La Mystification fatale/Première Partie/XVII

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Texte établi par Léandre d’André, Imprimerie André Coromilas (p. 71-73).
§ XVII. — Considération sur l’état politique de Rome.


Dans cet intervalle et vers la fin du Xme siècle, le peuple de Rome préférait se gouverner lui-même, sous une forme républicaine, avec un consul pour magistrat suprême, sous le protectorat nominal des empereurs gréco-romains de Constantinople, que de supporter la domination temporelle de ses évêques, qui lui étaient souvent imposés par les empereurs tudesques et par eux soutenus de force. Car il faut bien noter qu’en général, avant le pontificat de Grégoire VII, le parti des papes à Rome était ordinairement le même que le parti impérialiste (avec les empereurs d’Occident, d’origine barbare), et que, par contre, le parti populaire sympathisait avec l’empire gréco-romain d’Orient. Ceux des papes qui étaient soutenus par les tudesques prétendaient aussi au pouvoir temporel, ou comme donataires, ou comme vicaires des empereurs d’Occident, pendant que les autres se bornaient au seul pouvoir spirituel. Si je voulais m’étendre sur ce sujet, cela m’entraînerait loin ; après avoir donné l’éveil, je me borne à ce qui est indispensable pour mon sujet.

Voltaire, dans son Essai sur l’histoire et les mœurs (chap. 36), fait l’observation que « l’imprudence du pape Jean XII d’avoir appelé les Allemands à Rome, fut la source de toutes les calamités dont Rome et l’Italie furent affligées pendant des siècles. » (Cité avec approbation par De Maistre au chapitre VII du liv. II de son Pape, art. III, qu’il faut lire tout entier.)

Cet appel devint un précédent qui devait avoir des suites funestes. Ainsi, pour régulariser cette nouveauté, et évincer formellement le gouvernement populaire et national pendant le concile de Latran tenu en l’an 962, lors de l’avénement de Léon VIII, en présence de l’empereur Othon II, on prit la mesure d’émettre un décret, par lequel on conférait aux empereurs d’Allemagne l’autorité souveraine sur Rome et sur l’Italie. Muratori et autres historiens expriment des doutes sur l’authenticité de ce décret ; mais, comme le fait observer un historien anglais (W. Busk, Mediaeval popes and emperors, pag. 67, note 76), il suffit de remarquer qu’il est contenu dans les décrétales collationnées par Gratien ; cependant cette collection n’a pas été rédigée dans l’esprit d’amoindrir le pouvoir temporel des papes ; au contraire, ce fut pour l’exalter. Car, par ce moyen, les empereurs n’avaient pas besoin de résider à Rome ; les Papes s’y trouvaient comme leurs vicaires, et le gouvernement national était anéanti.