La Muse gaillarde/Légende non dorée

La bibliothèque libre.
La Muse gaillardeAux éditions Rieder (p. 285-288).



LÉGENDE NON DORÉE
DE SAINT VINCENT
(patron des vignerons)


Pour les fêtes de la vendange à Vevey (Suisse).


Vincent était un saint abbé,
De mille vertus imbibé ;
Poussant, en droite ligne,
Son vœu vers le ciel. Entre temps,
Vigneron des plus compétents,
Il cultivait sa vigne.


Il en tirait un vin subtil
Et prestigieux. Et quand il
Célébrait son office,
Aussi bien pour lui que pour Dieu,
Sans compter le Diable au milieu,
C’était tout bénéfice.

Son église — remarquons-le —
Était partout sous le ciel bleu ;
De même son ciboire
Ne lui coûtait pas un denier,
Se servant pour communier
Du moindre verre à boire.

Il allait évangélisant,
Sur un ton bonhomme et plaisant,
Les vignerons, ses frères.
Et c’est en vidant force pots
Qu’il leur tenait de saints propos —
Quelquefois téméraires.

Il leur disait : « Mes chers amis,
Buvez du vin, Dieu l’a permis
À chacuns, à chacunes.
S’il nous a donné le raisin,
Quel que soit d’ailleurs son dessein,
Ce n’est pas pour des prunes.

« Je connais plus d’un idiot
Qui prétend complaire au Très-Haut
Directeur des planètes

En buvant de l’eau ! M’est avis
Que l’eau pas plus ne le ravit
Qu’un air de castagnettes.

« Dans l’Évangile, c’est écrit :
Buvez le sang de Jésus-Christ,
Le Vin expiatoire ;
Vous en connaîtrez les bienfaits ;
Mais que ce soit, comme je fais,
Pour sa plus grande gloire !

« Buvez du vin pour le Divin,
Au lieu de vous confondre en vain
En longues patenôtres.
Plus tard, quand vous aurez l’honneur
D’entrer aux Vignes du Seigneur,
Vous en boirez bien d’autres.

« Sachez qu’un verre de vin vieux
Est plus agréable ai ses yeux
Qu’un tonneau d’eau bénite.
Soyez de bons et braves gens,
Aussi l’un pour l’autre indulgents,
Allez. La messe est dite… »

C’est ainsi que parlait Vincent,
À la gloire du Tout-Puissant
Et de la noble Vigne.
Et c’est pourquoi les vignerons
L’ont adopté comme patron.
En est-il un plus digne ?


Il mourut à cent dix-sept ans,
Ayant bu du vin tout le temps,
Et jusques à sa tombe.
Et quand son âme s’envola,
Ce fut sous l’habit de gala
D’une rose colombe.