La Légende dorée/Saint Crisant et sainte Daria

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La Légende dorée (1261-1266)
Traduction par T. de Wyzewa.
Perrin et Cie (p. 595-596).
CLVI


SAINT CRISANT ET SAINTE DARIA, MARTYRS
(25 octobre)


Crisante était fils d’un noble de Narbonne nommé Solime. Celui-ci, ne pouvant détourner son fils de la foi du Christ, le fit enfermer dans une chambre en compagnie de cinq jeunes filles chargées de le séduire par leurs caresses. Mais Crisant pria Dieu de le rendre vainqueur de la bête féroce qu’est la concupiscence ; et aussitôt les cinq jeunes filles furent envahies d’un sommeil profond, dont elles ne pouvaient s’éveiller que hors la chambre. Alors une prêtresse de Diane, nommée Daria, vierge pleine de sagesse et de beauté, s’offrit à ramener Crisant au culte des idoles. Elle se rendit chez lui, et, comme le jeune homme lui reprochait la pompe de ses vêtements, elle répondit qu’elle ne s’était point vêtue ainsi pour l’amour de cette pompe, mais dans l’espoir de mieux servir la cause des dieux. Crisant lui reprocha ensuite de prendre pour des dieux des êtres que ceux-là même qui les ont inventés représentent comme chargés de vices et d’impudicité. Et comme Daria lui répondait que, sous les noms de ces dieux, c’étaient les divers éléments qu’adoraient les philosophes, le jeune homme lui dit : « Si l’un vénère la terre comme une déesse tandis qu’un autre la cultive pour avoir du blé, c’est celui-là que la déesse récompense le plus ; et de même pour la mer et les autres éléments ! » Puis Crisant convertit Daria, et le jeune couple, feignant d’être uni par le lien du mariage charnel, tandis qu’il ne l’était que par des liens spirituels, opéra autour de lui de nombreuses conversions entre lesquelles on cite notamment celles du tribun Claude, de sa femme, de ses enfants et d’autres officiers.

Le préfet Numérien fit alors jeter Crisant dans une prison infecte, mais la puanteur de cette prison se changea en un parfum merveilleux. Daria, de son côté, fut placée dans un lupanar ; mais aussitôt un lion, s’enfuyant de l’amphithéâtre, vint garder la porte de ce mauvais lieu. Arrive un homme envoyé par le préfet pour corrompre la vierge : le lion s’empare de lui, et, d’un signe de tête, demande à Daria ce qu’il doit en faire. Daria répond qu’elle est prête à recevoir l’envoyé ; et aussitôt celui-ci, converti, s’en va proclamer, par toute la ville, la sainteté de la jeune femme. Arrivent ensuite des chasseurs, chargés de s’emparer du lion ; mais c’est le fauve qui s’empare d’eux et les dépose aux pieds de la vierge, qui les convertit. Enfin le préfet ordonne d’allumer un grand feu devant l’entrée de la maison, de façon que Daria et le lion périssent brûlés. Et Daria, voyant l’effroi du lion, lui permet de s’enfuir où bon lui semblera.

Mille autres supplices furent encore infligés à Crisant et à Daria, sans que les deux martyrs en eussent aucun mal. Enfin tous deux, par ordre du préfet, se virent jetés dans une fosse, et écrasés sous les pierres. Ils moururent sous l’épiscopat de Carus de Narbonne, qui monta sur son siège en l’an du Seigneur 211.