La Muse gaillarde/Chanson d’hier

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La Muse gaillardeAux éditions Rieder (p. 59-60).



CHANSON D’HIER


J’étais comme en plein sommeil
Avant que de te connaître,
Tel une tour sans fenêtre
Où n’entre pas le soleil ;

Si veule et si misérable
Que même un estropié

Eût pris mon sort en pitié,
Et m’eût été secourable.

Et, ma mie, juge un peu
De ma profonde détresse,
Je pouvais voir sans ivresse
Le magnifique ciel bleu.

Les fleurs me semblaient indignes
Et le printemps écœurant,
Et d’un œil indifférent
Je voyais pousser les vignes ;

Je n’avais point d’appétit
Et ce que j’ai peine à croire,
Je ne songeais point à boire :
C’est pourtant ce qu’on m’a dit.

Dans le néant insipide
Je me vautrais comme un loir.
Bref, je faisais mal à voir
Comme une bouteille vide.

Mais aujourd’hui que tes yeux
Ont illuminé ma vie,
Elle pourrait faire envie
Aux rois les plus fastueux.