La Nouvelle Emma/52

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Traduction par anonyme.
Arthus Bertrand Libraire (Tome 4p. 261-286).
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CHAPITRE LII.

Le temps s’écoulait rapidement ; encore quelques jours, et la famille de Londres allait arriver. Le changement qui allait avoir lieu, alarmait Emma ; elle était ensevelie un matin dans de désagréables réflexions à ce sujet, lorsque M. Knightley entra pour les dissiper. Après avoir un peu causé ensemble, il garda un moment le silence. Peu après il dit :

« J’ai quelque chose à vous communiquer, Emma, des nouvelles. »

« Bonnes ou mauvaises ? dit-elle vivement, et le fixant. »

« Je ne sais pas quel nom leur donner. »

« Oh ! elles sont bonnes, j’en suis sûre ; je le vois dans vos yeux, car vous faites tous vos efforts pour vous empêcher de sourire. »

« J’ai bien peur, dit-il, en composant l’air de son visage, j’ai bien peur, ma chère Emma, que l’envie de rire ne vous passe quand vous les apprendrez. »

« En vérité ! Et pourquoi ? Je ne puis m’imaginer qu’une chose qui vous amuse, ne fasse pas le même effet sur moi. »

« Il existe un objet, un seul sur lequel nous ne pensons pas l’un comme l’autre. » Il s’arrêta un moment, la regarda fixement en souriant.

« Ne doutez-vous pas quel peut être cet objet ? Ne vous souvenez-vous plus d’Henriette Smith ? »

Elle rougit ; elle fut effrayée sans savoir pourquoi.

« Avez-vous reçu de ses nouvelles ce matin, dit-il ? je crois que vous en avez eu, et que vous êtes instruite de tout. »

« Non, je n’ai rien reçu d’elle. J’ignore absolument de quoi il est question ; ayez la bonté de me le dire. »

« Je vois que vous êtes préparée à tout ce qu’il peut y avoir de fâcheux. Ces nouvelles sont bien mauvaises. Henriette Smith épouse Robert Martin. »

Elle fit un saut, preuve qu’elle n’était pas préparée ; et ouvrant de grands yeux, elle dit :

« Non, cela est impossible ; je ne puis le croire. »

« C’est pourtant la vérité même, continua M. Knightley ; je le tiens de Robert Martin, qui m’a quitté il n’y a pas une demi-heure. »

Elle continuait à le regarder avec la plus grande surprise.

« Je ne me suis pas trompé, ma chère Emma ; cette nouvelle vous afflige ; je m’y attendais. J’aurais désiré que nos opinions fussent les mêmes ; mais cela viendra avec le temps. Vous pouvez compter que le temps nous fera penser différemment l’un ou l’autre. À présent nous en avons assez dit sur ce sujet. »

« Vous vous trompez, vous vous trompez, répliqua-t-elle avec énergie. Cette nouvelle ne peut ni affliger aujourd’hui ; mais je n’y crois pas. Elle me paraît impossible ! Vous ne me voulez pas persuader qu’Henriette Smith ait accepté Robert Martin. Vous ne voulez pas dire qu’il se soit de nouveau offert à elle, mais seulement qu’il en a l’intention. »

« Je veux dire qu’il l’a fait, répondit M. Knightley, en souriant, et il a été accepté. »

« Grand dieu ! s’écria-t-elle, fort bien. »

Ayant alors recours à son sac à ouvrage, faisant semblant d’y chercher quelque chose, afin de cacher sa figure, qui devait déceler la joie et l’extrême satisfaction qu’elle ressentait, elle ajouta, toujours baissée : « Voyons, contez-moi tout cela ; rendez-moi cette histoire intelligible. Comment, où, quand ?… Dites-moi bien tout. Mais je vous assure que si ce que vous m’avez dit est vrai, je n’en ressentirai pas le moindre chagrin. Mais comment cela est-il arrivé ? »

« L’histoire en est toute simple. Il y a trois jours que des affaires le forcèrent d’aller à Londres, et je lui avais donné des papiers pour remettre à mon frère. Il fut le trouver à son étude, et Jean l’invita à aller voir les tours d’Asthley, dont il avait intention de régaler ses enfans. La compagnie était composée de mon frère, ma sœur, Henri, Jean et mademoiselle Henriette Smith. On prit Robert Martin en passant. Tout le monde s’amusa beaucoup, et mon frère l’invita à dîner pour le lendemain. Il accepta l’invitation ; et, soit avant, soit après le dîner, j’ignore lequel des deux, il trouva l’occasion de parler à mademoiselle Henriette Smith, et certainement il ne lui parla pas en vain. En l’acceptant pour époux, elle le rendit aussi heureux qu’il mérite de l’être. Il arriva hier par la diligence : immédiatement après déjeûner, il est venu me rendre compte, d’abord de mes affaires, et ensuite des siennes. C’est tout ce que je puis vous dire du comment, où et quand… Votre amie, Henriette, vous fera sans doute connaître toutes les particularités de son histoire, lorsque vous la verrez. Ces détails ne peuvent être intéressans que dans la bouche d’une femme. Quant à nous autres, nous parlons d’une pareille affaire en gros. Cependant je dois dire que Robert Martin paraissait si plein de son objet, qu’il me conta, assez mal à propos, qu’en quittant le spectacle d’Asthley, mon frère donna le bras à sa femme, et prit Henri par la main, et que lui offrit le sien à mademoiselle Smith, et se chargea de Jean, et qu’ils se sont trouvés pendant quelque temps si pressés par la foule, que mademoiselle Smith en avait été effrayée. »

Il s’arrêta. Emma n’osa pas répondre sur-le-champ. En le faisant elle craignait de montrer toute la satisfaction, toute la joie qu’elle ressentait de cet événement. Elle était forcée de se contraindre, autrement il aurait cru qu’elle était folle. Son silence le troubla, et l’ayant considérée quelque temps, il ajouta :

« Emma, ma chère amie, vous m’avez dit que cet événement ne vous affecterait pas ; mais je crains que vous n’ayez trop présumé de vos forces. Sa situation dans le monde est un mal, mais vous devez considérer que votre amie s’en contente, et je réponds que lorsque vous le connaîtrez mieux, vous l’estimerez infiniment plus que vous ne faites aujourd’hui. Vous serez charmée de son bon sens et de ses principes. Quant à ce qui le regarde comme homme, vous ne pouvez pas désirer que votre amie tombe en de meilleures mains. S’il ne dépendait que de moi de lui donner un rang plus élevé dans la société, je le ferais de grand cœur ; c’est je crois, Emma, vous prouver le cas que je fais de lui. Vous vous êtes moquée de moi au sujet de Larkins, eh bien ! il me serait aussi difficile de me passer de Robert Martin, que de lui. »

Il la pria de le regarder et de le gratifier d’un sourire. Emma s’étant assez remise pour ne pas éclater de rire, lui obéit et répondit gaîment :

« Ne prenez aucune peine pour me réconcilier à l’idée de ce mariage ; elle serait inutile. Je crois qu’Henriette fait fort bien. Ses parens sont peut-être au-dessous de ceux de Robert Martin. Quant à leur caractère, il n’y a pas de doute que celui de Martin ne soit supérieur. La surprise que cet événement m’a causée a été la seule cause de mon silence. Vous ne pourriez jamais imaginer l’effet que cette nouvelle a fait sur moi ! Je m’y attendais si peu ! J’avais au contraire de fortes raisons de croire que depuis quelque temps elle était plus déterminée que jamais à le refuser. »

« Vous devez la connaître mieux que moi, répliqua M. Knightley, mais je puis dire que je l’ai toujours regardée comme une excellente fille, d’une humeur douce, douée d’un cœur si tendre, que j’ai supposé qu’il lui serait impossible de refuser un jeune homme qui lui parlerait d’amour. »

Emma ne put s’empêcher de rire, en lui répondant : « Sur ma parole, vous la connaissez aussi bien que moi. Mais, M. Knightley, êtes-vous sûr qu’elle l’ait véritablement accepté ? Je crois bien qu’avec le temps elle le fera, mais à présent je ne crois pas la chose possible. L’avez-vous bien compris ? Vous avez parlé de tant de choses différentes, de bétail, d’instrumens aratoires : ne serait-il pas possible qu’en vous occupant de tant d’objets à la fois, vous l’ayiez mal compris ? Ce n’était sûrement pas de la main d’Henriette dont il vous entretenait, mais de la taille d’un beau bœuf. »

Le contraste qu’offrait la personne de M. Knightley, avec celle de Robert Martin, faisait en ce moment une telle impression sur Emma, elle se ressouvenait si exactement de ce qui s’était passé entre Henriette et elle ; et ces mots qu’elle avait prononcés avec tant d’emphase : « Non, je me flatte que j’en sais trop à présent pour penser à Robert Martin, » retentissaient tellement à ses oreilles, qu’elle se persuadait que ce qu’elle venait d’entendre sur le consentement qu’elle avait donné, devait être au moins prématuré. La chose ne pouvait être autrement.

« Vous osez me dire cela en face ? s’écria M. Knightley ; vous osez me supposer assez imbécille pour ne pas comprendre ce qu’on me dit ? Que mériteriez-vous ? »

» Oh ! je mérite le meilleur traitement possible, car je n’en souffrirais pas d’autre ; ainsi je vous invite à me répondre catégoriquement. Êtes-vous bien sûr que vous avez une parfaite connaissance des termes où en sont Henriette et Robert Martin ? »

« Je suis très-certain, répondit-il distinctement, qu’il m’a dit qu’elle l’avait accepté. Qu’il n’y avait aucun doute, aucune incertitude à ce sujet. Je puis en donner des preuves irrécusables, c’est qu’il m’a demandé ce qu’il devait faire pour connaître ses parens ou ses amis, ne connaissant que madame Goddard à laquelle il pût s’adresser pour les découvrir. Je fus en cela de son avis, et il m’a assuré qu’il ferait tout son possible pour la voir dans la journée, aujourd’hui même. »

« Je suis on ne peut pas plus satisfaite, répartit Emma, en lui souriant gracieusement, et je leur souhaite beaucoup de bonheur à tous les deux. »

« Il s’est opéré en vous un bien grand changement depuis notre conversation sur ce sujet-là. »

« Cela est vrai ; car alors j’étais folle. »

« Il s’en est fait un aussi en moi ; car je suis porté à reconnaître dans Henriette de bonnes qualités. Je me suis donné depuis quelque temps, par égard pour vous et par compassion pour Martin, (dont la passion ne s’est jamais ralentie), la peine de faire avec elle une connaissance plus intime. J’ai souvent causé long-temps avec elle. Vous avez dû vous en apercevoir. J’ai même pensé que vous soupçonniez que je plaidais auprès d’elle la cause du pauvre Martin ; mais je n’en ai jamais eu l’idée. J’ai observé avec plaisir, et je suis convaincu de ne m’être pas trompé, qu’Henriette est une très-aimable fille, sans art, qu’elle a acquis des connaissances, qu’elle a de bons principes, et qu’enfin elle ferait son bonheur des occupations d’une vie domestique et privée. Je suis persuadé qu’elle vous a obligation d’une grande partie de ces bonnes qualités. »

« À moi ! s’écria Emma, secouant la tête. Ah ! pauvre Henriette ! »

Leur conversation fut interrompue peu après par l’arrivée de M. Woodhouse. Emma en fut charmée ; elle avait besoin d’être seule.

Ses esprits étaient exaltés à un tel point, qu’elle était presque hors d’elle-même. Elle aurait eu envie de sauter, de danser, de chanter ; et ce ne fut qu’après avoir fait un peu d’exercice, qu’elle eut un peu ri et réfléchi, quelle devint peu à peu raisonnable.

Son père venait lui annoncer que le pauvre Jacques allait préparer les chevaux pour les conduire comme de coutume à Randalls : elle eut alors une excuse suffisante pour se retirer. On peut aisément s’imaginer qu’elle s’abandonna à une joie pure. La perspective du bonheur dont allait jouir Henriette, ôtait au sien tout ce qui l’empêchait d’être parfait : elle craignit même qu’il ne fût trop grand. Qu’avait-elle à désirer ? De se rendre de plus en plus digne de l’homme dont le jugement était si supérieur au sien ; de devenir plus humble et plus circonspecte par le souvenir des folies qu’elle avait à se reprocher. Elle forma de sérieuses résolutions pour sa conduite future ; et cependant, tout en les formant, elle éclatait souvent de rire. Maintenant Henriette pouvait revenir quand elle voudrait, elle la reverrait avec le plus grand plaisir ; elle en aurait aussi à faire connaissance avec Robert Martin.

Elle comptait au nombre de ses félicités, que le déguisement dont elle avait été forcée d’user envers M. Knightley, allait cesser. Plus de mystère, plus de discours équivoques ; elle se faisait un vrai plaisir de remplir un devoir sacré, celui de lui ouvrir son cœur sans réserve.

Au comble du bonheur, elle monta en voiture avec son père, qu’elle n’écouta pas toujours, mais aux discours duquel il applaudissait de la voix et du geste, surtout pour lui faire compliment de l’idée qu’il avait que la pauvre madame Weston trouverait mauvais qu’il n’allât pas la voir tous les jours.

Ils arrivèrent à Randalls. Madame Weston était seule. Mais à peine avait-on parlé de l’enfant, et M. Woodhouse reçu les remercîmens qu’il attendait, qu’on vit deux figures à travers les jalousies.

« C’est Frank et mademoiselle Fairfax, dit madame Weston ; j’allais vous parler de notre agréable surprise de le voir arriver ce matin ; il ne s’en retournera que demain : et mademoiselle Fairfax a bien voulu passer la journée avec nous. Ils vont entrer sans doute. »

Effectivement, ils se présentèrent dans la salle une minute après. Emma fut très-satisfaite de le voir ; mais l’un et l’autre éprouvèrent un peu de confusion, des souvenirs peu agréables. Ils se virent avec plaisir, et en souriant ; mais le sentiment secret du passé les empêcha de parler ; et tout le monde ayant pris place en silence, Emma craignit que le désir qu’elle avait eu de le revoir encore une fois, et surtout avec Jeanne, ne lui donnerait pas autant de satisfaction qu’elle l’avait espéré.

Lorsque M. Weston vint se joindre à eux, et qu’on eut apporté l’enfant, tout le monde recouvra la voix. Frank prit courage, s’approcha d’elle, et lui dit :

« J’ai à vous remercier, mademoiselle Woodhouse, du pardon que j’ai vu dans une des lettres de madame Weston, que vous avez eu la bonté de m’accorder. Je me flatte que vous ne vous en repentez pas. »

« Non, en vérité, s’écria Emma, pas du tout ; je suis charmée, au contraire, de vous voir et de vous féliciter en personne. »

Il la remercia de tout son cœur, et continua à l’entretenir de sa gratitude et de son bonheur.

« N’est-elle pas charmante ? dit-il, en se tournant vers Jeanne, n’est-elle pas plus belle que jamais ? Vous voyez combien mon père et madame Weston l’aiment. »

Mais sa gaîté ordinaire reprenant le dessus, il nomma en riant M. Dixon, après avoir annonce le retour des Cambell. Emma rougit et lui défendit de prononcer ce nom-là devant elle ; car, dit-elle, je n’y puis songer sans honte.

« C’est moi seul qui mérite d’en être honteux. Mais est-il possible que vous n’ayez eu aucun soupçon ?

« Je veux dire dans les derniers temps, dans la première quinzaine, je sais que vous n’en aviez pas. »

« Je n’en ai jamais eu, je vous assure. »

« Cela me paraît bien étonnant. J’ai été bien prêt de tout avouer ; j’aurais bien fait. Mais quoique je me conduisisse mal, et que je n’y aie rien gagné, je le sentais et continuais. J’aurais beaucoup mieux fait de vous mettre dans notre confidence, et de vous dévoiler notre secret. »

« Vos regrets, maintenant, sont inutiles, dit Emma.

« J’espère, continua-t-il, que mon oncle viendra à Randalls ; il désire lui être présenté. Lorsque les Campbell seront revenus à Londres, nous les y joindrons ; et je me flatte que nous y resterons jusqu’au temps où nous pourrons la conduire vers le Nord. Mais maintenant, je suis si éloigné d’elle… N’est-ce pas bien terrible, mademoiselle Woodhouse ? Depuis notre réconciliation, c’est la première fois que je la vois. Ne me plaignez-vous pas ? »

Emma sympathisa avec lui de tout son cœur ; il en fut si enchanté, que sa tête s’exaltant de nouveau, il s’écria.

« Ah ! à propos. Puis, baissant la voix, et d’un ton plus sérieux, il dit : Je me flatte que M. Knightley est en bonne santé. Il s’arrêta. Emma rougit et se mit à rire. Je sais que vous avez vu ma lettre ; et je pense que vous n’avez pas oublié les vœux que je formais pour vous. Permettez-moi de vous féliciter à mon tour : je vous assure que j’ai appris cette nouvelle avec le plus vif intérêt. C’est un homme que je ne me crois pas digne de louer. »

Emma, charmée de l’entendre parler de cette manière, eût désiré qu’il continuât. Mais ses idées changèrent d’objet ; il les reporta sur lui-même et sa Jeanne, disant :

« Avez-vous jamais vu une plus belle peau ? si unie ! si délicate ! Elle n’est cependant pas blonde. Sa complexion est surprenante, avec ses cheveux et ses sourcils noirs. Elle a véritablement l’air distingué, assez de couleurs pour être belle. »

« J’ai toujours admiré sa complexion, dit Emma, avec malice : je me souviens du temps où vous la croyiez trop pâle. Si je m’en souviens bien. La première fois que nous parlâmes d’elle, l’avez-vous déjà oublié ? »

« Oh ! non, quel mauvais sujet j’étais alors ! Comment ai-je pu oser ? »

Il se mit à rire si fort après cet acte de componction, qu’Emma ne put s’empêcher de lui dire :

« Je soupçonne qu’au milieu de vos perplexités, dans ce temps-là, vous vous amusiez beaucoup à nos dépens : ce devait être une grande consolation pour vous. »

« Oh ! non, non. Comment avez-vous pu croire cela de moi ? J’étais alors si malheureux. »

« Pas tout à fait assez pour ne pas vous amuser. Je suis sûre que vous deviez bien vous divertir en nous trompant tous. Je le crois d’autant plus, que pour dire la vérité, je pense que je m’en serais amusée moi-même en pareil cas. »

« Nous nous ressemblons un peu en cela. »

Il fit un profond salut.

« Si nous n’avons pas les mêmes dispositions, ajouta-t-elle avec sensibilité, notre destinée est la même, destinée que nous devons probablement à des êtres qui nous sont supérieurs. »

« C’est très-vrai, dit-il avec chaleur. Non pas pour vous, mais bien pour moi. »

« C’est un ange, regardez-la ; examinez son cou, ses yeux, à présent qu’elles les tourne vers mon père. Vous serez bien aise de savoir (s’approchant de son oreille) que l’intention de mon oncle est de lui présenter les diamans de ma tante ; on les fera remonter. Je veux qu’on en emploie une partie à un diadême. N’ira-t-il pas bien avec ses cheveux noirs ? »

« Je suis de votre avis. Elle lui parla avec tant d’amitié, qu’il s’écria : »

« Que je suis enchanté de vous revoir, et surtout de vous retrouver si bien. Pour tout au monde je n’aurais voulu être privé de ce plaisir. Si vous n’étiez pas venue à Randalls, je me serais certainement rendu à Hartfield. »

Le reste de la compagnie s’était entretenu de la petite Anne. Madame Weston avait dit qu’elle avait été alarmée pour sa santé et qu’elle avait été sur le point d’envoyer chercher M. Perry. Elle avait honte de sa faiblesse ; mais M. Weston avait été presque aussi alarmé qu’elle : cependant ce n’était rien ; en dix minutes l’enfant était aussi bien qu’auparavant. Ces petits détails intéressèrent beaucoup M. Woodhouse, qui lui fit compliment sur l’idée qui lui était venue d’envoyer chercher M. Perry ; il regrettait qu’elle ne l’eût pas fait.

À la moindre apparence de danger, il fallait envoyer chercher Perry, et quoique l’enfant parût bien portant, il n’y avait pas de doute que si Perry fût venu, l’enfant se porterait beaucoup mieux.

Frank Churchill s’attacha au nom de Perry, « Perry, dit-il à Emma, essayant de fixer l’attention de Jeanne. Mon ami M. Perry ! Que dit-on de lui ? Est-il venu ici ? Comment voyage-t-il ? A-t-il une voiture ? »

Emma le comprit, et tandis qu’elle s’amusait avec lui à rire, il était aisé de voir à la contenance de Jeanne qu’elle l’écoutait aussi, quoiqu’elle fît semblant d’être sourde.

« Ce rêve était bien étrange ! s’écria-t-il, je ne puis y penser sans rire. Elle nous entend, mademoiselle Woodhouse ! elle sourit et fait tous ses efforts pour froncer le sourcil. Regardez-la. Ne voyez-vous pas qu’elle a le passage de sa lettre devant les yeux. Qu’elle ne peut faire attention qu’à ce que je dis, quoiqu’elle paraisse prêter l’oreille ailleurs. »

Jeanne, bon gré, malgré, fut forcée de sourire, et dit à voix basse :

« Je trouve fort étonnant que vous vous souveniez de pareilles choses. On peut malgré soi s’en rappeler ; mais, on doit l’éviter autant qu’on peut. »

Il avait de bonnes plaisanteries à faire, mais Emma se mit du côté de Jeanne. En s’en retournant, elle vit qu’il n’y avait pas de comparaison à faire entre M. Knightley et Frank Churchill. Cette conviction compléta le bonheur dont elle avait joui pendant la journée.