La Jolie Parfumeuse
ROSE MICHON | Mmes | Théo. |
BAVOLET (travesti) | Laurence Grivot. | |
CLORINDE | Fonti. | |
LA JULIENNE | Pauline Lyon. | |
ARTHÉMISE | Castello. | |
MADELON | Jane Eyre. | |
JUSTINE | Guiotti. | |
LISE | Godin. | |
MIRETTE | E. Alboudy. | |
POIROT | MM. | Bonnet. |
LA COCARDIÈRE | Daubray. | |
GERMAIN. | Troy. | |
Premier Garçon | Cosmes. | |
Deuxième Garçon | P. Albert. |
Gaillard, Allard, Hardon, Derain.
Quatre femmes de chambre.
Mmes Anna, E. Nœll, Jouvenceau, Mangin.
Deux demoiselles d’honneur.
ACTE PREMIER
Le jardin-bal. — Au fond, à gauche, l’estrade des musiciens. — À droite, le cabaret avec un balcon praticable. — Enseigne : Noces et Festins, Salon de 100 Couverts. — Au dessus, une horloge. — Au fond, des bosquets et l’entrée du dehors.
Scène PREMIÈRE
(Au lever du rideau la scène n’est garnie que de garçons qui vont et viennent. — On entend un chœur dans le cabaret.)
- C’est la noce ! c’est la noce,
- La noce de Rose Michon.
- On n’y vient pas en carrosse,
- Mais on y rit pour tout de bon.
- A la noce, à la noce,
- POIROT, dans le cabaret. La noce de Rose Michon.
À la santé de la mariée !
À la santé de la mariée !
(Bravos et cliquetis de verres.)
S’en donnent-ils là dedans ! Voilà plus de soixante fois qu’ils y boivent, à la santé de la mariée !
Faut être juste… Ils ne peuvent cependant pas boire à la tienne.
À la re-santé de la mariée !…
En v’là un qu’a le gosier sec… le loustic !
M. Poirot ! Leur en fait-il des bonnes farces ! Tout à l’heure, s’était-il pas déguisé en… Tiens… du beau monde qui nous arrive I… Par ici, mes dames, par ici. (Entrée de Clorinde, d’Arthémise et de Madelon.) Ces dames veulent se rafraîchir ?
Oui… donnez-nous ce que vous voudrez… de la limonade !
De la limonade, voilà ! voilà ! (On sort.)
Eh bien, Clorinde, maintenant que nous sommes aux Porcherons, tu vas nous dire pourquoi…
Mais qu’y a-t-il donc d’extraordinaire dans cette promenade ?
- Je vous amène aux Porcherons,
- La chose ne peut vous surprendre,
- C’est le refuge des tendrons.
- Je vous amène aux Percherons,
- Vous ne craignez pas les lurons
- Et vous avez le cœur très-tendre…
- Je vous amène aux Percherons,
- La chose ne peut vous surprendre.
- Pas de danger qu’aux Percherons
- Le corps de ballet s’encanaille.
- Des gens que nous rencontrerons,
- Pas de danger aux Percherons,
- Le commis fait danser en ronds
- L’humble grisette qui travaille…
- Pas de danger qu’aux Percherons
- Le corps de ballet s’encanaille.
Tout cela ne nous explique pas…
Cette bonne Clorinde, elle a tellement l’habitude de… dorer la vérité à ses amis, que même avec nous…
Messieurs… à la re-re-resanté de la mariée !
À la re-re-resanté de la mariée !
Oui… c’est vrai (Elle regarde par la porte.)
Ah ! mais… regardez donc, mesdames, on dirait que la mariée est jolie.
Mais je la reconnais… c’est ma petite parfumeuse de la rue Tiquetonne.
Rose Michon ?
Oui, celle qui ressemble à la Bruscambille.
La Bruscambille ?… La nouvelle danseuse qui nous arrive de Toulouse ?
Justement… espérons que celle-ci est plus naïve, et moins Toulousaine.
Oh ! oh ! mais ça à l’air d’être une noce cossue… j’y reconnais Poirot, le suisse de l’hôtel Saint-Florentin.
Et je ne me trompe pas, le monsieur qui est à sa droite, c’est lui… La Cocardière…
J’en étais sûre ! (Haut.) Comment… La Cocardière, est avec ces gens !
Allons, je devine… c’est lui que tu viens voir… pourquoi ne pas le dire tout de suite ?
Mais non… je vous jure, c’est le simple hasard qui…
Ne vous dérangez pas, je vais y aller… il faut savoir parler aux garçons.
Eh ! le voici qui vient… c’est encore simple hasard ?…
Cette fois, oui…
Allons, nous allons assister à une scène de famille.
Scène II
Holà ! Germain ! Baptiste ! holà ! sabre de fer ou de bois… viendra-t-on, quand La Cocardière appelle ?
On vient, monsieur La Cocardière.
Clorinde !… Pincé !
Vous êtes donc de noce, monsieur La Cocardière ?
Oui, non… c’est-à-dire…
Et cette fluxion !… cette abominable fluxion qui vous a empêché de dîner avec moi ce soir est donc passée ?… mais oui, voyez donc mesdames… il n’y en a plus trace… il n’y a plus de fluxion.
Il n’y a plus de fluxion.
Oh ! si… mais je me force… parce que… je vais t’expliquer.
C’est ça, expliquez-vous.
J’avais oublié absolument ce matin que mon filleul… tu sais bien, mon filleul Bavolet…
Le petit clerc de procureur que vous avez chassé une fois de chez vous parce qu’il vous demandait un écu.
Oui… c’est vrai… dans ce temps-là, il me déplaisait… mais depuis, je… me suis réconcilié avec sa nature… Je m’étais trompé sur sa nature, et, quand il est venu me dire qu’il se mariait, la voix du sang… tu ne connais peut-être pas ça, la voix du sang ?
La voix du sang d’un parrain !
Non… je suis bête… la voix du cœur… Enfin, j’ai donné de quoi l’établir, et alors, naturellement, il m’a invité à sa noce… Mais je m’y ennuie, oh ! je m’y ennuie !
Et vous avez donné beaucoup… pour l’établir ?
À la mariée !…
À la mariée et au marié. Tu la connais, la mariée ?
Non et vous ?
Moi, je la connais, certainement, puisque c’est moi qui dote… Elle n’est pas jolie.
Vraiment ? — Je croyais qu’on l’appelait la jolie parfumeuse…
Oui, dans la rue Tiquetonne, pas ailleurs… Une figure chiffonnée… Je n’aime pas ça… et puis c’est trop jeune… tu sais, moi, les femmes qui n’ont pas vécu…
Merci !
Non ! je voulais dire…
Inutile, votre mot me rassure… Eh bien ! prenez votre chapeau et votre canne… et venez.
Hein ?…
Que quoi ?
J’ai promis d’ouvrir le bal… avec la… avec les grands parents… un sacrifice de plus… çà m’assomme… mais une fois qu’on est dans la voie des… devoirs… Connais-tu ça, toi, la voie des devoirs ?
Oui, oui j’ai connu ça quand j’étais toute petite. Soit, ouvrez le bal… je viendrai vous reprendre.
Dans combien de temps ?
Dans une heure !
Dans une heure… inutile de te déranger alors je serai parti… sitôt ma gavotte accomplie… je m’éclipse… à cause de ma fluxion, qui me refait un mal…
(Il se regonfle la joue.)
Sur l’autre joue ?
C’est parce que je me force.
C’est une fluxion qui se promène ?
Elle ne se promène pas positivement… Elle voyage… C’est le sang.
Eh bien, soit, monsieur… je ne viendrai par vous reprendre… Vous voyez que je fais tout ce que vous voulez.
Tu es un ange ! et il y a longtemps que je l’ai dit, Clorinde, c’est un ange !
(Bruit dans la coulisse.)
Voici la noce qui sort de table… (bruit.) Alors, au revoir, monsieur La Cocardière.
À demain ! (A part) Ouf !
Allons, décidément… il se moque de moi !
J’en ai peur.
Heureusement qu’il est assez riche pour se payer toutes les fantaisies, même celle-là ! Mais il la payera cher.
(La Cocardière prend la main de Clorinde et la reconduit. Sortie des femmes.)
Ouf ! J’ai cru qu’elle avait tout deviné. C’est que ces danseuses ont un nez !… L’habitude !… Eh bien ! oui… J’en suis fou de cette petite Rose Michon !… M. de Richelieu a bien eu sa miroitière… Ventre-Mahon ! Un La Cocardière, sans déroger, peut bien courre une parfumeuse !…
(La noce sort du cabaret. Chaque invité tient un verre de champagne plein, à la main.)Scène III
- C’est la noce ! c’est la noce,
- La noce de Rose Michon.
- On n’y vient pas en carrosse
- Mais on y rit pour tout d’bon.
- A la noce, à la noce,
- La noce de Rose Miction.
- Halte ! Fixe ! Immobile !
- Attention ! Attention !
- Ça n’est pas un feu d’file.
- C’est un feu de p’loton.
- Portez verr’s ! Attention, morbleu !
- Un ! deux ! trois ! feu !
(Tout le monde boit.)
- A la santé d’la joli’parfumeuse !
- A la santé des amours et des ris !
- A la santé d’la joli’parfumeuse !
- A la santé des amours et des ris !
- Merci, merci, mes bons amis !
- Merci, merci, mes bons amis !
- Nous sommes tous deux attendris.
- Nous sommes tous deux attendris.
- Allons p’tit’femme ! En quéqu’mots bien sentis
- ROSE.
Dit’s-leur combien leurs vœux vous rend’heureuse.
- Je n’demande’rais pas mieux
- Que d’répondre à leurs vœux,
- Mais les discours… ça n’est pas mon affaire.
- Elle a raison ! La chose est claire !
- Quand on est vertueus’, ça suffit !
- Y’a ps besoin d’avoir d’esprit !
- Tiens ! le malin, là ! qu’est-c’qu’il dit ?
- Il a raison !
- Il a raison ! il a raison !
- Il a raison ?
- Et moi, j’dis qu’non.
- Ecoutez plutôt ma chanson !
- Ecoutons sa chanson
- Y’a des gens qui s’imagin’bien
- Que la vertu ça crétinise.
- Et qu’un’jeun’fil’qu’a du maintien
- Doit être un’dind’pour la bêtise.
- Eh bien ces gens là, voyez-vous,
- Ils n’ont pas d’jugeott’dans la tête ;
- Car, pour êt’vertueuse entre nous,
- Il n’faut déjà pas êt’si bête,
- On est gentill’! Les fins matois
- Ne manquent pas sur votre route ;
- On rencontr’des loups dans les bois
- Qui vous dis’: « Eh ! petite ! écoute !
- « La soie irait bien à ton teint ! »
- Pour juger, dans sa comprenette,
- Que la toil’dur’plus que l’satin
- Il n’faut déjà pas êt’si bête.
- N’y a pas qu’l’or qu’attaqu’la vertu ;
- Un beau gas qéqu’fois vous attire,
- Il nous dit : « Allons-nous, veux-tu ?
- « C’est le printemps qui nous l’inspire »
- Mais il n’peut pas êt’votr’mari,
- Et l’écouter n’s’rait pas honnête,
- Pour répond’non, quand l’cœur dit oui,
- Il n’faut déjà pas êt’si bête ;
- Non ! pas si bête !
C’est très-bien, tout ça, mais est-ce qu’on ne va pas danser ?
La Julienne a raison ! il faut danser. (Riant.) C’est dans les lettres de faire part.
Oui… jusqu’à onze heures… C’est convenu.
Ah ! l’autre qui marque déjà l’heure du départ.
Où sont-ils donc ? Garçon…
Monsieur, on leur avait dit pour huit heures.
Oh ! vous, d’abord, toutes vos pendules retardent ; c’est un tic de la maison. (Tout le monde rit.)
Est-il pressé ! Voyons-donc… Tu as vingt ans et elle en a dix-huit. Vous avez joliment le temps d’être ensemble. Il y a des moments où on se doit à la société.
Alors, qu’on me laisse au moins embrasser ma femme.
(Il veut l’embrasser subrepticement. Tout le monde crie.)
C’est défendu… A-t-on jamais vu… Mais tu n’as donc pas plus de monde qu’une ablette !… (On les a séparés. — Ils remontent.)
Je vous ai compris… faut que nous ayons la jarretière.
Oh ! oui… la jarretière… de sa jolie petite jambe… J’avais déjà essayé, à table, de l’avoir.
Ah ! c’est vous que j’ai pris pour un… bouledogue et à qui j’ai… (Il fait signe d’allonger un coup de pied.)
Oui, mais ça ne fait rien… à la noce…
Je te bois ! (Huit heures sonnent.)
Eh bien ! mais, les voilà les huit heures, et les musiciens n’arrivent pas.
Oui, c’est vrai, huit heures cinq même, et comme nous n’avons que jusqu’à onze heures très-précises…
Vous avez compris (La Cocardière fait signe que oui. — Haut.) Eh bien, nous allons aller au-devant d’eux.
C’est ça… allez tous au-devant d’eux.
Et nous allons vous les ramener morts ou décédés (Il rit bêtement et tape sur le ventre de La Cocardière.) Venez, monsieur La Cocardière ; venez aussi, les hommes.
Oh ! pas moi, par exemple !
Non, toi, tu n’en es pas !
Merci !
En route ! (Bas à La Cocardière.) Nous allons en faire une bonne… cette fois… il faut que ça… éclate ou que ça crève. (Il lui retape sur le ventre.)
Il n’est pas fier.
Pendant ce temps, nous, nous préparerons tout pour le bal.
(Sortie des hommes. — Les femmes se mettent à table sous les bosquets, pendant que les garçons leur apportent des consommations.)
Scène IV
Enfin, ma petite femme, je t’ai donc seule un moment.
Oui, mais tu vas rester tranquille !
Ou sinon je m’en mêle, moi !
Oh ! vous, vous ne me faites pas peur !… Rose, n’est-ce pas que tu m’aimes ?
Et vous, monsieur.
Moi je t’adore.
Eh bien, puisque vous m’adorez… faudrait que je sois bien malhonnête pour ne pas en faire autant.
Hé ! là-bas ! (Les séparant.) Ah ! décidément je vais me fâcher… A-t-on idée d’une tenue pareille ?… des gens qui dans deux petites heures…
Deux petites heures… elles ne sont pas petites, celles là… allez.
Et qui n’ont pas une demi-heure de chemin à faire pour rentrer chez eux.
Une demi-heure ou trois heures !… ça… on n’a jamais pu savoir.
Nous y voilà.
Comment ?
Dam, ma chère Julienne, tu vois une mariée sans domicile, une femme qui ne sait pas encore à l’heure qu’il est où elle demeure.
Bah ! vraiment ?
Oui, c’est comme ça !
Une vagabonde, quoi ! on pourrait m’arrêter, car monsieur seul sait maintenant où j’habite.
Oui, et je ne le dirai qu’à onze heures !
Oui… une surprise.
Mais, au moins, demeurons-nous près du magasin ?
Je ne sais pas.
Pourrai-je mettre toutes mes fleurs à la fenêtre ?
Je ne sais pas ; c’est une surprise.
Ah ! le petit monstre !
- Ah ! tenez ! monsieur Bavolet !
- Si vous voulez que je vous l’dise,
- Quelle que soit votre surprise,
- Ell’n’me donn’ra pas c’qui m plaisait.
- Dans ma petite chambr’de demoiselle !
- Bah ! laissez donc !
- Vous trouverez aut’chos’dans la nouvelle,
- J’vous en répond !
- Oh ! que non !
- Oh ! que si.
- Oh ! que si. Oh ! que non !
- Ma ptit’chambre de demoiselle,
- Si vous saviez comme je l’aimais !
- Ah ! je ne croyais pas que d’elle.
- Vous me sépareriez jamais.
- Dam, pour moi, quoiqu’je n’sois pas prude
- Elle avait des inconvénients ;
- Ell’donnait en fac’de l’étude.
- Et tous les clercs voyaient dedans.
- Pourtant si de cette fenêtre
- On n’avait pas su faire emploi,
- Jamais m’sieur Bavolet peut-être
- Ne se serait épris de moi.
- Oui, c’est un matin, dans cett’chambre
- Que j’vis ce joli bras, oui dà,
- Passer un petit peigne d’ambre
- Dans les cheveux blonds que voilà.
- Et le soir encor, je suppose,
- Quand j’préparais mon petit lit
- Vous cherchiez à voir autre chose
(Bavolet fait un geste)
- Mauvais sujet, vous m’l’avez dit !
- J’n’avais pas mes yeux dans ma poche
- Mais je ne veux pas, mon amour,
- Que tous les clercs de la basoche,
- Où j’ai plongé, plong’à leur tour !
- Ma petit’chambre de demoiselle.
- Si vous saviez comme je l’aimais
- Ah ! je ne croyais pas que d’elle
- BAVOLET.
Vous me sépareriez jamais.
- Ta p’tit’chambre de demoiselle,
- Il fut un temps où je l’aimais.
- Mais aujourd’hui je m’méfi’d’elle
- Et nous n’y rentrerons jamais.
P’tit jaloux ! va !… alors c’est décidé, je ne saurai rien.
Rien, avant minuit, c’est une surprise. (Il va pour embrasser Rose, Julienne les sépare.) Ah ! mais, c’est une fonction ! (Ils s’envoient des baisers de loin).
Comme ça je le permets.
Ah ! c’est heureux !
(On entend un bruit de grosse caisse dans la coulisse.)
Ah ! enfin, voilà les musiciens. Place aux musiciens !
Place aux musiciens !
Scène V
Place aux musiciens ! Et place à l’illustre Verrouillaski au célèbre dessinateur polonais !
Oui… charmante filleule… par alliance… un dessinateur célèbre qui, de passage aux Porcherons, vient vous prier de lui laisser faire votre portrait en trois coups de crayon.
À moi ?
Oui… il collectionne des mariées ! c’est sa spécialité. Du reste… il le fait gratis prodeo… Par ici ! par ici ! (Entrée des musiciens du café des Aveugles avec leurs instruments.)
- Du café des Aveugl’artistes musiciens,
- C’est nous qui f’sons danser messieurs les Parisiens.
- Pour gagner son argent.
- Chacun d’nous souffle et beugle
- Beugle comme un aveugle
- Dedans son instrument,
- Du café des Aveugles. Etc.
(Ils prennent place sur l’estrade.)
(Entrée de Poirot déguisé grotesquement. Il tient une immense carton sous son bras. Il est suivi des invités.)
- Place au grand Verrouillaski,
- Au célèbre peintre qui
- Dans les bouchons s’est acquis
- Un renom des plus exquis.
- Place au grand Verrouillaski !
- Je peins, je crayonne et dessine.
- Je peins des tableaux, des portraits
- Je peins, et d’une main divine
- Une tête fine,
- Sévère ou badine,
- Et je le rends traits pour traits.
- Je peins ; ma brosse immortalise ;
- Je peins des têtes de héros,
- Je peins des minois de marquise.
- Ma palette exquise.
- Les idéalise
- Et mes clients sont tous beaux
- Des célébrités modernes,
- Moi, je brave le renom.
- Les cabarets, les tavernes
- Retentissent de mon nom.
- Si, par le bon goût conduite,
- Madame de Pompadour
- Avait connu mon mérite,
- Elle aurait lâché Latour !
- peins etc. etc. Je
- Il peint, etc. etc.
- M’sieu Boucher, à sa manière ;
- Vous fait des d’ssus d’portes.
- Moi, Je vous fais un’porte entière,
- Et plus vit’que lui, ma foi !
- Dir’que dans l’siècle où nous sommes
- On parle de mossieu Watteau !
- Tout ça, ça n’est pas des hommes,
- C’est des peintre qui n’boiv’que d’l’eau.
- Je peins, etc., etc.
- Je peins, etc, etc,
- Il peint, etc., etc.
LA COCARDIÈRE. Un peintre très-célèbre et connu dans tous les cabarets. Mais qu’est-ce que vous voulez ? les grandes dames ont la manie de ne pas venir visiter les cabarets.
Comment voulez-vous qu’on perce ? (Changeant sa voix.) Si maintenant, ma charmante, vous voulez bien me prêter votre figure pendant cinq minutes…
Certainement, monsieur le peintre… mais c’est bien de l’honneur que…
C’est vrai, c’est de l’honneur, mais je vous la fais tout de même.
Si vous voulez bien monter là-dessus.
Là-dessus… pourquoi faire ?
Minute ! qu’est-ce qu’on veut faire à ma femme ?
C’est pour qu’il vous voie mieux.
Oui, je travaille qu’en pied.
Mais je vais tomber.
N’ayez pas peur, je vous tiendrai.
Allons ! puisqu’il le faut. (Elle monte sur la table.) Là !
Gracieuse… c’est que je ne sais pas, moi.
Reste comme tu es, va, Rose, tu seras charmante !
Levez le bras droit comme ça. (Rose obéit.) Reculez la jambe gauche comme ça. (Faisant un geste à la Cocardière, bas.) A vous la jarretière !
Qu’elle est mignonne ! V’la un petit homme qui n’est pas à plaindre.
Rose renvoie vivement sa jambe en arrière et donne un coup de pied dans la tête de La Cocardière qui s’était déjà glissé sous la table pour enlever la jarretière.
Aïe !
Ah ! mon Dieu ! J’ai fait du mal à quelqu’un.
Non, c’est à l’arbre, derrière… ne vous inquiétez pas… Pointez un peu le pied droit. C’est ça… ne bougez plus maintenant, je commence.
Qu’elle est jolie comme ça !
La Cocardière est sorti de dessous la table et s’approche de la jambe de Rose, en passant derrière l’arbre.
Ah ! mon Dieu… monsieur le peintre !
Qu’est-ce qu’il y a ?
Ne bougez pas !
Oh ! si ! ça me chatouille trop !…
Ne bougez pas, que je vous dis !
Ah ! (Elle saute de la table et tombe dans les bras de Bavolet.)
Je l’ai ! Victoire !… j’ai la jarretière de la mariée !
Enfin, ça n’est pas sans peine ! (Il jette au vent son déguisement et saute de joie.) Tra deri, dera, deri dera.
Poirot… c’était Poirot !
Lui-même… Comment truffez-vous que je me truffe ?
On distribue aux hommes des morceaux de la jarretière qu’ils mettent à leur boutonnière.
Ah qu’il est drôle cet animal là.
Ah c’est une bonne farce.
Seulement, j’ai l’œil en compote… ça me fait une gifle et un coup de pied. (A part.) Mais quelle jambé ! c’est immense.
Bah ! il n’y a pas de roses sans épines et de jarretières sans ardillons (A Rose.) Sans compter, belle Rose, que j’avais commencé à vous dessiner et que ça venait… Regardez plutôt. (Il montre un nez énorme.)
Oh ! l’horreur !
Comment ? mais c’est son nez.
Non, c’est le tien.
Ah bien ! je me serai trompé. Ecoutez donc, pour un homme qui n’a été que dix-huit ans à l’école.
Allons, allons ! ne perdons pas de temps ! En place pour le rigodon !
En place !
Le rigodon ! Permettez, vous me mettez votre clarinette dans l’œil.
Pardon, monsieur, c’est que je n’y vois pas clair.
Vous êtes aveugle de naissance ?
Non, monsieur.
Par accident ?
Non, monsieur !
Allons ! allons ! ne perdons pas de temps ! En place et en avant la ronde !
- Histoire de la belle Jeanneton…
- Et du chevalier errant.
(On danse sur le refrain.)
- Un jour Jeann’ton, courant à travers bois,
- S’mit par mégarde une épin’dans le doigt.
- Un brave et jeune chevalier errant
- Passait par là dans ce moment
- Ohé ! Marjolaines !
- La brigue don, daine
- Mettez des mitaines
- Mettez des mitons
- La brigue don don !
- Qu’as-tu ? qu’as-tu, Jeanneton ? réponds-moi.
- J’ai z’une grosse épine dans le doigt.
- Avec ma lanc’, mon casque et mon armet
- Je vais te l’enlever tout dret.
- Bien obligé, brave et beau chevalier,
- BAVOLET.
Vraiment ne sais comment vous remercier.
- Bah ! cherche un peu, la belle Jeanneton,
- N’es-tu pas fille et moi garçon ?
- Ohé ! Marjolaines,
- etc…
- Donn’-moi, donn’-moi seul’ment un baiser,
- Ça suffira, vrai Dieu, pour me payer.
- La pauve Jeann’ton qu’avait le cœur content
- Lui en donna tout d’go deux ou trois cents.
- Puis il partit combattr’les Sarrazins.
- L’histoir’ne nous dit pas s’il en revint.
- il avait Mais chacun sait qu’a Jeann’ton
- En partant laissé son portrait !
- Ohé ! Marjolaines
- Etc
(Après la ronde, Bavolet s’esquive.)
Comment, c’est tout ? alors on ne sait pas la fin de l’histoire.
Mon Dieu ! ça a dû finir comme toutes les histoires. Ils se marièrent… Ils vécurent heureux…
Et ils eurent beaucoup d’enfants.
(On entend sonner un coup à l’horloge.)Hein ? déjà la demie de dix heures qui sonne. (Second coup.) Hein ? (Troisième coup.)
Trois demies ! Il est dix heures trois demies ! (Quatrième coup.) C’est la première fois… (Cinquième coup etc.) Oh ! regardez donc là haut. (Tout le monde regarde la pendule — Bavolet, monté sur le balcon, est en train d’avancer l’horloge.) Il avance la pendule !… Bavolet, ohé !
Bavolet !
Ce n’est pas du jeu. Veux-tu bien descendre tout de suite.
Écoutez, je vous jure qu’elle retarde.
Veux-tu descendre ou je monte ? A-t-on jamais vu ?… mais il a donc des fourmis dans la tète. (Il rit bêtement et tape sur le ventre de La Cocardière.)
Pauvre Bavolet ! (Bavolet est redescendu).
Écoutez ! le pauvre petit, il commence à me faire de la peine ; moi je lui sacrifie une demi-heure de gavotte.
Ma foi, moi aussi… d’autant plus que ma boucle s’est cassée. (Il montre sa culotte.)
Onze heures juste.
Et l’on s’en va !
Ah ! (Il embrasse la Julienne et va embrasser Poirot au cou duquel il saute.)
Mais t’en a-t-y, des fourmis.
Allons la mariée. (Rose a baissé les yeux depuis quelques instants.) Allons passer votre mante ! Allez vous préparer, les gens de la noce. (Sortie de tous les invités.)
Mon parrain… restez… j’ai à vous parler.
À moi ?
Oui… (A Poirot.) Tu peux rester…
Je t’assure que moi, je n’étais pas pressée.
C’est bien, mademoiselle, c’est bien : nous causerons de ça la semaine prochaine. M. Bavolet, on va être à vous dans la minute. (La noce rentre dans le cabaret.)
Scène VIII
Allons ! ne perdons pas de temps ; c’est le moment. Parrain, il faut me rendre un grand service.
Tout ce que tu voudras, et encore davantage.
Si je vous demande ça, mon parrain, c’est que vous êtes toute ma famille, que c’est à vous que je dois d’avoir épousé Rose, c’est vous qui nous avez donn’de quoi acheter la moitié du fonds et qui demain devez nous donner de quoi payer l’autre.
Mon ami, les bonnes actions portent en elles-même leur récompense… Vous êtes heureux ? Ça me suffit !… Qu’as-tu encore à me demander.
Un dernier service… Il s’agit de conduire ma femme chez moi.
Hein ? de conduire ta femme…
C’est l’office des grands-parents de conduire.
Oui, et en route, pendant que suivant l’usage, je m’en irai à pied de mon côté… avec Poirot.
Tous les deux ?
Eh bien… de lui dire adroitement ce que sa mère, si elle vivait, lui aurait dit.
Moi ?…
Oui… vous.
Allons, puisque tu le veux, pour ce soir je lui servirai de mère. (A part.) C’est immense.
Seulement, voilà, je voudrais pas que vous la meniez directement à la maison ! parce que c’est une surprise.
C’est une surprise ?
Une surprise ? (A part.) Oh oui !
Oui, à l’heure qu’il est, ma femme ne sait pas où nous demeurons. Elle se perdrait dans les rues qu’elle ne pourrait pas donner son adresse.
Ça, c’est une bonne farce par exemple.
Ah bah ! Elle ne…
Le mystère est bien simple ; pour des raisons à moi, je ne voulais pas qu’elle habite sa petite chambre de demoiselle qui est au-dessus du magasin. Elle le voulait, mais elle est si bonne… qu’elle m’a cédé… Alors comme j’ai bien vu que ça la contrariait… sans rien dire, depuis un mois, j’ai loué la petite chambre d’à côté. J’ai fait percer la cloison sans qu’elle s’en aperçoive… J’ai fait mettre, par exemple, des gros rideaux bien épais à toutes les fenêtres… et c’est là que nous allons demeurer toute la vie, s’il plaît à Dieu.
Il est gentil, ce petit…
Sapristi, sapristi !
Vous voyez d’ici sa surprise, quand elle va retrouver sa petite chambrette toute pimpante… et c’est cette surprise-là, parrain, que je veux que vous lui ménagiez vous-même.
Avec plaisir, mais comment ? (A part.) J’en ai chaud.
Et…
Ah ! par exemple, je me charge du reste.
Mais c’est Satan lui-même qui travaille pour moi, comme le premier de mes commis !
C’est dit, parrain.
Puisque tu le veux, il le faut bien. Je n’ai rien il te refuser.
Bon parrain !
Je la promène deux heures.
Deux heures… oh, parrain, une petite heure au plus… pensez donc, j’attendrai là-bas tout seul, moi, avec Poirot ; bien gentil Poirot… mais c’est pas la même chose.
C’est pas la même chose.
C’est juste. Oh moi, quand les choses sont justes… Eh bien soit, une petite heure (A part.) C’est un peu court ! (Haut.) Et après je te l’amène rue Tiquetonne, toute éduquée.
C’est ça !…
Allons, il n’y a pas à dire ! il y a un dieu pour les La Cocardière.
Scène IX
- Voici le couvre-feu !
- Ainsi finit la fête,
- La mariée est prête,
- Il faut lui dire adieu.
- Voici le couvre-feu !
- Le couvre-feu ! couple charmant !
- C’est précisément
- Au moment
- Où s’éteignent les feux des autres
- CHŒUR.
Que vont s’allumer les vôtres.
- Voici le couvre-feu !
- Etc.
- Daignerez-vous enfin me dire
- Dans quel mystérieux logis
- Nous devons être réunis
- Et qui doit m’y conduire ?
- Un peu de patience, ma chère,
- Et pour voir s’éclaircir soudain
- Le mot de ce profond mystère
- Prenez la main
- De mon parrain !
- Prenez la main,
- Etc.
- Les grands-parents r’conduis’la fille.
- Moi, je m’en chercherais en vain,
- Je n’me connais pas de famille.
- Prenez la main
- De mon parrain !
- Prenez la main,
- Etc.
- Cette mission, je m’en flatte
- Demande une âme délicate.
- J’ai le cœur noble et généreux
- Et vous ne pouviez tomber mieux.
- Allons, partons ensemble,
- Puisque l’usag’le veut ainsi.
- CHŒUR.
Emmenez-moi chez mon mari !
- Emmenez-la chez son mari.
- Est-ce sa main ou la mienne qui tremble ?
- Une dernière ronde en l’honneur des époux !
- Allons ! Trémoussons-nous !
(Tout le monde se remet en danse.)
- Chantons, dansons encore
- Tant que nous serons là ;
- Les traînards, à l’aurore,
- On les ramassera.
- Chantons, dansons encore…
- Etc.
- Quand les gens de la noce
- Rentrent dans leurs foyers,
- Les uns vont en carrosse
- Et les autres à pieds !
- Quand les gens de la noce…
- Etc.
- N’y a qu’une chose à craindre
- Si nous dansons par trop longtemps.
- C’est qu’les femmes vont s’en plaindre
- Et qu’les maris n’s’ront pas contents.
- Allons ! trémoussons-nous !
- Quand nous serons rentrez chez nous,
- Nous n’rirons plus comme des fous !
- Quand les gens de la noce
- Rentrent dans leurs foyers,
- Les uns vont en carrosse
- Et les autres à pieds.
(La ronde se termine par un groupe.)
- Allons, que tout l’mond’se prépare,
- Allons chercher la fanfare !
(Tout le monde remonte pour préparer le défilé en tête duquel doivent être les musiciens. Pendant ce temps paraissent à droite Clorinde, Arthémise et Madelon qui ont observé le mouvement, cachées dans un bosquet. Elles descendent.)
- Fort bien ! monsieur La Cocardière !
- Voilà donc le mot du mystère
- Beau séducteur je comprends tout.
- Ah ! vous courez les amourettes !
- Il vous faut de jeunes fillettes !
- Vous n’êtes pas encore au bout.
- Ah ! ah ! ah !
- Vous n’êtes pas encore au bout !
(Toute la noce redescend, musique en tête. — Chacun tient à la main une lanterne de couleur. Et le défilé figure une retraite aux flambeaux.)
- Ran ! ran ! ran !
- Ran ! tan ! plan !
- Que la journée
- Soit terminée
- Par la retraite aux flambeaux.
- Les flambeaux de l’hyménée,
- Ce sont les plus beaux
- Flambeaux.
- Ran ! ran ! ran !
- Ran ! tan ! plan !
(La Cocardière emmène par le fond Rose Michon, à qui Bavolet, entouré de Poirot et de ses amis, envoie des baisers. Les trois femmes cachées sous la tonnelle de droite se montrent le tableau en riant. — Le rideau baisse.)
FIN DU PREMIER ACTE.ACTE DEUXIÈME
Un salon chez La Cocardière. — Table dressée au milieu, cheminée à droite, porte au fond et portes latérales ; une croisée au deuxième plan à gauche. — À droite et à gauche, au premier plan, deux glaces sans tain laissant voir au public l’intérieur des deux chambres voisines.
Scène PREMIÈRE.
Au lever du rideau, ils sont tous en train de mettre la couvert.
- La bonne aubaine que voilà !
- Pressons-nous, les heures s’avancent.
- C’est quand le chat n’est pas là,
- Que les souris dansent.
- Pardieu ! c’est une aimable charge
- Que de servir un grand seigneur !
- La vie, à ses côtés, est large,
- Et le profit en vaut l’honneur.
- Chacun de nous sait, et de reste,
- Y prendre ses joyeux ébats.
- Valet de chambre, on met sa veste,
- Cuisinier, on mange ses plats.
- Pardieu ! c’est une aimable charge.
- Que de servir un grand seigneur !
- Etc., etc.
- Quand notre bon maître,
- S’absente, la nuit,
- C’est pour nous permettre
- De veiller pour lui !
- Comptons sa vaisselle,
- Et ses plats d’argent,
- Mettons avec zèle
- Le petit dans le grand.
- Visitons sa cave,
- Dégustons son vin,
- Voyons si le grave,
- Vaut le Chambertin.
- Les vins qu’il préfère,
- Nous les sablerons,
- Ce qui peut lui plaire,
- Nous le choisirons.
- Suivant son modèle,
- A Louise ou Marton,
- Serviteur fidèle,
- Prenons le menton,
- C’est un devoir même
- De prouver ainsi
- Que tout ce qu’il aime,
- Nous l’aimons aussi.
- Pardieu ! c’est une aimable charge…
- Etc., etc.
(parlé.) A table !
À table ! À table !
(Au moment où ils se mettent à table, on entend un bruit de voitures. Tout le monde se lève.)
Qu’est-ce que c’est ça ? Ciel ! monsieur La Cocardière. Justine ! Justine ! cours à sa rencontre ! (Justine sort.) C’est lui ! et il n’est pas seul ! quelle tuile ! Enlevez donc tout cela ! (Deux hommes enlèvent la table.) Avec qui donc est-il ?
On dirait une dame.
Alerte !
Qu’y a-t-il donc ?
Sauvez-vous tous ! En voici bien d’une autre !
Qu’est-ce qu’il nous veut ?
Vous le saurez tout à l’heure ! Mais, vite, disparaissez, où il nous chasserait tous…
Diable ! filons…
Les domestiques et les femmes de chambres disparaissent à droite et à gauche.
Par ici, mon enfant, par ici !
Il était temps. Viens, je t’expliquerai…
Scène II.
Comment, je suis ici chez moi ?
Entièrement !
Ah ! mon Dieu, que c’est beau !
Vous trouvez ?
Comment, c’est Bavolet qui a fait faire tout cela ?
Bavolet lui-même.
Mais, c’est de la folie !… Il nous a ruinés, le petit malheureux… Un mobilier pareil ! Je parie que ça doit conter dans les cinq cents livres passées…
Cinq cent cinquante !
Oh ! les belles choses ! (Avisant le médaillon qui est accroché au coin de la cheminée.) Qu’est-ce que c’est que ça ? Toutes ces dames de l’Opéra, mes clientes.
Oui, oui… nos clientes… vos clientes ; c’est une gracieuseté de Bavolet.
Mille fois plus !
Allons ! je vois ce que c’est, parrain… vous avez encore donné de l’argent pour tout ça…
J’ai aidé, c’est vrai… je suis de l’avis de Bavolet : aux fleurs rares, il faut des serres dorées…
Oh ! parrain !
Un grain de poésie ne gâte rien.
Et il y a encore une pièce par là ?
La chambre à coucher, et puis encore une là… et puis là…
Ah !… Et c’est la sans doute que Bavolet m’attend ?
Oui ; c’est-à-dire, non, pas encore ! Il n’est pas encore arrivé.
C’est vrai, au fait, nous avons été si vite pour venir tout le temps au grand galop !…
Dame !… un homme qui n’a qu’une heure !… Si Richelieu me voyait !… (Haut.) C’est que, voyez-vous, Rose, j’ai une mission à remplir auprès de vous,
Une commission… si vous voulez… J’ai à vous donner quelques instructions touchant la fin de ce beau jour.
Ah !… Je vous écoute, mon parrain.
Le mariage, mon enfant, est comme une montagne escarpée, et même… escarpée, je dis bien… Au fur et à mesure qu’on la gravit, on aperçoit des horizons nouveaux… À l’heure où j’écris ces lignes, vous êtes à deux doigts du sommet où je suis chargé de vous conduire. — Hum ! — Tout à l’heure, Rose, votre époux va venir, peut-être commencera-t-il pour vous demander un baiser comme ceci. (Il l’embrasse. — À part.) Si Richelieu me voyait, il crèverait de jalousie ! (Haut.) C’est bien, vous n’avez pas résisté, c’est justement ce que je voulais vous apprendre. Ce soir, voyez-vous, vous ne devez vous étonner de rien… Confiance et soumission… voilà votre devise… Votre époux vous dirait qu’il va vous couper en petits, petits morceaux ; qu’il faudrait aller à la cuisine repasser vous-même le couteau…
À la cuisine ?
C’est une image ! Peut-être vous redemandera-t-il un second baiser, comme ceci… (Il va pour l’embrasser.)
Je comprends sans les gestes, parrain.
Puis… et ce sera comme par accident : tout d’un coup la bougie s’éteindra… et (il essaie de souffler les bougies qui sont sur la cheminée.)
Et alors…
Et alors, ça ne regarde plus personne.
Tiens ! la fûtée ! (Haut.) C’est ça… Seulement, je vous te répète… ne vous étonnez de rien !… Quelquefois, vous savez, dans l’obscurité, les personnes prennent des aspects un peu fantastiques !… Ne vous étonnez de rien.
Eh bien, c’est dit, parrain… Merci de vos bons conseils… Maintenant, je sais tout ce que j’ai à faire… et si vous voulez bien me laisser seule…
Seule, non… Vous comprenez ayant un appartement pareil… Bavolet a voulu se marier comme dans le grand monde, et…
Et ?…
Et…
Mais dites donc, parrain. Vous avez l’air tout drôle, ce soir.
Et on va vous remettre entre les mains de femmes de chambre…
Des femmes de chambre !… Mais il a perdu la raison.
Des femmes de chambre de louage, des femmes de chambre pour ce soir seulement… (Il sonne.) Je les entends… Adieu ! je vous laisse !… Rappelez-vous mes recommandations : ne vous étonnez de rien… Adieu !… (A part, en sortant). C’est immense !
Scène III
- Salut, madame la marié !
- Nous sommes, là pour vous servir.
- Quand vous serez déshabillée
- Nous nous hâterons de sortir
- Afin de vous laisser dormir !
- Des femm’de chambr’quell’drol’d’affaire !
- Des femm’de chambre pour m’déshabiller !
- Il n’m’en faut pas tant, d’ordinaire,
- J’suis sûr’qu’ell’vont me chatouiller.
- Et dam ! et dam !
- Je suis chatouilleuse, c’est pas ma faute !
- Quand on me chatouill’je fais un bond,
- Faut pas m’chatouiller, ou bien je saute
- C’est plus fort que moi, j’saute au plafond.
- Sapristi ! Ce p’tit Bavolet
- A perdu la tête, je pense.
- Faire une semblable dépense,
- Lorsqu’à lui seul il suffisait !
- Sapristi ! Ce p’tit Bavolet !
- Commencez par ôter ces voiles
- Qui fatiguent vos blonds cheveux.
- Et rendez l’éclat aux étoiles,
- LES FEMMES DE CHAMBRE
Dont le ciel a fait vos beaux’yeux !
- Tenez-vous donc ! tenez-vous donc !
- Vous m’chatouillez, c’est pas ma faute !
- Vous m’chatouillez, finissez donc !
- Vous m’chatouillez, ma foi, je saute,
- C’est plus fort que moi j’saute au plafond.
- Oh ! la ! la ! je m’demand’comment
- Cela peut plaire aux grandes dames ;
- S’fair’décoiffer par trente-six femmes,
- Quand ça peu s’fair’si simplement !
- Sapristi ! Je les plains vraiment !
- Et maintenant, quittez la robe,
- La guimpe et le corset jaloux…
- Il ne faut plus que rien dérobe
- Tant de beautés à votre époux.
- Tenez-vous donc ! Tenez-vous donc !
- chatouillez, c’est pas ma faute ! Vous m’
- Vous m’chatouillez finissez donc !
- Vous m’chatouillez, ma foi, je saute,
- C’est plus fort que moi, j’saute au plafond
- Ah ! ah ! ah ! ah !
(On lui passe un peignoir.)
- Bonsoir, madame la mariée,
- Nous étions là pour vous servir.
- Mais vous voilà déshabillée
- Et nous nous hâtons de sortir
- Afin de vous laissez dormir.
- C’est lui !
- Bonne nuit !
(Elles sortent par la droite.)
Scène IV
Bavolet s’impatiente !… Oh ! mais, est-ce drôle ! Je ne me figurais pas tout ça comme ça… ça me fait tic, toc ! tic toc !…
Rose, c’est moi, ton petit Bavolet… Eteins la lumière…
Eteindre… et pourquoi donc, monsieur ?
C’est l’usage… les horizons nouveaux !… Est-ce que mon parrain ne t’a pas dit ?
Si, monsieur mais… Au fait il a raison… ça m’empêchera peut-être d’avoir peur… Puisque vous l’avez voulu, monsieur. (Elle souffle les bougies…) entrez !
Par ici monsieur !
Dis moi, Rose, tu te souviens bien de ce que t’a dit mon parrain ?
Oui, Bavolet, on s’en souvient…
De tout ?
De tout !
Alors, tu ne dois l’étonner de rien ?
De rien, c’est convenu.
- Puisque plus rien ne t’embarrasse,
- Rose, donne-moi, s’il te plait,
- Tes petits doigts, qu’on les embrasse !
- V’là mes deux mains au grand complet.
(Avec un étonnement subit.)
- Ah ! mon Dieu ! la drôle de chose !
- Quoi ?
- Les grands doigts ! les grosses mains !
(Parlé) Fichtre !
- Si j’ai de grands doigts, belle Rose,
- ROSE.
Ah ! c’est pour mieux serrer les tiens.
- Quoi ! c’est pour mieux serrer les miens !
- Oui ! c’est pour mieux serrer les tiens
(A part, tenant la main de Rose.)
- Elle est calmée, et rien ne bouge !
- Non ! – Elle n’a plus peur du tout.
- C’est drol’, voilà l’histoir’du petit chap’ron rouge,
- Qui vient d’me r’venir tout à coup !
- Rose ! voici l’instant suprême !
- Ah ! qu’vous avez un’grosse voix !
- C’est pour mieux te dire : Je t’aime !
- Vous l’disiez très-bien autrefois !
(Elle lui passe la main à tâtons sur le visage.)
- Ah qu’vous avez de grand’s oreilles !
- C’est pour mieux t’écouter, vraiment !
(Il lui baisse les mains.)
- Mais pourquoi donc des dents pareilles ?
- Pour mieux te manger, mon enfant !
- LA COCARDIÈRE. Pour mieux me manger ! Un instant !
Pour mieux te manger, mon enfant !
(Elle s’échappe des bras de La Cocardière.)
J’ai été un peu loin.
Non, Bavolet n’a pas la voix enrouée comme cela
J’ai la voix enrouée ?… J’ai la voix d’un roué, oui ! (Haut.) J’ai pris un rhume en t’attendant à la porte.
De la lumière, à l’instant !
Ventre-Mahon ! je suis pris ! (Haut.) Rose, avec de la lumière, comment veux-tu suivre aveuglément les instructions de mon parrain ?
Ah ! on ne veut pas !… Eh bien, je rallumerai moi-même…
Arrête !… (On entend une sonnette dans la coulisse.) Qu’est-ce que c’est que ça ?
Scène V.
Monsieur, êtes-vous là ?
Monsieur… c’est madame Clorinde et ses amies de l’Opéra…
Clorinde !
Clorinde ! Non d’un petit bonhomme ! il ne manquerait plus que ça ! (A Rose.) Vite, Rose, entrez là !
Expliquez-moi !
Tout, je t’expliquerai tout !… Je ne suis pas Bavolet !
Ah !
Ah ! tu nous as dérangés ! à ton tour !
De la lumière !
Oui, monsieur, (Il fait signe a un domestique qui apporte un candélabre.)
Clorinde et ses amies !… Elle viennent pour me surprendre. Je suis un homme mort… Vite, Germain, la petite qui est là, qu’elle file, qu’elle file ! l’heure est archi passée !
Scène VI
Vive la saint Chrysostome !
C’était ma fête !
- Cher et noble La Cocardière,
- Nous vous offrons, et de bon cœur,
- Cette couronne printanière,
- Emblème de votre candeur.
- Que pourrait-on, pour votre fête,
- Vous souhaiter, roi des traitants ?
- Ma foi, mon cher, je vous souhaite,
- De me conserver bien longtemps !
- Sur les anciens et leur idiome,
- A l’Opéra l’on n’est pas fort !
- On sait pourtant que Chrysostome
- Signifie en grec : Bouche d’or…
- Et si l’amour à vous s’adresse,
- C’est qu’en déposant un bécot
- Sur cette bouche enchanteresse,
- Il peut y cueillir un lingot !
Vous voyez, monsieur La Cocardière, qu’on a de la mémoire et qu’on pense à vous… Je suis sûre que notre surprise vous enchante ?
N’est-ce pas qu’elle vous enchante ?
Comment ! mais elle me ravit… Voulez-vous voir un La Cocardière ravi ?… Voilà un La Cocardière ravi. (A part.) Pourvu que la petite soit partie !
Et Germain qui ne revient pas me dire… (Le voyant entrer.) Ah ! enfin !
Monsieur, impossible de l’emmener… Lise a mis la robe de la mariée dans la chambre bleue et il faut absolument passer par ici pour…
Donnez-lui-en une autre.
Une autre ?… Une des rôles de feu madame La Cocardière, alors ?
Tout ce que tu voudras, mais qu’elle file ! Ouf… Ah ! quelle tuile ! (Germain remonte et donne tout bas un ordre à une femme qui est entrée avec lui et attend sur le seuil de la porte.)
La Cocardière ?
Reste !
Que dites-vous à Germain ?
J’espère que vous lui parlez du souper ?
Ah ! oui, le souper ?
Quel souper ?
Mais le souper… que vous allez nous offrir pour votre fête.
Mais oui, pour votre fête !
Ah ! vous voulez souper ?… C’est que à cette heure, peut-être… il serait bien difficile… N’est-ce pas, Germain ?
Difficile, oui, monsieur… Mais impossible, rien ne doit l’être pour le service de M. La Cocardière. (à part.) Le nôtre est là.
Que la peste t’étouffe !
Et que notre souper t’étrangle ! (Il salue et remonte.)
Germain, vous dresserez la table ici.
Avec plaisir, madame. (Il sort.)
Mais parce que ce petit salon est plus intime… Aujourd’hui, je veux que nous soyons comme des amoureux dans un nid… comme des amoureux dans un petit nid.
Dans un petit nid… à quatre ?
Vous avez l’air tout chose, mon cher.
Ce n’est pas nous qui vous gênons, n’est-ce pas ?
Vous ? Oh ! par exemple ! (A part.) Heureusement qu’elle doit être partie. (Germain rentre.) Ah ! (Il va à lui.)
Monsieur, en voilà bien d’une autre ! Impossible de faire aller la clef sur la petite porte !
Mort de ma vie ! Prends le grand escalier !
Pas moyen… pour prendre le grand escalier, il faut encore passer par ici.
Enfoncez la petite porte !
Nous y avons bien pensé, mais le bruit.
Mais qu’est-ce qu’elle a cette clef ?
Mais elle marche très-bien.
Elle doit être bouchée…
Il paraît qu’il y a une clef qui ne va pas.
Vous aurez mis un pain de quatre livres dedans…
Eh bien, La Cocardière, quand vous aurez fini vos conciliabules avec Germain…
J’ai fini, bichette. Nous étions tous les deux sur le homard. (A Germain en lui rendant… la clef.) Tiens, essaye encore, ça doit aller maintenant, et que le fiacre brûle le pavé. Deux heures, le mari doit grincer les dents. (Germain sort. Bruit dans la coulisse.) Quel est ce bruit ?
Il y a là deux hommes qui veulent absolument parler à M. La Cocardière.
Deux hommes ?
Deux hommes, à cette heure-ci !… Qu’est-ce que ça veut dire ?… Encore une surprise pour ma fête… pour ma jolie fête !
Scène VII.
Bavolet ! ça, se gâte !
Le petit mari !
- Mon parrain ! ah ! mon parrain !
- Qu’avez-vous fait de ma femme ?
- Qu’avez-vous fait de sa femme ?
- Je l’ai mise en votre main ;
- Voyez ! j’ai la mort dans l’âme !…
- Mon parrain ! ah ! mon parrain !
- Qu’avez-vous fait de ma femme ?
- Qu’avez-vous fait de sa femme ?
- Le cœur tout plein d’espérance,
- Je quittais le cabaret.
- Nous quittions le cabaret !
- Pensant à l’impatience
- POIROT.
De madame Bavolet !
- De madame Bavolet !
- J’ai trouvé la porte close !
- Ma femm’n’avait pas paru !
- Sa femm’n’avait pas paru !
- Et j’ai crié : Rose ! Rose !
- Personne n’a répondu !
- Personne n’a répondu.
- Mon parrain ! ah ! mon parrain !
- Qu’avez-vous donc fait de ma femme ?
- Etc., etc.
- Sa femme ? je ne sais pas ce qu’il veut dire.
- J’en ai la tête perdue !
- Depuis ce moment je cours !
- Depuis ce moment, il court !
- Aux attardés dans la rue,
- Je réclame mes amours !
- BAVOLET.
Il réclame ses amours !
- Et criant mon infortune,
- Me sentant d’venir idiot !
- Se sentant d’venir idiot !
- Je marche au clair de la lune,
- Avec mon ami Poirot !
- Avec son ami Poirot !
- Mon parrain ! ah ! mon parrain !
- Qu’avez-vous donc fait d’ma femme ?
- Etc., etc.
Mon parrain, qu’avez-vous fait de ma femme ?
Oùsque vous l’avez mise, voilà la question ?
Mais, répondez donc, monsieur, qu’avez-vous fait de sa femme ?
Oui, qu’avez-vous fait de sa femme ?
Mais rien, je ne sais pas ce qu’il veut dire… Elle est chez lui, elle est chez toi… (Criant.) Rue Tiquetonne, 36, au coin du Chat-qui-Pelotte.
Allons donc, vous vous moquez !… Ah ! Poirot, est-ce que tes soupçons…
Rien !
J’en ai chaud !
Écoutez… vous voyez comme je suis calme…
Nous sommes tous très-calmes.
J’aime mieux que vous me disiez tout… Voyons, ma femme a été malade en route, n’est-ce pas ? Il lui est arrivé un accident, hein ? Elle est morte ? Oui, j’aime mieux que vous me disiez cela que n’importe quelle autre chose… parce que l’idée que, cette nuit même, elle aurait pu être ici avec ces femmes… (Mouvement des femmes.) Que vous et elle m’auriez indignement trompé… Ah ! cette idée-là, mon parrain, cette idée-là me rend fou !
Bavolet !
Jeune homme…
Vous n’êtes pas aimable pour nous.
Mais c’est égal. Monsieur La Cocardière, si vous avez désespéré ce pauvre garçon… c’est mal.
C’est très-mal !
Trop bu ? Ah ! permettez !… C’est moi qui le conduisais… et je ne suppose pas qu’un suisse il puisse s’éprendre de boisson.
Ah ! certes, j’aurais défoncé toutes les futailles du maître Ramponneau… que j’aurais le cerveau moins troublé !
Je vous disais bien… il a le cerveau… et j’ajoute, sur l’honneur, qu’à l’heure présente, sa femme doit être chez lui ?… Il sera parti avant notre arrivée… (Bruit de marteau au dehors.)
Quel est ce bruit ?
On dirait qu’on essaye d’enfoncer une porte ?
Les imbéciles ! ils n’auront pas pu ouvrir ! (Haut.) Ne faites pas attention, je sais ce que c’est, c’est…
C’est sans doute Germain qui…
Ah ! c’est Germain qui…
Arrête !
Je veux passer !
Bavolet, je te défends d’entrer là.
Mais… parce qu’il y a du monde… et qu’il n’en faut quelquefois pas plus pour… déranger.
Parce que… parce qu’il y a là une femme, n’est-ce pas ? Eh bien, moi, je veux savoir si cette femme n’est pas la mienne, si cette femme n’est pas la traîtresse qui m’a abandonné… qui m’a déshonoré la première nuit de mes noces !… (Il va pour se précipiter, la porte s’ouvre. — Rose, en grande toilette, parait sur le seuil.) C’est elle !
Scène VIII.
Té !… quel tapage on fait ici ! Bonjour, la compagnie ! Vous ne m’attendiez pas, je présume ? Je m’annonce moi-même : Bruscambille, Dorothée Bruscambille, née native de Toulouse, et, pour le quart d’heure, future pensionnaire du Grand Opéra de Paris. — Adieu, Clorinde ! (Bas.) Aidez-moi, madame, vous l’avez entendu, il en mourrait !
Comment, Bruscambille, tu étais des nôtres et nous ne le savions pas ?
Oui, elle était des nôtres, et nous ne le savions pas !… (à part.) Que je suis donc fâché de m’être lancé dans cette aventure !
Rose ! Rose !… cette comédie…
En effet, La Cocardière, présentez donc notre amie à ces messieurs… Pour nous, c’est inutile, nous la connaissons. Bonsoir, Bruscambille !
Bonsoir, Bruscambille !
Merci !
Eh bien, oui !… messieurs, je vous présente Mlle Bruscambille, danseuse à…, c’est-à-dire, future danseuse, à l’Opéra de…
Non, cela ne se peut pas !… Une ressemblance pareille est impossible ! Rose, c’est toi… c’est vous !
Rose ! Pourquoi m’appelle-t-il Rose, ce pitchoun !… Je m’appelle Dorothée ! Dorothée Bruscambille ! Et vous, comment est-ce que vous vous appelez ?
Bavolet, de son nom de famille, et moi Poirot, de la mienne !
Poirot !… Qu’est-ce que ça veut dire ?
C’est inexplicable !… Pour être la Bruscambille… c’est bien la Bruscambille ! vu qu’hier (à La Cocardière), tant pis si vous êtes jaloux… (à Bavolet) elle est venue chez mon maître, à l’hôtel Saint-Florentin !
Oh ! je ne suis pas jaloux, moi ! je ne suis pas comme certains ingrats…
Eh bien, M. Bavolet, voulez-vous que je vous dise ?… vous avez une petite frimousse qui n’est pas laide, je ne vous l’envoie pas dire, moi : d’abord à Toulouse, nous disons tout !
Et moi, je vous prie ?
Oh ! vous, vous avez une bonne balle d’idiot ! Vous ne devez pas être ministre de votre état ! (Elle lui tape sur le ventre en riant.)
Elle est gentille cette petite provinciale.
Alors je n’y comprends plus rien.
Mais moi, je comprends… je comprends qu’elle est très gentille, cette petite provinciale !… Et si elle n’était pas ambitieuse !…
Est-ce qu’il n’était pas question d’un souper ?… Moi d’abord je ne suis venue que pour le souper.
Mais je l’espère bien.
Mais il est prêt depuis longtemps !
Tout ça ne doit pas nous empêcher de souper.
Voyons, Rose… c’est pas toi ?
Rose, encore !… Mais puisque je vous dis : Dorothée, Do, do, r, o, ro, t, é, té, Dorothée !
Oui, ça fait bien Dorothée.
Ça fait Bruscambille !
À table ! à table !
- Allons ! le verre en main !
- Autour de cette table,
- Fêtons avec entrain,
- Un grand seigneur aimable !
- Monsieur Bavolet, je l’espère,
- Va se mettre auprès de moi ?
- Merci, madame… mais souper, je n’en ai guère
- Envie, à cette heure…
- Et pourquoi ?
- C’est qu’un autre souci me rappelle chez moi.
- Et vous, Monsieur Poirot ?
- De l’amitié victime,
- Je reprends avec lui mon voyage au long cours !
- Quel diable de feu vous anime ?
- Une femme légitime,
- Ça se retrouve toujours !
- Une femme légitime,
- Ça se retrouve toujours.
- Les bons instants sont courts,
- Souper, n’est pas un crime,
- Oubliez vos amours,
- Et suivez ma maxime !
- Me résisterez-vous à moi ?
(Elle le regarde avec chatterie).
- J’en aurai le cœur net !
(haut)
- Eh ! je reste, ma foi !
- A la bonne heure ! à la bonne heure !
- Eh ! s’il reste… moi, je demeure !
(On prend place autour de la table.)
- Voilà bien des façons, morbleu ! pour accepter
- Le souper que pour nous j’avais fait apprêter !
- A table ! à table !
- Et vous, gentille
- Bruscambille !
- Contez-nous votre histoire, et dites-nous comment
- TOUS.
Vous vîntes à Paris, en faire l’ornement.
- Oui vraiment,
- Contez-nous cela, belle enfant
Té ! c’est bien simple !
(Parlé.) L’histoire ! l’histoire !
- A Toulouse, en Toulousain,
- Ah ! pardine ! on connaît bien
- La famille
- Bruscambille !
- Pardine ! on la connaît bien
- A Toulouse, en Toulousain !
- Mon père il était un bel homme,
- Un bel homme pour le pays,
- Car, dans le Languedoc, en somme,
- Les hommes sont plutôt petits.
- Je ressemblais pas à mon père,
- Mon père, ça lui faisait rien,
- Drôle d’histoir’, — C’était ma mère,
- Qui lui disait toujours : Vaurien !
- A Toulouse, en Toulousain
- Ah, pardine en connaît bien
- La famille
- Bruscambille
- Etc., etc.
- Pardine ! on la connaît bien,
- ROSE. A Toulouse, en Toulousain.
- A dix ans en dansant la ronde.
- Avec les mioch’s à la pension,
- Je faisais voir à tout le monde
- Ma précoce vocation.
- J’étais déjà légère et leste
- Que mon père il en était fier :
- Entrechats, ballons et le reste
- Je restais demi-heure en l’air !
Bravo ! bravo ! Bruscambille !
Maintenant, si vous voulez, nous allons prendre le thé dans le petit salon bleu… (Bas à Rose.) N’est-il pas temps que vous partiez ?
Pas encore, madame ! j’ai mon idée… ( Elle lui parle bas.)
Allons ! dans le salon bleu !
Allons ! venez dans le petit salon bleu !
J’ai jamais vu une provinciale comme ça ! Oh ! si elle n’était pas ambitieuse !
Ah ! ce serait bien drôle !… Ah ! ah ! ah ! (A La Cocardière.) venez-vous, cher ?
Hein !
Tu as été adorable !… Il ne se doute de rien… éconduis-le… et tu sauras ce que vaut la reconnaissance d’un la Cocardière…
Ah ! mais, quel gueux !
Que vous dit-il ?
Il ose encore…
Ne dites pas non… (A part.) Je tiens mon flagrant délit ! (Haut.) Eh bien ! La Cocardière, venez-vous ? (Elle sort avec La Cocardière et Madelon)
Pardon ! je pourrais-t-il vous dire un mot tout-à l’heure dans le particulier ? (Il sort avec Arthémise.)
Ah ! Poirot aussi !
Restez, j’ai besoin de vous parler.
Hein ? — Eh bien ! elle a du succès, ce soir, Dorothée Bruscambille !
Eh bien ! venez-vous ? Le thé est servi… (Il disparait).
Scène IX
À nous deux ! (Riant.) Eh bien ! jeune éploré, qu’est-ce que vous me voulez ?
Ce que je veux ?
Oui…
Voyons… là… vrai… entre les deux yeux, vous n’êtes pas… tu n’es pas Rose… ma femme ?
Encore !… (Haut.) Eh bien ! entre vos deux yeux, je vous répète pour la dixième fois que je suis Dorothée Bruscambille, danseuse de l’Opéra ! Et, si vous en doutez… tenez… voilà mon portrait… avec toutes mes petites camarades.
Ah ! c’est à devenir fou !
Jeune homme, écoutez… Je crois que la petite histoire de madame votre épouse vous a un peu tourné la cervelle… Allons, videz ce verre, pour vous rendre la raison ! Allons !
Oui, je boirai… parce que le vin, au moins, me fera oublier la perfide. (Il boit.)
Vous ?
Moi !
Et pourquoi pas ? (Ils boivent.)
Le petit drôle ! Est-ce qu’il y viendrait ?
Vous lui ressemblez tant, à la misérable…
Ça… c’est une excuse…
Vous lui ressemblez tant… que depuis une heure je me tiens à quatre pour ne pas vous sauter au cou…
Eh ! pourquoi que vous n’essayez pas… Une danseuse, té… on dit que ça n’est pas sauvage… Eh ?…
Ah ! non… Voyez-vous… ce n’est pas possible…
À cause ?
À cause que je lui ai juré fidélité aujourd’hui même…
Oui… ça, c’est vrai… vous avez juré…
- Il parait que dans le grand monde,
- C’est un usag’très-bien porté,
- Monsieur va d’la brune à la blonde,
- Et madame court de son côté.
- Il est conv’nu que sans scrupule
- Entre époux on peut s’fair’des traits,
- Moi, vous m’trouv’rez p’t’-êtr’ridicule,
- Mais je n’sais pas si je l’pourrais !
- Vous êtes un bien bon jeune homme ;
- Mais voulez-vous mon sentiment ?
- Je vous trouve naïf, en somme,
- Nous avons serment et serment.
- Et si ma femme, sans scrupule,
- Pour commencer, m’faisait des traits,
- Moi, vous m’trouv’rez p’t’êtr’ridicule,
- Mais j’vous assur’que je l’pourrais !
- Eh bien ! oui ! C’est vrai, sur ma foi !
- Et je n’suis qu’une bête, moi !
(Il boit). — (Parlé). Eh bien ! Eh bien !
- Est-ce l’amour ou le vin de Champagne,
- Dont la fumée a troublé ma raison ?
- J’ai le vertige qui me gagne,
- Aimons-nous donc, et sans façon !
- A la bonne heure ! et que rien n’interrompe
- Ce tendre élan, ce doux émoi…
(A part, changeant de ton).
- Ah, çà ! mais, il me trompe !…
- Je sais bien que c’est avec moi…
- Mais, c’est égal… il me trompe !
- Tout ici-bas, est folie, est mensonge !…
- C’est à l’amour qu’il faut s’abandonner.
- Je me sens bercé par le songe
- Où vos beaux yeux vont m’entraîner !
- Oui, s’aimer, c’est le bien suprême !
- Oui ! Dorothée ! oui ! je vous aime !
- A vous mon cœur !
- A vous ma main !
- Votre main ? Mais votre femme…
- Ça n’fait rien !
- Je vous la donne tout d’même !…
- Nous réglerons ce compte-là demain !…
- Est-ce l’amour ou le vin de Champagne
- Dont la fumée a troublé ma raison ?
- J’ai le vertige qui me gagne,
- Aimons-nous donc, et sans façon !
(Ils disparaissent par la porte de droite.)
Scène X.
- Ah ! le bon tour, monsieur La Cocardière !
- Vous ne comptiez certes pas sur cela !
- A chacun sa chacunière
- Ils sont ici !
(Elle enferme Rose et Bavolet, puis éteint le candélabre.)
- Je serai là !
- Dans la nuit obscure
- Tous les rats sont gris !
- La bonne aventure !
- D’avance, j’en ris !
- Dans la nuit obscure
- Tous les rats sont gris.
- La bonne aventure !
- Ah ! ah ! ah !
(Elle entre dans la chambre de gauche.)
Scène XI
- Ils sont partis la petite, sans doute,
- A, par la ruse, éloigné son mari.
- — O Richelieu ! je suis ta route !
- Rose m’attend ! et me voici !
(Clorinde passe la tête à la porte et appelle : Pstt’Pstt ! Il entre à gauche, dans la chambre où a disparu Clorinde.)
Scène XII
- Clorinde ? où donc est-elle ? Et vous La Cocardière ?
- Pourquoi nous avoir tous quittés ?
- C’est une façon singulière
- De recevoir ses invités !
- Bruscambille ! — Eh la Bruscambille !
- Un mot, de grâce ! — Etes-vous là ?
(Il heurte la table.)
- POIROT.
Hein ?
- C’est vous ?
- Mais
- Vous êtes fièrement gentille…
- Laissez-moi vous dire cela.
(Il la prend par la taille.)
- Il me prend pour la Bruscambille !
- Le pauvre homme se trompe ! — Eh bien !
- Voyez si je suis gentille !…
- Je ne dis rien !
(Poirot tombe à ses genoux. À ce moment, on aperçoit à travers la glace, à droite Rose et Bavolet, et à gauche Clorinde et La Cocardière reprenant le refrain de la chanson : « À Toulouse, en Toulousain. » Poirot, qui est aux genoux d’Arthémise, entonne lui-même à tue-tête le même air. — Le rideau baisse.)
ACTE TROISIÈME
Le magasin de la jolie parfumeuse. — Porte au fond, donnant sur la rue, façade vitrée devant laquelle sont des pots de pommades, des flacons, etc. À gauche, premier plan, le comptoir, au-dessus une vitrine garnie de flacon, à droite un escalier conduisant à l’étage supérieur, au deuxième plan à gauche, presque de face, une grande armoire ; chaises, escabeau, un balai près de l’escalier.
Scène PREMIÈRE.
(Au lever du rideau, la scène est vide. La boutique est fermée extérieurement par des volets. On entend frapper violemment au dehors)
- Pan ! pan ! pan ! à la boutique !
- Pan ! pan ! pan ! il faut ouvrir !
- Pan ! pan ! pan ! c’est la pratique !
- Pan ! pan ! pan ! assez dormir !
- Qui vient de si bon matin
- Frapper à mon magasin ?
- Pan ! pan ! pan ! à la boutique !
- BAVOLET, qui est descendu.
Etc., etc.
- Est-ce à cette heure qu’on achète ?
(Allant ouvrir.)
- Ah ! quelle nuit ! mon Dieu ! que j’ai mal à la tête !
- Eh ! bonjour, joli mari,
- Comment avez-vous dormi ?
- Vous avez pensé, je gage,
- Qu’on venait pour acheter ?
- Mais non, c’est le voisinage
- Qui vient vous féliciter.
- La matinée est fort belle.
- Et madame, où donc est-elle ?
- Eh ! bonjour, joli mari,
- Comment avez-vous dormi ?
- Ah ! que le diable vous emporte !
- Je vous le dis du fond du cœur !
Pour nous répondre de la sorte Il faut qu’il soit d’mauvaise humeur !
- D’où peut venir son ennui ?
- Ma foi ! demandez-le-lui…
- RONDEAU, en chœur. Demandons-lui !
- Soyez donc bon homme,
- Et dit’-nous, voisin,
- D’où peut bien, en somme,
- Venir vot’chagrin ?
- Est-c’que votre femme,
- Dans l’intimité,
- De votre belle âme
- A démérité ?
- Le soir de la noce
- Eûtes-vous des mots ?
- Avait-elle un’bosse
- Au milieu du dos ?
- Ou, dans les ténèbres,
- Vous aurait-on fait
- Des farces funèbres,
- Pauvre Bavolet ?
- Ne s’rait-c’pas, peut-être,
- Quelques mauvais gas
- Qui s’raient venus mettre
- De l’eau dans vos draps ?
- A-t-on, par malice,
- Tiré, tout’la nuit,
- Des feux d’artifice
- Autour de votre lit ?
- Soyez donc bon homme,
- Et dit’-nous, voisin,
- D’où peut bien, en somme,
- Venir vot’chagrin ?
(Bavolet, qui s’est peu à peu impatienté pendant le chœur, va prendre un balai dans le coin de l’escalier et se met à poursuivre la bande.)
- Allons, décampez d’là !…
- Et plus vit’que ça !
(Tout le monde se sauve. — Bavolet seul, tombant assis au pied de l’escalier).
Il ne me manquait plus que leur charivari ! Voyons, est-ce que tout ça n’est pas un rêve ? Oh ! non !… Rose n’est rentrée qu’après moi, à sept heures du matin… Je l’ai entendue… elle s’est enfermée dans la chambre d’à côté, où elle dort encore, sans doute. Qu’a-t-elle fait toute cette nuit, la misérable ? (Se mettant le main devant les yeux.) Et qu’ai-je fait moi-même ? Mon Dieu ! que j’ai mal à la tête !… Ah ! l’explication va être terrible !… Ah ! Poirot ! mon bon Poirot !
Scène II.
Bonjour ! Eh bien ?
Rien… elle dort encore… je n’ai pas osé la réveiller… mais j’attends…
Oui… il faut qu’elle t’explique… car si elle ne t’explique pas… tu ne sauras rien d’abord…
Et toi, d’où viens-tu ?
Moi, je viens de chez ses parents.
Quels parents ?
Ceux de la petite provinciale…
De Bruscambille ?… et pourquoi faire ?
Comment ? C’est lui qui lui rend l’honneur ? Le pauvre garçon ! s’il savait que… Oh ! (Haut.) Mais…
Oh ! je sais bien ce que tu vas dire ! C’est une danseuse, une fille qui montre ses mollets au public… Je me mésallie… mais je l’aime.
Comment, si vite que ça ?
Oui, ça m’est venu comme une bombe ! et à elle aussi !…
Bah !
Oui.
Elle te l’a dit ?
Si elle me l’a dit, non, elle ne me l’a pas dit : elle me l’a indiqué… Je viens donc de chez ses parents.
Mais comment as-tu eu l’adresse ?
- Monsieur, madam’Dorothée Bruscambille,
- Pardon, excus’pour mon indiscrétion ;
- J’viens vous d’mander la main de votre fille,
- C’que je n’frais point si j’n’étais pas garçon !
- J’veux pas savoir si c’est un’fille unique,
- Elle est unique en beauté, ça m’suffit.
- J’ai pas besoin d’une dot magnifique,
- Car la vrai’dot, c’est les fleurs de l’esprit.
- Mon Dieu ! j’sais bien que vot’fille est danseuse,
- Et qu’les danseus’montrent plus que leur né.
- J’sais qu’leur vertu, c’est un’chos’vétilleuse,
- Et que, des fois, y’en a qu’ont mal tourné ;
- Mais, voyez-vous, j’ai là-d’ssus mon idée,
- D’la profession faut pas s’embarrasser ;
- Car une femm’, quand elle est décidée,
- Pour mal tourner n’a pas besoin d’danser.
- Moi j’suis bel homm’, j’ai jamais eu un rhume,
- Et je m’appell’Jean Poirot de mon nom.
- Sous votr’respect, poireau c’est un légume
- Avec lequel on fait du bon bouillon.
- J’ai le cœur tendre, amoureux et très-vierge,
- Et je suis Suiss’, quoiqu’natif de Nogent,
- Comm’qui dirait portier ou bien concierge
- Dans un’maison ous’qu’y a de l’argent !
- Ayant de quoi, croyez, monsieur et dame,
- Que sur la dot’je n’s’rai pas très-taquin
- Si vous voulez qu’Dorothé’soit ma femme
- Répondez-moi : Hôtel Saint-Florentin.
Mon ami, c’est plein de délicatesse…
Mon Dieu ! je l’ai écrite avec mon cœur… Et je vais la porter moi-même… M’accompagnes-tu ?
T’accompagner ! Et mon explication avec madame Bav… avec mam’selle Rose ?…
(Rose parait au haut de l’escalier.)
Ah ! Poirot… c’est elle !Scène III.
C’est lui !
(elle descend.)
Du calme !
(Au moment où Rose arrive au milieu du théâtre, Bavolet se précipite vers elle. Il ouvre la bouche pour l’apostropher ; Rose le toise d’un air de défi impertinent et indifférent à la fois. Bavolet, interdit, ne trouvant rien à dire, la toise du même regard.)
Prends garde ! du calme !
Viens je l’étranglerais !
(Ils sortent tous les deux ; Rose, en allant à son comptoir, murmure entre ses dents le refrain du second acte.)
- « Une femme légitime.
- « Ça se retrouve toujours… »
(La Cocardière apparaît au fond.)
Monsieur La Cocardière
Scène IV.
Bonjour, Rose !
Vous êtes rentrée à bon port, Rose ?…
Oui, monsieur La Cocardière.
Rose ! mon bonheur me parait un rêve… Il me semble que je suis encore plus amoureux depuis que…
Oh ! monsieur La Cocardière, plus bas… de grâce… si on nous entendait…
N’aie pas peur… Amour et mystère… tel est mon panache… Je t’apporte là dans ce portefeuille le reste de la dot… j’y ai joint…
Quoi donc ?
Quelques autres petits chiffons !…
Oh ! je rougis, monsieur La Cocardière !
Non ! ne rougis pas !… Danaé ne rougissait pas sous la pluie… Je veux que tu sois heureuse… Dans un mois tu auras carrosse…
Carrosse ! oh !… Et Bavolet ?…
Nous lui dirons que c’est la parfumerie !… ça va merveilleusement, en ce moment, la parfumerie… c’est immense comme ça rend !
Tu vois bien.
Un flacon d’eau de la reine de Hongrie, s’il vous plaît.
Voilà ! Ah ! mon Dieu ! ils sont là haut ! (Elle désigne la vitrine au-dessus du comptoir.) il faut que je monte.
Attendez, je ne souffrais pas qu’en ma présence… (Il monte sur la chaise.) Là, dites-vous ?
Oui… à gauche… vous y êtes !
La reine de Hongrie demandée.
Merci ! C’est combien ?
Cinq livres.
Hum ! ça n’est pas donné.
Nous ne donnons rien, ici, nous vendons… et puis tout est hors de prix aujourd’hui dans la parfumerie.
Enfin ! (Il paye et sort.)
Rose… une demande indiscrète… Aimes-tu un peu ton petit Co-Cocardière ?
Dis… oh ! dis, que tu aimes quelque chose en moi… ne fût-ce que mon nez…
Cinq sous de pommade à la vanille.
Voilà !
Tenez, mon parrain, là, dans ce grand pot.
Ah ! dans ce grand… pot…
Seulement, si vous ne mettez pas le tablier, vous allez vous tacher,… rien ne marque comme la vanille….
En effet, si vous ne mettez pas le tablier…
Mais non, vous…
Moi, c’est juste… Je le mets. (Il prend un tablier et se le passe au cou…) Cinq sous, c’est ?…
Un quart de livre.
Un quart de livre. Voilà, jeune homme, et bonne mesure.
Merci, vieux ! (A part en sortant.) Il a l’air bête, ce commis-là.
Ah ! monsieur !
Le flacon d’essence de patchouli de madame la marquise ?
Encore ! c’est vrai qu’il est achalandé, son magasin.
Ah ! mon Dieu ! le patchouli, je l’avais oublié, il est encore à décanter.
LA COCARDIÈRE. Il décante !
Item, sa tubéreuse, son extrait de musc et sa teinture de benjoin !
Tout cela est encore là haut.
Tout ça décante !
Ah ! mon parrain !
Il faut monter ?
Oui, au troisième… les quatre flacons sont dans le bain-marie… Vous les retirerez, les laisserez refroidir et vous me les descendrez.
Diable, c’est que…
Je décante ! Je décampe ! J’y Monte ! (A part.) C’est égal ! il est très-achalandé ce magasin. (Il monte l’escalier.)
Allez, mademoiselle, dans un quart d’heure on enverra chez votre maîtresse. (La soubrette sort, Clorinde paraît en même-temps à la porte.) Ah ! Clorinde !
Scène V
Eh bien ?
Il est ici !
Bon !
J’ai fait tout ce que vous m’avez dit… Je lui ai laissé croire… mais c’est rude, allez !
Bah ! quand on veut se venger, et tu le veux toujours ?
Si je le veux !… Oui ! oui, me venger de lui beaucoup… et de Bavolet un peu…
Oh ! Bavolet…
Trahie… avec toi !
C’est un hasard ! ça pouvait ne pas être moi… Comme avec M. La Cocardière, ça pouvait ne pas être vous ! Et puis, si je ne le mets pas au pas dès le premier jour, qu’est-ce que ce sera le mois prochain ?
Le voici !
Bon !… laissez-moi seul avec lui.
Mais La Cocardière, il faut que je le…
Nous avons le temps, il fait refroidir du patchouly… Allez ! allez ! entrez-là ! (Elle fait entrer Clorinde à droite.)
Scène VI
- A nous deux, ma femme !
- A nous deux !
- Pourriez-vous me dire madame,
- Où vous avez passé la nuit ?
- Et vous, pouvez-vous me dire sans honte
- BAVOLET, troublé.
C’que vous avez fait d’puis minuit ?
- Moi, j’n’ai pas à vous rend’de compte…
- J’vous l’dirai… quand vous m’l’aurez dit.
- Votre silenc’suffit pour vous confondre…
- Moi, vot’mari, j’vous ordonne de répondre…
- Et moi, vot’femm’, j’m’y r’fuse absolument !
- Absolument ?
- Complètement !
- Complètement
- V’là qu’je m’emporte encor ?
- C’est bête.
- Quand on n’a pas la conscience nette,
- Il ne faut pas-crier si fort !
(Haut doucement).
- Rose ! Rose !
- Il fut un temps où tu m’aimais.
- Il fut un temps où je l’aimais.
- Ce temps a-t-il fui pour jamais ?
- Ce temps n’a pas fui pour jamais.
- Nous rêvions amours éternelles
- Pour nos cœurs tendres et fidèles.
- Ce souvenir
- Peut revenir…
- Ouvre ton cœur et tout est dit,
- Où donc as-tu passé la nuit ?
- Tu parles-là d’un temps bien doux.
- Oh ! oui, c’était un temps bien doux !
- Y’avait pas d’secrets entre nous.
- Y’avait pas d’secrets entre nous.
- Pas de soupçon, de réticence,
- On avait pleine confiance.
- Ce souvenir
- Peut revenir…
- Ouvre ton cœur… et tout est dit,
- Où donc as-tu passé la nuit ?
- Ah ! c’est trop fort, rien ne la touche,
- Pas un mot ne sort de sa bouche !…
- Au lieu de m’demander pardon
- (Le menaçant). Petit’malheureus’!
- Battez-moi donc ?
- Non ! non ! se batt’, c’est ben-pour le vulgaire !…
- Alors, pourquoi tous ces cris superflus ?
- Je sais ce qui me reste à faire…
- ROSE.
Rose ! vous ne me verrez plus !
- Tant mieux ! je n’vous entendrai plus !
- Adieu ! vous ne me verrez plus !
- Je n’vous entendrai plus !
- Ah ! c’est affreux ! ah ! c’est infâme !
- V’là donc c’que c’est qu’l’amour d’un’femme !
- Adieu bonheur, rêves perdus !
- Adieu, Ros’, vous n’me verrez plus !
- Ah ! c’est affreux ! ah ! c’est infâme !
- On n’doit pas soupçonner sa femme !
- C’est lui qui d’vrait être confus !
- Qu’il parte, je n’le verrai plus !
- (Il se dirige vers la porte, au moment de la franchir, il se retourne). Adieu, Rose !
- Rose… où donc as-tu passé la nuit ?
- On n’doit pas soupçonner sa femme !
- C’est infâme !
- Adieu !
- (Bavolet sort en courant.) C’est dit !
Scène VII
Eh bien ! qu’il s’en aille ! C’est trop d’entêtement aussi. Oh !… quand je pense que tout cela c’est la faute de ce monstre de La Cocardière !
Bichette ! Ils sont comme glace, on peut les livrer à madame la marquise (mettant un cinquième dans sa poche, à part). çà… c’est de l’eau du serpent pour la teinture… ça peut servir.
Venez ici, vous ! Vous savez ce qui se passe ?
Non, mais tu vas me le dire. — Laisse-moi d’abord déposer ces flacons. Que ce patchouli sent fort !…
Il se passe que mon mari sait tout.
Ciel !
Que lui et elle vous cherchent pour vous tuer !
Hein !
Que madame Clorinde sait tout.
Ah ! mon Dieu !
Et que moi je n’ai plus qu’à fuir avec vous, bien entendu !
Avec moi.
C’est que je vais te dire, bichette, en dehors de la parfumerie, j’ai des affaires ici,… Satané patchouli !
Vous hésitez ? Il hésité ! – Après avoir poussé une faible femme dans l’abîme, il refuse de l’en tirer !
Non ! je ne refuse pas, mais… (Il essaie de repousser le patchouli.)
Heureusement que la vengeance ne se fera pas attendre. J’aperçois madame Clorinde.
Sapristi ! où me cacher ?
Oh ! la fureur éclate dans ses yeux !
Bichette ! au nom de notre amour, serre-moi quelque part !…
Pas par-là ! (Il sort de dessous l’escalier et veut le monter). Pas là non plus ! (Il va au comptoir.)
Mais où alors, où ?
Tenez là ! l’armoire ! (Elle le fait entrer dans l’armoire.)
Rose ! reprends le patchouli !… Il me rend fou !
Scène VIII
(Clorinde rentre).
Mes hommages, madame. Que dois-je vous servir ?
Ce qu’il faut que tu me serves ?
- Ce qu’il faut me servir
- C’est mon amant, ma chère,
- Ce bon La Cocardière,
- Allez me le quérir.
- Ah ! femme vertueuse,
- Candide et doucereuse,
- Aux yeux baissés, au doux maintien !
- Moi, jamais je ne guette
- Vos amants de guinguette,
- Pourquoi me prenez-vous le mien ?
- Ce qu’il me faut servir,
- Etc., etc.,
Je ne sais ce que vous voulez dire… Mais M. La Cocardière n’est pas ici, madame.
Tu mens ! je l’ai vu ! Tu me le caches parce que tu es sa complice ; mais il ne niera pas le flagrant délit cette fois… Tiens ce gros-diamant que tu as au doigt et qu’il t’a passé lui-même… (Elle le retire de son doigt et veut le passer à celui de Rose qui le refuse). Il est ici, te dis-je, et je te somme de me le livrer.
Soit ! je fouillerai… Quelle est cette chambre ?
C’est l’arrière-boutique.
J’y vais. (Elle sort à gauche, en passant devant l’armoire, elle donne un coup de poing dedans, on entend un bruit de flacons. La Cocardière tenant toujours ses flacons dans ses bras, ouvre la porte de l’armoire. Il est très-pâle.)
Vous l’avez entendu ?
Oui, ne faiblis pas et retire-moi le patchouli, il m’asphyxie.
Silence ! elle revient ! (Elle referme la porte.)
Personne ! Et cette autre pièce ?
C’est le laboratoire ; mais je vous jure bien, madame !
Arrière ! je visiterai plutôt toute la maison ! (Elle entre à droite en faisant beaucoup de bruit.)
Rose… je vais me trouver mal !… Au moins la tubéreuse !
Trop tard ! (Elle reforme l’armoire.)
Rien ! Ah ! il est bien caché, mais j’ai de la patience ! et quand je devrais rester toute la journée et toute la nuit. (Elle s’assied sur un tabouret, au bas de l’escalier.)
Que faites-vous ?
Je monte ma faction !… je me suis promis de le trouver… je le trouverai !
Scène IX
Ah ! mon Dieu ! mon Dieu !
La Julienne !… qu’y a-t-il ?
Ah çà !… qu’est-ce que tu as déjà fait à ton mari… petite malheureuse ?
Comment ! c’que j’ai fait ?
Je l’ai aperçu, de loin, il y a un instant, qui courait comme un fou du côté du quai.
Du côté du quai !
Ah ! Bavolet ! Courons !
Scène X
- Où donc as-tu passé la nuit ?
- Allons ! t’as plus d’cœur que d’esprit !
(Avec l’accent toulousain.)
- « À Toulouse, en Toulousain,
- « Pardine ! on la connaît bien.
- (Ils s’embrassent à cœur-joie.) Ah ! Rose !
- Qu’ell’méchant’plaisant’rie !
- On n’t’en f’ra plus ! j’té l’certifié !
- Tu les prends trop mal, pardi pas !
- Pardi pas !
Pourquoi donc qu’elle dit : Pardi pas !..,
- S’rait-c’pour se moquer d’moi… parc’qu’on vient de me r’mettre,
- La réponse à ma lettre ?
- Ah ! l’on t’a répondu ?
- V’là l’petit mot qu’j’ai r’çu !
- Et j’en suis confondu !
(Sur l’air de la lettre.)
- « Votre demande est un honneur extrême.
- « Mais notre fille qu’est marié’d’puis sept ans.
- « À cinq enfants. Nous attendons l’sixième.
- LE CHŒUR. « Qui doit venir de moments en moments ! »
Ce pauvr’Poirot ! Ce pauvr’Poirot !
(Grand bruit de verres cassés dans l’armoire. Parlé sur la musique.)
Qu’est-ce que c’est que ça ?
Ouvrez, au nom du ciel, ouvrez !…
Ah ! mon Dieu ! La Cocardière que nous oublions. Faut-il ouvrir, Rose !
Oui, allez, il doit être à point ! (Cloride ouvre, La Cocardière sort en chancelant.)
Beuh ! beuh ! De l’air, j’étouffe (On le fait asseoir au milieu de la scène.)
Mon parrain !
Faites-moi respirer quelque chose ! n’importe quoi, mais pas de parfums !… Oh ! quelque chose qui sente mauvais ! Beuh !…
Attendez, je vas vous faire une diversion.
Ah ! que c’est bon
Ah çà, mon parrain, dans cette armoire, qui signifie ?
Cela signifie que vous n’êtes pas le seul jaloux !… Il venait épier ici… celle qui, le mois prochain, doit s’appeler madame La Cocardière !
Hein !
Sa femme !
Oui, messieurs, sa femme…
Ah ! permettez…
Et à telles enseignes qu’il m’a déjà donné l’anneau des fiançailles…
Elle !… c’était elle !
Je vous ai dit, mon bon, que le flagrant délit serait extrêmement cher…
Oui… mais on peut se racheter !…
(Reprise de la ronde du final du premier acte.)
- Eh bien ! La Cocardière !
- Vous voilà mon mari !
- C’est-à-dire, ma chère
- Que j’en suis ébloui !
- Lequel a trompé l’autre
- ROSE, riant, à Bavolet.
Hier après minuit ?
- Où diantre, bon apôtre.
- As-tu passé la nuit ?
- Allons ! gens de la noce,
- Rentrons dans nos foyers :
- Les uns dans leur carrosse,
- Et les autres à pied.
- Allons ! gens de la noce,
- Rentrons dans nos foyers
- Les uns dans leur carrosse,
- Et les autres à pied.