La Mer élégante/La Mer bienfaisante

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La Mer éléganteAlphonse Lemerre, éditeur (p. 62-64).

La Mer bienfaisante


Il faut tirer l’enfant de notre milieu funeste ; l’ôter à l’homme, le donner à la Nature, lui faire aspirer la vie dans les souffles de la mer. L’enfant malade y guérirait.
Michelet.


Une femme élégante au profil de camée,
Venait chaque matin sur la plage animée
Avec son jeune enfant, un garçon de dix ans,
Rachitique, malade, aux yeux clairs et luisants
Comme en ont les enfants qui mourront poitrinaires.
On les voyait venir aux heures ordinaires
Elle toujours pensive et lui toujours souffrant
Et c’était un tableau douloureux et navrant.


L’enfant, faible et perclus, marchait sur des béquilles,
Et les petits garçons et les petites filles
En les voyant cessaient leurs jeux pour un moment,
Et tous deux s’asseyaient mélancoliquement
Devant les flots nacrés qui mourraient sur la grève !…

Ô douleur ! rester là tout entier à son rêve
Sans bouger, sans courir par ces matins d’été
Où les autres enfants libres, pleins de gaîté,
En toilette légère et du soleil dans l’âme,
Font flotter derrière eux comme une blonde flamme
Leur faisceau de cheveux dénoués par le vent ;
Tandis que tous jouent là sur le sable mouvant
Une pelle à la main, de l’eau jusqu’aux chevilles,
Ô douleur ! rester là, pâle, sur deux béquilles !…

L’enfant allait au bain lorsque sonnait midi :
Même par un temps calme il était peu hardi
Et quand le vieux baigneur sous les yeux de sa mère
Lui faisait lentement subir la vague amère,
Il tremblait, pris soudain d’un effroi puéril,
Comme un oiseau battu par les grêles d’avril.


Mais il se résignait pourtant à leur caprice
Puisque la mer était la puissante nourrice
Dont le bon lait salé pouvait seul, disait-on,
Rendre un peu de vigueur à ce pauvre avorton.

Oui, mer ! roule-le bien dans tes flots salutaires,
Réchauffe et rajeunis le sang dans les artères
De cet enfant qui garde en ses membres perclus
La pauvreté de sang de ceux qui ne sont plus.
Ô vaste mer ! c’est toi la source de Jouvence
Où doit dans l’avenir se retremper l’enfance,
Car le sel de tes flots est un remède sûr
Pour tous ces délicats aux grands yeux pleins d’azur
Qui regardent le ciel, trop faibles pour la vie !…
Ô mer, répare ou brise au gré de ton envie
Puisqu’il est saint le but qui fait agir tes flots ;
Et, si tu parais dure aux pauvres matelots
Qui, loin de leur famille et loin de leur rivage,
Meurent sur tes écueils pendant les nuits d’orage,
C’est qu’ils vont te servir leurs cadavres hideux,
Pour ces petits enfants chétifs et souffreteux,
Et que, toute à ton plan plus profond que les nôtres,
Tu prends la vie aux uns pour mieux la rendre aux autres !…