La Mystérieuse aventure de Fridette/10

La bibliothèque libre.
Société d’éditions publications et industries annexes (p. 111-125).

CHAPITRE X

L’enfer de glace.


Près de trois semaines déjà s’étaient écoulées depuis la découverte étrange qu’avait faite Andrée Routier ; et ces trois semaines avaient été consacrées par le jeune homme à un travail acharné…

Il avait pu réunir sur la marche des travaux du tunnel bien des détails dont l’ensemble avait projeté une lumière vive sur des points du problème demeurés obscurs…

C’est ainsi que, des circonstances dans lesquelles s’étaient produit le fameux effondrement des travaux au cours de l’année, il avait tiré des conclusions qui l’avaient amené fatalement, par la seule puissance de la logique, à orienter ses suppositions vers un point bien spécifié.

Une mine, préparée par François Merlier, devait déterminer une crevasse dans la poche d’eau que forme souterrainement la Kander, dont le cours se trouve superposé à la voie dans certaine partie du massif montagneux traversée par le tunnel…

Cette rupture du sol tendait à faire envahir par les eaux torrentueuses le parcours du tunnel tout entier, en en rendant toute utilisation matériellement impossible…

Voilà à quelle conclusion était arrivées les études et les réflexions du jeune homme…

Cela bien établi, il ne lui restait plus qu’à se lancer, sur le terrain même, à la recherche du point que la balle de Mornstein avait effacé sur le plan de Fellow.

Seulement, pour cela, il fallait attendre que l’animal fût valide : André ne pouvait mettre en doute en effet qu’il eût accompagné son maître — qu’il ne quittait jamais — dans cette expédition ; et, bien que plusieurs années se fussent écoulées, le jeune homme avait bon espoir que l’instinct et le flair de l’animal lui seraient un adjuvant précieux…

Affectueusement soigné par Fridette, le chien, d’ailleurs, s’était remis rapidement sur pattes, et le jour du départ avait pu être fixé…

Lorsque, au matin, tout équipé, André descendit à pas de loup l’escalier qui conduisait à la salle, il fut tout surpris en voyant Fridette paraître sur le seuil de la pièce.

Elle était en tenue de montagne, juponnée de court, de fortes chaussures aux pieds, haut guêtrée, le buste serré dans une veste en peau de chamois et coiffée du bonnet fourré destiné à protéger les oreilles contre le froid des glaciers…

Ah ! il n’eut pas besoin de l’interroger : il comprit tout de suite son dessein…

— Quoi ! fit-il, lui ayant saisi les mains pour la rapprocher de lui, vous voulez…

— … vous accompagner ! oui… Oh ! ne dites rien, ne cherchez pas à me dissuader de ce que j’ai résolu !…

— Mais réfléchissez…

— Je ne veux réfléchir qu’à une chose : c’est que, par votre aveu de l’autre jour, vous m’avez donné des droits sur votre vie et que, cette vie qui m’appartient un peu déjà, j’ai le droit de veiller sur elle…

— Mais il y a danger…

— C’est précisément pour cela que je veux être à vos côtés, non pas tant pour vous protéger que pour les partager…

L’émotion d’André était telle qu’il lui était impossible de proférer une parole : ses mains étreignaient celles de la jeune fille.

Non, il ne dirait rien !… Non, il n’opposerait à la courageuse décision de Fridette aucun argument…

Elle voulait l’accompagner, associer ses efforts aux siens pour la recherche de la vérité ; elle voulait, elle aussi, fournir sa quote-part d’énergie morale et physique à la lutte du droit et de la justice contre la barbarie !…

Qu’il en fût ainsi qu’elle le voulait ! Avec elle à ses côtés, il sentait se décupler son énergie physique et sa valeur morale…

Quelques instants plus tard, comme les premiers feux de l’aurore rosissaient au loin le sommet du Grosshorn, ils quittaient le chalet, précédés de Fellow.

Le brave animal marchait la tête droite, le panache de sa queue dressé comme un drapeau ; on eût dit qu’il avait conscience du rôle qui lui incombait.

Depuis des heures et des heures, ils circulaient à travers le massif tragique des Alpes bernoises, et la nuit allait tomber lorsqu’ils atteignirent un point porté sur le plan de François Merlier comme ayant été pour lui une première étape pour passer la nuit.

Dès l’aube, ils repartirent d’un bon pied ; il leur tardait d’atteindre le point mystérieux et qui restait à déterminer sur le plan en partie détruit par la balle de Mornstein.

Au milieu du jour, ils arrivaient sur les contreforts du Blumlisalp, et là, il sembla tout à coup que Fellow se reconnut : il marchait en tête, quêtant de droite et de gauche, allant et revenant sur ses pas, tantôt montant sur le sommet d’arêtes souvent à pic, tantôt se laissant glisser sur les pentes raides des gouffres…

Évidemment, des souvenirs lui revenaient en foule, d’un chemin déjà parcouru et dont il cherchait les détails sous la neige fraîchement tombée…

Enfin, il parut avoir retrouvé le fil conducteur et, sans hésitation, s’engagea dans une manière de couloir creusé par la force des eaux entre deux murailles de granit qui escaladaient le flanc de la montagne… Comme le soleil, à son déclin, dorait la cime extrême de l’Eiger, ils débouchèrent enfin sur le flanc du glacier.

Là, une hutte, rudimentaire abri destiné aux ascensionnistes montant à la Jungfrau, leur offrit pour la nuit une toiture protectrice.

Fellow, comme inquiet, rôda au dehors une partie de la nuit, en dépit des appels des deux jeunes gens.

Avec les premières lueurs du jour, ils se mirent en route, toujours sous la conduite du chien qui, cette fois, marchait avec une assurance dans laquelle ils puisaient une grande confiance…, ce qui était d’autant plus important qu’à partir d’Aletshorn le plan tatoué par François Merlier sur le flanc de l’animal avait été tout bouleversé par la balle de Mornstein et que la blessure, en se cicatrisant, en avait effacé tous les détails.

Dans l’impossibilité de repérer son chemin, l’unique ressource d’André était donc de s’en remettre au flair de Fellow.

On avançait, cependant, avec précaution, contrôlant sur la carte l’itinéraire suivi par la bête : évidemment, c’était vers le lac de Maerjelen, qu’elle se dirigeait. En étudiant la région, André avait appris que le lac donne naissance à un torrent, affluent de la Kander, dont il grossit les eaux si tumultueusement que les ingénieurs suisses, pour en endiguer la violence, avaient dû construire un ouvrage souterrain d’une puissance extrême.

Autrement, à l’époque de la fonte des neiges, il eût été à craindre que la force unie des deux cours d’eau ne bouleversât toute la vallée de la Kander, entraînant comme des fétus les ouvrages d’art qui constituent une grande partie de la voie de Spietz à Brigue…

Pour la troisième fois, après avoir atteint Eggishorn, il leur fallut camper au milieu des glaces, au-dessous du pic d’Aletshorn, qui dresse à quatre mille mètres dans l’espace sa tête glacée…

Une ombre froide tombait de ce géant des monts sur toute la région avoisinante, et les deux infortunés, sans feu, n’ayant pour se protéger contre le sol glacé que leur mince couverture, n’eurent d’autre ressource, pour lutter contre le froid, que de battre la semelle jusqu’au lever du jour… où ils se remirent en route, à travers un chaos véritable de roches monstrueuses.

Bientôt le sol se transforma : tout humus avait disparu… les pierres elles-même cessèrent de rouler sous leurs pieds : c’était de la glace pure sur laquelle ils cheminaient…

De droite et de gauche, comme les rives surélevées d’un fleuve immobile, des moraines désolées se dressaient, les encadrant…

— Le glacier d’Aletsh, déclara André après avoir consulté la carte.

C’était un chemin d’épouvante qu’ils suivaient à la suite de Fellow, chemin coupé de fondrières au fond desquelles rugissaient de sinistres eaux d’un bleu glauque, et qu’il leur fallait, à l’aide de leur bâton de montagne, franchir d’un bond sous peine de faire des détours de plusieurs kilomètres…

Et cependant, ils allaient quand même, soutenus par une foi invincible : l’assurance du chien les entraînait malgré eux, certains qu’ils étaient de se trouver dans la bonne voie…

Maintenant, ils redescendaient un peu, ce qui était conforme aux indications du plan tracé par François Merlier, ayant Eggishorn comme point de direction.

Depuis une couple d’heures, donc, ils cheminaient en plein inconnu, n’ayant pour guider leurs pas que le seul flair de leur compagnon…

Le ciel, d’un gris de cendre depuis le début de la journée, s’était soudainement assombri davantage et, par moments, une impalpable poussière de neige tourbillonnait, avant-courrière d’une prochaine tourmente…

Sans en rien dire à sa compagne, André était inquiet : si, à l’horreur de la contrée, venait s’ajouter le danger d’une tempête, qu’allaient devenir les deux excursionnistes ?…

Le jeune homme savait que souvent, en montagne, il suffit d’un coup de tonnerre, ébranlant l’atmosphère, pour déclencher une avalanche !

Et contre une avalanche, quel refuge chercher ?…

Et voilà que soudain, devant eux, une muraille se dressa, si haute que leurs yeux n’en pouvaient apercevoir la crête, tellement à pic que leurs efforts eussent été impuissants à leur en faire atteindre le sommet.

Arrêtés, ils promenèrent autour d’eux un regard désespéré : de tous côtés, la même barrière s’élevait infranchissable ! Ils avaient abouti à un gigantesque cul-de-sac, n’offrant d’issue que le couloir qu’ils avaient suivi jusque-là…

Fellow rôdait au pied de cette muraille, reniflant l’espace, grattant le sol glacé de ses griffes rageuses, comme s’il eût espéré pouvoir s’ouvrir un passage à travers cette barricade de géants…

Par instants, il prenait sa course, paraissant obéir à une impulsion irraisonnée, et suivait à toute vitesse la base de l’obstacle, grondant, aboyant, comme s’il eût appelé quelqu’un qui se fût trouvé de l’autre côté…

André finit par remarquer la singulière attitude de l’animal ; il abandonna un instant sa compagne et s’en fut en courant rejoindre Fellow, histoire de se rendre compte…

Et voilà que, soudain, comme il examinait d’un œil désespéré cette barrière infranchissable, ses regards furent frappés par des signes apparus à la surface d’une roche qui, en certain endroit, émergeait de la glace… C’étaient comme des formules algébriques qu’accompagnaient certains caractères hiéroglyphiques.

À l’exclamation qui, tout à coup, lui échappa, Fridette accourut le rejoindre : sans prononcer une parole, il étendit le bras et alors, tous deux, saisis du même pressentiment, ils s’étreignirent les mains en silence…

Tant de constance allait-elle enfin se trouver récompensée ? Le pauvre François Merlier n’aurait-il donc pas donné sa vie en vain ?… On eût dit que Fellow avait l’intuition de ce qui se passait en eux, car il grattait de plus belle à la base de la muraille de glace, poussant de sourds grognements…

— C’est là ! paraissait-il leur dire… c’est là !…

En dépit de la neige qui tourbillonnait en flocons de plus en plus serrés, André tira de son sac la carte relevée par lui sur le flanc de l’animal et, hissé sur une roche pour atteindre au plus près de ces singulières inscriptions, les examinait avec la volonté tenace d’arriver à déchiffrer le mystère qui se trouvait inscrit là.

Soudain, sautant à terre, il serra en un élan fou la jeune fille dans ses bras, en hurlant de joie :

— Les mêmes signes !… les mêmes signes !…

Mais, en ce moment, un fracas énorme ébranla l’atmosphère !…

Il sembla que, sous une poussée titanesque, le sol craquait, en même temps que, tout autour d’eux, les montagnes oscillaient…

Vainement, André tenta-t-il de conserver son équilibre : il avait l’impression d’être à la surface d’une mer démontée dont les lames rigides l’eussent alternativement projeté sur leurs crêtes pour le laisser ensuite retomber dans des gouffres sans fond…

Le tonnerre roulait sans interruption avec un bruit d’artillerie formidable, tandis que, tout autour d’eux, les avalanches se précipitaient du haut des pics comme des cataractes aveuglantes…

Désespérément, le jeune homme avait étreint sa compagne, inanimée déjà, voulant, s’il devait mourir, du moins mourir uni à elle.

Puis, à ses pieds, une crevasse s’ouvrit : il poussa un grand cri avec la conscience que l’ultime instant était arrivé…

Quand il reprit connaissance, il était étendu sur un roc, enfoui presque en entier sous une épaisseur de neige dont les pattes agiles de Fellow s’acharnaient à le débarrasser…

Il était lui-même incapable de coopérer à son propre sauvetage ; ses membres glacés par le froid n’eussent pu faire le plus petit mouvement, et son cerveau, comme ankylosé, eût été incapable de produire le moindre effort.

Tout ce dont il était incapable était de constater qu’autour de lui le soleil brillait, éclatant…

Le cataclysme avait cessé, la nature alpestre avait repris sa sauvage immobilité : c’était comme si André eût été la proie d’un épouvantable cauchemar…

Entre ses bras, il tenait toujours le corps inanimé de sa compagne : cette vue suffit à faire renaître en lui une énergie suffisante et un impérieux désir de vivre…

Fellow, cependant, travaillait activement à déblayer la neige qui ensevelissait son ami, et peu à peu le froid glacé qui pesait sur la poitrine d’André s’allégeait, permettant à ses poumons de jouer plus aisément…

Bientôt débarrassé complètement, il put se redresser, et sa première pensée fut pour jeter autour de lui un regard plein de curiosité angoissée.

Où était-il ?… Dans quelle région nouvelle l’avalanche l’avait-elle précipité ?…

Et la barrière de glace, tombeau du secret de François Merlier, qu’était-elle devenue ?…

Cette incertitude suffit à lui rendre miraculeusement sa force de volonté…

Les yeux levés à la recherche de points de repère, il reconnut, dressant au-dessus des monts voisins leurs cimes orgueilleuses que le cataclysme avait épargnées, le Grosshorn, puis, sur sa droite, le Reithorn… et enfin, là, sur la gauche, Weisse Frau…

Mais alors il avait roulé dans un gouffre, et il suffisait qu’il eût l’énergie nécessaire de s’accrocher aux aspérités de glace qui l’entouraient pour qu’il lui fût possible de sortir de cette tombe…

Avec l’âpre désir de vivre et surtout de sauver sa compagne, il tenta l’ascension, suivant Fellow que son instinct guidait à travers les détours de ce labyrinthe de glace…

Et il en sortit !…

Mais quelle déception l’attendait en haut !…

Lézardée, transformée, la barricade glacée à laquelle il s’était heurté et sur la paroi de laquelle il avait retrouvé les signes tracés par la main de François Merlier n’était plus qu’un amoncellement titanesque de blocs chaotiques sous lesquels se trouvait enseveli à jamais le secret du vieux patriote…

André poussa un cri de désespoir ; puis, comme subitement frappé de folie et d’épouvante au milieu de ce désert glacé où nul bruit ne s’entendait plus, dans lequel même le grondement sourd des torrents s’était éteint, ayant l’impression d’être descendu vivant dans une tombe, il se mit à fuir, précédé de Fellow. Guidé par son instinct, l’animal l’entraînait par des fissures que le cataclysme avait creusées dans les parois de cette prison de glace, où il se trouvait quelques heures auparavant enfermé…

Et, pendant longtemps, sans avoir même conscience de la fuite des heures, la tête perdue, les jambes flageolantes, soutenu par une seule idée, idée fixe comme en ont les fous, il alla, gravissant les pics, descendant les moraines, fouillant l’horizon pour y découvrir le toit sauveur… aspirant au moment où il sentirait enfin sous son talon un sol de roc au lieu de cette surface glacée sur laquelle patinaient ses pieds brisés de fatigue…

Et voilà que, tout à coup, à ses yeux, dans le creux d’une vallée verdoyante, des maisons apparurent, toutes petites, ainsi que des jouets d’enfants…

Fiesch !… c’était Fiesch !…

Et cette vue, tout à coup, rendit à son cerveau toute sa lucidité !…

En quelques secondes, il eut conscience du miracle accompli, miracle qui réparait le désastre causé par la furieuse tourmente qui l’avait assailli, anéantissant d’un seul coup tous les efforts de François Merlier !…

Non, ce n’était pas en vain que le corps du patriote suisse reposait au sein des flots méditerranéens !…

Sa patrie et en même temps celle d’André Routier, — qu’il avait voulu protéger contre la traîtrise du kaiser, — pourraient être sauvegardées quand même.

Par le chemin que venait de suivre André, chemin qu’avec l’aide de Fellow il se faisait fort de retrouver, les troupes suisses pourraient arriver dans le Tessin quarante-huit heures plus tôt que si elles devaient emprunter la route de la Fürka ou du Grimsel…

Ainsi se trouverait barrée la route aux envahisseurs qui, au mépris des traités, envahiraient le territoire de la Confédération !…

De joie, André faisait l’effet d’un homme pris de boisson : il titubait en marchant, succombant sous le poids de son cher fardeau…

Et, tout à coup, son pied glissant, il s’affala sur le glacier dont il s’apprêtait à franchir la moraine, pour regagner une route aperçue non loin, serpentant aux flancs de la montagne et sur laquelle manœuvraient des troupes.

Mais, en perdant connaissance, il avait l’intime jouissance d’avoir accompli son devoir, tout son devoir de bon Français… Il suffisait maintenant qu’il vécût assez pour ne pas emporter, lui aussi, son secret dans sa tombe…

Mais Fellow « était là pour un coup », comme on dit vulgairement ; celui qui avait réussi à tirer ses amis des embûches mortelles de la montagne allait savoir aussi assurer leur salut.

C’était là pour lui besogne enfantine.

En un raid rapide, il atteignit la route et, par son manège, il eut tôt fait d’attirer l’attention d’un officier, qu’il contraignit à le suivre…

Moins d’une demi-heure plus tard, les corps inanimés de Routier et de Fridette, étendus sur une voiture d’ambulance, étaient transportés au camp voisin, où des soins assidus leur étaient prodigués…

En revenant à lui, aussitôt qu’il se trouva rassuré sur le sort de sa compagne, le jeune homme fit demander à l’officier commandant de vouloir bien venir s’asseoir à son chevet : il avait à lui confier un secret d’importance, duquel, affirma-t-il, dépendaient et la sécurité de la Suisse et le salut de la France…

Lorsqu’une heure plus tard l’officier quittait le lit du jeune homme, il portait sur son visage l’empreinte d’une préoccupation grave, en même temps qu’une lueur d’espoir brillait dans ses regards…

Lui aussi, une fois entendues les explications d’André, avait senti calmées en lui les appréhensions que le misérable sort imposé à la Belgique par la félonie allemande lui avait inspirées pour la liberté helvétique…

On lisait dans le journal Le Temps, à la date du 18 décembre 1914 :

Notre correspondant particulier de Berne nous écrit :

« Il était jusqu’à présent reconnu par l’état-major fédéral que, si un ennemi réussissait par surprise à s’emparer de Brigue, tête de la ligne du Simplon et commandant par là même la sortie du tunnel du Lötschberg, l’armée suisse ne pourrait intervenir efficacement qu’en envoyant des troupes de l’Oberland bernois par la route du Grimsel, ou de la région du Gothard, par la route de la Fürka ; mais ces voies de communications nécessitent des marches fort longues et fort pénibles…

 » La question se posait de savoir si un détachement empruntant la voie de la Jungfrau et descendant par le glacier d’Aletsh ne pourrait pas gagner quarante-huit heures sur l’itinéraire jusqu’à présent indiqué.

 » Eh bien ! hier, un bataillon bernois d’infanterie de montagne a exécuté brillamment cette manœuvre : parti à sept heures du matin du col de la Jungfrau par une tempête de neige, il est arrivé à la tombée de la nuit à l’Eggishorn, après avoir livré un combat acharné aux troupes valaisiennes qu’il a surprises et totalement défaites. »

Et les journaux suisses concluaient avec orgueil :

« Les Boches peuvent venir… nous les attendons ! »


FIN