La Lanterne magique/54

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Petites Études : La Lanterne magique
G. Charpentier, éditeur (p. 85-86).
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Cinquième douzaine

LIV. — ART POÉTIQUE

Les académiciens sont en séance. Ils parlent à mi-voix et s’expriment en mots choisis, et leurs visages rassérénés expriment une complète béatitude. Ils doivent décerner le prix de poésie à la meilleure œuvre composée sur ce sujet donné : L’Influence de la Revue des Deux-Mondes dans l’extrême Orient, et sur la proposition de l’aimable romancier Tonia, dont les favoris bien peignés ondulent comme le flot d’un ruisseau d’argent, ils vont accorder leur suffrage unanime au numéro onze qui, avec la plus touchante modestie, a adopté cette épigraphe : Sinite parvulos venire ad vos. Mais à ce moment-là se lève et surgit un séculaire académicien enseveli dans l’ombre. La salle est parfaitement éclairée par sa verrière ; mais cette ombre, c’est le vieil Immortel qui l’a sécrétée autour de lui. Sec et brun, il semble avoir été sculpté dans une racine de buis, et il est si vieux que sur son crâne lisse, après les âges révolus, commencent à repousser de légers cheveux, blonds comme ceux d’un enfant. Et comme le délicat Tonia répète, avec une grâce que raffine encore une pointe de subtile ironie :

— « Oui, messieurs, j’ose croire qu’il vous plaira de choisir le numéro onze, sans trop vous demander si ce n’est pas ici la sauce — je veux dire l’épigraphe — qui fait passer les rimes, et que vous voudrez, en faveur de l’intention, couronner le poème…

— Mais, hurle alors le petit vieillard en agitant furieusement ses mains de bois, on ne peut pas le couronner, parce que dedans — il y a un rejet ! »