La Marine des Byzantins

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La Marine des Byzantins
Revue des Deux Mondes3e période, tome 65 (p. 130-158).
LA
MARINE DES BYZANTINS


I

La transformation militaire accomplie par Probus touchait aux parties vitales de l’empire : aussi fut-elle le signal d’une refonte générale des institutions[1] ; « de républicain qu’il était, l’empire ne tarda pas à prendre la forme résolument monarchique. » Dioclétien employa ses vingt et une années de règne à opérer et à consolider cette réforme. Dioclétien est le favori de Gibbon ; ce n’est pas celui de Bossuet. Toute indignation religieuse à part, j’inclinerais fort à me ranger ici à l’avis du grand évêque de Meaux : le persécuteur des chrétiens me paraît avoir, dans son rigorisme impérial, bien mal apprécié son devoir. Verser un sang si pur pour retarder de moins d’un quart de siècle le triomphe d’une cause qui, dès cette époque, pouvait invoquer en sa faveur la justice et le nombre, constitue tout au moins une impardonnable erreur politique. La suprême puissance est tenue d’avoir la vue plus perçante et de ne pas se méprendre à ce point sur la direction du courant. La rapide diffusion de la croyance nouvelle indiquait aux yeux les moins clairvoyans un besoin social d’une irrésistible puissance. En appelant à son aide le Dieu des chrétiens, Constantin s’assura les vœux et le concours de tout ce qui avait, dans cette société romaine si mal équilibrée, à se plaindre de son sort. La situation ne comportait pas de demi-mesures ; en quelques jours, la défaite du passé fut complète : la concentration de pouvoirs réalisée par le génie organisateur de Dioclétien aida singulièrement d’ailleurs à la rendre définitive. Le nouveau système politique et la nouvelle foi religieuse s’adaptaient merveilleusement l’un à l’autre ; la croyance en un seul Dieu semblait pour ainsi dire justifier la soumission absolue à un seul maître. Telle sera la double formule de l’empire entré dans sa seconde phase.

Nous trouvons Constantin « ballotté d’âge en âge entre Marius et César. » — « Comparable aux meilleurs princes dans les commencemens de son règne, dit Eutrope, il ressembla aux plus médiocres dans ses dernières années. » — « S’il adopta la religion chrétienne, nous assure Zosime, c’est parce que, meurtrier de son fils et de sa femme Fausta, il lui fallait une religion qui eût des pardons pour tous les crimes[2]. » — « Il ruina l’empire, » ajoute ce païen invétéré. « Il le sauva plutôt, » prononcera tout juge impartial. En se mettant d’accord avec l’esprit de son temps, au lieu de s’obstiner à vouloir lui faire rebrousser chemin, Constantin put donner au pouvoir qu’il avait conquis une base plus solide que l’assentiment capricieux de quelques légions : il régna sur le peuple par le peuple. Son règne de trente ans est là pour affirmer la sagesse mondaine de ses préférences religieuses. Néanmoins, lorsqu’à l’âge de soixante-six ans, l’empereur Constantin termina, dans les faubourgs de Nicomédie, une vieillesse plus chagrine et plus sombre encore que celle de Louis XIV, la cause du christianisme n’était qu’à moitié gagnée : la frivole entreprise du dernier rejeton de Constance Chlore scella pour un éternel avenir le triomphe du Galiléen. L’apostasie de Julien eut un résultat diamétralement opposé à celui qu’il en attendait : elle affermit le peuple alarmé dans sa foi encore hésitante.

On peut jusqu’à un certain point comprendre le désir qu’éprouva Julien de ranger de nouveau les aigles romaines sous la protection de ces dieux superbes qui leur avaient jadis donné l’empire du monde ; mais Julien, si épris qu’il pût être de la grandeur de Rome, n’avait que le nom de Romain : son cœur et son esprit étaient grecs. Comment ce doux rêveur, incliné par les malheurs publics et par ses longues adversités personnelles au mysticisme des alexandrins, eût-il pu ranimer des passions étroites et farouches qu’il ne partageait pas ? Sa nature répugnait aux brutales manifestations de la force, sa conduite et ses mœurs étaient une protestation constante contre l’injustice des temps qu’il voulait faire renaître. S’il ne fut pas chrétien, Julien, à tous les titres, se montra digne de l’être. Aussi devons-nous regretter qu’il ait usé ses forces et ses facultés admirables à une œuvre qui ressemble de loin à une fantaisie d’archéologue. On ne réagit pas contre les grands mouvemens de l’esprit humain.

Voici donc l’empire byzantin fondé. Cet empire, avouons-le, a de tristes annales. La ligue achéenne, la Rome des derniers Césars, gardaient encore, comme les vieillards d’Homère, je ne sais quoi d’auguste et d’imposant qui les faisait respecter dans leur décrépitude ; ici ce ne sont pas des vieillards, ce sont de vieux enfans que nous voyons prolonger, par mille artifices, une existence précaire et sans dignité. J’ai souvent failli céder à la tentation de passer sous silence la longue et obscure période qui s’étend du règne de Probus au règne d’Alexis Comnène, c’est-à-dire de l’année 282 à l’année 1081 de notre ère. Si j’ai courageusement repoussé les insinuations, les objurgations même de mes meilleurs amis, me pressant d’enjamber au moins quelques siècles pour attaquer enfin des sujets plus modernes, c’est qu’il m’a semblé sage de ne pas perdre le fil des traditions que je m’appliquais à recueillir. Tantum series juncturaque pollet ! disaient les anciens : « Il y a tant de force et de puissance dans l’enchaînement des faits ! » Je ne voudrais pas, après quarante ans de labeur, encourir le reproche de m’être laissé, presque au moment de toucher le but, envahir par la défaillance. Une brèche de huit siècles ne saurait passer inaperçue dans une histoire qui, suivant l’antique et louable coutume de nos pères, n’a pas craint de prendre son point de départ au déluge.

La lacune ici serait doublement sensible, car le rôle de la marine n’a certes pas été sans importance à une époque où les armées avaient tant de peine à défendre un territoire envahi de toutes parts. « Dans ces temps fâcheux, a remarqué avant nous Boismélé, les empereurs ne se soutenaient que par la navigation : aussi avaient-ils soin d’entretenir toujours un grand nombre de vaisseaux qui leur servaient à transporter des troupes et des vivres dans les endroits où il était nécessaire. »

L’empire romain, lorsqu’il eut été partagé entre les deux fils de Théodose, n’exista plus en réalité que par ses deux capitales : Constantinople et Ravenne. La mer baignait alors les remparts de l’une et de l’autre ville ; dans leurs plus mauvais jours, la mer les préserva d’un investissement complet. Sans cette ceinture, qu’on ne saurait trop bénir, la civilisation aurait manqué d’asile contre l’épée des barbares ; l’œuvre des siècles, une fois le flot passé, eût été à reprendre jusque dans ses fondemens. Nous devons donc quelque reconnaissance aux flottes du Bas-Empire, bien que ces flottes aient, comme les honnêtes femmes, très peu fait parler d’elles.

La marine, qui compta dans ses rangs la tessaracontère de Ptolémée, s’est évanouie à la bataille d’Actium[3] ; ni Constantin, ni Théodose, ni l’empereur Léon ne la feront revivre : ils se contenteront d’armer des triacontères, des liburnes, des dromons, si même ces galères ne leur paraissent encore trop lourdes. L’ère des flottilles est alors dans son plein ; c’est avec une flottille déjà que Septime Sévère s’emparait de Byzance ; avec une flottille aussi que Constantin va faire la guerre à Licinius. Les gros vaisseaux, cependant, ne lui manquaient pas : il se souvint à temps que la flotte de son adversaire avait péri en partie sur les côtes de l’Hellespont parce qu’elle se composait de navires peu maniables. Cent trente vaisseaux, poussés par le vent du midi, allèrent, sans que tous les efforts de la chiourme réussissent à les écarter du rivage, se briser sur les roches, et cinq mille hommes trouvèrent, en cette occasion, la mort dans les flots. Fort affaibli par un si grand désastre, Licinius s’était retiré à Chalcédoine ; Constantin se disposa sur-le-champ à l’y attaquer, il se garda bien cependant d’exposer ses pesans transports et ses quinquérèmes aux surprises que pouvait leur réserver la côte de Bithynie : il fit construire à la hâte des bâtimens plus légers et y embarqua ses troupes. A vingt milles de Chalcédoine, cité considérable sur l’emplacement de laquelle est bâti aujourd’hui le village de Kadikeui, se projette en mer, formant un des côtés du Bosphore de Thrace, à l’endroit où ce canal débouche dans le Pont-Euxin, un promontoire qu’au temps des Romains et des Grecs on appelait le promontoire Sacré : l’armée de Constantin, insouciante désormais des échouages, y prit terre. Elle n’eut qu’à sauter sur la plage pour se trouver, sans désordre, sans manœuvres, rangée du même coup en bataille. Les anciens nous auraient donné des leçons pour l’exécution de ce mouvement difficile : tout les y préparait, des exercices constans et une habitude journalière. « Les matelots de la proue, les proyers προρᾶται (proratai), dit un vieux traité de tactique navale retrouvé par le docteur Charles Muller dans la bibliothèque Ambroisienne de Milan[4], montent à bord les derniers quand l’équipage s’embarque ; ils sont en tête quand on descend à terre. »

« Il importe, ajoute l’auteur du précieux manuscrit auquel nous aurons plus d’une fois recours, de débarquer toujours en bon ordre et de façon à pouvoir se former rapidement en phalange. Anankéon aftous apovantas tôn pliôn kataper en phalangi syntetachthé[5]. » Licinius manda sur-le-champ à son aide Martinien, son principal lieutenant, qu’il avait laissé à Lampsaque, harangua ses troupes et leur promit de les conduire à l’ennemi en personne. Il y eut, au rapport de Zosime, un rude combat livré, en l’année 324 de notre ère, entre Chalcédoine et le promontoire Sacré. J’ai visité ces lieux et je sais qu’entre Kadikeui et l’éminence qui porte encore les ruines d’un vieux château génois, il existe en effet un superbe champ de bataille, terrain accidenté qui se prête admirablement aux manœuvres d’une bonne infanterie. Gibbon, d’après l’autorité d’Eusèbe, reporte plus à l’ouest le lieu de l’action ; la bataille décisive se donna, suivant lui, sur les hauteurs de Chrysopolis, aujourd’hui Scutari. Que ce soit le comte du Ve siècle ou l’évêque du ive qui, en cette affaire, ait raison, il n’en reste pas moins établi que l’armée de Constantin, composée en majeure partie de vieux soldats des Gaules, remporta, sur les troupes moins aguerries de son adversaire un éclatant avantage. De cent trente mille hommes que Licinius venait de mettre en ligne, trente mille à peine échappèrent au fer de l’ennemi. Les habitans de Byzance tenaient encore pour Licinius : après une telle victoire, il ne leur restait plus qu’à ouvrir leurs portes au vainqueur. Constantin entra dans Byzance et en fit, dès ce jour, la capitale du monde. La ville aux sept collines était découronnée ; l’empire latin faisait place à un empire grec : il ne faut pas s’étonner que cet empire nouveau soit redevenu un empire marin.

II

C’est surtout en marine que l’on peut vraiment dire qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Ouvrez le livre du père Fournier, aumônier du vaillant archevêque de Sourdis dans la campagne de 1642, et auteur fort apprécié en son temps de l’Hydrographie de la mer[6] ; essayez ensuite de déchiffrer les feuillets incomplets du manuscrit byzantin que vient de découvrir l’infatigable érudition du docteur Charles Muller et de traduire pour la première fois en langue moderne un savant professeur de Livourne, le chevalier Francesco Corazzini[7], vous retrouverez dans les deux ouvrages les mêmes idées, bien souvent exprimées d’une façon identique. Le manuscrit de Milan date cependant, — tout le fait présumer, — du Ve ou du VIe siècle de notre ère. « La charge du pilote, nous dit le père Fournier, est de donner la route et d’éviter les écueils… Il est toujours le second officier, pour l’honneur des sciences qu’il professe… Dans un bon vaisseau il faut deux pilotes, outre celui de la route, qui doit connaître parfaitement le ciel et bien faire les observations… Si, par faute du pilote un vaisseau du roi périt, le pilote est infailliblement pendu. » « Il est absolument nécessaire, proclame de son côté l’écrivain grec, dont le nom ne nous est malheureusement pas parvenu, que le stratège ait à ses côtés un homme bien au courant des mers dans lesquelles la flotte navigue, ou vers lesquelles on suppose qu’elle pourra se diriger. Cet homme doit connaître les vents qui soulèvent la mer du large et ceux qui soufflent généralement de terre, les écueils, les brisans, la configuration des côtes, les îles qui les avoisinent, les ports et les distances comptées d’un port à l’autre, les ressources du pays, ainsi que les aiguades. Ce n’est pas seulement sur le vaisseau du stratège qu’il convient de mettre un de ces hommes pratiques ; chaque vaisseau est tenu d’avoir également son pilote, car la tempête peut disperser la flotte, et le capitaine séparé du stratège serait dans l’embarras s’il lui fallait aller chercher seul un abri. »

Ces pilotes, dont la nécessité se faisait si vivement sentir dans les bassins étroits et d’ailleurs bien connus de la Méditerranée, n’étaient encore que des pilotes côtiers ; ceux qui conduisaient, à l’exemple d’Hippalus, les flottes marchandes d’Alexandrie à travers les grandes solitudes de l’Océan indien, ne méritaient-ils pas un autre nom ? N’étaient-ils pas, dans toute la force du terme, des pilotes hauturiers ? Quels regrets nous devons éprouver de n’avoir rien pu apprendre encore des procédés de navigation usités dans ces temps lointains ! L’érudition moderne a-t-elle bien fouillé toutes les bibliothèques ? N’existe-t-il pas sous la lave d’Herculanum ou sous les cendres de Pompéi, peut-être au fond d’un de ces mystérieux hypogées qui ont déjà livré tant de trésors à nos recherches pieusement indiscrètes, n’existe-t-il pas, n’est-il pas possible, dites-moi, qu’il existe quelque papyrus destiné à nous révéler par un jet soudain de lumière que ce ne sont pas les Chinois, mais bien les Grecs d’Alexandrie, qui ont mis à profit la propriété merveilleuse possédée par l’aimant ? que ce sont eux aussi qui les premiers ont essayé de diriger leur route en mesurant la distance angulaire des astres au zénith, ou leur hauteur au-dessus de l’horizon ? La découverte, si elle se produisait, ferait certainement sensation ; elle n’aurait rien au fond qui nous dût surprendre, car Vasco de Gama trouva les Arabes de la côte de Mozambique en possession de ce double secret, et d’où les Arabes pouvaient-ils le tenir, si ce n’est des alexandrins ?

Le commerce de l’Egypte avec l’extrême Orient avait pris, durant les premiers siècles de l’empire romain, un immense développement. Lorsque, en l’année 409 de notre ère, Alaric vint mettre le siège devant Rome, ce furent les denrées de l’Inde qui payèrent en partie la rançon de la ville éternelle : Rome livra au vainqueur, outre une énorme somme en or et en argent, quatre mille robes de soie et trois mille livres de poivre. Si Rome, abandonnée par la majeure partie de ses habitans, par les familles patriciennes surtout qui avaient suivi le premier empereur chrétien à Byzance, si Rome, réduite à une population de un million deux cent mille âmes, pouvait regorger à ce point de soieries et d’épices, quelle profusion de produits orientaux n’eût-on pas rencontrée dans la nouvelle capitale assise par Constantin sur les rives du Bosphore ! Constantinople dictait encore, à cette époque, des lois à l’Egypte ; elle continua de lui en dicter, de l’année 364 à l’année 616 : Rome ne recevait probablement que par l’entremise de sa puissante rivale les richesses qui payèrent la retraite d’Alaric.

Il est bien avéré aujourd’hui qu’au cours du Ve et du VIe siècles de notre ère, des relations incessantes existaient entre les ports de la mer Erythrée et les côtes de l’Inde. Qui n’a entendu parler de cette communauté chrétienne que les Portugais retrouvèrent, en l’année 1503, sur le littoral où ils s’imaginaient apporter les premiers la connaissance du Christ et de son évangile ? Les archevêques de Goa essayèrent en vain de convertir à leur loi épurée ces vieux croyans qui s’obstinaient à ne vouloir reconnaître pour chef que le patriarche de Babylone. Évangélisés, disaient-ils, par saint Thomas, ils prétendaient demeurer fidèles aux sentimens de Nestorius. « Saint Pierre, répondaient-ils aux docteurs qui s’efforçaient de les arracher à leur hérésie, est le chef de l’église de Rome ; saint Thomas est le chef de la nôtre. » Ils résistèrent si bien, qu’ils en ont gardé, dans l’histoire ecclésiastique de l’Inde, le nom de chrétiens de saint Thomas.

S’il en faut croire Voltaire, qui a malheureusement négligé de nous apprendre où il avait puisé ce renseignement, les brebis, égarées que l’archevêque de Goa ne réussit que bien rarement à ramener et encore moins à retenir au bercail, n’avaient absolument aucun titre à se couvrir du grand nom de l’apôtre des Indes. Un marchand de Syrie, nommé Mar Thomas, s’étant, au dire du sceptique historien, établi sur les côtes de Malabar avec sa famille et ses facteurs, y aurait laissé, — probablement vers le VIe siècle, — sa religion, qui était le nestorianisme. Tavernier, le plus exact des voyageurs du XVIIe siècle, nous apprend cependant que Mar Thomas signifie saint Thomas, comme Mar Jacob signifie saint Jacques. J’ai consulté à ce sujet des orientalistes, — M. Berger entre autres, — et voici ce qui m’a été répondu : « Mar, — Seigneur en syriaque, — est le titre honorifique que l’on joint d’habitude au nom de Dieu et de Jésus, et aussi à celui des saints. Mar Thomas, Mar Jacob : notre seigneur Thomas, notre seigneur Jacques. » Voltaire en savait probablement aussi long à ce sujet que Tavernier et les orientalistes, mais il était certes bien capable de ne pas respecter la marchandise neutre quand il la rencontrait sous pavillon ennemi[8].

C’est au VIe siècle également, vers l’année 547, que Cosmas, ce moine qui fut longtemps marchand et voyageur, avant de se résoudre à embrasser la vie monastique, entreprend de décrire la structure du monde. Cosmas s’opiniâtre à prendre à la lettre le texte plus ou moins bien compris des saintes Écritures, et fait à son insu reculer pour des siècles la science géographique au-delà des limites qu’elle avait atteintes du vivant même d’Hérodote. La Topographie chrétienne, je ne le conteste pas, est un tissu d’erreurs, mais la description de la Taprobane « que les Indiens nomment Sielediva, » nous apprend de la façon la plus irréfutable qu’au temps de Justinien, les vaisseaux d’Alexandrie ne se contentaient pas de visiter régulièrement, chaque année, l’embouchure de l’Indus et le golfe de Cambaye ; ils allaient aborder tout droit à Ceylan. « Plus loin, écrit Cosmas, le premier géographe qui nous ait parlé clairement des Moluques, est le pays qui produit le girofle ; puis vient Sina, d’où s’exporte la soie. Au-delà de Sina, il n’existe nulle terre, car l’océan entoure Sina du côté de l’Orient. »

Cosmas n’ignore pas que, pour arriver à Ceylan, il faut traverser l’archipel des Maldives ; a Sielediva, dit-il, est un immense entrepôt commercial. Elle est précédée d’autres îles, peu étendues sans doute, en revanche innombrables et très rapprochées les unes des autres. Sur tous ces îlots on trouve de l’eau douce et des cocos, — karua indica, — des noix indiennes. »

Deux princes se partageaient l’empire de Ceylan : l’un régnait sur l’intérieur montagneux de l’île ; l’autre occupait les côtes. Le port de Trinquemalé lui appartenait, et ce port était alors le grand entrepôt du commerce encore mystérieux de l’extrême Orient. Les Indiens et les Chinois trouvaient avantageux de s’y rencontrer pour échanger leurs produits ; les marchands d’Alexandrie eux-mêmes osaient y conduire, dans la saison favorable, leurs vaisseaux. La traversée sans doute était périlleuse : ne valait-il pas mieux cependant en courir les risques que d’aller aux foires de l’Arménie ou à celle de Nisibis acheter de seconde main ces écheveaux de soie grège et ces précieuses soieries que les marchands de Bokhara et de Samarkand, les seuls qui fussent, par terre, en relations directes avec les marchands du Chensi, avaient déjà revendues aux sujets du roi de Perse, non sans en tirer naturellement un premier profit ? Par la voie maritime, le gain était tout entier, sans partage, pour l’armateur qui se chargeait d’approvisionner le marché romain ; il n’en restait rien ou du moins peu de chose entre les doigts crochus des intermédiaires. Quand la livre de soie se payait, à Byzance et à Rome, douze onces d’or, on s’explique facilement que, du jour où la route directe vers la nouvelle Colchide fut ouverte, il n’ait pas manqué, en dépit de tous les risques à courir, de gens audacieux pour s’y précipiter.

Sous le règne de Justinien, et plus encore sous celui de son successeur, la soie devient tout à coup une marchandise européenne ; deux moines persans sont arrivés de Nankin à Byzance, portant des œufs de vers à soie cachés dans une canne de bambou ; les fabriques du Péloponèse rivalisent maintenant avec celles de la Chine ; l’intérêt du lointain voyage se trouve brusquement diminué de moitié. Il est très probable qu’à partir de, cette époque, le commerce maritime de l’Inde éprouva un ralentissement sensible. Néanmoins, quand l’Egypte fut soustraite à la domination romaine, je ne mets pas en doute que les Arabes n’y aient recueilli les procédés de navigation qui, après avoir éclairé la route d’Hippalus, devaient, dix-sept ou dix-huit siècles plus tard, frayer la voie à Vasco de Gama.

Telle était déjà, en 1642, l’opinion du révérend père Fournier : « Un chacun sait, dit-il, que Vasque de Gama, après avoir doublé le cap de Bonne-Espérance, et entré, le premier des Européens de ce siècle dernier, par ce chemin dans l’Océan oriental, trouva que les pilotes de ces mers se servaient très sagement et des cartes marines et des aiguilles aimantées. Les boussoles de Chine, dont ils usent encore de présent dans leurs joncos, ne sont qu’un médiocre vaisseau plein d’eau, sur laquelle ils font flotter un petit triangle de fil de fer touché d’aimant, soutenu d’un peu de liège…[9]. Mais, de grâce, qui pourrait de présent plus disertement décrire une boussole qu’a fait Plaute, dans son Mercator, en ces termes :


Hic secundus ventus nunc est, cape modo versoriam :
Hic Favonius serenus est, hic Auster imbricus ;
Hic facit tranquillitatem, hic omnes fluctus conciet.


Si nous voulions décrire une rose de vents, nous ne pourrions nous servir de paroles plus significatives, ni l’appeler plus proprement que du nom de versoria. »

On sait que la rose des vents est un carton, ou plutôt une lame de talc recouverte d’un papier sur lequel sont tracées les trente-deux aires du vent. Sous ce plateau est fixée l’aiguille aimantée dont l’axe doit se confondre avec la ligne nord et sud. L’aiguille repose sur un pivot : écartez-la du nord, l’attraction qui la tient invisiblement en bride la ramènera soudain, avec le cercle gradué qu’elle supporte, dans la direction du pôle. Malheureusement, le grand Dictionnaire du docteur Guillaume Freund n’est pas de l’avis du père Fournier. Pour le docteur allemand, versoria ou vomoria signifie simplement « l’action de se retourner. » — « Versoriam facere, revenir sur ses pas ; — cape vorsoriam, vire de bord. » Versoria serait, selon d’autres, le nom d’un cordage servant à porter la voile d’un bord à l’autre. Le père Fournier avait prévu l’objection : « Il me semble, disait-il, que la chose est si claire qu’elle ne peut permettre qu’on la gauchisse, comme font ceux qui rapportent ce mot de versoria à une corde, ou bien au gouvernail, comme si funis ou clavus étaient du féminin genre. » Puisque nous avons entamé ce procès, donnons-nous la satisfaction de l’instruire plus à fond. Commençons avant tout par rétablir le texte exact de Plaute (le Marchand, acte V, scène II) :


Si huc item properes, ut istuc properas, facias rectius,
Huc secundus ventus nunc est, cape modo vorsoriam.
Heic Favonius serenu’st, isteic Auster imbricus :
Hic facit tranquillitatem, iste omnes fluctus conciet.
Recipe te ad terram, Charine, huc : non ex adverso vides,
Nimbus ut ater imberque instat ? Aspicias nunc ad sinistram,
Cœlum ut est splendore plenum ex adverso vides.


Ni M. Naudet, en 1836, ni M. Alphonse François, en 1844, n’ont voulu voir dans la versoria une rose des vents. Le premier traduit ainsi le passage cité par le savant jésuite : « Au lieu d’aller si vite par là, tu feras mieux de venir ici en toute hâte. Le vent favorable souffle de ce côté : Tu n’as qu’à virer la voile. Ici le zéphir, là les autans orageux. L’un apporte le calme, les autres soulèveront toutes les vagues. Reviens ici prendre terre, Charin. Ne vois-tu pas devant toi les noirs nuages et la pluie qui menacent ? Regarde à gauche ; quelle sérénité dans le ciel ! » Plaçons en regard la traduction de M. Alphonse François, reproduite en 1855 dans la Collection des auteurs latins publiée sous la direction de M. Nisard, nous ne trouverons pas davantage d’encouragement à nous ranger à l’interprétation du père Fournier. Voici la version de M. François : « Au lieu d’aller si vite par là, tu feras mieux de venir promptement par ici. Un vent propice souffle de ce côté, tu n’as qu’à tourner la voile. » Le père Fournier voudrait qu’on traduisît : Tu n’as qu’à consulter la boussole.

Entre nous, je ne crois pas que l’aumônier de l’archevêque de Sourdis ait précisément « frappé le clou sur la tête ; » mais il est bien amusant et bien ingénieux. « De tout ceci je conclus, écrit-il en terminant, que la boussole n’est une invention de ces derniers siècles et que, bien que notre Guiot de Provins (Guiot ou Guyot était né à Provins vers l’année 1150) soit l’auteur le plus ancien qui en parle nettement,.. j’en mets l’invention entre les choses que nous avons par tradition, sans que nous sachions à qui nous en sommes obligés. » Ajoutez que l’aimant, cette pierre que décrit si bien Claudien, à laquelle « le fer donne la vie : ex ferro meruit vitam, » se trouve en abondance sur les côtes d’Arabie et dans les îles de l’archipel grec, « spécialement, remarque le savant auteur que nous ne nous lassons pas de citer, en l’île de Serpho, où on vous en présentera des poches entières à fort vil prix. » Rien d’étonnant dès lors que les Grecs et les Phéniciens aient constaté de bonne heure les propriétés d’une pierre qu’ils rencontraient si souvent sur leur chemin.


III

L’importance des pilotes s’est perpétuée à travers les âges, et c’est seulement de nos jours qu’on a pu croire un instant que la perfection de nos cartes, l’instruction supérieure de nos officiers, les notables progrès apportés dans nos méthodes de navigation allaient rendre à peu près superflu le recours à ces hommes pratiques dont la science ne s’étend guère au-delà des limites d’un horizon fort borné. On est bien revenu aujourd’hui de ; cette illusion : pour se passer des services d’un pilote, les meilleures cartes ne sauraient suffire ; il faudrait être un pilote soi-même. Le contre-amiral Bouvet, — le célèbre capitaine de la Minerve, de l’Iphigénie et de l’Aréthuse, — voulait que « nul ne pût être admis à faire partie du corps des officiers de la marine royale s’il n’était en état de répondre d’une manière satisfaisante à un examen sévère sur la pratique des côtes de France, l’entrée des ports, les sondes des passes et des baies, les mouillages, etc. » Je m’associerais volontiers à ce vœu, dont personne mieux que moi n’apprécie l’immense intérêt. Y pourrait-on pourtant de bonne foi satisfaire sans alléger, d’autre part, des mémoires et des intelligences qui succombent déjà sous le fardeau de jour eu jour plus pesant qu’on leur impose ?

La marine espagnole, la première marine européenne qui ait, avec la marine portugaise, constitué de grandes flottes marchandes pour l’exploitation du commerce d’outre-mer, s’en était rigoureusement tenue aux pratiques de l’antiquité. A côté du commandement militaire elle plaçait et multipliait les conseillers chargés de diriger la route. La casa de contratacion, — chambre de commerce — de Séville, payait fort cher et sans marchander ses pilotes, ainsi que le font d’ailleurs de nos jours nos grandes compagnies maritimes. En retour, elle exigeait d’eux une instruction complète, instruction attestée par les plus sérieux examens, « Si cela était bien gardé, observe avec raison le père Fournier, on ne verrait tant de naufrages comme l’on voit, plusieurs se croyant assez capables, lorsque pour trois ou quatre bouteilles de vin d’Espagne, ils ont obtenu leurs lettres de pilotes et croient qu’ils ont une suffisante excuse lorsqu’ils se voient échoués par leur ignorance, de dire que ç’a été par non-vue ou par des courans de mer inconnus. »

L’aspirant pilote espagnol devait adresser sa requête au pilote-major de la casa de contratacion. Ce pilote, en l’année 1583, s’appelait le señor Alonso de Chiavez. Les aspirans pilotes ne comparaissaient devant lui qu’avec terreur. Il leur fallait d’abord établir par des pièces probantes qu’ils étaient nés dans les royaumes d’Espagne, qu’ils n’avaient dans les veines ni sang nègre ni sang moresque ou juif. Cette preuve faite, le pilote-major les admettait à produire les attestations de cinq ou six pilotes jurés, constatant que le candidat était bon marin et suffisamment instruit dans le pilotage ; puis, après avoir bien examiné, bien pesé leurs certificats, il les livrait au professeur de navigation, le señor Rodriguez Zamorano. Ce dernier se chargeait de parfaire en deux mois une éducation déjà si avancée. Au bout de deux mois de leçons et d’exercices, les candidats sont appelés devant la commission d’examen, commission présidée par le pilote-major et qui ne compte pas moins de vingt-cinq membres, tous pilotes jurés.

« Sur quelle partie des Indes voulez-vous être examiné ? demande au candidat le président. Est-ce sur la Nouvelle-Espagne, sur la colonie de Nombre-de-Dios, sur Saint-Domingue, sur Puerto-Rico, sur Cuba ? » Le futur pilote doit avoir fait son choix à l’avance, car il ne saurait prétendre à exercer les fonctions difficiles auxquelles il aspire dans toutes les mers qui baignent les vastes possessions de sa majesté catholique ; il s’offre à prendre la conduite du vaisseau pour tel ou tel voyage et non pas pour une traversée indéterminée. Le pilote-major prend acte de sa déclaration, et, lui montrant du doigt une carte marine étendue sur la table : « Partez de San Lucar, lui dit-il, et faites route pour les Canaries ; des Canaries, rendez-vous aux Indes ; revenez ensuite des Indes en Espagne et ramenez votre vaisseau à l’entrée du Guadalquivir. » Des mains du pilote-major, le patient, sans avoir le loisir de reprendre haleine, passe successivement sous la férule des vingt-cinq autres pilotes. L’un lui demande : « Si, dans le cours de votre navigation, il survient du gros temps et un vent contraire, quelles précautions prendrez-vous pour diminuer la fatigue du navire ? » Un autre l’interroge « sur les règles du soleil et de l’étoile polaire, sur la manière d’employer la déclinaison du soleil à toutes les époques de l’année ; » un troisième veut entendre la description complète des côtes et des amers qui se trouvent sur la route, depuis le point de départ jusqu’au point d’arrivée. Les questions peu à peu se pressent et se compliquent : ce n’est plus un aspirant pilote, c’est un apprenti capitaine qu’on semble examiner. « Si une tempête vient à briser vos mâts, que ferez-vous ? Si une voie d’eau se déclare ? Si le gouvernail est démonté ? » Pour être reçu pilote, il faut avoir réponse à tous ces incidens. « Un bon pilote, dit le père Fournier, fait à dessein son estime toujours plus grande qu’il ne se persuade qu’elle est. Par exemple, s’il croit que son vaisseau a fait deux lieues par heure, il comptera demi-quart de lieue davantage, aimant mieux être vingt lieues en arrière que trop tôt en avant, de peur de se trouver à terre et en danger de se perdre, croyant en être encore bien loin… S’il faut doubler quelque cap la nuit ou durant la brume, il prendra toujours un demi-quart de vent plus vers l’eau pour éviter la terre, ou, si quelque marée portait dessus, prendra toujours un rhumb tout entier, plus ou moins, suivant la violence des marées… En temps de brume, il ne marchera que la sonde en la main, car la sonde, à proprement parler, appartient au pilote, et son devoir est d’avertir le maître de mouiller quand il juge à propos. » Les pilotes espagnols étaient payés par voyage et proportionnellement au tonnage du navire dont ils avaient pris charge. Pour un bâtiment de 100 tonneaux, leur salaire était fixé à 200 ou 250 ducats, à 400 ou 500 si le tonnage atteignait un de ces deux chiffres.

La marine française possède depuis quelques années une institution précieuse : l’institution des pilotes d’arrondissement. La conception première de cette création si utile remonte à l’année 1855 ; l’honneur de l’avoir présentée sous une forme immédiatement réalisable et pratique revient tout entier à un officier général éminent, M. le vice-amiral Pellion, qui était alors préfet maritime à Brest. Ces pilotes d’arrondissement ne sont, en aucune façon, des pilotes hauturiers comme l’étaient ceux de la casa de contratacion de Séville : ces derniers n’ont guère d’analogie qu’avec les masters de la marine anglaise. Les anciens pilotes espagnols et nos pilotes actuels d’arrondissement ont cependant un trait commun qui les rapproche : leur spécialité ne s’étend qu’à une portion bien déterminée de côtes. Nous revenons insensiblement, on le voit, aux traditions du moyen âge et à celles de l’antique monarchie. Tel pilote est déclaré apte à conduire un vaisseau de Rochefort à Brest, tel autre s’en chargera pour la traversée de Brest à Dunkerque. Sa présence à bord ne dispense pas cependant le capitaine de recourir, en certaines circonstances, aux services d’une autre classe de pilotes, sorte de micrographes qu’on appelle les pilotes lamaneurs. Ceux-là ne sont tenus de posséder que la connaissance approfondie d’une étendue de mer très restreinte, d’une entrée de port ou de rade, d’un goulet, d’une passe, d’un canal. Ils distinguent les roches a leur aspect et à leur gisement ; au besoin, si la brume survenait, ils les reconnaîtraient à leur voix, car, pour ces oreilles exercées, toutes les roches ne rendent pas le même son sous la vague qui les bat : les unes ont un mugissement sourd et caverneux, les autres répercutent un son clair, comme l’écho lointain du canon. Ce n’est pas dans les livres que s’apprennent ces distinctions subtiles et voilà pourquoi le pilote, malgré toute notre science, n’a pas cessé d’être en mainte occasion un des rouages les plus indispensables de la grande machine navale. La vapeur, avec les vitesses prodigieuses qu’elle permet, je serais presque tenté de dire qu’elle impose, ne nous laisse guère le temps de recourir, comme nous le faisions autrefois, à nos cartes, à nos compas, à nos rapporteurs. Fixer sa position à l’aide de relèvemens pris à la boussole ou d’angles observés au sextant était bon pour le navigateur à voiles qui s’en allait d’un pas tranquille et lent à son but : quand on dévore l’espace, il faut avoir pour se diriger de bons alignemens gravés dans la mémoire, des l’un par l’autre, disait, dans son langage pittoresque de vieux marin breton, le brave amiral Tréhouart. Aussi, lorsqu’un de mes vœux les plus opiniâtres se trouva heureusement accompli, lorsque je pus saluer d’une approbation joyeuse la création des pilotes d’arrondissement, ne me tins-je encore que pour à demi satisfait. Je réclamai avec la même énergie l’extension de cette institution si utile, si remplie d’avenir, à nos stations extérieures. Je voulais que, dans toutes les mers où nous entretenons des divisions navales, on s’occupât, sans s’arrêter aux frais, de constituer sur un des navires de la station un véritable dépôt de pilotes français que j’appelais à dessein, pour les bien distinguer des pilotes lamaneurs du pays et pour spécifier en quelque sorte leur rôle, des pilotes militaires, j’aurais volontiers dit des pilotes à responsabilité limitée. Cette institution nous eût, à bref délai, donné un avantage immense sur les marines étrangères, qui ne se seraient pas hâtées de nous imiter. Plus le théâtre des opérations eût été dangereux, plus la chance de primer nos adversaires de manœuvre aurait eu de probabilité et de prix.

Trouver, en quelque lieu que nous nous présentions, ces pilotes d’arrondissement qui nous rendent sur nos côtes de si grands services, voilà ce que j’ambitionnais. Avais-je tort ? N’allais-je pas m’exposer au risque, — quelques-uns de mes contradicteurs l’appréhendaient, — de faire désapprendre à nos officiers la partie la plus sérieuse du métier, de les affranchir du soin de la route et de les réduire si bien à des fonctions purement militaires qu’au bout de quelque temps on ne rencontrerait plus sur nos vaisseaux que des soldats ? Devant un tel péril, je m’explique aisément qu’on ait reculé. Aujourd’hui on doit s’être convaincu que la crainte était chimérique. Les pilotes d’arrondissement ont gagné haut la main leur procès ; les pilotes militaires n’auraient pas eu longtemps à plaider le leur. S’il y eût eu danger d’amollissement pour nos capitaines trop bien secondés, le remède n’était-il pas facile ? Il fallait leur inculquer de bonne heure, comme le demandait l’amiral Bouvet, le goût du pilotage. Pilotes eux-mêmes, ils n’auraient jamais songé à laisser à d’autres le soin de les conduire ; ils se seraient bornés à consulter ces hommes familiarisés de longue date avec des parages qu’ils abordaient eux-mêmes pour la première fois ; ils les auraient, la circonstance exigeant un surcroît de précautions, envoyés la nuit au bossoir. Un pilote sait veiller ; il sait reconnaître au premier coup d’œil la portée de l’indice qui vient à frapper sa vue ; mais quand vous prenez un de ces braves gars de la Normandie ou de la Bretagne qui, hier encore, avait en main le timon de la charrue et que vous lui criez : Ouvre l’œil au bossoir ! vous faites sans vous en douter du fatalisme. Ce ne sont pas seulement les idoles des Philistins qui ont des yeux pour ne point voir. Un capital de 20 ou 25 millions de francs, lancé à toute vitesse dans la nuit obscure, se trouve sous la garde d’un argus qui n’aura de sa vie aperçu un brisant ou que la rapide et soudaine approche d’un navire, émergeant tout à coup des ténèbres, paralysera.

Il y a des siècles que nous n’avons fait une guerre maritime ; si le souvenir de ces opérations qui exigent tant de veilles, entraînent tant de fatigues, n’était complètement effacé de nos mémoires, on songerait un peu plus à laisser au chef militaire toute sa liberté d’esprit, à lui épargner les soins secondaires du pilotage, ne fût-ce que pour ménager son sommeil et ses forces. L’amiral Roussin m’a souvent conté qu’embarqué dans les mers de l’Inde sur la frégate la Sémillante, que commandait alors le capitaine Motard, il avait pu juger de l’effet désastreux que le corps surmené peut exercer sur la machine morale et intellectuelle. Trois fois la Sémillante avait rencontré des frégates anglaises, trois fois elle les avait battues : pour obtenir une victoire complète, pour réaliser la capture imminente, il n’eût fallu qu’insister sur le premier avantage, que reprendre le combat le lendemain. Les anxiétés de la nuit, la privation de sommeil avaient le lendemain transformé le capitaine héroïque ; toute son ardeur s’était évanouie, il demandait moins la victoire que le repos. « La Dédaigneuse et la Terpsichore ont dû, m’a souvent répété l’amiral Roussin, leur salut à la lassitude trop facile à comprendre de notre admirable commandant. » L’amiral aurait pu ajouter que, dans le dernier engagement, — celui qui eut lieu le 16 février 1808, — le capitaine Motard avait été blessé à la tête et à l’épaule. « L’activité déployée par le capitaine Motard dans ses croisières, écrivait de son côté le célèbre historien de la marine anglaise, William James, l’habileté remarquable dont il fit preuve lorsqu’il lui fallut traverser avec sa frégate les canaux les moins connus et les moins explorés des mers de L’Inde, sont au-dessus de tout éloge. »

Si actif, si habile marin qu’on puisse être, quand l’effort se prolonge, on succombe infailliblement à la peine. Des capitaines ont voulu se passer dans l’Archipel grec de pilotes, sous prétexte qu’ils étaient de force à en remontrer à tous les pilotes de Milo. Leur confiance n’avait certes rien de présomptueux, l’opinion qu’ils entretenaient de leur savoir n’était pas exagérée. Seulement, comme ils ne pouvaient passer la nuit elle jour sur le pont, dormir sur le gaillard d’avant enveloppés dans le traditionnel caban du pilote, il leur est arrivé plus d’une mésaventure, et l’on a vu échouer sur les bancs de l’Hermus, à l’entrée même de la baie de Smyrne, un brick qui. avait cependant pour capitaine le meilleur officier de la station du Levant. Je n’aurais pas moi-même talonné avec le Furet sur les roches de la baie de Cadix si je n’avais imprudemment refusé les services du pilote venu à notre rencontre.

Je le répète donc, puisque l’antiquité elle-même m’y convie : « Il est absolument nécessaire que le stratège ait près de lui des gens qui connaissent les parages dans lesquels il navigue, aussi bien que ceux vers lesquels il pourra se diriger[10]. » Les officiers qui ont pris part aux croisières de l’année 1870 sur notre escadre de la Mer du Nord ou sur celle de la Baltique seront unanimes, je pense, à reconnaître la sagesse de ce conseil.


IV

Toutes les institutions du monde ne remplaceront pas le génie militaire ; c’est le caractère du chef qui remporte avant tout la victoire. La même marine donnera des résultats très différens, quand ce sera un d’Orves ou un Suffren qui tiendra le gouvernail. Néanmoins le propre des institutions est de permettre à la médiocrité même de faire encore assez bonne figure : sur le trône, si la fortune l’appelle à régner ; sur le champ de bataille, si le sort lui donne des armées à conduire. Il ne faut pas, autant que possible, rendre l’intervention du génie nécessaire, car le génie fut rare en tous les temps.

Je viens d’exposer les immenses avantages que présenterait une forte et complète constitution du pilotage : la sécurité d’une grande flotte ne serait cependant, pas suffisamment garantie par l’emploi des meilleurs pilotes, si la route à suivre n’était préalablement éclairée au loin par toute une avant-garde de bâtimens légers. Les avisos sont, en quelque sorte, notre cavalerie navale ; ce sont eux qui doivent, suivant l’expression consacrée, établir le contact. « Si l’on m’ouvrait le cœur, disait Nelson avant Aboukir, on y lirait ces mots : « Des frégates ! Des frégates ! » Ce manque de frégates a de tout temps causé de cruelles insomnies aux navarques. « Souvent, dit l’auteur byzantin, qui semble en savoir plus long à ce sujet que l’empereur Léon et Végèce, ignorant où sont les ennemis, nous les rencontrons à l’improviste. » Accident semblable, si fondées qu’aient pu être, à un moment donné, les plaintes de Nelson, est rarement arrivé à une flotte anglaise. Chaque fois que j’ai eu la bonne fortune de pouvoir naviguer de conserve avec les escadres de nos alliés d’outre-Manche, j’ai été frappé de la puissance des traditions dont s’était imprégnée une marine qui, durant vingt années, ne prit ses quartiers d’hiver qu’à l’abri de quelques pâtés de roches semés au large de nos côtes. J’aurais été bien étonné si l’on m’eût dit alors que toutes les précautions judicieuses que j’admirais, non sans en éprouver peut-être une secrète envie, n’étaient que la stricte application des principes universellement admis dans la marine byzantine dès le Ve siècle : « A la mer comme à terre, professaient, à cette époque, les Byzantins, il faut faire explorer le terrain devant soi. Sur mer, ce seront les vaisseaux les plus légers et les plus rapides que l’on chargera de cette mission. On leur donnera des rameurs vigoureux, des équipages d’un courage éprouvé et capables de soutenir un long effort. L’office de ces explorateurs n’est pas de combattre ; ce qu’on attend d’eux, c’est qu’ils reconnaissent l’ennemi et viennent rendre compte de ce qu’ils ont découvert. En employant quatre explorateurs échelonnés à des intervalles réguliers, le stratège peut aisément s’éclairer à six milles au moins de distance : les vaisseaux les plus rapprochés de la flotte répéteront les signaux des vaisseaux les plus avancés. Les signaux de mer se font à l’aide de pavillons ou de colonnes de fumée. Le pavillon se détache mieux sur l’eau ; la fumée s’aperçoit de plus loin, car elle peut s’élever très haut dans les airs. Si la flotte se trouve placée entre les explorateurs et le soleil, il existe un moyen plus sûr encore de lui transmettre les avis qu’on veut porter à sa connaissance. Un miroir tourné vers le vaisseau auquel le signal s’adresse, une épée nue agitée rapidement projettent leurs éclats à de grandes distances. »

Eh quoi ! déjà des signaux optiques ! Les Byzantins sont ici en avance sur nous, car les signaux optiques dont la géodésie fait depuis quelque temps un si utile usager nos flottes ne les ont jusqu’à présent employés que comme signaux de nuit. En revanche, ce n’est pas à 6 milles, mais à 20, mais à 30, à 60, à 80 même, que nos amiraux veulent être éclairés. Voici le principe généralement admis : un premier aviso part en avant à la découverte ; au moment où il va se trouver par son éloignement hors de la portée des signaux, un second aviso détaché de la flotte reçoit l’ordre de le suivre ; un troisième éclaireur, expédié aussitôt que le second a pris une avance suffisante, continue la chaîne ; cette chaîne se prolongerait au besoin de la côte de Provence à la côte de l’Algérie. Pour la rendre complète, il y faudrait employer beaucoup moins de navires qu’on ne pense. Lord Exmouth tranquillement mouillé, au cours de la dernière guerre maritime, dans le port de Mahon, apprenait chaque matin ce qui s’était passé depuis la veille sur la rade de Toulon. Dès le lever du jour, une frégate s’approchait du goulet, comptait nos vaisseaux, observait l’état plus au moins avancé de leur armement : l’examen terminé, elle reprenait le large et se dirigeait à toutes voiles vers le sud. Aussitôt qu’elle apercevait seulement le haut des mâts d’une seconde frégate placée en vedette pour attendre et recueillir les avis apportés de la côte, elle commençait à se couvrir de signaux. La seconde frégate, — j’entends par là le capitaine et les gens qui la montaient : le navire est pour nous autres marins un être animé, — avait à peine compris les informations qui flottaient dans l’air qu’elle tournait rapidement à son tour sur ses talons et allait porter à une troisième frégate prête à remplir vis-à-vis d’un quatrième croiseur le même office, ce renseignement journalier qui arrivait à sa destination avec une régularité qu’aurait, à cette époque, enviée la malle-poste.

Une flotte exactement informée a toujours sur un adversaire moins bien servi par ses éclaireurs un grand avantage : il dépend d’elle d’engager ou de refuser le combat. La marine byzantine ne se piquait pas d’audace ; elle considérait la prudence comme la meilleure partie de la valeur. « Il importe beaucoup, lui répétaient souvent ses tacticiens, de bien connaître nos forces et celles de l’ennemi, de savoir combien nous avons de navires et combien l’ennemi en possède ; de quelle sorte de vaisseaux se compose sa flotte, si ses équipages proviennent de nouvelles levées ou se composent de marins aguerris ; s’ils montrent une inclination marquée à combattre. Les espions et les déserteurs doivent être consultés sur ces divers points. Gardons-nous d’ailleurs de nous en rapporter à un seul témoignage ; rassemblons autant de dépositions que nous pourrons : si ces déclarations concordent, tenons-nous alors pour suffisamment renseignés. Sommes-nous supérieurs en force à l’ennemi, livrons-lui hardiment bataille, sans le mépriser cependant, car souvent qui s’est fié au nombre n’en a pas moins été battu. Les forces sont-elles égales, si l’ennemi ne prend pas l’offensive, ne la prenons pas non plus ; contentons-nous de conserver nos positions, à moins que l’ennemi ne veuille profiter de notre inaction pour insulter et dévaster notre territoire. En cas d’infériorité numérique, nous refuserons sans hésiter le combat. Et, pourtant, il n’est pas toujours impossible de vaincre un ennemi supérieur en nombre : les vents peuvent nous venir en aide ; un canal étroit peut rendre la multitude dont notre adversaire dispose, inutile. Il arrive en outre très souvent que les forces ennemies, dispersées au début des hostilités, aient besoin de se réunir pour tirer parti de leur supériorité numérique. Un général habile saura les surprendre pendant qu’elles opèrent leur concentration ; il fera ainsi tourner l’avantage du nombre en sa faveur. Notre territoire est-il envahi, portons nous-mêmes la guerre sur le territoire de l’envahisseur, nous l’obligerons à se rembarquer pour venir défendre son propre sol. En résumé, ne combattez jamais des forces supérieures tant que la protection de vos villes de commerce ou de vos places de guerre ne vous en imposera pas l’obligation. » Voilà qui est clair. Si, avec de pareilles instructions, les stratèges byzantins commettent quelque imprudence, c’est que chez eux, par une chance imprévue, le sang de Miltiade aura parlé plus haut que le respect des ordres de l’empereur.

« Avez-vous résolu, après mûre réflexion, de livrer bataille, convoquez sur-le-champ vos capitaines et haranguez-les pour les exciter à faire leur devoir. Ne craignez pas alors de déprécier les forces de l’ennemi et d’exalter les vôtres. Menacez des plus grands châtimens tout capitaine qui oserait déserter le combat. Ce n’est pas sur sa tête seulement que tomberait la colère du prince : sa femme, ses enfans, tout ce qui lui tient par les liens du sang, serait victime de sa lâcheté ; on les chasserait de leurs foyers, on les bannirait du sol de la patrie, on les enverrait habiter une terre inhospitalière. Qui donc, après de telles menaces, ne s’exposera pas courageusement au péril ? Qui ne préférera la mort à la vie ? Pour sauver ses petits, la bête fauve n’hésite pas à braver le chasseur. Lorsque des animaux dépourvus de raison nous donnent un tel exemple, peut-on croire que des êtres raisonnables se préoccuperont moins du sort de leurs enfans ? Celui qui n’aura pas eu souci de son Dieu, de sa foi, qui aura oublié sa femme, sa famille, ses vieux parens, ses frères, ses coreligionnaires, doit s’attendre à subir les plus cruels supplices. Ce n’est pas par le fer qu’on le fera mourir ; il est digne du feu et c’est par le feu qu’il périra. »

Si nous n’avions sous les yeux le texte grec exhumé par Muller, nous croirions entendre une harangue chinoise. Jamais nous n’avons mieux mesuré la distance qui sépare Byzance de Rome et d’Athènes. Héros de Salamine, d’Eucnome, de Lilybée, est-ce là le langage qu’on vous tenait ? Était-il besoin de vous montrer en perspective la hache du licteur pour vous obliger à combattre ? Eût-on jamais osé vous adresser ces indignes menaces et rendre les êtres innocens qu’on vous savait chers responsables à l’avance de votre conduite ? Il fallait des otages à Byzance pour qu’elle comptât sur le courage de ses troupes ! Qu’on s’étonne, après un tel aveu, de l’empressement du prince à ouvrir les rangs de l’armée aux barbares !

« Je sais bien, ajoutera, il est vrai, le stratège, changeant tout à coup de thème et s’adressant à l’amour-propre de ses capitaines, que nul d’entre vous n’aura un seul instant la pensée de fuir. » L’assemblée, consultée, n’en décrétera pas moins d’une voix unanime la peine de mort contre les fuyards, puis, avant de se séparer, elle appellera par une prière fervente la protection du ciel sur ses armes. Au moment de faire sortir sa flotte du Texel, sous les ordres de l’amiral van Gent, le prince d’Orange n’en disait pas si long aux capitaines des Provinces-Unies : « Si la flotte est battue, les commandans qui rentreront au port trouveront la terre natale plus périlleuse pour eux que le champ de bataille. » Ces quelques mots, sortant de la bouche du prince taciturne, ont très probablement produit plus d’effet que les longs discours recommandés au stratège byzantin.

Les défections étaient pourtant moins faciles à déguiser et à excuser dans une flotte à rames que dans une réunion de navires à voiles. Avec la rame, on n’a point pour rester en arrière le prétexte captieux du calme ou du vent ; si l’on manque à son poste, si l’on sort de la ligne, le refus de concours est bien manifeste. La marine à vapeur aurait peut-être plus mauvaise grâce encore à vouloir se plaindre d’avoir été trahie par la brise ; mais elle peut l’être, — un illustre maréchal se permettait d’en rire, — par « le fonctionnement défectueux de ses clapets » : la trière, la liburne, le dromon, la galère du moyen âge, comme celle du XVIIe siècle, n’ont pas même ce motif à invoquer quand on leur adresse le reproche d’être restés en arrière. Est-ce la nonchalance de la chiourme qui les a retenus ? Le nerf de bœuf de l’argousin fut précisément inventé pour rendre, en ces circonstances, au navire attardé des ailes.


V

Toutes les nations arrivées à un certain degré de culture intellectuelle ont attaché une grande importance à l’ordonnance de leurs troupes ou de leurs vaisseaux. Moins elles comptent sur l’élan de leurs soldats, plus elles inclinent à exagérer la valeur des combinaisons tactiques. Quant à moi, je n’essaierai pas de m’en défendre, j’ai peu de confiance dans l’efficacité des figures géométriques qu’on qualifie à tort d’ordres de bataille. Il y a bien longtemps déjà que j’ai défini la tactique navale : « l’art de naviguer sans se séparer et sans s’aborder. » Tout le reste, à mon sens, est pure chinoiserie. Le jour du combat, quelle que soit la disposition préalable dans laquelle l’action imminente trouvera les vaisseaux rangés, je ne vois rien de mieux à prescrire, à rappeler à tous une dernière fois que cette règle si simple et si profonde de l’amiral Émériau : « Tout vaisseau qui n’est pas au feu n’est pas à son poste. » C’est avec cette tactique que les Tromp, les Ruyter, les Nelson, les Cochrane, les Jean Bart, les Duguay-Trouin, les Suffren, ont remporté leurs victoires. Je l’affirme aujourd’hui ; si Dieu me prête vie, j’espère, par d’irréfutables exemples, le prouver demain. Les signaux ne sont guère de mise dans ces momens si courts où deux escadres se précipitent à l’encontre l’une de l’autre, et, sans signaux, pas d’évolutions ! Soyons donc de notre temps. La plus grande faute à commettre en stratégie comme en politique, c’est un anachronisme : Hands off ! disait M. Gladstone : « Bas les lisières ! » dirai-je à mon tour.

Cette souplesse, cette spontanéité que je recommande depuis quinze ans à nos formidables escadres composées de quelques unités monstrueuses, je n’en ai plus que faire dès qu’il s’agit de réunions de mille et de deux mille bateaux. Ici je redeviens sérieusement tacticien, et la géométrie n’a pas de plus fervent adepte que le transfuge qui reniait tout à l’heure, avec une entière liberté d’esprit, le vieux drapeau usé des d’Orvilliers et des Rodney. Dans ces armées de myrmidons, que nous sommes destinés à voir un jour ou l’autre grouiller sur l’eau comme autant de fourmilières, l’ordre reprend ses droits ; la confusion volontaire serait un crime. Si je me prépare à mettre à terre une troupe quelconque, j’entends la débarquer, à l’exemple du grand Constantin et en m’inspirant des préceptes du manuscrit de Milan, toute formée en bataille, longtemps avant qu’elle ait touché la plage. La phalange navale sera l’image de la phalange décrite par Arrien et par Xénophon. Je ne souffrirai pas que, durant la traversée, les bataillons ou les escadrons embarqués se croisent et se mêlent. Dans cette grande masse d’hommes, de chevaux et de matériel, chacun gardera son rang, et les compagnies d’un même régiment, les pièces d’une même batterie n’auront pas à courir l’une après l’autre comme elles le firent sur le plateau de l’Alma, quand elles eurent gravi la falaise escarpée du cap Loukoul. L’amiral Bouët-Willaumez, et, après lui, l’amiral Desfossés et l’amiral Chopart, avaient, dès les débuts de la marine de guerre à hélice, élaboré un admirable code de signaux et d’évolutions. Tous les changemens de route, tous les ploiemens et déploiemens de colonnes s’exécutaient dans cet ingénieux système avec une précision vraiment mathématique. Non moins régulières, non moins uniformes dans leur marche qu’une horloge sortie des mainS de Winnerl ou de Bréguet, les machines continuaient, quelle que fût la manœuvre à exécuter, de battre le même nombre de coups de piston. Jamais d’altération de vitesse, tel était le principe. Le mécanicien n’avait pas à s’inquiéter de ce qui se passait là-haut ; il était convenu que, sous aucun prétexte, les valves d’admission de la vapeur n’auraient à s’ouvrir ou à se fermer ; les chauffeurs pouvaient jeter de côté leurs ringards ; les machines ne devaient, dans le cours du mouvement prescrit, ni accélérer, ni ralentir leur allure.

Le tacticien prenait pour base ce régime invariable et obtenait les modifications de route ou de formation voulues par une série de mouvemens à angle droit et de contremarches. Les vaisseaux n’étaient plus que des fantassins ; un colonel les aurait fait mouvoir. Par le flanc droit ! Par file à gauche ! Par le flanc droit ! encore ; il n’en fallait pas davantage pour passer d’une ligne de bataille ou de front, marchant déployée vers le nord, à une ligne de bataille faisant route à l’est. Pour se développer ainsi à loisir, il faut évidemment avoir de l’espace et du temps devant soi, mais on conçoit aisément quelle régularité de semblables manœuvres maintiendront dans l’ordonnance et la navigation d’une armée nombreuse.

L’amiral Bouët fut le premier à renoncer à l’application de son système quand il commanda une escadre composée de six bâtimens cuirassés. Il reconnut l’inconvénient d’offrir, pendant une partie des évolutions, le flanc de ses vaisseaux, faits pour combattre de pointe, à l’éperon ennemi. Prompt à se décider, il proposa sur l’heure de substituer, pour tout changement de route ou de formation, les mouvemens obliques aux mouvemens quadrangulaires. C’était, en réalité, revenir aux principes que j’avais toujours préconisés : les vaisseaux n’évoluaient plus ; ils chassaient leur poste, Chasser son poste, c’est, ainsi que je le définissais déjà en 1858, se rendre au poste qu’on doit occuper dans l’ordonnance nouvelle par le chemin le plus court, si la chose est possible ; avant tout, par le chemin le plus sûr. Tout danger de collision est conjuré du moment qu’on observe strictement, — religieusement, devrais-je dire, — les règles internationales destinées à prévenir, en cas de rencontre imprévue, les abordages. Longtemps combattues parmi nous, accueillies, au contraire, avec une faveur marquée en Angleterre et aux États-Unis, ces idées, dépourvues d’artifice, ne sont pas loin, je crois, de triompher dans notre marine même, quel que puisse être le goût prononcé et héréditaire de notre race pour les solutions méthodiques.

Si la chasse du poste tend à devenir la seule règle tactique de nos escadres, c’est une raison de plus pour que j’insiste sur les mérites du remarquable travail sorti des délibérations de la commission de 1857. Ce travail, unique en son genre, il faut le conserver dans son intégrité, sans amendemens et sans mutilations. Nous nous réserverons ainsi la faculté de manœuvrer, suivant les circonstances, par voie de formations ou par voie d’évolutions régulières ; nous aurons à notre disposition deux tactiques : la tactique simplifiée, qui convient à des flottes de haut bord ; la tactique rigoureusement géométrique, dont l’emploi s’impose aux grande flottilles de l’avenir.

Ces grandes flottilles, qu’en voulons-nous donc faire ? « Les Français, s’écriait récemment un des collaborateurs de la Rivista marittima, écrivain qui n’est probablement pas le premier venu, ne s’occupent plus guère d’autre chose, quand ils portent leur attention sur des questions maritimes, que d’étudier et de formuler des plans de descente[11]. » Nos voisins des Alpes sont vraiment trop portés à nous attribuer des projets sinistres ; ils s’exagèrent beaucoup, en tous cas, les ressources dont nous disposons pour opérer une diversion navale. Sommes-nous donc en mesure, comme ils l’affirment, de jeter sur leur littoral, dès l’ouverture des hostilités, — si jamais des hostilités pouvaient éclater entre deux nations que tant de souvenirs et d’intérêts communs devraient étroitement unir, — un corps d’armée de quarante ou de cinquante mille hommes, corps suivi, à un intervalle très rapproché, d’une autre armée infiniment plus nombreuse ? « En moins de seize heures, disent-ils, les forces assemblées à Toulon seraient mouillées devant la plage de Vado ; vingt-trois heures de marche les porteraient de Toulon sur la rade de Livourne ; trente-sept, quarante-six, cinquante, cinquante-huit heures suffiraient pour les amener dans les baies de Civita-Vecchia, de Gaëte, de Naples ou de Palerme. » La France posséderait en ce moment, suivant des calculs que j’abrège, vingt-huit vaisseaux ou frégates cuirassés, — soixante-neuf, affirme le capitaine de vaisseau Cottrau, — vingt-six croiseurs et soixante-douze transports, tous navires à flot, tous navires disponibles et prêts à prendre, au premier ordre venu de Paris, armement. Les torpilleurs et les bâtimens de flottille, au nombre de cent soixante-deux, offriraient un appoint qui ne serait pas à dédaigner, et le port de Marseille, mettant au service de l’état sa flotte marchande, fournirait à lui seul un contingent de 94,000 tonneaux. Avec de tels moyens, et forts de l’expérience que nous avons acquise en Crimée, au Mexique, au Tonkin, dans le golfe de Gabès, pourquoi ne serions-nous pas de taille à renouveler « les expéditions de Xerxès, de Pyrrhus, des Carthaginois, des Romains[12] ? » Ainsi raisonnent des inquiétudes que rien ne justifie. L’avenir évidemment appartient aux flottilles ; j’en tomberai volontiers d’accord avec l’éminent auteur de la Rivista marittima ; mais il appartient aussi, grâce à Dieu, à la paix européenne. D’un bout du monde à l’autre, les problèmes militaires sont depuis quelques années, à l’étude ; chacun conspire tout haut l’anéantissement de son voisin. C’est une raison de plus pour dormir tranquille : on parlerait moins si l’on avait l’intention d’agir : « Le chien qui aboie ne mord pas, » disent les Espagnols. Poursuivons donc, sans nous préoccuper de fugitives alarmes qui ne se sont probablement jamais prises elles-mêmes au sérieux, le cours très pacifique de nos meurtrières recherches. Chacun a la passion de son art : je voudrais perfectionner l’art de la guerre maritime. On ne me reprochera pas, du moins, de travailler dans l’ombre et de faire mystère de mes découvertes.


IV

Les navires de guerre byzantins variaient beaucoup dans leurs dimensions. « Les uns, dit l’auteur anonyme de la bibliothèque Ambroisienne, sont très grands, très fortement armés, mis en mouvement par un nombreux équipage ; leur marche, par compensation, est très lente et en raison inverse de leur force ; d’autres sont petits et légers ; une chiourme peu considérable leur suffit ; quelques-uns tiennent le milieu entre les grands vaisseaux et les petits. Il faut se servir des grands vaisseaux dans les combats qui se livrent sur mer, quelquefois aussi sur les lacs, rarement dans les actions qui ont les fleuves pour théâtre ; la pesanteur de ces gros navires ne leur permet pas de se retourner aisément, surtout quand le rivage est occupé par l’ennemi.

« De cette variété de dimensions dans les élémens dont se compose la flotte résulte la nécessité de distribuer les vaisseaux suivant un ordre déterminé à l’avance, car il importe de ne pas opposer les parties faibles de sa ligne à des chocs qu’elles seraient impuissantes à soutenir. Une armée navale rangée en bataille constitue en quelque sorte une phalange marine : les plus gros navires doivent, comme des lochages[13], supporter le premier effort de l’ennemi. Nous les rangerons donc en avant de tous les autres et nous donnerons à leurs équipages de plus fortes armures que les armures ordinaires. »

Ne reconnaissez-vous pas ici le rôle attribué aux galéasses dans la célèbre bataille de Lépante ? Que les traditions sont vivaces et quel empire elles exercent encore sur ceux mêmes qui se figurent le plus naïvement n’obéir qu’aux inspirations de leur génie ! L’homme est perfectible sans doute, et c’est bien par ce trait surtout qu’il se distingue des autres ouvrages du Créateur ; néanmoins sa perfectibilité ne le sépare jamais complètement du passé ; il y tient, comme l’arbre au sol, par mille racines.

L’écrivain byzantin attache une importance majeure à la conservation de l’ordre dans lequel les vaisseaux ont été rangés ; il veut que cet ordre soit maintenu, non-seulement pendant le combat, mais aussi durant le cours de la navigation. « Les armées habituées à marcher en ordre, écrit-il, se trouvent tout naturellement ordonnées pour combattre quand arrive le moment d’engager l’action. Toute formation qui présente à l’ennemi la phalange déployée doit être considérée comme un ordre de bataille. Le déploiement en ligne droite est évidemment, de tous les ordres de bataille, le plus simple. Il permet de déborder rapidement l’ennemi en augmentant tout à coup les intervalles, de détacher même de chaque aile quelques vaisseaux légers qui iront prendre la ligne de l’adversaire à dos. Néanmoins, quand nous serons conduits par une considération quelconque à livrer bataille à un ennemi supérieur en force, il conviendra peut-être de courber la phalange de manière à lui donner la figure d’une faux ou d’un croissant. L’ennemi hésitera certainement à s’engager dans l’intérieur de la courbe ; il y serait accablé par les flèches qui lui viendraient de droite et de gauche. Dans cette formation, le centre étant flanqué, protégé par les ailes, c’est au centre qu’il sera bon de placer les navires les plus faibles ; les extrémités de la ligne devront être, au contraire, occupées par les vaisseaux les plus forts et les mieux armés. Il importe toutefois que la courbe ne soit pas trop profonde ; si elle dégénérait en demi-cercle, l’ennemi pourrait se porter en nombre sur une des extrémités de la phalange et l’écraser avant que les vaisseaux du centre arrivassent au secours de l’aile menacée. Dans le cas où vous adopterez l’ordre concave, il sera parfaitement inutile de courber longtemps à l’avance la phalange : ce serait inviter l’ennemi à prendre ses dispositions en conséquence. L’ennemi rangerait probablement alors ses meilleurs vaisseaux aux extrémités de sa ligne, se partagerait peut-être en deux groupes dont l’un contiendrait nos ailes, pendant que l’autre se jetterait de toute sa vitesse sur l’intérieur du croissant. Il ne serait même pas impossible qu’il adoptât, pour répondre à notre ordre concave, l’ordre convexe. Dans cet ordre, les plus gros vaisseaux sont postés au centre, les plus faibles aux ailes. L’ennemi, refusant ses ailes, se trouverait en mesure d’enfoncer notre centre avec ses gros vaisseaux. Il ne faut donc pas lui laisser le temps de modifier sa formation et voilà pourquoi il est essentiel de lui dissimuler jusqu’au dernier moment nos projets. Que le centre suspende tout à coup sa marche, pendant que les ailes continuent à se porter en avant, chaque vaisseau diminuant, progressivement et suivant le poste qu’il occupe, de vitesse, le croissant se trouvera tout naturellement formé.

Le moment d’engager le combat venu, les uns sont d’avis que la flotte se porte en avant d’un mouvement rapide ; ils voient dans cet élan un moyen assuré de donner du cœur aux équipages ; d’autres pensent qu’il vaut mieux conserver une marche lente et régulière. Le meilleur parti à prendre dépendra des dispositions que montreront les matelots. S’ils paraissent hésitans, intimidés, il faut les précipiter tête baissée sur l’ennemi, afin de les enlever à leurs réflexions ; si, au contraire, on les voit exaltés, ardens à l’attaque, il convient de contenir leur furie et de les obliger par une allure mesurée à ne pas rompre l’ordonnance de la flotte. De toute façon, l’assaut doit être donné à toute vogue et avec de grands cris. Si l’on possède un plus grand nombre de vaisseaux que l’ennemi, on aura soin de placer en arrière du centre le surplus de sa flotte, constituant ainsi une réserve qui puisse soutenir à propos les vaisseaux engagés et rétablir le combat sur les points où notre ligne paraîtrait faiblir. »

Nous avions déjà les galéasses de Lépante ; voici maintenant la réserve du marquis de Santa-Cruz ; notre auteur byzantin parle en vrai sergent de bataille : l’archevêque de Sourdis aurait pu lui offrir la survivance du capitaine de Caën.

Maintenant, quel terrain faudra-t-il choisir pour combattre ? « Sur la côte ennemie, évitons la proximité du rivage, efforçons-nous d’attirer autant que possible notre adversaire en haute mer ; sur nos côtes, au contraire, rapprochons-nous de terre. Si nous sommes battus, il nous restera du moins un dernier refuge ; nous aurons, en outre, la chance d’être soutenus par les troupes, qui ne manqueront pas, surtout si nous les avons prévenues à l’avance, d’accourir. » Louis XIV avait envoyé dans le Cotentin, au mois d’avril 1692, douze bataillons irlandais, neuf bataillons français, douze escadrons de cavalerie et de dragons. Ces troupes, qui devaient passer en Angleterre avec le roi Jacques et le maréchal de Bellefonds, n’ont pas empêché le désastre de la Hougue ; elles y ont assisté « comme à un feu d’artifice tiré pour une conquête du roi. » Le conseil byzantin mérite donc réflexion : peut-être était-il de saison au Ve siècle ; au IXe, l’empereur Léon ouvrait déjà un avis différent. « Évitez, disait-il, de donner bataille près de vos propres côtes ; le soldat montre moins de fermeté et de résolution quand il sent près de lui un asile assuré. Ne lui offrez pas la tentation d’aller planter sa pique à terre. » Nous dirions aujourd’hui : « de couper ses câbles. » La chose s’est vue souvent, et tel combat glorieux que je pourrais citer aurait eu très probablement une issue plus favorable encore si quelques matelots effrayés n’avaient, dans leur panique, coupé, à l’insu du capitaine, les amarres du vaisseau sur la bitte. Les chefs les plus intrépides, entraînés par l’émotion générale, sont, dans ces occasions, exposés à perdre eux-mêmes leur sang-froid.

Il est bien certain que les vaisseaux de Tourville ne se défendirent plus avec le même héroïsme quand on les eut mouillés dans la baie de la Hougue. Après un conseil tenu en présence du roi Jacques et du maréchal de Bellefonds, Tourville prit le parti de les échouer. Les ennemis, qui n’avaient jusque-là osé s’en approcher « à cause de leur bonne contenance, » ne les voient pas plus tôt sur la côte qu’ils commencent l’attaque. Du mouillage extérieur qu’ils occupent, ils lâchent dans la baie leurs brûlots et les font soutenir par deux cents chaloupes. « À partir de ce moment, écrivait à M. de Pontchartrain l’intendant-général Nicolas-Joseph Foucault, ce fut une confusion à faire pitié ; personne ne donna ordre à rien… Le roi est bien à plaindre d’être si mal servi ! » Le résultat final de l’audacieuse entreprise des Anglais fut l’incendie de douze vaisseaux de guerre et d’un bâtiment-hôpital. Cent vingt ans plus tard, les brûlots de Cochrane renouvelleront cette attaque hasardeuse sur la rade de l’île d’Aix ; ils la renouvelleront avec un succès non moins funeste à nos armes. On se méfie trop des flottilles ; il faudra les exploits de quelque capitaine entreprenant pour qu’on apprenne enfin ce que des chaloupes bien conduites sont capables de faire. Dans la matinée désastreuse qui suivit la journée si glorieuse de la Hougue, « lorsque les ennemis eurent mis le feu à six vaisseaux, ils s’approchèrent si près du rivage que le cheval du bailli de Montebourg, qui était aux côtés du roi d’Angleterre, eut la jambe cassée d’un coup de mousquet tiré des chaloupes anglaises. » De L’audace ! de l’audace ! les gros vaisseaux ont souvent les meilleures raisons pour en manquer ; les bâtimens de flottille n’en montreront jamais trop. Du 12 mai au 28 décembre 1877, les chaloupes russes ont attaqué huit fois, avec des torpilles portées au bout d’une hampe, les navires de guerre turcs mouillés dans le Danube ou à l’ancre sur la côte de Circassie. Les torpilleurs changeront évidemment, dans un avenir très prochain, les conditions de la guerre maritime. Un Canaris va pouvoir de nouveau mettre, à lui seul, un colosse en péril et une flotte en désordre : le plus difficile sera de trouver des Canaris.

L’auteur du manuscrit dont nous avons essayé d’éclaircir les leçons par nos commentaires, ne laissait pas lui-même de garder au fond du cœur quelque inquiétude sur les conséquences de ses préceptes. « Bien des personnes, dit-il, condamneront le combat près de terre ; elles craindront que le troupeau effrayé ne se sauve à la nage. Je ne crois pas que nous ayons à redouter de semblables faiblesses si le stratège observe exactement ce que nous lui avons prescrit, » en d’autres termes, si le stratège n’oublie pas de haranguer ses troupes. Hélas ! les beaux discours n’ont guère d’effet quand la panique s’en mêle et que le salut est à portée. L’empereur Léon doit en avoir fait, dans le cours de son règne, la douloureuse expérience, car les Institutions militaires, ouvrages dont la rédaction savante valut à son auteur le beau nom de philosophe, recommandent au stratège « de bien connaître le degré de courage, — l’empereur Napoléon disait le tirant d’eau, — de chacun de ses soldats. » Il placera sur le pont les braves qui doivent en venir aux mains avec l’ennemi ; il gardera en réserve sous la couverte les hommes dont la valeur lui sera suspecte.

Se proposer de vaincre « par stratagème ou par surprise, ne livrer de batailles rangées que dans les cas de nécessité extrême, » tel est, au IXe comme au Ve siècle, le fond de la tactique byzantine. Les aigles romaines ont suivi Constantin à Byzance ; la valeur romaine est morte, avec Promis, sur les bords du Danube. La gloire du nom romain n’en doit cependant pas trop souffrir : quel est le peuple dont la virilité ait jamais eu la vie aussi longue ?


E. JURIEN DE LA GRAVIÈRE.

  1. Voyez, dans la Revue du 1er février, la Marine des empereurs et les Flottilles des Goths.
  2. Il parait très douteux cependant que l’impératrice Fausta ait précédé son mari dans la tombe. Gibbon fait remarquer que deux oraisons prononcées sous le règne de Constance semblent décharger la mémoire du premier empereur chrétien d’un des deux meurtres au moins qui lui sont imputés. L’une de ces oraisons célèbre la beauté, la vertu et le bonheur de l’impératrice Fausta ; l’autre affirme que « la mère du jeune Constantin, qui fut tué trois ans après la mort de son père Constantin le Grand, vécut pour pleurer la perte de son fils. »
  3. Voyez, dans la Revue du 1er décembre 1882, les Grands Combats de mer. — La Bataille d’Actium.
  4. Eine griechische Schrift über Seekrieg zum ersten male herausgegeben und untersucht, von Dr K. K. Muller. Würtzburg, 1882.
  5. Ἀναγϰαῖον αὐτοὺς ἀποϐάντας τῶν πλοίων ϰαθάπερ ἐν φάλαγγι συντετάχθαι « Chez les Grecs modernes, dit Burnouf, αι se prononce é, οι et ει se prononcent ι. La lecture, et surtout celle des vers, en est bien plus douce. Pour ἀφαρεῖται, ils disent aphérité et nous aphaïreïtaï. Quelle différence ! » Si nous voulons, — c’est une remarque que j’oserai me permettre, après celle de Burnouf, — continuer de prononcer le grec à la française, de quel droit reprocherions-nous, aux Anglais de prononcer à l’anglaise le latin ? Et pourtant ! Nos érudits, pour lesquels l’assyrien et les caractères hiéroglyphiques n’ont plus de mystères, vont-ils deviner du premier coup cette énigme : Rem hékiou tetidjaï ? Goûteront-ils le sel de cette dépêche humoristique de lord Napier, annonçant d’un seul mot à ses compatriotes la conquête du Sind : Pekkévaï ?
  6. George Fournier, prêtre de la compagnie de Jésus, né à Caen en 1595, mort à La Flèche, le 13 avril 1652, a laissé, entre autres ouvrages, un précieux in-folio intitulé ; l’Hydrographie, contenant la théorie et la pratique de toutes les parties de la navigation. Paris, 1643.
  7. Scritto sulta tactica navale di anonimo Greco, per la prima volta tradotto e pubblicato dal Cav. Prof. F. Corazzini. In Livorno, 1883.
  8. Voyez, dans la Revue du 1er juillet, la Légende de Krichna.
  9. Cet embryon de boussole, qui portait chez nous le nom de calamite, fut connu, prétend-on, des Chinois vers le IIe siècle de l’ère chrétienne ; mais déjà Hippalus avait traversé l’Océan indien.
  10. Ὅτι μὲν οὖν χρὴ πάντως ἔχειν μεθ' ἑαυτοῦ τὸν στρατηγὸν τοὺς εἰδότας τὰ ϰατὰ θάλατταν, δι ' ἦς ϰαὶ πρὸς ἤν ἀπαγόμεθα, φανερὸν.
  11. Appunti sulla capacità d’invasione marittima della Francia. (Rivista marittima, gennaio 1844.
  12. L’Ordinamento strategico della nostra marina, per Paolo Cottrau, capitano di vascello. (Nuova Antologia, 15 gennaio 1884.)
  13. Voyez, dans la Revue du 15 octobre 1880, la Bataille d’Issus.