La Paix conquise

La bibliothèque libre.
La Paix conquise, chant prophétique
(p. 3-7).


LA PAIX CONQUISE,


CHANT PROPHÉTIQUE.


Folle Albion, tu dis : « Je suis reine ! la terre
» Enfante l’or pour moi dans son sein tributaire ;
» Thétis s’enorgueillit de gronder sous ma loi. »
Tu le dis : tes nochers, sur la foi des étoiles,
Ont déployé les voiles….
Tu ne vois pas la mort qui s’embarque avec toi.

À tes mâts suspendu, l’impatient fantôme
Compte déjà tes fils promis à son royaume ;
NAPOLÉON l’a dit : toi, tes fils vous mourrez.
Son glaive brisera le trident de Neptune,
Et ta grande infortune
Réjouira long-temps les peuples enivrés.

Ils n’ont que trop gémi sous ton sénat barbare,
Quand les rois, aveuglés par un délire avare,
Disputèrent la foudre au fier NAPOLÉON.
De loin, tu leur jetais un salaire homicide ;
Ils connurent Alcide,
Et tous ont déserté les chaînes d’Albion.


Le Héros et l’Europe ont proscrit l’insulaire.
Dieu livrera demain au vent de sa colère
De tes prospérités l’édifice croulant.
Tu ne vomiras plus sur nos riantes plages
Tes flammes, tes orages,
Tes dons fallacieux et ton nocher tremblant.

Tu peux encor, troublant les ondes subjuguées,
Égarer sur les mers tes flottes fatiguées ;
Le sceptre d’Amphitrite en tes mains resplendit ;
Et cependant, fixée aux bords de la Tamise,
Sur des trésors assise,
La faim, spectre hideux, chaque jour s’agrandit.

Parmi d’impurs brouillards, sur la glèbe stérile
Tes laboureurs guidant la charrue inutile,
De la riche Cérès ignorent les leçons ;
Cesse de comparer ton île ténébreuse
À notre France heureuse,
Empire du soleil et des blondes moissons.

La France avec ses bois, ses plaines embaumées,
Sa gloire, son beau ciel, ses palais, ses armées,
Comme un astre éclatant domine l’univers :
Et l’Angleterre, triste et le front chargé d’ombre,
Comme une tache sombre,
Importune et noircit l’azur brillant des mers.


Français, montrons-nous fiers du sort et de nous-mêmes !
Nos armes font les rois, et sur leurs diadèmes
Réfléchissent l’éclat d’un règne triomphant.
De ses héros éteints le Tibre se console,
Et le vieux Capitole
Attache sa fortune au sceptre d’un enfant.

Mais quel deuil obscurcit les palmes de la gloire ?
Quelle plainte se mêle aux chants de la victoire,
Ainsi qu’une onde amère à des flots purs et doux ?
De cent climats divers un même cri s’élève !
Devant le roi du glaive,
Peuples, pourquoi ces cris, et que demandez-vous ?

Ils demandent la Paix ! Trop long-temps les deux mondes
Se cherchant, se heurtant, sur l’abîme des ondes,
Ont rougi de leur sang les flots épouvantés.
Ils demandent la Paix ! Qu’est-elle devenue ?
Quelle rive inconnue
Dérobe son sourire à nos bords attristés ?

Elle est dans Albion….. Sous des chaînes cruelles,
L’Avarice et l’Orgueil, farouches sentinelles,
Gardent la douce Vierge, amour des nations.
Elle est dans Albion, la belle fugitive ;
Elle y gémit captive,
Ses yeux, noyés de pleurs, cherchent nos pavillons.


Mais soudain le Héros a fait signe à ses braves ;
Les braves ont volé. Les mers, long-temps esclaves,
Roulent avec orgueil sous nos vaisseaux sacrés.
En vain toute Albion accourt sur ses rivages,
Le démon des ravages
A vu ses bataillons et les a dévorés.

Sous des crêpes jaloux, pourquoi voiler tes charmes,
Déesse ? Calme-toi. CÉSAR, qui voit tes larmes,
A promis ta conquête à ses heureux Français ;
Ne vois-tu pas s’enfuir le léopard horrible
Devant l’aigle terrible
Dont le vol généreux présage les succès ?

Aux braves triomphans la Vierge s’abandonne ;
Notre appareil guerrier la rassure et l’étonne ;
La Paix, sous des drapeaux, brille plus belle encor.
Le soldat empressé l’environne ; il admire
Et son chaste sourire,
Et sa coupe joyeuse et sa couronne d’or.

La Victoire a chanté l’hymne retentissante.
Mais les doux souvenirs de la famille absente
Sur le char triomphal poursuivent le guerrier ;
Son cœur rêve déjà la grotte solitaire,
Le chaume héréditaire
Et les longs entretiens, délices du foyer.


La France nous revoit….. : ainsi qu’aux jours antiques
Déjà nous apportons à nos dieux domestiques
Des ennemis vaincus les sanglans étendards ;
La mère a couronné le fils qu’elle idolâtre,
Et la beauté folâtre
Nous arrache, en riant, nos casques et nos dards.