La Mer élégante/L’Église endimanchée

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La Mer éléganteAlphonse Lemerre, éditeur (p. 49-52).

L'église endimanchée


C’est aujourd’hui dimanche et tous les étrangers
En costumes de fête, en costumes légers,
Vont entendre la messe à la vieille chapelle.
Les enfants des pêcheurs entrent en ribambelle
Et vont s’agenouiller près du chœur, sur des bancs ;
Et leurs mères, debout, en bonnets à rubans,
Droites sous leur jupon et sous leur châle en pointes
Les forcent à tenir leurs petites mains jointes.


Les riches sont près d’eux, entassés n’importe où ;
Et l’église bientôt se remplit du froufrou
Que font en balayant le pavé les toilettes.
Sur les profils hâlés la blancheur des voilettes
Flotte comme une extase où sont noyés les yeux.
Tout ce monde à genoux est bon, croyant, joyeux !…

Voyez ! vous les railleurs ! voyez ! vous les athées !

Les dames, dans leurs mains coquettement gantées,
Fidèles malgré tout aux usages anciens,
Tiennent dévotement de petits Paroissiens ;
Et les marins, ces forts que Dieu seul encourage
Quand ils sont sur la mer et que mugit l’orage,
Égrènent un rosaire entre leurs doigts calleux.

Le soleil resplendit et dans les vitraux bleus
Met des tons d’or sur les cheveux des blondes vierges.

La messe se poursuit dans l’encens et les cierges
Et la cloche agitée au sommet de la tour
Livre son âme errante aux échos d’alentour.


Comme le temple est plein, la porte est large ouverte
Et là, parmi les morts couchés dans l’herbe verte,
Et dont les croix de bois semblent des bras levés,
Rêvent d’autres vivants séduits et captivés
Par la sainte douceur des pompes catholiques.

Soudain l’orgue se tait : les voix mélancoliques
Des enfants du lutrin ont suspendu leur vol ;
Et tous sont maintenant à genoux sur le sol
Les yeux mouillés, le cœur ouvert et l’âme en joie,
À regarder au loin sur l’autel qui flamboye
Le prêtre, couronné de ses longs cheveux blancs,
Qui soulève l’hostie entre ses doigts tremblants !…

Vieille Religion ! on vous raille ; qu’importe !
On va criant de vous : Elle meurt ! elle est morte !
Mais moi je le sais bien qu’on vous vénère encor,
Que c’est dans votre antique et merveilleux décor
Que se comprend le mieux la comédie humaine ;
Je sais que malgré tout c’est à vous qu’on amène
Les berceaux des enfants et les cercueils des morts ;
Je sais qu’en vous quittant on trouve le remords ;


Qu’on revient tôt ou tard à sa croyance ancienne
Comme à ses chants d’enfance une musicienne
Qui répète les airs qu’on lui chantait jadis ;
Et, sans m’inquiéter des futurs paradis,
Je sais qu’au plus beau jour que l’homme ait dans sa vie,
Quand sa blanche épousée ingénue et ravie
Lui donne tout son cœur de vierge devant Dieu,
C’est grâce à vous surtout qu’elle tiendra son vœu ;
Et puisqu’aujourd’hui même où ce temple est en fête
Le même élan d’espoir et de foi satisfaite
Fait monter tous ces cœurs avec des flots d’encens,
Vieille Religion ! vous qui charmez les sens,
Dût le ciel être vide et la vie éphémère,
Dussent-ils caresser une folle chimère
Ceux qui croient que par vous ils seront réunis,
Vous les rendez heureux, et moi je vous bénis !…