La Maison de granit/2/Si tu passais un jour

La bibliothèque libre.
Plon-Nourrit (p. 111-114).


SI TU PASSAIS UN JOUR



Si tu passais un jour, fatigué, sur la route
Où l’on voit se dresser, brillant sur le ciel clair,
Les lourds murs de granit que j’ai bâtis : Écoute !
C’est ma voix qui se mêle aux caresses de l’air.

Entre dans ma maison une minute, une heure !
Ne dis rien si tu veux, mais consens à t’asseoir
Près du feu qui t’attend, car ma pauvre demeure
Se fera belle afin de mieux te recevoir.


Viens là ! bien près, tout près ! Cette place fut vide
Si longtemps ! Je voulais ne la donner qu’à toi !
Ce soir tu m’appartiens ! Reste ! Je suis avide
De t’avoir à moi seule un moment sous mon toit.

Si, pour mieux t’accueillir, mes mains doivent se tendre,
Pour t'enchaîner, jamais ne s’ouvriront mes bras ;
Tu seras près de moi, souriant, sans entendre
Le bruit que fait mon cœur au seul bruit de tes pas.

Mais je m’enivrerai de ta chère présence !
Je ne demande rien ; et, malgré la rigueur
Du sort, qui fit mes jours si pleins de ton absence,
Je t’aimerai dans le silence de mon cœur.

Je remplirai mes yeux de toi, de ton visage ;
Je boirai ton regard, ton beau regard de fleur ;
Je mettrai sur mon cœur le sceau de ton image ;
J’oublierai près de toi la joie et la douleur.


Je ne veux que le charme unique de cette heure !
D’autres ont pu t'aimer pour l’amour de l’amour :
Je t’aime pour toi seul ! Ma part est la meilleure
Si mon accueil te fait douce la fin du jour.

Toi, comme un voyageur qui s’arrête et qui passe,
Tu t’émouvras à peine, et c’est d’un œil distrait
Que tu regarderas tout cet étroit espace
Enclos entre les murs qui cachent mon secret.

Tu pourras me quitter sans détourner la tête,
Car le souffle léger qui te suit sur le seuil
Ne vient pas d’un soupir ! Pars ! Que rien ne t’arrête !
Si je pleure, j’aurai la fierté de mon deuil.

Et, riche des trésors laissés par ta présence,
Sans même désirer de te voir revenir.
Je goûterai la paix profonde du silence,
Et la douceur de vivre avec un souvenir.


Je poserai mes mains, chaudes et caressantes,
Sur chacun des objets effleurés par tes mains ;
Et ton ombre, mêlée aux ombres bleuissantes,
Écartera de moi la peur des lendemains.

Et ma chère maison me deviendra sacrée,
Parce qu’un soir divin, à l’heure où le soleil
Effeuillait sur les monts une rose pourprée,
Elle t’offrit la fleur de son foyer vermeil.