La Muse qui trotte/12

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Calmann Lévy, éditeurs (p. 65-66).


14 JUILLET





Aux applaudissements des masses amusées
Comme des serpents d’or, les actives fusées
Poussent vers le zénith leur long col ondulé ;
Elles montent très haut, toujours plus haut, demeurent
Immobiles dans l'air, puis éclatent et meurent
Dans l'éblouissement d’un panache étoilé.

Les flammes de Bengale et les feux d’artifice
Éclairent tout à coup quelque vaste édifice,
Masse blanche et tranquille au profil arrêté :

C’est, pendant un moment, un savant incendie,
Un assaut furieux de lumière hardie…
Puis tout s’éteint : plus rien — le deuil — l’obscurité.

Tel qu’un barreau d’argent qu’un géant écartèle
Seul, le double rayon de la Tour en dentelle
— Dentelle en rude fer, épinglée au marteau —
Se meut en trépidant à travers le ciel sombre,
Tourne, hésite, s’unit, s’arrête… et tranche l’ombre
Avec la netteté vibrante d’un couteau.

Et tandis que, futile et joyeuse, la foule
Se répand vers les quais et lentement s’écoule,
Peuple de grands enfants gris de poudre et de bruit,
Droit sur ce flot humain qui s’agite et qui passe
Le phare de Paris veille et fouille l’espace,
Comme un œil inquiet palpitant dans la nuit.