La Maison de granit/1/Il faut choisir

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Plon-Nourrit (p. 59-61).


IL FAUT CHOISIR



Ô femme, il faut choisir : ou rester asservie,
Esclave des désirs qui toujours font pleurer,
Ou, solitaire et pauvre à jamais demeurer,
Et planer, libre et fière, au-dessus de la vie.

Il faut être la fleur de rêve et de beauté
Qui tend comme un lys pur au jour sa coupe blanche
Ou le fruit savoureux qui fait ployer la branche
Vers la main qui le prend, chaude de volupté.


Il faut passer, toujours droite, sans rien entendre,
Sans écouter le cri d’appel qui, sous tes pas,
Dans le soir langoureux monte, subtil et tendre ;
Il faut passer ou vers l’amour tourner tes bras.

Mais surtout ne crois pas à la vertu cachée
Des pleurs, du sacrifice et des renoncements ;
En vain se posera sur ta tête penchée
Le vol des rêves clairs et des nobles tourments.
 
Les hommes ne verront que ta face pâlie,
Que tes doigts douloureux usés par le travail ;
Ils souriront de ta jeunesse ensevelie
Sous le trop lourd manteau des saintes de vitrail.

Si tu veux la douceur de dominer les rêves
Des beaux adolescents aux lèvres de velours,
Ne viens pas t’égarer sur le sable des grèves :
Lève ton voile, et va vers les brèves amours.


Allons, sois courtisane, ouvre ta porte et livre
Ton corps souple aux baisers que tu ne rendras pas ;
Et vends-toi pour de l’or, puisque l’or nous délivre
Des affres de la faim et des sombres trépas.

Tu pourras fièrement vivre ta vie infâme,
Et les hommes seront courbés sur ton chemin ;
Tu les écraseras sous ton pied nu de femme,
Ils se relèveront pour te baiser la main.

Mais si tu veux choisir de rester pure et libre,
Chaste, grave, attentive aux chansons de la mer,
Si tu veux qu’aux douleurs des faibles ton cœur vibre,
Que près de toi le goût des pleurs soit moins amer :

N’attends rien de l’amour, des hommes et des choses ;
Accepte l’abandon et la lutte et l’effort ;
Laisse pour d’autres mains fleurir toutes les roses,
Et marche, solitaire, au devant de la mort.