La Muse qui trotte/16

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Calmann Lévy, éditeurs (p. 85-88).


FIN DE SAISON





Juillet, répandant sa chaleur soudaine,
Vide en quelques jours Paris engourdi :
C’est chez madame X…, la grande mondaine,

Le dernier lundi.


Dans le vaste hall où les plantes vertes
Tendent leurs rameaux fripés et malsains,
On cause, affalés, fenêtres ouvertes,

Parmi les coussins.


De grands souffles d’air, caresse bourrue,
Jusqu’aux coins ombreux s’allongent parfois,
Apportant l’odeur vague de la rue

En pavé de bois.


Sur tous ces forçats du plaisir sans trêve,
Flotte un spleen discret, correct et profond ;
Leurs regards éteints, sans flamme et sans rêve,

Montent au plafond.


Le vague dégoût des robes froissées,
Et du compliment banal et pareil,
Embrume les yeux des femmes, bercées

D’un demi-sommeil.


Les hommes, lassés des cravates mises,
Étouffent parfois un bâillement sourd,
Et, sur le plastron luisant des chemises,

Pleure un ennui lourd…


On a trop longtemps, toute cette année,
Couru les salons, soigné son maintien,
Causé tout le soir, toute la journée,

De tout et de rien ;


On connaît les gens dans leurs moindres poses ;
On dessinerait les plis de leur front ;
On entend leur voix, et sur toutes choses

Tout ce qu’ils diront ;


Dans l’air on croirait que volent encore
Tous les compliments passés au tamis,
Et servis à ceux qu’un soir on décore

Du titre d’amis ;


Les propos sanglants, les potins farouches
Lancés à mi-voix, d’un ton indolent,
Là-haut, près du lustre, ainsi que des mouches,

Tournent en sifflant…


Tout devient dégoût, ennui, lassitude…
Un désir vous prend de s’enfuir au loin,
D’oublier le monde et sa servitude

Seul en quelque coin…


Oh ! n’entendre plus de paroles vaines !
Jouir des grands bois, des clairs horizons,
Marcher tout le jour par les vastes plaines,

Sans voir de maisons !


Ou bien suivre au ciel des vols d’hirondelles,
Allongé dans l’herbe, auprès d'un bon chien,
Qui fixe sur nous ses grands yeux fidèles…

Et ne vous dit rien !