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La Mort de l’Aigle (Ivoi)/p02/Ch07

La bibliothèque libre.
sous le pseudonyme de Paul Éric
Combet & Cie, Éditeurs (Ancienne Librairie Furne) (p. 248-258).


CHAPITRE VII

La Ferme Éclotte


Un grand parallélogramme clos de hautes murailles. Sur la place du Saint-Voile, une porte charretière, juste en face, une baie étroite percée dans le mur et par laquelle, en faisant tourner le lourd battant de chêne qui la fermait, on accédait au verger.

Dans la cour, parsemée de tas de fumier, de flaques gelées, les bâtiments, étables, et autres, aux toits de chaume noirci par les pluies. Telle était la ferme Éclotte.

Son apparence était sombre, sombre aussi sa légende.

Derrière le bâtiment d’habitation, actuellement transformé en prison, s’allongeait un couloir étroit, resserré entre le logis et le mur du verger. À l’une de ses extrémités se creusait une cavité profonde, où les détritus de l’exploitation s’accumulaient, se transformant peu à peu en engrais.

C’était là qu’aux mauvais jours de la terreur rouge[1], les suspects étaient mis à mort.

Car Châtillon-sur-Seine a eu ses exécutions, son Fouquier-Tinville, son Carrier, son Sanson, au petit pied. Et les vieilles gens rappellent encore en frissonnant aux jeunes, le nom de Picart, garçon de la poste aux chevaux, qui, en 1793, remplit de morts la cavité ménagée pour recevoir le fumier de la ferme Éclotte.

Maintenant les alliés fusillaient en cet endroit les paysans coupables de s’être armés contre l’invasion. On punissait le patriotisme, on assassinait le dévouement.

Au nom des empereurs, des rois de l’Europe, au nom du roi de France, on exigeait que les Français fissent bon accueil aux troupes de l’étranger.

Et pour restaurer la royauté, on lui imprimait la tache ineffaçable, formée du sang des héros morts pour la défense du territoire.

Aussi, dans le pays, ne parlait-on qu’avec terreur du trou au fumier de la ferme Éclotte.

On l’appelait : Le Trou. À ces mots redoutés, les femmes se signaient, les hommes secouaient tristement la tête.

C’est là, dans le couloir du Trou, qu’Espérat et Bobèche avaient été conduits par d’Artin.

Le pope, fatigué de n’avoir pu boire durant la parade, s’en était allé rattraper le temps perdu à l’hôtellerie du Cheval Blanc, où les jeunes gens le rejoindraient plus tard.

Quant aux commissaires du Congrès, rassemblés au centre de la cour, ils regardaient le groupe formé par le vicomte et les « comédiens ».

D’Artin parlait.

Ses paroles n’arrivaient pas jusqu’aux curieux, mais l’éclat de ses yeux, la cruauté empreinte sur ses traits, disaient qu’il allait se passer une scène émouvante.

Bobèche l’écoutait, la tête penchée, les mains dans les poches. Quant à Espérat, il s’était adossé à la porte du verger et demeurait aussi immobile qu’une statue.

Tout à coup, d’Artin fit entendre un sifflement prolongé.

À ce signal, douze fantassins autrichiens en armes sortirent des communs. Un sous-officier les conduisait.

Les spectateurs frissonnèrent.

Dans cette petite troupe ils avaient reconnu un peloton d’exécution. Qui donc allait être fusillé ?

Comme pour répondre à cette anxieuse question, la porte du bâtiment d’habitation tourna sur ses gonds.

Entre plusieurs soldats, baïonnette au canon, deux hommes, deux prisonniers, marchaient.

L’un portait un habit élimé, usé, poussiéreux, la culotte de ratine, les bas noirs et les souliers à grosses boucles ; l’autre était revêtu de la soutane des prêtres.

Il y eut un cri poussé par Espérat.

Dans ces hommes qui allaient mourir, le jeune garçon venait de reconnaître son père adoptif, M. Tercelin, et son maître, l’abbé Vaneur.

Les patriotes, le laïque et l’ecclésiastique avaient été jetés aux mains de l’ennemi.

Oh ! ç’avait été une heure néfaste.

Durant un engagement avec un convoi prussien, M. Tercelin avait été atteint à la tête par une grosse branche détachée du tronc d’un arbre par le passage d’un projectile.

Il était tombé à terre inanimé.

Alors l’abbé s’était précipité vers lui, appelant son vieil ami, essayant de le rappeler à la conscience des choses.

Et les partisans qui, cette fois, avaient affaire à trop forte partie, s’étaient mis en retraite, pourchassés par l’ennemi. L’abbé Vaneur eût pu fuir comme les autres, mais l’idée d’abandonner son ami, ne lui vint même pas.

Il le chargea sur ses épaules, emportant son fusil, le vieux fusil de Valmy, et tenta de se frayer passage à travers les fourrés.

Hélas ! il avait été aperçu. Des Prussiens se lancèrent à sa poursuite.

Bientôt il fut évident qu’avant quelques minutes, il serait rejoint.

Que se passa-t-il alors dans le cerveau du prêtre.

Quelle immense colère patriotique envahit l’âme du ministre de paix. Nul n’aurait pu le dire.

Mais l’abbé qui, jusqu’à ce moment, avait refusé obstinément de combattre, qui s’était intitulé l’aumônier, le consolateur, l’infirmier, des partisans, l’abbé chargea le fusil de Valmy, échappé à la main défaillante de Tercelin.

Puis froidement il épaula, jetant bas le premier Prussien qui se présenta.

Un second eut le même sort. Mais bientôt toute une section l’entoura. Avec un rugissement, le prêtre fixa la baïonnette au canon de son arme, et se rua sur les assaillants.

Cinq ennemis furent renversés dans cette attaque furieuse, puis le brave abbé succomba sous le nombre.

Un jeune hauptmann (capitaine) était là.

Il ordonna que l’on prît M. Vaneur vivant.

Celui-ci et Tercelin furent ramenés auprès du convoi, jetés dans un chariot. On eût pu les pendre au premier arbre venu — presque tous les partisans subissaient ce sort lorsqu’ils se laissaient prendre. — On préféra les réserver pour la fusillade, ainsi que l’ordonnaient les courriers envoyés dans toutes les directions par l’état-major de la coalition.

Voilà pourquoi les braves gens se trouvaient à la ferme Éclotte. Le vicomte avait assisté la veille à leur arrivée ; aussitôt il avait songé à la rencontre présente, qui amènerait sûrement Espérat à se trahir, le rendrait suspect aux alliés, permettrait à la haine inquiète du gentilhomme de perdre l’enfant.



La figure de d’Artin s’était éclairée. Sa joie perfide lui donnait une expression satanique.

— Eh, c’est ma foi vrai, fit-il en réponse à l’exclamation de Milhuitcent, vous avez habité Stainville, seigneur Espérat, vous reconnaissez le curé…

— Mon maître, murmura le gamin.

— Et aussi le maître d’école ?

— Mon père.

— Ma foi, ricana le vicomte, voilà qui assure une saveur particulière à l’aventure. Voyez-vous l’effet dans les gazettes… Un fils, mis en présence de son père, aveuglé par un stupide dévouement à l’ogre de Corse, un fils, dis-je, rompant les liens qui l’attachent à cet individu, et lui jetant à la face le : Vive le Roi, des sujets féaux de Sa Majesté. Ce sera superbe, tout simplement.

À la raillerie barbare, Espérat ne répondit pas.

Ses mains avaient disparu derrière son dos.

Elles faisaient doucement tourner le bouton de la porte du verger.

Mais une ombre couvrit le front du jeune homme ; le battant ne s’ouvrit pas. La porte était fermée à clef.

Il fallait renoncer à l’espoir vague, né de l’émotion du gamin. Ouvrir, et fuir, fuir loin de ce lieu où son père allait expirer, l’on voulait le forcer à flageller le condamné d’un cri de lèse-patriotisme.

Du coup, les paupières d’Espérat se baissèrent. Il n’osait plus regarder les captifs qui s’avançaient lentement, au milieu de leurs gardiens, vers le couloir étroit du Trou.

Et d’Artin, riant toujours, quitta un instant Bobèche et Milhuitcent. Il présida au placement des prisonniers, juste au bord du Trou, où ils tomberaient frappés par les balles ; il faisait ranger le peloton d’exécution sur deux lignes, adossées, l’une à la maison, l’autre au mur du verger.

Ces dispositions prises, il éleva la voix, et d’un ton de commandement :

— M. Bobèche, seigneur Espérat, venez affirmer votre inaltérable attachement au roi en présence de ces rebelles.

— Espérat, répétèrent les condamnés en portant les yeux vers les jeunes gens.

Jusqu’à ce moment, ils ne les avaient pas vus ; mais alors ils les aperçurent et Tercelin tendant les bras, s’écria :

— Espérat ! Espérat ! mon enfant. Je pourrai donc t’embrasser avant de mourir !

Ces gens étaient venus là pour assister à l’exécution de partisans, capturés les armes à la main, et tout à coup la scène s’élevait au dernier degré du tragique.

Un silence pénible plana dans la ferme après cette phrase. Commissaires au Congrès, soldats, sentaient palpiter en leur poitrine un trouble soudain.

Un père était mis en lutte avec son fils.

L’homme tomberait en clamant : Vive l’Empereur ! L’enfant insulterait à son dernier râle en répondant : Vive le Roi !

Toute l’horreur de la guerre civile, de la lutte fratricide, se concentrait en ces deux êtres mis en présence par le vicomte d’Artin.

La surprise promise par ce dernier était trop violente ; elle déconcertait les assistants.

Mais le gentilhomme était incapable de s’émouvoir.

Il poursuivait l’exécution d’un plan implacable, et ce fut le sourire aux lèvres qu’il reprit :

— Allons, Messieurs, veuillez avancer et apprendre à ces traîtres le seul cri digne de sujets fidèles.

Bobèche promena au loin de lui un regard désespéré. Espérat ne bougea pas.

— Ne m’avez-vous pas entendu ? continua d’Artin. Et comme tous deux conservaient la même immobilité figée :

— Voulez-vous faire supposer à nos amis Alliés que vous refusez de pousser un hurrah à la gloire de Sa Majesté Louis XVIII.

Puis après un silence :

— Prenez y garde, vous nous avez amusés tout à l’heure, et il nous en coûterait d’avoir à vous traiter en rebelles, ou conspirateurs déguisés. — Il appuya sur ces derniers mots. — Mais l’intérêt général nous commande de passer outre à tous nos sentiments personnels. Donc, prenez garde.

— Oh ! murmura Milhuitcent, infliger cette suprême insulte à ceux qui m’ont élevé, aimé… Non, plutôt mourir… Crie, toi, Bobèche, sauve-toi… Tu diras à l’Empereur que je ne pouvais pas déchirer ainsi le cœur de mon père.

— Crier, vive le roi… moi, gronda le pitre.

— Oui.

— Tu es fou. Faire ça au vieux camarade du père Antoine, à un vieux de Valmy… Mais mon ancêtre me flanquerait sa malédiction.

— Eh bien ? questionna d’Artin avec impatience.

— Une minute, répliqua Bobèche, et vous verrez si l’on a de l’organe.

Puis revenant à Espérat :

— Refuser, c’est se condamner à mort… cela m’est égal, je t’emboite le pas… Seulement il faut finir gaiement en leur cornant aux oreilles ce qu’ils aiment le moins, un : Vive l’Empereur soigné ! Allons-y.

— Chut, fit doucement Espérat.

Qu’avait donc le jeune garçon ?… Toujours adosse à la porte du verger, il avait penché la tête, il semblait écouter.

Un bruit léger, plus doux que la plus suave harmonie, avait attiré son attention.

On eût dit que de l’autre côté du panneau de chêne, une clef était introduite dans la serrure, qu’elle tournait avec précaution.

Quelqu’un faisait glisser la gâche hors de son alvéole… Qui, sinon un ami inconnu.

Et l’idée de la fuite, abandonnée un instant plus tôt, se représentait à l’esprit du gamin.

D’Artin ouvrit la bouche pour appeler encore… Milhuitcent le prévint :

— Voulez-vous venir un instant, monsieur le vicomte ?

— Venir ?…

— Oui.

Le gentilhomme consulta les délégués au Congrès du coin de l’œil. Tous, impressionnés par le spectacle, inclinèrent la tête.

Ils étaient d’avis que l’on ne refusât rien au fils qui allait insulter son père.

Et d’Artin s’approcha des jeunes gens, disant d’une voix rogne :

— Qu’y a-t-il encore ?

— Une prière à vous adresser, repartit Espérat dont l’angoisse ne se trahissait que par la rougeur de son visage.

— Je vous écoute.

— Nous sommes prêts à crier : Vive le roi !

— Ah !

Les yeux de Bobèche s’arrondirent à cette déclaration.

— Ce nous sera même un plaisir… politique, continua le gamin. De la sorte, vous aurez ces articles de gazettes, de journaux, qui feront tant de bien à la chère cause royale.

— À la bonne heure.

— Mais, continua Milhuitcent, cette marque de dévouement absolu donnée à Sa Majesté, vous ne sauriez trouver mauvais que le sujet cède la place au fils.

— Sans doute ! sans doute ! ricana le vicomte.

— Alors, cela marchera tout seul.

— Qu’est-ce donc qui marchera ?

— Notre marché, mon gentilhomme. Je vous donne l’article à sensation que vous cherchez, vous me donnez mon père durant cinq minutes.

— Que l’on amène mon père et mon compagnon ici, que je leur fasse mes adieux sans que personne nous gêne ; ensuite, que les lois de la guerre soient respectées…

Et avec un accent étrange :

— Comme cela, je n’aurai failli à aucun devoir ;… j’aurai accordé au roi, au père, ce que je dois à chacun d’eux.

Le vicomte regardait à terre, se mordant les lèvres, devinant que son interlocuteur brisait à cette heure les mailles du filet tendu autour de lui. Du reste, Espérat ne lui accorda pas le loisir de réfléchir :

— Je vais solliciter cette suprême faveur de MM. les commissaires au Congrès, dit-il.

Avant que d’Artin eût pu répondre, le jeune garçon s’était élancé en courant vers le groupe des délégués de la Sainte-Alliance.

Il lui suffit d’exposer sa requête pour qu’elle fût admise. Les étrangers furent heureux de pallier ainsi l’indignité du spectacle auquel l’émigré les avait conviés.

Le gamin revint aussitôt vers Bobèche.

— C’est entendu, dit-il, rien ne nous empêche plus d’acclamer le noble Louis XVIII.

Mais se penchant à l’oreille de Bobèche :

— Surtout, crie bien : Vive le Roi ! tu comprendras dans un instant.

Ce disant, il se plantait vis-à-vis des condamnés, et d’une voix rauque, formidable, où vibraient à la fois un ricanement et une douleur, il clama :

— Vive le roi !

Un même geste de stupeur traduisit l’étonnement de M. Tercelin et de l’abbé Vaneur.

Mais Milhuitcent était lancé :

— À vous, patron Bobèche !

— Volontiers, Galimafré, murmura le pitre comprenant à ces seuls mots que son ami jouait une comédie.

De toute la force de ses poumons, il rugit :

— Vive le roi !

Il n’avait pas achevé qu’Espérat s’inclinait gracieusement devant le vicomte positivement ahuri et disait :

— Veuillez donner l’ordre que l’on amène les prisonniers et que l’on s’écarte à distance respectueuse durant notre entretien.

Quel que fût son désappointement, force fut au gentilhomme de s’exécuter.

Les prisonniers conduits auprès des jeunes gens, il se retira à une vingtaine de pas avec le peloton chargé de la sinistre exécution.

— Vous dites ?

À voix basse, en phrases hachées, Milhuitcent parla :

— Ayez l’air de m’adresser des reproches…, des gestes, des hochements de tête…, bien… Nonobstant, écoutez-moi, père, Monsieur le curé… Bobèche et moi servons l’Empereur… Il y a quelques jours encore nous aurions dû vous laisser mourir… la patrie l’eût exigé.

— À la bonne heure, fit simplement M. Tercelin ;… je savais bien que le brave petit ne pouvait pas être royaliste.

— Aujourd’hui on peut essayer d’échapper à ces coquins d’alliés ;… regardez cette petite porte… ; elle donne sur le verger de la ferme Éclotte ;… à l’autre bout du verger une seconde ouverture accède à une ruelle.

— Mais elle est close, ta porte.

— Elle va s’ouvrir. Alors, élancez-vous tous, sans vous inquiéter de

moi… Attention… Vos geôliers sont occupés par l’arrivée d’un officier… ; tous ont les yeux fixés sur la place du Saint-Voile… C’est le moment… En avant !

Brusquement, le jeune garçon fait tourner le battant, qui cède cette fois. Un cri d’appel retentit… C’est un soldat qui a vu le mouvement. Mais Espérat pousse ses compagnons, se coule par l’ouverture, et au moment de disparaître, lance aux Autrichiens, à d’Artin, qui accourent, un formidable :

— Vive l’Empereur !

La clef est dans la serrure, il ferme, puis bondissant, tel un chevreuil, il rejoint ses compagnons détalant à travers le verger.

L’enclos est traversé… la sortie sur la ruelle est là… Bobèche est déjà dehors.

Soudain il se rejette en arrière :

— Cernés !… une patrouille de kaiserliks…

Cernés !… La rue est occupée, et là-bas, en arrière, des coups de crosse ébranlent la porte qui a livré passage aux fugitifs.

Espérat a un cri de rage… Des tiges de fer, réunies par des fils métalliques, marquent des espaliers, le long des allées. L’enfant arrache de terre, une des barres, brise ses attaches et, lionceau déchaîné, il gronde :

— Faites comme moi… Mourons en frappant.

Ah ! si Napoléon était là, il frémirait d’orgueil. Comme ce gamin dont lui, l’Empereur, a fait son ami, est bien tel qu’il l’a jugé. Comme ce tout jeune, à peine entré dans la vie, est disposé à en sortir gaillardement.

Tous ont compris.

Ils imitent Espérat.

Seul l’abbé Vaneur parle et c’est pour murmurer d’un ton d’ardente prière :

— Que le Tout-Puissant reçoive les opprimés en sa miséricorde.

Tout à coup, un grincement léger se fait entendre, tous frémissent…

Une porte ménagée dans le mur séparatif du verger et de la maison voisine vient de s’ouvrir.

De nouveaux ennemis vont se présenter.

Non…, c’est un jeune homme, mince, élégant et doux. Espérat le reconnaît…, c’est celui qu’il a rencontré sur la route de Saint-Dizier.

— M. de Lamartine, s’écrie-t-il.

— Chut ! répond le gentilhomme,… pas d’explications… Vite…, par ici…

Il entraîne les fugitifs dans le jardin de sa demeure, referme… À Milhuitcent qui veut interroger, comprendre le secours qui lui arrive, il impose silence :

— Plus tard… quand vous serez sauvés.

Un puits est là… recouvert d’un disque de bois… M. de Lamartine écarte les planches… L’eau est haute, mais à la surface se trouve une épaisse couche de glace.

— Il y en a vingt centimètres, déclare le gentilhomme, cela porterait du canon…

Le gamin comprend, le premier il se laisse glisser dans le puits. Ses compagnons le rejoignent sur la croûte glacée.

— Le froid nous aide, dit encore Lamartine… Ne bougez pas jusqu’à mon retour.

Il replace les planches, laissant les fugitifs dans l’obscurité du puits.

Un instant plus tard, il reparaît à l’une des fenêtres de la maison et hèle les soldats autrichiens qui, maintenant, parcourent le verger avec des hurlements de rage.

— Que se passe-t-il donc, Messieurs… Vous courez ainsi que des loups, en clabaudant comme des putois !

  1. L’épithète : rouge… appliquée aux massacres de 1793, est indispensable pour distinguer cette période sanglante de la Terreur blanche, non moins terrible, qui suivit l’écrasement de la France par les armées de l’Europe (1816-1817).