La Légende dorée/Saint Fursy

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La Légende dorée (1261-1266)
Traduction par T. de Wyzewa.
Perrin et Cie (p. 551-553).

CXLIII


SAINT FURSY, ÉVÊQUE
(29 septembre)


L’évêque Fursy, après une longue vie pleine de vertus, rendit son âme à Dieu. Il vit alors venir à lui trois anges, dont deux emportèrent son âme, tandis que le troisième les précédait, armé d’un bouclier blanc, et tenant en main un glaive de feu. Il vit aussi des démons qui, pour l’empêcher d’avancer, lançaient sur lui des flèches enflammées ; mais l’ange qui le précédait parait ces flèches avec son bouclier, et aussitôt les éteignait. Alors les démons dirent aux anges : « Cet homme a souvent tenu des discours oiseux ; il n’a pas le droit d’être admis dans l’assemblée des bienheureux ! » Et l’ange : « Si vous n’apportez point la preuve qu’il ait eu de grandes vices, de ses menus défauts il ne sera point puni ! » Alors un des démons : « Si Dieu est juste, cet homme ne sera point sauvé ; car l’évangile dit que celui-là n’entrera pas au royaume des cieux qui n’aura point su s’abaisser pour devenir pareil à un enfant ! » Et l’ange : « Cet homme à eu l’innocence dans le cœur ; mais l’habitude humaine l’a empêché d’en faire un plein usage. » Et le démon : « De même que, par habitude, il a mal agi, le juge suprême doit le punir par sa loi ! » Et l’ange : « Que Dieu juge entre nous ! » Il y eut alors un combat, et l’ange terrassa ses adversaires.

Puis un des diables dit : « Le serviteur qui ; connaissant la volonté de son maître, ne s’y conforme pas, doit être puni ! » Et l’ange : « En quoi donc cet homme ne s’est-il donc pas conformé à la volonté de son maître ? » Et le démon : « Il a reçu des dons des méchants ! » Et l’ange : « Il a cru que chacun d’eux avait fait pénitence ! » Et le démon : « Il aurait dû ; d’abord ; s’assurer de cette pénitence ! » Et l’ange : « Que Dieu juge entre nous ! » De nouveau ils luttèrent, et l’ange resta victorieux.

Alors le démon, revenant à la charge : « Je croyais jusqu’ici que Dieu ne mentait jamais. Or, il a promis de punir, dans l’éternité, toutes les fautes non expiées sur la terre. Et l’homme que voici n’est point puni, bien qu’il ait accepté un manteau d’un certain usurier. Où donc est la justice de Dieu ? » Et l’ange : « Tu ignores la profondeur des jugements de Dieu ! » Alors le diable frappa si cruellement Fursy que, par la suite, celui-ci garda toujours le souvenir du coup. Puis, prenant en enfer un des damnés, il le lança sur lui ; et le damné, en tombant sur lui, lui brûla une mâchoire et une épaule ; et, dans ce damné, Fursy reconnut l’usurier dont il avait accepté le manteau. Et l’ange dit au mort : « C’est ta faute même qui te brûle : car, si tu n’avais pas accepté le don de ce méchant, Dieu n’aurait point permis que tu fusses ainsi châtié ! »

Revenant à la charge, le démon dit : « L’homme, d’après l’évangile, doit aimer son prochain comme lui-même. » Et l’ange : « Cet homme a toujours fait le bien à son prochain ! » Mais le diable : « Cela ne suffit pas si, en outre, il n’a pas aimé son prochain autant que lui-même ! Fursy n’a pas rempli la parole de Dieu : il doit être damné ! » De nouveau, ange et démon luttèrent, et la victoire resta à l’ange.

Alors le démon : « Si Dieu est juste, cet homme mérite d’être châtié ; car il a promis de renoncer au siècle, et, au contraire, il a aimé le siècle ! » Et l’ange : « S’il a aimé les choses du siècle, ce n’est pas pour en jouir lui-même, mais pour les donner aux pauvres ! » Et le diable : « De quelque façon qu’il les ait aimées, il a agi contre le précepte divin ! » De nouveau il y eut une lutte, mais Dieu fit en sorte que les anges restèrent victorieux, et que le mort se vit entouré d’une immense clarté.

Alors un des anges lui dit : « Retourne-toi et regarde le monde ! » Fursy, s’étant retourné, vit une vallée de ténèbres au-dessus de laquelle brillaient quatre grands feux. Et l’ange lui dit : « Tu vois les quatre feux qui brûlent le monde : le feu du mensonge, le feu de la cupidité, le feu de la dissension, et le feu de l’impiété. » Puis Fursy vit que ces quatre feux se fondaient en un seul, et se rapprochaient de lui. Effrayé, il dit à l’ange : « Seigneur, le feu s’approche de moi ! » Et l’ange : « Comme tu ne l’as pas allumé, il ne te brûlera point ; car ce feu atteint les hommes d’après leurs mérites. Et, dans la mesure où le corps a brûlé de désirs illicites, il brûlera du feu infernal ! »

Et, après tout cela, l’âme de Fursy, rentra dans son corps, à la grande surprise de ceux qui veillaient le cadavre. Et le vieil évêque vécut encore quelque temps ; après quoi il mourut, chargé de bonnes œuvres