que de six à sept ans l’un ; encore ne rapportent-elles que du seigle, de l’avoine et du blé noir, pour environ la moitié de l’année de leurs habitans, qui, sans la nourriture du bétail, le flottage et la coupe des bois, auraient beaucoup de peine à subsister. Le pays est partout bossillé, fort entrecoupé de fontaines, ruisseaux et rivières, mais tous petits, comme étant près de leurs sources. Il y auroit assez de gibier et de venaison, si les loups et les renards, dont le pays est plein, ne les diminuoient considérablement, aussi bien que les paysans, qui sont presque tous chasseurs, directement ou indirectement. Les mêmes loups font encore un tort considérable aux bestiaux, dont ils blessent, tuent et mangent une grande quantité tous les ans, sans qu’il soit guère possible d’y remédier à cause de la grande étendue des bois dont le pays est presque à demi couvert. Le pays est en général mauvais, bien qu’il y ait partout de toutes choses un peu ; l’air y est bon et sain, les eaux partout bonnes à boire. Les hommes y viennent grands et assez bien faits, et assez bons hommes de guerre quand ils sont une fois dépaysés ; mais les terres y sont très mal cultivées, les habitans lâches et paresseux jusqu’à ne pas se donner la peine d’ôter une pierre de leurs héritages, dans lesquels la plupart laissent gagner les ronces et méchans arbustes. Ils sont d’ailleurs sans industrie, art ni manufacture aucune, qui puissent remplir les vides de leur vie et gagner quelque chose pour les aider à subsister, ce qui provient apparemment de la mauvaise nourriture qu’ils prennent ; car tout ce qui s’appelle bas peuple ne vit que de pain d’orge et d’avoine mêlées, dont ils n’ôtent pas même le son, ce qui fait qu’il y a tel pain qu’on peut lever par les pailles d’avoine dont il est mêlé. Ils se nourrissent encore de mauvais fruits, la plupart sauvages, et de quelque peu d’herbes potagères de leurs jardins, cuites à l’eau, avec un peu d’huile de noix ou de navette. Il n’y a que les plus aisés qui mangent du pain de seigle mélangé d’orge et de froment. Les vins y sont médiocres et ont presque tous un goût de terroir qui les rend désagréables. Le commun du peuple en boit rarement, ne mange pas trois fois de la viande en un an et use peu de sel. Il ne faut donc pas s’étonner si des peuples si mal nourris ont si peu de force, à quoi il faut ajouter que ce qu’ils souffrent de la nudité y contribue beaucoup, les trois quarts n’étant vêtus, hiver et été, que de toile à demi pourrie et déchirée, et chaussés de sabots dans lesquels ils ont les pieds nus toute l’année : que si quelqu’un d’eux a des souliers, il ne les met que les jours de fêtes et dimanches. L’extrême pauvreté où ils sont réduits ne manque pas aussi de produire les effets qui lui sont ordinaires, qui sont, premièrement, de rendre les peuples foibles et malsains, spécialement les enfans, dont il meurt beaucoup par défaut de bonne nourriture ; secondement, les hommes fainéans et découragés, menteurs, larrons, gens de mauvaise foi, toujours prêts à jurer faux, pourvu qu’on les paye, et à s’enivrer sitôt qu’ils peuvent avoir de quoi. Voilà le caractère du bas peuple[3]. »


Cet observateur exact, ce témoin qui ne craint pas de tout dire, ce n’est pas un étranger, c’est un enfant du pays, c’est Vauban[4].Qu’on ne se méprenne pas à son langage ; ce sol qu’il sait infécond, il l’a aimé par-dessus les plus fertiles. Dans ses rudes labeurs, toutes les fois que Vauban s’est senti défaillir, c’est là qu’il est venu, persuadé que la terre natale recèle vraiment des trésors de force qu’elle réserve à ceux de ses fils qui la touchent avec une affectueuse confiance. Quant à ces tristes paysans, dont il n’a si bien décrit la misère physique et morale que parce qu’il a pris à cœur de la soulager, ne croyez pas qu’il les dédaigne ; ces paysans ont été les compagnons de son enfance.

I

Il était né, c’est lui-même qui l’a dit, le plus pauvre gentilhomme de France. Sa famille, du nom de Le Prestre, sur les confins de la noblesse et la roture, était d’origine nivernaise. Elle possédait, depuis les premières années du XVIe siècle, la petite seigneurie de Vauban, dans la paroisse de Bazoches en Morvan nivernais ; deux ou trois de ses membres avaient eu l’honneur de figurer dans l’arrière-ban du duché de Nevers. La généalogie de Vauban ne remonte pas au-delà de son bisaïeul Émery Le Prestre. Jacques, son grand-père, eut quatre fils ; le second, nommé Albin ou Urbain[5], se maria dans l’année 1630, et vers le même temps fit, avec ses trois frères, le partage de la succession paternelle. Il faut croire que sa part d’héritage, non plus que la dot de sa femme, n’était pas considérable, ou bien qu’il avait promptement dissipé l’une et l’autre, car on le retrouve, moins de trois ans après, réduit à une condition qui n’était même plus celle d’un petit bourgeois. La maison qu’il habitait alors, dans le village de Saint-Léger-de-Foucheret[6], en Morvan bourguignon, si c’est bien la même qu’on montre aujourd’hui, était une maison de paysan, composée d’une seule chambre, d’une grange et d’une écurie, sous une couverture de chaume. C’est dans ce taudis que la tradition fait naître un enfant qui fut baptisé, le 15 mai 1633, dans l’humble église de Saint-Léger, sous le nom de Sébastien Le Prestre, et dont le mausolée placé sous le dôme des Invalides, en face du mausolée de Turenne, porte le grand nom de Vauban.

Comparée à la détresse qui suivit, la gêne dans laquelle il était né pouvait passer pour une espèce de fortune. Avant l’âge de dix ans, tout lui manqua : plus de père, plus de mère, plus de foyer domestique, plus rien. Il avait des proches ; on doit supposer, pour leur honneur, qu’ils le crurent mort lui-même[7]. Ce fut le curé de son village qui le recueillit. Le bon prêtre était pauvre ; il fallut bien que l’orphelin payât de quelque façon l’hospitalité qu’il recevait. Il soignait le cheval, il travaillait au jardin, parfois même il aidait à la cuisine. C’est ainsi que, de dix à quatorze ans, Vauban a gagné son pain de chaque jour. « A chose égale, disait le marquis d’Ussé, son petit-fils, il y a d’autant plus de mérite à mon grand-père d’avoir été un homme extraordinaire qu’il est parti de plus loin qu’un autre. » C’est par le seul marquis d’Ussé que ces détails sont arrivés jusqu’à nous : il aurait pu les supprimer comme indignes ; rendons-lui cet hommage, il s’est montré, en n’en rougissant pas, le vrai petit-fils de Vauban.

La misère n’agit pas sur le gentilhomme pauvre comme sur les paysans morvandeaux ; elle ne le rendit « ni faible, ni fainéant, ni découragé ; » elle fit de cet enfant un homme, un grand homme de bien. Il sortit de ses étreintes précoce d’esprit, vigoureusement trempé de corps et d’âme, rude à lui-même et compatissant aux autres. En lui donnant le vivre et le couvert, le curé de Saint-Léger lui avait enseigné, par la plus belle et la plus simple des leçons, la charité chrétienne. Vauban n’y fut pas infidèle ; sa vie se passa tout entière à pratiquer l’enseignement qu’il avait reçu. Après l’éducation religieuse et morale, le bon prêtre voulut communiquer à son pupille tout ce qu’il avait de science humaine. À Paris, c’eût été peu de chose, c’était beaucoup en Morvan : la lecture, l’écriture, un peu de grammaire, point de lettres, quelques notions d’arithmétique et la pratique de l’arpentage. Mesurer les angles et les côtés d’un champ, c’est déjà faire une application de la géométrie ; l’élève y prit goût, laissa son instituteur en arrière, marcha tout seul, armé de quelque livre, et de l’arpentage poussa d’instinct jusqu’aux principes de la fortification. Il avait dix-sept ans. Un matin, dans les premiers jours de l’année 1651, il quitta son village, traversa de pied la Bourgogne et la Champagne, et vint retrouver, sur la frontière des Pays-Bas, le capitaine d’Arcenay, un gentilhomme de son voisinage qui avait une compagnie dans le régiment de Condé. Le capitaine lui fit bon accueil, lui mit un mousquet sur l’épaule et l’enrôla parmi ses fantassins. En entrant au service, le jeune Le Prestre avait pris le nom seigneurial de sa famille ; désormais il s’appellera Vauban.

Rencontrer un cadet « ayant une assez bonne teinture des mathématiques et des fortifications, et ne dessinant d’ailleurs pas mal[8], » ce n’était pas chose commune. Quand il s’en trouvait quelqu’un de cette sorte, on le mettait tout de suite à la pratique, et s’il se tirait d’affaire sans trop d’impertinence, on lui donnait le brevet d’ingénieur, avec l’espoir d’une enseigne ou même d’une lieutenance dans quelque compagnie d’infanterie. Les ingénieurs appelés à l’attaque ou à la défense des places ne se recrutaient pas autrement ; quant aux constructeurs, c’étaient, pour la plupart, des architectes ou même des maçons. Peu estimée, mal rétribuée, la profession n’attirait guère ; il n’y avait que les médiocrités besoigneuses ou les grandes vocations qui s’y portassent, les unes avec résignation, les autres avec l’enthousiasme qui fait les martyrs. Le cadet du régiment de Condé pouvait bien être des besoigneux, mais non pas des résignés ni des médiocres.

Les circonstances politiques au milieu desquelles Vauban fit son entrée dans le service donnent à ses premières épreuves un intérêt tout particulier. Paris était alors en pleine fronde ; mais qu’est-ce que la fronde avait à faire avec les paysans du Morvan ? Savaient-ils sous quel règne et sous quel gouvernement ils vivaient ? Ils savaient sans doute qu’il y avait le roi et M. le cardinal ; mais qui leur eût demandé si le roi s’appelait Louis XIII ou Louis XIV, et M. le cardinal Richelieu ou Mazarin, les eût fort embarrassés à coup sûr. Quand on voit, en plein XIXe siècle, combien, dans certains recoins de nos départemens, l’ignorance est fortement cantonnée, on ne doit pas s’étonner de ce que nous croyons pouvoir affirmer, à deux cents ans de distance, des paysans morvandeaux.

À Saint-Léger-de-Foucheret, qui était pays bourguignon, le personnage le plus populaire devait être M. le Prince, gouverneur de Bourgogne ; mais est-il bien sûr qu’on connût à Saint-Léger, en 1650, les péripéties de la fronde, le triomphe momentané de Mazarin et la prison de M. le Prince ? Quand Vauban se mit en route pour aller rejoindre le régiment de Condé, c’était à peu près le temps où M. le Prince, délivré par Mazarin fugitif, rentrait triomphalement dans Paris ; mais on peut s’assurer que Vauban n’avait de ces événemens qu’une idée fort confuse, et qu’en allant au régiment de Condé il allait surtout au capitaine d’Arcenay. Il venait chercher un protecteur qui l’aidât à faire son chemin, et non point prendre parti dans une querelle politique. Après quelques jours passés au régiment, ce fut autre chose. Il se trouvait en pays neuf, dans un milieu agité, enflammé de passions dont son âme vierge et surprise ne put s’empêcher de ressentir d’abord l’ardeur. Il n’entendit plus parler que de M. le Prince, de son héroïsme, de son génie, et s’il ne s’attacha pas à lui dès lors jusqu’à le suivre aveuglément dans toutes ses fortunes, il lui voua certainement une sympathie qu’il n’éprouva jamais au même degré pour Turenne.

Au mois d’août 1651, M. le Prince n’était encore qu’un grand chef de faction ; au mois de septembre, il devint un rebelle achevé. La guerre civile commença. Ce ne fut cependant qu’au printemps de l’année suivante que le régiment de Condé, après avoir eu ses quartiers d’hiver à Stenai, quitta la frontière pour s’en aller fomenter et soutenir la révolte au cœur même de la France. Vauban dut à sa vocation marquée pour la fortification de ne point faire cette déplorable campagne. Retenu pour des travaux de défense à Clermont en Argonne, il apprit d’abord la marche de ses camarades jusqu’à la Loire et leurs premiers succès à Bleneau, puis leur retraite vers la Seine et leurs manœuvres autour de Paris, enfin le sanglant dénoûment de ce drame militaire dans les rues du faubourg Saint-Antoine. Au mois d’octobre, il les revit en Champagne, mais ils n’étaient plus seuls. Il y avait à côté d’eux, et déjà plus nombreux qu’eux, des régimens que Vauban connaissait pour les avoir vus tout à l’heure de l’autre côté de la frontière ; c’étaient des Lorrains et des Espagnols, mauvais et déplaisans compagnons. La guerre civile avait d’abord étonné Vauban, la guerre civile compliquée de guerre étrangère l’attrista. Cependant le nom de M. le Prince exerçait encore sur lui son irrésistible prestige ; il suivit M. le Prince devant Sainte-Menehould. Dès ce premier siège, le jeune cadet fut un héros. Au moment de l’assaut, il passa la rivière d’Aisne à la nage sous le feu de la place, « action qui lui fut imputée à grand honneur, nous a-t-il dit lui-même, et qui lui attira beaucoup de caresses de la part de ses officiers ; on voulut même le faire enseigne dans Condé, mais il en remercia sur ce qu’il n’étoit pas en état d’en soutenir le caractère. » Un volontaire qui refuse de l’avancement, quelle merveille ! Est-ce à dire que, pour être quelque chose comme sous-lieutenant aujourd’hui, il fallût faire preuve de richesse, et que le caractère d’enseigne fût bien lourd à soutenir ? Non, sans doute ; mais Vauban était si pauvre que la moindre dépense était au-dessus de ses forces, et si honnêtement fier qu’il lui répugnait de jouer, comme faisaient d’autres, le rôle d’un officier besoigneux doublé d’un chevalier d’industrie. Tout ce qu’il accepta pour prix de sa belle conduite, le service à cheval étant estimé davantage, ce fut de passer maître, c’est-à-dire cavalier. Il fit, dans la cavalerie, la campagne de 1653, et il y reçut sa première blessure ; mais cette campagne, commencée dans un camp, se termina pour lui dans un autre.


II

Un jour que Vauban était en parti avec trois de ses camarades, ils tombèrent inopinément dans une patrouille de l’armée royale. Ses camarades déjà pris et lui tout près de l’être, il trouva moyen de se jeter dans un chemin creux, et quand les royaux qui le poursuivaient s’y furent engagés à la file, tout à coup il tourna la tête, les arrêta court, et, tenant en joue leur chef, qui était un lieutenant du régiment de Sainte-Maure, il fit sa capitulation, à savoir qu’il ne serait ni maltraité, ni dépouillé, ni même démonté, de sorte qu’il entra dans le camp royal, à cheval, en complet équipage, et avec tous les honneurs de la guerre. L’aventure fit du bruit : on sut bientôt que ce cavalier si avisé n’était autre que le hardi nageur de Sainte-Menehould. Spirituel et brave, un soldat a deux fois sa réputation faite. Rien n’échappait à Mazarin : informé que le jeune prisonnier avait quelque intelligence de la fortification, il se le fit amener. Réveiller et irriter le sentiment de l’honneur national dans une âme que la compagnie des Espagnols avait déjà mise en alarme, ce n’était pas une affaire pour un diplomate comme M. le cardinal ; cependant il voulut s’en charger lui-même, et il y prit apparemment quelque plaisir. Le jeune homme « dûment confessé et converti, » le mot est de Vauban, Mazarin lui donna pour pénitence de travailler à reprendre sur le prince de Condé cette même place de Sainte-Menehould qu’il avait contribué à lui gagner naguère. Et en effet, à un an de distance, presque jour pour jour, Vauban reparut devant Sainte-Menehould, dans l’armée royale cette fois, et sous les ordres du chevalier de Clerville, qui passait pour être le premier ingénieur de ce temps-là. Ce second siège achevé, Vauban, qui était devenu, suivant son expression, « diacre de M. de Clerville, » fut chargé de réparer les défenses de cette petite et mauvaise place.

Louis XIV et Mazarin avaient assisté au siège. Satisfait du zèle et frappé de l’intelligence de son néophyte, le cardinal lui fit donner par le roi quelque argent, avec une lieutenance au régiment de Bourgogne-infanterie. C’était, à vrai dire, un lambeau de régiment, la plupart des compagnies attachées à M. le Prince l’ayant suivi dans la révolte. Y appeler Vauban, qui venait de faire sa soumission, était d’un bon exemple ; beaucoup de ses camarades, comme lui rebelles involontaires et mécontens d’une guerre qui n’était plus une querelle en famille, devaient, comme lui, rentrer dans le devoir par les brèches de ce même régiment de Bourgogne, destiné à devenir le régiment des repentis.

La campagne de 1654 réunit un moment Fabert à la fin de sa carrière et Vauban au début de la sienne ; ces deux noms-là vont bien ensemble. Fabert commandait l’armée qui assiégea Stenai, et Vauban y servit d’ingénieur sous le chevalier de Clerville. Dès le neuvième jour du siège, il fut blessé assez grièvement, et il n’était pas remis de sa blessure lorsqu’il fut encore atteint d’un coup de pierre en attachant le mineur[9]. Cela ne l’empêcha pas de se trouver, trois semaines plus tard, à la tête de sa compagnie, dont il était devenu capitaine, parmi les troupes qui, sous les ordres de Turenne, marchèrent au secours d’Arras, forcèrent le quartier des Lorrains et remportèrent l’honneur d’avoir fait reculer M. le Prince ; Deux mois après, Vauban accompagna le maréchal de La Ferté au siège de Clermont en Argonne, dont il conduisit les attaques, le chevalier de Clerville étant tombé malade. Cette petite place était celle où il avait fait, en 1652, son noviciat dans l’art de réparer des travaux de défense. Condamnée, en 1654, à perdre ses remparts, elle fournit à Vauban l’occasion d’apprendre comment on rase une fortification, et ce fut ainsi qu’il effaça les premières traces de son passage dans l’armée de M. le Prince. Ces épreuves sur le terrain valaient bien des examens théoriques. Le 3 mai 1655, Vauban, détaché du régiment de Bourgogne, reçut le titre et le brevet d’ingénieur ordinaire du roi.

Appelé à servir en cette qualité sous les ordres de Turenne, il conduisit presque seul les attaques de trois places, Landrecies, Condé et Saint-Ghislain ; les deux dernières se rendirent après trois jours de siège. La campagne achevée, Vauban fut employé à rétablir les fortifications de Condé. Apprendre à bien faire par l’exemple de ceux qui font mal, c’est une méthode excellente pour les esprits sagaces. La campagne de 1656 donna lieu à Vauban de perfectionner son éducation en ce sens. Il servait dans l’armée combinée de Turenne et du maréchal de La Ferté. Au mois de juin, les deux généraux mirent le siège devant Valenciennes. Outre l’Escaut, qui coupait en deux points leur ligne de circonvallation, une inondation artificielle, fort habilement ménagée par les Espagnols, séparait les quartiers des assiégeans et rendait leurs communications difficiles. Était-ce assez, pour les assurer à tout risque, de deux ponts sur la rivière et d’une digue en fascinage à travers les terrains inondés ? Tandis que, par suite d’une autre erreur dans le choix du point d’attaque, l’assiégeant dirigeait ses efforts contre la partie la plus forte de la place, une armée de secours parut, commandée par don Juan d’Autriche et par M. le Prince. Le maréchal de La Ferté se gardait mal. Dans la nuit du 15 au 16 juillet, ses retranchemens furent assaillis et forcés tout de suite. En un moment, les ponts furent encombrés de fuyards ; on s’écrasait, on s’étouffait ; les morts amoncelés fermèrent aux vivans le passage ; de l’autre côté, la digue, imparfaite et minée par les eaux, s’effondra sous les pieds des bataillons que Turenne envoyait au secours de son imprudent collègue. Turenne vit bien qu’il n’y avait plus qu’à se retirer : il fit sa retraite en bel ordre ; mais M. le Prince avait eu sa revanche d’Arras. Vauban a porté sur tout ce siège de Valenciennes un jugement sévère. « Il n’est pas concevable, a-t-il dit, combien les Français y firent de fautes ; jamais lignes ne furent plus mal faites et plus mal ordonnées, et jamais ouvrage plus mal imaginé que la digue à laquelle on travailla prodigieusement pendant tout le siège, et qui n’était pas encore achevée lorsqu’on fut obligé de le lever. Les Espagnols ne firent pas de même : pour cette fois, ils agirent en véritables gens de cœur et d’esprit, et nous tout au contraire[10]. » Les fautes qu’il signalait avec cette force, Vauban ne les avait-il donc vues qu’après coup ? ou bien, s’il les avait vues dès le premier jour, comment ne les avait-il pas fait réparer ? C’est que les ingénieurs n’étaient point en ce temps-là d’assez grands personnages. Serviteurs très humbles des officiers-généraux, ils ne pouvaient qu’exécuter leurs ordres. Comment un ingénieur, capitaine tout au plus, aurait-il eu voix au chapitre ? Il n’y prétendait même pas, sachant bien que, s’il se haussait à dire son avis, il serait tout à l’heure rabaissé, rabroué, sinon formellement puni de son impertinence. Aussi la plupart, muets d’abord par nécessité, finissaient-ils par s’accommoder à leur condition ; ils cessaient de penser et d’agir. Il y a sur cette humilité des ingénieurs et sur l’arrogance des généraux une éloquente protestation de Vauban.


« Par leur autorité, s’écrie-t-il, les officiers-généraux ordonnent comme il leur plaît le chemin de la tranchée, et rompent à tout moment la suite du dessein et toutes les mesures que l’ingénieur peut avoir prises, qui, bien loin de pouvoir suivre une conduite réglée, se trouve réduit à servir d’instrument pour l’exécution de leurs différens caprices. Je dis différens, car l’un commande aujourd’hui d’une façon, et celui qui le relèvera ordonnera demain de l’autre, et comme ils ne sont pas toujours doués de la plus grande capacité du monde dans ces sortes de choses, Dieu sait les manquemens, les folles dépenses qu’ils font faire, et combien de sang ils font épandre. L’émulation qu’il y a entre les officiers-généraux fait souvent qu’ils exposent les soldats mal à propos, leur faisant faire au-delà de leur possible, et ne se souciant pas d’en faire périr une centaine pour avancer quatre pas plus que leurs camarades. Ce que je trouve de plus surprenant, c’est qu’on verra ces messieurs, lorsqu’ils auront été relevés de tranchée, raconter et se vanter, avec un air suffisant et content, qu’ils auront perdu cent ou cent, cinquante hommes pendant leur garde, parmi lesquels il y aura peut-être huit ou dix officiers. Y a-t-il de quoi se réjouir ? Et le prince n’est-il pas bien obligé à ceux qui font, avec la perte de cent hommes, ce qui se pourrait faire parfaitement avec celle de dix moyennant un peu d’industriel En vérité, si les états ne périssent que faute de bons hommes pour les défendre, je ne sais pas de châtimens assez rudes pour ceux qui les font périr mal à propos. Cependant il n’est rien de si commun parmi nous que cette brutalité qui dépeuple nos troupes des vieux soldats, et fait qu’une guerre de dix années épuise tout un royaume[11]. »


Épargner le sang ! trois mots qui résumeront désormais tout l’art des sièges, recréé par le plus grand preneur de villes qu’il y ait jamais eu. Le génie fécondé par la pitié chrétienne, c’est tout Vauban.

Au sujet des ingénieurs et du peu d’estime où on les tient, « non-seulement on ne les consulte pas, dit-il encore, mais ils sont souvent obligés de suivre les sentimens d’autrui et de travailler sur des pas étrangers, d’où s’ensuit que toutes leurs fonctions se réduisent à la conduite de quelques sapes et à poser des travailleurs sur des alignemens tracés par d’autres, qui la plupart du temps ne savent ce qu’ils font. Quoique ce traitement ne soit pas égal à tous, et qu’il s’en trouve quelquefois d’une capacité assez grande et d’un courage assez relevé pour ne se vouloir soumettre qu’à la raison, si est-ce qu’il y en a peu qui puissent se dispenser d’obéir à un lieutenant-général demi-savant, qui a l’autorité en main, parce qu’étant maître de la tranchée il présume que tout doit dépendre de lui et qu’il y va du sien d’autoriser ses opinions et de les faire prévaloir à celles des autres. Je ne prétends pas par là excuser les ingénieurs ; au contraire, je trouve leur inapplication blâmable, pour n’avoir pas plus travaillé à purger la tranchée d’une infinité de fautes qui s’y commettent[12]. »

Dans l’affaire de Valenciennes, Vauban pouvait faire valoir pour son propre compte une autre excuse que l’infériorité de sa situation ; une blessure grave l’avait mis, dès le commencement du siège, hors de cause. On le traitait à l’hôpital de Condé lorsque cette place fut tout à coup investie par l’armée qui venait de secourir Valenciennes. Incapable d’agir, Vauban mit au service de la défense tout ce qu’il pouvait lui donner, ses conseils et l’exemple de son énergie morale ; un mois durant, on le vit, couché sur un brancard, visiter tour à tour les points les plus menacés. Le succès eût peut-être couronné la résistance de la garnison sans une dernière et déplorable conséquence des fautes commises devant Valenciennes. « Comme si l’on eût appréhendé de n’avoir pas assez failli[13], » on avait eu l’imprudence de nourrir l’armée qui assiégeait cette place aux dépens des magasins de Condé, de sorte que, lorsque Condé fut assiégé ensuite, les vivres manquèrent, et qu’il fallut capituler par famine. À quelque temps de là, Vauban eut du moins la satisfaction de voir l’ennemi manquer un siège à son tour. Envoyé à Saint-Ghislain, il s’y trouva investi par l’armée qui avait pris Condé. Peu s’en fallut qu’il n’y eût le même sort, car Saint-Ghislain n’avait pas ses magasins mieux pourvus ; cependant, neuf jours après l’investissement, les ennemis s’éloignèrent d’un côté, tandis que de l’autre l’armée de Turenne s’avançait pour ravitailler la place.

De tous ceux qui avaient subi l’échec de Valenciennes, le maréchal de La Ferté était celui qui y avait contribué davantage, et c’était Vauban qui avait le mieux remarqué ses fautes. Le maréchal voulut s’attacher le jeune ingénieur, et lui donna une compagnie dans son régiment. Était-ce pour prendre conseil dans l’occasion, ou simplement pour fermer la bouche à son critique ? Le doute est au moins permis, car lorsqu’il s’agit en 1657 de choisir devant Montmédy le meilleur point d’attaque, le choix fut aussi malavisé que devant Valenciennes : « défaut tout à fait pernicieux, a dit Vauban, car l’assiégeant fournit lui-même à une place fort mauvaise le moyen de lui résister comme une bonne. On fit cette faute au siège de Montmédy, où deux mille hommes furent tués et autant de blessés. Il ne fut pris qu’après quarante-six jours de tranchée ouverte, et il le pouvait être en quinze, s’il eût été bien attaqué[14]. » Dans une seule affaire, Vauban reçut trois blessures ; avant la fin du siège, il fut atteint une quatrième fois. Ces blessures étaient légères, heureusement pour lui et pour le maréchal de La Ferté : si Vauban lui avait fait faute, qu’aurait pu faire le maréchal, si ce n’est de lever le siège ? Tous les autres ingénieurs avaient été tués dès les premiers jours. Hâtons-nous de rendre justice au maréchal de La Ferté ; la place réduite, il n’oublia pas celui auquel il devait en grande partie le succès, Outre le régiment qui portait son nom, il en avait, comme gouverneur de Lorraine, un autre qui s’appelait le régiment de Nancy. Vauban, déjà capitaine dans La Ferté, devint capitaine dans Nancy, et il nous apprend lui-même que le maréchal lui fit présent de cette seconde compagnie pour lui tenir lieu de pension. Cette sorte de cumul était alors fort en usage, et, dix ou douze ans plus tard, lorsque l’œil sévère de Louvois y découvrit le premier un désordre, ce ne fut pas sans causer autour de lui quelque surprise.

Appelé de Lorraine en Flandre, Vauban vint servir sous Turenne au siège de Mardyck. Au lieu de quarante-six jours, celui-ci n’en dura pas quatre. Le soin de réparer les fortifications de Mardyck y retint Vauban pendant l’hiver. Si la place avait résisté davantage, le rétablissement de ses défenses, plus endommagées, aurait exigé plus de temps, et Vauban, à portée du théâtre où se sont jouées en 1658 les dernières et grandes scènes de la guerre entre la France et l’Espagne, le siège de Dunkerque et la bataille des Dunes, y aurait pris naturellement un rôle. Pour comble de regret, ces événemens à peine accomplis, le maréchal de La Ferté, que Vauban avait rejoint en Lorraine, reçut l’ordre de marcher en Flandre pour aider Turenne à recueillir les fruits de sa victoire. Ce fut dans cette dernière partie de la campagne, dans cet épilogue, pour ainsi dire, que Vauban conduisit en chef les attaques de Gravelines, d’Oudenarde et d’Ypres, A défaut de détails sur ces trois sièges, il suffit que Vauban ne les ait pas compris dans ses observations critiques ; son silence nous permet de croire qu’il y eut plus d’autorité relative et de liberté d’action ; S’il fut plus satisfait pour sa part, on ne fut pas moins satisfait de lui. La campagne finie, d’après son propre témoignage, « M. le cardinal le gracieusa fort, et, quoique naturellement peu libéral, lui donna une honnête gratification et le flatta de l’espoir d’une lieutenance aux gardes[15]. »

Dans la campagne de 1658[16], ce n’est pas seulement la lutte entre la France et l’Espagne qui s’est dénouée, c’est la vieille guerre qui a pris fin. Lorsqu’à neuf années de là, en 1667, la France et l’Espagne recommenceront leur duel, les conditions, pour l’armée française au moins, seront bien différentes : Louvois aura dans l’intervalle, entre autres inventions de son génie, réalisé l’idée, bien simple en apparence, de faire vivre les troupes.

Cependant la vieille guerre ne laissera point à tous ceux qui en auront supporté les misères un déplaisant souvenir, et Vauban lui-même dira un jour à Louvois, non pour s’en plaindre : « Je me souviens que, dans la vieille guerre, quand nous étions sur le pays ennemi, nous étions quelquefois des trois semaines entières sans prendre une ration de pain. » Est-ce à dire qu’à l’abondance faite par Louvois Vauban préférait l’abstinence ? Non ; mais ce temps d’abstinence était aussi le temps de la jeunesse : c’étaient les années fécondes malgré les privations, les années où Vauban avait beaucoup vu et beaucoup appris, où son esprit, actif et méditatif à la fois, s’était ouvert à toute sorte d’idées neuves, et avait fait provision de plans et de projets pour l’avenir.

En 1659, tandis que se débattaient les conditions du traité des Pyrénées, le régiment de La Ferté avait ses quartiers près de Toul, et comme la compagnie de Vauban était dispersée dans plusieurs villages, elle était souvent visitée, une escouade après l’autre, par le capitaine, très soucieux de l’ordre, de la discipline et du bien-être de ses hommes. Il était grand chasseur aussi, et le pays, peu fréquenté alors, était fort giboyeux. Il y avait surtout une certaine vallée où il se plaisait, et dans cette vallée deux ruisseaux qui, distans à leur naissance d’une demi-lieue tout au plus, s’écoulaient l’un vers la Meuse, l’autre vers la Moselle, si bien que, tout en visitant ses hommes ou en suivant le gibier, Vauban pensait à ces deux ruisseaux. « Je considérai plusieurs fois cette vallée qui me causait de l’admiration, a-t-il dit, parce qu’il semble qu’il y ait eu là autrefois une communication de l’une à l’autre des rivières. Je n’y fis cependant pas pour lors grande réflexion ; mais le ressouvenir de la chasse, m’ayant plusieurs fois représenté la figure de ce pays-là, m’a fait penser depuis qu’on pourrait bien y faire une communication effective[17]. » Voilà comment, en 1679, le grand ingénieur a développé dans un projet pour la jonction de la Meuse et de la Moselle les germes recueillis vingt ans auparavant par le chasseur capitaine. Tel est Vauban ; rien ne lui échappe ; sa mémoire est un casier bien ordonné où les observations personnelles, les informations, les faits de toute sorte, se rangent et se classent, au service d’une intelligence qui cherche le vrai pour produire le bien.

La paix des Pyrénées fit tort à Vauban d’une de ses deux compagnies ; le régiment de Nancy fut réformé. Son service au régiment de La Ferté ne lui donnant pas beaucoup à faire, il profita de ses loisirs pour retourner au pays natal. Sa famille, qui l’avait parfaitement oublié jadis, n’hésita pas à le reconnaître et se fit honneur de lui. On le traita comme l’enfant prodigue, quoiqu’il fût tout le contraire ; il revenait, à vingt-sept ans, capitaine dans un régiment conservé, ingénieur du roi, distingué par les généraux, connu même de M. le cardinal ; il était un personnage. On s’occupa de le marier. Il épousa une personne qui, sans être précisément sa cousine, était sœur de deux de ses cousins-germains[18]

elle se nommait Jeanne d’Aunay. Le contrat fut signé le 25 mars 1660, au château d’Épiry, près de Corbigny en Nivernais, chez le père de la mariée ; l’un des témoins était Paul Le Prestre, cousin-germain de Vauban, chef de la branche aînée et possesseur alors du manoir auquel était attaché le titre seigneurial de la famille.

Peu de temps après son mariage, Vauban fut rappelé pour le service du roi. Par le traité des Pyrénées, la Lorraine avait été rendue au duc Charles IV sous certaines conditions onéreuses, l’une desquelles était la destruction des fortifications de Nancy. Après bien des hésitations, Charles IV y consentit enfin, et Vauban fut désigné pour diriger et surveiller les travaux de démolition. Il fit séjour à Nancy pendant les années 1661 et 1662. L’année suivante, de nouvelles difficultés étant survenues entre Louis XIV et Charles IV, Vauban fut chargé de reconnaître la place de Marsal et de dresser même un projet de siège ; mais la soumission du duc de Lorraine et l’occupation pacifique de Marsal rendirent ses soins inutiles., Louis XIV ne lui en tint pas moins compte. Du régiment de La Ferté, Vauban passa capitaine au régiment de Picardie, qui tenait, à la tête des vieux corps, le premier rang dans l’infanterie, après les gardes françaises et suisses. C’était un grand honneur d’y être capitaine, même à prix d’argent ; mais, lorsque la compagnie était gratuitement donnée, comme à Vauban, l’honneur se doublait d’un profit considérable. Au prix où se tenaient les compagnies des vieux corps, c’était un beau présent que Louis XIV faisait à son ingénieur ; il y ajouta encore, pour l’aider à se mettre en équipage, une bonne somme d’argent comptant.

Dans un contrôle de 1665, suivi d’observations sur les officiers d’infanterie, Vauban se trouve à son rang de capitaine dans Picardie avec cette note : « bon ingénieur et bon officier[19]. Il était employé alors aux travaux de Brisach, qui était, comme la province d’Alsace en ce temps-là, du département de Colbert[20]. Il semble que Colbert ait d’abord eu l’intention de s’attacher Vauban. C’est vers cette même époque qu’il lui demanda le dessin d’une petite machine militaire destinée à l’amusement du dauphin, âgé alors de trois ou quatre ans ; cette machine n’était pas autre chose qu’un petit équipage d’artillerie avec tous ses engins et accessoires[21]. Pendant trois années de suite, Vauban fut chargé par Louis XIV de diverses missions relatives apparemment à son art ; il fit trois voyages en Allemagne, et poussa dans un quatrième jusqu’aux Pays-Bas. Il reçut à chaque fois ce qu’il appelle une honnête gratification, accompagnée de grandes promesses ; mais ces voyages avaient le grave inconvénient de le distraire de ses travaux de Brisach. Il n’en serait rien résulté, si l’intendant et l’entrepreneur auxquels il avait affaire eussent été, l’un bienveillant, et l’autre probe. C’était tout le contraire par malheur. L’intendant d’Alsace, un Colbert, cousin du contrôleur-général, avait pris en mauvais gré Vauban, qui peut-être ne lui faisait pas assez sa cour, et s’était laissé séduire par les respects de l’entrepreneur, lequel était un malhonnête homme. Dire que l’intendant faisait commerce avec l’entrepreneur, ce serait répéter sans preuve une accusation qui, venue de Vauban, peut s’expliquer par son ressentiment même ; mais enfin l’intendant soutenait ouvertement l’entrepreneur, et rendait Vauban personnellement responsable de toute la dépense faite au-delà de ses devis.

La guerre qui survint en 1667 ne fit qu’augmenter les embarras de Vauban, car il fut obligé, pour prendre part aux opérations militaires, d’abandonner des travaux dont il ne cessa cependant pas d’avoir la direction nominale ; mais comment un capitaine au régiment de Picardie se serait-il excusé de faire campagne ? et comment un ingénieur du roi aurait-il négligé l’occasion de servir sous le commandement et sous les yeux du roi lui-même ? Vauban n’hésita pas ; il accourut d’Alsace et suivit l’armée dans les Pays-Bas. On sait avec quel succès rapide la Flandre fut conquise. Vauban conduisit trois sièges royaux comme ingénieur en chef. Le premier, celui de Tournai, ne fut qu’une affaire de quatre jours. Douai ne tint pas davantage ; mais Vauban eut le temps d’y recevoir à la joue gauche un coup de feu dont il porta toute sa vie la marque. Il n’y eut de sérieux que le siège de Lille, encore ne dura-t-il pas plus de dix-huit jours. S’il ne se prolongea pas davantage, ce n’est pas que la place fût mauvaise, ni le gouverneur malhabile, ni la garnison faible ou découragée ; c’est que l’attaque fut bien choisie et parfaitement conduite. Louis XIV n’attendit pas à reconnaître le bon service de son ingénieur ; il lui donna sur sa cassette une pension de deux mille quatre cents livres, et lui fit cadeau d’une lieutenance aux gardes, avec permission de vendre sa compagnie de Picardie, qu’il avait eue aussi, comme on l’a vu, à titre gratuit. Voilà donc Vauban en possession de cette lieutenance que Mazarin lui avait promise neuf années auparavant. S’il n’était pas même d’emblée capitaine aux gardes, c’est que par malheur il ne se trouvait point de compagnie vacante ; c’est au moins ce que M. Le Tellier lui dit de la part du roi en le « gracieusant » fort pour sa part.

Ces complimens de M. Le Tellier, auxquels Louvois ne manqua pas de joindre les siens, touchèrent d’autant plus Vauban que ses rapports avec Colbert devenaient moins agréables. L’intendant d’Alsace lui était chaque jour plus hostile, et l’entrepreneur de Brisach ne faisait qu’ajouter à ses mauvais tours. Vauban fut accusé jusqu’auprès du roi de faire traîner les ouvrages et d’outrer la dépense. Colbert avait eu le malheur de se laisser indisposer contre lui ; Louvois, qui cherchait un bon ingénieur, saisit l’occasion, attira Vauban, le défendit, l’encouragea, et lui donna tout de suite lieu de confondre par une magnifique épreuve l’erreur ou la mauvaise foi de ses accusateurs.

Louis XIV voulait faire construire une citadelle à Lille ; Louvois, qui tenait dans son département les places nouvellement conquises, avait résolu de confier à Vauban la direction de ce grand travail. Vauban avait trouvé son protecteur et sa voie ; comme les apprentis d’autrefois qui voulaient passer maîtres, il allait, après une dernière lutte, pouvoir faire son chef-d’œuvre.


III

« Point d’ingénieur parfait, a dit Vauban, parce qu’il faut être à la fois charpentier, maçon, architecte, peintre, orateur, politique, soldat et bon officier, et surtout avoir bon cœur, bon esprit et une longue expérience[22]. » Ne faut-il pas être géomètre aussi ? Vauban n’en a rien dit ; mais c’est justement parce que cette condition va de soi qu’il a oublié d’en parler. Il ne l’aurait pas oublié peut-être, s’il eût été préoccupé de géométrie plus que d’autre chose. Quand il était entré au service, les mathématiques faisaient assurément le plus lourd de son bagage, et la plupart de ses camarades en étaient beaucoup moins pourvus que lui ; cependant, quoiqu’il y ait encore ajouté par la suite, il ne s’est jamais piqué d’être un savant. Il n’a pas voulu donner à la science au-delà de ce qu’elle pouvait raisonnablement prétendre ; mais il lui a donné tout ce qui était sa part légitime et son droit. Comme il possédait dans un merveilleux équilibre toutes des parties qui font l’ingénieur, il souffrait lorsqu’il voyait cet équilibre rompu chez les autres, Un de ses disciples raconte qu’un jour deux ingénieurs, anciens et fort braves, mais qui n’étaient guère que cela, vinrent se plaindre à lui du peu d’égards qu’on avait à leurs longs services. « Messieurs, leur dit-il, vous avez grand tort de vous plaindre de voir en place quelques ingénieurs, à la vérité moins anciens que vous, mais qui sont bien plus habiles et qui se sont cassé la cervelle à étudier pendant que vous ne songiez qu’à vous divertir. Je ferai, quand je le voudrai, cent ingénieurs comme vous par jour, car je n’ai qu’à prendre de bons grenadiers des troupes du roi, ils seront aussi savans que vous après le premier siège ; mais il faut bien des années pour faire un ingénieur comme ceux qui vous donnent occasion de vous plaindre, qui savent projeter et construire de bonnes forteresses, et, dans l’occasion, les attaquer et les défendre avec plus d’habileté que vous. Enfin, quand un état fourmilleroit d’ingénieurs de votre capacité, quel secours pourroit-il en retirer lorsqu’il lui faudroit rétablir des places conquises et en construire d’autres pour conserver ses conquêtes, et même pour sa propre défense ? Convenez donc que, pour porter à juste titre le nom d’ingénieur habile, il faut joindre à la bravoure bien des choses qui ne s’apprennent point dans les salles à faire des armes, ni dans les ruelles, ni dans les académies de jeu ou de musique[23]. »

Si Vauban n’aimait pas les intelligences épaisses, obtuses et paresseuses, il n’estimait pas davantage les esprits trop subtils ou absolus et systématiques. C’était une de ses maximes que l’art de fortifier consiste uniquement dans le bon sens et dans l’expérience. Quand il se mit à fortifier pour son propre compte, il n’avait pas encore beaucoup d’expérience personnelle, n’ayant eu jusque-là que des brèches à fermer ou des remparts à raffermir ; mais il avait la vue nette, le coup d’œil juste et rapide, le jugement sain, en un mot le bon sens, et, grâce à ce précieux ensemble de qualités exquises, il s’était de bonne heure approprié l’expérience des autres.

Il y avait déjà cent cinquante ans au moins que les progrès et l’emploi plus fréquent de l’artillerie dans les sièges avaient changé les conditions et les principes de l’architecture militaire. Née en Italie vers le commencement du XVIe siècle, éprouvée par toutes les luttes de cette belliqueuse époque, et surtout pendant la grande insurrection des Pays-Bas contre Philippe II, la fortification moderne avait établi, par d’illustres exemples, sa supériorité sur l’ancienne. Ce n’est pas à dire que partout les bastions se fussent substitués aux tours, ni que les hautes murailles eussent partout fait place aux remparts abaissés et terrassés : il y avait encore peu de forteresses entièrement construites d’après les nouvelles exigences de l’art militaire ; la plupart offraient un mélange d’ouvrages disparates et mal entendus, un raccord de pièces neuves appliquées à l’aventure sur un fond à l’antique. L’essentiel de l’art moderne, qui est le principe d’assurance mutuelle entre les diverses parties d’une fortification, était sans nul doute bien mal observé ; mais il n’en était pas moins reconnu et proclamé, même par ceux qui l’observaient mal.

Il en était de la fortification comme de l’armée ; les bons élémens ne manquaient pas plus dans l’une que dans l’autre ; il ne s’agissait que de les dégager et mettre en ordre. Pour une pareille œuvre, ce n’était pas le génie d’invention qui était nécessaire, c’était le bon sens et l’esprit d’arrangement. « User des ordonnances avec les troupes comme des remèdes dans les maladies : n’en guère faire, mais les bien appliquer, » c’est une maxime de Vauban, et c’est exactement ce qu’a fait Louvois. Changez deux ou trois mots : au lieu des ordonnances pour les troupes, mettez les règles dans la fortification, vous aurez exactement ce que Vauban a fait. Sur la fin de sa vie, quelqu’un le pressait de rassembler dans une œuvre didactique ses préceptes sur la construction des places. « Voilà bien des fois que vous me prêchez là-dessus, répondit-il à demi fâché ; je crois avoir assez fait connoître que je ne voulois point écrire sur la fortification pour le public ; je n’ai rien de nouveau à donner, et pour ne dire que ce qui a été dit, il vaut mieux se taire. Après tout, voulez-vous que j’enseigne qu’une courtine est entre deux bastions, qu’un bastion est composé d’un angle, de deux faces, etc. ? Eh non ! ce n’est plus là mon fait[24]. »

Lorsque Vauban était entré au service, deux illustres ingénieurs, le chevalier de Ville et le comte de Pagan, achevaient leur carrière. Tous deux ont laissé des traités de fortification qui font époque dans l’histoire de l’art. Ce fut aux idées du comte de Pagan que Vauban s’attacha d’abord, non point parce que ce maître était le dernier venu, mais parce qu’il était réellement en progrès sur l’autre. L’originalité hâtive n’est pas toujours le signe de la vraie distinction d’esprit. Vauban commença par « paganiser[25] ; » mais s’il crut devoir suivre en général, dans ses premières œuvres, le tracé du comte de Pagan, ce fut en disciple intelligent, sans imitation servile. Le tracé à part, c’est dans le choix des sites et dans l’heureuse disposition des ouvrages que Vauban s’est montré d’abord original ; C’est là surtout qu’il a eu le génie du bon sens. Sur cent soixante places qu’il a faites ou refaites, il n’y en a pas dix qui soient parfaitement régulières ; pour toutes les autres, ce sont les accidens du sol, c’est la situation d’une ville déjà considérable, c’est le dessin d’une ancienne fortification, c’est l’obligation d’épargner la dépense, ce sont toute sorte de nécessités physiques et morales que Vauban a dû respecter et subir ; ce sont autant de problèmes qui ont exigé des solutions différentes, et pour chacun desquels il a imaginé la solution la meilleure, c’est-à-dire la plus simple et la plus accessible à toutes les intelligences. Ses projets sont clairs, bien ordonnés, bien expliqués ; dans ses mémoires, point de formules ni d’appareil scientifique : les seuls élémens de la géométrie suffisent à qui veut les comprendre. « J’ai souvent ouï dire à M. de Vauban, rapporte le disciple dont nous avons déjà cité le témoignage, que ce qui servit le plus à le rendre recommandable auprès de M. de Louvois et de MM. Colbert et de Seignelay dans le commerce continuel qu’il eut avec ces ministres au sujet de la fortification, ce fut de s’expliquer par des plans, des profils et des mémoires détaillés et raisonnés jusqu’aux plus petites choses. Cette manière de conférer, continuait-il, rendit en peu de temps M. de Louvois si habile dans la fortification qu’il y avoit peu d’ingénieurs qui en sussent autant que lui[26]. » Cette méthode avait encore un autre avantage, c’était de faire au plus juste l’estimation des dépenses et de prévenir d’autant la fraude. « J’ose vous promettre, écrivait Vauban à Louvois, au sujet d’un de ces mémoires estimatifs, j’ose vous promettre que je réduirai les travaux dans un si bon ordre et dans une si grande netteté qu’il sera très malaisé aux fripons d’y mettre la griffe mal à propos. »

Le chevalier de Clerville n’avait pas à beaucoup près la même préoccupation. Il était de ces contemporains du cardinal Mazarin pour qui l’emploi plus ou moins régulier des deniers royaux n’était pas une affaire de conscience. Quelque trente ans après, Vauban croyait devoir signaler à M. Le Peletier de Souzy, alors directeur-général des fortifications, certains travaux qui avaient été entrepris sans nécessité, disait-il, et seulement « parce qu’on vouloit faire quelque chose qui pût donner moyen de chasser le bouc. Si vous n’entendez pas la signification de ce terme, ajoutait-il, je vous dirai que le feu chevalier de Clerville m’a autrefois appris que c’étoit faire ses affaires adroitement par voie indirecte ; devinez le reste. » Et sur la lettre même de Vauban, M. Le Peletier écrivait de sa propre main la note suivante : « Je crois qu’il suffit d’avoir connu le chevalier de Clerville pour savoir ce que c’est que chasser le bouc. » M. de Clerville était-il au moins d’une grande habileté dans son art ? Quoique Colbert lui eût fait donner le titre de commissaire-général des fortifications, et qu’il eût une certaine renommée dans le public, son mérite était fort contestable. Un juge excellent a dit de lui : « Dans la rédaction des projets de fortification, Clerville parut au-dessous de l’emploi éminent qu’il occupait ; les progrès que l’art devait à Pagan lui étaient inconnus[27]. » En dépit de son titre, il manquait absolument d’autorité parmi les ingénieurs. L’un d’eux, Deshoulières, qui construisait en 1667 la citadelle de Tournai, écrivait à Louvois : « Le sieur de Clerville, à qui je n’ai pas dit un seul mot de la conduite que je voulois tenir, non plus que du temps et de la dépense, a remarqué plusieurs défauts à la citadelle ; les flancs lui en semblent trop grands, parce que ceux qu’il a faits à Marseille sont de trois toises, et que ceux-ci sont de vingt-deux. Il blâme en général toutes les citadelles, et n’étoit pas d’avis qu’on fît celle-ci ; la plus forte de ses raisons est : ville prise, château rendu, comme si ce proverbe avoit la vertu d’ouvrir les murailles et de bouleverser des remparts. »

Si le chevalier de Clerville s’expliquait de la sorte à Tournai, il était bien peu conséquent avec lui-même, car en ce temps-là précisément il s’ingéniait à Paris pour emporter l’honneur de construire la citadelle que Louis XIV voulait faire, afin d’assurer Lille, sa récente conquête, à la fois contre les attaques du dehors et contre les révoltes à l’intérieur. C’était le 28 août 1667 que d’espagnole Lille était devenue française, et dès le 7 septembre M. de Clerville, au témoignage du marquis de Bellefonds, commandant en Flandre, avait fait tant de plans et de projets que l’on ne pouvait être embarrassé que du choix.

En se faisant appuyer par le marquis de Bellefonds, le chevalier de Clerville ne se doutait pas qu’il se ruinait auprès de Louvois. Dans ses rapports avec le jeune secrétaire d’état, le marquis de Bellefonds avait pris un ton d’ironie hautaine et d’impertinente déférence qui était on ne peut pas plus blessant ; à quoi il faut ajouter que n’étant ni duc ni maréchal de France, il s’obstinait à lui écrire monsieur, et non pas monseigneur.

Le 23 septembre, Louvois mandait à M. Charuel, intendant de Flandre : « Je me suis résolu de me rendre à Péronne jeudi prochain pour y conférer avec vous et avec M. Talon ; intendant d’Oudenarde, et parce que le griffonnement de la citadelle que le chevalier de Clerville propose de bâtir à Lille déplaît tout à fait à tous ceux auxquels le roi m’a commandé de le faire voir, je voudrois que le chevalier de Clerville vînt aussi avec vous, afin que lui faisant entendre les inconvéniens que tous les connoisseurs trouvent à ce qu’il propose, il puisse en moins de temps refaire un autre projet. Je voudrois aussi que vous menassiez le sieur de Vauban, parce que je serois bien aise de l’entretenir sur plusieurs choses qui regardent sa profession. » Il écrivait plus explicitement à Vauban lui-même : « Il est bon que vous vous trouviez au rendez-vous que je donne à MM. Charuel et Talon et à M. le chevalier de Clerville, et là nous nous entretiendrons de tout ce que vous avez à me dire. Cependant, en passant à Lille, je vous prie de voir M. de Bellefonds pour conférer avec lui sur la construction de la citadelle, que sa majesté se propose d’y faire et sur ce que je lui en mande ; instruisez-vous-en autant que vous le pourrez pendant le peu de temps que vous aurez, et lorsque nous serons à notre rendez-vous, nous en discuterons ensemble avec ledit sieur de Clerville. »

Le 27 septembre, M. de Bellefonds prenait sur lui de répondre aux objections de Louvois contre un projet qu’il avait fait sien en quelque sorte ; mais il y répondait, suivant son habitude, avec un air de raillerie et comme à des objections ridicules. « Il seroit sans doute à souhaiter, disait-il, que cette citadelle pût être sur une montagne, et que la situation fût faite à plaisir ; lorsqu’il ne s’en rencontre pas, il est difficile d’en faire. » Le marquis de Bellefonds n’avait que le titre et l’autorité d’un commandant ; il aurait voulu le titre et l’autorité d’un gouverneur, et pour y atteindre il n’imaginait rien de mieux que d’exagérer les dégoûts d’un emploi très inférieur à son mérite ; Le gouvernement ne vint pas ; mais il eut bientôt le plaisir d’apprendre que le marquis d’Humières était nommé pour le relever de ses insipides fonctions.

En même temps qu’il se voyait privé de son principal auxiliaire, le chevalier de Clerville avait eu le malheur de manquer au rendezvous assigné par Louvois ; l’avertissement lui était arrivé trop tard. Dans la lettre d’excuse qu’il s’empressa d’adresser au-secrétaire d’état, il essaya de défendre son projet de citadelle : « Je prendrai humblement la liberté de vous dire, écrivait-il comme en passant, que M. de Turenne, à qui M. de Bellefonds m’a conseillé de donner part de ce projet, l’a fort approuvé. » Quoique Louvois ne fût pas encore en lutte ouverte avec Turenne, il est certain qu’il subissait impatiemment l’empire exercé par le maréchal-général dans toutes les parties de l’administration militaire, et c’était être bien malavisé que de prétendre lui imposer l’opinion de Turenne après lui avoir opposé celle du marquis de Bellefonds. Aussi n’est-il pas étonnant que Louvois ait écrit à Charuel : « Vous pouvez laisser discourir M. le chevalier de Clerville sur tout ce qu’il estime à faire dans les places. Comme il parle fort bien et qu’il y prend plaisir, vous pouvez le laisser dire ; mais ne faites jamais rien de tout ce qu’il dira que vous n’en ayez ordre d’ici, ou que M. d’Humières ne le désire absolument. »

À Péronne, Vauban, qui s’était fort heureusement trouvé au rendez-vous, avait reçu les instructions de Louvois. Il était chargé de faire, en son propre nom, le projet d’une citadelle et d’un réduit dans quelqu’un des bastions opposés, afin de tenir en sûreté les troupes contre les entreprises des bourgeois, et de mettre au besoin ceux-ci entre deux feux. Cependant le marquis d’Humières, qui avait l’esprit conciliant, s’était proposé de réunir dans une conférence le chevalier de Clerville et Vauban. Il concédait au chevalier le mérite d’avoir bien choisi son terrain, à quoi Vauban ne contredisait pas, sauf réserve ; mais en revanche le chevalier de Clerville était presque forcé de reconnaître que Vauban, qui donnait cinq bastions à la citadelle, était mieux inspiré que lui, qui la réduisait à quatre. « J’espère, écrivait Vauban à Louvois, vous faire voir tant d’avantages en mon projet, bien différent du sien, que j’ose me promettre que vous l’approuverez. Je lui en voulois faire un secret, parce qu’il se l’appliquera ; mais M. d’Humières, que j’ai mené sur les lieux, ne l’a pas plus tôt vu qu’il le lui a dit. Je ferai pourtant bande à part, et vous aurez mes sentimens tels qu’il plaira à Dieu me les inspirer, sans mélange. » Et comme il avait grand besoin de temps pour travailler à ses plans et mémoires, il était obligé de demander à Louvois un ordre exprès, afin d’être exempté des gardes ordinaires qui lui prenaient, comme à tous les officiers d’infanterie, un jour sur trois.

Quant à M. de Clerville, c’était seulement la faveur d’un entretien qu’il sollicitait de Louvois ; mais de quel style ! Molière seul pouvait imaginer le pareil :

« En suite de ce que M. Charuel m’a expliqué de votre part, et en exécution du conseil que vous avez eu agréable de me faire donner par lui sur la réformation du quarré, dont j’avois accordé le projet aux instances de M. de Bellefonds, en une place de cinq bastions, j’ai vu avec assez de soin tout ce qui étoit à faire pour profiter de vos avis ; et après avoir bien considéré le terrain sur lequel j’avois dès le commencement jeté les yeux, j’ai trouvé qu’on y pouvoit, du moins à peu de chose près aussi heureusement, pratiquer un pentagone que le quarré que j’y avois projeté. Toutefois, comme toutes les choses du monde sont problématiques, et qu’il n’est guère de sujets sur lesquels on ne trouve des raisons pour et contre, je voudrois bien qu’avant de décider sur un fait de si grande importance, vous m’eussiez fait la grâce de me permettre d’en aller conférer avec vous, et de prendre de vous quelques éclaircissemens qui sont absolument nécessaires pour la conclusion de mon dessein. Il est vrai qu’il ne s’est guère ici trouvé de gens qui, sans vanité, ne l’aient loué et qui n’aient estimé l’assiette que j’avois ici choisie pour l’établissement d’une citadelle ; mais, comme je me défie assez de moi-même, je désirerois fort avoir le bien d’en consulter avec vous et avec les sages de ma connoissance, avant que d’y embarquer le roi, et même avant que de lui en faire des ouvertures tout à fait déterminées. Aussi bien vous donnerai-je lieu de résoudre et de faire résoudre plus de choses en un moment de conversation que je pourrai avoir avec vous, si vous l’avez pour agréable, que je ne saurois faire par le concert de plusieurs écritures et de plusieurs allégations… »


Le comble de l’art, c’est que, dans cette lettre tout inspirée par la jalousie, il n’est pas plus question de Vauban que s’il n’eût pas été au monde. En voici une autre, de quatre jours plus récente, où il figure d’abord en personne et sous son nom, et puis, comme si cet effort eût épuisé M. de Clerville, c’est seulement par allusion qu’il est indiqué à la fin. Le chevalier commence par annoncer à Louvois qu’il s’est avancé jusqu’à Douai afin d’être plus rapproché de lui.


« Cependant, poursuit-il, j’ai fait tout ce qui, selon mon sens, me pouvoit arrêter à Lille, c’est-à-dire qu’après avoir fait le calcul des dépenses auxquelles pouvoit monter la place de cinq bastions de terre gazonnée proposée au lieu du quarré que j’avois ci-devant imaginé, j’ai fait planter, en ma présence, des piquets sur tous les angles de ladite place proposée, et je les ai fait reconnoitre au sieur de Vauban, en telle sorte qu’il m’a dit que non-seulement il entendoit bien ma pensée, mais aussi qu’il feroit marquer par des traces plus reconnoissables ce que je n’ai fait qu’ébaucher en gros, pour voir si le pentagone en question, étant mis sur la terre, reviendroit bien au plan que je vous ai envoyé, ce que j’ai trouvé qu’il faisoit sans qu’il y eût plus de six ou sept toises de différence. Mais avec tout cela, comme cette affaire est d’une aussi grande difficulté que d’une grande conséquence, j’y ai encore quelques scrupules assez considérables dans lesquels je ne puis être illuminé que par le roi, que par vous, et que, comme je vous ai déjà dit, par les sages du concile. J’ai, à votre considération, communiqué et même soumis (pour ne rien omettre de ce que je devois à ce qui m’a été représenté de votre part) toutes les pensées que j’avois ci-devant eues sur les ouvrages de Lille à une personne à qui ce m’est, sans vanité, quelque petit avantage d’avoir autrefois inspiré celles que vous y avez honorées de votre estime, et si, vous verrez bien que je n’aurai peut-être pas été correspondu en cela par une même franchise, s’il est vrai que, comme on me l’a dit en partant, elle vous doit bientôt envoyer des plans et mémoires contraires à quelques petits projets de réduits qu’on m’a prématurément tirés des mains, aussi bien que celui de la citadelle proposée. Mais, comme je vous ai bien voulu faire un sacrifice de complaisance et de respect dans toute la conduite que j’ai tenue avec cette personne et dans toute cette affaire, j’espère que vous reconnoîtrez par là que, quoi que des gens malintentionnés vous aient pu dire, je suis incapable de manquer à la soumission avec laquelle je suis, etc.[28]. »


Vauban écrivait bien plus simplement à Louvois : « Le chevalier de Clerville fit, avant de partir, moi présent, planter une douzaine de piquets à l’aventure seulement, pour dire qu’il avoit tracé la citadelle ; mais la vérité est qu’il n’y en a pas un qui puisse servir. »

Enfin le 28 octobre 1667 Vauban put envoyer à Louvois, qui les attendait avec impatience, les dessins et mémoires de la citadelle de Lille[29]. C’était un de ses aides les plus intelligens et les plus dévoués, le chevalier de Montgivraut, qui était chargé de les présenter au secrétaire d’état, et de lui fournir au besoin les explications qu’il estimerait nécessaires. Tandis que Vauban, tout à ses devoirs, s’en allait, en attendant le jugement du litige, surveiller et presser dès travaux commencés à Courtrai, un troisième ingénieur, venu de Tournai avec une mission de Turenne, arrivait à Lille afin d’étudier le terrain et de faire, lui aussi, son projet de citadelle[30].

Cependant, le 13 novembre, au sortir d’un conseil où Clerville avait soutenu lui-même ses idées devant Louis XIV, Louvois. s’empressait d’écrire à Vauban : « Le roi a résolu de faire travailler, sans aucune perte de temps, à la citadelle de Lille, dans le même lieu que vous avez marqué sur votre plan. » Et ce n’était pas seulement à Lille que Vauban triomphait ; Louvois lui donnait la direction des travaux dans toutes les places conquises qui étaient de son département. « Le roi, ajoutait-il, vous a accordé, à commencer du 1er de ce mois, 500 livres par mois, et à deux hommes qui travailleront sous vous chacun 200 livres, et du fourrage pour vos chevaux dans toutes les places où vous serez obligé d’aller pour vous acquitter de vos emplois. J’écris à M. Charuel d’exécuter en cela l’intention de sa majesté, et en mon particulier j’aurai soin de retirer tous les mois, du premier valet de chambre, la pension de 2,400 livres par an que le roi vous donne. »

Quelques points de détail avaient été réservés par Louis XIV : c’était pour M. de Clerville une dernière et misérable chance à laquelle il se rattachait en désespéré. De son côté, l’ingénieur de Tournai avait envoyé à la cour un mémoire où le projet de Vauban était l’objet de remarques désobligeantes. Rien n’y fit. « Sa majesté désire que le plan du sieur de Vauban s’exécute de point en point, écrivait le 20 novembre Louvois à Charuel ; mettez-lui bien dans l’esprit qu’il faut que cet ouvrage soit son chef-d’œuvre, et que, comme l’on se confie à lui de cet ouvrage, que l’on ôte pour cet effet aux gens qui étoient en possession de les faire faire partout, je veux dire au chevalier de Clerville, le moindre manquement qui y arrivera ne manquerait pas d’être bien relevé ici, et de confirmer les gens, qui ne veulent pas que Vauban travaille, à croire ou à persuader aux autres qu’il n’entend que les sièges. »

M. de Clerville ne se tint pas encore pour absolument battu : il s’entêta, il chicana, il proposa un changement de situation. L’ingénieur de Tournai fit de même et rédigea un nouveau mémoire. Tout cela fut renvoyé au marquis d’Humières et remis à sa discrétion, autant dire à celle de Vauban, car il y avait entre eux une entente parfaite. M. d’Humières ne fut pas en peine de répondre que toute la chicane du chevalier de Clerville se réduisait à une différence à peine sensible sur le terrain. « Pour ce qui est des raisons de l’ingénieur de Tournai, ajoutait-il, elles ne valent pas la peine d’y répondre. Il a été ici huit jours, et je ne l’ai pas voulu écouter depuis qu’il me proposa de raser les trois plus beaux bastions de la ville pour mal placer la citadelle. » Cependant Vauban ne laissait pas 4’être inquiet : l’obstination du chevalier de Clerville, qui se rejetait de Louvois sur le marquis d’Humières, lui faisait redouter quelque intrigue souterraine et, même après le dénoûment, quelque épilogue désagréable. « Cela l’embrouille et l’embarrasse, mandait Charuel à Louvois, dans l’opinion que, les pensées du chevalier de Clerville ne vous étant pas inconnues, la cour peut être en doute de la situation de la citadelle. » Louvois commençait à s’irriter d’avoir toujours à revenir sur une affaire faite. « J’écris à M. le marquis d’Humières pour la dernière fois, disait-il à Charuel le 14 décembre ; je lui mande que l’intention de sa majesté est qu’il décide lui-même sur les deux dessins du sieur de Vauban et du chevalier de Clerville, et que le roi croira que le parti qu’il aura pris sera le meilleur. » C’en était fait : les dernières réserves du chevalier de Clerville étaient en pleine déroute, et Vauban, décidément vainqueur, pouvait écrire à Louvois le 28 décembre : « Enfin, monseigneur, la citadelle de Lille est tracée !… Il y a aujourd’hui environ quatre cents hommes sur le travail, et, Dieu aidant, j’espère, dans huit jours, voir toute ma contrescarpe enveloppée de monde. »

Que Louvois ait découvert, sous de faux dehors, la médiocrité du chevalier de Clerville, c’est un mérite ; mais ce qui lui fait le plus d’honneur, c’est d’avoir deviné le génie de Vauban. Le réformateur de l’armée, pour accomplir son œuvre, attendait le réformateur de la fortification ; il l’a reconnu entre tous, et tout de suite lui a fait sa place. Nécessaires l’un à l’autre, ces deux hommes se sont associés pour le plus grand bien de Louis XIV et de la France, et cependant combien n’étaient-ils pas dissemblables ! Si l’on nous demande quel est celui des deux qui a le plus apporté dans ce commerce, nous dirons sans hésiter : c’est Vauban, et c’est Louvois qui en a profité davantage.


Des premières années de Vauban à peine reste-t-il quelques témoignages et quelques traits épars de sa physionomie ; mais ce sont les traits vraiment essentiels et frappans. Dans les pages qu’on vient de lire, tout Vauban se révèle, et ses divers mérites y sont reconnaissables : la vivacité d’esprit, la justesse de sens, la délicatesse d’âme, et surtout ce profond sentiment d’humanité qui a fait de lui parmi ses grands contemporains le plus grand peut-être, parce qu’il a donné la meilleure idée de l’homme.


CAMILLE ROUSSET.

  1. Le Dépôt de la guerre renferme tout un ensemble de précieux documens qui éclairent d’un jour nouveau l’histoire du règne de Louis XIV. On y remarque surtout les nombreux papiers relatifs à Vauban, et M. le maréchal Randon a été justement frappé de l’intérêt qu’il y aurait pour la science historique à écrire une Vie de Vauban d’après ces sources inédites. Dans l’étude qu’on va lire, on a essayé de répondre à cette pensée en retraçant une des périodes les moins connues de la vie de Vauban, sa jeunesse et ses premières épreuves.
  2. Explication de la carte géologique de la France, par MM. Dufrénoy et Élie de Beaumont, t. Ier, p. 112, et t. II, p. 279.
  3. Description géographique de l’élection de Vezelay, avec un dénombrement des peuples, fonds de terre, bois et bestiaux, fait au mois de janvier 1696. M. le colonel du génie Augoyat, un parfait érudit dans l’histoire de la fortification, a publié cet opuscule, en 1843, dans le recueil des Oisivetés de Vauban.
  4. La Bourgogne et le Nivernais se disputent Vauban ; rien de plus naturel que cette revendication d’un grand homme. Parmi les sept villes qui se sont disputé Homère, il y en a qui ne se sont illustrées que par là. La Bourgogne et le Nivernais sont illustres à bien d’autres titres, le Morvan l’est assurément beaucoup moins ; donnons-lui Vauban, exclusivement à lui : c’est son droit, selon nous incontestable, et ce sera sa gloire.
  5. L’acte de baptême de Vauban donne à son père le nom d’Albin, et à sa mère ceux d’Edmée Corminolt. Les généalogies portent Urbain Le Prestre et dame Aimée de Carmignolles.
  6. Saint-Léger-de-Foucheret faisait partie du bailliage de Saulieu et dépendait du diocèse d’Autun. C’est aujourd’hui une commune du canton de Quarré-les-Tombes, arrondissement d’Avallon, département de l’Yonne.
  7. Il faut remarquer, à la décharge de la branche aînée, que son oncle Paul Le Prestre était mort en 1635, et que la veuve de cet oncle était entrée, par un second mariage, dans une famille étrangère. Les fils de Paul Le Prestre étaient, quand Vauban devint orphelin, des enfans beaucoup trop jeunes pour qu’on puisse leur reprocher l’abandon de leur cousin.
  8. Ce sont les propres expressions de Vauban. — Abrégé des services du maréchal de Vauban, écrit de sa main le 16 mars 1705, publié, en 1839 par le colonel Augoyat.
  9. Voici une anecdote, racontée dans une lettre du comte de Tessé au duc du Maine, qui explique par le fait ce que veut dire attacher le mineur. Il s’agit dans cette lettre d’un mineur italien nommé Bambini. « Je sais, écrit M. de Tessé, qu’à Nice et à Montmélian on fut très content de lui, et je ne puis douter que ce ne soit un des hommes, non-seulement de France, mais peut-être de l’Europe entière, qui connoisse le mieux l’effet de la poudre et le travail des mines. Au surplus, c’est un petit pantalon vénitien qui n’est jamais pressé, un franc original qui va à son fait tranquillement, avec précaution, sans ostentation, et comme une taupe. Il lui arriva qu’au siège de Nice, Lapara lui montrant du doigt le lieu où il devoit se loger, et auquel il falloit passer pour arriver d’assez loin et a découvert, Bambini lui dit, dans le petit jargon qu’il s’est fait assez singulier, qu’il avoit vu d’autres fois que l’ingénieur marquoit lui-même avec la craie le lieu auquel le mineur devoit s’attacher. Lapara lui répondit chaudement : « Qu’à cela ne tienne, » et, passant à découvert au lieu auquel il lui avoit marqué du doigt qu’il falloit se loger, le marqua avec la craie. Bambini le suivit froidement et lui dit, quand le lieu fut marqué avec la craie : « Monsieur, voilà toute la cérémonie ; cependant vous êtes un téméraire, » et il se logea. Cette réponse fut trouvée plaisante. » Il faut ajouter, pour être tout à fait explicite, que le mineur se loge d’abord sous un abri formé par quelques madriers, jusqu’à ce qu’il ait percé son trou dans le mur ou revêtement d’un ouvrage occupé par les assiégés, lesquels ont le plus grand intérêt à lui rendre le logement aussi désagréable que possible, « de sorte, a dit Vauban, que la condition d’un mineur est extrêmement dangereuse et recherchée de peu de gens, et ce n’est pas sans raison qu’on dit ce métier être le plus périlleux de la guerre. »
  10. Mémoire pour servir d’instruction dans la conduite des sièges.
  11. Mémoire pour servir d’instruction dans la conduite des sièges.
  12. Mémoire pour servir d’instruction dans la conduite des sièges.
  13. Expression de Vauban dans le mémoire indiqué.
  14. Mémoire déjà cité.
  15. Abrégé des services.
  16. Il lui arriva, dans les derniers mois de cette année, une petite mésaventure : tandis qu’il visitait, par ordre de Turenne, les travaux d’Oudenarde, un parti espagnol le fit prisonnier ; mais sa captivité ne fut pas longue. Relâché d’abord sur parole, Vauban ne tarda pas à être régulièrement échangé.
  17. Mémoire concernant la jonction de la Meuse et de la Moselle, fait à Dunkerque le 8 juin 1679.
  18. Paul Le Prestre, frère aîné du père de Vauban, avait épousé Urbaine de Roumiers, dont il eut deux fils ; deux ans après sa mort, arrivée en 1635, sa veuve se remaria avec Claude d’Aunay, baron d’Épiry, et c’est de ce second mariage qu’elle eut une fille nommée Jeanne, qui épousa Vauban.
  19. Estats et Controolles des troupes du roy, des lieux de leurs garnisons et endroicts où elles se trouvent,… avec des observations sur les officiers d’infanterie. — Bibliothèque impériale, Mss. 9350 (89).
  20. On sait que les quatre secrétaires d’état se partageaient l’administration des provinces L’Alsace étant du département de Colbert, c’était de Colbert que dépendaient tous les travaux de fortification en Alsace.
  21. Vauban en a parlé deux fois, dans l’Abrégé des services et dans le Mémoire pour servir d’instruction dans la conduite des sièges.
  22. Pensées diverses sur différens sujets.
  23. Mémoires sur la Fortification, par M. Thomassin, ingénieur ordinaire du roi, t. Ier, p. 191. Manuscrit du dépôt des fortifications. — Thomassin avait été pendant plusieurs années l’un des dessinateurs de Vauban.
  24. Thomassin, Mémoires, t. Ier. p. 12.
  25. Le mot est de Vauban.
  26. Thomassin, t. Ier, p. 119.
  27. Aperçu historique sur les fortifications, les ingénieurs, et sur le corps du génie en France, par le colonel Augoyat, 2e édition, t. Ier, p. 71.
  28. Ces deux lettres, datées du 19 et du 23 octobre 1607, se trouvent dans le tome 209 des vieilles archives du Dépôt de la guerre.
  29. Vauban à Louvois, 28 octobre 1667 : » Je suis long, mais Je suis seul, et je voulois vous parler juste ; aussi crois-je n’y avoir pas mal réussi, puisque pour ce qui regarde les mesures et les observations, je ne m’en suis fié à personne qu’à moi, et à l’égard de l’estimation de la dépense, je n’ai rien fait que sur le rapport des ouvriers et des gens qui ont manié les travaux, de la ville. »
  30. Il s’appelait Terry ; c’était un architecte de Tournai qui travaillait sous Deshoulières.