La Liberté de l’enseignement supérieur en Belgique

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La Liberté de l’enseignement supérieur en Belgique
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 86 (p. 865-899).
LA LIBERTÉ
DE
L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR
EN BELGIQUE

La France va proclamer la liberté de l’enseignement supérieur. Une commission a été nommée pour étudier la question. Cette commission a voulu connaître la législation des pays étrangers sur cette matière, et la Belgique a, paraît-il, appelé particulièrement son attention[1]. Il y a pour cela deux raisons. D’abord le parti qui a réclamé le plus bruyamment la réforme des lois qui règlent l’enseignement supérieur a pris depuis longtemps pour mot d’ordre la liberté comme en Belgique. En second lieu, comme aucun pays ne ressemble autant à la France sous le rapport des mœurs, des lois, de l’état social tout entier, il est plus facile et plus sûr de déduire des conclusions des résultats obtenus en Belgique que des faits observés partout ailleurs. Ce petit royaume, soumis pendant vingt ans à la législation française, en a conservé le droit civil ; mais il a profondément modifié son droit politique, en prenant plutôt les États-Unis pour modèle, comme semble vouloir le faire la France maintenant. C’est pour ce motif qu’il peut être utile de montrer les difficultés et les débats auxquels l’établissement de la liberté de l’instruction supérieure a donné lieu en Belgique.

I.

La Belgique avant la révolution n’avait qu’une seule université, celle de Louvain. Fondée en 1426 par Jean IV, duc de Brabant, avec l’approbation du pape Martin V, elle avait une renommée européenne. Elle était riche, jouissant du revenu de legs et de fondations considérables. C’était en réalité un établissement de l’état, car à différentes reprises le gouvernement en avait modifié l’organisation et les règlemens. Les professeurs, au nombre de vingt-huit, étaient nommés, les uns par le souverain, d’autres par l’autorité communale de Louvain, d’autres encore par les facultés. Lors de la conquête française, l’antique université fut supprimée. Sous la république, les villes s’efforcèrent de maintenir quelques établissemens d’enseignement supérieur. Une école de médecine fut établie à Anvers, et une école de droit à Bruxelles.

Quand l’empire organisa l’Université de France, l’on aurait pu espérer que la Belgique allait être mieux dotée; mais il n’en fut rien. On ne peut se figurer à quel point l’intérêt scientifique fut mis en oubli. Bruxelles conserva son école de droit avec cinq professeurs et deux répétiteurs; mais il n’y eut pas pour toute la Belgique une seule institution où les jeunes gens qui se destinaient à la pratique de la médecine pussent faire des études complètes. Il n’existait que des écoles primaires médicales, organisées exclusivement pour l’instruction des sages-femmes et des officiers de santé. Dans ce détail se révèle tout l’esprit du régime impérial : ce qui importait, c’était d’aider les mères à mettre au monde des enfans, et de guérir leurs blessures quand ils seraient devenus soldats.

Après 1815, Guillaume d’Orange agit dans un esprit complètement opposé; il s’efforça par tous les moyens de répandre l’instruction à tous les degrés : il en comprenait l’urgence. La Belgique, après sa lamentable défaite du XVIe siècle, avait été écrasée sous le joug théocratique, comme l’Espagne et l’Autriche, à qui elle avait successivement appartenu. La France impériale lui avait pris beaucoup d’hommes et beaucoup d’argent, mais ne lui avait apporté aucune lumière en échange. Voilà comment il put se faire que l’assemblée des notables rejeta la constitution proposée par le roi Guillaume, uniquement parce qu’elle proclamait la liberté des cultes, cette « peste » que le clergé condamnait déjà, conformément aux décrets infaillibles des conciles et des papes; mais Guillaume fit ce qu’avait fait autrefois la réforme en Allemagne et dans les Pays-Bas : il fonda des universités, trois au lieu d’une, celles de Louvain, de Gand et de Liège. Il n’hésita pas à demander des professeurs au pays qui était alors le foyer des fortes études : à l’Allemagne. Ses tentatives furent couronnées de succès. L’enseignement supérieur, largement distribué, répandit en Belgique les idées modernes. C’est dans les écoles de Guillaume que se formèrent ces hommes d’élite qui en 1830 formulèrent la constitution démocratique dont le pays s’enorgueillit encore aujourd’hui. Le nombre des étudians augmentait aussi constamment : en 1818, la première année après la réorganisation des universités, il n’était que de 679; en 1829, il s’élevait à 1,620[2].

Parmi les réformes que l’on voulait arracher à l’obstination bien intentionnée, mais mal entendue du roi Guillaume, se trouvait la liberté de l’enseignement. On entendait par là le droit d’étudier où l’on voulait et celui d’ouvrir des écoles à côté de celles de l’état. Nul ne songeait alors à fonder des universités. Au lendemain de la révolution de 1830, l’un des premiers actes du gouvernement provisoire fut de proclamer la liberté de l’enseignement dans des termes qui devinrent ensuite l’article 17 de la constitution : « l’enseignement est libre; toute mesure préventive est interdite. » Ces quelques mots, si brefs, mais d’un sens si clair et si absolu, allaient bientôt amener une situation sans précédens en Europe. La révolution de 1830 ne se contenta pas d’avoir renversé un trône; c’étaient les bases de l’ordre politique qu’elle allait renouveler complètement. Il faut dire que les libertés se tiennent par un lien si intime qu’il est difficile d’en accorder une sans les accorder toutes. Comment à un peuple qui va jouir de la liberté des cultes, de la presse et de l’association, refuser celle de l’enseignement? Peut-il se concevoir un droit plus naturel, plus inhérent à la qualité d’être libre que celui d’instruire ses semblables, de leur communiquer ses idées, ses lumières? Pour qui a joui de cette faculté, il semble incroyable que les habitans d’un pays voisin puissent en être privés.

En proclamant la liberté, l’état doit-il s’abstenir d’entretenir lui-même des établissemens d’instruction publique? Certain parti et certains économistes l’ont soutenu; mais le congrès belge de 1830 ne l’a pas pensé, et le même article 17, qui consacre la liberté illimitée et sans nulle restriction, porte dans le paragraphe suivant : « L’instruction publique donnée aux frais de l’état est également réglée par la loi. » Le congrès a eu raison. Les nations, pour subsister, pour progresser surtout, ont besoin que l’instruction, à ses différens degrés, soit répandue dans toutes les classes de la société. Or il est démontré par l’expérience qu’en Europe, jusqu’à présent, les particuliers manquent de la suite de vues et d’efforts nécessaires pour conserver, accroître et communiquer à tout un peuple le dépôt des connaissances qui lui sont indispensables. L’état doit donc entretenir des écoles. C’est un de ces cas d’intervention des pouvoirs publics admis même par Adam Smith et préconisé par Stuart Mill avec une force de raisonnement irrésistible.

Ainsi d’une part droit illimité des citoyens de fonder des écoles, mais d’autre part devoir de l’état d’en entretenir aussi aux frais du trésor public, voilà le régime qui existe en Belgique depuis 1830 et qui existera en France demain. Cela ne donnerait point lieu à des difficultés sérieuses, et en deux lignes la loi serait faite, si, comme conséquence de la liberté de l’enseignement, on pouvait proclamer la liberté complète des professions, sauf répression des délits; mais, pour certaines fonctions qui semblent pouvoir mettre en danger la vie ou la fortune des citoyens, comme celles de médecin, de pharmacien, d’avocat et de notaire, l’état croit devoir demander des garanties de capacité sous forme de diplômes, délivrés par des juges compétens après examen des candidats. Or ces diplômes, très importans dans notre société, puisqu’ils ouvrent la porte des carrières libérales, qui les délivrera? Tant qu’il n’existe que des facultés officielles, rien n’est plus simple : c’est aux professeurs de ces facultés qu’appartient exclusivement ce que l’on appelle la collation des grades académiques; mais, quand il y aura des facultés libres, elles ne tarderont pas à contester le privilège des professeurs officiels. On répétera en France tout ce qui a été dit en Belgique à ce sujet. — Celui qui est maître des examens est maître de l’enseignement. Il n’y a pas d’enseignement libre tant que les résultats doivent être appréciés par les professeurs des institutions de l’état, car les professeurs des écoles particulières sont obligés de régler leur enseignement d’après celui des examinateurs, sinon ils exposeront leurs élèves à un échec probable. Que devient alors l’indépendance de la science, et comment avec un pareil despotisme le progrès par la concurrence est-il encore possible? Que dirait-on d’une loi qui, en proclamant la liberté de l’industrie, déciderait en même temps que nul ne peut vendre ses produits, s’ils ne sont reconnus excellens par certains fabricans privilégiés qui ont longtemps joui du monopole, et qui veulent le conserver dans l’intérêt même des cliens, qu’ils seraient désolés de voir mal servis? Les bancs des écoles libres pourront-ils se garnir, si les élèves sont soumis à cette obligation peu équitable de faire constater leur capacité par le corps enseignant d’établissemens rivaux? Un homœopathe a-t-il chance de voir ses élèves agréés par un allopathe? Ainsi toute doctrine nouvelle sera une cause infaillible d’insuccès dans ces régions des hautes études qu’on prétend avoir affranchies. — Je résume l’objection ; le recteur de l’université catholique de Louvain l’a formulée dans une pétition adressée en 1849 au sénat belge. « La liberté d’enseignement ne consiste pas dans le simple droit d’enseigner, elle consiste dans le droit d’enseigner avec efficacité. Sinon ce serait une lettre morte, une liberté purement spéculative. L’inégalité dans le bénéfice des études viole donc la liberté aussi bien que la contrainte sur le fait de l’enseignement. » Voilà ce que l’on dira, et ce ne seront point les catholiques seuls qui parleront ainsi; les partisans des idées nouvelles tiendront le même langage. Le monopole officiel sera battu en brèche de deux côtés à la fois, à droite et à gauche. Il est instructif de voir comment en Belgique l’état a été réduit sur ce point à capituler presque sans résistance.

Après la révolution de septembre 1830, le gouvernement provisoire maintint les trois universités; seulement à chacune d’elles, il supprima une ou deux facultés. Il ne proclama point la liberté des professions; nul alors ne songeait à cette réforme radicale. Il décida que tout Belge qui aspirait aux grades académiques serait admis à se présenter aux examens devant la faculté compétente, quels que fussent le pays et l’établissement où il avait fait ses études. C’est ainsi qu’on entendait alors la liberté d’enseignement. Le droit de délivrer les diplômes exclusivement réservé aux professeurs officiels ne semblait pas une restriction à la liberté ; bientôt cependant la difficulté allait naître d’une circonstance fortuite.

Près des universités mutilées, des facultés libres s’étaient établies pour compléter le cadre de l’enseignement supérieur. Le gouvernement donna une sorte d’existence légale à ces facultés en leur permettant de s’installer dans les bâtimens universitaires, et en désignant leurs professeurs pour faire partie des « commissions d’examen » instituées en 1831. C’était le germe des jurys d’examen et le point de départ d’une série de difficultés qui sont devenues plus inextricables à chaque tentative faite pour en sortir.

Les facultés libres donnèrent d’abord des résultats peu brillans, et le premier rapport officiel publié en 1843 par le ministre de l’intérieur le constate. « Pendant les quatre années que dura le régime des commissions d’examen, les études littéraires, philosophiques et scientifiques, préparatoires aux études du droit et de la médecine, furent partout presque complètement négligées; » mais bientôt la liberté de l’enseignement allait produire un fruit nouveau, très extraordinaire et appelé cependant à un merveilleux développement. J’ai déjà eu l’occasion de faire connaître ici les origines, les principes et les forces du parti catholique belge[3]. C’était dès 1830 un grand parti ayant ses racines les plus lointaines et les plus profondes dans le passé du pays depuis le XVIe siècle. Il avait chassé deux souverains, Joseph II et Guillaume, coupables d’avoir résisté à l’église. Il avait réclamé avec acharnement contre le monopole de l’enseignement. Admettant le principe de l’obéissance passive aux ordres d’un chef infaillible, il était discipliné comme une armée. Il avait une autre force encore : il possédait tout un système de doctrines complètement arrêtées et bien liées, qu’il voulait inculquer aux jeunes générations. Pour cela, il lui fallait un établissement d’enseignement supérieur, une université. Ce furent les évêques qui entreprirent de la fonder. Le « décret » qui érige l’université catholique est un document qui mérite de fixer l’attention; il commence comme une loi émanant du pouvoir souverain : « à tous et à chacun de ceux qui verront, liront ou entendront ces présentes lettres, salut éternel dans le Seigneur. » Ce n’est pas sans raison que les évêques belges se servent de ces royales formules. Ils agissaient en vertu d’un bref donné à Rome le 13 décembre 1833 par le pape Grégoire XVI. C’était en réalité la cour romaine qui fondait une université sur le sol belge pour y propager les principes qu’elle déclare seuls conformes à l’éternelle vérité. Ce fait sans précédens n’eût sans doute pas été toléré par les souverains de l’ancien régime, qui, même quand ils étaient très dévoués à l’église, persistaient néanmoins à faire respecter leur souveraineté dans l’ordre temporel; mais il n’en est pas moins certain que la fondation d’une université catholique par un bref papal est un acte parfaitement conforme à la liberté de l’enseignement telle qu’on l’entend aujourd’hui.

Les précautions les plus rigoureuses étaient prises pour que le nouvel établissement ne s’écartât jamais de la plus stricte orthodoxie. C’est l’épiscopat belge qui dirige et surveille l’université par un recteur qu’il nomme et révoque. Ce recteur est installé « après qu’il aura fait profession de foi entre les mains de l’archevêque, et qu’il aura promis obéissance et fidélité au corps épiscopal de Belgique. » La nomination des professeurs est faite par le recteur et sanctionnée par les évêques ; « ils sont aussi tenus de faire profession de foi conformément à la formule arrêtée par le pape Pie IV. » « Nous enjoignons aux professeurs, dit encore le décret, de tenir et de professer de cœur et d’action la foi catholique, afin qu’étrangers aux nouveautés profanes qui souillent l’intégrité de la foi, ils cherchent la science qui édifie avec charité. »

Le but et l’esprit de la nouvelle université étaient également déterminés avec une grande précision. « Voulant donner une forme fixe à cette grande institution et en assurer pour toujours la stabilité, en vertu de l’autorité apostolique et de la nôtre, nous érigeons et établissons par les présentes lettres une université qui sera à perpétuité dirigée par nous avec un pouvoir suprême et une continuelle sollicitude (sauf en toute chose l’autorité du saint-siège); elle sera composée de cinq facultés, dont la première en dignité est celle de la théologie, la seconde celle du droit, la troisième celle de la médecine, la quatrième celle de la philosophie, la cinquième celle des sciences mathématiques et physiques. » En finissant, les évêques mettaient leur entreprise sous la protection d’une puissance qui n’abandonne jamais, disent-ils, ceux qui l’invoquent. Ce n’est point de Dieu qu’il s’agit, car son nom n’est point prononcé. « Afin que tout ce qui est réglé et doit l’être à l’avenir ait toujours un résultat favorable, nous élevons les yeux et les mains vers la très sainte Vierge, dont le nom est rempli de bénédictions et de faveurs divines, et à laquelle nous recommandons humblement notre académie comme à une maîtresse et patronne très puissante. » Il faut dire que l’institution était savamment ordonnée d’après le principe d’une autorité absolue. Grâce à « la fidélité et à l’obéissance jurées, et aux professions de foi suivant la formule du pape Pie IV, » il n’est pas à craindre que jamais nouveauté profane y vienne effleurer la science orthodoxe, ou qu’un nouveau Galilée y apporte le scandale de ses découvertes. Quand on établira une université catholique en France, l’acte de fondation sera probablement conçu en d’autres termes, et ce seront des laïques qui le signeront.

Il ne suffisait pas de créer l’université, il fallait la faire vivre, se procurer des locaux, rétribuer les professeurs. Pour une entreprise laïque, c’eût été une grave difficulté; pour les évêques, ce n’en était pas une. Dans un pays où la religion a conservé son empire, les ministres du culte ont à leur disposition des trésors inépuisables. Ils n’ont qu’à frapper le rocher, et la source coule. Qui a la foi est prompt aux bonnes œuvres, donne volontiers et donne largement. La foi est un levier très puissant et très respectable ; ceux qui en disposent peuvent beaucoup, pour le bien comme pour le mal. En février 1834, les évêques s’étaient déjà adressés au clergé et aux fidèles de leurs diocèses, sollicitant a messieurs les curés desservans » de faire contribuer par tous les efforts leurs ouailles à l’érection d’une université catholique, a Nous prions, disaient-ils, tout le respectable clergé de nos diocèses, sans exception, de donner l’exemple d’une généreuse coopération à une si belle œuvre, et, sans vouloir imposer d’obligation à personne ni mettre des bornes à la libéralité de nos chers collaborateurs, nous engageons messieurs les vicaires-généraux, chanoines, doyens et curés de première et seconde classe à prendre vingt actions, messieurs les desservans dix actions, etc. » Il paraît que certains ecclésiastiques ne comprirent point d’abord toute l’utilité de l’œuvre à laquelle ils étaient appelés à participer, car dans son mandement du 5 janvier 1836 l’évêque de Liège se vit forcé de blâmer sévèrement « la détestable indifférence (pessimo. indifferentia) » de quelques-uns. Leur zèle ne tarda point sans doute à s’éveiller, car c’est l’évêque qui nomme, déplace et dépose les curés. L’épiscopat voulait que tous, même les plus humbles, donnassent leur obole. L’évêque de Liège, dans le même mandement de 1836, enjoint aux prêtres de son diocèse de frapper à toutes les portes et d’engager les a ouvriers, les cultivateurs et les domestiques » à offrir le denier de la veuve. Dans toutes les églises, des quêtes furent organisées et se font encore chaque année en faveur de l’université de Louvain. Les bénédictions du ciel sont promises à ceux qui donnent. C’est sans doute une belle idée de faire contribuer tous les fidèles, y compris les pauvres et les ignorans, à la fondation d’une grande institution d’enseignement supérieur, destinée à répandre sur tout le pays la saine lumière des hautes études, les plus nécessaires de toutes suivant M. Renan. Seulement on souhaiterait peut-être que moins de contrainte soit employée à obtenir des dons, et l’on pourrait aussi faire observer que, les curés prenant leur cotisation dans leur salaire officiel, c’est l’état qui entretient en partie l’université catholique et fait ainsi avec ses deniers concurrence à ses propres établissemens. La suppression du budget des cultes pourrait seule mettre toutes choses dans l’ordre.

Les évêques n’ouvrirent d’abord que deux facultés à Malines ; ils manquaient de locaux, et ils espéraient bientôt en avoir de magnifiques. En effet, le 31 juillet 1835, le ministre de l’intérieur, M. Rogier, avait déposé un projet de loi sur l’enseignement supérieur, qui ne maintenait que deux universités, celle de Liège et celle de Gand. Dans le courant des débats, M. Rogier proposa même de n’en conserver qu’une seule, afin d’y réunir les meilleurs professeurs dont l’état pourrait s’assurer le concours, et de l’établir à Louvain, pour qu’elle héritât de la renommée dont avait joui autrefois celle du moyen âge; mais les catholiques, qui avaient leur projet arrêté, repoussèrent cette proposition : elle fut rejetée par 39 voix contre 32 ; le projet primitif fut voté.

L’état abandonnant Louvain, les évêques s’empressèrent d’occuper la place restée vacante. Ils firent avec l’autorité communale une convention dans laquelle ils s’engageaient à organiser un enseignement universitaire complet. La ville accordait à l’université la jouissance gratuite de vastes bâtimens que l’état venait de céder à la commune. Celle-ci ne conservait aucun droit d’intervention ou de contrôle dans l’administration de l’université, exclusivement réservée au corps épiscopal. Les cours s’ouvrirent le 1er décembre 1835. L’organisation de l’enseignement était en tout semblable à celle des universités de l’état.

La confiance des évêques n’a pas été déçue ; leur œuvre a été bénie. L’université catholique n’a cessé de grandir ; elle a toujours disposé de ressources considérables dont on ne connaît point le total, mais qui ont suffi pour bien rétribuer ceux qu’elle emploie. Elle a toujours eu des professeurs en renom, et pour en enlever à l’état elle n’a jamais hésité à leur faire une situation exceptionnelle. Dans les facultés de droit et de philosophie, elle a presque autant d’élèves que les deux universités de l’état ensemble. La raison en est facile à comprendre : elle peut d’abord compter sur les enfans des familles du parti catholique et des familles patriciennes; elle attire en outre ceux des indifférens et même de quelques partisans des idées libérales, parce que les mères s’imaginent que les jeunes gens, mieux surveillés à Louvain, y ont des mœurs plus sévères. Il y a plutôt lieu de s’étonner que les universités de l’état puissent soutenir la lutte, lorsqu’on songe que la chaire et le confessionnal ne cessent point de recommander leur rivale.

La fondation d’une université épiscopale, érigée en vertu d’un bref du saint-siège, ne pouvait manquer de jeter l’alarme dans les rangs du parti qui s’est donné pour mission de combattre la domination du clergé. Les ministères catholiques[4] pouvaient nommer et nommaient en effet assez souvent des professeurs partageant leurs opinions dans les universités de l’état. Il y avait donc lieu de craindre que l’enseignement supérieur ne passât complètement sous l’influence des évêques, qui auraient eu ainsi le privilège de discipliner à leur guise presque toute la jeunesse instruite du pays. La révolution belge aurait alors abouti au triomphe de l’église romaine, et la proclamation de toutes les libertés à la suprématie d’un parti qui ne les respecte que jusqu’à ce qu’il soit assez fort pour les immoler sur l’autel de l’orthodoxie.

Le danger fut compris. Les francs-maçons, l’avant-garde du parti libéral de cette époque, poussèrent le cri d’alarme. Le 24 juin 1834, l’avocat Verhaegen, grand dignitaire de l’ordre, profita de la fête du solstice d’été pour proposer à la loge de fonder une université à Bruxelles, avec le concours de toutes les personnes dévouées aux idées libérales. Le projet fut accueilli avec enthousiasme. De toutes les loges de province, les souscriptions affluèrent. Un comité d’administration fut constitué, un programme arrêté, des professeurs nommés, et le 20 novembre, quinze jours après l’installation provisoire de l’université épiscopale à Malines, l’inauguration solennelle de l’université libre eut lieu dans la grande salle de l’hôtel de ville à Bruxelles. Le conseil communal, comprenant son intérêt, accordait à l’établissement naissant un appui efficace : il vota en sa faveur un subside annuel de 30,000 francs, et lui céda la jouissance d’un excellent local, parfaitement situé.

Un écrivain d’un esprit très fin et très sensé, né à Paris, mais depuis longtemps professeur en Belgique, M. Baron, exposa clairement dans le discours d’ouverture la raison d’être de l’institution nouvelle. « Et par le nom imposé à son université, disait-il, et par ses propres déclarations, l’épiscopat belge reconnaît que ses doctrines scientifiques seront de nécessité spéciales et restreintes, car elles se rattachent à un dogme d’obéissance passive que rejettent péremptoirement la Russie, la Grèce, la Suède, le Danemark, la Grande-Bretagne, la Prusse, une partie considérable de l’Allemagne et des États-Unis d’Amérique, c’est-à-dire la grande majorité de la civilisation humaine, — à un dogme qui, même dans les états catholiques, est contesté par une foule d’esprits religieux. Les doctrines de l’université catholique seront inévitablement incomplètes et arbitraires, car non-seulement elles s’arrêtent comme les nôtres au pied des limites infranchissables de la morale universelle et des lois, mais elles devront se resserrer, se modifier, se plier, se tordre en tout sens, suivant la suprême volonté des six dignitaires auxquels le recteur, unique modérateur de l’enseignement, jure fidélité et obéissance. Mais une autre opinion s’élève à côté de la leur, c’est que les sciences purement humaines doivent rester entièrement en dehors du catholicisme. Ce n’est point être hostile au catholicisme que de tracer d’abord une puissante ligne de démarcation entre ses doctrines et les sciences humaines, et, cela fait, de cultiver tout à l’aise, mais avec le respect que nous devons aux croyances de la majorité de nos concitoyens, l’immense terrain qui nous est livré, de poursuivre dans toutes ses veines cette mine inépuisable, laissant à Dieu, comme disait un éloquent jésuite du siècle dernier, la nuit profonde où il lui plaît de se retirer avec sa foudre et ses mystères. » Le sens et le ton de ces paroles indiquent quelle a été l’attitude de l’université libre. Créée pour la lutte, elle a combattu le système et les visées catholiques, sans attaquer le dogme. De même que l’opinion qu’elle représentait, elle a fait profession de ne point sortir de la sphère laïque. C’était faire preuve de modération et de tact. Seulement l’université catholique trouve dans la foi une force de propagande et un titre à la confiance qui manquera toujours à sa rivale. Ce qui a beaucoup contribué au succès de l’université libre, c’est que, placée dans la capitale, elle a pu profiter de toutes les ressources que celle-ci présente, y recruter beaucoup d’étudians et y trouver des professeurs éminens qu’elle rétribue peu, mais qu’elle autorise à continuer l’exercice de leur profession.

Il n’est pas sans intérêt de voir comment un établissement d’enseignement supérieur fondé par quelques particuliers a pu s’organiser, se gouverner et subsister. La direction suprême appartient à un conseil d’administration composé de onze membres que choisissent les souscripteurs. Le bourgmestre de Bruxelles ou un échevin délégué par lui préside de droit et a voix délibérative; la commune donnant un subside important et la jouissance des locaux, il est juste qu’elle intervienne par son principal magistrat. Ce conseil nomme et rétribue les professeurs, arrête le programme, exerce en un mot la direction suprême. Le nombre des étudians s’est élevé de 350 à 400. La dépense annuelle dépasse 100,000 fr. Les rétributions des élèves donnent plus de 60,000 francs. La ville de Bruxelles accorde un subside de 30,000 fr. et le conseil provincial du Brabant 10,000 fr. Trois souscriptions ouvertes en 1834, 1839 et 1843 ont produit un total de 212,050 fr. L’administration de l’établissement n’a jamais donné lieu à aucune difficulté; quoique ne jouissant pas de la personnification civile, son existence paraît complètement assurée pour l’avenir.

D’après ce qui précède, on voit que la liberté de l’enseignement en Belgique n’a pas été une lettre morte. Les deux puissans partis qui se disputent l’opinion ont trouvé chacun assez de ressources et inspiré assez de confiance pour fonder et soutenir une grande institution d’enseignement supérieur à côté des universités de l’état et en concurrence avec celles-ci. C’est un fait honorable et sans précédens sur le continent européen. Il n’a été possible que parce que ces deux partis ont de la fixité, de la permanence, parce qu’ils représentent ces deux forces qui, aujourd’hui plus que jamais, se disputent le monde, d’une part l’église catholique, qui au nom de son infaillibilité veut reconquérir son ancienne suprématie, et d’autre part l’esprit moderne, qui résiste et prétend conserver son indépendance. La liberté illimitée de l’enseignement a été utile. C’est une conquête définitive à laquelle on ne touchera pas. Nul ne s’en plaint, car elle n’a pas donné lieu au moindre abus.

Ce qui est plutôt menacé, c’est l’instruction supérieure donnée par l’état. Elle l’est en Belgique, elle ne manquera point de l’être en France, et pour les mêmes raisons. Elle a deux genres d’adversaires, tous deux également puissans; quoique parlant au nom de doctrines et dans des vues complètement opposées, ils se servent d’argumens identiques. Beaucoup d’économistes et d’amis très ardens, — j’ajouterai en ceci très aveugles, — de la liberté, disent : Le rôle propre de l’état est de maintenir l’ordre et de garantir la sécurité contre les ennemis du dehors et du dedans, mais il ne lui appartient pas d’enseigner, car il n’a pas de doctrines. Est-il rien de plus absurde que de voir l’état, coiffé du bonnet de docteur, monter en chaire pour exposer un système de philosophie ou de cosmogonie? Il ne le peut qu’en restant dans la sphère des lieux-communs. Il sera amené à destituer tantôt un professeur d’hébreu parce qu’il aura interprété la Bible, tantôt un professeur de médecine parce qu’il est soupçonné de darwinisme ou de positivisme, ou de quelque autre nouveauté hétérodoxe. Passe encore que l’état fonde des écoles quand il en manque ; mais, lorsqu’il y en a pour tous les goûts et toutes les opinions, il est temps que le gouvernement s’abstienne. La nécessité seule l’autorisait à sortir du cercle de ses véritables attributions ; cette nécessité n’existant plus, il faut qu’il y rentre. Voyez les États-Unis, pays modèle en fait d’instruction publique. Les différens états dépensent sans compter des millions pour l’enseignement primaire, parce qu’ils sont seuls capables de l’organiser ; ils abandonnent l’enseignement supérieur à l’initiative individuelle, parce que les particuliers sont à même de l’entretenir et de le diriger. — À ce raisonnement, le parti des évêques applaudit, car, chose singulière mais très explicable, ceux qui rêvent comme régime de l’avenir la théocratie romaine vantent souvent comme régime actuel les lois américaines.

Aux amis de la liberté trop peu prévoyans et aux amis de l’église trop habiles, il n’y a qu’une réponse à faire, c’est celle-ci : en fait de gouvernement et de législation, la situation et les besoins d’un pays ne sont pas ceux d’un autre pays, et ce qui est excellent en Amérique pourrait être détestable en Europe. Il est certain que presque partout en Europe les partis seuls fonderaient des universités pour répandre leurs idées et conquérir la suprématie. Nous aurions des institutions entretenues par le parti clérical ou catholique, d’autres institutions érigées par les adversaires de ce parti. La science cesserait d’être une étude désintéressée, elle deviendrait une arme de combat. Involontairement, mais inévitablement, le professeur subirait dans ses recherches et dans ses conclusions l’influence des idées politiques qui ont érigé sa chaire. Chaque université formerait une corporation militante dont la mission serait de combattre le système de la corporation rivale. Ce serait un devoir, car chaque parti est convaincu que ses adversaires conduisent la société à sa perte. Il n’y aurait plus de place pour la science impartiale, et la jeunesse serait partagée en deux factions irréconciliables, préparées à la guerre civile par la guerre des doctrines. Là où il y aurait des partis homogènes, puissans et très hostiles les uns aux autres, il y aurait des universités libres, dans les conditions que nous venons d’indiquer ; il n’y en aurait d’aucune sorte dans les pays où de semblables partis n’existeraient pas. Voilà pourquoi il faut qu’en Europe l’état continue à maintenir un enseignement supérieur, et qu’il s’efforce de le rendre aussi fort que possible. Le but suprême, unique, doit être le progrès de la science et la recherche de la vérité. Ce n’est pas que le gouvernement ne doive nommer que des hommes sans opinion, il ne nommerait que des hommes qui ne pensent point, mais il doit les choisir pour leurs connaissances. Le gouvernement respectera dans le professeur la liberté du citoyen; le professeur, les exigences d’un enseignement fait pour tous et rétribué par tous[5]. C’est ainsi que l’université officielle aura sa place marquée et son rôle nécessaire entre les institutions créées par les partis.

La liberté est un droit, car il doit être permis à tout citoyen de communiquer le résultat de ses travaux. Elle est aussi un bien, car par la concurrence elle hâte la marche en avant; mais en Europe elle serait funeste, si elle avait pour conséquence d’anéantir l’enseignement de l’état. Cela fut si bien compris en Belgique dès 1830, qu’on inséra dans l’article 17 de la constitution la phrase que nous transcrivions plus haut: «l’instruction publique donnée aux frais de l’état sera réglée par la loi. » Seulement les catholiques ne tardèrent pas à chercher le moyen d’enlever à ce paragraphe toute valeur pratique. Un de leurs chefs les plus éloquens et les plus habiles, M. Dechamps, soutint que le texte constitutionnel n’impose pas à l’état l’obligation d’enseigner; ce texte signifierait seulement que, si l’état enseigne, la loi doit régler l’enseignement. « L’état, disait M. Dechamps, n’a jamais ni pouvoir ni mission d’enseigner, parce que, n’ayant jamais été le représentant d’une doctrine, il a toujours manqué de la première condition pour enseigner, et à plus forte raison n’a-t-il point ce pouvoir aujourd’hui que la division des croyances rend sa neutralité obligée, dans le domaine des idées et des convictions. » M. Dechamps en concluait que, si les établissemens libres suffisent aux besoins de la population, l’état n’a plus à s’ingérer dans l’enseignement. Le rapport où l’orateur catholique exposait cette manière de voir provoqua dans la chambre et dans tout le pays une si vive émotion, que nul n’osa déposer une proposition formelle; mais le principe n’a pas été abandonné, il est devenu un axiome et un mot d’ordre pour tout le parti catholique. Ce n’est que la conséquence rigoureuse de son système.


II.

Un autre incident vint soulever une question qui se rattache intimement à la liberté de l’enseignement et aussi à la séparation de l’église et de l’état, c’est la question de la personnification civile. Déjà en France le clergé, dans une pétition adressée à la commission d’enquête, vient de demander qu’on reconnaisse les facultés libres comme personnes civiles, avec droit d’acquérir des propriétés par legs et donation. M. Prévost-Paradol, dans la France nouvelle, a bien montré l’importance du problème, sans insister assez, me semble-t-il, sur les conséquences de la solution qu’il considère comme seule équitable. « Le droit pour l’église, dit-il, de posséder, d’hériter, d’acquérir, le droit de réunir dans la main des chefs de l’association toutes les ressources dont elle dispose, sont des conséquences indispensables de la séparation de l’église et de l’état, et l’on ne peut même donner le nom de concession à la reconnaissance de droits si légitimes, car le refus de reconnaître ces droits, tout en séparant l’église de l’état, serait une persécution véritable. » C’est exactement le langage que tinrent les catholiques en invoquant la liberté de l’enseignement, quand en 1841 deux représentans, MM. Dubus et Brabant, proposèrent au parlement de reconnaître à l’université de Louvain la qualité de personne civile. Les termes de la proposition étaient très modérés et très habilement conçus. L’université ne pouvait acquérir des biens qu’avec l’autorisation du gouvernement, et cette autorisation ne pouvait plus être accordée dès que les acquisitions auraient constitué un revenu total de 300,000 francs. Indépendamment de la contribution ordinaire, il devait être perçu annuellement sur ces biens un impôt de 4 pour 100 du revenu cadastral.

Les personnes civiles, disaient les partisans de cette mesure, ayant droit de posséder et d’ester en justice, sont créées par la puissance publique. Le droit romain les a reconnues sous le nom d’universitates ou collegia. Depuis Justinien jusqu’à nos jours, elles se sont partout multipliées, et, malgré les abus dont elles n’ont pas été exemptes, elles ont contribué pour une large part aux progrès de la civilisation en Europe. La révolution française en a détruit beaucoup, mais elle a respecté celles qui avaient pour but de donner l’instruction ou de secourir les malades. Quoique l’opinion leur soit hostile, nos lois les admettent; mais c’est en Angleterre, aux États-Unis surtout, qu’il faut voir les résultats admirables dus aux associations, à qui l’on accorde sans difficulté l’existence légale. Puisque nous adoptons les libertés américaines, il faut aussi nous approprier les lois qui seules les rendent fécondes. Pourquoi tous les peuples civilisés ont-ils reconnu des personnes civiles? Parce que ces établissemens, ayant un caractère de perpétuité, peuvent seuls répondre à un besoin permanent. Or il n’existe pas de fondations plus utiles que celles qui ont pour objet d’encourager les hautes études et de répandre l’instruction supérieure, car c’est celle-ci qui fait la gloire, la richesse, la puissance d’un peuple. Quand un bienfaiteur de l’humanité fonde un hospice ou seulement un lit dans un hôpital, on applaudit; mais si quelqu’un, plus occupé du développement des esprits que de la conservation des corps et plus attentif au progrès des lumières qu’au soulagement des maladies, veut ériger une université ou doter une chaire, on repousse la main du généreux et intelligent donateur. Les fondations destinées à l’instruction publique sont plus dignes de la faveur du législateur que celles qui sont destinées à l’entretien des hospices, d’abord parce qu’elles répondent à un besoin plus élevé, ensuite parce que la charité privée, touchée par la vue des maux physiques, ne manquera pas de les soulager, tandis qu’elle restera indifférente à la misère morale et au grand mal de l’ignorance, lequel étant invisible ne frappe pas les sens. D’ailleurs, si l’on a proclamé la liberté de l’enseignement supérieur, c’est sans doute afin qu’elle donne lieu à la création d’institutions libres assez puissantes pour organiser des études sérieuses. Or, pour qu’elles puissent le faire et contribuer ainsi au progrès et à la diffusion de la science, il faut qu’elles aient le droit de compter sur l’avenir et de s’assurer des ressources permanentes. Établir une université digne de ce nom n’est pas l’œuvre d’un jour. Il faut qu’on sache qu’elle durera, sinon, création éphémère, elle n’aura ni professeurs ni élèves. Si son existence doit dépendre du produit éventuel de souscriptions annuelles, elle ne pourra jamais s’élever au niveau des anciennes universités. Les universités du moyen âge, celles de l’Angleterre, le Harvard collège aux États-Unis, se sont développés sur la base solide d’un fonds productif dont ils étaient propriétaires. Le sort des établissemens de l’état est assuré par le budget; si donc on refuse aux établissemens libres les moyens de durée indispensable, la concurrence est impossible et la liberté n’est qu’un vain mot. Le monopole est rétabli de fait.

D’ailleurs quelles objections peut-on invoquer? C’est un privilège, dit-on, et il ne doit plus y en avoir pour personne. Sans doute, mais l’université catholique ne réclame aucun privilège. Elle veut au contraire que, comme en Amérique, tout établissement d’instruction supérieure soutenu par la confiance du public et capable de rendre des services au pays obtienne également la personnification civile. — Mais, répondra-t-on, c’est un précédent dangereux; toutes les associations qui couvrent le pays, écoles, sociétés de musique ou de tir, couvens, réclameront la même faveur, et les personnes réelles seront écrasées sous ce réseau de personnes fictives. C’est tout simplement la reconstitution de l’ancien régime. Cette objection n’est point sérieuse, car le pouvoir législatif sera juge, et il n’accordera le droit de posséder qu’aux établissemens qui répondent à un besoin élevé, général du pays, et qui ne peuvent vivre autrement. — On évoque encore le fantôme de la mainmorte; mais rien n’est plus facile que de conjurer ce danger. Qu’on limite la quantité d’immeubles que chaque institution pourra posséder. D’ailleurs, en Amérique, en Angleterre, l’étendue des biens de mainmorte ou de majorat est immense. On ne remarque pas pourtant que ces pays soient moins riches, moins prospères que les autres. — Vous insistez, et vous dites que l’université catholique, personne civile, l’emporterait bientôt sur ses rivales, et qu’elle arriverait ainsi à un monopole véritable. Si cela était, c’est que la sagesse de ses règlemens et l’excellence de ses leçons lui auraient valu la confiance de tous les parens, et dès lors qui pourrait s’en plaindre? Si un service de transport était si parfaitement organisé qu’il évitât toujours tout accident et qu’il accaparât par suite tous les voyageurs, ne faudrait-il point s’en féliciter? Mais cette appréhension de monopole est mal fondée. Le parti libéral, l’état tout au moins, peut donner à ses établissemens un développement proportionné à celui des institutions dont on craindrait la suprématie. Le pays ne pourrait que profiter de cette obligation imposée à tous les concurrens de rendre leur enseignement aussi parfait que possible.

Malgré ces raisons très plausibles en apparence et parfois très bien exposées[6], la répulsion qu’inspira la proposition de MM. Dubus et Brabant fut si violente qu’ils crurent devoir la retirer. Cependant le motif de cette hostilité de l’opinion ne fut point franchement dit au sein des chambres à cette époque. Aujourd’hui il saute aux yeux : ce qui fait que l’on n’accordera pas facilement aux établissemens catholiques, ni même aux églises catholiques, ce droit illimité de posséder et d’acquérir que l’ancien régime ne leur a concédé nulle part et que pourtant M. Prévost-Paradol déclare ne pouvoir leur être refusé sans iniquité, c’est que l’orthodoxie, par la voix des papes et des conciles, a condamné les principes sur lesquels repose la société moderne, et que, si l’église l’emportait définitivement, elle s’empresserait de les abolir. Quand on se trouve en présence d’un parti qui ne réclame la liberté pour lui qu’afin de la ravir aux autres dès qu’il sera le maître, ce n’est pas une raison suffisante pour lui refuser la liberté, car celle-ci, comme le soleil, doit être à tout le monde, mais c’en est une pour ne pas accorder des faveurs qui peuvent ramener un jour le despotisme théocratique. La personnification civile n’est pas une conséquence nécessaire de la liberté; c’est une exception au droit commun, que le législateur peut refuser quand il y voit un sérieux inconvénient. Ce qui est excellent aux États-Unis et en Angleterre, où plusieurs sectes se disputent l’empire des âmes, serait probablement funeste dans un pays où domine un culte qui s’inspire d’idées radicalement hostiles à la civilisation moderne. En résumé, il y a un grand nombre d’excellentes raisons à invoquer en faveur de la personnification civile des universités libres, et il n’y en a guère qu’une seule à lui opposer; mais celle-ci paraît devoir peser plus que toutes les autres ensemble[7].


III.

Les deux incidens que nous venons de relater ont été vite clos. L’opinion publique s’était aussitôt prononcée très énergiquement pour le maintien des universités de l’état et contre la personnification des universités libres ; mais il est une autre question aussi importante peut-être, plus complexe sans contredit, et à laquelle on n’a pas encore trouvé de solution généralement acceptée : c’est celle des jurys d’examen. Il importe de ne la point négliger, parce que certaines personnes voudraient introduire en France le système belge.

En 1835, au moment où les chambres abordèrent la discussion de la loi qui devait régler l’enseignement supérieur, il existait donc en Belgique deux universités de l’état, celle de Liège et celle de Gand, et deux universités libres, celle de Louvain, fondée par les évêques, celle de Bruxelles, fondée par le parti libéral. Comme l’avait dit un homme d’état qui s’était spécialement occupé de ces questions, M. Nothomb, actuellement ambassadeur à Berlin, «la coexistence de l’enseignement donné aux frais de l’état et des institutions libres soulève un problème tout nouveau, sans précédent dans le droit public, et devant lequel on peut sans déshonneur s’arrêter et même hésiter[8]. » En effet, si, pour exercer en qualité de médecin ou d’avocat, il faut des diplômes, attribuera-t-on le droit de les délivrer aux facultés de l’état, comme sous le régime hollandais et comme en France? C’est le système le plus logique, car les diplômes ne sont qu’une mesure de police préventive, destinée à garantir la sécurité des citoyens, et nul ne conteste que toute mesure intéressant la sécurité publique ne soit du ressort exclusif de l’état; mais ce système aurait placé certainement les universités libres dans une position subalterne. Or elles réclamaient tout au moins l’égalité, et comme elles avaient pour elles à la fois et le parti catholique à cause de celle de Louvain, et le parti libéral avancé à cause de celle de Bruxelles, force était de subir leurs conditions. C’est ainsi que les chambres furent amenées à instituer un jury unique pour tous les candidats, n’importe où et comment ils avaient fait leurs études. Il y avait un jury distinct pour chaque grade dans chacune des quatre facultés. Chaque jury était composé de sept membres nommés annuellement, savoir : deux par la chambre des représentans, deux par le sénat et trois par le gouvernement. Ce régime, déclaré provisoire, n’était voté que pour trois ans; mais, malgré de nombreux essais de réforme, il demeura en vigueur jusqu’en 1849, c’est-à-dire pendant quatorze ans.

Le jury central réunissait de grands avantages. Il avait de l’autorité, de la solennité. Il établissait une commune mesure pour apprécier les connaissances acquises par les étudians de tout le pays. Les uns n’avaient pas à subir une épreuve sévère, les autres une épreuve rendue facile par l’indulgence ou la complaisance. Il y avait égalité pour tous. C’est avec raison qu’un ministre, M. de Decker, pouvait dire : « Quoi de plus rassurant sous le rapport de la liberté, et de plus fécond sous le rapport de la science, que l’institution, au nom de la société, de cette haute magistrature de l’intelligence devant laquelle l’enseignement supérieur officiel et l’enseignement supérieur libre viennent faire leurs preuves et s’exercer aux luttes utiles d’une loyale émulation? » Mais le mode de nomination de ce jury central était très mauvais. En appelant l’intervention des chambres, il faisait dépendre les choix des influences politiques. L’intérêt des partis, non l’intérêt de la science, les dictait. C’était pour défendre la liberté de l’enseignement contre les empiétemens de l’état que l’on avait réservé au parlement le droit de désigner quatre membres sur sept; « mais, comme le disait M. Nothomb en 1844, s’il y a un danger, c’est de paraître rattacher la destinée des établissemens libres aux majorités parlementaires et aux scrutins électoraux; c’est de sembler assigner aux représentans des intérêts généraux du pays le mandat spécial et impératif de sauvegarder un établissement réputé à tort menacé. » Un second vice du jury central, c’est que, les mêmes examinateurs étant constamment réélus, il se formait une commission permanente qui tenait en réalité dans ses mains la direction suprême de tout l’enseignement supérieur. Nous montrerons plus loin le mal qui en résultait. En 1844, M. Nothomb, alors ministre de l’intérieur, proposa, quoique appartenant au parti catholique, de conférer au gouvernement le droit de nommer chaque année les membres du jury, les chefs des universités de l’état et ceux des deux universités libres entendus, de manière que dans chaque jury les quatre établissemens fussent représentés. Le projet fut rejeté par li9 voix contre 42. C’est seulement depuis la loi du 15 juillet 1849 que le jury central a été remplacé par les jurys combinés, qui fonctionnent encore maintenant et qu’on voudrait introduire en France.

Voyons d’abord comment ces jurys sont formés; nous examinerons ensuite les résultats qu’ils ont produits. L’article 40 de la loi disait : « Le gouvernement procède à la formation des jurys chargés des examens et prend les mesures réglementaires que leur organisation nécessite. Il compose chaque jury d’examen de telle sorte que les professeurs de l’enseignement dirigé par l’état et ceux de l’enseignement privé y soient appelés en nombre égal. » Afin de mettre la loi à exécution, il est formé en vue de chaque grade deux jurys universitaires pour les élèves des universités, et un jury central pour les élèves qui ont fait des études privées. Le jury central est composé de quatre professeurs appartenant aux quatre universités, et d’un président choisi en dehors de l’enseignement. Les jurys universitaires sont constitués de la manière suivante : chacune des deux universités de l’état est alternativement combinée avec une des universités libres; cette année-ci Liège avec Louvain, et Gand avec Bruxelles; l’an prochain, Liège avec Bruxelles, Gand avec Louvain. Dans le jury de chaque grade siègent les professeurs qui ont fait les cours sur lesquels les élèves sont interrogés. Ils appartiennent en nombre égal à chacune des universités combinées. Chaque professeur interroge sur la matière qu’il a enseignée, et il dispose, pour examiner ses élèves, de deux fois plus de temps que le professeur de l’établissement rival. Le président du jury est pris hors du corps professoral; en cas de partage égal des voix, la sienne décide. Ce que l’on a voulu, c’est d’abord établir une égalité parfaite entre les établissemens libres et ceux de l’état, en second lieu forcer l’élève à suivre les cours, en faisant dépendre le succès de ses examens de la voix de ses maîtres, enfin organiser le contrôle réciproque des universités et des professeurs.

Bientôt des plaintes très vives surgirent contre le nouveau système. A peine appliqué, on proposa de l’abandonner. Le 30 janvier 1856, M. de Decker, ministre de l’intérieur, déposa un projet de loi qui rétablissait le jury central, en autorisant le gouvernement a le nommer de façon que les quatre universités existantes y fussent également représentées. Ce projet ne fut pas accueilli. Les jurys combinés furent maintenus ; seulement la loi du 1er mai 1857 vînt décider que les élèves ne seraient plus examinés sur certains cours ; il leur suffirait de produire un certificat constatant qu’ils ont suivi ces cours avec assiduité et avec fruit.

Aura-t-on bien compris quel est actuellement le système suivi en Belgique pour la collation des grades académiques ? Il est si compliqué qu’il est très difficile de le faire parfaitement saisir à ceux qui ne l’ont pas vu fonctionner. Au fond, il repose sur deux dispositions distinctes, mais également funestes dans leurs conséquences : les jurys combinés et les cours à certificat. M. Duruy a fait au sein du sénat français une critique très vive, mais très juste des cours à certificat, en montrant que les branches auxquelles on avait donné ces brevets d’infériorité étaient pour la plupart celles qui offrent le plus de portée scientifique. Seulement il faut dire, à la justification de ceux qui ont fait adopter les cours à certificat, qu’ils n’entendaient aucunement sacrifier ces branches ; ils voulaient au contraire y laisser au professeur, qui n’a pas à enseigner en vue de l’examen, plus de latitude dans le choix et dans l’étendue de ses développemens théoriques. Malheureusement, ainsi qu’on l’avait prévu, les étudians ont conclu, comme M. Duruy au sénat, que les cours à certificat sont des cours accessoires, et généralement ils ne leur ont accordé que leur présence obligée et non leur attention.

Quant aux jurys combinés, il n’y a, je crois, personne en Belgique qui les approuve. Les étudians dans leurs congrès, les professeurs de l’état dans les réunions académiques, les ministres même au sein des chambres, les ont condamnés de la façon la plus nette. Seuls peut-être certains professeurs de l’université de Louvain s’exprimeront avec plus de réserve, parce qu’ils craindront qu’on n’adopte un régime moins favorable à leur influence. Les jurys combinés ont nui aux études, voilà un fait avoué par ceux-là mêmes qui doivent être portés à se faire illusion sur ce point. Dès 1853, les présidens des jurys, réunis en commission extraordinaire, constataient que les hautes études étaient en décadence. En 1856, le ministre de l’intérieur, appartenant à l’opinion catholique, M. de Decker, disait dans un rapport aux chambres : « Le système des jurys combinés est aujourd’hui jugé. On peut soutenir, sans crainte d’être démenti, qu’il est condamné par tous les professeurs qui l’ont pratiqué depuis cinq ans. Leur témoignage confirme l’existence des griefs signalés et qui sont inhérens au principe de l’institution. » En 1860, un autre ministre de l’intérieur, libéral cette fois, M. Rogier, disait : « A moins de supposer que tous les hommes qui prennent part aux examens des élèves se trompent, il faut bien le constater avec eux, le niveau des études a baissé. » Je ne citerai pas ici les avis motivés des facultés et des conseils académiques, ils ne font que corroborer l’appréciation des ministres[9].

Voici en peu de mots les inconvéniens du système actuel. Il nuit à la dignité du corps enseignant, car la loi elle-même le met en suspicion. Elle semble douter de sa bonne foi, puisqu’elle soumet les professeurs de l’état à la surveillance des professeurs des institutions libres et réciproquement. Les représentans de deux universités qui ont des opinions et des intérêts différens étant mis en présence, ils s’entendent ou trop bien ou trop mal. Dans le premier cas, on aboutit, pour le choix des questions et l’appréciation des réponses, à une indulgence telle que l’examen devient illusoire, et qu’autant vaudrait le supprimer. Dans le second cas, il y a des luttes ardentes, des débats passionnés ; le professeur est amené, malgré lui, à se faire l’avocat de ses élèves au lieu d’en être le juge. Le jury se partage en deux camps hostiles, et c’est la voix du président seul qui décide, quoiqu’il ne puisse connaître suffisamment les différentes branches qui ont fait l’objet de l’examen. Pour que les universités libres subsistent, il leur faut avant tout des succès réels ou apparens, il faut enfin que leurs élèves n’échouent pas. Les universités de l’état, dont le sort est assuré par le budget, pourraient oublier l’intérêt d’argent et ne considérer que celui de la science ; mais à moins d’être injustes, et de l’être à leurs dépens, elles ne peuvent se montrer plus rigoureuses que leurs rivales, et ainsi c’est l’appréciation la plus complaisante qui l’emporte. L’indulgence d’une moitié du jury entraîne nécessairement l’indulgence de l’autre moitié. Le jury combiné tue le haut enseignement, parce qu’il lui ôte ce qui fait sa force et sa vie, l’originalité des doctrines, la nouveauté des aperçus, la personnalité des opinions. Un enseignement fait dans cet esprit préparerait l’échec de l’élève, tandis que des lieux-communs inattaquables assureront son succès. Le professeur se gardera d’exposer des idées qui pourraient donner lieu à contestation. Il ne sortira pas des questions banales ; mais celles-là, il les exposera dans tous leurs détails, avec clarté et méthode, afin que l’étudiant puisse répondre imperturbablement. Le travail du maître consistera donc à préparer l’étudiant à l’examen ; le travail de l’élève à avoir des cahiers complets et à les savoir par cœur. Dans certaines institutions, on a été jusqu’à dicter des formulaires. Toute science est ramenée ainsi à la forme d’un catéchisme, et la mémoire prend la place de l’étude et de la réflexion. Le professeur est obligé chaque année de suivre le même programme et de parcourir le cercle des questions habituelles. C’est le triomphe complet de la routine et de l’uniformité.

La mission des universités est de développer l’esprit scientifique. C’est à ce titre seulement qu’elles méritent la faveur de l’état et des particuliers. Les hautes études ne portent de fruits dignes des sacrifices dont elles sont l’objet que quand elles sont poursuivies d’une façon désintéressée, dans la pensée unique d’étendre le cercle des connaissances humaines. Or est-ce le résultat que l’on a obtenu? Nullement. La loi ayant tout fait aboutir aux jurys d’examen, les élèves ne travaillent que pour obtenir les diplômes. Le meilleur professeur à leurs yeux est nécessairement celui qui les leur fera conquérir avec le moins d’efforts. Dès lors l’enseignement le plus sec, mais le plus méthodique, le plus facile à réduire en formules, sera le type, et il faudra bien s’y conformer sous peine de paraître dans les jurys avec un désavantage certain. Attelez deux chevaux à un char, c’est le moins ardent qui réglera l’allure. Le système des jurys combinés a donc pour effet d’affaiblir le goût de la science, que les universités ont pour but d’entretenir.

Si les résultats n’ont pas été meilleurs, ce n’est pas la faute de la liberté, c’est la faute de la réglementation. Depuis 1830, la liberté d’enseignement n’a existé en Belgique que de nom. Les hautes études ont été écrasées sous la plus dure des tyrannies, celle du programme. Il faut bien le noter, c’est pour satisfaire les institutions libres que la liberté a été enchaînée. Qu’importe que chacun puisse à son gré ériger une chaire ou constituer une université, si la nécessité de faire subir aux élèves de nombreux examens devant les mêmes jurys force toutes les institutions existantes à suivre la même marche, à prendre les mêmes méthodes, à exposer les mêmes choses de la même manière et dans le même ordre? Ainsi je ne pourrais enseigner le droit romain d’abord, le droit moderne ensuite, ou bien remplacer l’explication d’auteurs anciens par la philologie comparée, car je sortirais du cadre des examens, mes élèves ne seraient pas préparés à les subir, mon institution serait déserte. De cette façon, le droit de fonder des écoles est illimité, mais l’enseignement scientifique est complètement asservi. Et qu’on ne s’empresse pas d’accuser l’ingérence bureaucratique de l’état. L’état n’est point coupable, le mal est inhérent au système. Si l’on impose aux élèves des institutions libres l’obligation de subir une série d’examens devant un jury, ces institutions devront dire : Faites-nous connaître les matières sur lesquelles porteront les interrogations dans chaque épreuve, déterminez exactement la limite de vos exigences ; sinon nos élèves seront livrés à l’arbitraire de vos examinateurs, et il nous sera impossible de les préparer convenablement aux examens que vous leur prescrivez. Ce sont les établissemens libres qui réclameront comme une garantie le programme obligatoire. La même servitude s’imposera aux établissemens officiels; la variété des moyens pour atteindre le but commun, l’esprit d’innovation et de progrès, qui sont les bons côtés de la libre concurrence, disparaîtront, et l’on aura ainsi tous les inconvéniens du monopole sans aucun des bons effets de la liberté.

Je crois d’ailleurs que le système des jurys combinés serait inapplicable en France. On a pu l’introduire en Belgique parce que le pays est petit, qu’il s’y trouvait exactement deux universités libres et deux universités de l’état, et qu’on pouvait par suite les réunir deux à deux; mais supposez un nombre plus grand et variable de facultés répandues sur la surface de la France, et dont quelques-unes n’auraient qu’une existence éphémère ou intermittente : comment leur donner place dans la loi et déterminer d’avance leur droit d’intervenir dans la formation des commissions d’examen? Vouloir organiser des jurys scientifiques dans lesquels les facultés libres auraient exactement la même part d’influence que les facultés officielles, c’est s’engager dans une voie sans issue, ainsi que le prouvent les tâtonnemens, les malheureux essais, les mesures provisoires, dont on ne sort pas depuis quarante ans en Belgique. Il faut laisser à la Belgique cette malencontreuse institution, qui ne tardera pas à disparaître devant la réprobation universelle.


IV.

Quel système convient-il alors d’adopter pour la collation des diplômes? Trois systèmes principaux méritent de fixer l’attention. Le premier consiste à ne plus exiger aucun diplôme et à proclamer la complète liberté des professions, comme aux États-Unis. Le second consiste à attribuer aux facultés officielles seules le droit de faire subir les examens à tous les candidats, comme en France. Le troisième consiste à laisser toutes les facultés délivrer les diplômes comme elles l’entendent, sauf à établir un examen professionnel final, un staats-examen, comme en Prusse, épreuve qui n’a d’autre but que de s’assurer si le candidat a les connaissances nécessaires pour exercer sa profession sans compromettre la vie ou la fortune des cliens. Apprécions rapidement ces trois systèmes.

Logiquement, la liberté d’enseignement conduit à la liberté des professions. Plus les lumières sont répandues, mieux-les particuliers sont à même de distinguer ce qui leur est utile-de ce qui leur est nuisible. La tutelle de l’état est une nécessité transitoire. Indispensable pour les peuples mineurs, elle n’est plus qu’une gêne pour les nations où l’instruction est générale. Je crois qu’en Europe le diplôme est encore nécessaire pour l’exercice de la médecine et de la pharmacie, et pour le notariat, qui est une fonction publique. L’ignorance en médecine peut causer un mal irréparable ; une erreur tue. Le malade ne peut juger ni du médicament qu’on lui donne ni des effets qu’il produit. Si son médecin l’a empoisonné, il n’est plus temps d’en changer. Pour le diplôme d’avocat, les mêmes raisons n’existent pas. Le client peut apprécier si son conseil le comprend; qu’il aille à l’audience, il entendra si l’avocat plaide bien. Perd-il son procès en première instance, il peut s’adresser à un autre pour l’appel; point de mal irréparable. D’ailleurs, même si l’on abolit le diplôme obligatoire, les plaideurs continueront à s’adresser aux diplômés volontaires, et ils choisiront de préférence ceux qui ont passé leurs examens devant les universités les plus célèbres. En Belgique, devant les tribunaux de commerce, plaidait qui voulait, et pourtant, dans un port comme Anvers, des intérêts énormes sont en jeu. Les plaideurs ont-ils profité de la faculté que leur laissait la loi? Nullement; ils ont toujours employé des avocats, et les meilleurs. Dans aucune autre profession, la réputation acquise n’exerce autant d’attraction. Tout le monde s’adresse aux avocats en renom, quoiqu’ils se fassent payer cher, et que le temps leur manque pour bien étudier tous les dossiers. Les jeunes avocats ne trouvent guère de clientèle; donc ceux qui n’auraient pas même ce titre seraient tout à fait délaissés.

Aux agens de change, on confie des millions sans qu’ils donnent de reçu; ils disposent de vingt fois plus de valeurs que les avocats, et ils en disposent sans qu’aucun contrôle soit possible. Néanmoins, en Belgique, cette profession a été déclarée complètement libre, sans nulle garantie, et personne ne réclame le rétablissement des anciens privilèges. Dans les mines, dans les usines, sur les chemins de fer, l’ingénieur tient dans ses mains la vie d’un grand nombre de personnes; cependant c’est encore une profession libre. Ainsi donc, sauf pour la médecine, liberté des professions comme conséquence logique de la liberté du travail, telle me paraît devoir être la solution en ce point. Les facultés continueraient à délivrer des diplômes après examen, l’état cesserait d’en exiger. Les avocats se constitueraient en confréries, dont ils régleraient les conditions d’admission et d’expulsion. Le public ne manquerait pas de s’adresser à celles qui auraient su acquérir une réputation de science et d’honnêteté. L’habitude nous cache ce qu’il y a d’absurde à voir l’état nous fournir des avocats brevetés avec garantie du gouvernement. C’est évidemment un reste de l’institution gothique des corporations. Si l’état croit devoir empêcher les citoyens de s’adresser à un conseil ignorant, pourquoi permet-il aux jeunes gens de vingt et un ans de manger leur fortune, quand ils en disposent avant d’avoir acquis la sagesse nécessaire pour en faire bon usage? Bien plus d’argent se perd et se perdra de la sorte que par le choix d’un mauvais avocat.

Mais, dira-t-on, c’en sera fait de la science juridique. — Comme si c’étaient les examens officiels qui la font fleurir ! En Angleterre, avant qu’on eût introduit, il y a douze ans, un examen final facultatif, les épreuves que subissait le barrister consistaient à dîner de temps en temps au local de la corporation. Est-il un pays cependant qui ait produit plus d’avocats éminens et faisant plus grand honneur à la profession? L’enseignement de la physique, de la chimie, de la géologie, de la philologie et de tant d’autres sciences n’aboutit pas à un examen imposé par la loi. Ces branches des connaissances humaines sont-elles plus délaissées que le droit? sont-elles moins approfondies? y a-t-on fait moins de progrès? Les résultats sont là qui répondent. J’avoue n’avoir jamais trouvé une raison vraiment sérieuse pour continuer à exiger un brevet à l’entrée de la carrière du barreau. En Belgique, l’opinion publique ne tardera pas à en exiger la suppression. Déjà les deux journaux les plus importans du pays, représentant les deux nuances du libéralisme, l’Indépendance belge et l’Echo du parlement, se sont prononcés dans ce sens. On peut s’étonner qu’un pays qui, dès 1830, a osé adopter des libertés aussi périlleuses en apparence que celles de la presse, de l’enseignement, de l’association sans restriction aucune, ait cru devoir prendre cette illusoire précaution des diplômes du doctorat en droit. Comment! vous avez assez de confiance dans le bon sens des citoyens pour remettre à leurs votes la direction de la chose publique, et vous craignez de leur laisser le libre choix d’un conseil quand il s’agit de leurs intérêts privés! Vous les supposez à la fois capables de choisir un législateur, incapables de se choisir un avocat! Quelle contradiction ! Dans le premier cas, un mauvais choix peut entraîner la perte du pays; dans le second cas, il ne peut léser que celui qui aura manqué de discernement. Il est pourtant bien évident qu’un individu verra plus clair dans ses propres affaires que dans celles de l’état. Ainsi la tutelle officielle est moins nécessaire dans la sphère privée que dans celle de l’intérêt public.

Maintenant, si l’on conserve les diplômes, au moins pour les médecins, reste à voir qui les délivrera. Il y a de bonnes raisons pour réserver ce droit aux facultés de l’état. En Belgique, ce système a été défendu avec beaucoup d’énergie par l’université de Gand[10], et voici à peu près le résumé des argumens qu’elle invoquait. — S’assurer si ceux qui veulent pratiquer la médecine ou le droit ont les connaissances nécessaires pour ne pas compromettre la vie ou la fortune de leurs cliens, c’est une mesure de garantie sociale et de police préventive qui est exclusivement de la compétence de l’état. Si la précaution est nécessaire, l’état seul a le droit et le devoir de la rendre efficace. Il ne peut se décharger de ce soin sur des établissemens particuliers, puisque c’est le résultat de l’enseignement de ces institutions qu’il s’agit de contrôler. L’état veut avoir la garantie que les universités privées forment des médecins et des avocats capables ou tout au moins non dangereux par incapacité, et ce seraient ces universités elles-mêmes qui seraient chargées de le constater! Ce serait évidemment rendre la garantie illusoire, et alors autant l’abolir. La loi impose certaines précautions aux fabriques de poudre; quelle efficacité aurait cette loi, si les fabricans de poudre étaient eux-mêmes chargés d’en surveiller l’exécution? Les examens sont incontestablement une mesure de haute police : la police, le soin de la sécurité publique, est du ressort de l’état; donc la désignation des examinateurs est une fonction exclusivement gouvernementale. Quand les institutions privées réclament au nom de la liberté le droit d’intervenir dans la formation des jurys d’examen, elles confondent deux choses très distinctes. La liberté existe quand tous, — individus ou associations, — peuvent ouvrir des cours, ériger des chaires, organiser des facultés et enseigner ce qu’ils veulent, sans nulle mesure préventive ni restrictions autres que celles du code pénal ; mais de cette liberté ne résulte point du tout le droit pour ces institutions privées de décider ou de contribuer à décider si leurs élèves sont capables d’être sans danger des avocats ou des médecins. Si un certain contrôle est indispensable, plus les institutions libres seront nombreuses, diverses dans leurs méthodes et dans leur enseignement, moins on pourra leur abandonner la mission d’exercer ce contrôle, et plus l’état sera tenu de se la réserver à lui-même.

Il faut avouer que ce sont là des raisons très fortes, et elles me paraissent irréfutables en tant qu’elles s’appliquent à un examen final, professionnel, qui a pour but de donner à la société les garanties dont elle croit encore avoir besoin; mais, quand il s’agit des grades scientifiques exigés à chaque pas que l’étudiant fait dans ses études, les objections s’élèvent en foule. On peut dire d’abord que, si l’état veut contrôler la marche des hautes études scientifiques, il sort de son domaine, ensuite que c’est établir la suprématie d’une doctrine officielle, car les opinions et les livres des examinateurs seront nécessairement suivis par le plus grand nombre des étudians. La domination absolue du programme est rétablie. Les institutions libres devront se conformer au moule officiel, sinon leurs élèves échoueront aux examens. Impossible d’intervertir l’ordre des matières ou d’en approfondir une, sauf à en traiter une autre comme secondaire. Le joug de l’uniformité pèse à nouveau sur tout le monde. La spontanéité, l’esprit de progrès et d’innovation, sont frappés de mort. Le jury officiel en matière scientifique est la négation de la liberté. Malgré le plus sincère désir de se montrer impartial, ce jury pourra-t-il mettre dans la même balance les doctrines qu’il croit fausses, dangereuses, perverses, et d’autres doctrines qu’il croit vraies, salutaires et nécessaires? De Bonald et de Maistre seraient-ils bons juges du mérite d’un disciple d’Hegel ou de Kant? Ils ne l’auraient probablement pas compris, et ni Fichte ni Schelling n’auraient obtenu leur diplôme.

Un des membres les plus distingués du parti catholique en Belgique, M. Dechamps, a caractérisé d’une façon si exacte le rôle et l’influence des jurys scientifiques, que nous croyons pouvoir reproduire ici ses paroles. « Le jury d’examen, disait-il, n’est pas un jury spécial et professionnel comme la commission centrale de Berlin, c’est un conseil supérieur des hautes études où l’enseignement tout entier vient se centraliser. Le jury, en interrogeant sur tout, enseigne tout. C’est le programme vivant imposé aux universités de l’état, aux universités libres et aux études privées. Les professeurs des universités doivent enseigner d’après les idées, d’après les méthodes que les membres du jury ont adoptées; les professeurs ne sont plus que les répétiteurs des membres du jury. L’élève n’a plus les yeux fixés sur le professeur, mais sur l’examinateur. Les professeurs, ne participant point à l’examen, perdent toute autorité, toute influence sur leurs élèves; cette autorité, cette influence, sont dévolues aux membres du jury. Le jury, placé ainsi au faîte de l’enseignement, est une puissance véritable; c’est le gouvernement de l’enseignement supérieur en Belgique. » On ne saurait mieux montrer la grandeur et le vice de l’institution. Il n’y a rien à ajouter; il suffit de demander si la science doit être gouvernée, si l’enseignement, soumis à la discrétion de ce tribunal suprême, dont les sentences sont sans appel, est vraiment libre.

Ce qui précède nous conduit forcément à préconiser le troisième système. Dans ce système, les facultés officielles et les institutions libres délivreraient les diplômes scientifiques, et un jury nommé par le gouvernement le brevet de capacité exigé pour pratiquer le droit ou la médecine. Chacun rentrerait dans son rôle; les universités s’occuperaient de science, l’état de la police médicale ou judiciaire. Les professeurs des facultés examineraient les élèves pour s’assurer s’ils ont suivi leurs leçons avec fruit, s’ils ont compris les principes. Le jury officiel ne les examinerait que pour se convaincre qu’ils peuvent sans péril, les uns plaider, les autres soigner les malades. Un seul examen final et pratique, c’est tout ce que l’état est en droit d’imposer sous un régime de liberté véritable. Ce système est en vigueur en Prusse. En Angleterre, outre les dîners à payer, le candidat doit, ou suivre des cours pendant trois ans, ou subir un examen final devant la corporation. En Belgique, le conseil académique de l’université de Gand avait dès 1836 demandé que l’examen nécessaire pour l’exercice d’une profession fût seul subi devant un jury, et que les grades académiques fussent accordés par toutes les universités, sans qu’il en résultât aucun effet civil. « S’il est essentiel à la société, disait le rapport, que nul ne puisse pratiquer la médecine et la jurisprudence sans avoir fait ses preuves devant un jury commun, il n’existe pas de motifs pour que des examens préalables, qui par eux seuls ne confèrent aucun droit dans la société, soient soumis à la même condition, surtout lorsque cette condition paraît nuire tant à la valeur réelle de ces examens qu’à la direction et au succès des études. » L’université de Liège s’est prononcée en faveur de ce système chaque fois que le gouvernement a cru devoir la consulter, et plusieurs de ses professeurs l’ont exposé et défendu dans des écrits où la question est envisagée sous toutes ses faces[11]. Parmi les hommes de quelque autorité qui partagent cette opinion, on peut citer le ministre actuel des finances, M. Frère-Orban. En France, c’est exactement le même système que réclame le clergé. La pétition récemment adressée à la haute commission d’enquête par les ecclésiastiques du nord-est demande que « les facultés libres aient le droit de conférer les mêmes grades, donnant les mêmes privilèges que les diplômes conférés par les facultés de l’état. L’état, pour assurer son contrôle, pourrait établir à l’entrée des carrières publiques des examens professionnels, soit locaux, soit généraux, également obligatoires pour les gradués des facultés officielles et pour ceux des facultés libres. » L’organisation des jurys recommandée par M. Albert Duruy ressemble beaucoup à celle qu’ont préconisée les universités de l’état belge et le clergé français, sauf que M. Duruy l’applique à tous les examens. Le législateur, en l’adoptant, aurait cette rare bonne fortune de satisfaire à la fois les différens partis. D’où provient cet accord exceptionnel ? De ce que la liberté répond aux vœux de tous, chacun espérant, par ses efforts, l’emporter sur ses concurrens.

Les avantages de ce système sont nombreux et grands. C’est le seul qui soit conforme au principe de la liberté de l’enseignement, le seul qui rende ce principe fécond. De cette façon, chaque faculté, officielle ou libre, organise son enseignement comme elle l’entend, adopte le programme, les méthodes, les idées qui lui paraissent les meilleures, et ensuite le public juge l’arbre d’après ses fruits. Il y a réellement concurrence, comme dans les autres branches de l’activité humaine. Tant pis pour ceux qui enseignent mal. Leurs élèves échoueront devant le jury professionnel ou dans leur carrière, et dès lors ils verront leurs institutions désertées languir et succomber. Les professeurs et les étudians, n’ayant plus à s’occuper de ces examens multipliés à passer chaque année devant le jury, pourront s’adonner librement aux véritables études scientifiques. Dans les facultés, le professeur interrogera ses élèves, parce que pour les études théoriques ce sont là les seuls interrogatoires sérieux; il cessera d’être un « préparateur d’examen » et le répétiteur des examinateurs officiels. Les leçons deviendront l’objet principal, les examens la chose secondaire; ce n’est qu’à cette condition que le haut enseignement remplit sa mission. La liberté des doctrines sera complète en toute matière; chaque université exposera les s’ennes. Pour délivrer le brevet professionnel, le jury final ne s’inquiétera que de l’aptitude pratique, non des méthodes ou des théories qui ont permis de l’acquérir. Une vie nouvelle pénétrera l’instruction supérieure. Aujourd’hui l’étudiant en général ne pense qu’à une chose : entasser dans sa tête le plus vite possible tous les faits, tous les détails qu’on peut lui demander. Il n’exerce guère que ses doigts quand il prend des notes, et sa mémoire quand il s’efforce de les apprendre par cœur. Sans contredit, cela développe moins l’intelligence que ne le fait l’instruction primaire ou secondaire. L’enseignement affranchi redeviendra vivant, et les élèves, délivrés du cauchemar de l’examen officiel de chaque année, pourront s’initier à la science sous la conduite des maîtres qu’ils croiront les meilleurs.

Mais, dira-t-on, cette liberté absolue, proclamée à une époque où la poursuite des plaisirs frivoles entraîne les uns, et la poursuite des biens matériels les autres, n’aura-t-elle pas pour effet d’abaisser le niveau des études universitaires? Il ne suffit pas à un pays d’avoir des médecins et des avocats qui ne tuent ou ne ruinent pis habituellement leurs cliens; il faut des hommes d’une instruction supérieure, qui fassent faire des progrès à la jurisprudence et à l’art de guérir. — Sans doute; mais qui les formera le mieux, les universités dirigées librement par leur conseil académique et stimulées par la concurrence, ou les facultés réglementées, soumises à la loi étroite d’un programme uniforme et entravées par les exigences sans cesse renouvelées des examens officiels? L’expérience a prononcé sur ce point. C’est en Allemagne, où le système de l’examen professionnel (staats-examen) est appliqué, que les universités ont le plus contribué au progrès de la science, et ont le plus répandu le goût des fortes études. En Belgique comme en France, la profession d’ingénieur est libre, on peut la pratiquer sans produire un brevet de capacité; mais il existe des écoles spéciales, annexées aux universités de l’état, qui forment des ingénieurs, et qui, après examen, délivrent des diplômes. Or ces cours spéciaux sont plus fréquentés, ces diplômes plus recherchés par les étrangers que ceux des autres facultés. Ne peut-on pas en conclure qu’il en sera de même pour les cours de droit et de médecine? D’ailleurs le jury professionnel aura évidemment égard à la valeur des diplômes qu’on produira devant lui. Les cours de l’enseignement libre seront, dit-on, insuffisans. Qu’importe, si ceux des facultés de l’état sont bons? Ceux-ci seront d’autant plus suivis, et ce seront eux qui empêcheront le niveau des études supérieures de déchoir. Si les institutions privées donnent trop facilement leurs diplômes, elles auront bientôt lieu de s’en repentir. Ces diplômes, et pour le public et pour le jury professionnel, n’établissant pas une présomption de capacité, seront comme non avenus. Ils n’auront aucune valeur, dès lors on ne les recherchera pas. Pourquoi voit-on en Belgique des Russes, des Polonais, des Espagnols, des Brésiliens, des Roumains, se disputer les diplômes que délivrent les écoles des mines et du génie civil? Parce que ces diplômes, n’étant délivrés qu’après des épreuves sérieuses, constituent pour ceux qui en sont porteurs un titre sérieux à la confiance de leurs concitoyens ou de leurs gouvernemens respectifs. En Allemagne, les universités qui se sont montrées trop indulgentes se sont perdues de réputation. Elles n’attiraient que les incapables, et par suite leurs diplômes étaient devenus comme un brevet d’infériorité. Au lieu d’une bonne, c’était une mauvaise note. Qui donc ferait des efforts pour en obtenir une semblable? Dans la sphère de l’enseignement comme dans toutes les autres, organisez une responsabilité sérieuse et ne craignez rien de la liberté; elle n’aura que de bons effets, pourvu qu’elle soit complète.


V.

Si l’on adopte le système de l’examen professionnel, restera une question délicate à résoudre : comment former le jury à qui sera dévolue l’importante et délicate mission d’ouvrir aux candidats l’entrée des professions privilégiées? On ne peut le composer seulement de professeurs des facultés officielles, car l’enseignement libre pourrait prétendre qu’il est sacrifié. D’ailleurs il n’y faut pas que des professeurs. Puisqu’il s’agit d’apprécier l’aptitude pratique, des magistrats, des médecins pratiquans seraient de très bons juges. On pourrait former une liste assez nombreuse d’hommes compétens désignés par les facultés libres, par les facultés officielles, par les corps scientifiques et par la magistrature, les uns pour l’examen de médecine, les autres pour l’examen de droit. Le sort désignerait chaque année les membres du jury de telle façon que la moitié seulement appartiendrait à l’enseignement. Il faudrait ainsi deux tirages au sort, l’un parmi les professeurs, l’autre parmi les personnes étrangères à l’enseignement. Celles-ci devraient fournir un membre de plus, afin de former une majorité en cas de partage égal des voix. Le tirage au sort ou un autre mode de roulement serait indispensable pour éviter que le jury fût toujours composé des mêmes examinateurs. M. Albert Duruy propose de créer « la fonction d’examinateur, qui deviendrait la récompense des services rendus aux sciences par des hommes étrangers aux rivalités qui pourraient se produire entre l’enseignement libre et l’enseignement officiel. Ainsi composés, dit-il, les jurys échapperaient à tout reproche de partialité aussi bien que par leur composition ils contribueraient à maintenir le niveau des études. »

Outre que ce serait créer une nouvelle catégorie de fonctionnaires quand au contraire il en faudrait réduire le nombre, l’expérience a montré en Belgique les inconvéniens qui résulteraient d’un semblable système. Le jury central, de 1835 à 1849, était composé des mêmes membres constamment réélus par les chambres. Il en résultait que les opinions de ces examinateurs s’imposaient à l’enseignement tout entier. Ils devenaient la norme vivante, l’autorité suprême, la science incarnée. Avaient-ils fait un cours, publié des livres, tous les candidats ne suivaient que les méthodes et les idées qui y étaient contenues. Dans ce système, la liberté ne peut plus produire la diversité, car l’uniformité s’impose de fait. Tout examinateur a ses questions favorites, sa manière d’interroger. Elles seront bientôt connues, et les étudians auront soin de diriger leurs études en conséquence : on étudiera l’examinateur, non la science. Il se formera un recueil des questions habituellement posées, et l’on ne verra que celles-là. Voici ce que disait à ce sujet dès 1842 la faculté des sciences de Liège : « La permanence du jury est contraire au progrès de la science, en ce qu’elle établit un véritable monopole pour les opinions scientifiques des membres du jury. Les professeurs sont obligés, dans l’intérêt de leurs élèves, de diriger leur enseignement d’après les idées qui dominent dans le jury, même lorsqu’ils ne les adoptent pas eux-mêmes. Un jury permanent, au lieu de stimuler l’activité scientifique et de maintenir une féconde émulation, donne une prééminence absolue à certains systèmes peut-être surannés ou abandonnés. Il n’existe pas d’idées ou de méthodes privilégiées dans la science; il n’en faut donc pas imposer à l’enseignement. D’ailleurs la stagnation dans le mouvement scientifique, produite par le monopole accordé à certaines opinions, compromet l’avenir intellectuel du pays, car ce sont non pas les académies, mais les universités qui transmettent la science aux générations à venir. » Ajoutez à ces considérations que la science se transforme et progresse chaque jour. Il est donc nécessaire que la composition du jury puisse se modifier aussi, afin de donner place aux idées nouvelles, chose impossible avec un jury permanent. Ce qui n’a peut-être pas de trop graves inconvéniens quand il s’agit des sciences exactes en offrirait de très fâcheux pour le droit et la médecine. Dans l’enseignement supérieur comme dans l’état, il faut que les institutions et les hommes puissent se renouveler suivant le progrès des idées et le changement des situations.

Je résumerai maintenant les conclusions que l’on peut tirer des faits observés en Belgique. La liberté complète de l’enseignement n’a produit aucun des maux que l’on redoutait; nul ne regrette la suppression absolue de toute mesure préventive. Les seuls établissemens qui ont pu s’établir et subsister sont ceux qui répondaient aux besoins et aux idées des deux grands partis politiques qui se divisaient le pays; mais d’autre part la liberté n’a pas produit les heureux résultats qu’on en espérait, parce que des examens multipliés devant des jurys combinés ont imposé l’uniformité des méthodes et des études, affaibli la spontanéité scientifique chez les professeurs, imposé de purs exercices de mémoire aux étudians, et en somme fait triompher le lieu-commun et la routine. Si l’on accorde aux institutions privées un droit de représentation égal à celui des facultés officielles, on s’engage dans une série de difficultés sans issue. Le principe ayant été admis en Belgique, depuis près de quarante ans, on n’est point parvenu à sortir du provisoire, et ni ministères ni commissions, malgré d’incessans travaux, ne sont arrivés à proposer un système satisfaisant. La seule solution que tous les partis pourraient accepter, et qui rendrait à la science son libre essor, consisterait à permettre à toutes les facultés de délivrer des diplômes scientifiques, en réservant à l’état le droit de s’assurer, par un examen professionnel, si les gradués peuvent pratiquer sans inconvéniens. Ce contrôle ne paraît indispensable que pour les notaires, les pharmaciens et les médecins. Pour les avocats, il pourrait être supprima, la corporation adoptant d’ailleurs telles mesures d’ordre et de garantie qu’elle jugerait utiles.

En Belgique, c’est l’église qui a su le mieux profiter de la liberté de l’enseignement supérieur. Disposant de la confiance des mères de famille et des contribuions plus ou moins volontaires des fidèles, les évêques ont organisé une université catholique très puissante, en tout soumise aux ordres de Rome. Il en sera de même en France. Si ce n’est pas une raison pour reculer devant la liberté, c’en est une pour bien organiser l’enseignement de l’état. Si l’on ne veut pas que la majorité des jeunes gens soit formée sous l’influence des idées ultramontaines, il faut à tout prix constituer des universités publiques, pour lesquelles on fasse au moins ce que font pour les leurs les plus petits états de l’Allemagne. Il est probable qu’en France l’organisation de l’instruction supérieure devra être notablement fortifiée[12]. A Paris, l’état pourra facilement soutenir la lutte; mais supposez qu’en province, à Lyon, à Bordeaux, à Lille, il s’établisse des universités catholiques soutenues par les municipalités, à qui elles apporteraient des avantages matériels non moins qu’intellectuels, appuyées par la propagande active de tout le clergé et organisées d’une façon complète en corporation enseignante, comme celle de Louvain, est-il probable que les facultés officielles, isolées et peu encouragées comme elles le sont maintenant, puissent résister à la concurrence qui leur sera faite, à la guerre qui leur sera déclarée? L’énorme terrain que le clergé a gagné en moins de vingt ans dans le domaine de l’instruction primaire et moyenne donne la mesure des conquêtes qu’il fera dans celui de l’instruction supérieure. Ce n’est certes pas le parti opposé aux idées ultramontaines qui pourra lutter, sauf encore à Paris. Il est trop divisé en nuances diverses, trop peu habitué à la discipline et à des efforts persévérans, pour résister à un adversaire qui tient le cœur des mères, et qui pratique la vertu militaire de l’obéissance passive. L’état seul sera de force à faire équilibre à l’épiscopat. Il faudra que le gouvernement ne recule point devant les sacrifices et les réformes indispensables. Sinon, partout en province, le clergé parviendra, après un certain temps, à s’assurer un véritable monopole. Des trois demandes formulées en France par les autorités ecclésiastiques, notamment dans les pétitions adressées à la commission par le clergé du nord-est, les deux premières ne peuvent être repoussées sans porter atteinte à la liberté et sans nuire aux progrès de la science. Il faut premièrement accorder à tous sans restriction le droit d’enseigner; les mesures préventives sont toujours éludées et ne sont point nécessaires. Secondement, pour que la concurrence puisse introduire la variété et le progrès dans les méthodes et dans les principes de l’enseignement supérieur, il est nécessaire de permettre aux facultés libres de délivrer des diplômes scientifiques, sauf à imposer un examen professionnel avant d’ouvrir aux gradués l’entrée de certaines fonctions spéciales; mais il faut rejeter inexorablement le troisième point, la personnification civile réclamée en faveur des universités privées. Si la liberté est de droit commun pour tous, la faculté de fonder une personne civile, capable d’acquérir par voie d’achat, de legs et de donation, est au contraire une exception au droit commun, un privilège, et le pouvoir législatif peut l’accorder, s’il le juge utile à la nation, le refuser s’il le juge dangereux. Or ici le danger est réel et grand. Les corporations ecclésiastiques seraient douées d’une puissance d’acquisition dont il est impossible de prévoir les limites. Par la confession, plus encore par l’influence exercée sur les fidèles aux approches de la mort, le clergé peut obtenir des donations et des legs chaque jour et de tous, des pauvres non moins que des riches. Dans tous les pays, les souverains, même les plus pieux, n’ont cessé de promulguer édits sur édits pour arrêter l’accroissement continuel des biens de ce que l’on appelait les gens de mainmorte. Accordez la personnification civile, supprimez ces entraves, et avant un siècle l’église sera dix fois plus riche et plus forte qu’avant la grande révolution, car elle s’est donné un grand but à atteindre, la conquête du monde au profit des idées romaines, et elle est bien mieux organisée pour la lutte qu’autrefois. En Belgique, presque chaque commune a son couvent-école[13]. Que cette école puisse acquérir, et bientôt elle sera propriétaire de tout, car elle recevra sans cesse et ne vendra ni ne partagera jamais. La terre n’en serait peut-être pas plus mal cultivée, car les corporations sauraient la louer aussi bien que les propriétaires actuels; mais le mal fait à la société serait incalculable. Que deviendrait un pays possédé par une église soumise au pouvoir absolu d’un chef infaillible qui transforme en dogme la condamnation de toutes les libertés? La France ne peut donc, comme l’Amérique, accorder la personnification aux sociétés d’enseignement sous peine de devenir un état bien plus théocratique encore que ne l’était l’Espagne sous Philippe II. Voilà ce qu’il faut dire nettement et bien faire comprendre à tous. Au reste les universités libres se soutiennent et prospèrent en Belgique sans jouir de ce privilège. Il en serait de même en France; ainsi nulle difficulté en ce point, elle ne s’élèvera qu’au moment où on essaiera de séparer radicalement l’église de l’état.

En résumé, si l’on veut loyalement, sincèrement la liberté de l’enseignement, la loi ne devrait contenir que deux articles. Le premier proclamerait la liberté sans restriction d’aucune sorte, sauf répression des délits prévus par le code pénal. Le second imposerait à ceux qui voudraient exercer certaines professions l’obligation de subir un examen de nature à prouver qu’ils peuvent le faire sans danger pour leurs cliens. Du silence de la loi résulterait que la personnification des facultés est écartée, mais qu’elles pourraient conférer tous les grades scientifiques auxquels aucun privilège légal ne serait attaché. D’un autre côté, l’état devrait réorganiser complètement et fortifier singulièrement tout l’enseignement supérieur officiel. Il faudrait remplacer l’université par des universités, c’est-à-dire, au lieu de ce vaste mécanisme administratif, — création artificielle d’un homme de guerre, — ressusciter et doter généreusement ces républiques scientifiques, organismes vivans et autonomes, que le besoin de s’instruire avait fait naître en France comme dans toute l’Europe, et qui, conservées, agrandies, réformées au-delà du Rhin, y produisent de si merveilleux fruits. La concurrence forcera l’état à entrer dans cette voie. Des universités catholiques s’établiront, elles auront beaucoup d’argent et beaucoup d’élèves; elles rétribueront leurs professeurs bien mieux que l’état. La réunion des différentes branches de l’enseignement formera un centre scientifique où élèves et professeurs vivront dans une atmosphère intellectuelle qui fera profiter chacun des lumières de tous, et elles ne tarderont pas à écraser complètement les facultés isolées. Si l’état comprend et sait remplir le devoir que cette concurrence lui impose, la liberté rendra la vie au haut enseignement et lui fera produire les plus heureux résultats pour le progrès des sciences; mais, si l’état maintient le système actuel, l’épiscopat saura conquérir un monopole de fait, et, comme il n’est point probable que la France se laisse ramener au moyen âge sans résister, la liberté n’aura fait que multiplier les semences de discorde et de guerre civile.


EMILE DE LAVELEYE.

  1. J’ai eu l’honneur d’être appelé par la commission, mais, à mon grand regret, je n’ai pu me rendre à la séance où j’étais convoqué. Cette étude résume les faits que j’aurais pu faire connaître et complète ceux que M. Albert Duruy a déjà exposés dans la Revue du 1er février.
  2. Je ne crois pas qu’en Belgique personne conteste tout ce que le pays a dû au roi dont il a été amené à renverser le trône. A la fête qui eut lieu le 3 novembre 1868, pour célébrer le cinquantième anniversaire de la fondation de l’université de Liège, le professeur chargé d’en retracer l’histoire, M. Nypels, a pu dire avec l’approbation unanime de ses auditeurs : « Honneur au monarque, ami des lettres et des sciences, qui réorganisa l’enseignement supérieur en Belgique ! »
  3. Voyez les Partis politiques en Belgique, dans la Revue du l’’ août 18Ci.
  4. J’ai à peine besoin de dire que ce mot catholique indique non une certaine croyance religieuse, mais une certaine nuance politique. Beaucoup de libéraux sont très bons catholiques, et bien des « catholiques » sont des croyans très peu fervens.
  5. La limite est difficile à tracer. Le tact et le respect de la pensée d’autrui doivent y suffire. En Belgique, même les ministères catholiques n’ont pas dénié aux professeurs le droit d’exprimer toute leur pensée dans leurs écrits. Un professeur de l’université de Gand, M. Laurent, avait publié un livre d’histoire dans lequel il montrait les iniquités et les malheurs produits par certains dogmes catholiques. Sa destination fut réclamée très énergiquement, mais le ministère, quoiqu’il appartint à l’opinion catholique, sut respecter la liberté de la science.
  6. Notamment dans une brochure sans nom d’auteur publiée à Louvain en 1841 sous le titre d’Examen de ta proposition de MM. Dubus et Brabant.
  7. En Belgique, la crainte de voir s’établir un précédent en faveur du droit des universités d’acquérir, même indirectement, est poussée très loin, comme le prouve le fait suivant. Le fondateur de l’université de Bruxelles, M. Verhaegen, a légué à la ville de Bruxelles une somme de 100,000 fr. afin que le revenu en soit appliqué à l’université de cette ville. Le legs n’était pas fait à l’université, incapable d’acquérir, mais à la ville, qui est une personne civile. Néanmoins le gouvernement tarde depuis bien des années à le ratifier.
  8. Discussion de la loi sur l’enseignement supérieur, p. 36, Bruxelles 1844.
  9. Ils ont été publiés dans le rapport triennal sur la situation de l’enseignement supérieur, déposé en 1853 par le ministre de l’intérieur, M. Piercot. Ils méritent d’être consultés par les personnes qui veulent étudier la question sous toutes ses faces.
  10. Rapport sur l’état de l’instruction supérieure présenté aux chambres législatives le 19 décembre 1853 par M. Piercot, ministre de l’intérieur, p. 362.
  11. On pourra consulter, entre autres, les publications suivantes : Réforme de l’enseignement supérieur, par M. Trasenster, de la faculté des sciences, — la Liberté de l’enseignement et la science, par M. Spring, de la faculté de médecine, et l’Introduction au remarquable ouvrage que M. Alphonse Le Roy, de la faculté des lettres, vient de consacrer à l’histoire de l’université de Liège.
  12. Dans un livre récent et des plus instructifs, M. Hillebrand a parfaitement montré le déplorable contraste que présente l’enseignement supérieur de la France comparé à celui de l’Allemagne. Citons seulement un détail financier. Tandis qu’une université allemande coûte en moyenne un demi-million par an, la France seule, parmi les états civilisés, s’est fait un revenu des frais d’inscription que paient les étudians. En 1863, les neuf facultés de droit ont rapporté 1 million 200,000 francs, elles n’en ont coûté que 870,000. En Belgique, les deux universités de l’état coûtent environ 900,000 francs par an, ce qui équivaut au prix d’entretien des universités allemandes, et elles ne rapportent rien, attendu que les inscriptions sont abandonnées aux professeurs. Chaque université compte ordinairement trente-huit professeurs; leur traitement fixe va de 5,000 à 10,000 francs, et ils le conservent intégralement quand ils obtiennent « l’éméritat. » Les inscriptions ont produit en 1867 à Gand 47,108 fr., à Liège 79,715 fr. L’inscription générale aux cours est de 200 ou de 250 francs. Le produit des inscriptions se partage dans chaque faculté d’après le nombre d’heures que chaque cours comporte. En y ajoutant le produit des examens, quelques professeurs arrivent à un revenu total de 15,000 fr. On serait mal venu en Europe à montrer de la parcimonie pour l’enseignement supérieur quand on voit les sacrifices que s’imposent pour cet objet des sociétés naissantes. Otage dans la Nouvelle-Zélande, une ville dont les maisons sont encore construites en bois, vient d’ériger une chaire de littérature ancienne et une autre de littérature moderne avec des traitemens de 600 liv. sterl., non compris le produit des inscriptions. Le vice-roi d’Egypte a créé une chaire d’antiquités égyptiennes avec un traitement de 35,000 fr,
  13. On estime qu’il en existe près de 1,500. L’augmentation du nombre des couvens est en voie d’alarmer tous les états, même l’Angleterre, Le parlement, sur la proposition de M. Newdegate, vient d’ordonner une enquête à ce sujet. D’après le Times, eN 1830 il n’y avait en Angleterre que 11 couvens; on y compte aujourd’hui 69 monastères et 223 couvens de femmes. En Prusse il existe maintenant 14 couvens de jésuites et 833 autres couvens peuplés de 7,000 religieux des deux sexes. En France en 1864, les congrégations d’hommes comptaient 17,800 membres et celles de femmes 90,350. A Paris, les écoles primaires laïques ont 32,996 élèves, les écoles congréganistes 38,890.