La Lanterne magique/Camées parisiens/0

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Petites Études : La Lanterne magique
G. Charpentier, éditeur (p. 190-192).
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Camées parisiens




INVOCATION

Je fuis les arts chimériques et vains
Faits de mensonge et d’inutiles ruses.
Mais tout s’éclaire avec les mots divins
Que dans les bois, près des roches camuses,
Aux doux chanteurs ont enseigné les Muses.
Vous, mots sacrés, maîtres de l’univers,
Musiciens, qui par vos sons divers
Peignez le lys et la sanglante rose,
Je vous invoque ! enchantement des vers,
Prêtez aussi votre gloire à ma prose.




CAMÉES PARISIENS



À ALFRED DEHODENCQ

Excepté ceux pour qui un vrai peintre a créé l’immortalité, comme tu viens de le faire pour ton enfant si beau, dans un portrait que Lawrence eût signé avec orgueil, lequel de nos contemporains peut se flatter que l’Avenir saura quels furent son être physique et son visage ?

Les penseurs, les observateurs se réjouiraient sans doute d’avoir, sur la physionomie des personnages célèbres des temps passés, une note vive, rapide, sincère, écrite au courant de la plume par un poète impressionnable qui ait eu de bons yeux. Voilà ce que je me suis dit, et ce que j’ai essayé de réaliser pour indiquer aux penseurs des âges futurs l’attitude et l’expression de quelques figures illustres, ou simplement curieuses, qui vivent à présent.

Mais (pourras-tu m’objecter, non sans raison) tu crois donc posséder ce don inestimable du Style, qui, seul, peut faire qu’un livre dure ? — Non, par la glorieuse pantoufle de Rabelais ! je ne me berce pas complaisamment d’un tel rêve incongru ; mais je crois en revanche que nos bibliothèques publiques ont des dimensions très cyclopéennes, et qu’un humble volume, oublié dans un coin de leurs rayons, peut y demeurer intact, s’il ne moisit, et être retrouvé là, dans un siècle peut-être ! par quelque bon fureteur désœuvré.

S’il plaît au Hasard d’épargner celui-ci jusqu’à l’époque où nos petits-fils étudieront respectueusement tes ouvrages comme ceux d’un des plus puissants et des plus harmonieux coloristes de l’École Française, ton nom, écrit sur sa première page, attestera alors que parmi les admirateurs de ton talent, aujourd’hui si élevé et toujours grandissant, nul n’aura été plus ardent et plus sincère que ton vieil ami.