La Lanterne magique/76

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Petites Études : La Lanterne magique
G. Charpentier, éditeur (p. 118-119).
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Septième douzaine

LXXVI. — HYPERBOLES

Sur la place du petit village, où il fait nuit déjà, dans une chambre basse dont la porte est toute grande ouverte, la vieille Nanette Migne achève de coudre une jupe d’indienne, à la clarté de sa petite lampe ; et assis loin d’elle devant une table ronde en noyer, le jeune notaire, monsieur Oscar Fourneri, un élégant, boit une bouteille de bière. Nanette Migne est couturière de son état, mais elle a un tonneau de bière dans sa cave ; le dimanche seulement, elle vend à boire à quelques paysans, et c’est pourquoi elle a fait placer au-dessus de sa porte une enseigne sur laquelle le charron, qui est vitrier en même temps, a peint de son mieux le mot : café.

Monsieur Fourneri, qui habite exactement en face de la couturière, a de la bière toute pareille à celle de Nanette, achetée au même marchand, et rien ne l’empêcherait de boire dans sa propre maison. Mais comme il a été étudiant à Paris, qu’il regrette et où il a fait les cent dix-neuf coups dans les brasseries du quartier Latin, il vient boire chez Nanette, à cause du mot café écrit sur la porte. Cependant, la dévote madame Euphrasie Fourneri se désespère. Tragique et déchevelée comme une lady Macbeth, elle tord ses bras douloureux, et s’écrie avec une sombre angoisse :

— « Ô ciel ! que je suis malheureuse ! Mon mari est au Café ! Il n’a pas pu se déshabituer du Café ! Il mène la vie de Café ! »

Et, trempant encore une fois son insuffisant mouchoir dans le flot de ses larmes, elle se demande à part soi ce à quoi elle devra se résoudre, si le Sénat, lassé de dire toujours : Non, se décide à voter la loi du Divorce.