La Maison de granit/1/Devant la Mer

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Plon-Nourrit (p. 31-33).


DEVANT LA MER



L’été brûle mon cœur, comme il brûle mes lèvres !…
Ô flots profonds, ô flots qui guérissez nos fièvres,
Seule votre fraîcheur peut me désaltérer !…
J’ai pris pour vous trouvez l’âpre chemin des grèves,
À l’heure où j’ai senti mes bras chargés de rêves ;
Et, seule devant vous, le soir me voit errer !

Rive où souffle l’odeur des mers silencieuses,
Velours du ciel semblable aux sombres scabieuses,
Sables roux que jamais ne fleurit le printemps,
Je vous cherche pour me sentir un peu meilleure
Et pour me libérer de l’attente qui leurre…
Heureuse, heureuse l’âme où ne court plus le temps !


J’ai vu les feux sanglants s’allumer sur les môles,
Et j’ai senti glisser le long de mes épaules,
Comme un manteau trop lourd, tissé de pourpre et d’or,
Le désir de la vie… Ô vie, ingrate idole,
Le son doux, caressant et vain de ta parole
Ne me trompera plus, s’il me séduit encor.

Car j’ai compris ce soir quel rêve périssable
C’est de vouloir graver notre nom sur le sable
Que soulèvent les vents accourus du désert ;
Ma pensée, attentive à la voix du silence,
M’a fait une royale et calme indifférence :
Je me suis apaisée en regardant la mer.

Ô mer, avec tes eaux profondes et salées
Et les brillantes fleurs que les nuits étoilées
Te jettent par milliers comme sur un tombeau,
Tu poses sur tes morts aux mains froides et pâles
Un linceul, tout brodé de saphirs et d’opales,
Avec la lune d’or pour unique flambeau.


Et, sur mes yeux meurtris, la caresse de l’onde
Fait descendre l’oubli de l’amour et du monde,
Car je dis : Maintenant, je ne peux plus souffrir !…
Mais, du fond de l’abîme, une vague se lève…
C’est un jet si puissant de désir et de rêve
Que je vais vivre encor, moi qui voulais mourir.

Ah ! qu’il paraisse enfin Celui dont la parole
Commande aux vents, Celui dont le regard console,
Celui qui sera seul le maître de la mer !
Je lui donne ma vie et toute ma tendresse,
Et mon amour, semblable à l’océan qui dresse
Sa colonne d’onyx pâle et de jade vert.

Je lui donne mon cœur plus profond que la masse
Des flots bleus, et mes pleurs dont le nombre dépasse
Celui des gouttes d’eau dans la coupe des mers !…
Que de tant de douleur, il fasse un peu de joie ;
Qu’une flamme jaillisse, et qu’enfin je la voie
Illuminant la nuit des longs chemins déserts.