La Muse gaillarde/Cléo de Mérode ?

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La Muse gaillardeAux éditions Rieder (p. 101-103).



CLÉO DE MÉRODE ?


Une très fine statuette
Étonne au Salon tous les yeux
Et fait travailler la luette
De ces dames et ces messieurs.

Elle séduit tôt par sa mise
Qui est celle d’une beauté
Venant de quitter sa chemise
Sans souci du monde à côté.


Les jambes sont sveltes, les hanches
Vont en lyre s’élargissant,
Désirables, fermes et franches ;
Et le ventre est d’un qui consent.

Que si l’on s’attarde à la croupe,
On peut dire : Tiens, la voilà !
Il n’est pas besoin d’une loupe
Pour s’apercevoir qu’elle est là.

Les seins un peu forts pour le buste
Prennent librement leur essor ;
Mais des lacs du corset trop juste
La chair semble meurtrie encor.

Les bras graciles, par contraste,
Semblent deux rameaux tortueux
Ils dessinent un geste chaste
À la fois et voluptueux.

La tête faut-il la décrire ?
Elle est virginale surtout,
Malgré l’inquiétant sourire
Qui ne dit rien et qui dit tout.

Et le délicieux modèle,
Pure fleur de modernité,
Qui telle Laïs pour Apelle
Posa pour cette nudité ;


Mignonne Cléo de Mérode,
Friant petit morceau de roi
Qui gambillas devant… Hérode,
D’aucuns prétendent que c’est toi.

« C’est d’une impudeur sans pareille
— Disent-ils — cet être ingénu
Qui tout en cachant ses oreilles
Nous invite à son corps tout nu. »

Est-ce ou n’est-ce pas toi ? Qu’importe !
Tu réclames bien vainement.
Le public — que le diable emporte ! —
Ne te verra plus autrement.

Si ce corps est le tien fidèle,
Pourquoi prendre à témoins les dieux ?
Si tu ne fus pas le modèle
De ce marbre prestigieux ;

Je ne vois pas ce qui t’attriste
Ni qui puisse t’effaroucher :
Le corps que t’a prêté l’artiste
N’a rien de vilain à cacher.

Ô fausse pudeur d’être nue !
Et puis d’ailleurs tu ne l’es pas.
Pour être complètement nue,
Il eût fallu garder tes bas.