La Mystification fatale/Première Partie/IV

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Texte établi par Léandre d’André, Imprimerie André Coromilas (p. 9-12).
§ IV. — Explication rationnelle et historique du fait.


D’où pouvaient-ils donc faire dériver une telle erreur ? Quel devait être son auteur et propagateur ? Je n’entends pas, je le répète, parler ici d’une erreur de dogme ou de doctrine, mais du simple fait matériel d’affirmer que le texte primitif du symbole promulgué à Constantinople contenait le filioque comme partie intégrante. Je vais exposer ici ce que j’ai pu en conjecturer.

L’idée de la procession binaire ou dyadique du St-Esprit, qu’on me permette l’emploi de ces termes, pour éviter les longueurs d’expression, cette idée, dis-je, se rapproche beaucoup de celle que se faisaient les Ariens, et après eux les Macédoniens, selon les données du système Platonicien, sur le dogme de la Trinité, c’était que la deuxième personne dérive de la première, et que de celle-ci procède la troisième.[1] Or, professer que la troisième procède de la deuxième, aussi bien que de la première, n’était-ce pas vouloir amalgamer et concilier la doctrine énoncée dans l’évangile de St-Jean, xv, 26, avec celle des Platoniciens et des Ariens.

On sait que les nations Gotho-germaniques, qui ont envahi et subjugué toutes les contrées de l’Empire d’Occident, les Vandales, Ostrogoths, Visigoths, Alains, Suèves, Burgondes, etc., avaient reçu le Christianisme des missionnaires ou des réfugiés ariens, aussi elles professaient l’Arianisme ou le Semi-Arianisme (distinction dont l’éclaircissement ne nous intéresse point ici.) Peu à peu un grand nombre parmi ces conquérants des Espagnes se convertissaient au Christianisme, mais la la majeure partie y rentraient spontanément en masse par la volonté de leurs chefs ou de leurs rois, ainsi il est bien probable que quelques-unes de leurs idées religieuses soient restées chez eux en crédit, parmi lesquelles il faut supposer celle de la procession dyadique. Mais, pour la faire accepter par le reste de la population Hispano-romaine, leurs chefs religieux auraient habilement fait insérer le filioque dans le symbole de Constantinople, comme si tel était son état lors de sa promulgation. Ce troisième concile de Tolède, qui fut réuni pour célébrer en grande solennité la conversion définitive des Ariens, et où l’on trouve, avec des protestations d’attachement à l’Église catholique, des anathèmes contre la doctrine arienne, ne faisait pourtant qu’en professer à leur insu le corollaire nécessaire.

Cela pourra paraître paradoxal, mais je ne puis pas m’expliquer autrement ce phénomène historique. Si l’on peut en faire prévaloir une autre explication, qu’on la produise, car la mienne n’est basée que sur des conjectures. Néanmoins elle est appuyée sur ce que dit Binius au sujet de la lettre de Léon Ier à Turribius, qui fut notaire de Léon Ier, puis évêque de Tarascon, à propos des Priscillianites : « Cum ingruentibus barbaris, Vandalis primum, Gothis atque Suevis, florentissima illa Hispaniarum ecclesia, sanctissimorum antistitum, solita cultura carreret, pulchra immutata facie, reddita est velut ager incultus, vepribus undique repletus at spinis, in quibus ferae sua latibula quaerebant. » Par l’irruption des barbares, premièrement des Vandales, puis des Goths et des Suèves, l’Église bien florissante des Espagnes se trouva dépourvue de la culture ordinaire de ses saints évêques. Son beau visage étant changé, elle devint comme une terre inculte remplie de broussailles et d’épines, où des bêtes sauvages trouvèrent leurs tanières. C’est ainsi que dans ces latibula (tanières) les épîtres de Léon Ier furent falsifiées, comme nous l’avons déjà dit.


  1. Nous toucherons de nouveau à ce sujet, dans le cours de ce travail, que nous mentionnons seulement pour le moment. (Voir en attendant Zernicavius, pag. 3—4.)