La Maison de granit/1/Ô Mortes

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Plon-Nourrit (p. 45-47).


Ô MORTES !



Les mortes qui furent aimées
Ont emporté dans leur tombeau
Des moissons de fleurs embaumées :
Elles dorment sous ce fardeau.

Elles dorment… Dans la poussière
Leur être ne peut tressaillir
Au bruit que fait sous la lumière
Le clair printemps qui veut jaillir.


Elles reposent sans pensées…
Nos cris, nos regrets, nos douleurs,
Sous leurs paupières abaissées
Ne feront plus sourdre les pleurs.

Et leurs pieds que la mort enchaîne
Ne s’élanceront jamais plus
Vers la déception certaine
Des bonheurs que l’on a voulus.

Ô mortes, si l’on vous désire,
Votre cœur restera glacé ;
Vous ne verrez pas le sourire
Du regard au vôtre enlacé.

Ô mortes, si l’on vous oublie,
Du moins vous ne le saurez pas ;
La jalousie et sa folie
Ne sauraient plus tordre vos bras.


Ô mortes, si les yeux qui pleurent
Sur vous, trop las et douloureux,
Se ferment pour que les effleurent
Des baisers frais, nouveaux pour eux :

Vous ne verrez pas sur les lèvres
Que votre haleine caressa
Les traces de ces nuits de fièvre
Où votre doux nom s’effaça.

Ô mortes, que je vous envie
La paix de votre long sommeil
Où l’heure, par l’heure suivie,
Ne sonne jamais le réveil !

Vous dormez dans l’oubli des choses,
Sous des rameaux souples et verts,
Et nos printemps, trop lourds de roses,
Sont plus tristes que vos hivers.